l'empreinte des normands

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L’expansion normande par les armes - Les exploits militaires outremer - La conquête et la domination brutales des populations anglo-saxonnes - Ménagement et coopération en Sicile et en Italie du Sud - La participation aux croisades L’instauration d’un « bon gouvernement » - La réorganisation du pouvoir sur les îles britanniques - L’établissement d’une administration anglo-normande efficace - La constitution d’un pouvoir fragile en Italie - Une formidable énergie créatrice L’entreprise de reconstruction dans les îles britanniques - Les grands chantiers architecturaux de Sicile et d’Italie du Sud L’épanouissement des arts plastiques - Le rayonnement d’une civilisation brillante - La construction d’une histoire et d’une identité normandes outremer - Les centres intellectuels et culturels - La circulation des hommes, des idées, des biens Politique d’assimilation et perte du particularisme normand - Une influence déclinante à la fin du XII e - Les derniers rois anglo-normands - La fin de l’aventure normande en Sicile - Mais une influence normande qui perdure à travers le temps L’expansion normande par les armes - Les exploits militaires outremer - La conquête et la domination brutales des populations anglo-saxonnes - Ménagement et coopération en Sicile et en Italie du Sud - La participation aux croisades L’instauration d’un « bon gouvernement » - La réorganisation du pouvoir sur les îles britanniques - L’établissement d’une administration anglo-normande efficace - La constitution d’un pouvoir fragile en Italie - Une formidable énergie créatrice L’entreprise de reconstruction dans les îles britanniques - Les grands chantiers architecturaux de Sicile et d’Italie du Sud L’épanouissement des arts plastiques - Le rayonnement d’une civilisation brillante - La construction d’une histoire et d’une identité normandes outremer - Les centres intellectuels et culturels - La circulation des hommes, des idées, des biens Politique d’assimilation et perte du particularisme normand - Une influence déclinante à la fin du XII e - Les derniers rois anglo-normands - La fin de l’aventure normande en Sicile - Mais une influence normande qui perdure à travers le temps L’expansion normande par les armes - Les exploits militaires outremer - La conquête et la domination brutales des populations anglo-saxonnes - Ménagement et coopération en Sicile et en Italie du Sud - La participation aux croisades des Normands L’empreinte une épopée européenne CONQUEST AND BEQUEST

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Les Normands… Aux xie et xiie siècles, ils ont imprimé leur marque dans toute l’Europe. Sur la route des croisades, d’audacieux aventuriers prennent pied en Italie du Sud et en Sicile et poussent jusqu’à Antioche et Constantinople. Puis en 1066 le duc Guillaume de Normandie traverse la mer pour prendre la couronne anglaise qui lui avait été promise. Sa victoire à Hastings ouvre à son peuple l’Angleterre, l’Écosse, le Pays de Galles et l’Irlande.Partout, les Normands construisent des abbayes, cathédrales et châteaux magnifiques dont beaucoup sont toujours debout aujourd’hui. De l’Écosse à Jérusalem, de la Calabre aux côtes de l’actuelle Tunisie, suivons la trace de ces Normands sans peur qui firent preuve d’une formidable énergie créatrice.

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Page 1: L'empreinte des Normands

L’expansion normande par les armes - Les exploits militaires outremer - La conquête et la domination brutales des

populations anglo-saxonnes - Ménagement et coopération en Sicile et en Italie du Sud - La participation aux croisades

L’instauration d’un « bon gouvernement » - La réorganisation du pouvoir sur les îles britanniques - L’établissement d’une

administration anglo-normande efficace - La constitution d’un pouvoir fragile en Italie - Une formidable énergie créatrice

L’entreprise de reconstruction dans les îles britanniques - Les grands chantiers architecturaux de Sicile et d’Italie du Sud

L’épanouissement des arts plastiques - Le rayonnement d’une civilisation brillante - La construction d’une histoire et d’une

identité normandes outremer - Les centres intellectuels et culturels - La circulation des hommes, des idées, des biens

Politique d’assimilation et perte du particularisme normand - Une influence déclinante à la fin du XIIe - Les derniers

rois anglo-normands - La fin de l’aventure normande en Sicile - Mais une influence normande qui perdure à travers le

temps L’expansion normande par les armes - Les exploits militaires outremer - La conquête et la domination brutales des

populations anglo-saxonnes - Ménagement et coopération en Sicile et en Italie du Sud - La participation aux croisades

L’instauration d’un « bon gouvernement » - La réorganisation du pouvoir sur les îles britanniques - L’établissement d’une

administration anglo-normande efficace - La constitution d’un pouvoir fragile en Italie - Une formidable énergie créatrice

L’entreprise de reconstruction dans les îles britanniques - Les grands chantiers architecturaux de Sicile et d’Italie du Sud

L’épanouissement des arts plastiques - Le rayonnement d’une civilisation brillante - La construction d’une histoire et d’une

identité normandes outremer - Les centres intellectuels et culturels - La circulation des hommes, des idées, des biens

Politique d’assimilation et perte du particularisme normand - Une influence déclinante à la fin du XIIe - Les derniers

rois anglo-normands - La fin de l’aventure normande en Sicile - Mais une influence normande qui perdure à travers le

temps L’expansion normande par les armes - Les exploits militaires outremer - La conquête et la domination brutales des

populations anglo-saxonnes - Ménagement et coopération en Sicile et en Italie du Sud - La participation aux croisades

des NormandsL’empreinte

une épopée européenne

Conquest and Bequest

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13HORS SÉRIE NORMANDIE MAGAZINE

Depuis 1042, l’Angleterre est aux mains d’Édouard le Confesseur. Avant d’accéder au trône, le souverain anglais a longtemps vécu en exil en Normandie et il est devenu très proche de la famille ducale. Couronné roi, il fait donc venir de nombreux Normands en Angleterre. Parmi eux, Raoul le Timide, earl de Herefordshire, et plusieurs évêques dont Robert Champart, ancien abbé de Jumièges, nommé évêque de Londres en 1044 puis archevêque de Cantorbéry en 1051.

Les Normands sont cependant mal vus des Anglais, en particulier des grandes familles aristocratiques de l’île qui décident de former un mouvement « anti- normand » conduit par Godwin, earl de Wessex. Plu-sieurs de ses fils s’associent à cette résistance. Sa fille est, quant à elle, l’épouse du roi Édouard. Le monarque se trouve dès lors ballotté entre les deux courants. En 1051, sous la pression du « parti normand », il pro-nonce l’exil de Godwin et de ses fils qui se réfugient en Flandre.

Sans enfant, Édouard choisit comme héritier du trône d’Angleterre son petit-cousin, le duc Guillaume de Normandie. Mais dès 1052, Godwin et les siens reviennent sur l’île, se rapprochent du roi et repren-nent leur ascendant sur le pouvoir. Godwin réunit une assemblée qui décide de l’expulsion des Nor-mands, notamment l’archevêque de Cantorbéry auquel succède Stigant – que le pape se refuse à reconnaître.

Godwin meurt l’année suivante. Ses biens revien-nent à Harold qui devient le nouvel homme fort du

royaume et dénonce le choix de Guillaume comme successeur du royaume d’Angleterre. Pour calmer sa fougue, Édouard décide de l’envoyer en ambassade auprès du duc de Normandie. Il contraint ainsi Harold à prêter un serment de fidélité au duc. L’Anglais doit se constituer vassal de Guillaume, son rival, et reconnaître officiellement la légitimité de celui-ci.

Le 5 janvier 1066, le roi Édouard meurt. Harold renie alors son serment et, soutenu par l’aristocratie anglaise, se fait couronner roi d’Angleterre. Harold n’appartient pas à la famille royale anglaise mais, affir-ment les Anglais, c’est à lui que revient le royaume car Édouard le lui aurait légué sur son lit de mort, comme l’indique une scène de la Tapisserie de Bayeux. Mais Guillaume est le petit-neveu d’Emma, la mère d’Édouard. Un troisième personnage peut en outre revendiquer le trône d’Angleterre : Harald Hardrada, le roi de Norvège. Chacun des deux prétendants se prépare à envahir le royaume anglais.

Les préparatifs de la conquête de l’Angleterre

Guillaume de Normandie se livre tout d’abord à une intense activité diplomatique, sollicitant des sou-tiens au sein du royaume de France. Il obtient l’appui du comte de Flandre Baudouin V, son beau-père. Le comte est également tuteur du roi de France Philippe Ier qui lui assure l’engagement des contingents flamands et français. Guillaume passe également une alliance avec les Penthièvre – comtes de Bretagne – qui per-met le ralliement des troupes bretonnes. Mais le duc peut surtout compter sur l’armée féodale normande,

À la conquête de l’Angleterre

Reconstitution de la Bataille d’Hastings en octobre 2012(photo Jacques Maréchal)

Avant la conquête, l’Angleterre n’était pas une terre inconnuepour les Normands. Des liens unissaient déjà les familles régnantes

de Normandie et d’Angleterre et les échanges étaient fréquents entre les deux peuples.C’est d’ailleurs pour récupérer le trône d’Angleterre qui lui avait été promis

que Guillaume de Normandie traversa la mer en 1066.

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réputée pour son efficacité. Elle ne peut être toutefois mobilisée pour une durée excédant quarante jours – durée insuffisante pour conduire une telle expédi-tion. Au-delà, il faut payer les chevaliers et les fantas-sins normands comme ceux des autres contingents. La prospérité et la richesse du duché normand sont telles que Guillaume peut financer la campagne. Comme le souligne la Tapisserie de Bayeux, la conquête de l’Angleterre est bien le fait d’une armée franque et non d’une armée exclusivement normande.

Pour mener à bien la traversée, Guillaume a aussi besoin d’une flotte. De nombreux navires sont construits dont le Mora, navire amiral offert par Mathilde à son époux. D’autres sont réquisitionnés. Selon Wace, poète normand du xiie siècle, 696 bateaux sont réunis grâce à l’appui des barons laïques et ecclésiastiques du duc

qui lui fournissent hommes et bateaux. Les principaux vassaux du royaume ainsi mis à contribution figurent parmi les conseillers du duc puis des grands barons normands de l’île. La conquête de l’Angleterre est une entreprise collective orchestrée par un chef, Guillaume.

Les bateaux de type viking peuvent accoster directement sur les plages, sans avoir besoin d’un port, mais l’embarquement doit quand même se faire à partir d’un lieu abrité pour protéger les bateaux. La côte septentrionale offrant peu de havres, le choix du duc s’arrête sur Dives-sur-Mer, près de Caen. Guillaume honore à cette occasion sa pro-messe de construire deux abbayes bénédictines

Double page précédente : l’arrivée à Pevensey(détail de la Tapisserie de Bayeux - xie siècle)

La construction de l’abbaye aux Dames à Caen commença en 1062. La reine Mathilde, épouse du Conquérant, y fut inhumée en 1083

Page 7: L'empreinte des Normands

Richard III5e duc de Normandie

1026-1027

Robert le Magnifique

6e duc de Normandie1027-1035

Herlève(Arlette)

Herluin de Conteville

Richard Ier

3e duc de Normandie942-996

Richard II4e duc de Normandie

996-1026

Alfredmort en 1035

Édouard le ConfesseurRoi d’Angleterre

1042-1066

HarthacnutRoi d’Angleterre

1040-1042

EthelredRoi d’Angleterre

978-1016

Emmamorte en 1052

CnutRoi d’Angleterre

1016-1035

Robert de Mortainmort en 1091

Odon Évêque de Bayeux

mort en 1097

Mathildefille de Baudouin V

de Flandremorte en 1083

Guillaume7e duc de Normandie

1035-10871er roi d’Angleterre

1066-1087

Guillaume le Roux

2e roi d’Angleterre1087-1100

Richardmort en 1075

Robert Courteheuse8e duc de Normandie

1087-1106

Adèleépouse d’Étienne

de Bloismorte en 1137

Agathefiancée à Haroldmorte en 1073

Henri Ier Beauclerc9e duc de Normandie

1106-11353e roi d’Angleterre

1100-1135

Cécileabbesse de la Trinité

de Caen morte en 1127

Mathilde l’Emperessemorte en 1167

Henri VEmpereur de Germanie

mort en 1125

Geoffroy PlantagenêtComte d’Anjou

11e duc de Normandie1144-1150

Étienne10e duc de Normandie

1135-11444e roi d’Angleterre

1135-1154

Aliénor d’Aquitainemorte en 1204

Henri II Plantagenêt12e duc de Normandie

1150-11895e roi d’Angleterre

1154-1189

Richard Cœur de Lion13e duc de Normandie

1189-11996e roi d’Angleterre

1189-1199

Jean Sans Terre14e duc de Normandie

1199-12047e roi d’Angleterre

1199-1216

Généalogie simplifiée des ducs de Normandie et rois d’Angleterre de 950 à 1200

17Jeanne d’Angleterreépouse de Guillaume II

roi de Sicile

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– l’abbaye aux Hommes, dédiée à saint Étienne, et l’abbaye aux Dames, dédiée à la Trinité. L’initiative présente un double intérêt. Il s’agit d’abord d’un geste symbolique qui s’intègre à la préparation spirituelle de la campagne militaire. C’est ensuite un acte politique fort qui permet au duc normand d’obtenir le soutien du pape Alexandre III.

Le départ, fixé au 1er août, est retardé. Les embarca-tions quittent Dives-sur-Mer le 12 septembre non pour l’Angleterre mais pour Saint-Valery, dans l’estuaire de la Somme. Quinze jours plus tard, la traversée est enfin

lancée. Cette attente serait en fait stratégique : Harold ne peut en effet mobiliser indéfiniment ses hommes et doit licencier une partie de son armée, surtout des pay-sans. Il choisit alors de se replier sur Londres, laissant les côtes sans défense.

Nous ne disposons pas d’informations sur les rap-ports du duc de Normandie et du roi de Norvège. Peut-être ont-ils passé un accord. Il est en tout cas établi que le second, Harald Hardrada, attaque l’Angleterre en premier. Confronté à un climat plus rude, il ne peut faire attendre davantage ses hommes et débarque le 18 septembre près de York. Harold engage la bataille à Stamford Bridge, le 25 septembre 1066. La victoire anglaise est complète. Le roi de Norvège et son frère Tostig sont tués. Mais c’est surtout un succès pour Guillaume : son principal rival, le roi de Norvège, est tué et son adversaire, Harold, est affaibli par le combat.

L’ordre du départ normand est donné trois jours après l’annonce de la victoire anglaise. La traversée a lieu dans la nuit du 28 au 29 septembre. Les troupes débarquent à Pevensey. Guillaume veut soumettre rapidement l’Angleterre au prix d’une seule bataille. Il évite donc de gagner Londres et de pénétrer dans un pays hostile qui lui livrerait une guérilla sans merci. L’armée normande s’installe près d’Hastings et se pré-pare à l’arrivée d’Harold, contraint de descendre rapi-dement vers le sud.

La bataille d’Hastings (1066)

Harold souhaite lui aussi écraser rapidement l’enva-hisseur. Il reprend la stratégie qu’il a appliquée contre les Norvégiens et espère le même succès en attaquant de nuit et par surprise. Informé des projets anglais, Guillaume décide de livrer bataille sans attendre qu’Ha-rold ait le temps de fortifier la colline où il s’est installé pendant la nuit. Les Anglais sont ainsi retranchés en hauteur. La bataille a lieu le samedi 14 octobre 1066. C’est l’une des plus grandes batailles du Moyen Âge : 16 000 hommes combattent de 9 h du matin à minuit.

Reconstitution de la bataille d’Hastings en octobre 2012(photo Jacques Maréchal)

Les mouvements militaires en septembre et octobre 1066 (carte de Pierre Bouet refaite par Céline Colange)

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En haut de la colline, les Anglais forment un mur de boucliers avec au centre les housecarls (troupe d’élite entraînée au maniement de la grande hache danoise) et sur les ailes les hommes du fyrd (milice paysanne mal armée et mal entraînée). Les Normands sont établis en contrebas, près d’une zone marécageuse. Guillaume a l’espace pour manœuvrer et lancer des assauts de cava-lerie. Ayant assiégé de nombreux châteaux, le duc nor-mand a acquis l’expérience de cette forme de combat en position inférieure. Avant de donner l’ordre du départ, il adresse une brève allocution à ses hommes :

« Le duc rappela aux Normands que dans de nom-breuses situations critiques ils avaient toujours triom-phé, sous sa conduite. Il leur rappela leur patrie, leurs exploits et leur renommée… “Si vous combattez en héros, victoire, honneur, richesses seront votre part. Sinon, ou vous serez aussitôt mis à mort ou vous deviendrez des captifs livrés aux caprices d’ennemis particulièrement cruels” ».

Guillaume de Poitiers, Gesta Guillelmi, 2, 15.

C’est un assaut normand qui lance la bataille. Les Anglais, ébranlés, descendent en désordre et sèment le trouble dans les rangs normands. La nouvelle de la mort de Guillaume se répand alors rapidement. C’est la déroute. Le duc doit se découvrir, au péril de sa vie, pour être reconnu de ses hommes et mettre fin à la rumeur. Il s’inspire alors de cet incident pour élabo-rer une nouvelle stratégie. À deux reprises, il monte à l’assaut puis feint la fuite, entraînant avec lui des hou-secarls. Des Anglais combattent maintenant dans la plaine. Guillaume lutte au milieu de ses hommes. Trois chevaux étant successivement tués sous lui, il décide de poursuivre à pied.

Lors d’une contre-attaque, une colonne de cheva-liers français s’engage dans le ravin de la Malefosse. Mal leur en a pris. Les bêtes s’enlisent, livrant aux égorgeurs anglais les hommes désarçonnés. L’issue est alors indé-cise. Il faut pénétrer à l’intérieur du dispositif anglo-saxon. Guillaume relance ses archers et ordonne un tir rasant, comme le montre la Tapisserie de Bayeux. Une flèche atteint Harold à l’œil et le tue.

Les housecarls se retirent en continuant de com-battre. Plus loin, les paysans du fyrd, très inférieurs en termes d’organisation et probablement en nombre, fuient, démoralisés. La bataille est jouée. À la nuit tombée, les vainqueurs se regroupent et Guillaume fait dresser sa tente sur le champ de bataille.

Le dimanche 15 octobre au matin, l’armée procède à l’enterrement de ses morts.

La « Dévastation du Nord » de l’Angleterre

Le format un peu « bande dessinée » de la Tapisse-rie de Bayeux tend à nous faire croire que la conquête de l’Angleterre se résuma à une seule bataille, voire à un seul « coup de théâtre » – à savoir la flèche que Harold reçut dans l’œil. Néanmoins, si la mort de ce dernier suffit pour assurer le trône anglais à Guillaume, un grand nombre d’habitants du royaume refusa de s’y soumettre, notamment les aristocrates anglo-saxons, dépouillés de leurs biens immobiliers par les envahis-seurs.

Pour mieux soumettre le pays, Guillaume dut ériger des mottes castrales partout dans le royaume, en ayant recours au travail forcé. La plupart de ces vastes mottes de terre furent rapidement remplacées par des forte-resses en pierre, d’aspect délibérément menaçant et sans précédent en Angleterre. Trente ans plus tard, le pays était constellé de ces châteaux et il y avait peu d’endroits à plus d’une journée de marche d’une place forte. L’am-pleur de ce projet fut telle que, près de quatre-vingts ans après la conquête, La Chronique anglo-saxonne faisait encore état de l’oppression des populations sous forme de travail forcé pour la construction de ces forteresses.

Tant que cette militarisation de l’Angleterre res-tait inachevée, les Normands étaient vulnérables. Les insurgés anglo-saxons leur tendaient régulièrement des pièges, au point que les barons, évêques et shérifs normands ne pouvaient plus se déplacer seuls, sous peine de tomber dans une embuscade ou de recevoir

Le château de Warwick (centre de l’Angleterre), construit par les Normands en 1068

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un mauvais coup. Pour essayer d’enrayer cette insé-curité, une amende fut mise en place, connue sous le nom de murdrum (dérivé du vieux français murdre, qui nous a donné le mot meurtre). Dès qu’un homme inconnu était trouvé assassiné, les habitants des vil-lages les plus proches devaient fournir la preuve que c’était un Anglais. S’ils étaient dans l’impossibilité de le faire, les autorités partaient du principe que c’était un Français et leur imposaient une amende collective si le meurtrier n’était pas appréhendé au bout de cinq jours.

Le murdrum ne suffit pas à endiguer la vague de mécontentement, surtout dans le Nord du pays. Dans le passé, les rois anglais avaient largement négligé ces territoires lointains et, au bout de plusieurs siècles d’in-fluence scandinave, l’aristocratie était principalement d’origine danoise. Si le duc de Normandie était foca-lisé sur la conquête des terres fertiles et prospères du Sud, ce grondement de rébellion, conjugué à la menace d’incursions écossaises, le força à prendre le problème à bras-le-corps.

N’y disposant pas de grands domaines pour rému-nérer ses fidèles et pour gagner de l’influence au sein de l’Église, Guillaume dut agir directement et par la force. En 1068, il marcha sur York avec son armée. Une fois sur place, il ordonna la construction d’un château fort sur la rive gauche de l’Ouse. Au début de l’année suivante, il nomma Robert de Commines, un Français comme son nom l’indique, comte de Northumbrie. Commines était la troi-sième personne à se voir attribuer ce titre par le roi, et, comme ses deux prédécesseurs, il n’en jouit que peu de temps ; quelques semaines plus tard, il fut massacré avec 500 de ses hommes à Durham. Sa mort incita Edgar Ætheling, petit-neveu d’Édouard le Confesseur, à s’allier avec Edwin de Mercie et son frère Morcar, comte déchu de Northum-brie. Guillaume n’eut aucun mal à réprimer leur rébellion et Edgar ne tarda pas à retrouver son asile en Écosse.

Ce fut tout de même un épisode suffisamment inquiétant pour pousser Guillaume à prendre la déci-sion tout à fait exceptionnelle de doter la ville de York d’un deuxième château, cette fois situé sur la rive droite de l’Ouse, afin de contrôler le trafic fluvial. La paix fut restaurée mais elle fut brève, car quelques mois plus tard, Edgar quitta son exil pour s’allier à Sweyn Estrith-son, le roi du Danemark, qui avait envoyé une flotte de 240 navires à l’embouchure de la Humber. Ainsi, une armée viking de 10 000 hommes, augmentée d’hommes du Yorkshire, marcha sur York, où la gar-nison normande eut le temps de mettre le feu à la ville avant d’être massacrée.

Guillaume était tellement furieux lorsqu’il apprit la nouvelle qu’il jura « par la splendeur de Dieu » de se venger. La rumeur de l’avancée des Danois déclencha des soulèvements un peu partout dans le pays mais pour Guillaume, la priorité était au nord. Pour com-mencer, il versa une forte somme d’argent à Sweyn pour l’inciter à abandonner la ville de York. Bien qu’il fût un prétendant légitime au trône par son oncle le roi Knut, le Danois accepta. Ainsi, avant la fin de 1069, Guillaume se trouva sur la route du Nord pour la troi-sième fois. Lorsqu’il atteignit enfin la ville de York, il fit réparer les châteaux et s’en servit comme base pour lancer une campagne hivernale destinée tout simple-ment à dévaster la région. Après avoir mis à sac chaque village, chaque ferme, il divisa son armée en petites

bandes dont la mission était de trouver et de détruire tout le bétail et toutes les réserves de nourriture.

C’est ce tsunami meurtrier qui, dans les livres d’histoire, s’appelle « la Dévastation du Nord ».L’histoire raconte que les survivants de cette

campagne de terre brûlée furent réduits à manger des chiens, des chats et même de la chair humaine. Des flots de réfugiés se déversaient vers le sud, et, ironie du sort, beaucoup de ces gens affamés mouraient dès qu’ils étaient secourus, pour avoir trop mangé. Seize ans après, une vaste éten-

Guillaume le Conquérant(détail de la Tapisserie de Bayeux - xie siècle)

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due de terres restait totalement dévastée et dépeuplée, comme l’atteste la mention « wasta est » (« ne vaut rien ») qui apparaît à maintes reprises dans « le livre du Jugement dernier » (Domesday Book) établi en 1086. Le récit de l’historien anglo-normand Orderic Vital (1075-1142) nous donne une image saisissante de cette immense souffrance :

« Jamais Guillaume n’avait montré tant de cruauté. Il céda honteusement à ce vice, et ne daigna pas mettre un frein à ses ressentiments, frappant avec la même fureur les innocents et les coupables. Dans la colère qui le transportait, il fit réunir les moissons, les trou-peaux, les aliments et les ustensiles de toute espèce et les fit complètement brûler : ainsi toutes les ressources alimentaires furent également anéanties dans tout le pays au-delà de la Humber. Il s’ensuivit, en Angleterre, une disette si grave, les calamités de la famine furent si affreuses, pour une population simple ou désarmée, que, de ces chrétiens de tout âge et de l’un et l’autre sexe, il périt plus de cent mille individus. »

Un récit tout aussi sombre nous est parvenu d’un autre chroniqueur contemporain des faits, Siméon de Durham :

« Quelle vision horrible que ces cadavres humains qui pourrissaient dans les maisons et sur les routes. Il ne restait plus personne pour les enterrer, car tout le monde avait péri par le fer ou par la famine, ou bien avait été poussé par la faim à quitter la terre de leurs ancêtres. […] Plus aucun village entre York et Durham n’était habité. »

Si Orderic prétend que Guillaume se repentit de ses actions sur son lit de mort, il jubilait en hiver 1069, ordonnant que ses habits de couronnement lui soient envoyés pour qu’il puisse les porter à la cathédrale de York pour fêter son troisième anniversaire en tant que roi, au milieu de la désolation.

La tour de Clifford fait partie du château normand de York