l'education au developpement durable dans tous ses états

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SommaireIntentions de l’ouvrage par Michel Vidal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

P a r t i e n ° 1 La prise en compte de l’éducation au développement durable dans les dispositifs de formation : exemple de l’enseignement agricole . . . . . . . . . . . . . 15

Sociogenèse d’un proto-enseignement agricole : observation de l’émergence d’une éducation à la nature et au développement durable avant l’heure par Olivier Sigaut . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

Comment, à la faveur de la réforme de la voie professionnelle, l’éducation au développement durable s’intègre dans l’enseignement du secteur de l’aménagement paysager ? par François-Xavier Jacquin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .38

P a r t i e n ° 2 Différentes déclinaisons de l’éducation au développement durable . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

De l’éducation à la responsabilité par Jean-Bernard Paturet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

éduquer à la citoyenneté, éduquer à l’environnement ? par David Kumurdjian . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60

L’éducation interculturelle, une éducation pour tous ? par Gudrun Petursdottir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72

éducation et Développement : pour une nécessaire introspection culturelle par Loïc Braida. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88

Une éducation au développement local pour un développement durable : s’inscrire dans une logique de partage par Guy Lévèque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100

Se relier à la nature : l’éducation(s) dans la perspective de l’écopsychologie par Mohamed Taleb . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106

L’imaginaire et les contes de fées : une rencontre entre nature intérieure et nature extérieure par Orane Bischoff . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .124

Conscience écologique et éthique de l’éducation : Une contribution de l’Approche Tranversale par René Barbier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134

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P a r t i e n ° 3 Approches pédagogiques et didactiques de l’éducation au développement durable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147

Approches didactiques et pédagogiques au cœur de l’éducation au développement durable par Francine Pellaud . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149

Une pédagogie de la formation du jugement par Bernadette Fleury . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158

L’enseignement des Questions Socialement Vives et l’éducation au Développement Durable par Laurence Simonneaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174

Les modélisations d’accompagnement, pour une compréhension des éco-socio-systèmes ou comment former à la complexité par Michel Vidal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .182

Un exemple d’approche éco-psychologique ou comment dialoguer avec sa propre nature par Marie Romanens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192

P a r t i e n ° 4 L’épistémologie de l’éducation au développement durable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199

Plurivocité de la notion de développement durable : Réflexions épistémologiques, éthique et éducationnelle par Mohamed Taleb . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200

P a r t i e n ° 5 Repères : éducation, Environnement,Développement, Durabilité, Fragments d’une histoire complexe par Mohamed Taleb . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .218

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Intentions de l’ouvrage

Michel Vidal formateur d’enseignant,

SupAgro Florac

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L’Agenda pour le XXIe siècle (Rio de Janeiro), les textes internationaux et nationaux qui en découlent mettent en avant le rôle clef de l’éduca-tion pour évoluer vers un développement durable.

Si les textes, circulaires de cadrage définissent les finalités d’une telle éducation, rares sont ceux qui en précisent la ou les épistémologie(s) sous-jacentes et les modalités d’application. L’UNESCO attribue à l’éducation au développement durable (EDD) comme principale mission « de doter les in-dividus de compétences, comportements et connaissances qui leur permet-tront de prendre des décisions éclairées pour eux mêmes et pour les autres, aujourd’hui et à l’avenir, et de traduire ces décisions en acte ». La décennie de l’éducation au développement durable prône notamment :

• un apprentissage interdisciplinaire et holistique

• un apprentissage fondé sur les valeurs

• le développement de la pensée critique

• la multiplicité des méthodes

• la participation à la prise de décision

• la diffusion d’informations pertinentes au niveau local, plutôt que national

Il est laissé une grande liberté pédagogique aux équipes éducatives dans sa mise en œuvre, liberté qui risque de n’être l’expression qu’une incapacité à pouvoir proposer des réponses pédagogiques et didactiques claires. Ainsi les enseignants, soit s’emparent de l’EDD avec leurs propres idéologies, soit s’en désintéressent pour des raisons multiples : difficultés à lui donner sens au sein de leurs disciplines, rejet d’un concept considéré trop idéologique, ....

Si l’éducation au développement durable n’est pas l’apanage de cer-taines disciplines au détriment d’autres, elle n’est pas plus un « fourre-tout » comme cela lui est parfois reproché. Certes, la diversité, un des fondements du développement durable, prend tout son sens dans une démarche édu-cative qui en relèverait ; elle ne suppose pas pour autant l’intégration d’ap-proches éducatives qui s’inscriraient dans des paradigmes ou des modèles antinomiques. Tout au moins s’agit-il d’être explicite sur les fondements épistémologiques qui justifient l’action et la posture éducative, et d’offrir à l’apprenant des repères qui lui permettent de faire ses propres choix.

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L’analyse des pratiques de terrain montre que la relation entre édu-cation et développement durable peut être appréhendée de façons bien différentes : si certaines équipes éducatives conçoivent plus l’EDD comme une éducation au sujetdu développement durable, d’autres prennent une posture plus idéologique dans le cadre d’une éducation pour développe-ment durable ; d’autres enfin ré-interrogent le sens même de l’éducation au travers des finalités du développement durable.

Il ne s’agit pas dans cet ouvrage de faire du prosélytisme pour certai-nes formes d’éducation au développement durable, mais plus d’en montrer les possibles et de mettre en lumière des dimensions épistémologiques, his-toriques, pédagogiques, éducatives parfois méconnues.

Les sept courants éducatifs suggérés par Bertrand (1���) sont autant de champs d’application de l’EDD :

Le courant personnaliste s’inscrit dans une démarche humaniste de développement de la personne, de son autonomie et de la prise de conscien-ce de ses capacités. L’enseignant y prend un rôle de facilitateur.

Le courant spiritualiste s’intéresse plus à la dimension spirituelle de la vie sur terre, et au sens de la vie. Les philosophies orientales alimentent beaucoup cette réflexion.

Le courant psycho-cognitif se préoccupe des processus cognitifs de l’élève (raisonnement, analyse, représentation sociale, conception). L’appro-che par résolution de problème est souvent mise à l’honneur dans le cadre de l’EDD.

Le courant technologique met l’accent sur l’amélioration du message, sur la valorisation de technologies appropriées.

le courant socio-cognitif insiste sur la dimension culturelle et sociale de la construction de la connaissance. Nous nous intéresserons en particu-lier aux approches coopératives et aux intérêts des approches interaction-nelles dans l’apprentissage de la socialisation.

Le courant social vise à résoudre les problèmes sociaux, culturels et environnementaux. Il est de fait une approche très prisée en EDD.

Le courant académique focalise sur la transmission de connaissances. Les penseurs qui s’y référent sont soit des « traditionalistes » qui souhaitent que soient transmis uniquement des connaissances indépendantes des

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cultures et structures sociales, soit des « généralistes » soucieux de dévelop-per l’esprit critique, l’ouverture d’esprit. L’EDD privilégiera plus particulière-ment cette seconde orientation.

Si il apparaît difficile d’inscrire les approches éducatives proposées dans cet ouvrage dans un courant de pensée unique, les questionner au tra-vers de cette typologie peut permettre d’en saisir les finalités et les présup-posés en termes d’apprentissage. Une éducation au développement durable ne peut en effet se passer de préciser les fins auxquelles elle veut aboutir. Comme l’exprime Martinez(200�), la question des finalités implique celle du modèle de société sous-tendu et fonde en éducation le projet anthro-pologique de subjectivisation, socialisation, et d’humanisation. S’agit-il plus de former un citoyen éclairé ? Une personne épanouie ? Un individu respec-tueux de l’altérité ? Un consommateur adapté aux évolutions du contexte sociétal ? Un travailleur capable d’inscrire son activité dans le respect de l’environnement et d’autrui ?

Notre objectif est d’aider l’enseignant, l’équipe pédagogique, ou l’équi-pe éducative à se repérer parmi les différentes finalités qu’il est pertinent d’assigner à l’éducation au développement durable et d’orienter son action. Une telle démarche suppose aussi de revisiter le métier d’enseignant et de montrer les implications des approches présentées en termes de postures éducatives.

Si l’éducation au développement durable est vue sous plusieurs an-gles, nous avons décidé d’avoir trois partis pris dans cet ouvrage. Le premier parti pris est celui de conserver le terme d’éducation au développement durable malgré les attaques qui lui sont faites. La raison en est plus straté-gique qu’idéologique. Terme consacré dans les programmes et référentiels de formation émanant des Ministères de l’éducation Nationale ou de l’Agri-culture, en choisir un autre aurait pu conduire à créer une grande confu-sion dans l’esprit des pédagogues. Nous nous inscrivons cependant bien dans les critiques faites à l’encontre du concept de développement durable, qualifié d’oxymore, justifiant la poursuite d’un mode de développement qui se veut ne pas remettre en cause le paradigme dominant, qui réfléchit la relation à l’environnement uniquement subordonné au développement économique. Nous nous positionnons plutôt dans une éducation qui vise à recréer le lien entre individu-société et environnement, dans l’esprit d’une

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éducation Relative à l’Environnement (ERE) et des courants de pensée qui lui sont associés1 (Sauvé, 1���).

Notre second parti pris est de concevoir l’éducation au développe-ment durable au travers du prisme de la complexité. En d’autres termes, sont convoquées des approches inter et transdisciplinaires, de façon à permettre un dialogue des savoirs et des différents niveaux de réalité, à s’appuyer sur les principes d’incertitude, de relativité des savoirs, d’incomplétude comme piliers de la formation, mais aussi à prendre en compte les dimensions ra-tionnelle, affective, sensible, imaginaire, spirituelle, corporelle de l’apprenant par la combinaison d’une auto, d’une hétéro et d’une écoformation.

Le troisième parti pris est d’articuler l’histoire, l’épistémologie et les modes éducatifs relatifs au développement durable pour permettre à l’en-seignant de mieux se situer dans l’élaboration, la transmission, des savoirs, savoir-faire et savoir-être qui en relèvent.

L’ouvrage combine ainsi des textes de diverses natures. Les premiers, au travers de l’exemple de l’enseignement agricole, relèvent de l’histoire ancienne et récente de l’éducation au développement durable ou de ses prémisses, et de la manière dont elle prend place dans les systèmes de for-mation. Les seconds présentent un éventail de déclinaisons de l’éducation au développement durable. Si les choix faits n’ont pas prétention à donner une vision exhaustive des diverses formes que peut prendre l’EDD, ils ont l’intérêt d’offrir une vision de la grande diversité des possibles : certaines de ces formes, comme l’éducation interculturelle, sont plus centrées sur l’élève et les interactions entre élèves. D’autres, telles l’éducation à la responsabi-lité, questionnent plutôt la relation éducateur-élève. Les dernières, telles que l’éducation au développement, ou l’éducation à l’imaginaire s’intéres-sent plus à la relation élève-savoir. Les troisièmes types de texte relèvent de la dimension pédagogique et didactique de l’éducation au développement durable. Ils se veulent montrer l’étendue des possibles en la matière, et ap-profondissent quelques exemples d’approches (les questions socialement vives, l’écopsychologie, les modélisations de systèmes complexes). Les der-niers articles questionnent l’épistémologie et les différents paradigmes sous-jacents aux différentes approches de l’EDD.

1. Lucie sauvé distingue quinze courants de pensée pour l’éducation relative à l’environnement : le courant naturaliste, ressourciste et conservationniste, résolutique, systémique, scientifique, huma-niste, moral et éthique, holistique, biorégionaliste, praxique, critique, écoféministe, ethnographique, éco-éducation, durabilité/soutenabilité.

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Bibliographie Bertrand Y., 1998, Théories contemporaines de l’éducation, Montréal éd. Nouvelles AMS (4e édition).

Martinez M.L., 2009, Pour l’éducation à l’écocitoyenneté, à la responsabilité, et à la confiance durable, observer la formation des identités singulières, sociales et professionnelles, recherche-action écocitoyenneté, projet CPIE des Iles de Lérins et pays d’Azur et IUFM de Nice, sur www.portail.unice.fr/jahia/Jahia/site/iufm/pid/12522

Sauvé L., 1997, Pour une éducation relative à l’environnement, éd. Guérin.

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La prise en compte de l’éducation au

développement durable dans les dispositifs de

formation : exemple de l’enseignement agricole

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Sociogenèse d’un proto-enseignement agricole : observation

de l’émergence d’une éducation à la nature et au développement

durable avant l’heure

Olivier Sigaut, enseignant en gestion l’environnement et sciences sociales

Laboratoire SPIRIT/sciences politiques Bordeaux

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Dans notre recherche, nous nous sommes intéressés à analyser les liens qui unissaient le monde paysan et celui de la nature au travers de la question de la sociogenèse

d’un système de formation et d’enseignement agricole spécifique. Nous avons constaté en premier lieu qu’en France, il a été long-temps refusé à la paysannerie la possibilité d’accéder à un sys-tème de formation. Le pouvoir (en particulier l’aristocratie) a très longtemps eu une attitude méfiante à l’égard du monde agricole, en estimant qu’un paysan formé constituait un risque certain de désordre pour les propriétaires fonciers. Nous verrons dans cet ar-ticle que l’histoire de la formation du monde agricole se fera de façon très tardive et que la réflexion sur l’agriculture partira prin-cipalement des classes aisées qui ne souhaitaient pas vivre avec une paysannerie capable d’autonomie intellectuelle et de prati-ques politiques spécifiques. Nous constaterons que la relation à la nature dans le monde rural, s’inscrira dans l’évolution dominante des sociétés occidentales, avec une attitude de méfiance vis-à-vis de leur environnement et donc de la nature. En cela, nous nous trouvons dans un paradigme totalement différent de ce que les anthropologues (Lévi-Strauss, 1��2) ont pu observer dans les so-ciétés dites primitives, où les relations nature/culture s’inscrivent dans une grande continuité (Descola, 200�). Les relations écono-miques dans le monde rural se feront surtout sous la forme de pratique de prélèvements et d’utilisations abusives des milieux naturels. Il faut noter que le rapide épuisement des ressources, qu’elles soient cynégétiques ou halieutiques va légitimer au XVIIe l’apparition d’un ensemble de réglementation produit par l’état visant à limiter l’utilisation de la nature faite par le monde rural (édits de Colbert sur la gestion des forêts et de la pêche).

En France, la coupure entre nature et culture dans les pra-tiques d’agriculture sera déterminante, et la tardive émergence d’un enseignement agricole gratuit et de masse ne modifiera pas cette césure, mais augmentera l’importance de cette dis-tance. Nous constaterons cependant l’existence depuis la fin du XVIIIe siècle d’un ensemble de pratiques et d’innovations péda-gogiques utilisant la terre et l’activité agricole comme support

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de formation. Depuis les inventions pédagogiques de Pestalozzi jusqu’aux communautés éducatives libertaires de Paul Robin (Baillargon, 200�) ou de Sébastien Faure (Lewin, 1���), en pas-sant par les innovations de Charles Lucas en matière de prise en charge de la jeunesse « marginalisée » durant la première moitié du XIXe siècle.

à cela s’ajoute le fait que selon le sociologue spécialiste du monde agricole, C.Grignon (1��1), la paysannerie va constituer entre la fin du XIXe et le début du XXe un enjeu important dans la concurrence politique que se livrent les différentes fractions de la classe dominante à cette époque afin d’obtenir la légitimité du pouvoir politique. Cette problématique du pouvoir et de la domination symbolique du monde rural se trouve au centre de la question de l’évolution de la relation entre luttes politiques et politiques publiques de formation du monde rural et agricole.

Il faudra attendre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, afin que se mettent réellement en place des structures adaptées de formation en direction de monde agricole. La connaissance de l’agriculture s’inscrivant dans un positionnement très historicisé de la relation de l’homme à la nature, la formation agricole évo-lue au rythme des pratiques sociales et politiques. Nous nous in-téresserons en particulier, à ce personnage emblématique de la science agricole, haute figure du monde rural qu’était le profes-seur d’agriculture. Pierre Muller (1��4), dans une étude pionnière sur les politiques publiques, fera de ce professeur d’agriculture le relais essentiel des politiques agricoles, et ce, dès le XIXe siècle. Pour ce dernier, les causes de la disparition des services agricoles et donc de la figure tutélaire du professeur d’agriculture après la seconde guerre mondiale auraient comme origine une mauvaise adaptation des politiques publiques sectorielles du monde rural et agricole, aux évolutions des politiques globales (Muller, 1��4) produites par les mutations sociales et l’émergence d’une écono-mie européenne et d’un grand Marché Commun. En effet selon Pierre Muller la démarche de conseil et d’animation rurale des professeurs d’agriculture ne s’avérait plus adaptée aux enjeux d’une modernité protéiforme qui gagnait le monde rural.

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Dans les deux premières parties, nous étudierons l’évo-lution de la relation nature/culture portée par les premières politiques et pratiques de formation agricole en France avant l’institutionnalisation des écoles d’agriculture. Ce proto-ensei-gnement agricole était déjà porteur de relations pédagogiques et didactiques originales, annonciatrices d’une certaine forme d’éducation au développement durable. Les premières expé-riences éducatives ont joué un rôle pionnier dans la formation agricole mais aussi dans la manière d’utiliser la nature comme support d’éducation (Hérisson, 1���). Elles ont été tout parti-culièrement valorisées auprès d’élèves en difficulté mais sur-tout difficiles dans le souci de mettre en œuvre une éducation nouvelle, libertaire. Nous nous intéresserons au phénomène de massification et de diffusion de l’instruction publique du-rant la seconde moitié du XIXe siècle. Nous observerons la façon dont la question de la nature a été introduite et traitée dans les différents programmes. Nous essaierons enfin de comprendre les raisons de la séparation de cet enseignement de la nature : entre d’une part ce qui a été diffusé dans le cadre des écoles rurales et d’autre part les savoirs dispensés au sein des écoles urbaines. En tentant de comprendre les tendances actuelles, qui conditionnent l’évolution à venir de l’enseignement agricole face aux évolutions politiques et sociales produites par la prise en compte de la crise écologique et de la nouvelle place accor-dée aujourd’hui à la nature dans notre société.

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Une archéologie de la formation agricole dans sa relation à la natureVouloir comprendre les conditions d’émergence de proto-politiques de formation et d’éducation à l’agriculture et à la nature, c’est aussi une ma-nière de se doter d’une vision anthropologique pertinente pour analyser les conditions de la construction sociale et actuelle des politiques publiques de développement durable au sein de notre société.

Une protohistoire de la formation agricole et de la relation à la nature

Nous faisons débuter cette protohistoire au XVIe siècle. Deux ouvrages clefs inaugurent selon nous la formation agricole : la maison rustique d’une part et le théâtre d’agriculture et mesnage des champs d’autre part.

La maison rustique de Charles Estienne et de Jean Liebault (1581) fut l’un des premiers ouvrages portant sur l’agriculture. L’époque semblait favorable à une réflexion sur les pratiques agricoles, restées jusque-là l’apanage des mo-nastères, signe de la progression démographique et de l’intérêt porté à l’opti-misation de l’utilisation de la terre. Y était abordée la question de la formation des agriculteurs, au plutôt de leur non-formation : « savoir lire et écrire n’est pas nécessaire à un fermier, le papier endure tout ». Par contre un bon fermier se doit de connaître (un peu) tous les métiers « savoir manier et réparer les outils ». Au XVIe siècle l’agriculture est en priorité une affaire de savoir-faire et d’empirisme. Il est inutile de trop penser, du moment que la terre rapporte aux propriétaires et que les cultivateurs demeurent dociles. La maison rustique va devenir l’ency-clopédie de référence des ménages ruraux et sera rééditée sous sa forme origi-nelle en permanence entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Elle sera progressivement illustrée de gravures sur bois et enrichie d’articles qui porteront sur les diverses techniques de chasse et sur la connaissance des animaux. Elle constituera une sorte de bréviaire pour ceux qui s’intéressent à la chose agricole

Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs apparaît à la même époque. Il s’inscrit cependant en rupture avec l’ouvrage d’Estienne et Liebault auquel il était reproché le manque d’analyses scientifiques et une utilisation abusive de lieux communs et de jugements de valeur. Ce document, écrit par Olivier de Serres, prendra une grande importance en matière de connaissance et de formation du monde rural et agricole. Cet ouvrage emblématique, curieu-sement remis au goût du jour sous Vichy, constituera le premier cours d’agri-culture et d’économie rurale. Il s’adresse en priorité au monde agricole et a pour but de faire passer des connaissances agricoles scientifiques auprès des popula-tions rurales. Pour Olivier de Serres, « l’agriculture est la science et l’art de tirer des entrailles de la terre toutes sortes de richesses ». Il ouvre aussi la voie à la

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publication d’un certain nombre d’ouvrages qui porteront sur l’observation de l’agriculture et de la nature, dans une veine à la fois scientifique et didactique. Les deux ouvrages permettront à la fois une avancée de la connaissance agro-nomique et une réflexion sur la formation agricole même s’ils étaient rédigés à destination des notables.

Encyclopédisme, humanisme et savoir agricoleCe n’est qu’au XVIIIe qu’apparaissent les premières grandes écoles agri-

coles. Nous sommes à l’époque du mouvement de l’Encyclopédie, avec des écri-vains comme Diderot et D’Alembert qui inventorient et classifient avec métho-de l’ensemble des connaissances techniques existantes, en particulier celles de l’agriculture. La démarche à la fois didactique et scientifique va convaincre les esprits éclairés de l’époque à substituer, à l’empirisme qui prévaut dans l’agri-culture et dans la relation qui unit l’homme à la nature, un enseignement à la fois méthodique et rationnel, en particulier dans le domaine vétérinaire.

à cette époque, le cheptel français présente une situation sanitaire des plus déplorables, les épizooties y sont redoutables. Des charlatans de toutes sortes ainsi que des curés sont consultés par les paysans au sujet de la santé de leurs animaux. C’est dans ce contexte, qu’en 1761 Claude Bourgelat, ancien avocat et écuyer, et Henry Bertin, ministre de Louis XV passionné d’agriculture, crée l’école de Lyon, première école vétérinaire au monde et premier établisse-ment scientifique de la ville. Cette école va devenir un modèle pour l’Europe en-tière et sa création sera suivie par celle de Maison Alfort en 1765, première école d’agriculture d’état. Cet enseignement vétérinaire scientifique va rapidement s’imposer en France en raison du développement des animaux domestiques, et en particulier de ceux qui sont destinés à la traction ou à la guerre. Ces deux écoles vétérinaires vont rapidement devenir des références en occident.

à la même époque en 1770, Pons Augustin Alletz fait paraître un célèbre ouvrage l’agronome ou la maison rustique, un ouvrage mis en forme de dic-tionnaire portatif à l’usage du cultivateur. Il emporte un grand succès auprès du monde rural et paysan et répond efficacement à leur manque de formation agronomique. Dans ces livres, il était souvent question de connaissance des es-pèces et des milieux naturels, car l’agriculture devait s’adapter aux différents milieux et territoires en France : « c’est une chimère que de prétendre donner une méthode d’agriculture générale, il en faudrait une différente pour chaque province ou chaque canton, chaque province ne doit travailler à perfectionner que ce qu’elle possède (Alletz Pons Augustin, 1770)».

Physiocratie et défense de la connaissance agricoleCes revendications autour de la nature et de l’agriculture sont à mettre

en lien avec un mouvement de contestation politique qui va vouloir placer l’agriculture au centre de la société, celui des physiocrates. Nous sommes là en présence d’un proto-mouvement écologiste. Le XVIIIe siècle se signale déjà com-

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me l’époque du retour à la terre. L’idéologie dominante sur le plan économique est le mercantilisme (la religion du commerce). Fortement critiqué à l’époque, elle conduit à une accumulation de richesses monétaires dans certaines régions ou certains pays, et paupérise le monde rural. Le pays a connu des crises éco-nomiques et l’obsession d’exporter des produits de l’industrie va être mal ac-ceptée par l’ensemble des populations. Un cercle d’économistes et de notables, dont Mirabeau ou F. Quesnay, crée l’école physiocratique qui va revendiquer un meilleur statut pour l’agriculture et la terre, et une meilleure considération pour la nature. Ce cercle d’économiste se fera connaître dans l’histoire de la pensée économique grâce à la rédaction de nombreux ouvrages qui comportent des théories originales sur le monde agricole.

Dans ce contexte de retour à la Nature, un livre étonnant, écrit par un certain Noël Antoine Pluche, le spectacle de la nature ou entretiens sur les par-ticularités de l’histoire naturelle qui ont paru les plus propres à rendre les jeunes gens curieux et à leur former l’esprit, constitue une aimable vulgarisation des-tinée selon Pluche à « exercer l’esprit des jeunes gens sur des matières amusan-tes et de faire servir l’attrait du plaisir à les rendre attentifs aux merveilles de la providence (Pluche, 1763)». Dans ce singulier ouvrage se trouvent les prémisses d’un développement soutenable. Pour Pluche « nous sommes communément fort jaloux et fort fier de cette petite portion de biens que nous pouvons posséder en propre (et nous) n’avons que des idées basses et languissantes de ce que nous possédons en commun… ce n’est point un bout de terre c’est toute la nature qui fait notre domaine ». Une véritable réflexion sur la relation globale qui unit les êtres humains à la nature car, si on ne parle pas des paysans, il est question de l’ensemble des milieux naturels productifs sur un plan économique : les riviè-res, les bois, les champs.

Nous sommes pour autant loin des ouvrages d’agronomie présentés pré-cédemment, car on y parle de nature et d’écologie. Ce discours s’adresse avant tout à la bourgeoisie urbaine, qui se met à découvrir la nature dans les campa-gnes sans montrer pour autant d’intérêt pour ceux qui produisent réellement les paysages et qui sont en relation directe avec les milieux naturels, à savoir les paysans. La mode est aux jardins et à l’acclimatation des différentes espèces ; les parcs des villes constituent des robinsonnades écologiques qui répondent à leur manière à la curiosité des urbains et façonnent en partie leurs regards sur la nature. Dans certains de ces parcs sont réalisés des fermes qui constituent une manière d’imiter l’agriculture et de donner à un public de notable une mise en scène d’une ruralité bucolique et maîtrisée.

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Les débuts d’une agriculture vue comme support éducatif dans la connaissance de la natureLe XIXe voit l’émergence d’un grand nombre d’expériences pédagogiques fondées sur la relation à la terre et à la nature. De telles innovations doi-vent en particulier permettre la resocialisation des individus et le dévelop-pement des capacités intellectuelles et manuelles des jeunes. Un certain nombre d’expérimentations pédagogiques et éducatives sur fond de nature et d’agriculture se sont développées dans un courant philosophique inspiré par Rousseau, et imprégnées de la pensée d’Olivier de Serre. Si ces expérien-ces ont eu des destins variés, elles ont profondément marqué les pratiques éducatives dans le domaine agricole et dans la connaissance de la nature.

Enseignement de l’agriculture et philanthropieMoreau de La Rochette, agronome français, crée en 1767 aux environs de

Melun la première véritable école d’agriculture qui fut en fait un institut hortico-le. Il a l’idée d’appliquer la culture de la terre et l’organisation des pépinières com-me outil pédagogique à destination de vingt-quatre enfants trouvés. Il eut par la suite de nombreux imitateurs, à l’image du grand pédagogue suisse Pestalozzi (1898). Celui-ci, en 1768, achète près de Birr des terres incultes afin d’y construire une habitation, la Neuhof, en vue d’y produire de la garance. L’exploitation fait faillite ce qui va conduire Pestalozzi à vouloir faire de sa maison un asile destiné aux enfants pauvres et aux orphelin, un lieu dans lequel il accueillera de petits vagabonds et des petits bergers maltraités par leurs patrons. Pestalozzi voulait s’occuper de l’éducation de ces enfants en utilisant prioritairement l’agriculture. Pour Pestalozzi, la nature bienveillante et sa mise en valeur agricole doivent jouer un rôle de rédemption et d’accès à la libération de ces enfants, aliénés par une société injuste. Il s’agit d’un enseignement fondé sur l’agriculture qui s’adresse très souvent aux déclassés de la société. Pestalozzi, ami de J.J. Rousseau, devient progressivement un pédagogue reconnu. Il tente de faire entrer le livre de rêve qu’était l’émile dans la réalité sociale (Merieu, 2001), grâce à des pratiques péda-gogiques et andragogiques novatrices et humanistes.

Si en France les politiques publiques de formation restent absentes, la société s’intéresse à la question de la formation à l’agriculture et à l’environne-ment. Nous assistons à l’émergence d’initiatives individuelles très localisées en matière de formation agricole, horticole ou environnementale. Ainsi L’abbé Ro-zier tente de créer un véritable enseignement agricole spécifique au sein de la nouvelle école nationale d’agriculture de Chambord. Il propose une formation agricole et environnementale en plein Paris au début du XIXe siècle, œuvre d’An-

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dré Thouin. En 1793, il obtient la chaire d’agriculture et de culture des jardins du Muséum d’Histoire Naturelle, dans lequel il crée, entre 1800 et 1806, une école d’arboriculture et d’horticulture, ainsi qu’une école d’agriculture pratique.

Bertier et Dombasle signent un bail qui prévoie la création à Roville d’une ferme exemplaire qui serait à la fois une manufacture d’instruments aratoires perfectionnés ainsi qu’un institut agricole. Les jeunes gens en formation dans l’école de Roville participent à l’ensemble des travaux et se forment en prati-quant et en observant. Nous sommes toujours dans la perspective des méthodes d’éducation nouvelle initiée par Pestalozzi, avec un rapport direct à la nature et à la terre. Cette histoire particulière qui unit formation à l’agriculture et pratiques pédagogiques alternatives hétérodoxes ou utopiques, est une constante que nous allons retrouver dans l’ensemble de l’histoire de l’enseignement agricole jusqu’à nos jours. Dans sa pédagogie, Dombasle remet en cause l’enseignement théorique qu’il juge peu adapté aux grandes évolutions économiques. Pour lui, les seules connaissances qui soient réellement nécessaires à l’agriculteur sont celles qui sont issues du métier, et de la connaissance de l’art qui combine les pratiques et les techniques à partir de l’observation. Chez Dombasle, la pédago-gie repose essentiellement sur l’observation et l’expérience, c’est-à-dire sur « la loi des faits » (Knittel, Benoit, Cussenot, 2000). Dans le cadre de cette approche pédagogique sensible et produite par l’expérience, nous sommes très proches de la pédagogie Freinet (Barré, 1995). Cette école privée s’adresse en priorité aux enfants des grands propriétaires terriens, ce qui explique en partie les innova-tions pédagogiques, et l’ouverture sur les sciences de la nature. Mais ces écoles innovantes ne dureront pas, car elles s’avèrent peu rentables et ne sont pas sou-tenues par l’état ; au final elles péricliteront. Les établissements de formation du ministère de l’agriculture actuel gardent encore les traces de cette pédagogie, en combinant une ferme d’application et une école de formation. S’ajoutaient jusqu’à une époque récente des pratiques pédagogiques issues de l’éducation populaire et des courants pédagogiques alternatifs.

Le décret du 3 octobre 1848 permet l’émergence d’un réseau de fermes-éco-les qui constituent aujourd’hui pour certains historiens (Vivier, Boulet, Lelorrain, 1998) les fondements plus ou moins symboliques de l’enseignement agricole. Les fermes-écoles sont représentatives d’un mouvement plus général de formation agricole en œuvre dans la première moitié du XIXe siècle en France. Elles se situent entre pédagogie et rentabilité agricole. « Les élèves doivent obéissance et respect au Directeur …le silence le plus absolu sera observé par les élèves dans les réfectoires et les dortoirs...des peines pourront être infligées pour les infractions ». Nous som-mes bien loin de la pédagogie de Pestalozzi ou de l’éducation rousseauiste qui place l’enfant au centre de la nature (Drouin, 2003). Le mode d’éducation apparaît plus proche des colonies agricoles que de celui des communautés pédagogiques innovantes de la fin du XIXe siècle. La nature n’est amenée à jouer dans ces modè-les pédagogiques, qu’un rôle de simple support économique.

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Entre agriculture et justice : les paradoxes de la question des colonies agricoles et de l’éducation par la nature

Au XIXe siècle, la révolution industrielle entraîne de profondes transfor-mations sociales en France ; ces mutations s’accompagnent d’une augmentation de la délinquance juvénile liée à la misère et au développement urbain (Boucher, 1993). Les classes populaires prolétarisées par l’exode rural et le changement social sont désormais considérées comme des classes dangereuses (Chevalier, 1978). Enrôlés dans la production industrielle, bon nombre d’enfants fuient ces conditions d’esclavage moderne. Certains constituent des bandes de jeunes er-rants et participent aux différents mouvements insurrectionnels. Ils effrayent les bourgeois de l’époque, qui décident que l’enfermement de ces jeunes en pri-son constitue la réponse la plus adaptée sur le plan politique et éducatif. Dé-tenus dans des prisons départementales, ils sont mélangés aux adultes, ce qui émeut certains philanthropes de l’époque. Le comte d’Argout, ministre du com-merce et de travaux public en 1832, s’oppose à l’enferment des jeunes. Dans une circulaire il affirme qu’une prison ne sera jamais une maison d’éducation. C’est la raison pour laquelle il préconise à cette époque le placement des enfants en apprentissage chez des artisans ou des cultivateurs afin d’y être élevés, instruits et occupés. Les bases légales et philosophiques des futures colonies agricoles avec l’éducation du colon (de l’enfant) par la terre et la nature sont donc posées.

Charles Lucas en France en est un des protagonistes. Il veut soustraire les jeunes au cadre pénitentiaire et les re-socialiser en leur assurant un reclasse-ment grâce au principe d’une régénération éducative de l’individu au sein d’un cadre naturel. Il estime que les jeunes qui croupissent dans de vieux bâtiments pénitentiaires doivent pouvoir retrouver grâce à la nature la santé physique et par l’intermédiaire du travail agricole, la santé morale. De vastes domaines doivent permettre de créer des établissements sans murs ni grilles. Les jeunes seraient prisonniers de la vraie nature rédemptrice de tous les maux ! La thèse de Charles Lucas se résume par un aphorisme « sauver le colon par la terre et la terre par le colon ».

émerge alors un réseau de colonies agricoles destinées à permettre à des centaines d’enfants en difficulté d’accéder à une vie meilleure grâce en partie à la nature et à l’agriculture.

Les colonies agricoles constituent des lieux étonnants de rencontre entre justice, monde agricole et dressage des corps. Mettray, par exemple, se fonde sur la rédemption par la terre et la nature. Parmi les fondateurs on trouve : Tocque-ville, Villermé, Lamartine, les frères Delessert, qui s’avèrent tous des penseurs humanistes ayant participé à leur manière aux débats sur la réforme du système pénitentiaire.

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Mettray fonctionnera durant près d’une centaine d’années, de 1839 à 1939. Elle connaîtra successivement sur le plan éducatif : le style philanthropique du milieu du XIXe siècle, la discipline militaire de la fin XIXe, la formation de type école navale du début XXe, et pour finir deviendra un bagne d’enfants (Foucault, 1975). Cette évolution de l’éducatif vers le répressif apparaît assez paradoxale, et semble se trouver en décalage avec l’émergence progressive d’une pédagogie de l’agriculture et de la nature à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. à la fin de la monarchie, des sections agricoles de l’administration pénitentiaire remplacent progressivement les colonies agricoles et leur philosophie huma-niste. Ces sections agricoles, créées dès 1824, avec la maison centrale de Gaillon, conduisent des commandos de jeunes à quitter tous les jours la maison centrale pour travailler au champ. Les visées à caractère éducatives sont apparemment absentes des sections agricoles de l’administration pénitentiaire.

Naissance et affirmation des proto-politiques publiques d’enseignement de l’agriculture et de la natureLe gouvernement Guizot va initier un certain nombre de politiques publi-ques, en particulier dans le domaine éducatif. On peut y voir là une tenta-tive de rationalisation de l’action publique initiée par des élites politiques éclairées et humanistes (en particulier franc-maçonnes), mais aussi par une bourgeoisie soucieuse de faire rentrer le pays dans la modernité, le tout sur un fond de lutte entre l’état et l’église catholique, cette dernière bénéficiant depuis des siècles d’un quasi monopole sur l’enseignement primaire et se-condaire. C’est dans ces conditions socio-historiques particulières que vont se construire les conditions d’une véritable politique publique d’éducation et de formation agricole. Dans cette situation l’affirmation d’une pédagogie de la nature dans les programmes et les pratiques scolaires va se faire très difficilement. En effet l’idée de Nature pour l’église reste très emprunte de la relation au créateur et n’autorise pas l’émergence d’une pensée émancipée et autonome indispensable à la compréhension intellectuelle et scientifique de ce qui fonde l’environnement humain.

Naissance de l’instruction publiqueLa loi Guizot de 1833 (Nique, 1990), qui fonde l’enseignement primaire en

France n’aborde pas la question de l’enseignement agricole, alors que, dans le même temps, l’instruction primaire se structure progressivement autour de la connaissance scientifique du monde qui entoure les hommes. Il faut signaler

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l’importance qu’ont eu à cette époque les travaux de Linné sur les classifica-tions, de Buffon sur l’organisation du vivant, de Lamarck sur l’évolution et de Von Humboldt sur les relations entre le climat et la végétation. Ces recherches scientifiques font l’objet d’une diffusion massive et rapide dans les ouvrages de vulgarisation et les manuels scolaires. Un rapport en 1846 préconise la création de trois niveaux d’enseignement : un institut national d’agronomie, une ving-taine d’écoles régionales et enfin une ferme-école dans chaque département. Il est noté « que les enfants qui fréquentent de telles écoles apprennent à exécuter toutes les opérations de la culture proprement dite et du jardinage ».

L’instituteur qui encadre les activités doit pouvoir trouver une source fi-nancière grâce à la production issue du jardin obtenu avec l’aide des enfants. Dans le journal des instituteurs de cette époque, la revue pédagogique de réfé-rence, le jardin est présenté de la façon suivante : « la pratique éclairée du jardi-nage est une des occupations qui se concilie le mieux avec l’exercice des fonctions de l’instituteur, il peut y trouver dans ses moments de loisirs, une source de dé-lassement agréable, d’aisance pour son ménage et en même temps d’instruction pour ses élèves ». La vision est somme toute déjà très utilitariste d’un support pé-dagogique d’éducation à la nature et à l’agriculture. Ainsi le jardin pédagogique aujourd’hui très en vogue dans le domaine de l’éducation à l’environnement et dans le secteur associatif est déjà présent dans la réflexion pédagogique dès la fin de la première moitié du XIXe siècle.

Si l’étude de l’agriculture et de la nature pénètre le monde de l’instruction publique sous le second empire, la situation d’un enseignement professionnel agricole autonome est plus mal engagée. L’impulsion donnée par la république à l’enseignement agricole est freinée à la fois pour des raisons économiques et politiques. Le pouvoir d’alors semble privilégier l’enseignement de l’agriculture dans le cadre d’un enseignement général.

La question de la place l’enseignement agricole dans le cadre de l’instruction publique

En 1860 se pose à nouveau la question de la mise en place d’un véritable enseignement agricole primaire. La formation à la nature et à l’agriculture va essentiellement commencer dans le monde urbain en particulier dans les villes et les préfectures où siègent des écoles normales. Si les professeurs d’agriculture doivent former le monde des instituteurs en particulier ruraux, c’est l’ensemble de la société qui, à travers eux, va bénéficier de cette connaissance rationnelle de la relation de l’homme à la nature à travers le jardinage, l’horticulture et l’agriculture. La pédagogie dispensée reste essentiellement dans le domaine de la sensibilisation en particulier au grand cycle biologique et écologique, un do-maine dans lequel le jardinage scolaire s’avère parfaitement adapté. En matière d’enseignement initial, on propose donc d’établir une différence de traitement entre les écoles rurales et les écoles urbaines. Aux écoles rurales, on souhaite appliquer un règlement qui doit permettre de faire s’accorder les exercices de la classe avec la temporalité des travaux des champs pendant la belle saison.

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Pour réaliser ce projet, des exercices pratiques sont mis en œuvre à partir de promenades campagnardes. On a là les bases de ce que l’on appellera les clas-ses promenades à partir de 1887, et par la suite des études de milieux. Ces dispo-sitifs pédagogiques impliquent la mise en place d’une pédagogie fondée à la fois sur le sensible et l’observation de la nature. Dans le cadre de la loi du 30 juillet 1875, il est prévu que l’enseignement élémentaire pratique soit dispensé dans les fermes écoles et les établissements d’enseignement professionnel, qui devaient prendre le nom d’écoles pratiques d’agriculture. Il est rappelé la nécessité pour ces écoles pratiques de s’intégrer dans les particularités économiques et envi-ronnementales locales ; cette orientation fut importante, car elle conditionna la mise en place d’une pédagogie adaptée aux terrains et aux problématiques locales (Ferral, 1957).

Dans la diffusion du savoir en direction du monde rural le professeur d’agriculture, personnage emblématique de la science agricole et haute figure du monde rural, va jouer un rôle clef dans le dispositif de formation. Placé à la tête d’une chaire départementale d’agriculture, il sera chargé dans le cadre de la loi de 1878 de diffuser le savoir agronomique, c’est-à-dire un certain regard très technique et positiviste sur la nature. Le domaine privilégié de diffusion de la « doxa agricole» du professeur d’agriculture sera : Les écoles normales, les écoles d’agricultures d’hiver et le grand public dans le cadre des conférences organisées par les communes rurales.

En revanche en milieu urbain et dans le cadre de la massification de l’ins-truction publique, nous sommes en présence d’une pratique d’éducation que l’on pourrait qualifier de proto-soutenable. Elle s’inscrit dans la prise en compte de la connaissance du milieu et de ses contraintes (on disait mésologique (Zaniewski, 1952) à cette époque car le terme écologique demeurait inconnu), l’observation d’un milieu qui pèse sur les êtres humains. Dans la loi du 28 mars 1882 (Leblanc, 1897) sont inscrits notamment parmi les matières obligatoires de l’enseigne-ment primaire : « les éléments de sciences naturelles et de sciences physiques avec leurs applications à l’agriculture ». Entre 1891 et 1892, près de la moitié des écoles normales sont dotées de champs qui servent à l’expérimentation pédagogique. Afin de développer l’encadrement pédagogique et politique du monde rural, un corps de professeurs spéciaux d’agriculture est renforcé et réaffirmé. Ils partici-pent à la diffusion d’un savoir agronomique ultra-positiviste, qui participe à sa manière à l’acculturation des savoirs locaux vernaculaires mais aussi à la forma-tion d’un certain regard sur la nature. Le souci est à la fois l’optimisation agricole et une modernisation technique très normalisatrice ; le rôle des manuels scolai-res dans la diffusion de cette doxa va s’avérer déterminante.

La place de la nature dans les manuels d’enseignementLe XIXe siècle voit l’émergence d’une dynamique d’émancipation des clas-

ses populaires portée par le monde socialiste, c’est celui de « l’éducation popu-laire » (Premat, Sigaut, 2009) qui vise à permettre aux plus démunis d’accéder

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à la culture grâce aux efforts du monde intellectuel mais aussi de l’autodidaxie ouvrière. Ce vaste mouvement qui va toucher tout les domaines de l’éducation et de la formation donnera lieu à la publication de nombreux ouvrages de vul-garisation scientifique en particulier dans le domaine de la connaissance de la nature . Peu de centres de recherche et de bibliothèques ont pris le temps de conserver cette précieuse « littérature grise ». Dans un livre de lecture spécifique à destination du monde agricole et rural édité en 1873, André ou la ferme de Mey-lan, il est question sous la forme « de la protection des oiseaux nécessaires pour la régulation des insectes ravageurs néfastes pour l’agriculture ». 1873 est justement l’année de la première conférence internationale à Vienne qui porte sur la pro-tection des oiseaux nécessaires pour l’agriculture. Les mouvements d’éducation populaire initiés par la ligue de l’enseignement, les sociétés de libres penseurs, rationalistes et socialistes vont participer activement à la construction de l’ins-truction publique en France mais aussi, nous le savons moins, à la formation de l’enseignement agricole.

Avec les grandes lois scolaires de la III° république, elles aussi issues de la volonté du monde rationaliste dominant, les sciences naturelles sont ensei-gnées en seconde année d’enseignement scientifique. Avec l’arrêté du 29 dé-cembre 1891, des notions d’agriculture et de sciences naturelles adaptées à cette discipline sont enseignées aux petits citadins. Puis au certificat d’étude primaire vont figurer des notions élémentaires de sciences naturelles avec leurs applica-tions à l’agriculture. Il est par exemple spécifié qu’un enseignement des scien-ces de la nature doit s’appuyer « sur l’observation des faits journaliers, l’analyse des phénomènes naturels que l’enfant peut observer dans son environnement (milieu) campagnard afin de comprendre les différentes opérations culturale ».

La montée de l’exode rural inquiète et l’enseignement scientifique de l’agriculture doit inverser ce mouvement en faisant pénétrer la modernité dans les campagnes. Ces initiatives pédagogiques destinées à permettre l’émancipa-tion du monde rural vont constituer au final d’extraordinaires supports de mo-dernisation des pratiques agricoles, mais surtout vont conduire le monde rural à adopter un rapport à la nature beaucoup plus technique et utilitariste.

Nous allons observer la progressive construction d’un changement de regard dans la relation à la nature au sein des manuels destinés à la connais-sance et à l’apprentissage de l’agriculture. L’enseignement de la botanique tient surtout compte de la notion d’espèce valable (rentable) pour l’agriculture. De la même manière apparaissent dans les manuels et ce, dès les années vingt, des tableaux présentant les espèces utiles ou nuisibles pour les pratiques agricoles. Cette notion de nuisible correspond à une construction sociale parfaitement historicisée de la modernisation agricole de l’entre-guerre, et va progressive-ment codifier la relation aux espèces dans le monde rural en général et chez les agriculteurs en particulier. Cette césure est encore parfaitement visible aujourd’hui (Sigaut, 2009) pour ce qui est des espèces déclarées nuisibles et éli-minées par le piégeage dans le monde rural. Alors que dans le même temps le

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monde urbain en fait des symboles de la nature ordinaire (ragondin, putois, fouine, martre, corneille, etc), ce mouvement de domination et de dressage de la nature atteint son apogée dans les années soixante. Dans les manuels agricoles triomphe la figure emblématique du tracteur (en particulier sur les couvertures de livres), comme figure tutélaire de la modernité agraire (agrarienne). Après la seconde guerre mondiale certains manuels annoncent les bases de l’écologie scientifique, en particulier dans le cadre d’une réflexion pratique sur les diffé-rentes interactions entre les milieux naturels et les espèces enseignées.

Mais on assiste là aussi, à une mutation dans la connaissance du vivant dans le cadre scolaire. L’observation sur le terrain s’efface progressivement pour laisser place à un savoir théorique portant sur des connaissances scientifiques très codifiées et laissant une grande part à la technique et au culte d’une scien-ce infaillible. Cette même culture scientifique, qui a pris progressivement le pas sur l’observation du monde sensible et la réflexion sur l’éthique (Jonas, 1998), s’avère être l’objet aujourd’hui des critiques les plus vives (Dupuis,2002) de la part d’un certain nombre de philosophes contemporains (Ellul, 1954), (Ness, 2009). L’orientation de la formation agricole dans l’optique d’une nature désen-chantée, a conduit selon certains penseurs de l’écologie à constater la dispari-tion d’un certain mystère et d’une poésie propre au monde rural (Charbonneau, 1969). Et ce n’est pas la présence actuelle dans certains établissements de filiè-res destinées à former des techniciens de « l’animation nature » qui va modifier la perception de l’environnement dans le monde agricole. Au contraire, nous pensons que la présence des ces « robinsons écolo » dans un monde rural en plein désarroi, ne peut qu’ajouter de l’incompréhension réciproque (écolophi-les contre écolophobes). Elle vise au final à accroitre cette séparation nette dans notre société entre la conscience urbaine désincarnée du rapport à la nature, et la perception ontologique de l’environnement incorporée du monde rural.

Les conditions de l’émergence d’une rationalitéagricole et ses paradoxes

Le savoir agricole empirique et une relation à la nature placée sous le si-gne de la dépendance ne pouvait pas favoriser l’émergence d’une agriculture productiviste. La volonté de théoriser l’agriculture, afin de donner à la terre de meilleurs rendements conduit à la construction d’une proto-formation agricole. Paradoxalement les véritables pratiques de formation agricole naissent dans des milieux extérieurs à l’agriculture : ceux de la pédagogie expérimentale et du monde de la justice des enfants. Ces différentes expériences font prendre conscience dans la première moitié du XIXe siècle, de l’intérêt de mettre en pla-ce de véritables politiques publiques de formation à l’agriculture.

La figure emblématique de ces proto-politiques publiques de formation agricole est certainement celle du professeur d’agriculture : un élément fonda-mental du corps d’encadrement et de diffusion du savoir agricole, avant que ce fonctionnaire ne prenne une existence concrète dans le cadre de la loi de 1878.

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Le professeur d’agriculture formera des générations d’instituteurs, au sein des écoles normales. Il fera de nombreuses interventions dans les différents types d’école d’agriculture, mais aussi et c’est très important des conférences de vulga-risation agronomique à destination du grand public. Il va participer de la sorte à la production d’une « doxa agricole » dominante, qui va s’imposer progressi-vement au petit peuple des campagnes, et la relation à la nature de ces derniers va lentement se modifier. Une observation rationnelle de la nature va se mettre en place, et un ensemble de dispositifs techniques va être installé dans les cam-pagnes afin d’augmenter les rendements pour nourrir les hommes et les villes. Dans le même temps, nous assistons à une mise à distance de l’homme dans sa relation à la nature. Une des causes est le désenclavement du monde rural suite au développement exponentiel du chemin de fer dès le début de la seconde moi-tié du XIXe siècle. Le déplacement des populations et des produits va conduire inexorablement à un important mouvement d’acculturation des campagnes.

Sur le plan pédagogique, nous observons un croisement disciplinaire pa-radoxal, où le monde urbain va se ruraliser et le monde agricole se rationaliser. Dans les villes, les leçons de botanique vont rapidement se développer sous la férule d’instituteurs passionnés (Lizet, Wolf, Cecélia, 1999). Des innovations pé-dagogiques comme les classes promenades ou les leçons de choses, vont consti-tuer diverses occasions pour les enfants des villes d’observer la nature urbaine ou péri-urbaine. Le rapide développement des jardins ouvriers va constituer pour les instituteurs des lieux de choix pour faire des expérimentions et donner des leçons dans le domaine des sciences naturelles sur le terrain. La question de la nature à travers les jardins ouvriers (Cabedoce, Pierson, 1996) va constituer en quelque sorte une forme de ruralisation de l’espace urbain. L’émergence des cités jardins (Baty-Tornikian, 2001)issus du monde anglo-saxon et théorisés par P.Geddes (Choay, 1965) et E. Howard1 (Fishman, 1979), va constituer une manière d’amener la campagne dans les villes. Au contraire dans le monde rural on as-siste à un progressif empaysannement des campagnes (Barral, 1968). Il devient lieu de labeur et de production. La double activité disparaît progressivement au profit de la figure tutélaire de l’agriculteur à la fois « maître et possesseur de la nature ». Ces deux mondes vont cohabiter de façon séparée, avec leurs codes culturels et leurs représentations propres. L’analyse des programmes scolaires, ainsi que l’étude des manuels constituent d’excellents révélateurs de ce double mouvement socio-historique qui explique un certain nombre d’apories présen-tes aujourd’hui dans notre société concernant la place dévolue à la nature. Ces éléments peuvent en grande partie expliquer la difficulté à introduire les no-tions et les pratiques de développement soutenable au sein des programmes de formation du ministère de l’agriculture.

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Conclusion

Vouloir comprendre les conditions d’émergence de proto-politiques de formation et d’éducation à l’agriculture et à la na-ture, c’est aussi se doter d’une vision anthropologique pertinen-te pour analyser et comprendre les conditions de la construction sociale des politiques publiques de développement durable au sein de notre société. Car aujourd’hui une interrogation demeu-re concernant la difficulté de réconcilier nature et culture dans les pratiques agricoles mais aussi dans le cadre de l’ensemble des formations dispensées.

Après «l’empaysannement» du monde rural au XIXe siècle, «l’agriculturation» des campagnes au XXe siècle, la demande so-ciale et politique de «renaturalisation» du monde agricole est en marche aujourd’hui à grand pas, avec comme indicateurs : l’explosion de la demande en produits « bio », la neutralisation de la recherche et de la commercialisation des OGM, la stigma-tisation sociale et politique du monde agricole dans les affaires d’atteinte à l’intégrité de l’environnement. Mais plus grave et plus préoccupante, est l’émergence d’un regard de plus en plus accusateur sur la qualité de la nourriture produite par le monde agricole et la non acceptation sociale des prix pratiqués.

L’incompréhension réciproque entre la société et le mon-de agricole s’accélère, en particulier dans les très médiatiques crises de filière (lait, vin, fruits et légumes), et ceci dans une époque où s’affirme un fort questionnement sur ce que l’on nomme aujourd’hui le développement durable et la question du changement climatique.

Comment le monde agricole, et en particulier les structures qui en assument la formation, peuvent-ils prendre en main ces évolutions et les différents enjeux qui se cristallisent aujourd’hui autour du développement durable ? Doit-on aller vers une plus grande autonomie de l’enseignement agricole ? Sous le couvert d’une histoire pédagogique particulière, nous pouvons nous in-terroger sur le fait de cultiver une spécificité qui peut risquer de

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conduire progressivement à une rupture avec la société. Nous ne pouvons pas oublier l’importance de l’enracinement de l’en-seignement agricole dans les pratiques d’éducation populaire (Caceres, 1��4) et d’émancipation intellectuelle de l’après-guerre et les limites imposées à ce mouvement d’innovations pédago-giques, par l’avènement de la rationalisation agricole des années soixante et son cortège d’évidences (comme la nécessité de nour-rir la société de l’après-guerre) qui ne font plus sens dans le nou-veau contexte social, économique et environnemental.

Le « verdissement » récent de certaines formations agri-coles sont-ils suffisants pour répondre de façon concrète aux attentes sociales et politiques de notre pays en matière de déve-loppement soutenable ? L’articulation entre le monde des prati-ques agricoles (mais aussi celui des métiers de l’aménagement) et l’évolution socio-environnementale est un défi qui s’offre à nous. Paradoxalement les solutions à apporter afin de dépasser ces apories sont, comme nous l’avons vu, à chercher en particu-lier dans cette histoire longue qui a longtemps séparé le monde des villes de celui des campagnes.

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Comment, à la faveur de la réforme de la voie professionnelle, l’éducation

au développement durable s’intègre dans l’enseignement du secteur de

l’aménagement paysager ?

François-Xavier Jacquininspecteur d’aménagement,

Ministère de l’Agriculture

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Quelques éléments de réflexion sur le concept de développement durable

Le concept de développement durable est basé sur des principes de bon sens et sur une vision à long terme. C’est un concept intégrateur qui vise à éta-blir un équilibre bénéfique entre des sphères qui à priori ont des objectifs et des modes de fonctionnement différents. Concilier pour durer dans un monde aux ressources finies. Dans le concept de développement durable, l’homme est au centre des préoccupations. C’est à la fois l’élément qui engendre, du fait d’ac-tivités plus ou moins contrôlées, les problèmes et les dysfonctionnements et celui qui est capable d’analyser ces problèmes et d’imaginer des solutions. Les solutions proposées doivent intégrer les différentes dimensions incluses dans le concept de développement durable (sociale, économique, culturelle, environ-nementale, de gouvernance) et être valides non seulement au moment où l’on les imagine mais aussi à l’épreuve du temps. Les bonnes solutions d’aujourd’hui ne doivent pas devenir les problèmes de demain. Sachant qu’il est impossible de trouver « la bonne solution » pour aujourd’hui et pour toujours. Il faut s’efforcer de proposer des solutions concertées qui intègrent le maximum des paramètres connus et prévisibles tout en anticipant au mieux ceux que l’on ne connaît pas aujourd’hui. En suivant cette démarche, on ne peut que proposer des manières de faire, des idées, des projets qui nous apparaissent les plus opportuns pour résoudre des difficultés présentes sans en engendrer de futures. Il n’est pas pos-sible d’apporter de solutions mais des réponses qui n’ont qu’une valeur relative et contextuelle même si elles apparaissent, dans le contexte du présent, les « so-lutions » idéales. Le développement durable ne peut devenir un modèle comme « le productivisme » en fût un en son temps dans le domaine agricole. On peut arriver à améliorer une situation, à trouver des solutions à certains problèmes mais il ne faut pas s’illusionner, le développement durable n’est pas la solution, c’est juste une manière d’envisager la résolution partielle de problèmes globaux concernant l’ensemble de l’humanité et des êtres vivants qui se développent sur notre planète. Celle-ci, avec l’épuisement des ressources naturelles (énergie, ressources minières, eau…), et l’émergence de problèmes environnementaux planétaires (érosion de la biodiversité, réchauffement climatique, pollution des eaux, érosion des sols…), nous apparaît de plus en plus fragile. La circulation de plus en plus importante des marchandises mais aussi des informations et des idées permet une véritable prise de conscience à l’échelle planétaire.

Le développement durable est donc une prise de conscience qui doit en-traîner une modification de notre vision du monde et se traduire par des modi-fications de nos comportements.

Changer nos comportements ne semble pas suffisant si l’on ne fait pas évoluer nos manières de raisonner. En changeant nos comportements sans

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modifier notre logique, nous n’apporterons que des solutions ponctuelles à des problèmes actuels. En plus de modifier certains comportements, parce qu’il y a urgence, nous devons acquérir un mode de pensée qui nous permette de trouver les éléments de réponse aux problèmes globaux auxquels nous sommes confron-tés. Il nous faut arriver à prendre en compte le temps long et ses incertitudes, il nous faut intégrer les paramètres humains et sociaux. Sans cela, les solutions techniques proposées ont peu de chances de régler le problème de fond. Il nous faut intégrer la complexité et savoir prendre des décisions de manière concertée. Il est important de prendre en compte, lors de nos décisions, le principe de pré-caution et de réversibilité, sans pour autant bloquer toute évolution. Cela passe par la construction d’un mode de raisonnement intégrant les modalités incluses dans le concept de développement durable. Cet effort individuel de modification de nos schémas de pensée implique une prise de conscience et une éducation.

éduquer au développement durable dans l’enseignement agricole

L’école a pour mission d’éduquer les individus qui la fréquente. L’éducation apportée par l’école varie en fonction de l’époque et de la société dans laquelle elle se trouve. Il semble donc logique que celle-ci vise à éduquer à un concept aujourd’hui reconnu comme utile et nécessaire par la société. Depuis quelques années, des directives sont données par les gouvernements afin que les élèves bénéficient d’une éducation au développement durable. Cette volonté se traduit au sein de circulaires et notes de service, tant au niveau de l’éducation natio-nale que du ministère de l’agriculture et de la pêche. (Circulaire DGER/SRDIC/C2007-2015 du 12 septembre 2007 : éducation en vue du développement durable (EDD) dans les établissements d’enseignement et de formation professionnelle agricole et dans les établissements supérieurs agronomiques, agroalimentaire, vétérinaire et paysager, publics et privés sous contrat avec l’état.) Comme nous l’avons dit précédemment l’éducation ne consiste pas à obtenir un changement de geste ou de comportement (exemple : trier ses déchets) mais à donner les clefs et les capacités pour que les individus raisonnent et imaginent les changements nécessaires face à des problèmes identifiés. Au regard des enjeux du développe-ment durable, il est nécessaire de donner aux apprenants la capacité d’analyser les situations dans leur complexité et avec la plus grande objectivité.

Il existe différents moyens d’éduquer au développement durable au sein des systèmes de formation de l’enseignement agricole. On pense en premier lieu aux séances de cours mais de nombreux apprenants sont internes et vivent donc la semaine au sein des établissements. Cette vie collective est peut être un lieu d’apprentissage et de mise en action des principes du développement durable. D’autre part, les établissements sont ouverts sur le territoire qui les entourent et travaillent en relation étroite avec le monde professionnel.

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Bien sur, en matière de développement durable, la famille, les amis, les médias… jouent un rôle important et cet environnement évolue très vite. Il y a une dizaine d’années, peu d’élèves connaissaient le terme de développement durable et encore moins parmi eux maîtrisaient le concept. Aujourd’hui, il en va bien différemment. Il faut donc adapter les modalités et les contenus éduca-tionnels en fonction de l’évolution du public et de la société. En matière de dé-veloppement durable il est important de pouvoir laisser aux individus la liberté d’adhérer ou non aux principes du développement durable. Cela était sans dou-te plus vrai quand le concept de développement durable et sa divulgation rele-vaient d’un acte volontaire et militant de la part d’enseignants particulièrement sensibilisés aux problèmes environnementaux. Maintenant, le développement durable est un concept accepté par la majorité. Malgré cela, la libre adhésion est importante car la mise en application des principes du développement durable touche la vie personnelle des individus. Dans tous les cas, les changements de comportements sont plus durables et globaux quant ils sont le fruit d’une prise de conscience libre et individuelle. Il serait par ailleurs assez contraire aux prin-cipes du développement durable que d’imposer des changements arbitraires à des individus non persuadés de la pertinence de ces changements (à moins que certains comportements ne soient réglementés par la société).

L’enseignement agricole utilise depuis longtemps, et sous différentes formes, la pédagogie de projet. Celle-ci est particulièrement bien adaptée à la mise en application des principes du développement durable au sein de la vie de l’établissement. Les élèves sont particulièrement motivés par la réalisation d’actions concrètes, celles-ci pouvant servir de support de sensibilisation. Agir, maintenant et ici, en faveur d’un développement plus durable. Au sein des éta-blissements, ces actions concrètes ont souvent une entrée environnementale, il est donc important de faire réfléchir les élèves sur les aspects sociaux et éco-nomiques. Les actions simples et emblématiques permettent de mobiliser des apprenants et des personnels mais il faut s’efforcer de voir quels en sont les effets à toutes les dimensions et dans le temps. Pour que ces actions aient une crédibilité il faut qu’elles soient pérennisées dans le temps. Il est donc impor-tant d’assurer un suivi de celles-ci.

Cette éducation au développement durable réalisée en dehors des heures d’enseignement nécessite une forte motivation des apprenants et des person-nels. De ce fait elle fonctionnera plus ou moins bien en fonction de l’ambiance générale de l’établissement et de la présence de personnes particulièrement motivées. Ce type d’action basée sur la motivation et le bénévolat a tendance à toucher les personnes les plus motivées et à laisser de côté celles qui sont les plus récalcitrantes au changement. La mise en place du dispositif des éco-dé-légués permet de pallier en partie à ce problème en associant les apprenants de toutes les classes et en favorisant la circulation des informations relatives au développement durable au sein de l’ensemble des classes.Une autre chance

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de l’enseignement agricole et de posséder des exploitations et ateliers techno-logique qui peuvent être autant de laboratoires pour la mise en application du développement durable. Dans le même registre, la plupart des établissements possèdent autour de leurs bâtiments, des surfaces importantes d’espaces de nature et d’agrément pouvant servir de support à la gestion durable des dépen-dances vertes.

D’une manière plus générale, pour que le dispositif d’éducation au dévelop-pement durable se mette en place et soit opérant, il est nécessaire que les ensei-gnants soient formés au concept de développement durable. Aujourd’hui, tout le monde a entendu parlé du développement durable mais dans les faits, beaucoup de personnes ne maîtrisent que très partiellement le contenu de ce concept. Avant d’éduquer, il est nécessaire de maîtriser les concepts du développement durable.

Le développement durable au sein des modules techniques du référentiel de formation du baccalauréat professionnel « travaux d’aménagement paysager »

Une nouvelle manière d’écrire les programmes qui, dans l’esprit, favorise la prise en compte des principes fondamentaux du concept de développement durable.

On ne va pas parler du passé plus ou moins récent (certains programmes datent d’une vingtaine d’années) mais des nouveaux référentiels de formation se mettant en place. Ceci est d’autant plus d’actualité que nous vivons une très im-portante réforme de la filière professionnelle. Les secondes professionnelles par secteur seront ouvertes à partir de 2009 et déboucheront sur un baccalauréat pro-fessionnel, préparé en trois ans. Une certification de niveau 5 sera possible à l’issue de la première. La rénovation de l’ensemble des BTS est elle-même en chantier. Ces multiples et profondes réformes sont l’occasion d’intégrer au sein des ensei-gnements les principes du développement durable.

Il est important de comprendre que les référentiels de formation s’an-crent dans la réalité professionnelle. Leur écriture s’appuie en premier lieu sur une analyse des métiers. Celle-ci est réalisée à partir d’enquêtes auprès des employeurs et permet de déterminer un certain nombre de situations pro-fessionnelles significatives (SPS) propres à l’exercice du métier. à partir de ces situations spécifiques sont déterminées des compétences auxquelles peuvent s’ajouter celles qui n’apparaissent pas de manière explicite au niveau des pro-fessionnels mais qui sont néanmoins indispensables pour le métier (par exem-

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ple la compétence d’analyse du contexte dans lequel se réalise le travail). C’est à partir de ces compétences professionnelles qu’est écrit un référentiel de certi-fication. L’écriture du référentiel de formation n’intervient qu’à l’issue de ce tra-vail. Cette nouvelle méthode d’écriture des référentiels de formation met claire-ment en avant les compétences à acquérir pour exercer un métier. Les référen-tiels de formation sont volontairement très succincts (deux pages par module). Ils donnent l’esprit et l’architecture générale du module et laissent une grande autonomie aux équipes pédagogiques chargées de la mise en œuvre de ces réfé-rentiels. Ces documents sont rassemblés dans un arrêté ministériel de création d’examen. De la sorte ne se trouve fixés dans ce texte que les éléments les plus essentiels et les plus stables d’une formation et ce, dans l’idée de pouvoir laisser une adaptation possible par rapport aux rapides évolutions des métiers. Afin de donner des précisions sur certains contenus et de proposer des manières de mettre en œuvre ces référentiels, des recommandations pédagogiques sont produites par l’inspection de l’enseignement agricole. Ne faisant pas partie de l’arrêté de création du diplôme, celles-ci peuvent être facilement modifiées en fonction des évolutions constatées au sein du métier et de la société.

Cette nouvelle méthode d’écriture des documents constitutifs d’un diplô-me est favorable à la prise en compte du développement durable. Dans un pre-mier temps parce qu’elle oblige à penser globalement et à travailler en fonction d’objectifs. Il ne s’agit plus de boucler un programme mais de donner des com-pétences pour l’exercice d’un métier soumis à de rapides évolutions. Ce nouveau mode d’écriture des référentiels pousse à se centrer sur ce qui est essentiel, ce qui sert toujours, ce qui construit et donne la capacité de s’adapter aux différen-tes évolutions du métier et de la société. Cela implique une vision systémique et la prise en compte de l’évolution nécessaire des pratiques, il devient très difficile d’enseigner des certitudes techniques qui seraient intangibles. Cette volonté de ne pas figer un savoir, de ne pas ériger de modèles doit également s’appliquer à la notion de développement durable qui ne doit surtout pas devenir un dogme. L’enseignant doit toujours conserver son autonomie de jugement et inciter les élèves à la réflexion critique afin que ceux ci puissent eux même développer leur propre jugement. 

Comment le développement durable est intégré dans les référentiels de formation du baccalauréatprofessionnel travaux du jardin et du paysage ? 

Il n’est pas besoin que le mot apparaisse pour que la notion de dévelop-pement durable sous tende l’esprit du programme. L’idée d’un progrès continu, de la nécessaire remise en cause d’éventuelles certitudes techniques participe pleinement à la prise en compte du développement durable dans la formation. Il en va de même quand l’on considère qu’une technique doit toujours être ana-lysée dans un contexte particulier et qu’elle n’est jamais sans inconvénient. Cette capacité à contextualiser (qui a été introduite dans les référentiels même

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si elle n’est pas été explicitement formalisée au niveau de l’analyse des mé-tiers) est essentielle en matière de durabilité. Il en va de même pour la notion de temps long. En proposant de traiter la notion d’entretien en seconde pro-fessionnelle, on répond à une logique de formation et à une opérationnalité pédagogique mais on oblige en même temps les élèves à se projeter dans le temps. Dans le domaine de l’aménagement, les notions de temps et de durée sont essentielles. Les référentiels de formation sont construits de manière à ce que les élèves soient amenés à se poser des questions sur les raisons de la mise en œuvre d’opérations d’aménagement en fonction d’un contexte particulier. Cela les oblige à se questionner sur les objectifs des aménagements auxquels ils participent et sur leur évolution dans le temps. Les référentiels sont formulés de telle manière que l’on amène les apprenants à réfléchir sur les conséquences positives et négatives des techniques utilisées.

L’essentiel est là, ce qui n’empêche pas d’inclure les mots développement durable au sein du référentiel de formation. Il semble cependant assez prudent de ne pas répéter à l’envie ces deux mots à la fin de chaque phrase. On en ima-gine assez bien les inconvénients. Un autre questionnement s’est posé à l’écri-ture de ces référentiels : faut-il parler de développement durable au niveau des titres, au risque de rester dans le concept vague ou bien le remettre au niveau de chaque chapitre pour bien signifier que dans celui-ci, le concept peut trouver de multiples applications techniques ?

En fait, la question n’a pas été tranchée. Lors de l’écriture des référen-tiels de formation et sans que cela soit le fait d’une résolution affirmée, il s’est trouvé que l’esprit a été privilégié par rapport au vocable. Quand il apparais-sait que la notion de développement durable pouvait clairement et utilement concerner l’ensemble d’un chapitre, le terme de développement durable a été utilisé dans la tête de chapitre. Au contraire quand il a semblé utile de donner un exemple de mise en œuvre concrète du développement durable au niveau d’une technique, cela a été précisé, sans pour autant que les mots développe-ment durable n’apparaissent. D’une manière générale il sera demandé à l’ap-prenant de raisonner tous les choix techniques en fonction des nécessités du développement durable. (Choix des matériels, des matériaux, des techniques…). Le développement durable devient un paramètre aussi important que la sécu-rité. Dans le référentiel de formation du bac professionnel « travaux des jardins et du paysage » l’espace paysager géré par l’homme est considéré comme un biotope. L’élève est donc amené, avant d’intervenir, à envisager les répercutions de ses actions au niveau de l’écosystème et de concevoir des espaces paysagers favorables à la biodiversité.

Pour donner des exemples plus précis, on ne parle plus de plantes ou d’animaux nuisibles mais on demande aux élèves de s’intéresser à tous les êtres vivants peuplant l’espace sur lequel ils ont à intervenir. On ne parle plus de déchets verts mais de la biomasse issue de l’activité. Il est recommandé de valoriser celle-ci ou de la recycler sur place. On ne parle plus de gazons mais de

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surfaces herbacées. D’une manière plus générale, la connaissance du végétal et du vivant est remise à l’honneur par rapport aux connaissances et savoir-faire relatifs aux surfaces construites et minérales des aménagements paysagers. On pousse à considérer les espaces verts de loisirs comme des lieux où peuvent éga-lement être produits des aliments, du bois, de la biomasse. On recommande de limiter les intrants et de porter une attention toute particulière à la gestion de l’eau. Il est attiré l’attention sur la dangerosité des produits de santé des plantes et sur la nécessité de les utiliser de manière précautionneuse et raisonnée.

La dimension sociale et culturelle des espaces verts de loisir n’est pas né-gligée, il est fait allusion aux jardins partagés. La gestion différenciée et durable des espaces verts font également partie du « programme ». La préservation de la biodiversité indigène et la maîtrise des plantes invasives font partie des pré-occupations devant être prises en compte lors de l’aménagement et de l’entre-tien des espaces de paysage.

Avec ce nouveau référentiel de formation, on cherche à redonner toute son importance au vivant au sein des espaces verts. Ceux-ci sont considérés comme des écosystèmes gérés et peuplés de végétaux mais aussi d’animaux. Chaque in-tervention doit être raisonnée au regard du développement durable. On donne au futur professionnel la capacité de raisonner ces pratiques et d’évaluer leurs impacts. Le futur professionnel doit pouvoir contextualiser ses pratiques en fonc-tion de la demande des clients et de l’environnement dans lequel il travaille.

Il est à noter que le référentiel de formation de seconde professionnelle comprend une semaine intitulée « développement durable et santé ».

Au final, si les mots développement durable n’apparaissent pas à toutes les lignes, l’esprit doit transparaître. Cela apparaît d’autant plus important que le secteur du paysage intègre de plus en plus les principes du développement durable dans son activité. Les services espaces verts et les entreprises mettent fréquemment en œuvre la gestion différenciée et cherchent à se passer des pes-ticides. Des efforts importants sont réalisés pour recycler sur place les matières organiques. Le traitement des déchets de chantier s’organise… Les préoccupa-tions de biodiversité, d’énergie et de gestion de l’eau sont de plus en plus sou-vent abordées par les maîtres d’ouvrage.

Pistes pour mettre en œuvre ces référentielsdans un esprit de durabilité ?

Une fois ces précautions prises, il est utile de ne pas rester dans le flou et dans le déclaratif mais d’étudier, au niveau technique et concret, les alternatives « durables ». L’apprenant doit être amené à tester différentes hypothèses avant de réaliser un choix contextualisé. Il faut également que l’enseignant habitue les élèves à envisager les conséquences de leurs interventions (quelles consé-quences si on généralise cette pratique, quelles conséquences si on reproduit cette pratique dans la durée). Il faut que les élèves comprennent qu’aucun choix,

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qu’aucune pratique n’est neutre, il existe toujours des conséquences positives et négatives à différents niveaux. L’enseignant doit donc se tenir informé des évolutions favorables au développement durable, les faire étudier et les mettre en œuvre lors de séance pratiques et pluridisciplinaires. Les classes de baccalau-réat professionnel « travaux d’aménagement du paysage » peuvent participer à la mise en application concrète de la gestion durable au sein des espaces qui entourent les établissements. Un grand nombre d’établissements sont entou-rés de vastes zones vertes dont la conception et l’entretien ne relèvent pas d’un prise en compte du développement durable. Il est intéressant et concret de voir comment faire évoluer cet état de fait. Ces projets montrent aux élèves qu’ils peuvent agir ici et maintenant en faveur d’une meilleur prise en compte du développement durable. Les dépendances vertes des établissements d’ensei-gnement agricole peuvent devenir des laboratoires imaginatifs en faveur d’une gestion durable des espaces verts. La possibilité d’une action concrète, tangible et perceptible est un facteur de motivation et de satisfaction pour de nombreux élèves. En créant ou réaménageant des espaces verts au sein de leur établisse-ment, les élèves laissent aux générations futures d’apprenants et à tous les usa-gers de l’établissement une trace positive de leur passage, il peut ainsi se créer une solidarité entre les différentes générations d’usagers du site.

Le fait que la seconde professionnelle soit commune aux trois secteurs de l’aménagement est un facteur très favorable à une meilleure prise en compte du développement durable. Le décloisonnement entre le secteur de la forêt, de la gestion des espaces verts et de la gestion des espaces ruraux ne peut que fa-voriser l’ouverture d’esprit des futurs professionnels. Il est certain que les futurs chefs d’équipe dans le domaine du paysage seront influencés par les connais-sances écologiques nécessaires à la gestion des forêts et des espaces ruraux.

Si il ne faut pas en perdre l’esprit, il ne faut pas non plus que le dévelop-pement durable reste une vue de l’esprit pour les apprenants.

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Quelques éléments de conclusion

La réforme des référentiels de formation offre aux établis-sements et aux enseignants une autonomie plus importante que par le passé. Les établissements, au travers des modules laissés à leur initiative ( module de spécialisation de la seconde professionnelle, semaine santé et développement durable, pro-jet sportif et culturel, plages d’enseignement pluridisciplinaires, choix des chantiers école…) peuvent choisir de privilégier une approche plus durable des enseignements.

La nouvelle modalité d’écriture des modules de formation donne une grande autonomie pédagogique aux enseignants. Le référentiel de formation donne les grands objectifs de forma-tion en s’appuyant sur les compétences nécessaires à l’acqui-sition des savoir-faire professionnels mais laisse toute latitude aux enseignants pour organiser les modalités d’acquisition de ceux-ci. Cette autonomie laisse la place à l’intégration d’une né-cessaire contextualisation et à une approche durable de l’acqui-sition des compétences.

Mais pour que cette autonomie soit favorable à la prise en compte du développement durable, il est nécessaire que les enseignants possèdent les connaissances et adoptent une pé-

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dagogie qui pousse les apprenants à construire une réflexion critique sur les techniques à mettre en œuvre. Il est probable que certains enseignants ressentiront la nécessité d’acquérir ces connaissances par l’intermédiaire de formations. Celles-ci devront impérativement accompagner cette réforme afin que le développement durable soit réellement intégré dans l’ensem-ble des pratiques d’enseignement.

La réussite de la prise en compte des principes du dé-veloppement durable passera également par la pédagogie de l’exemple. En matière de conception de gestion des espaces de paysage, il serait bon que les élèves puissent observer la mise en place de ces techniques au sein même des établissements d’en-seignement. Ceci milite donc en faveur de la gestion durable des espaces qui entourent les lycées et centres de formation. Il s’agit bien sur des domaines des exploitations agricoles et horticoles mais aussi des espaces verts et de nature qui agrémentent les établissements. Un travail important de sensibilisation et de formation doit également concerner les gestionnaires et les agents qui ont en charge l’entretien des espaces verts des éta-blissements d’enseignement agricole.

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Différentes déclinaisons

de l’éducation au développement

durable

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De l’éducation à la responsabilité

Sylvie Zérillomaître de conférences en sciences de l’éducation,

Université Montpellier I I I

Jean-Bernard Paturetprofesseur en sciences de l’éducation,

Université Montpellier I I I

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Introduction

La problématique de l’éducation à la responsabilité est complexe. D’abord parce qu’elle n’est pas un simple ap-prentissage d’une discipline intellectuelle, ni une recher-

che de savoirs et de connaissances. Elle n’est pas non plus ap-prentissage de pratiques et de savoirs-faire. Elle concerne, en effet, l’être, la personne, le sujet humain dans sa profondeur existentielle dans ses relations à lui-même, aux autres et à ce qui l’entoure. Il s’agit donc d’une éducation à une posture éthi-que d’engagement dans ses actes et dans ses conduites. Qu’en-tendre par ce terme ?

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De l’éthique L’êthos est la dimension même du sujet, elle est engagement dans des

situations difficiles, voire impossibles. L’éthique n’est jamais soumission ou ac-complissement de devoirs. Comme l’écrit Giorgio Agamben : « Le fait dont tout discours sur l’éthique doit partir, c’est qu’il n’existe aucune essence, aucune vo-cation historique ou spirituelle, aucun destin biologique que l’homme devrait conquérir ou réaliser[…] car il est clair que si l’homme était ou devait être telle ou telle substance, tel ou tel destin, il n’y aurait aucune expérience éthique pos-sible, il n’y aurait que des devoirs à accomplir »2.

Essayons de préciser. Chez le poète Homére, dans l’Iliade « êthos » signifie au pluriel « séjour, lieu habituel, demeure ». De là, l’éthique désigne le « caractère personnel ». Héraclite, au fragment 119 DK, énonce « êthos anthropô daimon » c’est-à-dire « le caractère propre de l’homme, c’est son daimon ». Heidegger, dans sa Lettre sur l’Humanisme, commente cette formule en redonnant à « êthos » le sens de « séjour » et, plus profondément, de « marque distinctive de l’homme ». On peut noter que Platon, dans le mythe d’Er, au livre X de sa République, fait dire à Lachésis, une des trois Moires ( figures du destin ), au moment où les âmes vont renaître à la condition mortelle et choisissent leur nouveau destin : « Votre desti-née ne sera pas tirée au sort, c’est vous qui choisirez votre destinée. » L’êthos est donc ce qui singularise, et renvoie à une dimension plus personnelle, c’est aussi le lieu de la responsabilité. L’êthos signifie l’engagement dans ses choix existen-tiels : l’homme est celui qui peut agir son destin, ne plus en être totalement le jouet ou la marionnette, celui qui peut sortir, au moins en partie, de ses détermi-nismes ( voire le processus de résilience3 ce ressort intime propre à chacun face au difficultés de l’existence).

Aussi la responsabilité éthique est-elle différente de la responsabilité pé-nale et civile. Ces dernières, fondées sur des lois et des règles communes, posent des normes auxquelles l’individu doit se soumettre sans les transgresser, sous peine de se voir plus ou moins sévèrement sanctionné. Chaque individu doit donc rendre compte de ses comportements et conduites au regard du collectif. Il ne peut échapper au contrôle social dont les réseaux étendent de plus en plus leur toile arachnéenne. La responsabilité éthique est d’un autre ordre : non pas celui de la conformité à des normes morales mais à celui de la lucidité vis-à-vis de soi-même.

2. Giorgio Agamben, La communauté qui vient, Seuil, 1990, p.47.

3. Ce concept est développé entre autres auteurs par Boris Cyrulnik, M.Manciaux etc.

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L’origine du mot responsabilité se situe dans l’indo-européen « spend », « idée de libation », c’est-à-dire « répandre du vin ou du lait en l’honneur d’un dieu ». « Spondé » signifie « la libation ou le traité » conclut en présence des dieux et qui donne ainsi un caractère sacré à un engagement solennel ; d’ailleurs « sponsare » veut dire « se fiancer ». C’est dire l’importance de l’engagement, de la prise de position. Aussi la responsabilité se fait toujours devant un tiers : pé-nale ou civile, elle se déroule devant la loi ; éthique, elle se présente au filtre des valeurs de chacun, dans l’intime4 du face-à-face avec soi-même.

Comment alors penser l’éducation à la responsabilité ?

Platon reconnaissait l’importance de l’habitude lorsqu’il écrivait dans la République ( VII, 518 e ) « Maintenant on peut admettre que les autres facultés sont analogues à celles du corps ; car il est vrai que quand elles manquent tout d’abord, on peut les acquérir dans la suite par habitudes et par exercice ». Aris-tote dans l’éthique à Nicomaque ( II, 1,1103a17) lie l’adjectif « éthikos » à « arêté » la vertu. La vertu s’acquiert par entraînement et par habitude. Et Descartes conçoit quelque chose de semblable à propos du dressage des chiens et de l’édu-cation des hommes dans le Traité des passions de l’âme (art. 50 fin de la premiè-re partie.). « Ainsi, lorsqu’un chien voit une perdrix, il est naturellement porté à courir vers elle ; et lorsqu’il oit tirer un fusil, ce bruit l’incite naturellement à s’enfuir ; néanmoins on dresse ordinairement les chiens couchants en telle sorte que la vue d’une perdrix fait qu’ils s’arrêtent et que le bruit qu’ils oient Après, lorsqu’on tire sur elle, fait qu’ils y accourent ».Et Descartes de poursui-vre : « Or, ces choses sont utiles à savoir pour donner à chacun d’étudier à règle ses passions. Car, puisqu’on peut avec un peu d’industrie changer les mouve-ments du cerveau chez les animaux dépourvus de raison, il est évident qu’on le peut encore mieux dans les hommes ; et que ceux même qui ont les plus faibles âmes pourraient acquérir un empire très absolu sur toutes leurs passions si on employait assez d’industrie à les dresser et à les conduire. »

Il devient alors envisageable d’engager une éducation à la responsabilité, très tôt dans la vie humaine par un apprentissage au sein de la famille puis, dans les diverses instances éducatives qui encadrent l’évolution de l’enfant. Cependant, la position infantilisante souvent adoptée par le milieu familial et l’école complexifie le rapport de chacun à l’éducation à la responsabilité. En ef-fet, celle-ci oblige l’adulte à entrer dans un processus pédagogique d’autonomie et à accepter que les enfants conquièrent progressivement leurs territoires et leur indépendance…

L’habitude comme éducation à la responsabilité est aussi une manière de combattre en permanence ses propres pulsions de destructions que la psycha-

4. « intimus » superlatif de « interior » signifie « au plus profond de »

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nalyse a mis en exergue et dont la vie quotidienne montre à l’évidence, la terri-ble réalité. Pulsions de vie (Eros) dont le rôle est de fabriquer des liens s’opposent en chacun aux pulsions de mort (Thanatos) pulsions de dé-liaisons et de destruc-tion contre l’autre, contre l’environnement et souvent aussi contre soi-même.

Si l’éducation à la responsabilité s’inscrit dans la longue durée de l’habi-tude, elle est aussi un art de saisir l’occasion. Les Grecs nommaient « Kairos » l’art de l’opportunité. Le « Kairos » est une des figures divines du temps. Le temps, plus précisément comme instant fugace, occasion à saisir « par les cheveux ». Les Grecs le représentaient en effet sous la forme d’un personnage qui court et vole avec deux petites ailes aux pieds et deux ailes dans le dos, le front couvert de long cheveux et la nuque dégarnie. Il fallait saisir « Kairos » au bon moment ni trop tôt ni trop tard en faisant montre de précision et de dextérité nécessitant écoute, présence et capacité à saisir l’occasion, à vivre l’instant présent, une ouverture et une réceptivité à l’événement. « Kairos » ne se prête pas facilement à la mesure exacte, au calcul précis et au raisonnement rigoureux. Il est disponibilité à l’autre et à la circonstance événementielle. L’éducation à la responsabilité s’inscrit dans cette logique et dans cet art dans les situations de la vie et au cours des forma-tions. La pédagogie Freinet ira même jusqu’à provoquer des mises en situations. Aussi, est-ce important de construire des situations pédagogiques où la respon-sabilité des éduqués ou des formés puissent être engagées concrètement.

De surcroît, comme toujours dans l’éducation se pose la question de la place de l’éducateur. Ce dernier se doit de servir d’exemple. L’exemple diffère ici du modèle dont la fonction demeure principalement prescriptrice. Ce dernier indique, le plus souvent sans nuance ce qui est bien, décrétant ce qu’il convient de faire. L’exemple, au contraire sert de support à la discussion, à l’échange. Un « mauvais exemple » peut devenir un outil pédagogique pour mettre en travail et en réflexion tel ou tel problème. L’éducateur, s’il sert d’exemple, est amené à accepter d’être remis en question dans le processus formatif.

Mais surtout l’éducateur se doit d’être un témoin. Les enfants comme les adultes reprocheront toujours les contradictions entre les discours et les actes de celui ou celle qui est dans cette position difficile5 de formateur. Témoigner revient à s’impliquer et à s’engager dans des valeurs qui font sens pour soi et pour les autres.

Une mise en garde toutefois : l’éducation à la responsabilité ne peut se concevoir sans liberté du sujet. Peut-il y avoir responsabilité sans liberté et sans conscience de l’acte accompli ? Dans les crimes, les psychiatres s’interrogent toujours pour savoir si celui qui a commis le crime était libre et conscient de son acte. Aussi l’apprentissage de la responsabilité ne saurait se penser et se faire sur un processus de culpabilité qui place le sujet dans la dimension de la faute et non dans celle d’un sujet libre.

5. Freud parle, à la suite de Kant de trois métiers impossibles : gouverner, éduquer, soigner. S. Freud, (1937) Analyse avec fin, analyse sans fin, in Résultats, Idées, problèmes II, Paris, PUF, 1985, p. 263.

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Conclusion

L’ éducation à la responsabilité est un enjeu considérable, elle se fonde d’abord sur « l’habitude » et sur des mises en si-tuations pédagogiques adaptées mais aussi sur l’art de saisir les occasions, l’art de l’opportunité. Toutefois, puisqu’en matière d’éducation à la responsabilité il ne s’agit pas seulement de savoirs et de savoirs faire mais de conduites qui impliquent le sujet, l’éducateur doit, lui aussi, témoigner de ses convictions en les mettant en accord avec ses conduites.

BibliographieAgamben G., 1990, La communauté qui vient, éd. Seuil.

Paturet J.B., 2007, De la responsabilité en éducation, éd. ERES.

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éduquer à la citoyenneté, éduquer à l’environnement ?

David Kumurdjianformateur d’enseignant,

SupAgro Florac

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La déclaration de Rio et les déclarations et conventions qui lui font suite mettent à l’honneur la dimension par-ticipative du citoyen. Ces différents textes considèrent

prendre ainsi part à une éducation à la citoyenneté, clef de vou-te d’une éducation au développement durable.

Les pratiques d’éducation à l’environnement sont souvent amalgamées avec celles relevant d’une éducation à la citoyen-neté. Cette article cherche à éclaircir les originalités de ces deux modalités éducatives fondatrices de l’éducation au développe-ment durable.

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éduquer à l’environnement L’éducation pour l’environnement œuvre à responsabiliser les individus

sur leur environnement. La connaissance, la gestion et la préservation de l’envi-ronnement sont donc des objectifs à atteindre par le biais de l’éducation.

L’éducation par l’environnement considère que l’environnement est un médiateur. Elle focalise ses objectifs sur la personne qu’elle se donne pour mis-sion d’enrichir. L’environnement y est donc considéré comme un support de formation.

L’éducation à l’environnement (EE) procède de la synergie des deux tendances :

• La prise de conscience de la complexité, de la fragilité et de l’acuité des rela-tions de l’homme avec son milieu exigent une éducation pour l’environnement qui permette aux individus «d’acquérir les connaissances, les comportements et les compétences pratiques nécessaires pour participer de façon responsable et efficace à la préservation et à la solution des problèmes de l’environnement, et la gestion de la qualité de l’environnement».6(UNESCO 1977).

… qui ne saurait se satisfaire d’une acquisition de savoirs et savoirs faire puis-qu’il s’agit bien d’une éducation qui, en tant que telle, s’intéresse au développe-ment des personnes, et doit donc …

• favoriser également une éducation de l’individu, un développement sensible et intellectuel des personnes, trouver dans l’éducation par l’environnement un outil qui offre un support motivant, impliquant et universel.

Nous n’irons pas plus avant dans la définition de l’EE. L’EEDD étant l’objet principal de l’ouvrage, il est préférable de s’étendre plus longuement sur l’édu-cation à la Citoyenneté (EC) pour proposer au final quelques pistes de réflexion sur la contribution de l’EE à l’EC.

6. UNESCO, conférence de Tbilissi (1977), cité par Réseau Ecole et Nature, Guide pratique d’éducation à l’environnement, Chronique sociale, 1999, p. 36.

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Quelle éducation à la citoyenneté ?En France, la citoyenneté s’articule autour de trois entrées :

• Un système de valeurs démocratiques.

• La citoyenneté en actes : les exercices individuel et collectif de la citoyenneté dans une société qui en permet la réalisation.

éduquer aux valeursLe caractère intrinsèquement humain de la citoyenneté, permet d’en

incarner ses principes et ses noyaux constituants, sans quoi elle ne serait, au mieux, qu’un idéal. La citoyenneté confère aux hommes et aux femmes une responsabilité morale qui dépasse les individus, les valeurs inscrivent le citoyen dans une culture, un mouvement qui trouve ses origines dans l’histoire, dans la famille, dans le cadre qui accueillera le futur citoyen.

En France les concepts de démocratie, de socialisation, de solidarité, de mo-rale, de civisme, de droits de l’homme et par extension de droits et devoirs, d’éthi-que, sont des concepts fondateurs et modernes de la citoyenneté.

Parler d’EC consiste donc à parler d’éducation aux valeurs. Sujet hautement polémique : une didactique des valeurs est-elle possible ? Souhaitable ? Com-ment évaluer une éducation aux valeurs ? Comment mesurer la progression d’un apprenant ? S’agit-il d’une moralisation ? D’un apprentissage éthique ? Galichet, Mougniotte, Kolhberg, Defrance, parmi d’autres et dans des registres différents (éducatif, psychologique, juridique), ont proposé des pistes précieuses pour nous inviter à la réflexion. Ainsi, Mougniotte (1994) propose la réflexion suivante :

1. l’endoctrinement due à une moralisation peut être évitée si l’enseignement des valeurs s’accompagne d’une réflexion sur sa pertinence.

2. les valeurs ont un contenu objectivable (les applications de l’adhésion qu’elles suscitent, obligeant à réfléchir au concept de cohérence), ancré dans la réalité (certaines valeurs sont reconnues universellement par des peuples de cultures différentes).

Quand Defrance (1998), lui, nous rappelle que l’EC « n’est pas tant une question de transmission de valeurs que d’apprentissage des procédures grâce auxquelles les valeurs peuvent se construire, les libertés s’articuler ».

éduquer en actesParler d’EC relève également d’une réflexion sur l’apprentissage des exer-

cices individuel et collectif de la citoyenneté, dans un environnement social et juridique qui permet cet exercice.

Il s’agit donc d’éduquer non aux valeurs, mais aux actes qui les incarnent (ex. : non pas aux droits de l’homme, mais à leur exercice).

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Quand aux conditions de réalisation de ces actes, la société démocratique est « la seule société […] qui implique en elle-même et pour elle-même le chan-gement ; qui ne se contente pas de le subir et de s’y accommoder tant bien que mal, [...] mais le veut en tant que tel et l’organise » (Galichet 1998).

Dans notre société, une EC en actes passe donc en priorité par l’organi-sation intentionnelle de l’éducation des citoyens. Prenant l’exemple de l’école, Galichet précise que « l’école ne saurait se contenter d’enseigner une égalité abstraite et formelle ou de la réaliser par l’accès à tous à un minimum d’instruc-tion commune, […] elle doit aller plus loin et mettre en pratique dans son orga-nisation, ses méthodes, ses contenus, les activités qu’elle propose, cette essence de la vie démocratique ».

éduquer aux savoirs Enfin, plus classiquement, l’éducation à la citoyenneté nécessite une édu-

cation aux savoirs, permettant au citoyen d’être éclairé. Deux types de savoirs à acquérir sont ici concernés :

• Les connaissances : culture générale,savoirs fondamentaux (écrire et lire no-tamment paraissent incontournables tant ils conditionnent l’ensemble des autres acquisitions), connaissance des institutions (systèmes d’organisation des sociétés), éducation juridique ( rapports entre peuples et individus : loi, droits, devoirs, etc).

• Les compétences, qui permettent de raisonner la connaissance qui vient de l’autre ( collecte et analyse des informations, construction de son propre rai-sonnement).

L’éducation aux savoirs est certainement le pôle le plus consensuel, qui trouve la plus grande convergence entre chercheurs, praticiens, philosophes, sociologues, politiciens, parents, etc. Est-elle pour autant à ce point centrale, où n’est-ce qu’un élément qui sert à agir en citoyen, au service de l’esprit critique et de la capacité de faire des choix argumentés en conformité avec des valeurs démocratiques ? L’EC n’est-elle pas alors bien plus une articulation entre éduca-tion en actes, aux valeurs et aux savoirs ?

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L’ éducation à l’environnement participe-t-elle de l’éducation à la citoyenneté ?

L’éducation à l’environnement y contribue. Son environnement juridique est celui du territoire français, et elle est acceptée socialement. Pour autant, nous pouvons en dégager des convergences précises et un regard critique qui contribuera peut-être à étayer la réflexion sur éducation à l’environne-ment/ éducation à la citoyenneté/ éducation et développement durable.

L’EE contribuant à l’EC : éducation, réciprocité

éduquer

éduquer est le premier geste commun de l’EE et de l’EC. Celles-ci met-tent en présence des éducateurs (animateurs, enseignants, parents), qui vont interférer avec un individu ou un groupe dans un cadre professionnel (scolaire, loisirs, formation), ou avec des personnes qui partagent un projet commun (fa-mille, association, ...).

L’ensemble des membres de la société en sont les acteurs, mais les adul-tes y exercent une responsabilité plus importante que les jeunes. En effet, en définissant leurs objectifs, ils manifestent une intention individuelle (donc un pouvoir) plus ou moins conscientisée, s’inscrivant dans un projet finalisé, mais lui-même inscrit dans un élan naturel, puisque «le but de l’éducation est d’être adulte», nous dit Jonas (1995), «cette fin arrive suivant sa loi propre et non sui-vant l’avis favorable des éducateurs».

Par ailleurs, l’environnement et la citoyenneté nécessitent une éducation tout au long de la vie car le stade d’adulte responsable relatif à ces objets est évolu-tif : la responsabilité à l’eau de 2008 ne pouvait être enseignée il y a trente ans !

D’autre part, si l’on ne dit pas «instruire à la citoyenneté» ou «enseigner l’environnement» c’est précisément parce qu’ainsi véhiculés les deux objets se-raient à l’étroit. L’environnement et la citoyenneté sont deux objets particuliè-rement impliquants pour les sociétés humaines. L’environnement n’est pas que la nature, et la citoyenneté n’est pas que le civisme. Les deux objets émanent de l’homme et le forgent tout à la fois. Sur le plan éducatif, cette implication du sujet dans l’objet a un effet de sens (elle permet le lien théorie/pratique), et un effet perturbateur (difficulté pour le sujet de se distancier).

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Une recherche de réciprocité pédagogique pour l’EE

La réciprocité pédagogique comme véritable éducation civique et al-truiste, considérée par Galichet comme le choix éducatif le plus avancé et le plus cohérent pour éduquer à la citoyenneté, est un idéal en EE. Cette aspiration est particulièrement significative dans la pédagogie de projet et l’écoformation, deux méthodes qui portent en elles-mêmes, au moins théoriquement, les carac-téristiques d’une réciprocité pédagogique avec l’apprenant :

• elles proposent un modèle constructiviste (en privilégiant l’écoformation plu-tôt que l’hétéro - ou l’autoformation, ou en instrumentalisant le projet d’ap-prendre)

• elles constituent un processus méthodologique visant l’autonomie des appre-nants, processus sur lequel ils ont la possibilité d’agir. Cette appropriation mé-thodologique nécessite du temps : ces pédagogies «prennent» le temps.

• les éducateurs qui font le choix de ces méthodes, font, selon Perrenoud, le «deuil» d’une toute puissance qui passerait par la maîtrise du savoir : ils parta-gent le pouvoir éducatif avec le milieu de vie (la nature ou la cité), avec d’autres personnes, avec l’apprenant.

En règle générale, et particulièrement hors du champ scolaire, la liberté pédagogique en EE prévaut sans négliger la rigueur des apprentissages. Les ap-prenants y sont tour à tour agent/acteur/auteur (Ardoino, 1990), acteurs/appre-nants pour devenir auteurs/citoyens.

L’EE comme enrichissement de l’ECL’EC parle peu du rôle qu’un citoyen devrait occuper une fois éduqué. La

difficulté réside peut-être dans l’ambition du projet et dans la complexité des liens qui unissent un individu avec le projet social, quand liens il y a. L’EE ac-corde une place prépondérante à l’individu.

D’abord car comme nous l’avons précisé, il y est sujet/objet. Ensuite parce que l’EE est une éducation essentiellement pragmatique de l’environnement physique de l’individu et de son groupe social de provenance, mais également son corps et ses sens. L’EE a ainsi développé l’approche sensible où la singularité sensori-motrice de chacun en lien avec les valeurs individuelles et collectives joue un rôle fondamental. Cette approche pédagogique s’inscrit dans ce que Spinoza appelait le Conatus7, «effort de toute chose pour persévérer dans son être» (Larousse 2000).

Un individu peut décider d’arrêter de voter, renier sa famille et son his-toire, s’isoler des autres hommes, refuser les livres et le savoir, il devra toujours utiliser l’eau, l’air, la nourriture provenant de son environnement.

7. Pour Descartes, ce fût cogito, ergo sum ( je pense, donc je suis); pour un didacticien de l’EPS, cela devient conato, ergo sum, ( j’agis dans un système de valeurs, donc je suis)

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Nous pouvons peut-être expliquer en partie l’origine de cette différence de fond par une différence d’objectifs opérationnels. L’EC privilégie un humanisme en quelque sorte déjà écrit, alors que l’EE s’appuie et vise les individus qui, à leur tour, doivent écrire une nouvelle humanité fondée sur une nouvelle forme de responsabilité articulée entre passée et présent mais pour l’avenir (Jonas, 1990) : l’EE vise un changement de comportements vis-à-vis de la nature de proximité, de la planète, et des autres hommes. Le geste8 présent y est un mouvement por-teur de sens à venir.

Être éduqué à l’environnement, c’est être éduqué au mouvement, et en mouvement, c’est une invitation à l’engagement : sauver l’environnement pour se sauver soi-même. intégrer la logique de la nature autant que celle des hommes.

Où l’EE aspire à une EC

L’EE, si prompte et sûre de son bien fondé, est-elle en mesure de bâtir un projet démocratique et citoyen ?

Nous avons vu combien les valeurs sont fondamentales dans la réflexion sur la citoyenneté. La «famille environnementale» ne fait pas exception, et en cela, pourtant, se distingue d’une EC fortement centrée sur une éducation aux valeurs.

Pour l’EE, le fait de poser des valeurs de référence se justifie, en termes de formation à la citoyenneté, par rapport à l’action. Elle s’y résout donc : la compréhension des logiques d’acteurs pour la tolérance, la prise en compte des générations futures ou la gestion des ressources naturelles pour la solidarité, l’apprentissage du geste et de ses conséquences pour la responsabilité, etc.

Mais la définition d’axes principaux d’actions d’EE faisant référence à des valeurs spécifiques, en singularisant l’EE, l’enferme également dans un registre de valeurs choisies, donc partisanes.

En effet, en admettant une autorité constituée par la logique environne-mentale, norme impérative fondée sur le devoir (Lamoureux, 1996, citant Kohl-berg), l’EE a une forme «finie» qui se concentre sur des devoirs spécifiques : sans pour autant rejeter d’autres valeurs démocratiques, elle limite l’accès librement consenti par chaque individu à un choix de citoyenneté.

Trois réflexions peuvent nous aider à expliquer cette divergence :

• Ce problème est valable pour l’ensemble des éducations pragmatiques : l’EC idéale est peut-être impossible et, au contact du monde réel, se «pervertit» dés qu’on veut en appliquer les préceptes. Or l’EE a un projet très ancré dans l’action, elle repose actuellement sur le geste individuel et la gestion collective, sur le réfé-ré, la conduite, l’acte, alors que le référent (c’est à dire les valeurs) reste implicite. Il y a une distance entre le réel (on fait ce que l’on peut) et l’idéal (Il faudrait que ...).

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• La forme environnementale de la citoyenneté proposée par l’EE est, nous l’avons dit, moderne. La conception de l’homme selon Marx, (l’homme qui «n’est plus soumis à la nature [...] peut être pleinement lui même.»), est encore très présente dans la définition de la citoyenneté. Les nouveaux enjeux planétaires ne sont pas encore entrés, justement, dans les mœurs, et peut-être que c’est la conception actuelle de la citoyenneté elle-même qui est étriquée, faisant fi de la réflexion moderne de Jonas (1990) estimant que «l’intérêt de l’homme coïncide avec celui du reste de la vie qui est sa patrie terrestre» ?

• Enfin, la loi commune, les droits et devoirs, la justice. Ces concepts fondamen-taux ne sont quasiment jamais convoqués en EE. En se centrant sur l’action et en prétextant l’urgence des problèmes (qui peut être réelle pour certains sujets), l’EE défend une forme de Droit d’ingérence, mais ne s’inscrit pas dans l’éducation ju-ridique, politique ou philosophique. Pourtant, une solide réflexion sur le sujet per-mettrait peut-être de pénétrer plus avant le concept de citoyenneté car il ne suffit pas d’une légitimité pratique pour refonder un système démocratique, il faut éga-lement accéder à la légalité, et proposer un système de valeurs partagées.

8. La geste, au sens littéraire, c’est l’ensemble des exploits d’un héros et de ses compagnons. Lorsqu’il y a action sur l’environnement, le geste porté collectivement se traduit par la gestion concertée de l’espace par les acteurs qui « sauve » l’environnement. Un exploit !

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L’ éducation interculturelle, une éducation pour tous ?

Gudrun Petursdottirformatrice d’enseignant,

Intercultural Iceland, Islande

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La commission internationale en éducation identifiait quatre finalités clefs pour le XIXe siècle : apprendre à ap-prendre, apprendre à être, apprendre à faire et apprendre

à vivre ensemble. Cette dernière finalité est sans doute à mon avis l’une des plus importantes dans l’éducation actuelle.

En considérant les priorités définies par la commission, beaucoup d’enseignants peuvent se demander s’il est réelle-ment de leur mission d’enseigner aux étudiants à vivre en-semble. Certains considéreront sans doute que leurs activités s’inscrivent avant tout dans l’apprentissage des savoirs relevant de leurs disciplines, à charge pour la famille et d’autres institu-tions d’éduquer aux activités de socialisation. A contrario cer-tains chercheurs en éducation arguent que le XXe siècle devrait être plus dans l’apprentissage de nouvelles compétences et savoir-être que dans la collection d’informations et l’accumu-lation de faits.

Après avoir discuté de ces questions avec des enseignants originaires de toute l’Europe, je suis convaincue que la plupart d’entre-eux considèrent leurs métiers comme une véritable ac-tivité éducative, au sens le plus large du terme. Leur rôle est de préparer les élèves à s’inscrire dans la vie, et non pas seulement de les nourrir avec des informations qui seront retenues par certains pendant quelques temps, mais qui seront pour la plu-part rapidement oubliées.

Ce que ces enseignants demandent alors dans les forma-tions que nous leur proposons est : « comment faire ? je suis tellement occupé à devoir faire acquérir les connaissances im-posées par le référentiel, je ne peux prendre aucun temps sup-plémentaire pour former mes élèves à des compétences socia-les ou à les préparer à vivre dans une société interculturelle ».

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Dans cet article, j’examinerai ce dilemme et essayerai de donner quelques réponses et réflexions, issues de recherches et de ma propre expérience en temps que formatrice.

Dans nos écoles islandaises, nous continuons de trouver des étudiants pour qui les approches traditionnelles de l’ensei-gnement ne fonctionnent pas, et qui ont besoin de nouvelles approches pédagogiques pour avoir la même chance d’appren-dre. Dans ce contexte, il ne s’agit pas seulement d’étudiants qui ont des handicaps spécifiques à l’apprentissage ; ce sont plutôt des étudiants qui ont de véritables compétences dans de nom-breux domaines, mais ont des difficultés avec les méthodes tra-ditionnelles où l’enseignant parle et eux sont supposés restés assis, écoutant et tentant de mémoriser. En fait, cette façon tra-ditionnelle d’enseigner n’intéresse qu’une faible partie de nos classes, diverses et multiculturelles.

Les classes sont toujours multiculturelles, même si nous n’y rencontrons pas de minorités ethniques. Nos étudiants sont tous issus de cultures très diverses. Leurs origines différent selon l’édu-cation parentale, la religion, le statut socio-économique, la struc-ture familiale. S’y ajoutent des différences de valeurs, d’attitudes, de styles de vie, de capacités ou de handicaps, d’origine ethnique et de nationalités.

En fait l’origine ethnique et la nationalité ne sont qu’une petite partie des nombreux facteurs qui rendent la classe riche en diversité et qui influencent la culture des élèves. Si l’immigra-tion a sans aucun doute accentué le pluralisme social et culturel, celui-ci existait déjà.

Le but d’une éducation interculturelle est de gérer cette diversité d’une manière positive et de la considérer comme un

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avantage, plus que comme un problème. Il s’agit moins de la tolérer que de tirer avantage de ces potentialités en terme d’ap-prentissage.

Quand nous parlons d’éducation interculturelle, nous devons prendre en compte au moins trois questions en consi-dération :

1. premièrement, la question du pourquoi. Pourquoi avons nous besoin d’une éducation interculturelle ? Qu’est-ce qui a changé dans notre société qui suppose d’intégrer des approches éduca-tives différentes ? Pourquoi un enseignant devrait-il penser en terme d’éducation interculturelle, et pourquoi devrait-il consi-dérer changer son style d’enseignement ? Comment l’idéologie relevant de l’éducation interculturelle évolue-t-elle ? Quels sont les buts d’une éducation interculturelle ?

2. La seconde question relève du comment. C’est sans doute la question que j’ai le plus entendu dans mon travail, lors de for-mation à l’éducation interculturelle. Comment arrivons nous à mettre en œuvre une éducation interculturelle ? Comment organisons nous notre enseignement ? Y-a-t-il des méthodes meilleures que d’autres ?

3. Vient ensuite la question du quoi. Quels outils utiliser pour atteindre ces objectifs ? Y-a-t-il des outils spécifiques ?

Je vais essayer d’approfondir ces trois questions.

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Pourquoi une éducation interculturelle ?

Cette question est fondamentale quand nous parlons d’éducation inter-culturelle avec des enseignants. Pourquoi un enseignant devrait il changer sa manière d’enseigner alors qu’il n’a aucune raison pressente pour le faire ? Nous pouvons essayer d’introduire autant de méthodes et d’outils que nous voulons, mais si un enseignant ne voit pas les avantages de la diversité, ou s’il a des sté-réotypes à l’égard de certains groupes sociaux, ses méthodes seront inutiles dans ses mains. L’attitude de l’enseignant vis-à-vis de la diversité à l’école prime sur la technicité à la gérer.

Les débats sur l’éducation interculturelle démarrèrent dans un premier temps en relation avec les migrations en Europe. Antonio Perotti, à ce titre, sou-lève une intéressante question dans son livre «The case for intercultural educa-tion»: «était-il nécessaire d’attendre la migration de millions de migrants issus d’autres continents en Europe de l’ouest dans les années 1970 et 1980 pour pren-dre contact avec la nature multiculturelle de la société ? Ces gens considérés comme différents, n’existaient-ils pas avant l’arrivée récente d’immigrants ?» Avec cette question, Perotti veut mettre en exergue le pluralisme dans nos so-ciétés, qui n’est pas seulement lié à des phénomènes migratoires. Ce pluralisme est ce que l’on appelle le multiculturalisme.

Une première question nécessite dès à présent une réponse : comment définir une éducation interculturelle actuellement et comment a-t-elle émer-gé ? En fonction de l’orientation prise, ce terme a fait l’objet de nombreuses définitions par les chercheurs en éducation depuis les années 70. Nous nous intéresserons dans la suite de l’article surtout aux réflexions mises en œuvre dans les pays d’Europe du Nord et de l’Est.

Dans les années 70 à 90, différentes conceptions furent développées en Europe. Une approche n’a pas suppléé pour autant une autre. Elles pré-existent encore toutes. Les termes les plus communément utilisés pour décrire ces ap-proches sont « éducation des immigrants » (ausländerpedagogig en allemand), « éducation multiculturelle », et « éducation interculturelle ».

L’origine de la réflexion relative au pluralisme de l’école et de l’éducation au début des années 70 fut l’immigration qui se développa en Europe à partir des années 60. Cette première phase qui relève de l’éducation des migrants, se justifiait comme réponse à une carence en terme d’orientation ( les étudiants migrants avaient des manques qu’il était nécessaire de combler). Elle s’ins-crivait dans un objectif d’assimilation, dénudant les enfants de leur identité culturelle et se concentrant sur l’apprentissage de la langue d’assimilation. Des mesures officielles furent prises dans de nombreux pays dont la création d’éco-les d’éducation spécialisée ; les élèves issus du territoire d’accueil passaient un temps assez important au contact d’enfants migrants ; ces derniers apprenaient

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la nouvelle langue, mais se retrouvaient souvent en échec dans les disciplines académiques. L’éducation des immigrants était ainsi une sorte d’éducation spé-cialisée dans un but d’assimilation mais était organisée en dehors du système éducatif classique. Il fut rapidement évident que cette approche éducative ne fonctionnait pas bien. Et en priorité, le fait que cette approche conduisait à sé-parer les élèves migrants et les autres ne permettait pas une amélioration des compétences académiques, langagières et interculturelles ; elle ne permettait pas plus pour les jeunes originaires du pays d’améliorer leurs compétences in-terculturelles au travers des interactions qui auraient pu se jouer.

Parallèlement à l’éducation des immigrants, une nouvelle approche, l’éducation multiculturelle, émergeait dans de nombreux pays européens. Dans les années 80 et 90, la discussion portait toujours sur l’éducation spécialisée des enfants migrants, mais moins en focalisant la réflexion sur l’assimilation que sur celle de l’intégration ; on ne parlait cependant toujours pas d’intégration mutuelle. La culture était encore définie au sens étroit de la culture nationale mais l’orientation prise était de célébrer la diversité en offrant des événements culturels superficiels aux étudiants à l’occasion de journées spécifiques. Les approches éducatives s’intéressaient aux éléments culturels relevant du folk-lore, ce qui conduisait en fait à renforcer les stéréotypes nationaux, à stigma-tiser les étudiants issus de minorités ethniques dans une culture nationale qui n’avait souvent rien à voir avec leur identité culturelle individuelle. On parlait de «cultures différentes», de «tolérance» ; la mise en valeur de la culture natio-nale conduisait plus à séparer qu’à inclure. La culture était conçue de manière statique, et n’était liée qu’à l’origine ethnique et la nationalité, et l’éducation multiculturelle avait pour but d’enseigner sur les autres cultures. à mon sens, cette approche conduisait les enseignants à considérer les groupes minoritaires comme des «autres» au travers du renforcement des stéréotypes nationaux.

Les années 1990 voient l’émergence du concept d’éducation interculturelle avec des changements profonds dans la définition des concepts. Comme le livre de Sven Sierens «us-them-ours» (2000) le montre, «un résultat positif de ces ré-flexions fut d’accepter que l’éducation interculturelle soit un avantage pour tous les élèves, originaires du pays comme issus des groupes minoritaires. Ce courant de réflexion conduisait aussi à considérer, au moins en théorie, que l’éducation interculturelle devienne l’objectif de toutes les écoles et de tous les enseignants, sans considération de la composition de la classe et sa population.»

Les grandes différences entre éducation interculturelle et les autres ap-proches peuvent se résumer en deux points clefs : d’une part l’éducation in-terculturelle touche tous les élèves, d’autre part la culture est définie dans un sens large, ce qui rend de fait toutes les classes multiculturelles. Cette nouvelle approche amène à conclure qu’un enfant né de parents étrangers n’est pas dif-férent d’un enfant issu du territoire local.

Après avoir analysé de nombreuses définitions différentes et des théo-ries sur l’éducation interculturelle, en Europe comme aux états-Unis, j’en suis

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venue à la conclusion qu’il y a deux objectifs majeurs sur lesquels la plupart des éducateurs semblent s’entendre, à savoir que :

1. Tous les élèves devraient développer des compétences interculturelles

• qu’ils apprennent à gérer la diversité en général, dont la diversité ethnique, et en voit l’avantage ;

• qu’ils deviennent compétents pour vivre et travailler dans des sociétés interculturelles modernes.

2. Tous les élèves doivent avoir la même opportunité d’apprendre et les condi-tions doivent être telles qu’ils aient une chance égale d’accès aux processus d’ap-prentissage.

S’assurer que tous les élèves acquièrent des compétences interculturelles au sens large, cet objectif mérite une discussion plus approfondie. Quelles compé-tences sont importantes dans nos sociétés multiculturelles ? De quelles compéten-ces avons-nous besoin pour former et équiper les élèves à vivre dans des sociétés multiculturelles ? Sven Sierens introduit la notion de compétence interculturelle «pour équiper les jeunes de compétences et d’attitudes cognitives dont ils auront besoin dans un monde multiculturel, multinational et internationalisé».

Quand je demande aux étudiants ou participants de mes stages euro-péens de nommer ces compétences qu’ils considèrent être les plus importants pour leurs étudiants, j’obtiens normalement plus ou moins la même liste, quelle que soit l’origine des personnes présentes : elle ressemblerait à celle-ci :

• des compétences communicationnelles

• des compétences en terme de coopération/à travailler en groupe/capcité à travailler avec des groupes divers

• une ouvert d’esprit / une capacité à lutter contre les préjugés

• une capacité de voir les choses sous différents aspects

• une pensée créative

• une flexibilité

• un esprit critique/une capacité à sélectionner l’information

• des compétences en matière linguistique

• une capacité à gérer les conflit

• un esprit d’initiative

S’il s’agit pour nous de former des jeunes à vivre et travailler dans des socié-tés multi-culturelles , il s’agit alors bien de leur faire obtenir des compétences in-terculturelles. Ce qui nous amène à la question suivante : comment enseigner ces compétences avec nos étudiants ? Si nous repensons à la première question de cet article, à savoir que l’éducation du XXIe siècle devrait être plus à visée d’acquisition de compétences d’enseignement, et d’apprentissage pour vivre ensemble plus que d’assimilation de savoirs, la liste ci-dessus tendrait à répondre à un tel objectif.

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Le second objectif de l’éducation interculturelle est de créer les fonde-ments qui assurent un accès égal au processus d’apprentissage pour chacun. Ce but peut être raisonné de façon large, politique, où serait questionné le système scolaire en général en insistant sur sa dimension inclusive plutôt que sélective. Certains systèmes scolaires sont connus pour être très sélectifs, comme le systè-me allemand où les relations entre origine sociale et acquisition de compéten-ces sont anormalement étroitement liés. L’école islandaise est connue pour être inclusive ; seulement 0,5% de tous les étudiants sont dans des écoles spéciali-sées. Si un enseignant seul ne peut changer le système, il peut tout au moins faire évoluer les attitudes à l’égard de la diversité présente à l’école, changer de style d’apprentissage, la structure de la classe, être ouvert à l’apprentissage de nouvelles méthodes inclusives. Ce qui introduit la partie suivante de l’article, sur la question du comment.

Comment enseigner afin d’atteindre les finalités d’une véritable éducation interculturelle ?

Certains experts en éducation ont l’opinion que nous ne devrions nor-malement pas dire aux enseignants comment atteindre les finalités d’une édu-cation interculturelle. Gloria Ladson-Billings dans son livre «White teachers / diverse classrooms» déclare : «même si nous pouvions dire comment faire, je ne vous dirais pas comment faire «….» La raison est que si je vous le dit, vous ris-queriez de la faire. … En d’autres termes, vous feriez exactement ce que je vous dirais de faire, sans réflexion véritable, et sans esprit critique. Vous feriez les choses sans s’adapter aux élèves dans la classe, leurs ages, leurs capacités, leurs besoins.» Dans son article, l’auteur considère que l’attitude de l’enseignant est plus important que l’utilisation de méthodes et de matériels spéciaux. Je suis en partie d’accord avec elle ; l’attitude de l’enseignant est essentielle car un ensei-gnant à l’esprit trop étroit ou qui voit la diversité de la classe comme un problè-me n’utilisera probablement pas de méthodes inclusives et son comportement sera sans doute plus déterminant que la méthode qu’il mettra en œuvre. Mais pour les enseignants qui réellement veulent mettre en œuvre une éducation in-terculturelle, qui veulent donner à chaque étudiant la même opportunité pour apprendre et qui valorise la diversité, ceux-ci voient les bénéfices des méthodes interculturelles. Comme j’ai pu le constater avec des enseignants-stagiaires, ou des enseignants en service, beaucoup d’entre eux n’ont jamais eu aucune for-mation sur l’utilisation de nouvelles méthodes d’enseignement et n’ont jamais eu l’opportunité de les découvrir par eux même. Pour ces enseignants, la forma-tion pratique à l’enseignement interculturel est essentielle.

Revenons aux principaux objectifs de l’éducation interculturelle et réflé-chissons à la manière dont les méthodes traditionnelles (méthodes d’enseigne-

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ment frontal) favorisent une éducation interculturelle et si ils donnent à chaque élève la possibilité d’apprendre. Offrons-nous toujours la possibilité de dévelop-per les compétences communicationnelles, l’esprit de coopération, la capacité de gérer des conflits, en restant assis et en écoutant ? Les élèves apprennent-ils la pensée critique ou créative lorsqu’ils ont juste à lire, écouter et tenter de se remémorer des données ? Pourront-ils découvrir les avantages de la diversité quand la seule compétence qui est évaluée relève de la capacité à lire, écrire et avoir de la mémoire ? Pourquoi serait-il bon qu’ils aient d’autres compétences, habiletés, expériences, ou des connaissances issues de contextes extra-scolaires, quand celles-ci sont plutôt vues comme un problème qu’une diversité positive ? Et comment donnons-nous à chaque étudiant l’accès au processus d’appren-tissage, quand nous offrons une chance uniquement aux meilleurs en lecture, écriture, mémorisation, comportement, selon notre propre culture de l’école ? La culture scolaire fait diktat : être assis, regardant le tableau, écoutant et lisant religieusement, ne discutant pas avec les autres camarades, n’aidant pas l’autre, ne donnant pas notre avis sur les idées et expériences, n’interagissant pas !

Comment changer cela ? tout en continuant à enseigner notre discipline ? La réponse n’est pas facile, parce qu’il n’y a pas une seule méthode qui serait suf-fisamment bonne pour intéresser tous les élèves tout le temps. La réponse est liée à la diversité des apprentissages, la diversité des méthodes d’enseignement. Les méthodes d’enseignement où l’élève est actif, où il y a des interactions et de la communication, où la structure permet à chaque élève d’avoir accès à l’appren-tissage, sont sans doute les plus adaptées aux finalités de l’éducation intercultu-relle. Les méthodes d’apprentissage coopératif, utilisant diverses activités et jeux, utilisant des problèmes de controverse, sont des approches qui ont montré leur utilité pour atteindre ces buts. L’apprentissage coopératif est la solution la plus largement plébiscitée, pour gérer des classes hétérogènes. Il est vrai que l’utili-sation de petits groupes coopératifs augmentent l’amitié et la confiance parmi les élèves de diverses ethnies, langues, et origines raciales. Il ne faudrait pas confondre travail en groupe et apprentissage coopératif. Pour assurer une coopé-ration dans un groupe, il est nécessaire d’être très structuré, et certains principes doivent être suivis. Un groupe de travail seul n’assure pas la coopération , ni ne prévient des risques d’exclusion. Si il est mal géré et structuré, ses effets peuvent être pires que le travail individuel. Je n’irai ici pas plus loin dans la description de l’apprentissage coopératif, mais introduirai une méthode qui me parait y répon-dre : l’instruction complexe (ou C.I., en anglais pour complex instruction).

Beaucoup d’éducateurs européens et d’enseignants ont cherché des mé-thodes d’enseignement qui pouvaient porter les principes et buts de l’éduca-tion interculturelle. Il fut rapidement évident que l’apprentissage coopératif était utile pour accroitre les compétences sociales des élèves en général, et pour casser les stéréotypes et pour remettre en cause les préjugés. L’apprentissage coopératif donne aussi aux étudiants l’opportunité de découvrir que les choses peuvent être vues selon plusieurs perspectives, et que les conflits et les diver-gences d’opinions peuvent être résolus paisiblement.

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Elizabeth Cohen, sociologue à Stanford University California débuta ses re-cherches il y a 25 ans et son objectif était de chercher les aspects sociaux qui pou-vaient expliquer que certains étudiants ne faisaient pas aussi bien que d’autres, même s’ils avaient de bonnes compétences académiques, et ne souffraient pas de handicaps à l’apprentissage. Sa théorie partait du principe que le fait de met-tre les élèves en groupe pouvait favoriser considérablement l’accès aux proces-sus d’apprentissage. Elle, comme beaucoup d’éducateurs, ont découvert que plus l’élève est actif, plus la coopération entre les élèves est importante, plus la parti-cipation est active, meilleure est la compréhension des élèves. Cohen argue que, plus l’élève a des opportunités de parler sur la tâche, plus il apprend. Au début de sa recherche, elle se focalisait sur les élèves qui parlaient anglais en seconde langue ou qui avaient des origines ethniques différentes. Après avoir observé les interactions dans les classes et dans les groupes de travail pendant sept ans, elle arriva à la conclusion que certains élèves n’avaient pas accès aux tâches et en étaient rejetés par d’autres élèves du groupe. Ces élèves parlaient moins que les autres étudiants et si ils parlaient, étaient ignorés. Il était évident que ces élèves n’avaient aucun souhait à l’égard de leurs compétences et qu’à la fin ils aban-donnaient l’idée d’être des apprenants actifs. Parfois ils devenaient silencieux et semblaient non motivés ou ils essayaient de perturber le processus coopératif, pour lequel ils ne pouvaient avoir accès. Cohen appellent ses élèves, élèves faible-ment positionnés. Les principaux concepts de la théorie de Cohen sont relatifs à la façon de créer des conditions dans la classe où les étudiants dans une classe mul-ticulturelle ont accès de manière équivalente au processus d’apprentissage. L’ins-truction complexe (CI) a pour elle trois composantes majeures :

1. Les curricula de capacités multiples sont désignés pour favoriser le dévelop-pement de la pensée à un niveau supérieur au travers de groupes de travail or-ganisés autour d’un concept central, ou d’une idée clef. Les tâches à assigner sont libres, requérant des étudiants un travail interdépendant pour résoudre un problème. Plus important, les tâches requièrent un large éventail de capacités intellectuelles afin que les étudiants de différentes origines, de différents ni-veaux, puissent avoir une contribution pertinente dans les groupes de travail.

2. Utilisant des stratégies spécifiques, l’enseignant forme les étudiants à utiliser des consignes coopératives et des rôles spécifiques pour gérer leur propre grou-pe de travail. L’enseignant est libre pour observer les groupes attentivement, pour donner des feed-backs spécifiques, et pour traiter des problèmes relevant des statuts de chacun, problèmes qui engendrent une participation inégale au sein des membres des groupes.

3. Pour assurer un accès égalitaire à l’apprentissage, les enseignants appren-nent à reconnaitre et traiter des problèmes liés à la gestion des statuts de cha-cun. Les recherches en sociologie démontrent que dans les CI, plus les élèves parlent et travaillent ensemble, plus ils apprennent. C’est particulièrement vrai pour les élèves en difficulté. Les élèves qui sont socialement plus isolés ou qui ont des manques en termes de compétences académiques ont généralement

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une participation défectueuse et apprennent moins que si ils avaient été actifs. Dans les CI, les enseignants utilisent la distribution des rôles pour ouvrir les re-présentations des élèves sur ce que veut dire être respectueux, et de convaincre les élèves qu’ils ont chacun des contributions intellectuelles à apporter dans des taches supposant des capacités multiples.

Le chercheur en éducation hollandais, Peter Batelaan du Pedagogsche Hogeschool d’Utrecht, avec une équipe d’enseignants et d’éducateurs originai-res de différents pays européens fut le premier à importer les idées de Cohen en Europe et de les mettre en relation avec les réflexions européennes sur l’éduca-tion interculturelle.

CLIM (Cooperative Learning in Multicultural Groups), apprentissage coo-pératif dans les groupes multiculturels, est la version flamande du C.I.. Elle est adaptée aux situations éducatives européennes. The Steunpunt Diversiteit & Leren, centre d’éducation interculturelle de Gent en Belgique, a élaboré une sé-rie de matériels pédagogiques fondée sur les principes de CLIM et en Belgique. CLIM y est une méthode déjà bien connue qui a été mise en œuvre dans de nombreuses écoles depuis maintenant sept ans.

CLIM est fondé, je le disais, sur l’idéologie du CI. Les élèves travaillent en-semble dans des groupes hétérogènes en charge de gérer la diversité au travers d’interactions répondant à des défis riches et stimulants. L’intention est de per-mettre aux élèves d’acquérir et comprendre un certain nombre de concepts par unité. Une information complète sur les concepts et notions est donnée à l’ap-prenant via des fiches «ressources» qui stimulent leurs idées et connaissances.

Selon Filip Paelman, formateur d’enseignant belge et auteur de plusieurs conceptions de CLIM, cette méthode est un système complexe où deux facteurs clefs sont centraux : l’interaction et le positionnement dévolus aux élèves. Avoir des élèves travaillant en groupe ne favorise pas nécessairement plus d’interac-tions, mais y ajouter une distribution de rôles, des positionnements à chacun peut modifier fondamentalement les attitudes au travail. Les groupes de tra-vail sont sensés enseigner l’esprit de coopération mais peuvent dans les faits conduire à des effets de domination et d’exclusion et avoir des effets contre-productifs. Ces phénomènes sont directement liés avec le positionnement de l’élève. Plus le positionnement de chaque élève est pris en compte, valorisé, plus les étudiants ont des chances de participer aux activités et s’impliquer dans les interactions. CLIM, comme les CI, s’intéresse au positionnement des élèves dans les processus pédagogiques, et tout particulièrement avec les élèves dit « en po-sitionnement bas » dans la classe. Différentes méthodes peuvent y participer que Cohen englobe sous le terme de «traitement des positionnements».

Un processus CLIM consiste en sept étapes. Cinq d’entre elles sont des ac-tivités qui prennent place entre une leçon introductive et une phase de synthè-se. Les cinq activités sont mises en œuvre simultanément par cinq groupes de

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travail, chaque groupe s’intéressant plus particulièrement à certaines activités, leur permettant d’acquérir partiellement les concepts à apprendre, en l’abor-dant sous un certain angle ; chaque activité sollicite différentes intelligences (à partir des travaux de H. Gardner sur les intelligences multiples). Les groupes ne changeront pas durant le processus et chacun a un rôle spécifique au sein de son groupe. Les rôles tournent au sein du groupe d’une activité à une autre. Ils tourneront donc cinq fois, jusqu’à ce que toutes les activités soient terminées.

Les activités proposées exigent de nombreuses interactions et un fonc-tionnement coopératif (les questions sont ouvertes). Pour pouvoir les mener à bien, différentes capacités sont requises ce qui conduit à une coopération né-cessaire pour valoriser les idées, expériences et compétences de chacun. Ils de-vront aussi mobiliser de nombreuses compétences interculturelles comme des compétences en communication, en résolution de problèmes, en créativité, en esprit critique, etc... Le schéma ci-dessous présente un exemple de CLIM sur un sujet d’injustice sociale et de discrimination.

4. Changerons-nous ?

Pouvons nous influencer la justice

et la discrimination ?

A. Activité Discussion sur

les moyens d’influencer les attitudes

des gens

B. Activité Faire un aposter contre toute forme de préjugé ou discrimination

1. Attention

5. Que disent les journaux ?

A. Activité Réponds à des questions sur

l’influence des médias vis-à-vis des stéréotypes

B. Activité écrit deux comptes-rendus, l’un avec l’autre sans stéréotypes

2. Rock ou Rapp ?

A. Activité Analyser

comment les artistes peuvent

utiliser leurs influences

B. Activité Choisis et chantes une chanson où le texte parle de discrimination.Explique en quoi

3. Les craintes

A. Activité Réponds à des questions sur

l’équité et la justice

B. Activité Fais un jeu ou l’inéquité évolue vers l’équité

A. Activité Réponds à des

questions sur la migration

B. Activité Rédige une lettre d’information leafletter ou une page web pour de nouveaux

Peut-on changer quelque chose ?

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Plus l’élève est actif et plus il apprend, plus il a de temps pour communi-quer sur un sujet, pour expliquer aux autres, plus sa compréhension du sujet est précise, n’est pas chose nouvelle. La question est de savoir si les enseignants don-nent souvent l’occasion à leurs élèves d’apprendre de cette façon-là. Dans trop de classes en Europe, la structure est la même qu’il y a cent ans, même si le contexte social a énormément changé. L’enseignant parle et est parfois la seule personne active dans la salle, les élèves sont supposés être naturellement motivés.

J’ai expérimenté au travers de mon propre enseignement, de l’école pri-maire à l’université, des tâches d’apprentissage coopératives bien structurées, utilisant les activités de CLIM et d’autres méthodes intégratrices. Mes élèves non seulement apprennent plus mais aussi ont beaucoup plus de plaisir à ap-prendre. L’atmosphère dans la classe change réellement. Après quelques semai-nes, les élèves sont prêts à travailler avec tous leurs collègues, ils se connaissent mieux et se respectent mieux. N’est-ce pas cela une réponse à certains objectifs de l’éducation au développement durable ?

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BibliographieAuernheimer G., 2003, Einführung in die Interkulturelle Pädagogik. Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt.

Batelaan P. (ed.), 1998, Towards an equitable classroom. Cooperative Learning in Intercultural Education in Europe. International Association for Intercultural Education. Hilversum.

Cohen E.G., Lotan R.A., 1997, Working for equity in heterogeneous classrooms. Sociological Theory in Practice. Teachers College Press, New York.

Joos A. (ed.), 2005, CLIEC, a report on the methodology of cooperative learning and its implementation in different European educational settings, Steunpunt Interculturel Onderwijs, Universiteit Gent .

Landsman J., Lewis W. C (ed)., 2006, White teachers / Diverse Classrooms. Stilus Publishing, LLC. Virgina.

Sinclair M., 2004, Learning to live together: Building skills, Values and Attitudes for the twenty-first century, UNESCO: International Bureau of Education, Geneva. http://www.ineesite.org/core_references/Learning_to_Live_Together.pdf

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Sierens S. (ed.) Us, 2000, Them, Ours. Points for attention in designing interculturallly sound learning materials. Centre for intercultural education. Ghent, Belgium

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éducation et Développement : pour une nécessaire

introspection culturelle

Loïc Braïda formateur d’enseignant,

SupAgro Florac

« Être conscient que demain existera et que je peux avoir une influence sur lui est le propre de l’Homme »

A. Jacquard

« Il faut distinguer pour les décennies à venir le prévisible, le probable et l’incertain en tenant compte

que très souvent l’inattendu arrive »

E. Morin

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En guise d’introduction...

Il est toujours instructif de se pencher sur l’origine des mots utilisés dans la construction d’une expression. La consulta-tion de quelques dictionnaires français (Larousse, 200� ; Ro-

bert,1��4 ; Littré, version en ligne consultée en novembre 200�) nous renseigne sur l’étymologie de ceux utilisés pour exprimer le concept d’« éducation au développement » :

éducation :

1. Action d’éduquer, de former, d’instruire quelqu’un. manière de comprendre, de dispenser, de mettre en œuvre cette formation.2. Action de développer méthodiquement une faculté particulière.

�. Connaissance des bons usages d’une société.

Développement :

1. Action de développer, de déployer quelque chose.

�. Action d’évoluer, de progresser ; son résultat.

�. Amélioration qualitative durable d’une économie et de son fonctionnement.

Si ces définitions sont instructives, elles ne suffisent néanmoins pas à saisir pleinement le sens, le poids pris par leur association. Il est en effet nécessaire d’aller au delà des mots pour appréhender l’envergure du concept mais également les différents obstacles qui lui sont associés.

C’est ce que nous proposons de faire dans les paragraphes suivants avec comme objectif la mise en évidence d’un certain nombre d’obstacles sociaux, culturels et épistémologiques que rencontre la mise en œuvre de l’éducation au développement.

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Sur la construction du concept : étymologie versus politique

C’est dans l’espace associatif de la solidarité internationale, ce que l’on ap-pelle les ONG ou, comme le préfèrent les acteurs eux-mêmes, les associations de solidarité internationale (ASI), que le terme d’« éducation au développement » (ED) connaît un grand usage. Aujourd’hui, on préfère parler d’« éducation au développement et à la solidarité internationale » plutôt que d’« éducation au développement » tout court. Cette évolution des termes renvoie au chemin par-couru par les associations de solidarité internationale.

Dans la période de l’Après-guerre l’opinion publique occidentale recon-naît l’existence de zones en situation de « retard », de « sous-développement » dans le monde. Le mélange des sentiments liés à la culpabilité des pratiques coloniales, aux souvenirs récents de la souffrance dû à la perte de millions de vies humaines mais également aux possibilités économiques croissantes est favorable à l’émergence d’un élan de solidarité des occidentaux riches envers les plus pauvres de la planète. Les actions menées par les ONG à cette époque tiennent plus des campagnes d’information destinées à lever des fonds qu’à une réelle démarche éducative.

à partir des années 1960, le mythe de la modernité est remis en question par l’actualité brulante de cette décennie (instabilités politiques de nombreux pays, crise pétrolière, crise économique, mouvements sociaux...). La thèse de la dépendance est avancée affirmant que le sous-développement ne constitue pas un retard mais plutôt une conséquence de l’exploitation de certaines nations dominées par d’autres, dominantes. à la phase de communication succède une période d’analyses des causes et conséquences du développement.

Toutefois, la vision d’un monde, strictement coupé en deux, riches au nord et pauvres au sud, commence à s’enrichir avec l’apparition de la notion de mal-développement et l’idée de développement autocentré dans le courant des années 1970. Les évolutions touchent également la dimension éducative avec la prise de conscience d’une nécessaire rénovation des pratiques pédagogiques (Illich, Freire, Boal...).

Au cours de la décennie 1980, la multiplication des crises et des conflits de portée mondiale, provoque la naissance d’un puissant courant pacifiste à l’origine d’un mouvement d’éducation à la paix. Par ailleurs, la crise de la dette des pays du tiers monde favorise une prise de conscience des limites des démar-ches entreprises par les institutions de Bretton Woods. Ainsi apparaît la notion de développement humain destinée à atténuer la prééminence des indicateurs économiques. Les entrées de l’éducation au développement s’enrichissent de nouvelles thématiques (environnement, armement et conflits, croissances des flux migratoires, crise alimentaire, situation des femmes et des enfants...). Un

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espace de contestation du modèle dominant du développement monte dans le même temps sur la scène politique. En particulier, le débat sur les limites de la croissance et son impact sur l’environnement met en évidence le fait que ce modèle ne peut être généralisé à toute l’humanité.

Les années 1990 voient l’apparition d’un nouvel enjeu avec le passage du bipolarisme à une pensée qui se veut unique. Elle s’enrichit encore de nouvelles missions pour un monde plus juste, un développement équilibré, soutenable et équitable. Il lui faut également faire face à des poussées racistes et xénophobes ainsi qu’à la montée de nationalismes et d’ethnismes partout autour du monde.

Selon A. Miguel Sierra :

« il n’y a pas une définition d’éducation au développement. Toute signifi-cation dépend du sens que l’on attribue à ces deux mots-clés et cela a varié selon le temps et l’espace. C’est avant tout un processus, un mouvement en évolution qui opère des liens entre plusieurs actions, plusieurs idées, plusieurs pays ». (A. Miguel Sierra, 1997)

En effet, selon les acteurs ses orientations peuvent varier et être présen-tées comme :

processus d’apprentissage actif qui repose sur des valeurs de solidarité, d’égalité, d’inclusion et de coopération ; valeurs universelles ? Comment ont-elles émergé ?

ensemble des moyens mis en œuvre pour sensibiliser le public à la nécessité d’une solidarité (autre valeur dite universelle) Nord-Sud pour contrecarrer les effets néfastes de la mondialisation et rééquilibrer les échanges entre pays in-dustrialisés et pays en développement ; donc non remise en cause de l'échange

processus permettant de dépasser le stade initial de la prise de conscience des priorités internationales en matière de développement et de développement humain en favorisant la compréhension des causes et impacts des enjeux in-ternationaux ;

processus encourageant la pleine participation de tous les citoyens à l’éradi-cation de la pauvreté mondiale et la lutte contre l’exclusion (autres concepts intéressants à approfondir sur un plan épistémologique) ;

promotion de politiques nationales et internationales plus justes et durables que ce soit aux niveaux économique, social, environnemental ou en matière de droits de l’homme (qui prône le droit de l'individu , autre conception occidentale)

processus éducatif inscrit dans la durée, construit et porté par une pédagogie qui doit aboutir à une modification des comportements. Lesquels ? …

Les actions menées visent pour la plupart les conséquences inégalitaires d’une mondialisation. Certaines d’entre elles abordent la questions des causes, mais majoritairement sous les angles historique ou politique. Une minorité aborde la problématique dans la profondeur de l’univers des idées.

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Sur la construction d’un mythe fondateur : étymologie versus idéologie

En écho, l’approfondissement de nos lectures des dictionnaires nous amène à considérer l’exemple suivant : « Pays en voie de développement (PVD) ou Pays en développement (PED) : pays du tiers-monde qui, partant d’un état de sous-développement économique et social a entamé un processus de dévelop-pement » (Larousse, 2005).

Si cet exemple se propose d’illustrer la notion de développement par une sorte de « caractérisation en creux » cette approche nous renvoie inévita-blement à la conception de l’évolution des sociétés défendue par l’économiste américain Walt Whitman Rostow qui se décline en cinq étapes : « société tra-ditionnelle, prédécollage, décollage, maturation, société de consommation » (Rostow, 1960).

Bien que cette vision extrêmement linéaire continue à être critiquée, elle représente la théorisation d’une pensée largement répandue dans le monde oc-cidental (Amérique du Nord, Europe Occidentale) depuis plus d’un siècle.

Le 20 janvier 1949, le 33éme président des états-Unis d’Amérique, Harry S. Truman, utilise dans son discours d’investiture le terme de développement. S’il n’« invente » pas le mot lui même, l’usage qu’il en fait, et en particulier dans le point IV de son discours, marque la naissance d’un concept nouveau :

« Il nous faut lancer un nouveau programme qui soit audacieux et qui mette les avantages de notre avance scientifique et de notre progrès industriel au service de l’amélioration et de la croissance des régions sous-développées [...] Les états-unis occupent parmi les nations une place prééminente quant au développement des techniques industrielles et scientifiques […] Et, en collaboration avec d’autres na-tions, nous devrions encourager l’investissement de capitaux dans les régions où le développement fait défaut […] Notre but devrait être d’aider les peuples libres du monde à produire, par leurs propres efforts, plus de nourriture, plus de vêtements, plus de matériaux de construction, plus d’énergie mécanique afin d’alléger leurs fardeaux […] Avec la collaboration des milieux d’affaires, du capital privé, de l’agriculture et du monde du travail de ce pays, ce programme pourra accroître grandement l’activité industrielle des autres nations et élever substantiellement leur niveau de vie […] Tous les pays, y compris le nôtre, profiteront largement d’un programme constructif qui permettra de mieux utiliser les ressources humaines et naturelles du monde. L’expérience montre que notre commerce avec les autres pays s’accroît au fur et à mesure de leurs progrès industriels et économiques […] Une production plus grande est la clef de la prospérité et de la paix. Et la clef d’une plus grande production, c’est une mise en œuvre plus large et plus vigoureuse du savoir scientifique et technique moderne ».

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Une balise est posée indiquant « l’Américan Way of Life ».

Notre propos n’est pas d’occulter la part d’humanisme de cet homme po-litique démocrate. Toutefois, au sortir de la seconde guerre mondiale, le père du plan Marshall qui permit la reconstruction d’une Europe dévastée, a largement et activement contribué à l’édification et au rayonnement d’un mythe identi-fiant le progrès économique au progrès social. Et ce mythe, dont sont dénon-cées les limites par l’émergence des « développements à particule », « social, humain, autocentré, endogène, participatif, local... etc », (S. Latouche, 2005) et qui seraient « destinés à conjurer les effets négatifs de l’entreprise développe-mentaliste » (M. Poncelet, 1994)) perdure néanmoins, profondément ancré dans les cultures occidentales.

En effet, les racines historiques de la mondialisation économique et culturelle actuelle se trouvent dans l’ethnocentrisme occidental. La vision du monde et le modèle occidental de société sont présentés, dans le contexte de la domination coloniale et post-coloniale, comme un modèle universel à suivre. Les puissances coloniales ont eu besoin de légitimer l’imposition de leurs systè-mes aux peuples indigènes. Ce processus a impliqué la construction d’un ima-ginaire qui permet de fabriquer de toutes pièces l’infériorité de ses victimes, mécanisme idéologique qui sert à justifier toutes sortes d’injustices. Comme l’affirme P. Dasen :

« Dénigrer l’opprimé sera la règle fondamentale dans une échelle de valeurs qui appartient à la culture dominante, structurée à partir de l’imposition de l’univer-salité de sa civilisation considérée comme la seule et unique base pour imaginer aussi un modèle unique de société, d’économie, de politique et de culture » (Dasen et al, 2007).

L’évangélisation, en tant que première période de l’imposition de l’eth-nocentrisme européen, commence au XVe siècle dans le contexte américain et se poursuit encore de nos jours. La civilisation des indigènes constitue la deuxième période de ce processus qui commence à la fin du XVIIIe siècle. Les indigènes deviennent des sauvages à civiliser, le rituel sera l’alphabétisation en langues coloniales qui sont les langues dominantes (une Amérique Latine his-panophone et une Afrique francophone...), et l’école deviendra l’instrument de la domination coloniale par excellence car elle permet l’imposition des cultures et des langues officielles. L’école joue un rôle fondamental dans la négation des identités culturelles. La seule «intégration » possible proposée aux peuples indi-gènes à travers l’école, est l’acceptation de la langue et de la culture dominantes officielles au détriment de la diversité culturelle et linguistique réelle.

Un aspect important de l’ethnocentrisme européen est le mythe de la mo-dernité (liberté, justice et vision laïque du monde). Comme l’affirme A. Touraine :

« L’occident a longtemps cru que la modernité était le triomphe de la raison, et la destruction des traditions, des croyances et des appartenances » (Touraine, 1993).

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La modernité va imprégner l’histoire européenne de la révolution indus-trielle, avec la constitution de l’état-Nation, comme modèle politique d’état. Cette conception de l’état prône la défense d’une Nation mythique, qui suppose un peuple avec une histoire, une langue et une culture homogène. L’état-Na-tion, en tant que modèle politique, finit en réalité par nier la diversité culturelle et linguistique réelle qui caractérise les différents peuples habitant les terri-toires déclarés par les nouveaux états. C’est dans la prétention d’homogénéi-ser les populations d’une manière autoritaire, que se trouvent les racines des problèmes contemporains, des conflits ethniques et religieux non résolus qui déchirent l’Amérique, l’Afrique, l’Asie et l’Europe de nos jours.

La modernité dans le sens européen et nord-américain a été considérée comme la voie pour atteindre la liberté, la justice et le droit dans une société plus démocratique. Dans les contextes issus de la domination coloniale, la mo-dernité devient une réalité non accomplie. à la fin du XIXe siècle, la moderni-sation se limite à une proposition idéologique pour légitimer l’expansion du capitalisme comme la réalisation du mythe du progrès (Marín, 1994). Ce mythe va créer des oppositions fallacieuses entre le moderne et les acquis des cultures traditionnelles et entre la culture écrite et la culture orale. Les ravages provo-qués par le mythe du progrès n’ont pas épargné non plus les pays industrialisés qui ont été à son origine (Amin & Houtart, 2000 ; Lempen, 1999 ; Marín, 1994 ; Montoya, 1992 ; Quijano, 1988 ; Touraine, opus citae).

Des énoncés comme le mythe du progrès, du développement, de la crois-sance économique indéterminée, de la nouvelle économie et de la mondiali-sation sont confrontés aux défis posés par la problématique de l’écologie. Or, dans la conception occidentale, la dimension écologique était absente. ce qui, selon Dasen : « explique le clivage auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, issu du divorce entre l’économie et la nature » (Dasen et al, opus citae). Actuel-lement, nous sommes obligés de tenir compte de la dimension écologique dans toutes les sphères de la pensée et de l’activité humaine (Costa, 2000 ; Ki-Zerbo, 1992; Mar’n, 2000 ; Narby, 1995). La vision occidentale du monde est basée sur-tout sur la dimension du temps rationnel et en conséquence, se calque sur la productivité et la rentabilité, sans tenir compte de l’espace, fondamental dans les cultures traditionnelles, où la nature (l’environnement) occupe une place prépondérante dans la vision du monde.

L’école a véhiculé (et continue à le faire, secondée par la télévision, les médias, Internet...) aussi l’imposition de toute cette conception occidentale qui a privilégié la culture écrite au détriment de la culture orale et des savoirs de la culture traditionnelle, et a fini par sacrifier un énorme patrimoine culturel col-lectif. Le savoir officiel institutionnalisé par la culture dominante ne comprend qu’un petit territoire du savoir réel. Toutes les richesses des savoirs de la vie quotidienne qui font partie de l’éducation traditionnelle ont été exclues par les institutions de la culture officielle imposée par l’occident (Dasen, 2000b, 2004).

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Autrefois la modernisation et aujourd’hui la mondialisation, propo-sent un «modèle de culture unique », derrière lequel tous les peuples doivent s’aligner, sans aucun respect de la diversité culturelle. Bien entendu, l’ethno-centrisme n’est pas uniquement occidental, il appartient à l’histoire des peu-ples de l’humanité : « tous les peuples se centrent sur leurs propres cultures pour s’affirmer envers les autres » (Camilleri, 1993). Ou encore, selon la pensée bergsonienne : « Notre esprit a une irrésistible tendance à considérer comme plus claire l’idée qui lui sert le plus souvent » (Bergson, 1934). Mais pour Dasen, « l’ethnocentrisme européen, au cours de l’histoire, a créé des implicites pour légitimer l’entreprise coloniale et post-colonial » (Dasen et al, opus citae). Un de ces implicites, encore présent aujourd’hui et continuant d’exercer une influence est celui de l’universalité de la culture occidentale. C’est à partir de cet impli-cite que l’on trouve la tendance à inférioriser le savoir, la vision du monde, la conception et le mode de vie des autres cultures.

Impossible pourtant d’en rester là... Comment dépasser ces obstacles si profondément et presque inconsciemment ancrés dans nos esprits ? Quel rôle peut jouer l’éducation dans ce contexte ?

En reprenant les informations étymologiques abordées en introduction, l’éducation se définit comme une « action de développer méthodiquement une faculté particulière » ou encore comme une « connaissance des bons usages d’une société ».

De quelle « méthode » parle-t-on ? Qu’entend-on par « bons usages » ?

Sur le démontage d’un carcan culturel : éducation versus idéologie

Dans les pays occidentaux c’est l’école qui a progressivement concentré les principales missions éducatives.

Traditionnellement, les ONG ont maintenus des contacts ponctuels avec le milieu scolaire à l’occasion de campagnes de soutien de projets de dévelop-pement. L’élève se voit confier alors la vente de produits « au bénéfice de... » (A. Miguel Sierra, 1997). Ces actions n’en font pas pour autant un détenteur d’idées, voire un partenaire potentiel pour un débat constructif.

Il existe, en Europe en général et en France en particulier, une volonté politique de favoriser de plus en plus l’entrée de l’éducation au développement à l’école (voir la liste des différents arrêtés, circulaires et notes de services rela-tives à cette problématique à la fin de ce document).

Mais de quelle manière se réalise cette entrée en matière ?

L’article 9 de la loi du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école arrête le principe d’un socle commun de connaissances et de

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compétences : « la scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun de connaissances et de compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et pro-fessionnel et réussir sa vie en société ». Elle édicte dans son article 2 que : « la nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la république » comme élément central du socle commun. Selon la DGES, il s’agit là de répondre à la nécessité de définir des savoirs indispensables en réponse à une diversification des connaissances.

Selon D. Borne, Doyen de l’Inspection Générale de l’éducation Nationale en 2006, « l’école de la république, ciment de la Nation, est la source de l’identité française ». Il ajoute que « valeur fondamentale de la République, la laïcité est en grande partie entrée dans l’état par son école ».

Or, « La laïcité distingue le domaine des croyances, qui relève de la liberté de chacun, du domaine des connaissances rationnellement fondées qui s’impo-sent à tous. à l’école, les enseignants apprennent aux élèves la recherche d’une vérité fondée sur la raison. Pratiquer la laïcité dans les classes, c’est amener les élèves à la recherche de la vérité par une démarche intellectuelle rigoureuse, sans rejeter pour autant les croyances personnelles » (DGES, MEN, 2008)

La culture humaniste (pilier 5 de l’école républicaine) « donne aux élèves des références communes », elle « développe la conscience que les expériences humaines ont quelque chose d’universel » (DGES, MEN, 2008)

Les mots en caractères gras relevés dans ces citations pourraient permet-tre d’illustrer une dérive positiviste du discours.

En quoi ceux qui prône une éducation au développement sont ils cultu-rellement marqués ?

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En guise de conclusion

Nous voyons apparaître une contradiction entre, d’une part la volonté de lutter contre une hégémonie intellectuelle à des fins d’ouverture, de prise en compte de la différence, de relati-visme culturel et, d’autre part, celle de lutter contre la diversifica-tion des savoirs en imposant de manière transversale cette laïcité pouvant facilement être identifiée à une sorte d’ethnocentrisme législatif ?

Il semble en effet que cette situation soit propice au ren-forcement des obstacles (selon l’acception bachelardienne du terme) entre la volonté politique d’un côté et la privation des moyens de les dépasser de l’autre. Peux-tu développer ? L’éduca-tion au développement ne conduit-elle pas à reproduire certains schémas de penser ? Sur des conceptions de la croissance ?

Cette situation ne s’arrête pas à nos frontières, bien au contraire. à l’heure où l’on parle d’éducation au développement en France, l’éducation Pour Tous (EPT) et la Scolarisation Pri-maire Universelle (SPU) visent à renforcer le développement des pays les plus pauvres d’ici 201�. Cette généralisation de la scola-risation des jeunes jusqu’à l’age de 11 ans constitue un formida-ble outil d’uniformisation culturelle sur la voie, bien balisée, du développement.

L’éducation interculturelle aurait de beaux jours de-vant elle... Si on laissait une place aux cultures dans l’appareil éducatif....

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BibliographieAmin et Houtart, 2000, Mondialisation et alternatives,< CETIM/AAJ/LIDLIP/WILPF. Http://www.cetim.ch/fr/publications_details.php?pid=27 (consulté en octobre 2008).

Bergson H., 1934, La pensée et le mouvant. PUF, Paris.

Camilleri C., 1993, Le relativisme : du culturel à l’interculturel, In : F. Tanon et G. Vermes (Eds.), L’individu et ses cultures. Ed. L’Harmattan, Paris.

Costa, 2000, L’homme - nature ou l’alliance avec l’univers. Entre indianité et modernité. Ed. Sang de la terre, Paris.

Dasen P., 2000 b, Développement humain et éducation informelle, In : P. Dasen et C. Perregaux (Eds.) Pourquoi des approches interculturelles en sciences de l’éducation. Collection « Raisons éducatives » n°3, Ed. DeBoëck Université, Bruxelles.

Dasen P., 2004, éducation informelle et processus d’apprentissage, In : A. Akkari et P. Dasen (Eds.) Pédagogies et pédagogues du sud. Ed. L’Harmattan, Paris.

Dasen P., 2007, L’approche interculturelle du développement, In : J. Lautrey (Ed.) Psychologie du développement et de l’éducation. PUF, Paris.

Dictionnaire Larousse, édition 2005.

Dictionnaire Le Petit Robert, édition 1984.

Ki-Zerbo, 1992, La natte des autres (pour un développement endogène en Afrique). In : Actes du Colloque du Centre de Recherche pour le Développement Endogène (CRDE). Ed. CODESTRIA, Karthala, Paris.

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Une éducation au développement local pour un développement durable :

s’inscrire dans une logique de partage

Guy Lévêque chargé de mission « Europe et développement des territoires ruraux »,

SupAgro Florac

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Les diverses évolutions du concept de développement lo-cal depuis les années �0 font apparaître une constante : pour être durable, un processus de développement local

doit faire l’objet d’une large appropriation par le plus grand nombre. Pour illustrer cela, nous avons fait le choix de présen-ter ici deux expériences conduites au sein de l’enseignement agricole, en prise directe avec des territoires d’expérimentation, et développées sur cinq pays de l’union européenne. Ces deux dispositifs ont fait l’objet d’un soutien de la commission euro-péenne au travers du programme Léonardo Da Vinci.

Dans ce processus d’appropriation, deux acteurs ont un rôle de catalyseur dans l’interface avec le territoire et ses habi-tants : Le formateur et l’agent de développement local, plus jus-tement appelé animateur. C’est à travers un échange entre ces deux acteurs de premier plan que vont, entre autres, se cristal-liser les conditions d’un développement durable des territoires. Pour faciliter ces échanges, et conforter la mission d’appui de l’enseignement agricole au développement durable des territoi-res ruraux, l’équipe de SupAgro Florac a mis en œuvre un projet de construction d’un centre de ressources commun aux forma-teurs et agents de développement local.

Diverses études menées par les partenaires du projet FormaTer� ont démontré que les informations sur les projets des acteurs locaux - aussi bien au niveau de la construction du projet de développement qu’à celui du dispositif de forma-tion et d’accompagnement - n’étaient pas forcément connues et ne pouvaient donc être exploitées et transférées à d’autres porteurs de projets individuels ou collectifs. Conséquence de ce manque d’information, le mode de valorisation de ces expérien-ces ne permettait pas leur bonne appropriation par d’autres acteurs locaux.

Dans le même temps, nous avons pu constater que les agents de développement rencontraient des difficultés à trou-ver de l’information sur des expériences, ou plus simplement sur l’offre de formation disponible et mobilisable pour répondre aux demandes des acteurs locaux.

9. http://www.formater.com

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Partager une culture du territoireLes partenaires de FormaTer ont donc pris le parti de créer les conditions

pour que formateurs et animateurs de développement travaillent ensemble sur les territoires. Il fallait pour cela mettre en place un dispositif commun à des professionnels qui n’étaient pas, à priori, destinés à travailler ensemble.

Le dispositif Formater a été construit dans une logique « d’étude-action », qui consiste à construire une démarche appropriée de lecture de besoins par rapport à une situation donnée sur un territoire et à engager une réflexion sur la pertinence d’actions à mettre en œuvre au regard de ces besoins. La méthode permet d‘associer des temps « d’étude » et des temps « d’action ». Ces deux temps se distinguent et se complètent afin de déboucher sur une connaissance affinée d‘une situation et sur le test d‘éléments de réponse face à cette même situation.

Les partenaires sont partis de la connaissance des besoins qu‘ils avaient constatés auprès de leurs utilisateurs respectifs, ainsi que des résultats d‘études actions qui préconisaient la construction d‘un centre de ressource commun aux formateurs et agents de développement local. Ils ont ensuite procédé à des en-quêtes de territoire pour vérifier la validité de leur projet.

Ces enquêtes ont fait l‘objet d’une synthèse des besoins exprimés, et ont donné lieu à la construction du site web FormaTer. Les partenaires ont ensuite élaboré les outils de collecte de données et les ont soumis à la validation de groupes locaux de réflexion. Ils ont en parallèle conduit une réflexion quant aux supports susceptibles de répondre aux besoins des utilisateurs, et de susciter en retour leur plus grande participation au dynamisme du dispositif.

Il est apparu lors de la mise en place de ce centre de ressources que, pour inscrire leur action dans une dynamique de développement durable, les acteurs locaux avaient besoin de disposer d’une information en temps réel, de connaître à minima l’environnement politique et législatif dans lequel elle s’inscrivait, de connaître des expériences mises en œuvre sur des problématiques similaires, et d’en tirer certains enseignements, et enfin de disposer d’un certain nombre d’outils méthodologiques mobilisables dans leur pratique quotidienne.

Tout au long de la démarche, les partenaires se sont attachés à construire une série d‘indicateurs de sélection des ressources à mettre en ligne. Le disposi-tif a été finalisé en 2003.

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Passer du partage à la co-constuction de ressources

L’expérience démontre que le centre de ressources FormaTer, s’il a répon-du aux attentes de ces concepteurs, a trouvé ses limites dans un des principes qui avaient présidé à sa création : la mutualisation de ressources.

Si l’on fait l’impasse sur les phénomènes classiques qui grèvent les dispo-sitifs de ce type, - à savoir le manque de temps des formateurs pour écrire sur leurs pratiques, la difficulté à le faire sans l’aide d’une tierce personne tenant le rôle de facilitateur, ou le fait tout simplement d’être la plupart du temps en face à face – on constate que la simple mise en commun de ressources ne suffit pas à créer les conditions d’une véritable éducation au développement durable.

Le projet VIVRE10, développé à la suite de FormaTer, a apporté une évolu-tion majeure dans cette dynamique de partage des valeurs du développement durable : celle de la co-constuction de réponses pédagogiques concrètes par l’ensemble des acteurs des territoires.

Partant du constat que la mutualisation de ressources ne suffisait pas à elle seule à créer une véritable culture du territoire, les promoteurs du program-me VIVRE ont mis en œuvre une démarche basée sur un échange permanent entre trois groupes d’acteurs du territoire. Des porteurs d’idées ou de projets en phase plus ou moins avancée de finalisation, des formateurs et agents de déve-loppement local, et des institutions et élus locaux.

Ces trois catégories d’acteurs se sont régulièrement réunies sur les huit territoires d’expérimentation répartis sur cinq pays partenaires pour mettre en œuvre une démarche de construction collective d’un dispositif d’accompagne-ment de porteurs de projets dans une dynamique de développement durable des territoires ruraux.

Il est apparu à l’occasion des divers échanges au sein des territoires des partenaires, mais aussi à l’occasion des divers séminaires transnationaux, que pour s’installer durablement sur un territoire, une personne devait y être en tout premier lieu être accueillie, et une bonne intégration passe avant tout par la vitalité d’un réseau, c’est la première composante du dispositif VIVRE.

Pour tester, valoriser et adapter son projet aux réalités locales, le porteur de projet a besoin d’un lieu d’échange, c’est la seconde composante du dispositif VIVRE au travers de l’Agora Projets.

Enfin, pour mettre en œuvre son projet, en franchir les diverses étapes, un porteur d’idées a besoin, selon son niveau de préparation, d’une simple feuille de route ou d’un cursus de formation plus structuré, c’est la troisième compo-sante du dispositif VIVRE développée au travers d’un guide méthodologique.

10. http://www.vivreurope.org

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L’expérience s’est avérée fort intéressante et a mis en avant plusieurs composantes d’une éducation territoriale au développement durable.

La rencontre –inhabituelle et improbable dans une vision classique de l’action locale- entre des décideurs, élus locaux ou institutionnels et des por-teurs de projets dans une logique d’inter-connaissance et de vision partagée du territoire met en place les conditions d’une dynamique de projet à travers une meilleure connaissance de l’autre.

Un travail sur les représentations des différents groupes locaux, un échange sur leurs problématiques respectives, permet un véritable débat de fond sur les besoins et des attentes de chacun.

Mis en commun, ces besoins constituent une véritable trame d’action territoriale. Les besoins collectivement définis par les groupes locaux feront l’objet de solutions et ressources communes, construites à l’occasion de sessions de formations animées par des experts extérieurs jouant le double rôle de réfè-rent scientifique et de facilitateur de la construction de la réponse collective.

L’expérience de VIVRE a démontré que les besoins de formation sur les territoires ne sont pas toujours couverts par l’offre qui est, souvent, qualifiante et sectorielle. Les besoins et demandes apparus lors de la construction du Guide méthodologique qui constitue le cœur du programme Vivre11 relèvent plus d’un travail sur la personne, ses savoir-être et ses pratiques, que sur des champs de compétences traditionnelles.

Ici, la notion de projet est abordée à travers le vécu d’une personne, ses besoins, ses envies. Ce vécu est partagé, discuté, débattu dans un lieu d’échange et de formation mettant face à face décideurs, porteurs et accompagnateurs de projets. Tout cela passé au « crible » des principes du développement durable, puisque, selon la volonté de ses promoteurs, la démarche VIVRE explore la via-bilité économique d’un projet, son impact environnemental, sa viabilité sociale et sa plus value territoriale, quatre composantes fondamentales de la construc-tion d’une culture du développement durable.

11. Accompagner les porteurs de projet dans les territoires ruraux. Ouvrage collectif. 2006

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Se relier à la nature : l’éducation(s) dans la perspective de l’écopsychologie

Mohammed Talebphilosophe et formateur

en éducation relative à l’Environnement

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Si la finalité de l’éducation au développement durable est bien la responsabilisation de l’apprenant, et la prise de conscience, par lui, des réalités complexes du monde,

alors il semble nécessaire de dire qu’elle heurte de plein fouet le paradigme techno-économique qui domine au sein du DD. En effet, la tension est grande entre, d’une part, la conception « gestionnaire » et instrumentale des rapports entre économie, environnement, société, et, d’autre part, la perspective propre à l’éducation, perspective qui ouvre, a priori, les chemins du savoir, mais aussi de l’esprit critique et de l’émancipation, individuelle et sociale. Si nous disons a priori, c’est parce que l’éducation, comme l’ensemble des sphères de l’activité humaine, est traver-sée, au Nord et au Sud de la planète, par des dynamiques de mar-chandisation (au nom, par exemple, de « l’ouverture de l’école au monde de l’entreprise ») qui polluent sa vocation première. L’éducation au développement durable est donc un risque. Il re-vient donc aux praticiens de l’éducation, aux enseignants, aux superviseurs, d’avoir conscience de l’existence de cette tension et d’opter, résolument, pour que l’école soit « l’atelier de l’huma-nité », pour reprendre la belle expression d’un contemporain de Descartes, figure majeure de la philosophe de l’éducation et de l’humanisme, le tchèque Comenius (1��2-1��0).

Nous poserons, dans ce chapitre, comme thème de travail - en ce lieu sensible qu’est l’interface entre éducation, écolo-gie et société - la dialectique de l’intimité et de la collectivité, la dialectique de la subjectivité individuelle, de la subjectivité interpersonnelle et de la subjectivité sociale, dialectiques com-prises dans une perspective écologique. Ces thèmes et concepts se frayent, de plus en plus, un chemin dans la conscience des

théoriciens et des praticiens de l’éducation et de la formation. Cette prise en compte de la dimension psychologique de la question socio-écologique au sein de l’espace éducatif est, ici, un important critère qui permet de distinguer l’approche techno-économique de l’approche systémique. Si on peut dire, légiti-mement, que la « gestion » est le maître-mot de la première, en revanche, c’est celui de « complexité » qui nous vient d’abord à l’esprit pour aborder la seconde. Disons, dès maintenant, que, dans la diversité de leurs propositions, l’éducation à l’environne-ment, l’éducation relative à l’Environnement ou l’éducation au Développement Durable, disposent de nombreuses ressources intellectuelles pour penser, donner sens et mettre en perspec-tive cette dimension psychologique. à travers l’écopsychologie - mais aussi la psychologie environnementale, la psychologie so-ciale de l’environnement, l’éco-autoformation, l’éco-ontogenèse ou encore l’alphabétisation écologique -, nous pourrons mettre en évidence la fécondité d’une éducation de la personne qui ne la réduit pas au « rôle » social qu’elle est censée jouer. Dans cet horizon singulier, l’expérience concrète des choses concrètes, la perception sensible, le mythe, l’imaginaire, l’art deviennent les partenaires du processus éducatif. La rationalité n’est pas niée ou diminuée, mais déployée sur le versant sensible, poétique et mythique de l’existence. Edgar Morin nous rappelle que sous « l’angle de la froide raison le mythe a toujours été considéré comme

un épiphénomène superficiel et illusoire (…) ». Le sociologue de la complexité continue : « Je suis de ceux qui croient à la profon-

deur anthropo-sociale du mythe, c’est-à-dire à sa réalité. Je dirai

même que notre réalité a toujours une composante mythologique. » (Morin, 1���)

Introduction

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Si la finalité de l’éducation au développement durable est bien la responsabilisation de l’apprenant, et la prise de conscience, par lui, des réalités complexes du monde,

alors il semble nécessaire de dire qu’elle heurte de plein fouet le paradigme techno-économique qui domine au sein du DD. En effet, la tension est grande entre, d’une part, la conception « gestionnaire » et instrumentale des rapports entre économie, environnement, société, et, d’autre part, la perspective propre à l’éducation, perspective qui ouvre, a priori, les chemins du savoir, mais aussi de l’esprit critique et de l’émancipation, individuelle et sociale. Si nous disons a priori, c’est parce que l’éducation, comme l’ensemble des sphères de l’activité humaine, est traver-sée, au Nord et au Sud de la planète, par des dynamiques de mar-chandisation (au nom, par exemple, de « l’ouverture de l’école au monde de l’entreprise ») qui polluent sa vocation première. L’éducation au développement durable est donc un risque. Il re-vient donc aux praticiens de l’éducation, aux enseignants, aux superviseurs, d’avoir conscience de l’existence de cette tension et d’opter, résolument, pour que l’école soit « l’atelier de l’huma-nité », pour reprendre la belle expression d’un contemporain de Descartes, figure majeure de la philosophe de l’éducation et de l’humanisme, le tchèque Comenius (1��2-1��0).

Nous poserons, dans ce chapitre, comme thème de travail - en ce lieu sensible qu’est l’interface entre éducation, écolo-gie et société - la dialectique de l’intimité et de la collectivité, la dialectique de la subjectivité individuelle, de la subjectivité interpersonnelle et de la subjectivité sociale, dialectiques com-prises dans une perspective écologique. Ces thèmes et concepts se frayent, de plus en plus, un chemin dans la conscience des

théoriciens et des praticiens de l’éducation et de la formation. Cette prise en compte de la dimension psychologique de la question socio-écologique au sein de l’espace éducatif est, ici, un important critère qui permet de distinguer l’approche techno-économique de l’approche systémique. Si on peut dire, légiti-mement, que la « gestion » est le maître-mot de la première, en revanche, c’est celui de « complexité » qui nous vient d’abord à l’esprit pour aborder la seconde. Disons, dès maintenant, que, dans la diversité de leurs propositions, l’éducation à l’environne-ment, l’éducation relative à l’Environnement ou l’éducation au Développement Durable, disposent de nombreuses ressources intellectuelles pour penser, donner sens et mettre en perspec-tive cette dimension psychologique. à travers l’écopsychologie - mais aussi la psychologie environnementale, la psychologie so-ciale de l’environnement, l’éco-autoformation, l’éco-ontogenèse ou encore l’alphabétisation écologique -, nous pourrons mettre en évidence la fécondité d’une éducation de la personne qui ne la réduit pas au « rôle » social qu’elle est censée jouer. Dans cet horizon singulier, l’expérience concrète des choses concrètes, la perception sensible, le mythe, l’imaginaire, l’art deviennent les partenaires du processus éducatif. La rationalité n’est pas niée ou diminuée, mais déployée sur le versant sensible, poétique et mythique de l’existence. Edgar Morin nous rappelle que sous « l’angle de la froide raison le mythe a toujours été considéré comme

un épiphénomène superficiel et illusoire (…) ». Le sociologue de la complexité continue : « Je suis de ceux qui croient à la profon-

deur anthropo-sociale du mythe, c’est-à-dire à sa réalité. Je dirai

même que notre réalité a toujours une composante mythologique. » (Morin, 1���)

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Méthodologie systémique et transdisciplinaire

Au cours du colloque « La science et la culture pour le XXe siècle, un pro-gramme de survie », organisé au mois de septembre 1989, à Vancouver, au Ca-nada, à l’initiative de l’Unesco, le physicien étasunien Henry Stapp (qui travaille au Laboratoire Lawrence Berkeley, en Californie) expliquait ceci :

Le cul-de-sac des concepts classiques a mené les physiciens à élaborer une nouvelle approche de la connaissance de la nature. Cette nouvelle approche se fonde sur des concepts radicalement différents qui mènent à une conception radicalement différente et de l’univers et de la place que l’homme y occupe. (Stapp, 1990).

En fait, ce ne sont pas seulement les « concepts » qui se sont transformés, mais, avec eux, l’ensemble des paradigmes en vigueur. En particulier, la logi-que, cette discipline qui préside à l’organisation du langage et de la rationalité discursive, s’est trouvée, en quelque sorte, dans l’impérieuse nécessité de se re-nouveler. L’émergence d’autres logiques n’est pas seulement un fait scientifi-que, mais aussi un fait psycho-culturel de première importance, car la logique classique a profondément formé et informé les espaces mentaux, les esprits, les représentations de la réalité. Claire Wagner-Remy, dans un vif essai sur l’intelli-gence artificielle, nous introduit dans cette structure essentielle de la pensée :

C’est à Aristote (...) que nous devons les trois principes fondamentaux, qui constituent la base de ce que nous appelons la logique classique sur laquelle repose tout l’édifice du raisonnement scientifique :

• le principe d’identité, qui s’énonce « A est A », ce qui revient à la tautologie;

• le principe de non-contradiction, « A n’est pas non-A », c’est-à-dire « une chose ne peut pas être et n’être pas », ou bien « les contraires ne peuvent coexister dans une même chose »;

• le principe du tiers-exclu, « X est A ou (exclusif) non-A », c’est-à-dire « toute chose doit nécessairement être soit affirmée, soit niée ». (Wagner-Rémy, 1990)

La remise en question du dualisme a eu des conséquences fondamentales pour la saisie scientifique du monde. Sans entrer dans le détail de ce que l’his-torien des sciences et physicien étasunien Thomas Kuhn a nommé la « révolu-tion scientifique » (Kuhn, 1972), nous pouvons souligner l’idée selon laquelle les significations du monde, de la nature et, pour les sciences humaines et socia-les, de l’humain, ne peuvent pas être explicitées uniquement par l’analyse des « parties ». La science se doit d’avoir également une compréhension du « tout ». Toute l’aventure de la Systémique et de la Complexité provient de cette nou-velle lecture du réel : le tout, dans la mesure où il ne se réduit pas à la somme de ses parties, nécessite, pour être compris, que notre démarche cognitive soit de nature « holistique ». Nous sommes-là au cœur du renversement du réduction-

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nisme méthodologique, dont nous héritons de Descartes. Il ne s’agit nullement de dire que la « réduction » n’est plus une méthode légitime ; il s’agit seulement de reconnaître que face à des situations complexes, comme les situations envi-ronnementales, les méthodes dites systémiques sont plus fécondes. Alors que l’épistémologie réductionniste isolait l’objet pour l’analyser, l’épistémologie née des nouveaux paradigmes scientifiques, elle, le réinscrit dans la trame du système complexe qui lui donne ses qualités et propriétés. Nous renvoyons, en-core une fois, à Edgar Morin, en particulier au tome I de La méthode intitulé « La Nature de la Nature » (notamment à la section « L’organisation (de l’objet au système) » (Morin, 1977).

Tout en assumant les exigences de la science disciplinaire (fondée sur des rationalités particulières), la nouvelle approche scientifique va, dans sa mé-thodologie, ouvrir les portes de la transdisciplinarité. Patrick Paul est l’un des principaux chercheurs en éducation relative à l’Environnement et en théorie de la connaissance. Il a produit une très sérieuse réflexion sur les enjeux et les défis posés par la transdisciplinarité au monde de l’éducation. Il souligne ainsi :

La transdisciplinarité, dans une optique de contre-pied, tente de répondre à une nouvelle vision de l’homme et de la nature par dépassement intégratif du para-digme actuel. Elle ouvre les sciences, en particulier humaines et sociales, à une relation différente entre objet et sujet, à la fois plus nuancée (par le concept de « niveaux de réalité ») et plus large. Réunissant des chercheurs d’horizons diffé-rents, elle espère faire jaillir du dialogue issu de leurs compétences respectives un nouveau discours qui se définirait non pas tant par un territoire commun que par un éclairage des marges, des ponts et des frontières entre les champs. La transdisciplinarité s’apparente en effet à une épistémologie des limites, des entre-deux, des zones floues se situant aux confins, c’est-à-dire « entre », « au-travers » ou « au-delà » des champs identifiés. (Paul, 2005)

Outre ceux de Patrick Paul, les travaux de Gaston Pineau, René Barbier, Dominique Cottereau, Dominique Bachelart, Jean-Jacques Wunenburger, Geor-ges Bertin, Lucie Sauvé Pascal Galvani, Barbara Bader, André Giordan, et nous-mêmes, et nous pourrions citer bien d’autres noms, illustrent largement cette heureuse réception des nouveaux paradigmes scientifiques dans le contexte des interfaces entre éducation et environnement. Le fait que la plupart de ces théoriciens et praticiens se situent dans la mouvance dite « transdisciplinaire » et « systémique » montre assez l’importance, pour une perspective éducative, du dépassement du modèle scientiste de la connaissance. Ces auteurs, renvoyant dos-à-dos l’« irrationalisme » et le rationalisme sec du XIXe siècle comme les deux branches d’une alternative réductrice, opèrent la réconciliation de l’Ima-ginaire et de la rationalité. Cette réconciliation, par ailleurs, ne peut être faite que dans la mesure où nous nous souvenons, d’une part, que l’Imaginaire pos-sède des structures intelligibles (cf. Les structures anthropologiques de Gilbert Durand) et, d’autre part, que la raison peut se poser dans un climat d’accueil et de réceptivité (la raison ouverte d’Egard Morin).

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C’est sous ce régime de fertilisation croisée que se situe cette rencontre entre l’écologique et l’anthropologique qui fonde l’écopsychologie. C’est incon-testablement aux marges, aux confins, aux limites des champs disciplinaires que l’écopsychologie est née. à bien des égards, ce nouvel espace de sens n’est pas le fruit du seul dialogue interdisciplinaire. La raison disciplinaire elle-même se trouve mise en tension avec l’inconscient et ses langages spécifiques que sont le mythe et l’imaginaire. Nos écopsychologues, dans leurs efforts pour fertiliser la Culture par la Nature et la Nature par la Culture, réconcilient ces deux moda-lités de l’existence humaine. Ces efforts sont des pratiques et, même, au regard de la crise environnementale, des pratiques nécessaires. Mais il nous faut préci-ser leur double dimension : elles sont concrètes, opératoires, tangibles et théori-ques, conceptuelles et métaphysiques. D’une part, elles se donnent comme pé-dagogie de l’imaginaire, pédagogie de la terre, écothérapie, psychologie verte, et là, elle peuvent irriguer le champ des sciences de l’éducation, de l’animation écologique et même du politique D’autre part, elles se posent comme hermé-neutique instaurative (Gilbert Durand), nouvelle episteme (Michel Foucault), nouveau paradigme (Thomas Kuhn).

L’écospychologie, un nouveau paradigme entre écologie et anthropologie

L’écopsychologie est l’une des déclinaisons de l’éco-anthropologie dont le projet épistémologique repose sur la quête d’une triple compréhension : si les première et deuxième visent, respectivement, les impacts de l’environnement sur l’humain, et de l’humain sur l’environnement, la troisième entend montrer la singularité de l’espace mixte qui naît de ces relations. Nous sommes là à un niveau de très grande généralité car ces impacts sont de nature très divers. Les questions de santé environnementale, d’éco-alimentation, d’agriculture bio-logique ou de psychologie de l’environnementale, par exemple, relèvent de ce champ composé qu’est l’éco-anthropologie. En toute rigueur, nous devrions écrire éco-anthropo-logie, car le logos qui est visé ne renvoie pas seulement à l’humain mais aussi à l’environnement. Si, au sens strict, l’écopsychologie en-tend questionner ces relations entre l’environnement et l’humain, il faut en préciser que, chez l’humain, c’est sa dimension psychique (ou son âme pour cer-tains auteurs) qui sera valorisée.

La mise en évidence du lien qui existe entre l’état environnemental de la planète et celui, d’une part, de nos sociétés et, d’autre part, de nos vies intérieu-res, est une tâche qui nécessite à la fois de l’intuition, de la sensation, du senti-ment et de la pensée. Pour les familiers de la psychologie analytique, nous som-mes ici en présence du célèbre quaternaire typologique de Carl Gustav Jung. L’écopsychologie est le nom contemporain du courant de pensée qui entend

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non seulement expliciter ce lien, le mettre à jour, mais également, proposer les alternatives face à la terrible crise qui affecte la relation entre la sociosphère et la biosphère, entre Culture/Psyché et Nature. La référence à ce quaternaire est faite afin que l’on comprenne que la philosophie de l’écopsychologie ne relève pas seulement d’une activité « intellectuelle », mais également d’une contem-plation, d’un ressenti, d’un sentiment, d’une intuition, d’une co-présence sen-sible de l’humain et de la Nature vivante. Ce qui est à l’ordre du jour est, en ef-fet, moins une explication, souvent de type rationaliste, qu’une implication, de type holistique. La poésie, et le langage de l’imaginaire, sont, pour bon nombre d’écopsychologues, de meilleurs canaux pour dire cette parenté sensible. Ainsi, le poète indien Tagore nous dit-il que la conscience humaine se déploie entre la Nature vivante et l’individualité :

à l’un des pôles de mon existence, je ne fais qu’un avec les cailloux et les bran-ches des arbres. Là je dois me soumettre au joug de la loi universelle. C’est là, au fond, que se trouve la base même de la vie. Et sa force vient de ce qu’elle est étroi-tement enserrée dans l’ensemble du monde, de ce qu’elle est en pleine commu-nauté avec toutes choses. Mais à l’autre pôle de mon existence, je suis distinct de tout le reste. Là j’ai rompu les barrières de l’égalité et je me trouve seul, en tant qu’individu. J’y suis absolument unique, je suis moi, je suis incomparable. Toute la masse de l’univers ne pourrait pas écraser cette individualité qui est mienne. (cité In Ki-Zerbo, 1992, 631)

Il est devenu habituel de considérer l’étasunien Théodore Roszak (1933) comme le créateur du concept d’« écopsychologie ». Essayiste, historien, so-ciologue et romancier, il fut l’une des principales figures de la contre-culture qui fertilisa une grande partie de la jeunesse nord-américaine dans les années 1950-1970. Avec The Making of The a Counter Culture, publié en 1968 (Roszak, 1970), il se pose comme l’un des critiques les plus intransigeants de la « société technocratique ». Les chapitres intitulés « Le mythe de la conscience objective » et « Yeux de chair, yeux de feu » constituent, déjà, les matrices la conception écopsychologique qu’il développera des années après. Pour lui, l’objectivité est un principe d’aliénation en ce sens qu’il disloque la réalité unitaire en deux mondes séparés qu’il nomme « l’Ici-Dedans » et le « Là-Dehors ». La science mo-derne a largement contribué à l’élaboration et à la diffusion de cette approche dualiste de la réalité qui prétend que l’on peut comprendre le « Là-Dehors » indépendamment de « l’Ici-Dedans ». Son propos se fait prophétique lorsqu’il aborde la relation de l’humain et de l’environnement.

Une attitude objective, c’est-à-dire aliénée, envers l’environnement naturel de-vient aisément celle d’une population en grande partie née et élevée dans le monde des grandes villes, presque totalement créé par l’homme. Il serait diffi-cile, pour quiconque a été élevé dans ces conditions – y compris un savant – de ne pas être « objectif » à l’égard d’une « nature » qu’il n’a connue que sous la forme de décors artificiels, bien ordonnés. La flore, la faune, le paysage et, de plus en plus, le climat de notre planète sont pratiquement sans défense aux pieds

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de l’homme de l’ère technologique, et ils sont tragiquement vulnérables à son arrogance. Nous avons indéniablement triomphé d’eux – au moins jusqu’au jour où les effrayantes conséquences écologiques de cette victoire triompheront de nous…(Roszak, 1970, 250-251).

Si cette objectivation de l’environnement, avec ses « effrayantes consé-quences écologiques », est rendue possible, c’est en partie parce que la conscien-ce humaine elle-même a été emmenée sur le chemin d’une véritablement mu-tilation anthropologique : cette conscience a été littéralement machinisée. Il ressort que les énergies, les facultés, les potentialités de la subjectivité, de « l’Ici-Dedans » furent considérées comme relevant de l’irrationnel, de la folie, etc.  

à partir du moment où l’on conçoit ainsi la conscience humaine, le pas suivant consiste fatalement à la remplacer par une machine tout aussi bonne… ou meilleure. Nous en arrivons alors à l’ironie suprême : la machine, qui est une création de l’homme, devient l’image idéale de son créateur. La machine repré-sente l’état parfait de conscience objective et, dès lors, elle devient la mesure de toutes choses (…) Sous son égide commence un vaste processus de réduction tendant à repenser la culture en fonction des besoins de la mécanisation. Si nous découvrons que les ordinateurs ne peuvent traduire le langage normal, nous in-ventons un langage particulier, plus rudimentaire, qu’ils puissent traduire. Si nous découvrons que les ordinateurs ne peuvent enseigner selon les méthodes d’enseignements idéales, nous modifions l’enseignement pour que la machine puisse faire fonction de professeur. Si nous découvrons que les ordinateurs ne peuvent résoudre les problèmes fondamentaux de l’urbanisation, qui relèvent de la philosophie, de la sociologie et de l’esthétique, nous modifions le sens du mot « ville », nous appelons celle-ci « zone urbaine » et nous décidons que tous les problèmes relatifs à cette entité sont d’ordre quantitatif. De cette manière, l’homme est remplacé dans tous les domaines par la machine, non point parce qu’elle peut faire les choses mieux que lui mais parce que toutes les choses ont été réduites à ce que la machine est capable de faire. (Roszak, 1970)

à la lumière des réflexions de Théodore Roszak, la crise planétaire appa-raît sous un double aspect, écologique et psychologique. La conscience objective qui mutile l’intériorité humaine, sa psyché, et l’objectivation de l’environne-ment, qui artificialise le cosmos, tout cela sur fond de mécanisme et de machi-nisme, sont les deux dimensions d’une unique entreprise : le réductionnisme. La réduction de toutes choses à ce qui relève de « l’ordre quantitatif » est le cœur de pierre de ce processus mortifère. L’un ces conséquences, relativement à la relation éco-psychologique, est la disqualification progressive de toutes les ac-tivités « visionnaires » de la conscience. L’humain ne voit plus le monde avec des « yeux de feu », mais avec ses seuls « yeux de chair »… Une grande partie de l’œuvre de Théodore Roszak va tenter de réhabiliter ces notions, scandales pour la conception objective de la réalité !, que sont la magie et l’expérience vision-naire. Il s’agit moins, pour lui, de nier l’intérêt de la technique ou de la science, que de leurs assignées leurs vraies places,. qui n’est pas la première !

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Pourtant, s’il doit y avoir une autre solution que la technocratie, il faut que soit mis en question ce rationalisme amoindrissant que dicte la conscience objec-tive. Tel est, je l’ai dit, le projet essentiel de notre contre-culture : proclamer un nouveau ciel et une nouvelle terre, si vastes, si merveilleux que les prétentions démesurées de la technique soient réduites à n’occuper dans la vie humaine qu’une place inférieure et marginale. Créer et répandre une telle conception de la vie n’implique rien de moins que l’acceptation de nous ouvrir à l’imagination visionnaire. Nous devons être prêts à soutenir ce qu’affirment des hommes tels que Blake, à savoir que certains yeux ne voient pas le monde comme le voient le regard banal ou l’œil scientifique, mais le voient transformé, dans une lumière éclatante et, ce faisant, le voient tel qu’il est vraiment. Au lieu de nous empres-ser de minimiser le témoignage de nos voyants enchantés et de l’interpréter au niveau le plus bas et le plus conventionnel, nous devons être prêts à admettre la scandaleuse possibilité que, partout où se manifestent l’imagination visionnai-re, la magie – cette vieille ennemie de la science – renaît pour transmuer notre réalité quotidienne en quelque chose de plus grand, de plus effrayant peut-être mais sûrement de plus aventureux que le pauvre rationalisme de la conscience objective ne pourra jamais le concevoir. (Roszak, 1970)

25 années plus tard, en 1992, il publiait le premier manifeste de l’écopsy-chologie, The Voice of the earth (La Voie de la Terre). Deux ans après, avec Mary Gomes et Allen Kanner, Théodore Roszak dirigeait une véritable anthologie, forte des contributions de 26 auteurs, Ecopsychology. Restoring the Earth, Hea-ling the Mind (Ecopsychologie. Restauration de la Terre, guérison de l’esprit). Le mouvement était lancé et, il est vrai, que la rencontre entre ces trois person-nages fut décisive. Si Mary Gomes est professeur de psychologie à la Sonoma State University, Allen Kanner, lui, est un psychiatre connu et reconnu, notam-ment pour ses études sur la dimension psychologique de la consommation. Ecopsychology commence en proposant au lecteur un double avant-propros. Le premier est celui d’un écologiste mondialement réputé,Lester Brown, le second d’un psychologue, James Hillman, qui dirigea pendant plusieurs années l’Insti-tut Carl Gustav Jung, à Zurich. Les réflexions proposées par ce dernier permet-tent d’ouvrir un chapitre important de l’écopsychologie, un chapitre qui en est le cœur : l’Inconscient écologique.

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Inconscient écologique, Inconscient du monde, Inconscient cosmique

Quelles définitions pourrait-t-on donner de l’écopsychologie ? Dans The Voice of the earth, Théodore Roszak synthétise, en huit points, les principales lignes de forces de l’écopsychologie. Le premier souligne que « Le cœur de l’es-prit est l’inconscient écologique ». Dans sa réflexion l’un des maîtres-mots est celui d’ecological ego, qui peut être rendu par « personnalité écologique ». Ici, l’écopsychologie dessine les contours d’une « nouvelle » figure de l’humain. Dans cette approche, l’humain n’est pas réductible au fameux cogito cartésien (le « Je pense donc je suis »), avec sa conscience personnelle rationnelle. L’hu-main porte en lui une profondeur irréductible que les divers courants issus de la révolution psychanalytique vont mettre à jour et expliciter avec la catégorie centrale d’« inconscient » (ou de « subconscient »). Mais les écopsychologues souligneront les limites ou les insuffisances de cette révolution. à leurs yeux, l’Inconscient n’est saisi qu’à travers une compréhension anthropocentrique de l’humanitas de l’humain. Le philosophe-artiste Bernard Boisson, dans l’un des tout premiers articles de fond consacré à l’écopsychologie, explique :

Jusque-là, les sciences de l’écologie n’ont tenté de répondre à la dégradation des milieux naturels, à une menace de disparition de certaines espèces, à la pollu-tion… que par des solutions palliatives, techniques et institutionnelles. Elles n’ont pas appréhendé en amont l’origine des problèmes dans les comportements, les mentalités, les valeurs culturelles… Symétriquement, il a été remarqué que les sciences humaines n’avaient pas développé les aspects psychologiques dans la relation de l’homme avec son milieu. Dans la psychologie, Freud n’est pas sorti de l’enveloppe épidermique. De même, avec l’inconscient collectif, Jung n’est pas sorti du milieu social. (Boisson, 2000)

L’écopsychologie essaierait donc de surmonter, du point de vue de la crise socio-écologique, une double impasse. La première serait celle d’un technicisme environnementaliste et la seconde un anthropocentrisme psychologique. Il faut prendre au sérieux cette tentative car, effectivement, l’écologie risque, en per-manence, de succomber aux « charmes » de la technocratie (et, il est vrai, que les investissements massifs des firmes internationales du monde techno-in-dustriel dans le Développement durable font craindre cette dérive). Par ailleurs, la méconnaissance des enjeux environnementaux par le champ psychologique est un obstacle majeur dans la résolution de la crise socio-écologique. Le philo-sophe Jean Biès le dit d’une belle façon :

C’est que la vraie écologie n’est peut-être pas ce que l’on croit. Les vraies réfor-mes ne débutent pas en dehors de soi, s’en prenant à ceux d’en face. Elles consis-tent en un radical changement de regard et de mentalité. Le « recyclage » est

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là. L’« étude de la maison » est d’abord étude de l’appartement du dedans. Ce qu’il faut dépolluer, c’est l’âme (…) Or la pollution physique a un préambule : la pollution morale. Toute pollution est projection. Avant de souiller les nappes ph-réatiques, d’abattre les arbres, de stériliser les germes, l’homme a tari les sources vives de son inconscient, scié ses axes de référence, asséché sa créativité. Le refus de la nature, c’est celui de sa nature. La manie rationalisante, le mépris réducteur, l’absence de sens du sacré, consacrent moins la conquête humaine qu’ils n’indi-quent un processus de dévitalisation et de fragilisation de l’espèce, une lassitude des énergies. (Biès, 1996) 

L’un des auteurs de Ecopsychology. Restoring the Earth, Healing the Mind est Stephen Aizenstat. Sa thèse est que l’écopsychologie doit dépasser à la fois Sigmund Freud et Carl Gustav Jung, car leurs compréhensions de la vie de l’in-conscient évacueraient, selon lui, la dimension proprement écologique de la réalité. De la même façon que Théodore Roszak posait l’existence d’un Incons-cient écologique, Stephen Aizenstat suggère la possibilité d’un Inconscient du Monde, qui désigne la même réalité, celle d’un niveau ou d’un espace de l’in-conscient qui fait écho au monde naturel. Nous n’entrerons pas la discussion, mais il n’est pas certain que la psychologie des profondeurs de Carl Gustav Jung soit à mettre dans la famille d’esprit des psychologies et psychanalyses a-écolo-giques. La seule présence de James Hillmann dans Ecopsychology. Restoring the Earth, Healing the Mind suffit largement à le montrer. En fait, les remarques de Stephen Aizenstat, et des écopsychologues en général, visent juste lorsqu’elles ciblent ceux des jungiens qui ont évacués les dimensions philosophiques, méta-physiques et cosmologiques de la pensée de Carl Gustav Jung. En effet, lorsque ces dimensions sont oubliées, l’Inconscient collectif se transforme, effective-ment, en strate anthropocentrique de la psyché. Christine Maillard a consacré de nombreux travaux aux racines historico-culturelles de la pensée jungienne, en particulier à cette racine qu’est l’humanisme cosmique de la Renaissance, avec Paracelse. Elle écrit :

Si nous considérons la notion jungienne de l’inconscient collectif dans son « ar-chéologie », il apparaît qu’elle est d’une dimension proprement cosmologique, qui concerne aussi bien le plan du sujet individuel que celui du « monde » qui l’environne. De même que pour Paracelse, la nature est à la fois en l’homme et à l’extérieur de lui, formant l’ensemble du monde manifesté, l’inconscient jungien est à la fois objectif et subjectif. Paracelse avait énoncé l’idée d’une alchimie uni-verselle, à l’œuvre dans tout le monde naturel. Jung transpose cette dynamique alchimique sur le plan intrapsychique, faisant de l’âme le terrain de la transfor-mation. (Maillard, 1997)

L’Inconscient collectif de Carl Gustav Jung serait moins un niveau anthro-pologique de la psyché qu’une puissance dynamique, un élan, un mouvement dont la raison d’être serait le dépassement du moi égoïste et replié de l’indivi-dualisme classique. En ce sens, le collectif pourrait désigner le supra-individuel, allant de l’humanité à l’univers dans son entier.

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Ce qui est en jeu avec l’écopsychologie est bien l’émergence d’une conscien-ce écologique, autrement dit d’une remontée, à la surface de la conscience, de l’Inconscient écologique, de l’Inconscient du Monde, ou de l’Inconscient cosmique comme nous nous proposons de le nommer, en référence aux intuitions des Hu-manistes de la Renaissance pour qui l’humain est microcosmos.

Conclusions ouvertes : La conscientisation écologique, entre psychologie et politique

Mais l’écopsychologie court le risque, malgré sa puissante contribution critique et subversive, aussi bien sur le plan théorique que pratique, d’être vi-dée de ses contenus émancipateurs. En effet, certains, et ils sont de plus en plus nombreux, tendent à psychologiser l’écopsychologie. Cela est d’autant plus dangereux que cette psychologisation est d’abord « pratique », « opérationnel ». D’un « stage » en écopsychologie à la lecture de « recettes pratiques », nous ris-quons d’avoir une approche utilitariste et comportementaliste de l’écopsycho-logie et d’oublier qu’elle est aussi un logos ! La psychologisation des problèmes socio-écologiques n’est pas le chemin que veut suivre l’écopsychologie, car elle ne veut pas perdre de vue que les problèmes traversés par la Terre et la Psy-ché sont également d’ordre politique. Or, une mode écopsychologique risque de dépolitiser, de désocialiser sa philosophie et son projet. Loin d’être un outil de développement personnel, l’écopsychologie est d’abord un questionnement sur les causes historiques de la crise socio-écologique. Cette conception nécessite une grande culture philosophique, une certaine érudition, car c’est seulement dans la mobilisation du concept que le logos de l’écopsychologie peut déployer toute la richesse de ses approches. Mais il est vrai que dans plusieurs mouvances « psy », l’intellect est souvent caricaturé. Au nom d’une critique, au demeurant légitime, d’un rationalisme sec, elles tombent dans une critique de la raison en tant que telle, au profit du « corps », du « sensible », du « sentiment »… De fa-çon évidente, le modèle scientiste de la connaissance a occulté ces dimensions fondamentales de l’existence humaine. Mais l’écopsychologie se méfie d’une psychothérapie par trop « émotionnelle ».

Nous avons déjà vu, avec le coaching, le traitement fait à la psychologie dans un contexte néo-libéral. En réalité, au-delà du coaching, c’est tout un pan de la science psychologique occidentale qui mériterait d’être re-questionné. Sur ce sujet, il nous faut lire les formidables échanges entre ces deux intellectuels étasuniens que sont James Hillman et Michael Ventura, échanges publiée dans le livre Malgré un siècle de psychothérapie le monde va de plus en plus mal (Hill-man et Ventura, 1998). Les auteurs s’en prennent aux sciences et aux pratiques de la psychologie. Ils estiment que l’un des problèmes majeurs est la coupure

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opérée entre la psyché personnelle et le monde, entre soi et la réalité collective, l’intime et la vie sociale, le jardin secret et l’Autre, la subjectivité et le politique.

Malgré un siècle de psychothérapie, les gens sont de plus en plus irrités, et le monde va de plus en plus mal. Peut être est-il temps d’y prêter attention. Nous continuons à situer la psyché à l’intérieur de notre corps. Tu entres en toi-même pour trouver la psyché, tu examines tes sentiments et tes rêves, ils t’appartien-nent. Ou alors il s’agit de relations mutuelles, entre psychés, entre ta psyché et la mienne. Cela a été un peu étendu au systèmes familiaux, aux communautés de travail – mais la psyché, l’âme, est toujours et seulement dans et entre les gens. Nous travaillons constamment sur nos relations, nos sentiments et nos réflexions, mais regarde ce que ça nous a donné. Ce qui en résulte est un monde qui se dé-tériore. Alors, pourquoi la psychothérapie ne s’en est-elle pas rendue compte ? Parce que la psychothérapie ne travaille que sur l’âme « intérieure ». En séparant l’âme du monde qui l’entoure et en ne reconnaissant pas que l’âme est aussi dans le monde, la psychothérapie ne peut plus accomplir sa tâche. Les immeubles sont malades, les institutions sont malades, le système bancaire est malade, les écoles, les rues – la maladie est là tout autour. (Hillman et Ventura, 1998).

Le « Je » ne saurait être solitaire parce que la psyché est une réalité subtile qui se défie des frontières, des clôtures et des cadastres psychologisants. C’est la raison pour laquelle les problématiques de l’écopsychologie sont d’une nature à la fois anthropologique, psychologique, philosophique, esthétique, culturelle et politique. En effet, l’enjeu qui est posé, nous l’avons dit, est celui de la figure de l’humain. L’écopsychologie appelle au dépassement de l’humanisme mo-derne, non point pour remettre en cause le principe de l’autonomie du sujet, mais pour contester, radicalement, l’individualisme quantitatif utilitaire. L’hu-manisme écopsychologique est d’une autre trempe. La figure de l’humain qu’il propose n’est pas l’homo oeconomicus, mais l’homo universalis, cher au néopla-tonisme de la Renaissance. Comme dans les propositions de Théodore Roszak ou de James Hillman, l’homo universalis est un humain qui n’est pas seulement réconcilié avec l’univers, mais qui est porteur, en lui-même, de cet univers. Nous pourrions parler d’un cosmo-humanisme ou d’un éco-humanisme pour spéci-fier cette approche psychologique et anthropologique particulière. C’est cet hu-main qui est capable de responsabilité et de compassion, d’intelligence à l’égard de tous le vivant, capable d’une « amitié environnementale . Cet humain aura réussi à dépasser les fractures dualistes qui brisent l’unité du Monde (l’unus mundus des Anciens), l’unité de la Connaissance (la transdiciplinarité) et l’unité même de l’anthropos. (l’humain relié). Il est alors capable de ré-enchanter sa relation le monde.

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L’ imaginaire et les contes de fées : une rencontre entre nature intérieure

et nature extérieure

Orane Bischoff, formatrice d’enseignant,

SupAgro Florac

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L’imaginaire et l’imagination, facultés propres à l’expérience terrestre de l’humain L’imaginaire au quotidien, dans chacune de nos expériences du monde

Depuis longtemps, la place de l’imagination dans notre rapport à la pen-sée et au monde est sujet à polémique.

Chacun reconnaît sa place prépondérante, tout en étant considéré com-me la « folie du logis », s’opposant à la raison.

Depuis, la psychologie cognitive et les neurosciences, ont démontré que cette faculté à imaginer (qui ne se limite pas au fait de créer des images) est une faculté propre au mental lui permettant justement de « raisonner », d’être en réflexion, en d’autre terme de se distancier par rapport à l’expérience directe du monde. Notre imagination est une faculté agissant à chaque instant de notre vie dès lors que notre cerveau est en action. Cette grâce à l’imagination que nous avons pu créer le langage, que nous avons pu nommer et classer le monde.

Selon certains auteurs, cette faculté serait même propre à l’humain, fai-sant de lui une « machine à idées », seul être vivant sur terre capable de pro-duire certaines représentations mentales.

« l’animal humain est un esprit créateur (...) dont le cerveau est du matin au soir rempli d’idées de toutes sortes » (Dortier, 2004).

Notre rapport expérientiel au monde se fait toujours par le filtre de notre mental dans lequel agit notre imagination. Que se soit en amont d’une action, que ce soit pendant ou après, toutes relations à notre environnement raison-nent en nous via des représentations mentales, des évocations.

Ces représentations mentales s’élaborent sur des sensations et des actes physiques ou bien sur des idées, des concepts....et même, nos représentations plus conceptuelles restent reliées à nos sensations, à nos émotions. Tout cela fonctionne ensemble, car toutes idées, images, sensations, créent en nous une « empreinte émotionnelle » qui se réactivera dès l’instant où l’on sollicitera à nous les mêmes images, idées ou sensations.

L’imagination est beaucoup plus qu’une faculté d’évoquer des images, c’est un pouvoir de prise de distance et de mise en présence.

L’imagination se présente comme une faculté intermédiaire entre le sen-tir et le penser : ce statut de l’imagination, qui en fait le relais nécessaire entre notre conscience et ces objets, en fait aussi l’un des pouvoirs les plus mystérieux de la nature humaine.

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Pourtant cette faculté d’imagination est dynamique, sans cesse capable d’évoluer, d’enregistrer de nouvelles idées, images, sensations, ne connaît pas l’immobilité.

C’est ainsi que s’organise dans notre mental, la pelote des souvenirs, des sensations, des expériences, qu’on en tire un fil à travers une nouvelle image et tout un wagon d’images, sensations, reviennent... car au moment où l’esprit « code » son expérience, il engrange non seulement l’image, mais aussi le son, l’odeur, les sensations intérieures (agréable, désagréable, lourdeurs, légèretés), les personnes présentes, un paysage, des sensations inconscientes également.....

L’imagination agit, comme nous venons de le voir, à chaque instant, de façon consciente ou non dans notre rapport direct au monde physique, au mon-de des idées. Et nous pouvons le solliciter consciemment pour créer de nouvel-les idées, images, scénarios et moduler selon nos désirs toutes sortes de « films » intérieurs n’ayant aucune réalité extérieure. Nous le vivons de façon « incons-ciente » dans nos rêves ; la nuit, l’activité cérébrale onirique laisse beaucoup de liberté à une imagination qui exprimerait notre inconscient, notre psyché.

Les fonctions de l’imagination Premièrement, « l’imagination permet à tous les niveaux de compren-

dre » au sens étymologique de ce verbe. Elle permet de « prendre » avec soi le réel. On pourrait même dire que le domaine de l’imaginaire et le domaine du compréhensible se confondent. »(Georges, 1993).

L’imaginaire permet d’appréhender le monde, il donne une interpréta-tion subjective, tributaire de notre expérience de la vie et du milieu (culturel, sociale et familial) dont nous sommes issus. Il nous permet également de « di-gérer » l’expérience humaine, par certains aspects, il rejoint ce qui se passe dans les rêves nocturnes. L’imagination est une activité de « transformation » de l’ex-périence qui marque la psyché de la personne.

Deuxièmement, l’imagination a une fonction d’enregistrement de l’ex-périence : c’est la fonction de mémoire qui sollicite les souvenirs. Elle sait rendre présent ce qui est absent.

Puis, l’imagination offre une faculté de combinaison : en partant de ce qu’elle a en mémoire, elle peut ré-agencer les images et sensations entre elles, créer de nouveaux scénarios.

Enfin, l’imagination est créatrice, bien sûr en partant d’éléments qu’elle connaît, elle va rajouter de nouvelles propriétés, créer du nouveau, elle permet de mettre en œuvre de nouvelles idées, de nouveaux concepts, elle est la capacité d’innovation, de création, permettant d’emprunter de nouvelles voies « neurona-les ». L’imagination créative est dite faculté synthétique car recherchant l’unité

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Apprivoiser notre imaginaire, pour nous permettre d’apprivoiser notre rapport au monde

Notre imagination est constitutive de notre rapport au monde, car en rencontrant notre environnement, nous le rêvons en même temps. Notre façon de rêver le monde, de rentrer en contact avec lui, influence la relation que nous aurons avec lui.

Sans doute, la prise de conscience de l’impact de notre mental dans notre lien au monde, de notre imaginaire (conscient et inconscient) , nous permettra une autre mode relationnel.

Il faut prendre en compte le fait que notre imaginaire n’est pas unique-ment le fruit de notre propre imagination, il est très fortement influencé par un imaginaire social, collectif, familial, anthropologique, qui marque notre imagi-naire depuis notre naissance (et peut être avant aussi!).

Notre regard posé sur le monde est filtré ; il permet de voir seulement ce que notre mental est conditionné à voir.

C’est pourquoi une pédagogie de l’imaginaire, une éducation à l’imagi-naire, nous apprendrait à apprivoiser nos représentations mentales sur le mon-de. Cette éducation interrogerait nos représentations, nos modes de relation au monde et nos conceptions. Elle nous apprendrait que ce que nous voyons est une représentation, et non pas la réalité. Nous éviterions ainsi bien des conflits entre les personnes.

C’est en modifiant notre conception du monde, notre imaginaire, en pre-nant conscience de la subjectivité du moindre de nos actes et pensées, de l’in-fluence qu’il subit d’un imaginaire interne souvent assez riche (les imaginaires familiaux, culturels.....plus mon propre vécu), que l’on peut modifier notre rap-port/relation à nous même d’une part et au monde.

Apprivoiser notre imaginaire au quotidien permettrait de :

• prendre conscience de la différence entre notre regard et le monde

• faire émerger, accepter et de regarder de quoi notre imaginaire est fait, com-ment il agit, comment il se nourrit, comment il m’empêche d’évoluer (et pour-quoi ?), comment il m’aide à évoluer ?

Être à l’écoute de son imaginaire cela pourrait être de :

• prendre conscience de ses représentations mentales dans nos actes, nos pensées

• accepter et se laisser traverser d’idées, d’images, de sensations dont nous ignorons parfois l’origine, sans pour autant les prendre pour argent comptant et s’identifier à eux.

• être créatif, oser les scénarios nouveaux, les combinaisons d’idées, d’images, de mots, chercher de nouvelles idées, de nouveaux concepts.

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• accepter de laisser vivre son imaginaire non maîtrisé, laisser la rêverie noc-turne et diurne prendre sa place parfois et lui laisser son statut de rêve.

Être à l’écoute de son imaginaire, c’est être à l’écoute et accepter nos pro-cessus internes, compréhensibles ou non, c’est découvrir notre nature intérieu-re, c’est apprendre à la connaître et à jouer avec elle, à l’apprivoiser.

L’imagination est notre façon propre de créer notre quotidien, notre monde, et le sachant, nous savons que nos rapports à nous même et au monde, ne sont pas figés, immuables, dictés par une loi extérieure à nous, mais qu’au contraire qu’elle nous permet d’être des créateurs de nos vies.

Henri Laborit (1993) nous dit : « que le rôle de l’homme était simple au fond : il suffisait, pour assumer pleinement sa fonction, qu’il laisse parler son imagination. Nous savons maintenant qu’il le peut s’il parvient à se dégager des jugements de valeur qui l’asservissent. »

Les contes de fées comme porte ouverte vers un imaginaire anthropologique, pour une compréhension de soi et du monde Aux origines du contes

Selon Propp (1970), les contes merveilleux les plus anciens, provien-draient de rites d’initiations en usage dans les sociétés primitives. Ces rites étaient constitués d’épreuves difficiles, permettant de marquer le passage de l’enfance à l’âge adulte. La structure du conte reproduit la structure du rite. Les contes auraient pris la relève de ces rites préhistoriques qui ne se pratiquaient plus. Ces rites s’étant perdus, ils se seraient maintenus au travers de la tradition orale. Ainsi, les contes seraient nés de ce processus de chute (Rodari, 1998) du sacré dans le profane.

Le conte est une parole « animiste » pré-chrétienne et qui se maintient et se diffuse en marge d’une parole « normée » par les institutions (politiques, religieuses...). C’est une parole qui devient libre ; l’acte de la parole de la tra-dition orale maintient une liberté, une liberté créatrice, respectant cependant une structure bien particulière.

Le conte se transmet, car chacun peut se l’approprier : la structure reste mais les images ne sont pas figées, dictées par une loi, c’est le propre du conte, ce qui laisse à chacun la liberté de s’inventer ses propres images et d’intérioriser l’histoire.

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La structure des contes de fées et leurs interprétationsouvrent une porte sur notre insconscient

à force d’être répétés pendant des siècles (sinon des millénaires), les contes de fées se sont de plus en plus affinés et se sont chargés de significations aussi bien apparentes que cachées ; ils sont arrivés à s’adresser simultanément à tous les niveaux de la personnalité humaine, en transmettant leurs messages d’une façon qui touche aussi bien l’esprit inculte de l’enfant que celui plus perfectionné de l’adulte. En utilisant sans le savoir le modèle psychanalytique de la person-nalité humaine, ils s’adressent des messages importants, à l’esprit conscient, pré6conscient et inconscient, quel que soit le niveau atteint par chacun d’eux (Bettelheim, 1999).

Selon Jung et Von Franz (1994), « les contes de fées expriment de façon ex-trêmement sobre et directe les processus psychiques de l’inconscient collectif ». « Dans les mythes, les légendes ou dans tout autre matériel mythologique plus élaboré, l’on n’atteint les structures de base de la psyché humaine qu’à travers une couche d’éléments culturels qui les recouvre. Les contes de fées, par contre, contiennent bien moins de matériel culturel conscient spécifique, aussi reflè-tent-ils avec plus de clarté les structures psychiques fondamentales. »

Bien que la forme orale de transmission du conte permette de nombreu-ses libertés quand à la description des scènes et de l’histoire, la structure même du conte ainsi que les personnages présents sont respectés. Ces derniers tradui-sent les figures archétypiques, et leur transmission est facilitée par le fait qu’ils sont représentés dans leur aspect le plus simple, le plus dépouillé, le plus concis.

Les contes, par le chemin de l’imaginaire, nous réconcilient avec nous-même et avec le monde

Si les contes sont parvenus jusqu’à nous, dans leurs formes orales, renou-velées, c’est que les contes disent des choses que personne d’autre ne dit. Les contes nous touchent au fond de nous, comme paroles nourrissantes, curatives. Ils parlent de l’expérience humaine, vue de l’intérieure. Ils parlent de ce périple incroyable de notre identité, personnalité et de tous ces monstres à affronter, toutes ces ressources à trouver, et la magie étonnante de la maturation qui, d’un coup de baguette, offre une transformation réussie.

Selon Bettelheim (1999), « pour découvrir le sens profond de la vie, il faut être capable de dépasser les limites étroites d’une existence égocentrique et croire que l’on peut apporter quelque chose à sa propre vie, sinon immédiate-ment, du moins dans l’avenir. Ce sentiment est indispensable à l’individu s’il veut être satisfait de lui-même et de ce qu’il fait. Pour ne pas être à la merci des hasards de la vie, il doit développer ses ressources intérieures afin que les sen-timents, l’imagination et l’intellect s’appuient et s’enrichissent mutuellement. Nos sentiments positifs nous donnent la force de développer notre rationalité ; seule la confiance en l’avenir peut nous soutenir contre les adversités que nous ne pouvons éviter de rencontrer. »

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Les psychanalystes ont scruté les contes pour découvrir leur langage se-cret au travers des approches freudienne ou jungienne, que l’on parle d’anima et d’animus, de moi, surmoi ou ça, on parle de l’inconscient, des forces sponta-nées qui jaillissent de la personnalité en formation. Les contes accompagnent ce processus de maturation de l’âme, les contes consolent les âmes chagrines de trop de douleurs. C’est la lanterne et le guide pour transformer la matière « bru-te » de la vie en trésors de l’existence, du vécu. C’est un outil alchimique qui per-met de transformer l’expérience directe en ressource intérieure. Et c’est de cela dont parlent les contes, ils montrent comment nous pouvons agir à l’intérieur de nous, ils nous montrent ce processus de transformation, ils nous invitent à observer notre monde intérieur, à le décrypter, à l’apprivoiser, à le guider pour devenir des êtres plus matures et moins en proie aux pulsions et à l’irrationnel qui s’opposerait à notre humanité.

Les contes sont des miroirs-frontières entre notre nature intérieure et la nature extérieure.

Les contes montrent des chemins possibles pour se rencontrer et se ré-concilier avec soi-même. Ils nous disent que toute transformation intérieure s’accompagne d’une transformation extérieure.

Se réconcilier avec notre imaginaire, redécouvrir les contes de fées pour s’ouvrir à l’altérité et au fait de prendre soin de soi et de l’autre

Les contes donnent des « clés » pour arriver à la maturation, ils sont une forme de sagesse traditionnelle. Ils nous parlent d’une écologie de vie où tout est intriqué, où la sollicitude est récompensée, et où le /la héro-ïne arrive au terme de son périple en ayant rassemblé toutes ses ressources, ressources de l’ordre de qualités tantôt féminines (sollicitude, patience, attente, lâcher-prise), tantôt masculines (prise de décisions, force, prise une parole publique...). Le conte réconcilie les dualités pour nous parler d’un cheminement dans la com-plexité réunissant ce que nous avons cru contradictoire.

Pour transmettre l’expérience de la vie, il fallait trouver cette parole in-directe qui, l’air de rien, dit l’essentiel, la parole allégorique est plus forte que la parole rationnelle.

Plusieurs auteurs parlent du conte comme étant des guides nous permet-tant d’aller à la rencontre de nous même et peut-être même de nous réaliser. En fait par le conte, nous acceptons de rencontrer notre imaginaire, de lui parler, de l’apprivoiser, tout en étant guidé par une sagesse séculaire qui nous rassure. Se faisant, nous acceptons de rencontrer ce qui est créateur en nous même.

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La première altérité que nous rencontrons, c’est nous-même qui s’expri-me par notre imaginaire refoulé et/ou débridé. C’est cela que nous apprennent à faire les contes : aller à la rencontre de ce qui nous semble incompréhensible et non maîtrisable en nous-même pour l’apprivoiser, devenir complice pour surmonter les obstacles de la vie arrivant à les transformer en expérience qui nous fait grandir, murir. Le conte est éducateur, il nous fait sortir de nous, de nos croyances, de nos regards figés sur nous et le monde. L’imaginaire est trans-disciplinaire ; il ne connaît pas les frontières des disciplines, des croyances, des éléments intellectualisés.

Connaître l’imaginaire c’est apprendre à jouer avec lui, c’est ne plus subir des imaginaires imposés, inconscients, c’est choisir son excentricité, son origina-lité, c’est l’accepter comme altérité au sein de nous, comme étrangeté, comme ma-nière propre d’habiter le monde, c’est apprendre à être libre, unique et créatif.

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Conscience écologique et éthique de l’éducation : une contribution

de l’ Approche Tranversale

René Barbierenseignant-chercheur,

université Paris 8

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écologie, esthétique et poétique de notre être-au-monde

Nous dirons que l’art d’apprendre est le processus singulier et unique d’éducation qui conduit un sujet à se rendre disponible ontologiquement pour se sentir relié au mouvement créateur du monde. Cet art d’apprendre se trouve, aujourd’hui, interpellé par l’écologie. C’est toute la question de l’éducation à l’en-vironnement et de l’auto-hétéro-formation. Mais l’écologie, comme logique de la manière d’habiter le monde (oikos), ne peut se réduire à l’habit local, même s’il s’agit de penser globalement et d’agir localement. Tout nous montre que l’inte-raction des éléments destructifs sur l’environnement joue à un niveau de com-plexité encore largement inconnu dans l’état actuel de la science. Qui peut dire, aujourd’hui, que les OGM ou les radiations des téléphones portables n’auront aucun effet sérieux sur la santé humaine dans les années futures ? Cette crise de la relation écologique au monde affecte l’existence humaine dans ses diverses dimensions ; elle malmène notamment la beauté. Une authentique éducation à l’environnement ne peut être seulement politique, elle doit aussi être poétique.

Le poétique, c’est toute la dimension « esthétique » de l’existence humai-ne, une certaine manière de créer de la beauté étonnante autour de soi. Toutes les autres formes d’art y contribuent : la musique, la peinture, la sculpture, la danse, l’architecture, etc. Lesquelles ont aussi leur propre langage inventé par l’homme. Mais, c’est également une activité de reconnaissance quotidienne et banale du monde dans lequel et par lequel on vit, car chaque personne est le monde : une façon de « voir » créativement, c’est-à-dire comme pour une pre-mière fois, le moindre objet, la plus petite parcelle de vie comme faisant partie d’un ensemble porteur de sens. Cette dimension de l’existence humaine va de pair avec ce que Michel Maffesoli nomme pertinemment « une raison sensible » (Maffesoli, 1996).

L’idée que la sensibilité est une valeur à redécouvrir est, à mes yeux, es-sentielle, dans ce questionnement qui articule écologie, formation/éducation, pédagogie et esthétique. Non pas une sorte de sentimentalité ou de mollesse, mais au contraire une fermeté douce qui est portée par une vague de tendresse compréhensive pour l’enfant, l’élève, l’étudiant, le stagiaire adulte. Cela va de pair avec une « mise en veilleuse » de la raison et une redécouverte des capacités sensorielles de l’être humain, c’est-à-dire une « reliance » (Marcel Bolle de Bal) de soi-même avec la totalité de soi-même, notamment sur le plan corporel.

Lorsqu’une personne cultive son jardin, taille des rosiers, hume l’odeur du gazon fraîchement coupé et contemple son parterre de fleurs, elle est dans ce que je nomme « le poétique ». Comme l’ébéniste qui vient de fabriquer un meuble difficile à ajuster ou le professeur qui termine son cours au milieu d’une richesse de questions de ses élèves manifestant leur intérêt pour le sens de ce qu’il expose. Toute activité humaine peut ainsi s’inscrire dans une perspective

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du poétique. Il s’agit d’une sorte d’élargissement de la conscience d’être relié aux autres et au monde, au sein d’une activité créatrice. Filer simplement le coton sur son rouet, pour Gandhi, possédait cette valeur souveraine.

L’éducateur comme passeur de sensLe mot « éduquer » doit être replacé dans un univers de signification

dans lequel « apprendre », « s’instruire », « enseigner », « se former » et en fin de compte « s’éduquer », s’éclairent réciproquement. éduquer nous oblige à penser en termes d’interférences d’un ensemble de significations liées à l’expé-rientiel, au singulier et au créatif. Ce qui fait sens nous conduit à proposer trois concepts : profondeur, gravité et reliance en éducation. La profondeur demeure la trame inconnue de toute existence. L’éducateur s’y trouve impliqué et, de ce fait, se sent relié à la totalité du vivant. Cette reliance le conduit dans une gravité où la dimension éthique est primordiale.

L’acception du mot « sens », elle, est problématique. Une manière contem-poraine de l’envisager en éducation est fournie par un chercheur en sciences de l’éducation, Bernard Charlot (1997), à la suite de la « signifiance » du philosophe Francis Jacques. Un énoncé devient signifiant s’il a du sens par une caractéristi-que de différence sur le plan syntaxique, s’il dit quelque chose du monde par le renvoi à une référence sur le plan sémantique et s’il peut être compris dans un échange entre interlocuteurs sur le plan pragmatique de la communicabilité. Ainsi, pour Bernard Charlot « a de la « signifiance » ce qui a du sens, qui dit quel-que chose du monde et qui s’échange avec d’autres ». Pour cet auteur, le sens est toujours un énoncé produit par les rapports de signes en valeurs différentielles dans un système donné. Mais ce sens a toujours du sens pour quelqu’un, pour un sujet singulier, doté de désir. Sans nier ces différences acceptions du terme, je les reprendrai à ma façon en insistant sur leur spécificité plus existentielle. Pour moi, le sens possède trois acceptions fondamentales.

• Le sens comme direction, ouvert sur la finalité de la vie,

• Le sens comme signification, ouvert sur un champ de rapports de signes, de symboles et de mythes,

• Le sens comme sensation, ouvert sur l’inscription corporelle de l’esprit et la pluralité des données sensorielles.

Un éducateur, qui n’est pas un éducastreur (celui qui castre symbolique-ment les élèves), suivant une formule qui avait cours dans les années 1970, n’est pas une girouette tournant au gré des vents de l’histoire et de l’air du temps. C’est un homme de Connaissance, un éveillé qui connaît la région que doit em-prunter l’élève sans pouvoir pour autant tracer d’avance sa route singulière et imprévue. Il connaît la trame mais non le motif. Il découvre l’écran, mais n’a jamais vu, et ne verra jamais, le film unique que l’élève y projettera, dans une inconscience nécessairement mal contrôlée.

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Je n’ai jamais pu me résoudre à suivre les sentiers battus de la pensée occidentale en ce qui concerne le mode d’être, le mode de sentir, de l’homme en cette fin du XXe siècle. L’approche orientale de l’existence nous fait recon-naître, en nous-mêmes, une région de la psyché qui est de la « non-pensée » sans être, pour autant, un état d’abrutissement psychique, ni même de rêverie. Il s’agit d’un état de conscience vigilante qui semble réunir des capacités de la personne entière, sans être cependant une conscience de quelque chose. Jiddu Krishnamurti (1895-1986), ce sage de « l’insoumission de l’esprit » comme le qualifie Zeno Bianu (1996), nomme cet état, la « méditation » qui s’exprime par une vision pénétrante du réel et qui nous conduit, d’après sa propre expérience, à un état d’« Otherness », d’« Autreté » numineuse.

La dimension sociale et solidaire de l’acte éducatif

L’éducation est un processus d’élucidation critique qui conduit un être humain d’un état d’individu égocentrique à celui d’une personne oblative, in-tégrée à la Vie et à la communauté humaine. L’éducation est un cheminement réflexif sur le sens tout au long de l’existence. Guillevic - ce grand poète français qui est décédé dans la quasi indifférence - écrivait naguère, à propos de la plus haute misère : « C’est quand on dit je ne sais plus, je ne peux plus, je ne veux plus ». Qui se souvient encore, à la porte des églises ou dans le métro, que le pauvre à la main tendue, peut aussi serrer ses poings ?

Il y a aujourd’hui de moins en moins d’éducation et de plus en plus d’im-position de significations considérées comme légitimes par ce qu’on appelle la « pensée unique ». Sous cette violence symbolique grouillent mille autres vio-lences beaucoup plus matérielles et physiques. La question que posent les pou-voirs politiques et économiques à l’école semble se résumer à un « comment faire face » à la planétarisation technologique de l’économie libérale. Les va-leurs, la culture générale, le problème du sens de la vie, deviennent au mieux, quand on en parle encore, des gadgets pour les médias. Ils sont le plus souvent oubliés dans les faits par les planificateurs. On laisse ces réflexions aux poètes et aux philosophes des cafés de la capitale. En attendant le mal gagne insidieu-sement et s’infiltre dans la société civile en proie à la désespérance.

Les élèves, les étudiants, ne sont pas des idiots culturels. On ne saurait les réduire au silence au nom d’une autorité qui masque difficilement son pouvoir de domination lié à des privilèges sociaux dissimulés. La réussite d’un étudiant, pour un éducateur, est moins dans son insertion sociale dans une société injus-te, que dans sa prise de conscience d’une autre manière de vivre tous ensemble et de lutter en conséquence.

L’éducation au monde, à la justice et à la démocratie, doit se faire le res-pect rigoureux, non pas de l’individualisme, mais d’une autonomie relationnelle.

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Il s’agit de prendre la mesure du questionnement : l’affirmation de l’autonomie de la personne et de la société dans une perspective démocratique. L’autonomie com-me résultat d’un décloisonnement d’enfermements psychique et sociaux. L’auto-nomie comme poussée en avant d’une intentionnalité de la vie à entrer des sys-tèmes de plus en plus complexes en les créant elle-même et à partir d’elle-même. L’autonomie comme jeu ouvert et lucide, de forces toujours susceptibles d’être reprises par la pesanteur, mais aussi la puissance sécuritaire, de l’hétéronomie.

Les Trois écoutes, les Trois Imaginaires et l’ Approche Transversale

L’Approche Transversale, théorie psychosociologique existentielle et mul-tiréférentielle, implique la mise en oeuvre, dans toute situation éducative, de trois types d’écoute/parole : scientifique-clinique, avec sa méthodologie propre de recherche, appelée recherche-action existentielle ; poétique-existentielle qui prend en compte les phénomènes imprévus résultant de l’action des minorités et de la particularité dans un groupe ou chez un individu ; spirituelle-philoso-phique c’est à dire l’écoute des valeurs ultimes qui sont en oeuvre chez le sujet (individu ou groupe). Valeurs ultimes, c’est-à-dire, ce par quoi nous sommes rat-tachés à la vie, ce que nous investissons le plus quant au sens de la vie. Nous avons tous de telles valeurs, même si nous ne savons pas toujours les recon-naître avec suffisamment de lucidité. Dans un groupe, quelles sont ses valeurs ultimes, ce par quoi il accepte de risquer l’essentiel ?

Dans l’Introduction à mon livre L’Approche Transversale, (Barbier, 1997), j’ai proposé une théorie de l’imaginaire tridimensionnel à l’oeuvre dans toute situation éducative. Il s’agit d’une théorie spécifique de l’imaginaire. Je présen-tais ainsi ces trois dimensions :

• Un imaginaire pulsionnel qui met en jeu le « destin des pulsions » dans toute existence humaine et, ipso facto, dans toute vie collective. La théorie psychana-lytique est discutée, en particulier la question de la « pulsion de mort », concept à la fois fixé par Freud jusqu’à la fin de sa vie et, en même temps, peu assuré sur le plan de la recherche clinique et largement interpellé par différents courants psychologiques comme par certains psychanalystes.

• Un imaginaire social, dans la ligne de Cornelius Castoriadis. Il s’agit de pré-senter la conception d’une société qui s’institue en permanence dans son his-toricité tout en développant un magma de significations imaginaires sociales radicalement original. La théorie institutionnelle s’étaye sur ce type d’imagi-naire social et présente dès lors une dialectique « institué, instituant, institu-tionnalisation » bien dessinée par le courant sociologique de l’Analyse Institu-tionnelle (Lourau/Lapassade, Rémi Hess, Antoine Savoye, Patrice Ville et l’école

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vincennoise). L’habitus est à replacer dans ce contexte. Il ne saurait être, dans ce cas, une sorte de logiciel d’une structure inculquée conduisant à des com-portements conformistes (phénomène de reproduction). L’habitus est toujours tenu en échec par la dialectique des rapports sociaux qui ne manque jamais de s’exprimer en son sein et d’animer sa dynamique interne. L’imaginaire collectif (Florence Giust Desprairies, 1989), comme articulation entre un imaginaire per-sonnel, éclairé par la psychanalyse, des membres d’un groupe et l’imaginaire social d’une époque inscrit dans une institution scolaire, semble un concept-charnière pour notre propos.

• L’imaginaire sacral constitue le troisième volet de cette théorisation de l’ima-ginaire. Ce sont les conceptions théoriques de Mircea Eliade et de Rudolph Otto, mais également la reconnaissance de l’attitude méditative de Krishnamurti, qui sont invoquées pour comprendre ce qu’est l’homo religiosus. Cette dimension de l’imaginaire me semble une des plus nécessaires à redécouvrir aujourd’hui en sciences de l’homme. Elle représente une des parties les plus originales de ma propre théorisation en sciences de l’éducation. S’il est vrai, comme le pré-tend Mircea Eliade, que le sens du sacré fait partie de la structure de la conscien-ce et n’est pas, comme on le pensait, qu’une étape dans l’évolution de cette conscience, l’homo religiosus, homme du symbole et du mythe par excellence, sera, dès lors, toujours présent dans toute relation sociale. Les remarquables apports théoriques de Gilbert Durand et de son équipe, comme l’ouverture de Carl Gustav Jung, viennent compléter sur le plan de l’investigation symbolique, cette conception herméneutique de M. Eliade.

Chaque type d’imaginaire engendre sa propre transversalité, c’est-à-dire un réseau symbolique spécifique, doté, en relation et en proportion variables, d’une composante structuro-fonctionnelle à côté et en interrelation avec une composante imaginaire, relativement structuré et stable, fonctionnant comme « un bain de sens » à décrypter, inscrite dans les produits, les pratiques et les discours du sujet.

• La transversalité phantasmatique pour l’imaginaire pulsionnel qui exprime l’ensemble des fantasmes d’un individu ou d’un groupe selon une logique où se joue en partie la conjonction conflictuelle d’éros, de Thanatos et de Polémos.

• La transversalité institutionnelle, réseau symbolique socialement sanctionné, qui est suscitée par l’imaginaire social selon une logique dialectique d’insti-tuant, d’institué et d’institutionnalisation.

• La transversalité noétique qui affirme symboliquement le jeu de l’imaginaire sacral face au mystère de l’être-au-monde, principalement selon trois modes d’être : le mode apollinien (sérénité, sagesse), le mode dionysiaque (transe mys-tique) et le mode franciscain (de l’amour oblatif).

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Les Trois Pulsions de l’apprenant Je fais l’hypothèse que toute personne désireuse de se former articule

conjointement trois types de pulsions, une pulsion « épistémophilique » ou pul-sion du savoir, une pulsion d’expression de son être global ou pulsion de dire, une pulsion d’interrogation ontologique sur l’essence du monde ou pulsion de connaître.

Je parle de « pulsion » pour indiquer que le désir qui en résulte tire son origine dans la complexité somato-psychique du vivant humain. Je comme postulat que ces trois pulsions ne peuvent être dissociées. Elles jouent ensem-ble dans la dynamique de formation selon une logique trinitaire telle que l’ont formulé Dany-Robert Dufour (Dufour, 1990), mais, également, dans un regis-tre plus spécifiquement pédagogique, Jean Houssaye, en faisant « jouer » trois facteurs en interaction : le savoir, l’enseigné et l’enseignant (Houssaye, 1988). Vouloir utiliser une logique binaire selon notre habitude, nous conduit à des im-passes pédagogiques. Il faut toujours le troisième terme de la structure – celui qui constitue la « case vide » permettant le jeu du jeu, pour éviter tout blocage.

Pulsion de SavoirEn pédagogie des adultes, nous devons toujours partir de l’hypothèse que

la personne désire se former en vue d’accroître son savoir théorique et pratique sur son monde quotidien, professionnel ou autre. Son désir de savoir est lié à sa volonté de pouvoir. L’adulte en formation recherche ce qui aura le plus de « per-tinence » dans son rapport à l’objet : une meilleure adéquation entre sa concep-tion des choses et sa pratique ; une meilleure maîtrise de son savoir-faire ; une meilleure articulation entre ce qu’il souhaite et ce qu’il peut faire ou avoir ; une meilleure adaptation entre ses compétences et ce que lui demande l’entreprise. Sur ce plan, l’adulte ne se forme pas pour le simple plaisir de se former.

Pulsion de ConnaîtreMais l’adulte en formation est également un être humain qui ne peut se

résoudre à n’être qu’un peu plus compétent. Il veut connaître le « sens » de son activité et cette optique le porte à interroger le sens du monde et de sa place en son sein. C’est la question de la Vérité qui se pose à lui. Qui est-il ? Que fait-il sur cette terre ? Où va le Monde et son propre monde ? N’importe quelle histoire de vie d’adultes en formation est susceptible de démontrer ce que j’affirme pour peu qu’il s’agisse bien d’« histoire de vie » (problème du temps de narration, de la confiance, de l’approfondissement dans un cadre symbolique respecté, etc.) et non d’un simple gadget méthodologique (Barbier et le Grand, 1990). Mar-tine Poupon-Buffière a mis en lumière dans sa thèse la crise existentielle et son

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aménagement d’où elle dégage des figures symboliques typiques dans le par-cours de formation des futurs formateurs (Poupon-Buffière, 1990).

Cette pulsion de Connaître, les artistes, les poètes, les philosophes et les sages la reconnaissent comme une des clés de leur aptitude créatrice. Dans une perspective lacanienne, c’est la quête inachevée de la place du sujet clivé dans la structure. Dans une perspective proche de Cornelius Castoriadis, c’est le rap-port imaginaire d’indétermination qui unit le sujet axé sur son autonomie au Chaos, Abîme, Sans-Fond, comme dans une perspective d’une sagesse orientale proche de Jiddu Krishnamurti, c’est la relation bouleversante et non-maîtrisable à l’« Otherness » (Krishnamurti, 1988).

Dans la mentalité primitive, c’est le rapport magico-religieux au mon-de et, plus largement, si nous acceptons de suivre les riches études de Mircea Eliade, c’est le « sacré » comme faisant partie de la structure de la psyché (et non seulement comme une étape dans l’évolution de la conscience. Quiconque suit un peu l’activité épistémologique contemporaine sait que la « pulsion de Connaître », avec la question de la vérité, est au centre de la réflexion, avec des interpellations de plus en plus éclairantes pour l’éducation au carrefour d’une pensée occidentale et d’une vision orientale du monde.

Pulsion de DireJacques Lacan l’a écrit : l’homme est un « parlêtre ». Il est dans sa nature

de participer à l’ordre symbolique dont il est constitué. Cette pulsion ne s’envi-sage guère sans un rapport à la mort comme l’exprime très bien le poète mexi-cain Octavio Paz : « Moi dans la mort je découvre le langage. L’univers parle seul, mais les hommes parlent avec les hommes » (Paz, 1986, p.34).

Dire, c’est exprimer selon une logique symbolique inhérente à toute logi-que sociale. Il y a dans l’expression du Dire, à la fois une reliance fondamentale à la culture et aux autres, mais également comme un surplus énergétique à dé-penser, à gaspiller comme le pense Georges Bataille. Loin d’être une réduction d’une tension de paroles retenues, le Dire est une explosion d’un réel qui veut signifie. La Joie, au-delà du plaisir, n’est-elle pas le fait de cette dispersion ver-tigineuse et totalisante ? La création est directement liée au Dire. Elle en est sa fonction primordiale. Mieux que jamais, une personne entre dans le Dire dès qu’elle improvise, c’est-à-dire dès qu’elle commence à créer.

Une logique trinitaire anime ces trois pulsions. Lorsque deux d’entre el-les jouent ensemble au risque de se figer et de fixer la structure de formation dans un immobilisme institué, la troisième est là pour redonner un dynamisme au jeu. Nous pouvons formaliser les figures logiques de la manière suivante (S pour savoir, D pour dire, C pour connaître) :

• S + D / (C),• C + D / (S),• C + S / (D),

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Ainsi, prenons le jeu de (S) et de (D) avec (C). Dans ce cas, Savoir et expres-sion (Dire) s’articulent au détriment de la pulsion de Connaître. Le rapport au Savoir pousse l’adulte et ses formateurs vers une maîtrise de plus en plus accen-tuée et liée au pouvoir. Le Dire est pris dans ce jeu et peut s’y enliser : il devient discours d’accompagnement et séquence idéologiques, bientôt langue de bois. Mais (C), la pulsion de Connaître entre en compétition pour rétablir la fluidité du jeu et l’explosion des sécurités établies. Ce sont souvent les philosophes et les mystiques qui jouent ce rôle de contestataire.

Prenons un autre cas de figure : articulation entre (C) et (D) avec (S). La formation devient de plus en plus un jeu entre une interrogation métaphysique et une expression qui s’englue dans des circonvolutions sémantiques. Nous en trouvons, actuellement, une tendance dans le « retour du sacré », souvent char-latanesque. (S) intervient alors pour rétablir l’équilibre par un juste retour à un principe de réalité exigeant plus de pertinence et une volonté de rigueur intel-lectuelle, malgré tout sans cesse relativement illusoire en dernière instance car le « réel » reste « voilé ».

Dans le troisième cas de figure, S joue avec C et (D) est entre parenthèses. La formation prend des allures de maîtrise sur ce qui est pourtant non-maîtri-sable. C’est le règne des programmes et des réformes, de la parole magistrale toute puissante et de l’invalidation de la dissidence. (D) sortira de l’ombre pour réanimer jeu. En s’appuyant sur C, la fonction du Dire, souvent, dans ce cas, à dominante artistique, ludique et libidinale, fera émerger l’instituant qui dés-tructurera ce qui devient une ossification de la vie collective en formation.

On pourrait montrer que les différents types de formation (auto-forma-tion, hétéro-formation et éco-formation) dégagés par Gaston Pineau (Pineau et Marie Michèle, 1983), s’inscrivent très bien dans ce modèle. L’auto-formation relie la pulsion de Connaître et la pulsion de (se) Dire. L’hétéro-formation relie la pulsion de Savoir et la pulsion du Dire : ce que les autres, les institutions de formation nous offrent, nous le réinvestissons dans l’affirmation et l’expression de nous-mêmes. L’éco-formation est le résultat de l’articulation d’une pulsion de Savoir avec une pulsion du Connaître, à partir d’un questionnement venant du Monde (et du petit monde que constitue notre environnement immédiat).

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PerspectivesSans doute, faut-il s’entendre sur le terme « éducateur ».

Beaucoup d’enseignants refusent d’être des éducateurs dans le système traditionnel de l’enseignement. Ils pensent qu’il suffit d’être un transmetteur de savoirs légitimes, sans voir que les élèves ne s’intéressent plus à cette culture des « héritiers ». être un éducateur, c’est refuser à la fois l’idéologie des enseignants-savants et celle des élèves inféodés à la violence symbolique de la mondialisation mass-médiatique. C’est développer une « pé-dagogie transversale » (Barbier, 2002).

Ce type de pédagogie intègre véritablement la conscien-ce planétaire pour comprendre les enjeux de notre temps. Elle ne refuse plus l’action pour « le politique » démocratique sans s’enfermer dans « la politique politicienne » aux bipolarisations faciles. Elle ne refoule pas la dimension proprement symbolique et mythique de l’être humain et reconnaît l’efficacité spirituelle et laïque à définir par tous aujourd’hui. Elle accepte le jeu du désir individuel sans culpabilité mais également sans soutenir l’ère de la jouissance à tout prix du capitalisme organisé. L’édu-cation sera toujours une épine plantée dans le non-sens de toute société.

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Bibliographie Barbier R., 1997, L’Approche Transversale, l’écoute sensible en sciences humaines, Paris, coll. «exploration interculturelle et science sociale, Paris, Anthropos

Barbier R., 1997, L’éducateur comme passeur de sens, CIRET - Communication au Congrès International « Quelle Université pour demain ? Vers une évolution transdisciplinaire de l’Université » (Locarno, Suisse, 30 avril - 2 mai 1997), voir la page web http://nicol.club.fr/ciret/bulletin/b12/b12c9.htm http://nicol.club.fr/ciret/bulletin/b12/b12c9.htm (page vue le 25 mai 2009)

Barbier R., 2002, Les trois pédagogies, page web sur « le journal des chercheurs », http://www.barbier-rd.nom.fr/journal/article.php3?id_article=39, page vue le 25 mai 2009

Barbier R., Le Grand JL, (1990), L’approche « histoire de vie » et l’éducation (problématique, perspectives et questionnements ), Actes du Colloque de l’A.F.I.R.S.E. à Alençon (24-26 mai 1990), les nouvelles formes de la recherche en éducation au regard d’une Europe en devenir, pp 66-70

Bianu Z., 1996, Krishnamurti, l’insoumission de l’esprit, Paris, Seuil

Bolle de Bal M., 1996, Voyages au coeur des sciences humaines. De la Reliance, T.1, Reliance et théories, T.2, Reliance et pratiques, Paris, L’Harmattan, 1996

Charlot B., 1997, Du rapport au savoir : éléments pour une théorie, Paris, Anthropos

Dufour D-R., 1990, Les mystères de la trinité, Paris, Gallimard

Giust-Desprairies F., 1989, L’enfant rêvé. Significations imaginaires d’une école nouvelle, Paris, A. Colin

Houssaye J., 1988, Théorie et pratiques de l’éducation scolaire, T.1, le triangle pédagogique, T. 2, Pratiques pédagogiques , Suisse, Berne, Peter Lang

Krishnamurti J., 1997, Le livre de la Méditation et de la Vie, Paris, Stock

Krishnamurti J., 1988, Carnets, éditions du Rocher, Monaco

Maffesoli M., 1996, éloge de la raison sensible, Grasset

Paz O., 1986, Le Feu de chaque jour, Paris, Poésie/Gallimard,

Pineau G., Marie-Michelle, 1983, Produire sa vie : autoformation et autobiographie, Paris, Edilig, et les éditions coopératives Albert Saint-Martin de Montréal

Poupon Buffière, M., 1990, Processus de communication dans les groupes en formation (thèse de doctorat en sciences de l’éducation) Paris, université Paris VIII

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Approches pédagogiques et didactiques

de l’éducation au développement

durable

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Approches didactiques et pédagogiques

au cœur de l’éducation au développement durable

Francine Pellaudinspectrice scolaire,

Canton de Berne, Suisse

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La didactique s’intéresse aux mécanismes d’apprentissage. En d’autres mots, « à ce qui se passe dans la tête de l’ap-prenant au moment où il apprend ». Dés lors, si l’on a une

vision empiriste, selon laquelle le savoir s’imprime dans la tête de l’élève comme on pourrait l’imprimer sur une cire vierge12, ou, au contraire, si l’on pense que le savoir se construit par confron-tation et interaction comme l’envisage le socio-constructivisme, la pédagogie adoptée ne sera pas la même. De frontale dans le premier cas, elle passera à des travaux en groupes ou en ateliers dans le second. Quelle que soit l’approche didactique adoptée –et donc la pédagogie qui en découle-, elle n’est ni juste ni fausse. Sa pertinence n’est légitimée que par la nature du savoir en jeu. Personne n’aura l’idée de mettre en place un atelier-débat pour apprendre le mouvement du saut à la perche. Dans ce cas, la vision didactique d’un apprentissage passant uniquement par l’essai et l’erreur13, et donc par la répétition multiple d’un geste, est suffisante14.

Dans le cas du développement durable, la nature des sa-voirs est éminemment complexe. Elle fait appel à de multiples changements dans nos manières de percevoir la réalité, de la comprendre et de lui donner du sens, mais également de s’y re-pèrer et d’y prendre des décisions. Dans un tel paysage, les idées préconçues, les fausses interprétations, les a priori, les croyances, mais également les habitudes de pensée ou plus simplement les habitudes culturelles deviennent vite des obstacles presque insurmontables à la compréhension de ce nouvel état d’esprit. Car éduquer au développement durable, c’est avant tout cela : instiller un changement d’état d’esprit pour permettre de « voir plus loin », d’anticiper sur l’avenir et d’agir en conséquence.

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D’un point de vue didactique, nous devons donc nous pré-occuper des conceptions (ou représentations) des apprenants. Mais s’en préoccuper ne signifie pas seulement les faire émerger et en prendre acte, comme s’il s’agissait d’un point de départ, d’un niveau au-dessus duquel on ne peut « démarrer » une sé-quence d’enseignement. Avant de pouvoir aider les apprenants à construire leurs savoirs, il faut souvent d’abord leur offrir les moyens de déconstruire15 ce qui, pour eux, constitue des points d’ancrage sur lesquels ils s’appuient pour expliquer le monde qui les entoure. Car les conceptions peuvent être des obstacles à l’apprendre, mais elles sont aussi les seuls outils d’interpréta-tion du monde que l’apprenant a à sa disposition. Les quitter, ou du moins les transformer, constitue donc pour lui une véritable prise de risque qu’il ne prend souvent qu’à contre-cœur, et qu’à partir du moment où il perçoit leurs limites, notamment au ni-veau explicatif.

Conscients de ces difficultés, la pédagogie que nous pro-posons ne peut être que multiple et diversifiée, s’appuyant sur un « environnement didactique » qui l’est tout autant.

12. Condillac (1754) décrit l’esprit humain comme un « objet de cire conservant en mé-moire les empreintes qu’on y a moulées ». Le modèle empiriste se fonde par suite sur l’idée d’imprégnation et de mémorisation.

13. Il s’agit en l’occurrence de l’approche behavioriste issue des recherches de Holland et Skinner (1961, 1968), suite aux travaux sur le conditionnement animal menés dés 1889 par le scientifique Russe Pavlov

14. Il s’agit en l’occurrence de l’approche behavioriste issue des recherches de Holland et Skinner (1961, 1968), suite aux travaux sur le conditionnement animal menés dés 1889 par le scientifique Russe Pavlov

15. Bachelard (1938) était plus radical et préconisait de les « détruire ». Nous savons aujourd’hui que cela est impossible, car l’apprenant en a besoin pour les dépasser. Il faut donc faire « avec pour aller contre » selon l’expression d’André Giordan.

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L’ environnement didactiqueComme le propose le schéma suivant, il va falloir des moments de contex-

tualisation et de questionnement pour permettre aux apprenants de trouver du sens aux savoirs abordés, des moments de confrontation et de perturbation pour leur permettre de percevoir les limites de leurs conceptions, autant que des moments de véritable accompagnement, afin que l’apprenant ne se sente pas « perdu » durant ces phases de transition et qu’il ose se « lâcher ».

L’appropriation « d’aides à penser », sous forme de schémas, de modèles, de symboles, etc..., ainsi que des phases de mobilisation de ces nouvelles concep-tions vont participer à la consolidation de ces acquisitions. Une étape indispen-sable à l’éducation au développement durable est celle dévolue à l’imagination créatrice et à l’innovation, qui vont participer à cette capacité d’anticipation et de volonté de « voir plus loin ».

Environnement didactique favorisant l’acte d’apprendre, Giordan-Pellaud, 2002

Transformerses conceptions

être pertubé

avoir confianceoser se «lacher»

s’approprier des aides à penser

diversifier les outils/ressources didactiques

diversifier les approches pédagogiques concerner

questionner

interpeler contextualiser

proposer et/ou faire

élaborer des savoirs (concepts

organisateurs) savoirs-être et

faire savoirs sur le

savoir

utiliser les intérêts et les compétences

spécifiques des élèvesfavoriser

• la communication, • les mises en relation, • la mobilité de la pensée, • travail en réseau, etc.

favoriser la prise de recul • par l’expression orale, • par l’émission d’hypothèses, • par la créativité, • par le passage à l’écrit

ébranler le système cognitif, créer des

dissonnances

favoriser • l’esprit critique, • la confiance en soi, • la curiosité, • l’ouverture, etc.

accompagnerpouvoir mobiliser

ses savoirs

Trouver du sens aux savoirs abordé, être motivé

se confronter

savoir imaginer, oser innover

proposer et/ou faire

élaborer des repères et des liens

élaborer/réfléchir sur ses propres savoirs

gérer le temps nécessaire à l’apprendre

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Les pédagogies sont donc essentiellement des pédagogies actives16, alternant :

• la recherche personnelle d’informations avec leur mise en commun par grou-pe afin d’en définir leur validité,

• l’expérimentation, quand elle est possible, mais en passant par la définition du problème autant que par les éléments nécessaires à mettre en place pour la vérification des hypothèses,

• le débat argumenté –pouvant être présenté sous forme de table ronde, de jeux de rôles, de prises de positions face à un élément de l’actualité, etc.

• la réalisation d’un projet de classe ou d’établissement, incluant la définition des objectifs, des outils et des moyens, des acteurs et les formes de collaboration

• la mise sur pied d’exposition, de visites guidées, de démonstrations, autant de situations qui permettent la mobilisation et le réinvestissement des savoirs auprès d’autres publics,

• la mise en scène de spectacles, l’écriture de contes ou de romans, la création d’un site web ou d’un forum de discussion, etc. situations nécessitant la créati-vité, l’innovation, la capacité à présenter à autrui une connaissance, un savoir ou un ressenti et offrant des possibilité interdisciplinaires infinies.

Mais si les pédagogies actives ont notre faveur, cela ne veut pas dire qu’il faut négliger les formes plus traditionnelles de diffusion d’informations ou de connaissances. Lire un livre ou un article, regarder un film, assister à une dé-monstration sont autant de situations qui participent à la diversité de l’envi-ronnement didactique. Néanmoins, un effort tout particulier doit être porté sur la manière dont on utilise ces moments. Visionner une émission de télévision peut être autant un moment de repos intellectuel qu’une activité dense de ré-flexion et de métacognition. Il en va de même pour la démonstration ou même la lecture. Tout dépend alors de la manière dont on l’utilise. Par exemple, antici-per le résultat sur une démonstration, chercher à comprendre les multiples pa-ramètres qui la composent sont autant de questions qui permettent d’éveiller le questionnement, de susciter l’attention. De même, arrêter le film en cours de route, questionner sur un passage, sur une image, relever des difficultés de com-préhension sont autant d’éléments qui permettent une activité intellectuelle et favorisent l’appropriation de l’information.

16. Les pédagogies actives ne font pas forcément appel à l’activité physique, telle que décrite dans les activités de type « Main à la pâte ». On peut très bien réaliser une expérience en suivant un mode opératoire comme on suivrait une recette de cuisine, sans que nos « neurones » ne soient en activités. L’activité recherchée est donc celle du cerveau, à travers la réflexion, la mise en relation, la recherche d’hypothèse, l’argumentation, etc.

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Contenus et savoirs de référencesLes savoirs de références sur lesquels s’appuie la compréhension des pa-

ramètres liés aux problématiques qui touchent au développement durable pren-nent leurs racines dans l’ensemble des savoirs disciplinaires traditionnels. C’est pour cette raison que l’éducation au développement durable n’est pas une disci-pline en soi, mais qu’elle se nourrit autant qu’elle nourrit en retour les disciplines habituelles. Ainsi, si l’éducation au développement durable remet en question les savoirs disciplinaires académiques, ce n’est pas tant sur le fond que sur la forme, la manière dont ils sont abordés et surtout celle dont on peut les relier.

L’approche systémique qui découle de cette inter ou transdisciplinarité crée un environnement favorable à ce changement d’état d’esprit que nous évo-quions précédemment, car il montre la complémentarité des disciplines pour mieux saisir la complexité de la réalité. Ce n’est que de cette manière que nous pouvons participer au développement de cette capacité à « voir plus loin » et à anticiper sur l’évolution du monde. Par cette approche, nous rejoignons les ob-jectifs de Virilio et de son « Université des catastrophes », celles-ci devant servir d’appuis pour « les interdire par la pensée et l’intelligence »17.

Les outils pour « voir plus loin »La nécessité de savoir créer des liens, capacité fondamentale pour com-

prendre le DD, se décline de plusieurs manières au sein de l’éducation.

D’une manière extrêmement pragmatique, cela signifie qu’il faut per-mettre aux élèves de sortir des cadres habituels de pensée. Cadres disciplinaires, certes, mais également cadres paradigmatiques culturels et sociaux, permet-tant un regard décentré et une meilleure compréhension de l’autre.

• Parmi ces cadres, les modes de raisonnement et les logiques classiques sont à remettre en question. Les lois de causes à effet, la relativité de la réalité, toujours dépendante de facteurs contextuels, et la multiplicité des possibles, en lien avec la gestion de la complexité.

• Enfin, cette capacité à sortir des cadres et à créer des liens ne peut se faire qu’en apprenant à prendre du recul pour ne pas se fier aux apparences.... même, et surtout, si celles-ci sont « vues à la TV » ou plus encore de nos jours sur Internet... Une clarification des valeurs, sans prosélytisme et surtout sans jugement, est alors également un pas nécessaire.

17. VIRILIO, P. (2007) L’Université du désastre, éd. Galilée

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Exemple d’une thématique d’EDD abordée de manière interdisciplinaire : Les changements climatiques.

Propositions adaptables pour des degrés du secondaire I et/ou II

Français : Que recouvre le concept de « changements climatiques » ? Pourquoi change-ments et pas réchauffement ? Qu’en disent les journaux ? Y a-t-il des avis contraires ? à quoi sont-ils dûs ? etc. Lecture d’articles, recherches Internet, confrontations d’idées, argumentation, résumés de documents, etc. Comparaisons de différentes littératures, de types d’argumentation, analyse critique des médias, etc.

Langues étrangères : en fonction du niveau atteint, les documents peuvent être consul-tés dans d’autres langues, notamment les documents onusiens. Il est également inté-ressant de confronter les diverses dénominations. Comment traduit-on et présente-t-on les changements climatiques dans les journaux anglophones (notamment améri-cains), germanophones, hispanophones, etc. ? Quelle est la traduction de développe-ment durable ? Qu’est-ce que l’emploi de ces termes suscite ?

Histoire et géographie : Depuis quand exploite-t-on le pétrole ? Où se situent les réser-ves mondiales ? Comment et par qui sont-elles exploitées ? Quelles conséquences pour les peuples autochtones, l’économie, la biodiversité ?

A-t-on déjà observé des changements climatiques avant notre ère ? Quelles en ont été les conséquences ? Pourquoi dit-on aujourd’hui qu’ils sont d’origine anthropique ?

Quelles seront les conséquences si la température continue d’augmenter ? Quelles ré-gions seront touchées par la désertification, par les inondations ? Comment va-t-on gérer les mouvements de populations ?

éducation à la solidarité N/S, à la paix : Quels sont les risques de conflit (accès à l’eau potable, terres cultivables, augmentation de la population des mégapoles, logements, etc...) ? Comment les Nations-Unies envisagent-elles cet avenir ? Comment devra-t-on réagir pour éviter les conflits ? Qu’en disent les grands penseurs de notre époque (Prix Nobel de la Paix, philosophes, etc...) ?

Sciences physiques : Quels sont les mécanismes des changements climatiques ? Qu’est-ce que l’effet de serre ? Quels sont les éléments qui contribuent à son augmentation ? D’une manière générale, quelle est la « chimie de l’atmosphère » et les mécanismes physiques qui régissent le climat ? En relation avec la géographie : qu’est-ce que le Gulf Stream, El Nino ? Quelles sont les influences des courants marins sur le climat et pourquoi ? (différences de température, densité, mouvements browniens, etc.). Que se passerait-il si le Gulf Stream s’arrêtait ? Pourquoi a-t-il des risques de s’arrêter ? Pour-quoi dit-on que les océans monteraient de quelques centimètres à plusieurs mètres ? (phénomènes de dilatation, fonte du permafrost, etc...)

Techniques et énergie : Quelles solutions sont actuellement envisagées pour lutter contre les changements climatiques ? Quelles formes d’énergie pourraient pallier l’uti-lisation du pétrole ? Qu’est-ce que l’énergie grise d’un produit ? Et son éco-bilan ?

Où et dans quelles utilisations trouve-t-on le pétrole ? Est-il remplaçable ? Si oui, où ? Si non, pourquoi ?

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Mathématiques : Que signifient les courbes, schémas et autres représentations présen-tant l’évolution des températures, la présence de certaines substances dans l’atmos-phère, la proportion des principales sources de pollution, etc. ? Comment calcule-t-on une proportionnalité, un pourcentage ? Qu’est-ce qu’une statistique ? Comment la pro-duit-on ? Comment peut-on l’interpréter ? Combien peut-on économiser en énergie et en argent en utilisant des ampoules économiques, en éteignant les « stand by », en supprimant la voiture pour les courtes distances, etc. ? Que signifie la notion d’échelle dans le temps, dans la matière, en économie ?

Le rapport Stern (GB) a montré que les changements climatiques vont coûter l’équiva-lent de 2 guerres mondiales : comment peut-on calculer cela ? Etc...

Biologie et sciences de la vie et de la terre : Qu’est-ce que la biodiversité ? En quoi les changements climatiques y portent-ils atteinte ? Qu’est-ce que la calotte glacière, le permafrost ? à quoi servent les carottages effectués dans la calotte glacière ? Que si-gnifie « réchauffement » au niveau planétaire ? Et local ?

Quels sont les mécanismes qui président à la « purification » naturelle de l’eau ?

On dit que le pétrole est une énergie fossile, alors que le solaire, l’éolien, la géothermie sont des énergies renouvelables. Quelle est la différence ?

éducation à la santé : l’utilisation du pétrole comme combustible (notamment dans les véhicules) porte atteinte au climat : et à la santé ? Quelles sont les « maladies du siècle », leur causes et leurs conséquences ? Sont-elles toutes liées à un certain mode de vie ?

Quelles sont les maladies dues à une eau « sale » ? Risque-t-on de retrouver des ma-ladies que l’on croyait éradiquées ou en passe de l’être (germes libérés du permafrost, insalubrité de l’eau, développement de régions à moustiques, etc.) ?

éducation citoyenne et éthique : Que peut-on faire pour lutter, à l’échelle individuelle, nationale et internationale, contre les changements climatiques ? Qui doit le faire et pourquoi ? Est-ce du ressort de chacun de nous ? Que signifie la responsabilité dans un cas comme celui des changements climatiques ? Si la responsabilité est floue, cela signi-fie-t-il qu’elle ne doit pas être assumée par chacun d’entre nous ? Qu’est-ce que j’aime-rais comme avenir, pour moi, pour mes enfants futurs ? Pourquoi est-ce à cela (valeurs) que je tiens ? Jusqu’à quel point suis-je prêt(e) à (m’)investir pour y parvenir ? Etc...

Arts visuels et plastiques, créativité et innovation : Quels artistes se sont penchés sur ces problématiques ? Quel est le rôle de l’artiste dans la réflexion ? Quels sont ses outils ? Quels choix émotionnels président à l’œuvre ? Comment peut-on créer une œu-vre sur un tel sujet ? En fonction des étudiants, créer un texte, une œuvre plastique, conceptuelle, etc...

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Une pédagogie de la formation du jugement

Bernadette Fleuryformatrice d’enseignant

Agrocampus Ouest Site de Beg Meil

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L’introduction de la notion de développement durable dans le système éducatif peut-elle se faire sans interpel-ler les conceptions de la formation. Il paraît important

de prendre l’exacte mesure des ruptures culturelles que le dé-veloppement durable implique et de s’interroger sur les condi-tions de sa mise en œuvre pédagogique. Peut-on simplement ajouter cette notion aux programmes préexistants ou remet-elle en cause les finalités et les modalités de l’enseignement ? En d’autres termes, le développement durable est-il compatible avec toutes les formes de pédagogie ?

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Questionner les habitudes pédagogiques au regard du développement durable Qu’en est-il des pratiques pédagogiques actuelles ?

La conception de la formation paraît encore très marquée par le modèle taylorien de division du travail entre des concepteurs de solutions et de savoirs et des agents d’application qui n’ont pas à se poser les problèmes de fond mais simplement à enregistrer, appliquer et adapter. L’enseignement disciplinaire est encore massivement conçu, soit dans une pédagogie de la transmission magistralo-dialoguée, comme une opération de vulgarisation sous forme d’ap-ports de savoirs de type informatif, soit, depuis l’introduction de la pédagogie par objectifs, comme façonnement de comportements. Tandis que l’enseigne-ment pluridisciplinaire, lorsqu’il confronte les formés à la complexité du réel, a tendance, dans l’enseignement agricole tout au moins, à se référer massive-ment aux pédagogies non directives.

Dans la mesure où l’idée même de développement durable contribue à activer un registre moralisateur ou des postures militantes, son enseignement prend parfois l’aspect d’un nouveau catéchisme civique dont les valeurs ne sont pas discutables et qui se coule sans difficulté dans le modèle pédagogi-que transmissif. Il en résulte un certain manichéisme qui sanctifie les « bonnes attitudes », « les bonnes pratiques » et stigmatise les autres. Du productivisme au développement durable, la pédagogie risque donc de ne pas changer. La question est de savoir s’il suffit de professer des idées alternatives pour former l’esprit critique de ses élèves. Il y a fort à craindre que l’introduction du déve-loppement durable dans l’enseignement ne s’effectue selon les ressorts tradi-tionnels de la pédagogie de l’inculcation, sous des formes à la fois différentes et complémentaires : vulgarisation d’un nouveau modèle, indignation morale à faire partager, bonnes pratiques à diffuser

On remarque d’autre part que le développement durable génère dans les établissements scolaires plus facilement des projets centrés sur la modification des comportements individuels ou collectifs (au niveau du fonctionnement de l’établissement) que des questionnements pédagogiques. Comme s’il relevait plus de l’éducation que de l’instruction, comme s’il consistait à viser la trans-formation des manières d’agir plus que l’explication rationnelle des conditions d’accès au nouveau paradigme. Cette focalisation sur les pratiques, certes in-téressante dans la mesure où elle veut mettre en conformité le dire et le faire, risque toutefois, si aucune théorisation n’est proposée, de laisser l’action décon-nectée de tout fondement autre que moral.

On est donc amené à interroger aussi la pédagogie de projet si natu-rellement associée aux innovations pédagogiques autour du développement

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durable. Il n’est certes pas question de mettre en cause ses vertus en matière d’implication, de motivation, ni la fonction essentielle de l’activité dans les apprentissages. Ce qui semble plus problématique c’est son association quasi systématique avec des principes non directifs exaltant l’autonomie de l’appre-nant comme si la validité des apprentissages était uniquement liée au fait que les élèves « ont trouvé tous seuls ! ». Cette référence à la non-directivité est-elle bien opportune, quand il s’agit de faire face à des problèmes complexes pour lesquels les chercheurs eux-mêmes peinent à trouver non seulement des solutions mais aussi des modèles d’interprétation ? Ne sert-elle pas souvent à masquer le manque d’outils et l’enlisement dans des méthodologies empiristes hérités de la leçon de chose ?

On peut s’interroger sur la valeur formatrice et l’adéquation de ces péda-gogies L’applicationnisme et le spontanéisme risquent de montrer ici leurs limi-tes et de laisser les élèves démunis faute d’outils intellectuels à la hauteur des en-jeux. Car la question est bien de savoir quelles pédagogies autorisent le déploie-ment de la portée critique du nouveau paradigme du développement durable.

La portée critique du développement durable

Si l’idée de développement durable est devenue aussi rapidement une ré-férence commune, c’est sans aucun doute parce que son contenu reste assez va-gue et qu’elle s’avance très peu sur les moyens de sa mise en œuvre. Le consen-sus de surface cache même des divergences profondes d’interprétation. Produit de la société civile internationale et de la sphère politico-économique, issue de compromis, cette notion est prise dans un système complexe de tensions et fait l’objet de récupérations diverses. Beaucoup d’acteurs socio-économiques es-saient d’en réduire la portée à de simples ajustements du modèle productiviste. Des militants la mettent au service de thèses extrêmes. Sans l’instrumentaliser, tentons d’en explorer la portée critique.

Une interpellation éthiqueDepuis les années 1970, on a pris progressivement conscience des limi-

tes du modèle de croissance fondé sur le productivisme et des menaces qu’il fait peser sur l’avenir de l’humanité. Il apparaît que les plus grands risques, en-courus par nos sociétés, proviennent désormais des activités humaines et des choix scientifiques, technologiques et économiques opérés au cours de deux siècles de foi dans le progrès. Il n’est plus possible de continuer à agir en tentant d’ignorer les conséquences de nos actes. Il s’agit d’apprendre à concilier conser-vation des équilibres naturels et développement humain équitable. Avec l’idée

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de développement durable, on porte donc un jugement critique sur la conduite des affaires humaines au nom de valeurs supérieures — de l’ordre de l’équité (entre contemporains) et de la transmissibilité (aux générations futures) —, c’est l’émergence du principe de responsabilité devant l’histoire (Jonas, 1990).

Des modèles théoriques à la hauteur de la complexité des phénomènes

Pour que cette prise de conscience éthique ne reste pas lettre morte, l’hu-manité doit se doter de moyens de compréhension, d’action et de régulation adaptés à la complexité des phénomènes en jeu. Les révolutions scientifiques de la systémique et de la cybernétique ont ouvert la voie permettant de pen-ser le monde en termes de systèmes complexes. La séparation nature-culture n’est plus possible (Larrère, 1997) : nous ne rencontrons plus que des « objets hybrides » (Latour, 1992), à la fois naturels et artificiels. Nous avons d’autre part à transformer notre rapport au temps pour éviter les effets pervers du télesco-page de deux temporalités : le temps court dans lequel s’opère le raisonnement économique et le temps long dans lequel se manifestent les effets de la tech-nique. De même, un rapport renouvelé à l’espace doit permettre d’aborder les phénomènes en articulant les différents niveaux d’échelle, du local au global. Il faut apprendre enfin, entre déterminisme et volontarisme, à concilier deux ordres d’explication, celui des nécessités fonctionnelles et celui du choix inten-tionnel afin de produire des savoirs pour l’action (Godard, Hubert, 2002).

Un tournant participatif Les formes de gestion politique et sociale des problèmes sont elles aussi

renouvelées. On assiste à « un tournant participatif, inscrit dans une sociologie qui reconnaît aux acteurs leurs capacités d’initiatives » (Fabre, 2008). Il conduit à contester le pouvoir de la technocratie politique et scientifique et la division du travail entre concepteurs et exécutants. Il en émerge l’idée de démocratie participative et de sciences citoyennes.

En devenant participative, la démocratie apparaît de plus en plus comme une construction sociale résultant de la négociation de compromis. Le citoyen n’a plus seulement à choisir des représentants qui décident en son nom, il est désormais convié à juger par lui-même au sein de dispositifs de proximité. Cet-te nouvelle citoyenneté apparaît fondée sur des compétences plus que sur des identités, sur la capacité à construire des problèmes, à débattre et à négocier (N. Tuttiaux-Guillon (2006).

La gestion durable, dans la mesure où elle se doit d’être concertée, met en cause les pratiques descendantes de l’expertise (Fabre, Fleury, 2007b). Les

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experts doivent de plus en plus souvent contribuer à la construction des pro-blèmes au sein de dispositifs d’action collective. P.Steyaert (2004) Entre une conception verticale selon laquelle l’expert dit le vrai et le juste, et une concep-tion horizontale selon laquelle il se contenterait d’animer les discussions entre acteurs, il apparaît désormais comme celui qui permet aux acteurs d’un terri-toire de participer à la co-construction d’un compromis, comme celui dont le savoir structure l’espace-problème de la discussion démocratique, c’est-à-dire à la fois le rend possible et en pose les limites.

Développement durable et pédagogie de la formation du jugement du jugementPour une pédagogie de la formation du jugement

Ces trois interpellations — éthique, épistémologique et politique — du modèle précédent de pensée et d’action questionnent fondamentalement les finalités de l’éducation. Pour P. Ricœur (1986), la tâche de l’éducateur consiste désormais à « préparer les gens à entrer dans cet univers problématique ». Il va falloir former à l’éthique professionnelle, équiper d’outils et de méthodes pour aborder des problèmes complexes dans un contexte d’incertitude, et préparer citoyens et experts à la co-construction des problèmes, en d’autres termes il faut viser la formation du jugement. Car, face à la complexification des situations auxquelles sont confrontés les acteurs, il n’apparaît plus possible d’anticiper toutes les solutions ni de proposer des répertoires de recettes. La formation ne peut donc viser que l’élévation du niveau de compétence18 de chaque sujet, c’est-à-dire comme le dit B. Rey (1998) la capacité « de mobiliser et combiner à bon escient des savoirs pour traiter des problèmes ». Ou, paraphrasant Ph. Meirieu, on pourrait dire que pour rendre les élèves compétents et forger leur capacité de jugement, il faut leur faire construire des outils intégrateurs de connaissances, les entraîner à s’en servir et à reconnaître pour quelle famille de problèmes ils sont pertinents.

Si l’école s’est essentiellement occupée jusqu’ici de « dispenser des connaissances disciplinaires sans se soucier de leur intégration à des compéten-ces », on « sait désormais que le transfert de connaissances ou leur intégration à des compétences ne vont pas de soi, qu’ils passent par un travail, donc une prise en charge pédagogique et didactique sans laquelle rien n’adviendra, sauf pour quelques élèves qui en ont les moyens » (Perrenoud 1999 ). On voit bien que ni les modèles pédagogiques, transmissif ou behavioriste, ni les pédagogies non directives ne peuvent fournir le médium adapté à ces objectifs.

18. Il est intéressant de noter qu’après l’introduction de la notion de développement durable, la nou-velle génération de référentiels de l’agriculture s’organise autour de l’idée de compétences et de champ de compétences empruntée à la didactique professionnelle.

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Il faut donc sortir la pédagogie de l’alternative stérile « directivité/non directivité » et de son attachement aux savoirs « factuels » pour la faire accé-der à la « néo-directivité » des pédagogies constructivistes, fondée sur la « co-construction » (professeur /élèves) de « savoirs-outils ». Et c’est à ces conditions que la pédagogie de projet gardera toute sa pertinence.

Une pédagogie de la problématisationLa référence quasi systématique au traitement de problèmes incite, pour

outiller ce passage délicat à une pédagogie de la formation du jugement, à ex-plorer la piste de la problématisation. Encore faut-il dégager aussi la pédagogie des problèmes des préjugés qui l’encombrent.

1) Problématiser, c’est faire retrouver à l’école le sens du problème. Le sa-voir scolaire, en devenant un savoir objet, s’est détaché des problèmes qui sont à son origine et des problèmes qu’il permet de résoudre (M. Fabre 2009), il en a perdu son sens, sa saveur » dirait J.P. Astolfi (2008). Il s’agit donc de redonner au savoir son caractère opérant et de faire accéder les formés, non pas au seul niveau des solutions mais à celui des problèmes et de leur construction. Au-delà de la nécessité pédagogique, on peut y voir, avec Deleuze (Fabre, Fleury, 2003), une exigence démocratique. La démocratie ne peut se limiter à cette liberté restreinte qui consiste à résoudre les problèmes posés et définis par d’autres ou même à voter pour telle ou telle solution. La véritable citoyenneté (celle précisément qu’implique l’idée de développement durable) exige le droit à la définition des problèmes et simultanément celui de la dénonciation des faux problèmes (Deleuze, 1968).

2) Il faut d’autre part sortir des confusions pédagogiques entre « problé-matiser » « questionner » et « débattre ». Ni questionnement abyssal, ni ques-tionnement tous azimuts, la problématisation suppose au contraire de distin-guer le « hors question » (ce que l’on considère comme « connu », c’est à dire provisoirement non questionné), du « en question » (« l’inconnu » sur lequel la recherche se focalise). De même, le « débat » très en vogue actuellement n’est que rarement « problématisant » : si la pédagogie problématisée inclut souvent des phases de discussion, elle n’est pourtant pas réductible à un échange d’ar-guments, surtout s’il ne débouche sur aucune construction finale transférable.

3) Il est aussi nécessaire de résister à l’habitude de réduire le traitement des problèmes à l’école à l’axe position/résolution. Il n’y a en effet que dans les livres scolaires qu’un énoncé « construit » le problème, c’est à dire fournit les « données » à prendre en compte et suggère les opérations (« les conditions ») à mobiliser. Dans la vie, les problèmes s’imposent à nous, mais il nous faut alors les construire, c’est à dire mobiliser des outils de traitement spécifiques à ce problème (on les appellera les « conditions19 » du problème) pour sélectionner dans la situation plus ou moins complexe ou confuse, les seules données à pren-dre nécessairement en compte. C’est à cela que l’on reconnait un expert, à sa capacité d’identifier la famille de problèmes auquel il est confronté, de mobi-

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liser le « modèle- expert » adéquat et de se focaliser sur les seuls indicateurs pertinents. Si l’on veut vraiment préparer les élèves à faire face aux enjeux du développement durable, il faut donc passer du paradigme scolaire de la résolu-tion de problème à celui de la construction des problèmes . Car de la qualité de la construction dépend la pertinence des solutions, c’est là l’étape décisive.

4) La pédagogie problématisée ne s’épuise donc pas avec la découverte de la solution. Problématiser, c’est aller au-delà de la résolution d’un problème ponctuel, pour dégager des outils de traitement valables pour toute une clas-se de situations. Ces outils conceptuels, modèles théoriques ou concepts, sont censés donner le pouvoir d’appréhender le réel. Ils constituent le cœur de la compétence, l’objectif d’apprentissage, ce sont les « conditions » de résolution d’une famille de problème. Si le formateur ne les maîtrise pas, il aura d’une part beaucoup de mal à réguler le processus pédagogique (de nombreuses si-tuations-problèmes tournent en « débat de café du commerce ») et d’autre part, il ne parviendra pas à décontextualiser la séquence et à abstraire un « savoir-outil ». Sans conceptualisation finale, sans exercices de réinvestissement, le dé-ploiement des problèmes à l’école ne permettra pas d’équiper les apprenants des outils intellectuels qui leur permettent de faire des diagnostics et de pren-dre des décisions éclairées.

5) Enfin la problématisation est associée généralement à des dispositifs didactiques (situation-problème, débat scientifique) lourds et parfois difficiles à maîtriser. Pour ne pas en restreindre l’usage à quelques spécialistes, il « paraît judicieux de diversifier les formes de problématisation à l’école » (Fabre) et de ne pas sous-estimer la piste des problématisations « Après coup » : Après un cours magistral ou Après une lecture.

19. Les conditions d’un problème, ce sont : •les raisons qui fondent les solutions, •l’anticipation de la forme de ces solutions, •le modèle expert qui permet de surveiller la pertinence et la validité des opérations de traitement. Elles sont spécifiques à chaque famille de problème. Si on les connaît, on n’a donc qu’à les mobiliser (on dépensera peu d’énergie cognitive et on apparaîtra « expert »). Si on ne les connait pas, il faudra les inventer …

Recherche des conditions

Données

SolutionPosition du problème

Problématiser : ouvrir l’axe de la construction du problème(d’après M. Fabre 200�)

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Construire, en le problématisant, le concept de développement durable

Pour construire véritablement un concept (Fabre, Fleury 2007a), il faut accéder à ses trois dimensions constitutives :

1) une dimension historique dans la mesure où tout concept scientifique est le résultat d’une construction sociale. S’approprier la problématique du dé-veloppement durable suppose de ré-effectuer pour son propre compte la genèse de la notion et donc (re)construire les conditions de son émergence historique (conditions d’intelligibilité).

2) une dimension opératoire : le concept est un outil pour comprendre le monde et agir sur lui. S’y connaître en développement durable, c’est aussi savoir opèrer des diagnostics de durabilité d’une activité ou élaborer des projets de changement, en apprenant à faire fonctionner des grilles d’évaluation (indica-teurs durabilité), des conditions de faisabilité.

3) une dimension structurale puisque le concept ne prend toute sa signi-fication qu’en s’intégrant à un système de savoirs. Il faut repérer les mutations qu’il induit dans les approches disciplinaires et construire le nouveau réseau conceptuel.

Cette construction tri-dimensionnelle du concept peut être prise en char-ge par l’ensemble d’une équipe pédagogique, elle aide à penser un programme collectif de formation, répartissant les acquisitions entre les divers enseigne-ments. Les disciplines « générales » s’attaquant plutôt aux conditions d’intel-ligibilité, les disciplines techniques à la dimension opératoire, chaque matière ayant à clarifier sa propre remise en cause disciplinaire.

Imaginons qu’une équipe pluridisciplinaire entreprenne de faire construire à des élèves les « conditions d’intelligibilité » du concept de déve-loppement durable, c’est-à-dire les mutations culturelles que doivent opérer les acteurs pour accéder à toute la dimension critique du développement durable. La situation d’apprentissage pourrait confronter les élèves à une série de cas illustrant des formes diverses et partielles d’investissement du concept :

• des interventions-conseils (par exemple auprès d’agriculteurs) qui ne veulent surtout pas convoquer la dimension éthique professionnelle de peur de les irriter. (Fleury 2008)

• des actions militantes survalorisant la dimension morale sans mobiliser des outils scientifiques pertinents

• des actions territoriales surinvestissant la dimension débat et concertation, en négligeant les autres dimensions

• des mises en œuvre technocratiques de la gestion durable

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• des tentatives de déguiser sous un vocabulaire du DD, des entreprises de dé-fense d’activités productivistes

• etc.,

Les élèves ont comme consigne de repérer, en groupe, les changements qu’il faut opérer pour accéder véritablement au développement durable. Pour animer le débat qui suivra la présentation des propositions de chaque groupe, le professeur dispose d’une grille d’intelligibilité du concept. En jouant sur les points d’accord et les divergences, il aidera à l’émergence des « conditions » es-sentielles. La grille ainsi « co-construite » sera institutionnalisée, enregistrée comme un outil de diagnostic des formes d’investissement du concept par les acteurs qui s’en réclament. Mais on peut aussi imaginer que la problématisa-tion se fasse à partir de la lecture d’un corpus de texte ou après un cours ma-gistral. L’important c’est qu’on aboutisse à la construction d’un savoir « outil » et qu’on mette en place des exercices de réinvestissement pour entraîner les élèves à s’en servir.

Voici à titre d’exemple une grille d’intelligibilité du concept de dévelop-pement durable :

Les mutations à opérer seraient :

• Intégrer systématiquement un principe de responsabilité enversla nature,les générations futures,les contemporains.

• Accéder aux révolutions scientifiques pour penser la complexité des processus et l’interdépendances des systèmes,les rapports homme-nature (objets hybrides),les rapports au temps et à l’espace,l’articulation du nécessaire et du souhaitable (sciences de la conduite de l’action)…

• Repenser les modes de gestion politique et sociale des problèmes dans une perspective paticipative :

implication des acteurs, co-construction des problèmes, démocratie participative,re-territorialisation des politiques, dialogue territorial,nouveaux rapports science-citoyens……

Il est évident que l’élaboration d’une telle grille requiert un long travail de conceptualisation. Ces types de savoir-outil sont généralement construits par des chercheurs ou par des didacticiens qui ont croisé les approches de scien-tifiques et d’experts de terrain. Leur mise à disposition des enseignants paraît urgente.

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Conclusion

Dans la mesure où le développement durable trace les nouveaux contours de notre rapport au monde, il redéfinit les finalités de l’enseignement. Les systèmes de formation ne peu-vent plus, dés lors, prétendre intégrer cette notion sans remettre profondément en cause les formes pédagogiques qu’ils mobi-lisent et sans s’ouvrir à la construction de nouveaux contenus conceptuels. Ceci ne va pas, bien sûr, sans penser l’accompagne-ment des enseignants qui sont ainsi confrontés à un change-ment profond de leur modèle professionnel.

Le passage à des pédagogies constructivistes implique que les enseignants bénéficient d’une nouvelle forme d’appui. Ils ont besoin d’être aidés dans l’identification des grandes familles de problèmes, ils ont besoin qu’on mette à leur disposition (ou qu’on les aide à construire et échanger) des « savoir-outils », (concepts, modèles, grilles de diagnostics etc.) et des scénarii de situations didactiques. Mais ils ont aussi besoin d’être accompa-gnés pour dépasser certains des obstacles hérités des pratiques pédagogiques courantes (Fleury 2004) qui s’activent nécessaire-ment quand on tente de les quitter. Ces obstacles sont essen-tiellement liés à la conception « informative » du savoir scolaire, aux fantasmes de la néo-directivité, et de l’observation à « mains nues » du réel.

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Bibliographie Astolfi J.P., 2008, La saveur des savoirs. Disciplines et plaisir d’apprendre, ESF éditeurs

Bachelard G.,1970, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, (1° ed.1938)

Deleuze G., 1968, Différence et répétition, PUF

Ducroux A.M., 2002, Les nouveaux utopistes du développement durable, Autrement

Fabre M., 2008, L’aide à la problématisation chez l’expert et l’enseignant : valeurs et limi-tes d’une comparaison, Colloque du Réseau Problema, Rhodes 2008

Fabre M., 2009, Philosophie et pédagogie du problème, Paris Vrin

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L’ enseignement des Questions Socialement Vives et l’éducation au

Développement Durable

Laurence Simonneaux, professeur de l’enseignement supérieur agricole,

école Nationale de Formation Agronomique

Cet article a été édité dans la revue Pour n° 198, « systèmes de formation et développement durable, juillet 2008 »

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Les Questions Socio-Scientifiques controversées sont des questions à propos desquelles les opinions divergent et qui sont à la croisée des sciences humaines et sociales et des

sciences expérimentales. Elles ont des implications dans au moins un des domaines suivants : biologie, physique, chimie, sociologie, éthique, politique, économie, environnement. Dans le monde francophone, s’est développée la problématique de l’enseigne-ment des Questions Scientifiques Socialement « Vives » (Legardez & Simonneaux, 200�). Ces questions sont vives à trois niveaux, celui de la recherche, celui de la société et en classe. Les Questions Socialement Vives font l’objet de controverses entre spécialistes des champs disciplinaires et/ou entre les producteurs de savoirs non académiques (professionnels, associations, consommateurs..). Elles sont empreintes d’incertitudes dans les savoirs de référence et dans les implications sociales. Ces questions interpellent les pratiques sociales et renvoient aux représentations sociales et aux systèmes de valeurs ; elles sont considérées comme un enjeu par la société et suscitent des débats ; elles font, selon l’actualité, l’objet d’un traitement médiatique important. Les enseignants se sentent souvent démunis pour les enseigner car il s’agit de savoirs non stabilisés susceptibles de générer des conflits dans la classe du fait de leur « vivacité » sociale.

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L’éducation au Développement Durable peut intégrer le traitement de Questions Socialement Vives, en effet de nombreu-ses Questions Socialement Vives ont à voir avec le Développement Durable : les OGM, la production des agrocarburants, le change-ment climatique, la relation alimentation-environnement…

Les Questions Socialement Vives liées au Développement Durable sont par nature interdisciplinaires ; elles concernent sciences expérimentales et sciences sociales et entrelacent préoccupations scientifiques et sociales. Leur vivacité sociale implique de questionner les modes de gouvernance qui prési-dent aux prises de décision à leur sujet. Elles s’inscrivent dans la Post Normal Science définie par Funtowitcz and Ravetz (1��3) comme une science ayant des liens importants avec les besoins humains, porteuse de grandes incertitudes, de grands enjeux, de valeurs, et nécessitant des prises de décisions urgentes. La dimension sociale des sciences est soulignée dans la Post Nor-mal Science. Ces auteurs ne défendent pas un « relativisme » absolu, mais insistent sur l’importance des dialogues ouverts lorsqu’il s’agit de décisions, notamment environnementales, qui comportent de grandes incertitudes, des enjeux importants et mobilisent des valeurs. Il convient pour eux de peser les consé-quences sociétales des alternatives.

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Enjeux éducatifs et défis pour les enseignantsFinalités éducatives des QSV

L’enseignement des questions socialement vives porte sur des problèmes complexes, ouverts, mal structurés, et sujets en débats. Enseigner les QSV pose différents défis. Les QSV sont porteuses d’incertitudes et de controverses, inter-disciplinaires par nature. Les médias, les débats publics, l’appartenance socio-culturelle et /ou religieuse influencent les points de vue des élèves. Les enjeux éducatifs des QSV peuvent être variés, il convient en premier lieu de les clarifier. Que cherche l’éducateur ? Favoriser l’adhésion ? à quoi ? Par exemples, à l’utili-sation d’OGM permettant de réduire les taux de pesticides ou au contraire au développement de l’agriculture biologique ? On voit bien que la question est loin d’être triviale, et encore moins neutre. L’enseignant peut avoir aussi l’am-bition principale habituelle de faire construire des connaissances par les élèves. D’autres enjeux peuvent être visés : la prise de décision argumentée (et de ses limites – faire préciser aux élèves à quelles conditions ils changeraient d’avis), la compréhension de la place du débat scientifique, des controverses, des incertitu-des, de l’instabilité des savoirs, l’analyse des relations Société-Technosciences-Environnement, la problématisation de questions environnementales, le déve-loppement de la « citoyenneté scientifique », l’émancipation des élèves, leur en-gagement, la modification de leurs comportements… L’agir communicationnel d’Habermas , fondé sur la compréhension mutuelle pour coordonner des actions planifiées, permet aux individus de développer des actions en vu d’un change-ment social ; l’enjeu de l’enseignement des QSV , de ce point de vue, devient un enjeu d’émancipation qui vise la capacité des élèves à transformer la société.

Une compétence à développer peut être le développement du raisonne-ment socio-scientifique (Sadler, Barab & Scott, 2006). Ces auteurs ont élaboré de façon théorique ce raisonnement à partir de quatre opérations souhaita-bles pour analyser les questions socio-scientifiques :

• l’analyse de la complexité inhérente à la question étudiée,

• l’examen de la question à partir de différents points de vue,

• la perception que la question doit être soumise à des recherches complémen-taires dans les champs scientifique et social,

• et l’expression de scepticisme vis-à-vis d’informations qui peuvent être biaisées.

Nous avons complété ce raisonnement par quatre opérations dans la perspective de l’analyse de questions liées au Développement Durable :

• l’identification des risques et incertitudes,

• la recherche et l’évaluation de savoirs produits par des producteurs de savoirs

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non académiques, les autres « producteurs symboliques » de Bourdieu (groupes professionnels, associations, consommateurs…),

• la prise en compte des valeurs (valeurs potentiellement marquées par des élé-ments sociétaux ou médiatiques) ou principes moraux qui orientent les prises de position,

• l’analyse des modes de gouvernance et des rapports de force dans les orienta-tions locales ou globales (Simonneaux & Simonneaux, 2007).

La valorisation des QSV pose différents défis aux enseignants : ne plus se centrer sur les savoirs académiques mais devenir le porteur de projet, abandon-ner des pratiques individuelles en faveur de modalités collectives de travail, être capable de s’adapter aux contraintes et d’identifier les ressources existant au niveau local, s’intégrer dans un tissu social et non se replier derrière des savoirs, devenir régulateurs de débat au lieu d’être ceux qui savent et se positionner par rapport à la délicate question de la neutralité.

Pour ce faire, l’enseignant valorisera des compétences spécifiques :

• en socioépistémologie, c’est-à-dire sur l’interaction entre la construction des sciences et la société, sur les implications des développements technoscienti-fiques sur l’environnement. Il s’agit de saisir comment les sciences (les tech-nosciences) incorporent les contraintes sociales, éthiques, économiques et politiques qui forment les sociétés dans laquelle les sciences sont produites et agissent en retour sur cette société.

• sur l’analyse du système de représentations-connaissances des élèves, car sur ces questions les élèves ont des a priori fondés sur des représentations sociales, des résidus d’apprentissage scolaires antérieurs, des discours médiatiques,

• sur l’analyse critique de discours médiatiques contradictoires et sur leur uti-lisation en classe,

• sur la construction de stratégies didactiques adaptées, ouvertes et complexes,

• et sur le rôle particulier qu’ils jouent dans celles-ci (gestionnaire de débats et de conflits cognitifs et affectifs, animateur de l’analyse réflexive cognitive et affective à l’issue de l’enseignement, impact de leur posture plus ou moins neutre ou engagée, articulation interdisciplinaire, intégration du champ risqué des valeurs et des idéologies).

Il s’agit d’une éducation «sur» et «pour» l’action qui met en jeu des valeurs, des savoirs et des compétences sociales, qui suppose une approche affective (iden-tifier ses émotions), une approche éthique (identifier les principes sous-jacents), une approche cognitive (mobiliser des concepts structurants, identifier et évaluer des critères scientifiques, cerner les orientations socio-économico-politiques), la maîtrise de et l’analyse critique de l’argumentation. Il s’agit d’une éducation in-terdisciplinaire intégrant sciences humaines et sciences expérimentales.

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La question de la « distance » affective et socio-culturelle ; son influence sur les processus d’apprentissage

On connaît l’importance des registres émotionnels, sociaux ou moraux, des valeurs dans l’éducation au développement durable. Un point souvent mis en exergue est la pertinence d’analyser avec les élèves des situations locales et authentiques. Il s’avère que le choix des situations n’est pas anodin et la distance affective vis à vis de la situation joue un rôle clef dans le processus d’apprentissage. Les résultats de la recherche ne donnent cependant pas tou-jours des résultats convergents. Dans une recherche récente, le raisonnement socio-scientifique d’étudiants sur trois questions liées au Développement Du-rable, deux questions locales (la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées, la présence du loup dans le Mercantour) et une question globale (le changement climatique) (Simonneaux, Simonneaux, sous presse) a été comparé. La « proxi-mité », sur le plan socio-culturel et des valeurs, de la question traitée est grande avec les étudiants, plus l’apprentissage scientifique (analyse critique de leurs conceptions, appropriation de connaissances, réflexion socioépistémologique sur les savoirs impliqués, raisonnement) s’avère faible. Tant l’emporte la sur-expression de l’affect. Mais parfois la mobilisation de l’affect favorise la recher-che de contre arguments scientifiques pour réfuter des positions divergentes. Cela a été le cas dans l’analyse faite par Jimenez-Aleixandre (2006) à propos de l’apprentissage scientifique d’élèves Galiciens confrontés au naufrage du Prestige et à la marée noire qui en a résulté. Dans ces résultats apparemment contradictoires, on retrouve la prégnance des valeurs dans l’apprentissage. Si la situation proposée aux étudiants s’oppose à leur système de valeurs, l’affect peut freiner le raisonnement critique, les « aveugler » ; si au contraire elle leur permet de défendre des positions socio-culturelles auxquelles ils adhérent, elle stimule leur analyse critique.

Comment gérer une bonne « distance » favorisant la motivation, la prise de distance par rapport aux a priori, l’émergence du besoin chez les individus de savoirs scientifiques et « sociaux » sur lesquels il convient de procéder à une analyse critique ?

Bien que la contextualisation soit supposée améliorer la cognition située et favoriser l’apprentissage scientifique en lui donnant du sens et le rendant opérationnel, on a vu dans cette étude les limites d’une contextualisation locale trop impliquante. Toutefois l’analyse de questions vives locales ou globales à di-mension environnementale peut favoriser la mobilisation intégrée de concepts interdisciplinaires et promouvoir la citoyenneté scientifique des élèves On peut espèrer relier alors démocratisation scientifique, problématisation et action.

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Les modélisations d’accompagnement, pour une compréhension des éco-socio-

systèmes ou comment former à la complexité

Michel Vidal, formateur d’enseignant

SupAgro Florac

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Former à la complexité s’inscrit souvent comme un des objectifs clefs d’une éducation au développement durable. Est considérée comme complexe la manière de réfléchir et

de traiter de manière systémique les problématiques relevant d’un développement durable. Elle suppose de mettre en regard des préoccupations sociales, environnementales, économiques et culturelles, de prendre en compte l’échelle locale et globale, le court et le long terme, l’incomplétude et l’imprévisibilité.

L’approche systémique, qualifiée parfois de dimension « tête » de l’éducation au développement durable20, est dans la littérature souvent confondue avec l’approche complexe. Il s’agit pourtant de bien comprendre ce qui rend un système comple-xe. Un système peut en effet être compliqué (avec de nombreux éléments le constituant, de nombreuses interactions en jeu) mais c’est son état de imprévisibilité qui le rend complexe.

20. La 23e conférence de travail Benelux éducation à la nature et à l’environnement distingue trois axes pour une éducation au développement durable : un axe tête qui relève de la pensée systémique, un axe cœur qui relève des valeurs, et un axe main qui concerne les actions à mettre en œuvre.

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Le concept de système complexeLes premiers travaux sur les systèmes élaborés par Bertallanfy en 1947

en donnent une vision réifiante. La théorie des systèmes qui en émerge considère que :

• tout changement au niveau d'un des éléments entraine des changements au niveau du système

• le tout est plus que la somme des parties ; il existe des effets qui ne sont pas réductibles à la somme des éléments. Ces effets sont qualifiés de qualité émergente.

• La finalité ne peut être saisie par une logique causaliste linéaire. Les interac-tions renvoient à une causalité circulaire caractérisée par des boucles de rétro-controle.

• Le maintien de l'équilibre du système, l'homéostasie, est le résultat d'un équi-libre dynamique et non d'un état de mobilité.

D'autres théories vont suivre et conduire à introduire la notion d'incerti-tude pour qualifier un système complexe : la théorie des catastrophes (Thom, 1972) montre qu'à partir d'une valeur critique de l'état d'équilibre, le système change de façon brutale et tend vers un nouvel état d'équilibre, les théories du chaos positionnent l'aléatoire des phénomènes complexes. Sont mis ainsi en évidence des lois transdisciplinaires qui régissent les systèmes complexes ; ces lois sont de nature relationnelle ou cybernétique. Elles conduisent à faire le deuil de pouvoir détenir l'ensemble des informations pour rendre intelligible la réalité, et introduisent l'inévitable incomplétude. Des chercheurs comme Van Neumann ou Prygogine introduisent la notion d'auto-organisation pour décrire ces systèmes complexes. Edgar Morin (1977) ajoute à cette édifice trois grands principes de la complexité, le principe de dialogisme, de récursion et le principe hologrammatique et propose une méthode pour la concevoir.

Introduite dans les sciences humaines par des chercheurs comme Gre-gory Bateson (1977), la pensée systémique complexe a permis de ré-interroger l'individu et de modéliser de façon opératoire des situations interactionnelles entre humain.

La gestion patrimoniale dont les fondements théoriques ont été dévelop-pés par H. Ollagnon (1989) dans les années 70 est un concept fruit de la théorie des systèmes complexes appliqués aux sciences humaines. Non seulement, elle s'intéresse aux systèmes d'acteurs mais aussi aux interactions entre des groupes d'individus et leur environnement. Valorisée dans l'enseignement agricole pour étudier les éco-socio-systèmes, elle s'inscrit comme application de la démarche participative dont K. Lewin fut un des promoteurs contemporains et met à l'hon-neur un nouveau mode de gouvernance environnementale. Elle remet en cause

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une vision élitiste de la nature, balayant ainsi la distinction entre nature ordi-naire et nature extra-ordinaire. Elle revisite le concept de patrimoine et l'amène à s'inscrire dans une vision plus démocratique. Elle propose de re-contextualiser les problématiques de gestion environnementale et pose comme principe clef la médiation, la concertation et la négociation dans les prises de décision à l'égard de l'environnement. Elle réaffirme le principe de responsabilité individuelle, et la participation aux décisions par l'ensemble des acteurs.

Elle s'inscrit dans une approche résolument anthropocentrée de l'éduca-tion au développement durable : ce sont les processus de concertation entre ac-teurs qui doivent conduire à fabriquer la solution la meilleure, c'est-à-dire celle qui répond à l'aspiration de chacun des acteurs en présence. Elle remet donc en cause toute approche déterministe dans les processus décisionnels.

Les principes des modélisations d’accompagnement

La gestion patrimoniale, les modalités de gestion multi-acteurs d’un territoire ont conduit à imaginer divers méthodes et outils favorisant des pro-cessus de concertation et de négociation entre acteurs agissant sur un même territoire. Les modélisations d’accompagnement sont l’un des fruits de cette ré-flexion. Ces modèles originaux sont destinés à permettre aux différents acteurs d’un territoire de comprendre les modalités de gestion respectives de leurs ressources, les logiques qui les sous-tendent, et l’impact de leurs activités sur les autres acteurs et sur des patrimoines environnementaux. Conçus pour et avec les acteurs du territoire, ils se fondent sur une démarche de modélisations participatives qui mettent en évidence les interactions société-nature dans des situations concrètes. Le modèle ainsi constitué permet la mise en œuvre de simulations et permet la visualisation de l’impact des choix d’acteurs sur certains patrimoines naturels.

Conçues par le collectif de recherche ComMod21, ces modèles originaux prennent racines dans la théorie des systèmes multi-agents (Ferber 1995), théo-rie informatique qui vise à appréhender des comportements ou des processus autonomes en concurrence. Les univers multi-agents sont constitués de proces-sus informatiques se déroulant simultanément, simulant des agents capables de perceptions, de représentations et d’actions, communiquant entre eux, et

21. Companion Modelling, association réunissant des chercheurs de divers instituts (l’INRA, Institut National de Recherche Agronomique, le CEMAGREF, Centre National de Machinisme Agricole, du Gé-nie Rural, des Eaux et Forêts, le CIRAD, Centre de Coopération Internationale en Recherche Agrono-mique pour le Développement, l’IRD, l’Institut de Recherche pour le développement, le CNRS, Centre National de Recherche Scientifique)

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partageant des ressources communes les conduisant à une nécessaire coordina-tion. Adapté à la représentation de systèmes dynamiques et complexes, l’outil de simulation que représente le système multi-agents a conduit l’équipe ComMod, à l’associer aux Systèmes d’Information Géographique et aux principes des jeux rôles, pour modéliser et simuler la dynamique d’éco-socio-systèmes, c’est à dire les modes de gestion de ressources et éléments patrimoniaux d’un territoire par les différents acteurs impliqués. Le modèle informatique tient compte des in-teractions entre des acteurs et différents éléments d’un territoire, de processus sociologique, économique, écologique et d’aléas susceptibles d’interférer dans le système ; il permet de cartographier l’évolution du territoire (ou tout au moins de certains de ses éléments) en fonction des choix pris par les acteurs.

Les modélisations d’accompagnement se fondent toutes sur l’approche ARDI, (Acteur, Ressources, Dynamiques, Interactions) (étienne, 2009). Cette mé-thode suggère à chaque participant d’identifier les acteurs qui semblent jouer un rôle décisif dans le territoire, les principales ressources et les informations essentielles à connaître pour en garantir une utilisation durable, les principales dynamiques en jeu et en quoi celles-ci sont affectées par les acteurs, et enfin les interactions existantes entre acteurs, ressources et dynamiques.

Pour l’équipe de recherche (ComMod, 2005), leurs finalités sont moins de comprendre la dynamique d’environnements complexes que d’élaborer un outil d’aide à la décision. Le modèle est élaboré en partenariat avec les acteurs du territoire, selon une démarche itérative terrain/modélisation/simulation/terrain, en confrontant dynamique du modèle et dynamique du terrain. En faci-litant l’expression et le partage des points de vue, le modèle en construction se veut aider à un processus collectif de décision et permettre de stimuler la par-ticipation des acteurs dans l’élaboration de scénarios d’aménagement. Il peut notamment conduire à améliorer la connaissance mutuelle des logiques d’ac-teurs du territoire, faciliter la concertation, aider à la négociation en vue d’une gestion communautaire de leur espace. Si l’imprévisibilité des phénomènes économiques, sociaux et environnementaux récusent le fait de pouvoir réaliser des prédictions à long terme, le processus social peut être amené à suggérer des objectifs à atteindre.

Si les modélisations d’accompagnement sont initialement conçues avec l’objectif opérationnel de favoriser chez les acteurs la prise de conscience du système dans lequel ils s’inscrivent dans le cadre de problématiques relevant de la gestion de la diversité biologique, ils font à l’heure actuelle l’objet d’une réflexion en matière de transposition didactique dans l’enseignement agricole.

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Les modélisations d’accompagnement comme outil d’éducation au développement durable

à finalité éducative, ils peuvent être des outils pertinents à plus d’un ti-tre : faire comprendre la complexité des systèmes société-nature dans le cadre par exemple d’une problématique de gestion de la biodiversité, aborder la no-tion de logiques d’acteurs, sensibiliser ou permettre de maitriser les notions de médiation, de gestion de conflits, concrétiser la notion de complexité et d’incer-titude ou la gestion de la biodiversité.

Au travers d’exemples et de contextes divers, ils abordent différentes vi-sions de problématiques relevant de la gestion de la biodiversité et la diversité biologique : ces modélisations en offrent soit une vision patrimoniale (exemple de la problématique de gestion du Butor Etoilé en Camargue par exemple) soit une vision fonctionnelle (exemple de la gestion de la forêt méditerranéenne).

Sur un plan pédagogique, les modélisations et simulations ont deux in-térêts notables : inscrire les apprenants dans une démarche problématisante, et les impliquer dans une activité ludique, ou en d’autres termes positionner l’apprenant dans une situation a-didactique. Deux modalités plus particuliè-rement peuvent être qualifiées de « jeu » au regard de la classification qu’en propose Caillois (1967) : le jeu de simulation et le jeu de rôle. Le jeu de simulation comme nous l’avons expliqué précédemment permet de visualiser l’impact des prises de décisions du système d’acteurs sur le territoire, les conditions de vie des acteurs, et les éléments patrimoniaux présents. Le jeu de rôle permet à l’ap-prenant de se positionner comme acteur, mais aussi dans certains cas comme actant (l’apprenant peut alors prendre le rôle d’un élément de nature).

La valorisation des modélisations d’accompagnement dans un cadre éducatif suppose plusieurs conditions :

• rendre le jeu ludique

Si les promoteurs de ces jeux considèrent que les modélisations d'accompagne-ment ont un rôle éducatif pour les acteurs du territoire, la question reste posée de savoir si les modélisations d'accompagnement ont une fonction ludique et cognitive dans un contexte scolaire. Il ne suffit pas qu'un modèle prenne forme de jeu pour que l'activité didactique devienne ludique. Ce qui revient à dire comme l'explique Henriot (1989) que l'attitude mentale dicte le fait de considé-rer une activité comme un jeu, ce qui dépend de l'idée de ce que l'on se fait de jouer. Il n'y aurait donc jeu que dans la mesure où l'individu qui le pratique se considère joueur. Si certains contextes peuvent favoriser une attitude ludique, d'autres contextes peuvent au contraire l'inhiber.

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• Permettre une dévolution de la problématique

Comme le dit Brousseau (1998), dans une situation adidactique (où l'intention d'enseigner disparaît, où l'objectif assigné cache l'objectif didactique), il y a bien deux jeux qui se croisent : le jeu de l'apprenant d'une part, le jeu de l'enseignant d'autre part qui relève d'une démarche de dévolution de la problématique. Il s'agit alors pour l'enseignant de conduire l'apprenant à s'approprier la problématique sous-tendue par la modélisation d'accompagnement, de la faire sienne.

• Rendre le jeu éducatif

La situation de jeux ne suffit pas en soi à apprendre. Une mise en réflexion sur les processus mis en œuvre dans le jeu, un échange et une confrontation de regards et d'opinions, une restitution, et une institutionnalisation du savoir(à savoir une mise en relations des comportements et productions dans le jeu avec le savoir à faire acquérir) peut s'avérer nécessaire. La théorie des situations didactiques (TSD) proposée par Brousseau (1998) peut nous aider à les concevoir. L'approche didactique choisie dépend bien sûr des objectifs souhaités en termes d'appren-tissage : est-ce une meilleure connaissance de ses attitudes et ses comporte-ments, l'apprentissage d'une attitude empathique, de la logique d'acteurs, une connaissance en sciences humaines ou en écologie ? Les potentialités éducatives des modélisations d'accompagnement font actuellement l'objet de recherche.

• Ne pas faire de la carte le territoire

La simple valorisation didactique d'un modèle risque de faire considérer le modèle comme le miroir de l'éco-socio-système, de la complexité de la relation société-nature. Elle amènerait l'apprenant à avoir une vision réductionniste du vivant. Une pédagogie qui alternera la valorisation du modèle et du territoire peut permettre d'éviter de telles confusions.

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Un exemple d’approche éco-psychologique ou comment dialoguer avec sa propre nature

Marie Romanenspsychothérapeute et psychanalyste,

écrivain

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Nous voulons agir dans le sens d’un développement durable mais cela ne va pas sans la nécessité d’un chan-gement dans le regard que nous portons sur le monde

et sans une participation pleine et entière de nos personnes. Réaliser que nous sommes en inter-connexion étroite avec notre environnement, comprendre à quel point nous sommes en inter-dépendance avec tout ce qui est dans l’univers, ne peut se limiter à un processus purement intellectuel. Nous sommes impliqués par tout notre être dans cette relation. La démarche nous inter-pelle dans notre subjectivité. Elle nous demande de prendre au sérieux notre rapport émotionnel et affectif avec la nature mais aussi d’écouter en nous ce qui est de l’ordre même de cette na-ture, autrement dit la part « sauvage » qui nous habite.

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Un nouveau type de connaissance est nécessaire qui reconnaît la place incontournable du ressenti dans notre rapport à la réalité. Il n’existe pas, comme comme nous l’indiquent les théories quantiques ainsi que la perspective systé-mique, un monde que nous pouvons observer d’une manière extérieure, complè-tement détachée, mais un monde dans lequel nous sommes partie prenante car notre manière d’être participe à sa création. Nous ne pouvons plus aborder les situations qui se présentent aujourd’hui à la manière clivée qui est celle d’une époque déjà révolue, quand l’esprit et le corps se vivaient comme séparés, quand la logique primait sur l’expérience intime, quand l’intellect était valorisé au dé-triment de l’intuitif et du sensible. Il nous faut admettre l’idée que intériorité et extériorité sont en continuité et que le champ sur lequel nous devons agir, pour pallier au risque de destruction, est celui qui englobe et l’humain et la terre.

Informer ne suffit plus. Il s’agit maintenant d’aider au changement des représentations mentales et permettre l’expérimentation qui, en sollicitant le monde de l’émotion, touche l’âme des personnes. Quand celles-ci s’ouvrent à leur sensibilité, quand elles saisissent davantage leur inclination profonde, el-les sont plus à même d’agir dans le sens de la protection de la nature. Leur ad-hésion n’est plus seulement intellectuelle. C’est leur cœur même qui est sollicité dans l’œuvre à mener.

En pratique, cela implique d’offrir l’opportunité d’un temps expérientiel au cours de stages, séminaires ou autres sessions dans le cadre de la formation.

Lors de rencontres qui avaient pour thème les questions environnemen-tales, j’ai été moi-même sollicitée, seule ou en co-animation, pour mener ce genre de travail avec un petit groupe de personnes. Les mises en situation pro-posées sont allées de la nuit passée en pleine nature, au rêve éveillé, en passant par la projection d’un diaporama.

Dormir à la belle étoile, seul avec soi-même dans un coin isolé au milieu de la nature, représente une immersion sensorielle intense. Moment simple mais qui vient chercher chacun dans ses besoins les plus premiers, sécuritaires, apparentés au cerveau reptilien, et qui l’éveille par les impressions perçues à la présence du monde qui l’entoure. L’expérience se poursuit avec un temps de parole en groupe où chacun est invité à raconter sa nuit, le tout après un petit déjeuner réconfor-tant. L’échange avec d’autres qui ont vécu la même expérience permet de s’expri-mer avec tous ses émois et son affectivité, rendant ainsi davantage palpable son lien avec son environnement à la fois minéral, végétal, animal et... humain.

Après quelques exercices corporels qui permettent de relâcher les ten-sions et d’être plus à l’écoute du monde interne, la conduite d’un rêve éveillé dirigé peut favoriser chez les participants d’un groupe la rencontre avec le côté « sauvage » en eux-mêmes. Dans ce genre d’exercice, l’animateur suggère de laisser venir en image un élément de la nature vécu comme menaçant. Pour l’un, ce sera un incendie, pour un autre un grizzli, pour un troisième une myga-le... D’habitude, nous évitons d’être en contact avec cette part de nous vécue

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comme menaçante. Nous avons appris par l’éducation reçue dans notre famille et par le conditionnement culturel à la réprimer. L’expérience proposée est celle de renouer avec ce côté instinctif et primaire afin d’entrer en dialogue avec lui. Lui donner davantage de place, sans pour autant l’autoriser au débordement, nous permet de nous laisser davantage traverser par la puissance du sauvage en nous-mêmes, nous rendant ainsi plus vivants, plus intuitifs, plus spontanés et créatifs et... plus à même de prendre en compte le sauvage à l’extérieur et de nous engager pour lui. Nous réalisons qu’au fond nous sommes faits de la même impulsion, celle qui nous vient du fond des âges et qui a traversé les dif-férentes espèces jusqu’à nous.

Un diaporama composé de photos qui montrent la destruction de la pla-nète est un bon moyen de permettre à chacun d’exprimer sa souffrance devant la vision des dégâts causés à la nature. Grâce à un exercice de cette sorte, la sen-sibilité à la douleur du monde se trouve davantage reconnue et validée au lieu d’être minimisée, voire complètement ignorée. Cette autorisation à ressentir sert de levier, comme le souligne Joanna Macy. Elle nous fait sortir d’un certain engourdissement lié à l’évitement de la souffrance et nous conduit à réagir en cherchant des solutions aux maux constatés.

Ces outils, ici brièvement décrits, ne sont que quelques exemples des expé-riences qui peuvent être proposées dans le sens de rendre chacun plus sensible, plus impliqué, plus concerné dans une démarche pour un développement durable. Les manier demande une capacité d’écoute et d’accompagnement qui sert à la mise en place d’un cadre protégé. Non seulement il est nécessaire que l’enseignant (ou l’animateur) ait vécu lui-même les exercices afin d’être averti de ce qu’ils sont susceptibles de déclencher, mais il lui faut aussi avoir développé de réelles qualités de bienveillance et d’empathie en même temps qu’une notion affinée de l’espace entre soi et l’autre, toutes conditions d’un accueil le plus respectueux possible de l’expression de chacun. Autrement dit, une telle démarche ne s’invente pas, elle demande un apprentissage auprès de personnes compétentes en la matière.

Ces précautions annoncées, est-il possible d’envisager de multiplier ce genre de mises en situation qui permettent de libérer davantage le potentiel créatif des uns et des autres dans l’intérêt général ? La question est d’impor-tance alors que s’accumulent les signes de destruction du vivant.

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Bibliographie Macy J., Brown M.Y., 2008, écopsychologie pratique et rituels pour la terre, éd. Le Souffle d’Or.

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L ’épistémologie de l’éducation au

développement durable

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Plurivocité de la notion de développement durable : Réflexions épistémologiques,

éthique et éducationnelle

Mohammed Talebphilosophe et formateur

en éducation relative à l’Environnement

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Comprendre le développement durable ?

Il faut prendre au sérieux la contribution du physicien et historien des sciences étasunien Thomas Kuhn sur notre façon d’appréhender le processus de construction des savoirs. Loin d’être linéaire et soumis au seul principe d’accu-mulation des données, ce processus traverse périodiquement des « crises », « des révolutions scientifiques». T. Kuhn introduit les termes de « paradigme » et de « matrice disciplinaire » pour d’écrire ces changements. Un paradigme ne doit pas être réduit à une simple théorie interne au discours et à l’expérience scien-tifique. Porteur de révolution scientifique, le paradigme participe à l’élaboration de la vision du monde des chercheurs mais aussi de la société. Depuis, l’usage de la notion de « paradigme » s’est considérablement élargi, des sciences dites exac-tes, aux sciences humaines et aux sciences sociales et, même à l’art. Que peut bien signifier son introduction dans une réflexion relative au Développement durable et à l’éducation au Développement durable ? En quoi son usage peut-il être fécond ? Dans quelle mesure sommes-nous capables de rendre intelligibles, grâce à lui, ces complexités que sont le DD (développement durable) et l’EDD (éducation au développement durable) ? En fait, ces questions sont destinées à baliser le terrain pour une interrogation plus fondamentale : le DD et l’EDD sont-ils capables de répondre au défi constitué par la crise socio-écologique ?

Nous voudrions, tout d’abord, proposer notre propre définition de ce qu’est un paradigme. La chose ne va pas de soi. T. Kuhn, dans la postface de son livre rédigée en 1969, reconnait la diversité des définitions présentes dans sa propose analyse et il cite l’un de ses lecteurs qui aurait mis en évidence prés de vingt-deux usages différents (Kuhn, 1972, 215). Dans notre optique, un paradigme correspond à un système producteur de sens, une matrice cognitive constitués par :

• une définition de la réalité,

• une méthodologie,

• une logique,

• un appareil conceptuel combinatoire.

Un changement peut être légitimement qualifié de révolutionnaire lors-qu’il se traduit par des ruptures et des créations à ces quatre niveaux. Si nous prenons l’exemple classique de la révolution newtonienne-cartésienne-gali-léenne, on peut repérer une nouvelle façon de concevoir la réalité (identifica-tion du Monde à une Machine ou à une horloge), une nouvelle méthodologie (le réductionnisme), une nouvelle logique (le dualisme, exclusion du tiers) et un nouvel appareil conceptuel (mécanisme, déterminisme, objectivité, linéarité,

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etc...). Certes, cette approche devrait être nuancée, mais elle dit l’essentiel de notre propos. Lorsque nous essayons de cerner le DD et l’EED à travers ce qua-ternaire paradigmatique, nous nous apercevons de ceci : loin d’êtres univoques, ces notions portent et cristallisent des lignes de pensée très différentes les unes des autres, Le DD et l’EDD sont susceptibles d’être inscrites dans des scénarii d’une grande diversité. La méconnaissance de cette complexité interne a pour conséquence fâcheuse de ne pas voir la pluralité des acteurs qui sont porteurs d’une pluralité de stratégies, de tactiques et de valeurs. Georges Bertin, qui est Directeur général de l’institut de formation et de recherche en intervention so-ciale, à Angers, et directeur de recherches en Sciences de l’éducation à l’Univer-sité des Pays de Pau et de l’Adour, nous propose, dans un stimulant article, une cartographie de ces protagonistes et acteurs du développement durable :

Les stratégies de développement durable, pour que celui-ci soit véritable-ment durable, doivent, de fait, concilier plusieurs logiques car elles ont affaire à diverses formes environnementales, écologiques, éco-toxicologiques, histori-ques, psychologiques, culturelles et sociales, dont la reconnaissance est égale-ment indispensable à la compréhension des mécanismes et à la mise en œuvre des stratégies politiques :

• des collectivités institutionnelles, détentrices de la légitimité du service pu-blic, agences régionales d’environnement, agences d’énergie, parcs naturels nationaux,

• des communautés des habitants et citoyens, liés au territoire : villes, commu-nautés d’agglomérations, de pays, parcs naturels régionaux,

• des acteurs économiques et sociaux : producteurs, consommateurs, entrepre-neurs, etc...

• des groupes sociaux en recherche active (associations, ONG - Organisations non gouvernementales), ce qui concerne singulièrement les pays du Sud.

Ces diverses instances sont également porteuses de conflits : concurren-ces, enjeux de pouvoir, recherche de reconnaissance officielle, et ce d’autant plus que les territoires concernés se vivent en situation de crise ou de mutations liées aux facteurs naturels, économiques, sociaux. C’est encore plus patent dans le cas des pays du Tiers Monde.

En même temps, la démarche de développement durable envisage, par nature et intérêt bien compris, d’associer le milieu lui-même à son propre déve-loppement (Bertin, 2005).

Il n’est pas dans notre propos de présenter l’ensemble de ces perspectives. Nous voudrions seulement proposer quelques clés de compréhension afin de montrer que cette diversité ne devrait pas être résorbée dans un schéma unique et que l’instabilité cognitive qui caractérise le DD et l’EDD est, peut-être, une occasion de poser, à nouveaux frais, la question du sens.

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Le développement durable n’est pas un paradigme, mais une notion suf-fisamment plastique pour être dynamisée par des vues-du-monde différentes et, même, contradictoires entre elles. Ces différences s’expriment à propos de nombreuses interrogations. Nous relèverons trois groupes litigieux :

• La notion de durabilité.

• La modélisation du DD et la nature des relations interne entre ses composantes.

• Les valeurs qui président au DD.

La Durabilité ?Il existe toute littérature relative aux choix des traducteurs concernant

le développement durable. Ce dernier adjectif qualificatif et le substantif de du-rabilité vont être à l’origine d’innombrables discussions. Yves Nicolas, qui est la rédactrice d’un document de travail du Haut Conseil de la Coopération Interna-tionale, précise les termes du débat :

Développement durable est une traduction adoptée par la France pour sustainable development. Dans autres pays francophones et au niveau de l’UE, on parle souvent de développement soutenable. La soutenabilité renvoie à ce qui est supportable sur le long terme par les équilibres environnementaux et sociaux. Durable, pris souvent dans le sens de »qui dure », tend à renforcer une ambiguïté, qui est peut-être l’une des raisons du succès du concept de DD. Ainsi les milieux économiques parleront de croissance durable dans le sens de appe-lée à se poursuivre, tandis que pour autres acteurs, c’est une croissance qui n’in-duit aucun déséquilibre en matière de ressources naturelles, sociales et cultu-relles. L’expression ´développement viable, utilisée notamment au Québec, est sans doute plus explicite. Dans un souci de clarification, des acteurs parlent de ´développement humain durable ou de DD solidaire (Nicolas, 2006).

Il n’est pas question, ici, de choisir la bonne terminologie, mais de rappe-ler seulement que si les mots sont les outils premiers de la communication, ils peuvent aussi masquer certains enjeux. C’est la raison pour laquelle la clarifica-tion est un exercice nécessaire. C’est même la condition qui permet à chaque ac-teur de se positionner, de s’autodéterminer en quelque sorte, dans cette diver-sité des usages. Cette clarification qui équivaut à une conscientisation sémanti-que, permet aussi le dialogue, la compréhension du paradigme de autre et, si la chose était nécessaire, l’établissement de différences et/ou de désaccords qui ne soient pas fondés sur des mésinterprétations ou des projections.

Dans la littérature sur le DD, on évoque quelquefois deux versions de la durabilité, une faible et une forte. Cette distinction porte sur le rapport entre sociosphère et biosphère. Les tenants de la durabilité faible considèrent que la diminution du capital naturel n’est pas si dramatique que cela car les innova-

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tions produites par la technoscience sont de nature à compenser cette perte éco-logique. A inverse, ceux qui se réclament de la version forte estiment que cette diminution représente un phénomène extrêmement négatif et qu’il faut tout faire afin d’inverser le processus. Par ailleurs, si les premiers attendent beaucoup de la découverte scientifique et de la régulation économique, les seconds, eux, soulignent l’importance de la décision politique et de la mobilisation sociale.

Quel modèle pour le développement durable ?

Nous connaissons tous le fameux triptyque économie-Social-Environne-ment. Il est habituellement représenté sous la forme d’un triangle dans lequel l’économie constitue la pointe supérieure. Une autre figuration est celle de trois cercles qui s’interpénètrent. à la différence du triangle, cette dernière figure circulaire a le mérite de ne pas introduire de notions hiérarchiques (comme celle de sommet ou de base). Libre à chacun, en fonction de son paradigme, de définir les déterminations causales dans la représentation. La durabilité dans le schéma classique peut être compris comme le fruit d’une triple articulation entre ces domaines ou sphères :

• L’articulation équitable, entre l’économie et le social ;

• L’articulation viable, entre l’économie et l’environnement ;

• L’articulation vivable, entre le social et l’environnement.

Ce n’est pas, dans notre esprit, au niveau de la figure que la modélisation du DD révèle sa complexité, mais au niveau de la conception même des domai-nes ou sphères. En effet, nous pourrions croire que les notions d’économie, de social et d’environnement sont des notions évidentes et donc que leurs arti-culations ne posent pas de questions essentielles. En réalité, il existe, là aussi, une pluralité de façon de comprendre l’économie, le social et l’environnement. Ainsi, dans le DD, parle-t-on économie en général, ou de l’économie qui permet la réalisation des articulations équitable (avec le social) et viable (avec environ-nement) ? Désigne-t-on l’économie libérale de marché (qui est économie domi-nante à l’échelle mondiale), ou l’économie sociale et/ou solidaire, ou économie publique d’état? Ou un mixage des trois ? Pareillement, quel sens accorde-t-on à la sphère du social ? S’agit-il de la somme des individus citoyens ? Des struc-tures juridico-politiques et institutionnelles de la collectivité ? Enfin, que dési-gne ce terme environnement : un capital ´naturel à gérer comme on gère une entreprise ? Un habitat biophysique de notre humanité ? Le milieu de vie de nos existences quotidiennes ? La nature vivante des émerveillements, du sacré et du jeu ? Nous pourrions multiplier ces exemples, mais le plus important est de saisir que nous pouvons déployer autant de définitions du DD qu’il existe d’approches de ses trois constituants.

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Les valeurs du développement durable ?

Il s’agit de l’une des problématiques les plus difficiles à traiter car elle re-lève de la démarche philosophique et, plus exactement, axiologique. L’enjeu est de clarifier les valeurs (et donc, dune certaine manière, les principes et les orien-tations fondamentales) que nous associons au DD. Nous disions précédemment qu’un paradigme contribuait à porter une vision du monde. Pour ce qui nous concerne, nous dirons que les paradigmes à l’œuvre au sein du DD distribuent les valeurs selon des horizons différents et, même, contradictoires. à gros traits, il est possible de repérer deux types de valeurs :

• des valeurs fonctionnelles, qui sont internes au DD, et dont la raison d’être est dune certaine manière de lui donner cohérence et efficacité. On parlera ainsi de la participation, qui permet, dans les trois sphères, l’appropriation citoyenne de l’information, la présence du plus grand nombre au débat public et, même, une contribution plus ou moins importante selon les situations à la gestion des budgets (budget participatif) ; il s’agira aussi de la subsidiarité, qui permet au niveau politico-administratif le plus adéquat d’être le lieu de la prise de déci-sion, de la responsabilité, qui permet à chaque acteur de prendre conscience des incidences provoquées par telle ou telle de ses décisions et de procéder, le cas échéant, à une réparation (le fameux principe pollueur-payeur repose sur cette valeur). On regroupe parfois la participation, la subsidiarité et la responsabi-lité sous la notion de bonne gouvernance, qui est censée désigner une mode de gestion des questions sociales, économiques et environnementales à caractère démocratique et soucieux de transparence et de respect du droit.

• des valeurs philosophiques, qui orientent le développement durable dans telle ou telle perspective sociale concrète. Par l’analyse de ces valeurs, il est possible de mettre en évidence la nature du projet de société qui le sous-tend. C’est à ce niveau que l’on peut le mieux saisir les lignes de force paradigmatiques du développement durable et, donc, souligner sa pluralité intrinsèque. Ces valeurs philosophiques sont en rapport étroit avec ce que nous disions précédemment à propos des conceptions différentes qui existent de l’économie, du social et de l’environnement. L’insistance, dans un énoncé, sur la croissance économique comme mode principal de résolution de la crise sociale et environnementale traduit souvent une approche en termes de valeurs technicienne et quantita-tive (calcul, efficience, gestion, technique, expertise). A inverse, la valorisation des notions de bien commun ou de justice sociale tend à soutenir une approche plus socio-politique. En tout cas, et par-delà la diversité des horizons philosophi-ques, la plupart des acteurs du DD partagent l’idée que les sociétés ne peuvent plus accepter que l’économie continue à se déployer dans l’espace-temps des humains et dans les écosystèmes de la terre sans tenir compte des enjeux so-ciaux et environnementaux.

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L’économiste Dominique Plihon, qui s’inscrit dans une démarche sociale cri-tique à l’égard des paradigmes économiques dominants, nous propose la réflexion suivante sur la question des valeurs qui dynamise le développement durable :

« En ce début de troisième millénaire, l’idéologie néolibérale est fortement contestée. Car il devient évident que l’application des préceptes néolibéraux dans l’économie mondiale conduit à une situation insoutenable pour l’avenir de l’hu-manité. Les niveaux élevés de rentabilité auxquels sont soumises les entreprises les poussent à une course productiviste effrénée qui épuise la nature, amplifie les prélèvements et les rejets, et détraque les grands mécanismes régulateurs de la biosphère. Cette remise en question de l’idéologie néolibérale est également liée à la prise de conscience, par un nombre croissant de citoyens à travers le monde, qu’il existe une alternative au laisser-faire, beaucoup mieux adaptée aux besoins actuels de la planète. La théorie du ´ développement durable ª définit les princi-pes de cette alternative (Sachs, 1997). Selon le rapport Bruntland (1987), il s’agit d´un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. L’idée de départ est sim-ple : le développement est durable si les générations futures héritent d’un envi-ronnement dont la qualité est au moins égale à celle qu’ont reçu les générations précédentes. Le développement durable assure la suprématie des valeurs socio-culturelles sur les valeurs marchandes. Il vise à préserver le capital de l’humanité dans ses trois dimensions : le capital naturel, c’est-à-dire écosystème ; le capital culturel, ce qui implique le respect de la diversité des cultures ; et le capital social, notamment les systèmes de protection sociale (Plihon, 2003).

Cette valorisation, supposée par Dominique Plihon, des valeurs socio-cultu-relles par rapport aux valeurs marchandes, est très certainement l’un des critères qui permet de faire la part entre une approche techno-économique du développe-ment durable, et une approche citoyenne et politiquement participative. Certains acteurs du DD contestent même la pertinence du triptyque économie-Social-En-vironnement pour lui préférer un quaternaire, avec l’intégration d’un quatrième pilier : la culture et/ou la diversité culturelle. Il est fait référence explicitement à la déclaration de l’Unesco. L’Unesco précise que la culture est un ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social ; elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. La diversité culturelle est un patrimoine de humanité.

Toujours dans le sillage de UNESCO, il existe une autre façon de conce-voir le rapport entre le DD et la culture/diversité culturelle. Cette conception fait de la seconde l’une des conditions de possibilité et effectivité du premier. Ainsi, la culture/diversité culturelle ne serait pas tant une partie du DD, l’un de ses pôles, que l’un des facteurs qui permettant sa réalisation. C’est ce qui se dégage des travaux du Sommet Mondial du Développement Durable, qui a eu lieu à Johannesbourg, en Afrique du Sud (en 2002). Le Sommet précise, effet : La paix, la sécurité, la stabilité et le respect des droits de l’Homme et des libertés

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fondamentales, notamment le droit au développement, ainsi que le respect de la diversité culturelle, sont essentielles pour assurer un développement durable et faire en sorte que ce type de développement profite à tous.

Enfin, une stimulante conception fait de la culture/diversité culturelle, non pas un quatrième pilier, mais une dimension structurante des trois sphères du DD. Dans cette lecture, l’économie, la société et, même, l’environnement, ne pourraient exister sans la présence de codes, de pratiques et de visions cultu-relles qui structurent la réalité humaine. En son temps, l’anthropologue Gilbert Durand avait écrit « Les structures anthropologiques de l’imaginaire », afin de montrer que l’ensemble des activités humaines était habité par des images et des codes psycho-culturels. Dans cette conception, les différences qui exis-teraient entre les économies et les sociétés ne seraient pas seulement des dif-férences technologiques ou matérielles, mais aussi culturelles et symboliques. Pareillement, la diversité des regards posés sur l’environnement ne dépendrait pas uniquement de la diversité biophysique, mais aussi de la diversité des ima-ginaires, des représentations sociales (dans la perspective de Serge Moscovici).

L’éducation au développement durable en débatéthique de la responsabilité et conscience des risques

Il ne faut pas prendre à la légère l’existence d’un fort courant de critique à l’égard du développement durable. L’utilisation massive de cette notion, dans les mondes politiques et institutionnels, économiques et médiatiques, a pour conséquence évidente et naturelle le fait qu’elle perd peu à peu de sa cohérence. On pourrait dire que plus elle est investie par des acteurs différents (et, donc, aux intérêts différents et, parfois, contradictoires), plus elle se diversifie du point de vue de ses paradigmes. L’enjeu est d’être conscient de cette plurivocité et de ne pas jeter, a priori, anathème sur les uns et les autres. L’examen des projets et des stratégies dans lesquelles ils s’inscrivent, ainsi que la clarification des valeurs sur lesquelles ils sont fondés, devrait être le premier critère de nos valuations.

La professeure québécoise Lucie Sauvé a élaboré toute une réflexion criti-que à propos du développement durable et de l’éducation au développement du-rable (EDD). Ses analyses méritent que l’on s’y arrête, car elles témoignent d’un profond attachement à une éthique de la responsabilité, aussi bien du point de vue de l’éducation que de celui de la transformation sociale, avec comme horizon l’émergence de sociétés respectueuses de nos environnements (comme nature, mais également comme milieu de vie et projets communautaires). Ces analyses sont assez représentatives de toute une sensibilité qui existe à l’échelle interna-tionale et qui s’exprime, notamment, dans les congrès mondiaux de l’éducation Relative à l’Environnement. Professeure à Université du Québec à Montréal, elle y dirige la chaire canadienne de recherche en éducation Relative à l’Environne-

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ment. Il nous semble donc utile, ici, de présenter les différentes thèses énoncées par Lucie Sauvé afin de mieux cerner les risques que contient la proposition de l’éducation au Développement Durable. Mais avant toute chose, il faut rappeler que son espace paradigmatique de départ est celui de l’éducation relative à l’ En-vironnement (ErE), en particulier des courants de pensée et des sensibilités qui ont émergé dans les années 1980, comme ceux de la critique sociale, de la critique féministe et de la solidarité internationale. Dans un article datant de 1998, inti-tulé « L’éducation relative à l’environnement entre modernité et post-modernité, les propositions du développement durable et de l’avenir viable », Lucie Sauvé in-terroge la légitimité et la pertinence de la proposition du développement durable, à la fois à partir du développement et de l’éducation. Les arguments sont riches sans être provocateurs et elle sait dire les nuances nécessaires pour que le débat des idées soit fécond et fructueux. Tout d’abord, elle rappelle quelques données importantes à propos de l’installation du développement durable comme cadre idéologique afin de sortir de la crise socio-écologique.

La notion de développement durable a émergé d’un compromis histo-riquement négocié entre certains acteurs sociaux à l’issue des travaux de la CMED. Le sociologue Jean-Guy Vaillancourt (1992) rappelle que la notion d’éco-développement avait d’abord été proposée, entre autres par Ignacy Sachs et Maurice Strong. Cette notion laisse peu d’équivoque : le développement y est associé à la prise en compte des principes écologiques de base (dont celles qui ont trait à la capacité de support du milieu) et à une éthique écologiste basée sur les valeurs d’autonomie, de solidarité, de responsabilité à l’égard des réalités socio-environnementales. Or, comme le signale Vaillancourt, toute référence explicite à l’écologie ou à l’environnement apparaissant comme irritant pour beaucoup d’acteurs de la sphère économique et politique. La notion de déve-loppement durable a alors été adoptée, précisément à cause du flou qu’elle en-tretenait à l’égard du type même de développement en question, dont la seule caractéristique explicite était qu’il soit de nature à se perpétuer. De sorte que tout le monde y trouvait son compte (Sauvé, 1998).

La référence à l’écodéveloppement est importante car, dans de nombreux textes d’analyse, Lucie Sauvé dit tout son intérêt pour ce paradigme théorisé, aux débuts des années 1970, par Ignacy Sachs. Ainsi, même si elle prend appui sur les travaux des critiques du développement (notamment Gilbert Rist, Marie-Dominique Perrot ou encore Serge Latouche) pour renforcer son propos à l’égard du développement durable, c’est moins pour contester la notion elle-même que pour dénoncer la perspective économiste dans laquelle les politiques de déve-loppement s’inscrivent. Elle peut même reconnaitre que le DD peut répondre à des enjeux légitimes.

Le développement durable est ainsi apparu comme un slogan fort astu-cieux qui a permis d’ouvrir un premier dialogue (si superficiel soit-il) entre le monde de l’entreprise et de la politique, et celui de l’environnement. De façon réaliste, en fonction de l’économisme ambiant, on peut considérer d’ailleurs que

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c’était alors l’une des rares clés disponibles pour débloquer la situation où ris-quait de s’enliser longtemps le mouvement environnementaliste. Et la stratégie s’est avérée porteuse : les préoccupations environnementales, désormais recon-nues comme passage obligé du développement économique, sont de plus en plus prises en compte par les décideurs. Certes, dans certains contextes actuels et en fonction de certains objectifs spécifiques, le concept de développement durable peut s’avérer un choix judicieux (compte tenu de la culture initiale des protagonistes) et mérite sans doute d’être exploité comme élément d’une stra-tégie d’intervention environnementale auprès des décideurs politiques ou des acteurs du monde de l’entreprise (Sauvé, 1998).

Fondamentalement, si Lucie Sauvé est réticente vis-à-vis du DD, c’est moins parce qu’il est un développement que parce que son orientation ne fait que prolonger les structures sociales et idéologiques de la modernité techni-cienne et marchande, responsable précisément de la crise socio-écologique qui frappe nos environnements.

Par ailleurs, le schème conceptuel du développement durable représenté par des cercles interpénétrés ou encore un triangle, est éminemment problé-matique. Ce schème situe la sphère de l’économie en dehors de la société, et non pas comme une composante intégrante des choix sociaux : il s’agit d’une supra entité qui préside à la relation société-environnement ; et c’est dans cette sphère de l’économie qu’on situe le développement. Certes cette représentation décrit la situation actuelle, éminemment aliénante pour les sociétés et qui en-trave le développement endogène (appelé aussi développement autonome ou développement alternatif) (Sauvé, 1998).

Lorsqu’elle aborde la question de l’éducation au développement durable, c’est toujours selon une axiologie dans laquelle les valeurs technicienne et mar-chandes ne doivent pas avoir le premier rang. Si elle s’inquiète de l’avancée de l’EDD ce n’est pas pour protéger l’espace de l’éducation relative à environnement, c’est en raison d’une certaine éthique et philosophie de l’éducation. Pour Lucie Sauvé, et pour la plupart des analystes, le développement durable est un com-promis, un lieu où la négociation est, normalement, la règle. En fonction des rap-ports de force existants, le DD peut s’avérer un compromis acceptable pour sen-sibiliser les décideurs politiques et économiques à cette nécessité, aujourd’hui vitale, de respecter les équilibres de l’environnement. En revanche, l’éducation est un domaine dans lequel les considérations de compromis et de rapports de force ne devraient pas entrer. Sans parler de l’intrusion de valeurs éminemment non citoyennes comme les valeurs de la modernité techno-marchande.

Or, est-il éthiquement acceptable d’éduquer en inculquant des choix pré-déterminés (Jickling, 1993), surtout s’ils nous aliènent à un projet économiciste mondial dont l’évolution nous échappe? Est-il éthiquement acceptable d’opérer une «refonte» de l’éducation autour d’une «éducation» pour le développement (économique), et de le souhaiter durable, dans nos sociétés où l’on n’a pas en-core appris à être et où l’on n’a pas encore donné de sens à un tel développe-

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ment ? Est-il éthiquement acceptable d’exporter et d’imposer le concept de dé-veloppement durable auprès de populations actuelles et futures qui auraient possiblement d’autres cadres de référence à proposer ? Certes les éducateurs qui prônent l’éducation pour le développement durable ne se reconnaissent pas dans de telles critiques. Ils argumenteront que le vrai sens du développement durable n’est pas compris. On remplacera l’adjectif durable par celui de viable. On établira une distinction entre viabilité faible (weak sustainability) et via-bilité forte. Pour répondre à une éthique éducationnelle plus fondamentale, le cadre du développement durable doit être réinterprété ou reformulé. Pourquoi alors ne pas changer tout simplement de cadre, puisque celui-ci est à ce point problématique ? Nous verrons que la proposition moins équivoque du dévelop-pement de sociétés responsables apparaît plus appropriée. Elle correspond déjà de toute façon à de nombreux discours et pratiques actuels inscrits sous l’appel-lation développement durable (Sauvé, 1998).

Reformulation du développement durable ?

Des chercheurs en éducation vont prendre au sérieux, mais à partir de problématiques de départ différentes, cette question de la ré-interprétation ou de la reformulation du cadre du développement durable ´pour répondre à une éthique éducationnelle plus fondamentale. Parmi eux, nous pouvons citer Geor-ges Bertin, que nous avons cité à propos de la diversité des acteurs du DD. Sa réflexion est, in fine, assez proche des questionnements de l’éducation relative à environnement et de l’écodéveloppement. Tout d’abord, il refuse que le déve-loppement s’inscrive dans le sillage des anciens paradigmes cognitifs tels qu’ils se sont exprimés en économie (avec une lecture économiciste et néolibérale des relations humaines et des relations humains-non humains) et en science (avec une lecture scientiste de la réalité). Pour lui, ces paradigmes ont été largement dépassés par le mouvement réel des idées et des sociétés. Le réductionnisme, qui est l’une des structures majeures de l’ancienne épistémologie, est remis en question par l’essor des théories de la complexité, de l’auto-organisation, de l’émergence. Par ailleurs, il soutient une approche de l’environnement qui re-lève dune représentation sociale régionale et locale. Pour lui, l’environnement est un milieu de vie, un lieu où des humains concrets se rencontrent, dans leur diversité : former au développement local durable, écrit-il, c’est faire son deuil d’un système explicatif unique. C’est se doter d’instruments de réalisation et de compréhension de la complexité des situations rencontres (Bertin, 2005, 84). Cet horizon méthodologique que constitue la complexité se voit clairement ex-primée dans sa définition des compétences de ce que devrait être un formateur en développement durable.

Ainsi, former au développement durable comme pratique professionnel-le nous semble correspondre à cette visée de compréhension et de description d’une praxis sur laquelle s’ancrent des pratiques ; il s’agit en somme de former soit des chercheurs-praticiens, soit des généralistes capables à la fois:

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• de diagnostiquer, et de poser ces diagnostics à tous les stades du trajet anthro-pologique,

• d’intervenir sur la demande,

• de constituer des réseaux de partenaires,

• d’organiser les programmes locaux en suscitant des stratégies nécessaires,

• de mobiliser,

• de mettre en œuvre des politiques concertées sur les implantations d’activités ou d’habitat,

• de veiller aux équilibres naturels, aux risques de crise potentiels,

• d’informer,

• d'évaluer en impliquant les partenaires repérés dans cette Valuation pour mieux les mobiliser. Cette évaluation pourra dès lors, s'attacher à prendre en compte des critères proprement environnementaux (la qualité de l'air, les nui-sances sonores ou visuelles, la lutte contres les pollutions) mais encore sociaux (la satisfaction des usagers, les mobilisations citoyennes) ou culturelles (les as-pects liés au patrimoine naturel, architectural).

La méthode adoptée ne sera donc pas tant l’imposition de savoirs superpo-sés que, dans une approche casuistique, le développement des capacités des futurs animateurs à articuler savoirs et aspects pragmatiques. Non pas tant des spécia-listes enfermés dans une posture disciplinaire que des généralistes à l’interface du naturel, du social, du culturel et des ressources humaines (Bertin, 2005).

à mille lieux de la conception techno-économiciste qui domine au sein du développement durable, celle de Georges Bertin donne à la culture une place de choix. Il ne s’agit pas de la culture dans une définition élitaire (les métiers de la culture) mais de la culture au sens anthropologique (tout ce qui est humain cultu-rel). On notera que ce chercheur en science de l’éducation est proche de toute cette sensibilité universitaire et praticienne qui tend à réhabiliter image, imaginaire, imagination, le mythe au sein même de l’acte éducatif et de la pensée discursive.

Le mythe relève du pensée et du vécu, mieux, il interroge profondément les catégories de la modernité. Antinomique du réel dans le langage courant, il se donne à voir comme réel. On peut se demander si sa réalité ne s’impose pas à la recherche. Ainsi pourrait-on soutenir le paradoxe qui établirait le fait que toute pensée scientifique est d’abord une pensée mythique, que la caté-gorie du mythique interroge nos certitudes les mieux établies comme toute recherche en sciences anthropo-sociales. Pour Claude Levi-Strauss (La Pensée Sauvage), opposition entre l’ordre du sensible et celui de l’intelligible est de plus en plus dépassée, la science s’appliquant à réintégrer le domaine du sensible retrouvant ce qui se trouve à l’origine des croyances et des rites populaires. Loin d’un rationalisme nous imposant le morcellement des phénomènes sociaux et

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culturels alors que tous les domaines qui les concernent sont liés, chaque expé-rience de la vie collective peut, dès lors, être lue comme ce que Mauss appelait « un fait social total » (Bertin, 2001).

Sur les traces de Gilbert Durand, de René Barbier ou de Cornélius Casto-riadis et, avant eux, de Gaston Bachelard, Georges Bertin entend prendre appui, résolument, sur une approche ouverte, systémique (et non pas systématique), humble de la rationalité afin de rendre intelligible les interfaces entre éduca-tion/formation, environnement, vie sociale et milieu de vie. C’est ainsi que sa lecture peut correspondre à une reformulation ou à une ré-interprétation du cadre du développement durable dans une optique non économiciste, plus sou-cieuse d’éthique, de valeurs sociales et de culture que de performance.

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Ouvertures

Les acteurs de l’éducation au développement durable, et, aux premiers rangs les enseignants, s’ils souhaitent respecter les fondations éthiques de l’éducation, ne peuvent se contenter de la reconduction, dans leur domaine propre, des définitions dominantes du DD. On sait que l’esprit critique (son acquisition et sa mise en pratique) représente, au sein de l’éducation, l’un des fondements éthiques les plus essentiels. Mais l’enjeu n’est pas uniquement de développer chez l’apprenant cette faculté de la conscience ; les enseignants doivent, eux aussi, apprendre à être critique à l’égard des énoncés et des propositions qu’ils formulent et qu’ils transmettent. Il ne faudrait pas penser que l’esprit critique constitue un obstacle à l’action et la résolution des problèmes, qui sont des finalités du développement dura-ble. Au contraire, on peut estimer que l’esprit critique est une condition nécessaire à la concrétisation d’objectifs portés par différents acteurs dans un milieu de vie, un territoire social, une collectivité. L’esprit critique participe de la vie démocratique, de l’articulation des intérêts différents (et parfois, contradictoires) et de la négociation. L’éducation au développement durable n’échappe pas à cette question. Loin de se réduire à un appren-tissage de gestes et de comportements individuels vertueux, cette EDD, si elle s’enracine dans une perspective sociale et non pas techno- économique, peut apporter une contribution à l’essor, chez les apprenants, d’une vraie conscience sociale et participative. Nous reprenons à notre compte cette réflexion de Maryse Clary :

« L’éducation doit contribuer au développement total de cha-

que individu et conduire chacun à être en mesure de se constituer

une pensée autonome et critique, être capable de se forger son propre

jugement. Le but essentiel de l’éducation à l’environnement et à la

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viabilité est de promouvoir une nouvelle citoyenneté contribuant à

doter les jeunes d’attitudes et de comportements visant à respecter,

protéger et finalement bien gérer l’environnement, à avoir à l’égard

des autres une attitude de compréhension, de tolérance et d’entraide,

et surtout, se référer à la notion de responsabilité et d’engagement,

au service d’une gestion raisonnée et raisonnable du territoire, au

service d’une protection intelligente de notre cadre de vie, au ser-

vice d’un fonctionnement harmonieux de nos rapports sociaux » (Clary, 200�).

De la solidarité internationale (notamment sociale et éco-nomique) à la valorisation des espaces territoriaux, de la pro-tection des cadres naturels à émergence de nouvelles attitudes conscientes à l’égard de la production et de la consommation, du renforcement des procédures démocratiques et participati-ves à la reconnaissance de la bio-diversité culturelle, dans l’op-tique d’un universalisme concret et pluriel et d’un humanisme respectueux de notre appartenance à l’environnement, les défis de l’éducation sont nombreux. Edgar Morin a raison de parler de l’urgence d’une véritable réforme de l’esprit. Pour notre part, et par de la diversité des approches de l’éducation au dévelop-pement durable, nous sentons que cette réforme de l’esprit, ce surgissement de nouveaux paradigmes supposent un appel au réenchantement du monde. La Commission Gulbenkian pour la restructuration des sciences sociales, présidée par l’historien et sociologue Immanuel Wallerstein, écrivait dans son rapport : « ce n’est pas un appel à la mystification. C’est un appel à abattre les

frontières artificielles entre les humains et la nature, à reconnaitre

qu’ils font partie ensemble d’un unique univers construit par la flè-

che du temps. Le réenchantement du monde est connu pour libérer la

pensée humaine davantage encore (Wallerstein, 1996).

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BibliographieBertin G., 2005, Former au développement local durable: Penser globalement pour agir localement. Esprit critique, Hiver 2005, Vol. 7, 1, consulté sur Internet: «http://www.espritcritique.org»

Bertin G., 2005, Actualité du mythe. Esprit critique, Vol. 3, 8, consulté sur Internet: «http://www.espritcritique.org»

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Durand G., 1984, 10éme édition, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris: Dunod

Kuhn T., 1972, La structure des révolutions scientifiques, Paris: Flammarion.

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Kuhn T., 1972, La structure des révolutions scientifiques, Paris : Flammarion. La version originale en anglais fut éditée en 1962.

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Repères : éducation,

Environnement, Développement,

Durabilité, Fragments

d’une histoire complexe

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Introduction

Si la finalité de l’éducation au Développement durable est bien la responsabilisation de l’apprenant vis-à-vis des grandes questions posées par les multiples articulations

entre éducation, environnement, développement et durabilité, alors il nous semble utile et même nécessaire de rappeler que ce processus, qui est à la fois intellectuel et psychologique, re-quiert que nous portions notre attention sur ceci : la qualité des alternatives que nous pouvons élaborer afin de résoudre tel ou tel aspect de la crise socio-écologique planétaire est tributaire de la qualité des analyses que nous faisons de la situation. Or, ces analyses de la situation seront inconséquentes si elles se contentent d’être « conséquentialistes », c’est-à-dire si elles ne visent qu’au seul traitement des effets de la crise. Nos analyses doivent aussi, pour reprendre une notion issue de la philosophie, « ontologiques », autrement dit être capables de saisir la nature profonde, l’être même de ce modèle historique, social concret, qui a produit le drame environnemental qui frappe la Terre et ses habitants. Le traitement des seules urgences ne doit pas monopoliser la réflexion et il même légitime de penser que c’est dans l’entrelacement entre la prise en charge des urgences so-ciales et écologiques et l’explicitation des mécanismes originai-res de la crise que réside l’enjeu de notre temps. Tout cela nous conduit à souligner l’importance cruciale de la compréhension des contextes historiques dans lesquels se sont mis en place les divers éléments du drame socio-écologique. étudier l’histoire de la crise n’est pas faire uniquement travail d’historiographie. En fait, l’idée est d’éclairer le présent à la lumière des processus à l’oeuvre, qu’ils soient économiques, sociaux ou environnemen-taux (pour reprendre le triptyque du Développement durable), processus qui plongent leurs racines dans la mémoire des socié-tés et dans l’histoire de la nature.

Une autre raison préside à ce souci d’historiciser la crise sociale et écologique ; c’est celui de comprendre la nature des

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réactions humaines et leurs temporalités. On comprendra, ain-si, le rôle surdéterminant des sociétés civiles dans le processus de prise de conscience écologique, notamment des états et des institutions. Le rôle des scientifiques, des écrivains, des philoso-phes, des militants associatifs est encore insuffisamment recon-nus dans la lente émergence de l’écologie comme enjeu central de l’« esprit public ». Qui se souvient du Printemps silencieux, de la biologiste étasunienne Rachel Carson, publié en 1��2 ? Son rôle dans l’interdiction du DDT fut décisif. Qui a en mémoire les contributions fondamentales de ces colloques et congrès inter-nationaux qui - réunissant un nombre important de scientifi-ques et de philosophes, praticiens des sciences dites dures ou sociales, mais qui sont toutes des sciences « humaines » - mon-trèrent magistralement, d’une part, la nécessité de dépasser le modèle réductionniste et mécaniste de la connaissance, modèle issu du scientisme du 1�e siècle, et, d’autre part, la fécondité de ces nouvelles lectures du réel émergeant des sciences de la com-plexité, de l’auto-organisation et de la transdisciplinarité ? Nous avons à l’esprit, notamment, les colloques de Cordoue (« Science et Conscience. Les deux lectures de l’univers », 1���), Tsukuba (« Sciences et Symboles. Les voies de la connaissance », 1��4), Venise (« La science face aux confins de la connaissance », 1���), Vancouver (« La science et la culture pour le XXIe siècle : Un pro-gramme de survie, 1���), ou encore Tokyo (« Science et culture : un chemin commun vers l’avenir », 1���).

Prendre conscience de ces expériences, qui sont pratiques et théoriques, politiques et intellectuelles, ne nous permet pas seulement de nous inscrire dans des filiations. L’enjeu est égale-ment celui de la reconnaissance et du respect de la pluralité épis-témologique qui existe au sein de la mouvance des interfaces entre éducation, environnement, développement et durabilité. Or, la saisie de cette pluralité suppose la connaissance de l’his-toire et des trajectoires des pensées relatives à ces questions.

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La Chronologie que nous proposons n’est pas exhaustive. Elle ne présente que des fragments d’une histoire complexe ; l’histoire contemporaine de la lente émergence de la conscience des enjeux socio-écologiques. Nous avons délibérément choisi trois critères pour sélectionner les événements de cette chrono-logie. Nous en assumons l’arbitraire et ne désirons pas le justi-fier plus que de raison. La première classe des événements est celle de l’actualité écologique planétaire du point de vue de la crise. Même si elles ne sont pas la meilleure des pédagogies, les crises écologiques (de l’accident nucléaire ou industriel à la ma-rée noire) ont joué un rôle incontestable dans la conscientisa-tion écologique. Ainsi, le rôle crucial des Scandinaves dans l’idée et l’organisation de la première conférence, sous l’égide des Na-tions-Unies, sur l’environnement humain (1��2, Stockholm) était lié aux dangers que constituaient les pluies acides dans leur ré-gion. La deuxième classe des événements référencés est compo-sée des prises de positions publiques internationales, positions exprimées à travers des textes juridiques plus ou moins contrai-gnants (conventions, accords, protocoles…) et des réunions planétaires (comme les fameux sommets de la terre). Enfin, le dernier type de faits est l’événement intellectuel (ouvrage, créa-tion et popularisation de concepts, débats et questionnements théoriques, prise de positions et déclaration…). Nous n’avons pas voulu, consciemment, introduire les événements politico-instu-tionnels français dans notre chronologie. Ils sont censés êtres plus connus et surtout nous voulions insister sur la perspective globale de la crise sociale-environnementale.

Il ne s’agit pas, ici, d’une histoire chronologique du Dé-veloppement durable ou de l’éducation au Développement durable. Notre propos était seulement de restituer les termes du large contexte de débats et d’événements, que nous jugeons significatifs, qui, depuis les années 1��0, dynamisent l’interface éducation, environnement, développement, durabilité. C’est dans ce cadre-là que le DD prend sa place comme étant l’une des propositions discutées.

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1948Création de l’une des plus grandes et des plus anciennes organisations internatio-nales de protection de l’environnement, l’Union Internationale pour la Conserva-tion de la Nature (UICN). En 1951, l’Union publie son premier rapport qui met en évidence les liens entre activité économique et déséquilibres environnementaux.

1950La population de la région de Toyama, au Japon, est victime d’une importante intoxication provoquant le développement de la maladie dite « itaï-itaï ». C’est l’extraction minière, pour l’industrie, du cadmium qui est la cause de l’accident sanitaire.

1952DécembreUne pollution majeure provoque des milliers de victimes à Londres, en Grande-Bretagne. C’est le fameux smog, mélange de brouillard et de pollution, causé par un usage intensif du chauffage au charbon.

1954Une contamination des îles Bikini est provoquée par les retombées radioactives d’un essai nucléaire de Casle Bravo.

1959La mise en évidence, au Japon, du lien entre les rejets de mercure d’une usine (fonctionnant depuis les années 1930) et de graves problèmes médicaux (mala-die dite « Minamata ») pour la population est rendue publique.

196111 septembreCréation du WWF (World Wildlife Fund/Fond mondial pour la planète), à Mor-ges, en Suisse. Son premier objectif est celui de la préservation de la diversité biologique. Aujourd’hui, son champ d’intervention ne se réduit plus, comme au départ, à la vie sauvage, mais englobe les milieux naturels en général, les chan-gements climatiques, les modes de consommation, etc.

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1962L’étasunienne Rachel Carson publie Printemps silencieux (Silent spring). Ouvra-ge de référence de l’écologie des années 1960 et 1970, Printemps silencieux a largement contribué à la prise de décision par les autorités du pays d’interdire le DDT. Le livre est traduit et publié en langue française en 1963 (Paris : Plon).

1964

La Conférence des Nations-Unies sur le Commerce et le Développement (CNU-CED) est crée, sous l’égide de l’ONU. La création de la Conférence était l’une des grandes revendications des pays du Sud, qui estimaient que les institutions en place (comme le GATT ou le Comité d’Aide au Développement de l’OCDE) avaient une approche strictement économique ou qu’elles défendaient, en der-nier lieu, les intérêts des pays occidentaux industrialisés.

1966

1er

janvierPar la résolution 1029, l’Assemblée Générale de l’ONU prolonge son action en faveur de développement avec la création du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD), programme chargé de coordonner l’ensemble des initiatives en faveur du développement qui se déploient sous son égide. Le PNUD publie chaque année, depuis 1990, un Rapport sur le développement hu-main. Ce rapport aborde, chaque année, un thème spécifique en rapport avec le développement (comme le dérèglement climatique, l’eau…). Il publie également un classement de plus de 160 pays du point de vue de l’indicateur de développe-ment humain. Le siège du PNUD est à New York, aux états-Unis.

16 décembreL’Assemblée Générale de l’ONU adopte le Pacte International des droits civils et politiques et le Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels.

196718 marsLe pétrolier Torrey, qui appartient à une filiale de la multinationale étasunienne Union Oil Company of California, fait naufrage provoquant une importante ma-rée noire sur les côtes françaises et britanniques, avec 121 000 tonnes de pétrole qui s’échappent. C’est l’une des premières catastrophes écologiques qui se pro-duit dans le monde du transport maritime de matière première dangereuse.

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1968 8 avrilà l’initiative d’Alexander King et d’Aurélio Peccei, des scientifiques, économis-tes et chefs d’entreprise, en provenance de 53 pays, se réunissent à Rome, en Italie, et fondent le Club de Rome. L’ambition de cette structure est de penser les problèmes sociaux, politiques, économiques, culturels, environnementaux à l’échelle du monde. Au mois de mars 1972, Le Club de Rome publie Halte à la croissance. C’est son premier document public. Ce rapport, appelé aussi Rapport Meadows et Forester, est le fruit d’une étude de chercheurs appartenants au MIT (Massachusetts Institute of Technology). Il met l’accent sur le danger que pour-rait représenter pour les équilibres sociaux et écologiques une économie fondée sur la seule croissance.

1969 23 juinEn Allemagne, près de Bingen, un fût de 500 litres d’un puissant insecticide, le Endosulfan, est à l’origine de l’une pollution majeure du Rhin. Sur près de 600 kilomètres, ses eaux sont souillées, provoquant la mort de millions de poissons.

David R. Brower crée l’association Friends of the Earth (les Amis de la Terre), qui va très vite devenir l’une des plus importantes organisations écologistes interna-tionales. Il existe actuellement une Fédération des Amis de la terre, qui regroupe 5000 groupes locaux, totalisant un million et demi de membres (dans 72 pays).

1970Le psychologue et pédagogue Jean Piaget est l’un des premiers auteurs à in-troduire le concept de « transdisciplinarité », au cours d’un colloque consacré à l’interdisciplinarité. « Enfin, à l’étape des relations interdisciplinaires, on peut espérer voir succéder une étape supérieure qui serait transdisciplinaire, qui ne se contenterait pas d’atteindre des interactions ou réciprocités entre recherches spé-cialisées, mais situerait ces liaisons à l’intérieur d’un système total, sans frontière stable entre les disciplines. »

197115 septembre

Des écologistes se lancent dans l’action non violente pour la protection de la nature. La lutte contre les essais nucléaires constitue l’un des centres de leur mobilisation. à cette date, ces militants essaient de se rendre, en partant de

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Vancouver, au Canada, pour l’Alaska, afin de dénoncer les essais nucléaires des états-Unis. Cet événement est souvent donné comme étant la date de naissance du mouvement Greenpeace (Paix verte).

L’UNESCO lance le Programme « Homme et Biosphère » (Man and Bios-phere). Thomas Schaaf est expert du programme écosystèmes montagneux et terres arides et semi-arides, à la Division des sciences écologiques de l’UNESCO, institution chargée du secrétariat international du programme sur l’homme et la biosphère (MAB). Il explique :

Le Programme sur l’homme et la biosphère (MAB) est un projet interdis-ciplinaire de recherche sur l’environnement. Il a été lancé en 1972 en vue d’une utilisation rationnelle et de la conservation des ressources et de la biosphère, ainsi que de l’amélioration des relations entre l’homme et son environnement. La caractéristique de ce programme est son approche holistique et interdisci-plinaire. Tant les sciences naturelles (climatologie, biologie, pédologie ou fores-terie, par exemple) que les sciences sociales (économie, géographie humaine ou sociologie, par exemple) sont nécessaires à l’étude des effets des activités humaines sur un écosystème donné, c’est-à-dire des rapports mutuels entre l’homme et la nature. Telle est la justification du programme «L’homme et la biosphère», ci-dessous appelé MAB selon le sigle anglais.

Le programme MAB s’appuie sur une démarche écologique qui met l’ac-cent sur les écosystèmes montagneux, les terres arides ou les forêts tropicales humides. Peu après le lancement du programme, début avril 1973, un groupe d’experts s’est réuni à Salzbourg (Autriche) pour examiner la repercussion des activités humaines sur les écosystèmes de montagne et de toundra. Il avait pour tâche d’élaborer le contenu scientifique des projets à soumettre au titre du pro-gramme MAB. Le groupe d’experts a recommandé l’étude des facteurs suivants:

• établissements humains de haute altitude;

• effets des variantes d’utilisation des terres sur les écosystèmes montagneux;

• incidences de l’usage étendu des technologies sur les écosystèmes montagneux;

• répercussions du tourisme et des loisirs sur les écosystèmes montagneux.

Un groupe de travail s’est réuni à Lillehammer (Norvège) la même année afin de mieux définir le champ d’action, les objectifs, les méthodologies et les résultats éventuels des études dans des secteurs où des problèmes se posent (UNESCO-MAB, 1974). Cette réunion s’est traduite par une définition plus claire des thèmes à approfondir et des régions à étudier, à savoir:

• la mise en valeur des ressources et les établissements humains dans les hau-tes montagnes tropicales (situées au-dessus de 2 500 m et entre 30° N et 30° S de latitude), notamment les Andes tropicales, les chaînes de montagnes d’Asie du Sud et les hautes terres d’Afrique orientale et d’éthiopie;

• le tourisme, la technologie et l’utilisation des terres dans les montagnes de

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latitudes moyennes (entre 30° et 60° dans chaque hémisphère), au climat tem-péré avec un été et un hiver bien marqués;

• les problèmes d’utilisation des sols dans les écosystèmes de montagne et de toundra de haute altitude, eu égard en particulier aux pâturages, au développe-ment industriel et aux activités de loisirs.

Afin de pouvoir comparer les méthodes et les résultats, le groupe de tra-vail de Lillehammer a défini des critères de recherche minimaux tant pour les sciences naturelles que pour les sciences sociales. Il a jugé essentiel que les ré-sultats des études régionales puissent être comparés à ceux des études réali-sées dans le cadre international (…)

Nouvelles démarches : les facteurs culturels Dans le cadre d’un programme de recherche sur de nouvelles méthodes

de conservation de l’environnement, UNESCO-MAB a récemment lancé une ini-tiative fondée sur les croyances traditionnelles et les valeurs culturelles. Peut-on renforcer la conservation des aires juridiquement protégées (comme les parcs nationaux) en déployant des efforts complémentaires qui tiennent compte des aspects culturels?

La plupart des cultures du monde sacralisent certains sites naturels. Tels monts ou telles collines ont une connotation spirituelle ou une valeur symbo-lique. L’accès à ces sites est souvent interdit, ou limité à certaines catégories de personnes, comme les prêtres et les pèlerins. Aussi ces sites préservent-ils sou-vent une grande diversité d’espèces animales et végétales, alors que les zones environnantes sont dégradées, voire dénudées.

Les sites sacrés peuvent être considérés comme des réservoirs génétiques du règne végétal et des sanctuaires de la faune sauvage, la cueillette et la chasse y étant généralement interdites. Pour les spécialistes de l’environnement, les si-tes sacrés fournissent de précieuses informations et peuvent servir d’indicateurs pour développer le potentiel de végétation naturelle. En outre, les espèces que l’on rencontre dans les sites sacrés sont d’origine indigène (parfois même endé-mique) et donc bien adaptées aux conditions climatiques et édaphiques locales.

Comme l’a montre un précédent projet de l’UNESCO sur les bocages sa-crés de la savane au nord du Ghana, ces sites peuvent aussi fournir des ressour-ces génétiques pour le reboisement et l’agriculture dans un effort de remise en état des environnements dégradés.

En se servant des croyances populaires et des valeurs culturelles pour aider à la conservation de l’environnement, cette nouvelle initiative de l’UNESCO offrira également une opportunité de coopération interdisciplinaire entre les experts de l’environnement et les anthropologues, resserrant ainsi l’écart qui s’était créé entre les sciences de la nature et la culture en général. Ce nouveau projet de recherche est encore en phase préparatoire et sera mis en œuvre dans plusieurs sites montagneux sacres d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.

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Nicholas Georgescu-Roegen donne une conférence à l’Université d’Alabama, dans le Département d’économie, intitulée The Entropy Law and the Economic Problem. Traduit en langue française en 1979 - avec deux autres textes : Energy and Economic Myths (conférence du 8 novembre 1972) et The Steady State and Ecological Slavation (article d’avril 1977) – et publié dans l’ouvrage Demain la décroissance. Entropie, écologie, économie (Lausanne : Pierre-Marcel Favre), le texte de cette conférence de 1971 va profondément marquer, à la fois, la pensée économique soucieuse de prendre en compte les dynamiques des écosystèmes vivants et la pensée écologique soucieuse d’intégrer dans son approche la ré-flexion économique. S’appuyant sur les nouveaux paradigmes scientifiques, en particulier les travaux contemporains en thermodynamique (avec, notam-ment, la loi d’entropie), cet économiste d’origine roumaine réfute radicalement la thèse dominante dans le monde de l’économie académique et universitaire selon laquelle, le développement économique se confond avec la croissance matérielle. élaborant une bio-économie, autrement dit une pensée économi-que intégrant les données issues de la science écologique, l’auteur plaide pour une décroissance, qui n’est pas, pour lui, une régression, mais la condition de la survie écologique de l’humanité et de la planète. Le thème de la décroissance va connaître, dans les années 1990 et 2000 de nouveaux développements avec les travaux du socio-écconomiste Serge Latouche.

19725 juin Sous la devise « Une seule Terre », et avec le soutien de, la communauté inter-nationale se réunit à Stockholm, en Suède, pour la première Conférence des Na-tions-Unies sur l’environnement humain. Cette initiative est à l’origine d’une idée de Sverker Aström, représentant permanent de la Suède auprès de l’ONU. Il avait réussi, malgré l’opposition de nombreux états, à inscrire la question en-vironnementale à l’ordre du jour de l’Assemblée Générale de l’ONU en 1968. La Conférence de 1972, sous la direction du canadien Maurice Strong (qui sera aussi le coordinateur de la Conférence de Rio de 1992), avait pour objectif affiché la réalisation d’une synthèse entre environnement, développement et coopéra-tion internationale. Malgré la volonté des uns et des autres, la conférence est le théâtre d’un affrontement entre les pays du Sud et les pays occidentaux. La question environnementale apparaît, en effet, pour les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine, comme une exigence du monde des pays riches. La question essentielle pour eux est celle du développement et de la souveraineté. Indira Gandhi, Premier ministre l’Inde, déclarait ainsi : « La pauvreté est la forme la plus grave de pollution ». La Déclaration souligne les éléments suivants :

1. L’humain est à la fois créature et créateur de son environnement, qui assure sa subsistance physique et lui offre la possibilité d’un développement intellectuel, moral, social et spirituel. Dans la longue et laborieuse évolution de

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la race humaine sur la Terre, le moment est venu où, grâce aux progrès tou-jours plus rapides de la science et de la technique, l’homme a acquis le pouvoir de transformer son environnement d’innombrables manières et à une échelle sans précédent. Les deux éléments de son environnement, l’élément naturel et celui qu’il a lui-même créé, sont indispensables à son bien-être et à la pleine jouissance de ses droits fondamentaux, y compris à la vie même.

2. La protection et l’amélioration est une question majeure qui affecte le bien être des populations et le développement économique dans le monde en-tier ; elle correspond au vœu ardent des peuples du monde entier, et constitue un devoir pour tous les gouvernements.

3. l’humain doit constamment faire le point de son expérience et conti-nuer à découvrir, à inventer, à créer et à avancer. Aujourd’hui, ce pouvoir qu’à l’humain de transformer le milieu dans lequel il vit, s’il est utilisé avec discer-nement, peut apporter à tous les peuples les bienfaits du développement et la possibilité d’améliorer la qualité de la vie. Utilisé abusivement ou inconsidéré-ment, ce même pouvoir peut causer un mal incalculable aux êtres humains et à l’environnement. Les exemples de dommages, de destruction et de dévastation provoquée par l’homme se multiplient sous nos yeux en de nombreuses régions du globe : on constate des niveaux dangereux de pollution de l’eau, de l’air, de la terre et des être vivants ; des perturbations profondes et regrettables de l’équi-libre écologique de la biosphère ; la destruction et l’épuisement de ressources irremplaçables ; enfin de graves déficiences qui sont dangereuses pour la santé physique, mentale et sociale de l’homme, dans l’environnement qu’il crée, et en particulier dans son milieu de vie et de travail.

4. Dans les pays en voie de développement, la plupart des problèmes de l’environnement sont causés par le sous-développement. Des millions d’hu-mains continuent à vivre bien au-dessous des niveaux les plus bas compatibles avec une vie humaine décente, privés du nécessaire en ce qui concerne l’alimen-tation, le vêtement, l’éducation, la santé et l’hygiène. En conséquence, les pays en voie de développement doivent orienter leurs efforts vers le développement, en tenant compte de leurs priorités et de la nécessité de préserver et d’amélio-rer l’environnement. Dans les pays industrialisés, les problèmes de l’environ-nement sont généralement liés à l’industrialisation et au développement des techniques. Dans le même but, les pays industrialisés doivent s’efforcer de ré-duire l’écart entre eux et les pays en voie de développement.

5. L’augmentation naturelle de la population pose sans cesse de nouveaux problèmes pour la préservation de l’environnement et il faudrait adopter, selon que de besoin, des politiques et des mesures appropriées pour régler ces problè-mes. Les hommes sont ce qu’il y a de plus précieux au monde. C’est le peuple qui anime le progrès social et crée la richesse de la société, qui développe la science et la technique et, part son dur travail, transforme sans cesse l’environnement. Avec le progrès social et l’évolution de la production, de la science et de la technique, l’aptitude de l’homme à améliorer son environnement se renforce chaque jour.

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6. Nous sommes à un moment de l’histoire où nous devons orienter nos actions dans le monde entier en songeant davantage à leurs répercussions sur l’environnement. Nous pouvons, par ignorance ou par négligence, causer des dommages considérables et irréversibles à l’environnement terrestre dont dépendent notre vie et notre bien-être. En revanche, en approfondissant nos connaissances et en agissant plus sagement, nous pouvons assurer, à nous mê-mes et à notre postérité, des conditions de vie meilleures dans un environne-ment mieux adapté aux besoins et aux aspirations de l’humanité. Il existe de larges perspectives pour l’amélioration de la qualité de l’environnement et la création d’une vie heureuse. II faut de l’enthousiasme, mais aussi du sang-froid ; des efforts intenses, mais aussi une action ordonnée. Pour jouir librement des bienfaits de la nature, l’homme doit tirer parti de ses connaissances en vue de créer, en coopération avec elle, un environnement meilleur. Défendre et amélio-rer l’environnement pour les générations présentes et à venir est devenu pour l’humanité un objectif primordial, une tâche dont il faudra coordonner et har-moniser la réalisation avec celle des objectifs fondamentaux déjà fixés de paix et de développement économique et social dans le monde entier.

7. Pour que ce but puisse être atteint, il faudra que tous, citoyens et collec-tivités, entreprises et institutions, à quelque niveau que ce soit, assument leurs responsabilités et se partagent équitablement les tâches. Les hommes de toutes conditions et les organisations les plus diverses peuvent, par les valeurs qu’ils admettent et par l’ensemble de leurs actes, déterminer l’environnement de de-main. Les autorités locales et les gouvernements auront la responsabilité prin-cipale des politiques et de l’action à mener en matière d’environnement dans les limites de leur juridiction. Une coopération internationale n’est pas moins nécessaire pour réunir les ressources nécessaires afin d’aider les pays en voie de développement à s’acquitter de leurs responsabilités dans ce domaine. Un nombre toujours plus élevé de problèmes d’environnement, de portée régionale ou mondiale ou touchant au domaine international commun, exigeront une coopération étendue entre les pays et une action de la part des organisations internationales dans l’intérêt de tous. La Conférence demande aux gouverne-ments et aux peuples d’unir leurs efforts pour préserver et améliorer l’environ-nement, dans l’intérêt des peuples et des générations futures.

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PrincipesExprime la conviction commune que :

Principe IL’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être. Il a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures. à cet égard, les poli-tiques qui encouragent ou qui perpétuent l’apartheid, la ségrégation raciale, la discrimination, les formes, coloniales et autres, d’oppression et de domination étrangères sont condamnées et doivent être éliminées.

Principe 2 Les ressources naturelles du globe, y compris l’air, l’eau, la terre, la flore et la faune, et particulièrement les échantillons représentatifs des écosystèmes naturels, doivent être préservés dans l’intérêt des générations présentes et à venir par une planification ou une gestion attentive selon que de besoin.

Principe 3La capacité du globe de produire des ressources renouvelables essentielles doit être préservée et, partout où cela est possible, rétablie ou améliorée.

Principe 4L’homme a une responsabilité particulière dans la sauvegarde et la sage gestion du patrimoine constitué par la flore et la faune sauvages et leur habitat, qui sont aujourd’hui gravement menacés par un concours de facteurs défavorables. La conservation de la nature, et notamment de la flore et de la faune sauvages, doit donc tenir une place importante dans la planification pour le développe-ment économique.

Principe 5Les ressources non renouvelables du globe doivent être exploitées de telle façon qu’elles ne risquent pas de s’épuiser et que les avantages retirés de leur utilisa-tion soient partagés par toute l’humanité.

Principe 6Les rejets de matières toxiques ou d’autres matières et les dégagements de cha-leur en des quantités ou sous des concentrations telles que l’environnement ne puisse plus en neutraliser les effets doivent être interrompus de façon à éviter que les écosystèmes ne subissent des dommages graves ou irréversibles.La lutte légitime des peuples de tous les pays contre la pollution doit être encouragée.

Principe 7

Les états devront prendre toutes les mesures possibles pour empêcher la pollu-tion des mers par des substances qui risquent de mettre en danger la santé de

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l’homme, de nuire aux ressources biologiques et à la vie des organismes marins, de porter atteinte aux agréments naturels ou de nuire à d’autres utilisations légitimes de la mer.

Principe 8Le développement économique et social est indispensable si l’on veut assurer un environnement propice à l’existence et au travail de l’homme et créer sur la terre des conditions nécessaires à l’amélioration de la qualité de la vie.

Principe 9Les déficiences de l’environnement imputables à des conditions de sous-déve-loppement et à des catastrophes naturelles posent des problèmes graves, et le meilleur moyen d’y remédier est d’accélérer le développement par le transfert d’une aide financière et technique substantielle pour compléter l’effort national des pays en voie de développement et l’assistance fournie en tant que de besoin.

Principe 10Pour les pays en voie de développement, la stabilité des prix et une rémuné-ration adéquate pour les produits de base et les matières premières sont es-sentielles pour la gestion de l’environnement, les facteurs économiques devant être retenus au même titre que les processus écologiques.

Principe 11Les politiques nationales d’environnement devraient renforcer le potentiel de progrès actuel et futur des pays en voie de développement, et non l’affaiblir ou faire obstacle à l’instauration de meilleures conditions de vie pour tous. Les états et les organisations internationales devraient prendre les mesures vou-lues pour s’entendre sur les moyens de parer aux conséquences économiques que peut avoir, au niveau national et international, l’application de mesures de protection de l’environnement.

Principe 12II faudrait dégager des ressources pour préserver et améliorer l’environnement, compte tenu de la situation et des besoins particuliers des pays en voie de déve-loppement et des dépenses que peut entraîner l’intégration de mesures de pré-servation dé l’environnement dans la planification de leur développement, et aussi de la nécessité de mettre à leur disposition à cette fin, sur leur amande, une assistance internationale supplémentaire, aussi bien technique que financière.

Principe 13Afin de rationaliser la gestion des ressources et ainsi d’améliorer l’environne-ment, les états devraient adopter une conception intégrée et coordonnée de leur planification du développement, de façon que leur développement soit compatible avec la nécessité de protéger et d’améliorer l’environnement dans l’intérêt de leur population.

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Principe 14Une planification rationnelle est un instrument essentiel si l’on veut concilier les impératifs du développement et la nécessité de préserver et d’améliorer l’environnement.

Principe 15En planifiant les établissements humains et l’urbanisation, il faut veiller à éviter les atteintes à l’environnement et à obtenir le maximum d’avantages sociaux, économiques et écologiques pour tous. à cet égard, les projets conçus pour main-tenir la domination du colonialisme et du racisme doivent être abandonnés.

Principe 16Dans les régions où le taux d’accroissement de la population ou sa concentra-tion excessive sont de nature à exercer une influence défavorable sur l’environ-nement ou le développement, et dans celles où la faible densité de population risque d’empêcher toute amélioration de l’environnement et de faire obstacle au développement, il faudrait mettre en oeuvre des politiques démographiques qui respectent les droits fondamentaux de l’homme et qui soient Jugées adé-quates par les gouvernements intéressés.

Principe 17II convient que des institutions nationales appropriées soient chargées de plani-fier, de gérer ou de réglementer l’utilisation des ressources de l’environnement dont disposent les états, en vue d’améliorer la qualité de l’environnement.

Principe 18II convient de recourir à la science et à la technique, dans le cadre de leur contri-bution au développement économique et social, pour déceler, éviter ou limiter les dangers qui menacent l’environnement et résoudre les problèmes qu’il pose, et d’une manière générale pour le bien de l’humanité.

Principe 19Il est essentiel de dispenser un enseignement sur les questions d’environne-ment aux jeunes générations aussi bien qu’aux adultes, en tenant dûment compte des moins favorisés, afin de développer les bases nécessaires pour éclairer l’opinion publique et donner aux individus, aux entreprises et aux col-lectivités le sens de leurs irresponsabilités en ce qui concerne la protection et l’amélioration de l’environnement dans toute sa dimension humaine. Il est es-sentiel aussi que les moyens d’information de masse évitent de contribuer à la dégradation de l’environnement et, au contraire, diffusent des informations de caractère éducatif sur la nécessité de protéger et d’améliorer l’environnement afin de permettre à l’homme de se développer à tous égards.

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Principe 20On devra encourager dans tous les pays, notamment dans les pays en voie de développement, la recherche scientifique et les activités de mise au point technique, dans le contexte des problèmes d’environnement, nationaux et multinationaux. à cet égard, on devra encourager et faciliter la libre circula-tion des informations les plus récentes et le transfert des données d’expérience, en vue d’aider à la solution des problèmes d’environnement ; on devra mettre les techniques intéressant l’environnement à la disposition des pays en voie de développement, à des conditions qui en encouragent une large diffusion sans constituer pour eux une charge économique.

Principe 21Conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du droit inter-national, les états ont le droit souverain d’exploiter leurs propres ressources selon leur politique d’environnement et ils ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommage à l’environnement dans d’autres états ou dans des régions ne relevant d’aucune juridiction nationale.

Principe 22Les états doivent coopérer pour développer encore le droit international en ce qui concerne la responsabilité et l’indemnisation des victimes de la pollution et d’autres dommages écologiques que les activités menées dans les limites de la juridiction de ces états ou sous leur contrôle causent à des régions situées au-delà des limites de leur juridiction.

Principe 23

Sans préjudice des critères qui pourront être retenus par la communauté inter-nationale, ni des normes qui devront être définies à l’échelon national, il faudra dans tous les cas tenir compte des échelles de valeurs prévalant dans chaque pays et de l’applicabilité de normes qui sont valables pour les pays les plus avancés mais qui peuvent ne pas être adaptées aux pays en voie de développe-ment, et être pour ces pays d’un coût social injustifié.

Principe 24Les questions internationales se rapportant à la protection et à l’amélioration de l’environnement devraient être abordées dans un esprit de coopération par tous les pays, grands ou petits sur un pied d’égalité. Une coopération par voie d’accords multilatéraux ou bilatéraux ou par d’autres moyens appropriés est in-dispensable pour limiter efficacement, prévenir, réduire et éliminer les attein-tes à l’environnement résultant d’activités exercées dans tous les domaines, et ce dans le respect de la souveraineté et des intérêts de tous les états.

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Principe 25 Les états doivent veiller à ce que les organisations internationales jouent un rôle coordonné, efficace et dynamique dans la préservation et l’amélioration de l’environnement.

Principe 26Il faut épargner à l’homme et à son environnement les effets des armes nucléai-res et de tous autres moyens de destruction massive. Les états doivent s’efforcer, au sein des organes internationaux appropriés, d’arriver, dans les meilleurs dé-lais, à un accord sur l’élimination et la destruction complète de telles armes.

15 décembreDans le prolongement de la Conférence de Stockholm, l’ONU, au cours de la XXVIIe session de son Assemblée Générale, constitue le Programme des Na-tions-Unies pour l’Environnement (PNUE). La résolution 2997 qui la fonde s’in-titule « Dispositions institutionnelles et financières concernant la coopération internationale dans le domaine de l’environnement ». Le siège du PNUE est ins-tallé à Nairobi, au Kenya.

19733 marsQuatre-vingts états, réunis à Washington, aux états-Unis, signe la CITES qui est l’acronyme anglais de « Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d’extinction. Dit aussi Convention de Washington, ce document international entend mettre en place des mécanis-mes afin que le commerce de ces espèces animales et végétales ne se fasse pas au détriment de leur survie dans leur milieu naturel. En octobre 1989, la CITES place l’éléphant dans la classe des espèces qui demandent le plus de protection. En effet, le commerce de l’ivoire représente une menace pour les éléphants. Mais en 1997, l’interdit de ce commerce est partiellement levé, et cela malgré la protes-tation des organisations environnementalistes dans le monde entier.

Le philosophe norvégien Arne Naess crée la notion de deep ecology (écologie profonde). Elle va devenir le point central d’une conception en philosophie et éthique de l’environnement en rupture avec l’anthropocentrisme classique de la pensée occidentale.

19748-12 octobreLa CNUCED et le PNUD organisent un colloque consacré à la question du déve-loppement dans les rapports Nord/Sud, au Mexique. à l’issue de cette réunion, les présents signent la Déclaration de Cocoyoc, qui reprend les idées-forces des

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partisans du Nouvel Ordre économique International, autrement dit d’un ordre économique qui ne serait plus fondé sur l’échange inégal entre le centre occi-dental et la périphérie du Tiers-Monde, mais sur une justice dans le partage des richesses.

Quatre universitaires étasuniens, W.H. Ittelson, H.M. Proshansky, L.G Ri-vlin et G.H. Winkel, publient An introduction to environmental psychology. New York: Holt, Rinehart and Winston. Cet ouvrage marque un tournant dans l’étude des relations entre environnement et psychologie, dans la mesure où il opère une systématisation de la question, intégrant dans une conception unitaire toute une série de thèmes relatifs, notamment, aux questions architecturales, sanitaires, psychocognitives.

Soixante dix sept états du Sud lancent un appel afin que soit instauré un Nouvel Ordre économique International (NOEI). L’enjeu est de réaménager les rapports Nord/Sud, rapports jugés fondés sur des inégalités structurelles. Cet appel demande des négociations sur le commerce des matières premières, la place des marchés financiers ou encore les transferts de technologie.

19751-12 septembre

à l’occasion de la septième session extraordinaire de l’Assemblée Géné-rale de l’ONU, à New York, le rapport Dag Hammarskjöld est rendu public. Il sera publié dans la revue de la Fondation Hammarskjöld Development Dialo-gue. Intitulé What now (Que faire), ce rapport est le fruit d’une consultation sur le développement et la coopération internationale. Le professeur Gilbert Rist présente ce document :

à l’initiative de la Fondation Hammarskjöld et du PNUE, plus d’une cen-taine de personnes, originaires de toutes les parties du monde et favorables à une approche critique du « développement », se réunirent par petits groupes à Upsala, La Haye et Alger ou rédigèrent individuellement des documents de tra-vail. La synthèse de ces consultations fut confiée au directeur de projet, Marc Nerfin, qui, avec l’aide d’Ahmed Ben Salah, Ignacy Sachs et Juan Somavia, réus-sit à mener à bien l’ensemble de l’opération en cinq mois seulement.

Ce rapport est original à plusieurs titres. Tout d’abord, il considère le « dé-veloppement » comme un tout – et non pas simplement comme un processus économique – qui doit être endogène, c’est-à-dire surgir du for intérieur de cha-que société. Il naît de la culture et ne se réduit pas à l’imitation des sociétés développées. Il n’y a donc pas de formule universelle de « développement ». Deuxièmement, il doit être tourné vers la satisfaction des besoins essentiels des populations les plus pauvres ; pour y parvenir, celles-ci devront compter d’abord sur leurs propres forces. Troisièmement, il faut reconnaître que la si-tuation actuelle est liée à des structures d’exploitation qui ont leur origine dans

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le Nord, mais qui sont relayées au Sud par des classes dirigeantes qui sont à la fois « complices et rivales » des privilégiés des pays industrialisés. L’aide inter-nationale doit donc être accordée en priorité aux états qui s’engagent à corriger les inégalités internes et elle doit être refusée à ceux qui ne respectent pas les droits de l’homme. Quatrièmement, le « développement » doit tenir compte des limites écologiques, liées aux systèmes sociaux et technologiques. Par consé-quent, les pays du Nord doivent transformer leurs styles de vie afin de réajus-ter leurs économies et les orienter dans le sens d’une plus grande justice dans les relations commerciales internationales. Enfin, le système des Nations unies doit être profondément modifié pour tenir compte des profondes transforma-tions politiques survenues depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Son fonctionnement devra être allégé et décentralisé pour servir une coopération internationale renouvelée dont les ressources additionnelles pourraient pro-venir d’une taxe sur les revenus du patrimoine de l’humanité (et notamment les fonds marins) et d’une réaffectation des dépenses militaires (…) Le rapport opte finalement pour un contrôle du contenu de la croissance, en fonction de ses conséquences, surtout écologiques, à long terme et affirme clairement que la « primauté de l’économique ne peut plus être défendue ».(Rist, 1996, 253-251).

197626 octobreLe programme sur l’homme et la biosphère de l’UNESCO élève au rang de « réserve de biosphère » le parc national de Yellowstone, aux états-Unis. Ce parc est le pre-mier à avoir été créé en 1872. La notion de « réserve de biosphère » permet d’articu-ler le local avec le global : il s’agit de sites qui sont considérés par la communauté scientifique comme des écosystèmes de première importance pour la planète. Le 8 septembre 1978, ce parc est inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO.

1977 29 août-9 septembreL’ONU organise la Conférence internationale sur la désertification, à Nairobi, au Kenya. Il faut attendre 1994 pour que la Convention des Nations Unies sur la lutte Contre la Désertification voit le jour.

1978 16 mars

Le supertanker étasunien Amoco Cadiz, en partance pour Rotterdam, échoue sur les rochers de Porstall, dans le Nord du Finistère, en France. Si les 42

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hommes d’équipage sont sauvés, le bateau sombre dans les profondeurs. Il s’agit de l’une des plus grandes catastrophes environnementales, avec plus de 200 000 tonnes de fioul brut qui s’échappent du pétrolier. Plus de 350 kilomètres de côtes seront polluées par les nappes de pétrole, ainsi que 200 000 hectares de surface marine. Cet événement marquera profondément l’opinion publique en France et en Europe. Le 12 décembre 1999, la Bretagne est encore endeuillée par une nouvel-le catastrophe écologique : le pétrolier maltais Erika, qui est affrété par le société TotalFina, se brise en deux, libérant près de 10 000 tonnes de pétrole…

La revue de l’UNESCO consacrée aux questions éducationnelles, Perspec-tives, publie dans son numéro du quatrième trimestre (Volume VIII ; n°4) un important dossier sur les rapports entre éducation, environnement et déve-loppement. Intitulé éduquer pour un meilleur environnement, ce dossier donne la parole à huit chercheurs. On notera l’article d’Ignacy Sachs, l’un des princi-paux théoriciens de l’écodéveloppement, « Environnement et développement : concepts clés d’une nouvelle éducation ». Ce dernier écrit :

L’enjeu et le défi sont l’harmonisation des objectifs économiques et so-ciaux avec une gestion écologiquement prudente des ressources et du milieu. La croissance est certes nécessaire aussi longtemps que subsistent les maldistribu-tions des ressources et du temps de la société, entre pays et à l’intérieur des pays, ce qui aboutit aux disparités de revenu, des conditions de vie et à l’opposition de plus en plus aiguë entre une minorité hautement productive et une majorité de marginalisés peu productifs ou carrément privés des conditions pour l’exercice d’une activité significative. Mais pas n’importe quelle croissance. Qui oserait encore défendre la théorie optimiste du développement ramené à la moderni-sation et à une forte croissance qui déclencherait automatiquement le progrès social ? Ou de suggérer aux pays du tiers-monde la répétition servile du chemin parcouru naguère par les pays industrialisés, au prix des mêmes souffrances, du pillage des autres, pour aboutir en fin de compte aux impasses auxquelles nous devons faire face (…) Ce qui est en cause ce sont donc à la fois les usages et les modalités de la croissance (…) L’écodéveloppement est une approche de planifi-cation s’ouvrant à la fois sur l’anthropologie culturelle et à l’écologie, ou, si l’on préfère un terme à la mode, l’écologie culturelle. Aux solutions passe-partout, il oppose la spécificité des écosystèmes, l’unicité des voies de développement (…) Développement et environnement nous apparaissent donc comme deux concepts liés, l’environnement étant, pour toutes les fins pratiques, une dimen-sion additionnelle du développement ; c’est là certes une contrainte, mais aussi un potentiel de ressources à condition de s’y prendre avec imagination. (Sachs, 1978, 483-488)

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197928 marsLa centrale nucléaire de Three Mile Island (en Pennsylvanie) connaît un incident majeur. à la suite de la faute d’un technicien, le réacteur commence à fondre. C’est toute la structure du complexe qui risque d’exploser. La menace durera plusieurs jours et il faudra un million et demi de litres d’eau pour refroidir le réacteur. Les autorités évacuent, dans un rayon de 8 kilomètres, les femmes enceintes et les enfants. Il s’agit de l’accident nucléaire le plus grave ayant eu lieu aux états-Unis.

Avril

L’économiste René Passet publie L’économique et le vivant (Paris : Payot). Ce livre est l’un des premiers travaux d’économie à avoir intégré explicitement les données qui viennent de la science écologique. Il en ressort un renouvelle-ment de la pensée économique elle-même. Du contraste entre les rythmes éco-biologiques et les rythmes imposés par l’économie de marché aux questions liées à la finitude, à la rareté des ressources et à la reproduction de la biosphère, en passant par le thème de la rationalité et de l’irrationalité des comporte-ments des agents économiques, sans oublier d’évoquer les problématiques pro-prement philosophiques de complexité, d’auto-organisation et de systémique, L’économique et le vivant est un vigoureux plaidoyer pour une approche non réductionniste de la relation économie et écologie. L’auteur explique ainsi :

La conception de l’économisme réductionniste se situe dans une pers-pective diamétralement opposée (à celle de la conception écosystémique, ndlr). Elle postule que les sociétés humaines peuvent être régulées par un de leurs sous-systèmes, le marché, censé réaliser la double commutation qui mène des impératifs d’un facteur technique mort :

• à la reproduction du milieu vivant,

• et à la satisfaction des besoins individuels et collectifs des hommes.

Or, nous savons que cette double prétention est rigoureusement insoute-nable. (Passet, 1979, 221).

Le philosophe allemand Hans Jonas publie Le Principe responsabilité (traduit en anglais en 1984 et en langue française en 1990). Cet ouvrage a un retentissement international, car il renouvelle le champ de la philosophie et de l’éthique de l’environnement.

Le physico-chimiste Ilya Prigogine, prix Nobel de chimie pour ses travaux sur les structures dissipatives dans les systèmes instables, et la philosophe des sciences Isabelle Stengers publient La nouvelle alliance. Métamorphose de la science (Paris : Gallimard).

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1981L’Assemblée Mondiale de la Santé (World Health Assembly), qui est l’organe su-prême de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) adopte la Stratégie mon-diale de la santé pour tous d’ici l’an 2000. Des recommandations sont faites aux états et à l’Organisation Mondiale de la Santé afin que la mise à niveau, d’un point de vue sanitaire, des larges populations du monde devienne un objectif social de première importance.

198210 décembreLa communauté internationale adopte la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer. Ce document met en place des normes environnementales, ain-si que des dispositifs techniques pour les appliquer (notamment sur la question des pollutions marines).

1983L’Assemblée Générale de l’ONU met en place la Commission mondiale sur l’En-vironnement et le Développement. Elle est présidée par une scientifique, Ma-dame Gro Harlem Brundtland, alors premier ministre de Norvège et ancienne ministre de l’environnement.

19846-10 novembreSous l’égide de France Culture et de l’Université de Tsukuba, une rencontre in-ternationale a été organisée à Tsukuba, au Japon. Intitulée Sciences et Symbo-les. Les voies de la connaissance. Cette rencontre a permis un dialogue intercul-turel, entre Orient et Occident, autour de la mutation généralisée qui traverse les sciences naturelles et les sciences humaines, mutation qui, de la physique quantique à la psychologie des profondeurs, en passant par l’anthropologie de l’imaginaire, réfute l’ancien modèle scientiste et donne naissance à de nou-veaux paradigmes scientifiques plus respectueux de la diversité du patrimoine culturel et symbolique de l’humanité.

3 décembreL’Inde connaît l’un des plus grands accidents industriels de l’époque moderne. à Bhopal, dans le Sud du pays, une usine de pesticide, appartenant à une firme transnationale des états-Unis, explose peu après minuit. Les vents propagent

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une fumée qui provoque une large contamination de la population. Dans les jours et les semaines qui suivent la catastrophe, 15 000 personnes mourront, tandis que des dizaines de milliers d’autres tomberont malades (problèmes de respirations, brûlures au corps, cancers, etc.).

19863-7 marsL’UNESCO organise, à Venise, en Italie, en collaboration avec la Fondation Gior-gio Cini, le colloque « La science face aux confins de la connaissance : Le prolo-gue de notre passé culturel ». Cet événement est l’un des moments fondateurs dans la diffusion de la Transdisciplinarité. Les membres participants, qui ap-partiennent à la communauté scientifique internationale, rendent public la « Déclaration de Venise ».

1. Nous sommes témoins d’une très importante révolution dans le do-maine de la science, engendrée par la science fondamentale (en particulier, par la physique et la biologie), par le bouleversement qu’elle apporte en logique, en épistémologie et aussi dans la vie de tous les jours à travers les applications technologiques. Mais nous constatons, en même temps, l’existence d’un impor-tant décalage entre la nouvelle vision du monde qui émerge de l’étude des sys-tèmes naturels et les valeurs qui prédominent encore en philosophie, dans les sciences de l’homme et dans la vie de la société moderne. Car ces valeurs sont fondées dans une large mesure sur le déterminisme mécaniste, le positivisme ou le nihilisme. Nous ressentons ce décalage comme étant fortement nuisible et porteur de lourdes menaces de destruction de notre espèce.

2. La connaissance scientifique, de par son propre mouvement interne, est arrivée aux confins où elle peut commencer le dialogue avec d’autres formes de connaissance. Dans ce sens, tout en reconnaissant les différences fondamen-tales entre la science et la tradition, nous constatons non pas leur opposition mais leur complémentarité. La rencontre inattendue et enrichissante entre la science et les différentes traditions du monde permet de penser à l’apparition d’une vision nouvelle de l’humanité, voire d’un nouveau rationalisme, qui pour-rait conduire à une nouvelle perspective métaphysique.

3. Tout en refusant tout projet globalisant, tout système fermé de pen-sée, toute nouvelle utopie, nous reconnaissons en même temps l’urgence d’une recherche véritablement transdisciplinaire dans un échange dynamique entre les sciences «exactes», les sciences «humaines», l’art et la tradition. Dans un sens, cette approche transdisciplinaire est inscrite dans notre propre cerveau par l’interaction dynamique entre ses deux hémisphères. L’étude conjointe de la nature et de l’imaginaire, de l’univers et de l’homme, pourrait ainsi mieux nous approcher du réel et nous permettre de mieux faire face aux différents défis de notre époque.

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4. L’enseignement conventionnel de la science par une présentation li-néaire des connaissances dissimule la rupture entre la science contemporaine et les visions dépassées du monde. Nous reconnaissons l’urgence de la recher-che de nouvelles méthodes d’éducation, qui tiendront compte des avancées de la science qui s’harmonisent maintenant avec les grandes traditions cultu-relles, dont la préservation et l’étude approfondie paraissent fondamentales. L’UNESCO serait l’organisation appropriée pour promouvoir de telles idées.

5. Les défis de notre époque - le défi de l’auto-destruction de notre espèce, le défi informatique, le défi génétique, etc. - éclairent d’une manière nouvelle la responsabilité sociale des scientifiques, à la fois dans l’initiative et l’application de la recherche. Si les scientifiques ne peuvent pas décider de l’application de leurs propres découvertes, ils ne doivent pas assister passivement à l’applica-tion aveugle de ces découvertes. à notre avis, l’ampleur des défis contemporains demande, d’une part, l’information rigoureuse et permanente de l’opinion pu-blique, et d’autre part, la création d’organes d’orientation et même de décision de nature pluri- et transdisciplinaire.

6. Nous exprimons l’espoir que l’UNESCO va poursuivre cette initiative, en stimulant une réflexion dirigée vers l’universalité et la transdisciplinarité.

Participants :

D.A. Akyeampong (Ghana), Avishai Margalit (Israël), Ubiratan d’Ambrosio (Bré-sil), Yujiro Nakamura (Japon), René Berger (Suisse), Basarab Nicolescu (France), Nicolo Dallaporta (Italie), David Ottoson (Suède), Jean Dausset (France), Prix No-bel de Physiologie et Médecine, Abdus Salam (Pakistan), Prix Nobel de Physique, Maitreyi Devi (Inde), Rupert Sheldrake (Royaume Uni), Gilbert Durand (France), Henry Stapp (états - Unis d’Amérique), Santiago Genovès (Mexique), David Suzuki (Canada) et Susantha Goonatilake (Sri Lanka).

26 avrilL’un des quatre réacteurs de la centrale nucléaire de Tchernobyl (en

Ukraine) explose. Les autorités organisent l’évacuation de 135 000 habitants dans une zone de trente kilomètres autour de la centrale. L’accident a provo-qué la mort de près de 15 000 personnes. L’ensemble du continent européen subira, dans les semaines suivantes, une pollution radioactive. Il faut attendre l’an 2000 pour que le président de l’Ukraine, Leonid Koutchma ordonne la fer-meture de la centrale.

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198716 septembre

Afin de diminuer la production de gaz qui sont extrêmement nocifs pour la couche d’ozone, vingt-neuf états, ainsi que les membres de la Communau-té économique Européenne, sont réunis à Montréal, au Canada. Ils signent le « Protocole de Montréal ». Ce document est l’un des premiers textes qui pose, à l’échelle internationale, la question du danger représenté pour l’humanité par les trous qui déstabilisent la couche d’ozone, qui est une couche de protection contre certains rayonnements extra-atmosphériques.

La Commission mondiale sur l’Environnement et le Développement, pré-sidée par Madame Gro Harlem Brundtland, rend public son Rapport intitulé Notre avenir à tous, ou, communément Rapport Brundtland. On considère que c’est ce document qui popularise, pour la première fois, et cela à l’échelle mon-diale, la notion de « développement durable » (sustainable development)

Le genre humain a parfaitement les moyens d’assurer un développement soutenable, de répondre aux besoins du présent sans compromettre la possibi-lité pour les générations à venir de satisfaire les leurs. La notion de développe-ment soutenable implique certes des limites. Il ne s’agit pourtant pas de limites absolues mais de celles qu’impose l’état actuel de nos techniques et de l’orga-nisation sociale ainsi que de la capacité de la biosphère de supporter les effets de l’activité humaine. Mais nous sommes capables d’améliorer nos techniques et notre organisation sociale de manière à ouvrir la voie à une nouvelle ère de croissance économique. La Commission estime que la pauvreté généralisée n’est pas une fatalité. Or, la misère est un mal en soi, et le développement soute-nable signifie la satisfaction des besoins élémentaires de tous et, pour chacun, la possibilité d’aspirer à une vie meilleure. Un monde qui permet la pauvreté endémique sera toujours sujet aux catastrophes écologiques et autres. » (Com-mission mondiale sur l’environnement et le développement, 1989, 10)

1988Sous l’égide de l’ONU, le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évo-

lution du Climat (GIEC) est constitué.

Le bateau Khian Sea déverse, à Haiti, près de 4000 tonnes de cendres toxiques, qui proviennent de l’incinérateur de Philadelphie, aux états-Unis. Après une mobilisation de l’opinion publique internationale, le bateau quitte l’île, mais déverse dans l’océan le reste de sa cargaison (10 000 tonnes).

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1989mars

La Convention de Bâle, en Suisse, est signée. Son objectif est de diminuer la circulation internationale des déchets jugés dangereux ; notamment à desti-nation des pays du Sud, qui ne possèdent pas les infrastructures d’intervention en cas d’accident.

15 septembreSous l’égide de l’UNESCO a lieu, dans la ville de Vancouver, au Canada,

un colloque international intitulé La science et la culture pour le XXe siècle : Un programme de survie. à l’issue de la rencontre qui rassemblait un nombre im-portant de scientifiques et de philosophes, la Déclaration de Vancouver a été rendue publique :

La survie de la planète est devenue une préoccupation majeure et im-médiate. La situation actuelle exige que des mesures urgentes soient prises dans tous le secteurs – scientifique, culturel, économique et politique – et que l’humanité tout entière soit sensibilisée. Il nous faut faire cause commune avec tous les peuples de la terre contre un ennemi commun, à savoir ce qui menace l’équilibre de notre environnement ou réduit le patrimoine que nous léguerons aux générations futures. C’est ce qui constitue aujourd’hui l’objectif de la décla-ration de Vancouver sur la survie.

1. L’humanité face au problème de la survieNotre planète est instable : c’est un moteur thermique qui change constam-

ment de régime. La vie, apparue à la surface de la terre il y a environ quatre mil-liards d’années, s’est développée en équilibre avec un environnement où le chan-gement soudain et imprévisible est la norme. La découverte, il y a plus de 200 ans, d’une énergie libre emmagasinée dans les combustibles fossiles a donné à l’hu-manité le pouvoir de dominer la surface entière de la planète. En un laps de temps incroyablement court, sans le vouloir et presque sans y penser, notre espèce est devenue de loin le plus important facteur de changement sur la planète.

Les conséquences on été radicales et sans précédent dans l’histoire de notre espèce :

• l’accélération de la croissance démographique au cours des 150 dernières an-nées a fait passer de un milliard à plus de cinq milliards d’habitants la popula-tion mondiale qui, actuellement, double en l’espace de 30 à 40 ans ;

• l’utilisation des combustibles fossiles a augmenté dans des proportions com-parables, provoquant une pollution à l’échelle mondiale ainsi que des modifica-tions du climat et du niveau des mers ;

• une destruction, qui va s’accélérant, de l’habitat des espèces vivantes amorce un épisode énorme et irréversible d’extinction massive au sein de la biosphère, base de l’écosystème terrestre ;

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• on consacre des dépenses inimaginables en ressources et en ingéniosité hu-maine à la guerre et à la préparation de la guerre.

Tout cela s’autorise de la croyance selon laquelle les ressources de la pla-nète seraient inépuisables, croyance entretenue par des systèmes politiques et économiques qui misent sur les avantages du profit à court terme, sans tenir compte du coût réel de la production.

L’humanité fait face à une situation où tout équilibre entre notre espèce et le reste de la vie sur la planète risque de s’effondrer. Paradoxalement, au moment où nous atteignons le seuil de la dégénérescence de l’écosystème et de la dégra-dation de la qualité humaine de la vie, le savoir et la science sont maintenant en mesure de fournir à la fois l’inventivité humaine et la technologie nécessaire aux mesures qui permettront de remédier à la situation et de rétablir l’harmonie entre la nature et l’humanité. Seule fait défaut la volonté sociale et politique.

2. Les origines du problèmeNos difficultés actuelles ont pour origine fondamentale certains progrès

scientifiques qui, pour l’essentiel, étaient déjà acquis au début du siècle. Ces pro-grès, qui sont codifiés mathématiquement dans une représentation mécanique classique de l’univers, ont donné aux êtres humains un pouvoir sur la nature qui, jusqu’à une date récente, a produit une masse sans cesse croissante et appa-remment sans limites de biens matériels. Grisée par l’exploitation de ce pouvoir, l’humanité a eu tendance à infléchir ses valeurs au profit de ce qui favorisait l’exploitation maximale des possibilités matérielles offertes par ce pouvoir nou-veau. Parallèlement, les valeurs associées aux dimensions du potentiel humain qui avaient été à la base des cultures précédentes ont été délaissées. L’appauvris-sement de la conception de l’homme, due à cette omission des autres dimen-sions humaines, correspond précisément à la conception « scientifique » de l’uni-vers qui fait de celui-ci une machine où l’homme n’est qu’un simple rouage.

C’est la vision que l’homme a de soi qui détermine principalement ses valeurs ; elle fixe la conception du « moi » dans l’appréciation de l’intérêt per-sonnel. L’appauvrissement idéologique lié à cette vision de l’homme comme un rouage d’une machine aboutit donc au rétrécissement des valeurs. Cependant, les progrès scientifiques de ce siècle ont montré que cette conception mécaniste de l’univers était indéfendable d’un point de vue strictement scientifique. Ainsi, la base rationnelle de la conception mécaniste de l’homme se trouve invalidée.

3. Des idées de rechangeDans la science contemporaine, l’ancien modèle rigide et mécaniste de

l’univers est remplacé par des concepts offrant l’image d’un univers formé par un apport créateur continuel que ne limite rigidement aucune loi mécanique. L’homme lui-même devient un aspect de cet élan créateur et il est lié à l’univers tout entier sous une intégralité dont l’ancien schéma mécaniste ne peut rendre compte. Le « moi » cesse alors d’être un rouage soumis au déterminisme dans une machine géante pour devenir un aspect d’un élan créateur libre, intrinsèquement et immédiatement lié à la totalité de l’univers.

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Dans cette conception scientifique nouvelle, les valeurs humaines s’élar-gissent en conséquence pour s’accorder avec celles qui prévalaient dans les cultures du passé. C’est dans le contexte des images convergentes de l’homme proposées par les progrès récents de la science et de la culture que nous cher-chons les modèles d’un avenir qui permette à l’homme de survivre dans la di-gnité et en harmonie avec son environnement.

L’espèce humaine a atteint les limites de son utilisation du monde exté-rieur et les limites aussi de son aptitude à vivre dans un milieu social et culturel en mutation. L’élargissement des conceptions scientifiques donne à penser que l’homme pourrait retrouver des croyances et des modes d’expérience spirituel-le qu’il avait perdus. La situation appelle des visions nouvelles qui, enracinées dans des cultures diverses, se tournent vers l’avenir :

• la perception d’un macrocosme organique qui retrouve les rythmes de la vie permettrait à l’homme de réintégrer le milieu naturel et de comprendre sa rela-tion spatio-temporelle avec toute la vie et le monde physique ;

• reconnaître que l’être humain est un aspect du processus créateur qui donne forme à l’univers élargit l’image que l’homme a de soi et lui permet de trans-cender l’égoïsme qui est la cause première du manque d’harmonie entre lui-même et ses semblables, comme entre l’humanité et la nature ;

• en surmontant la fragmentation de l’unité corps-esprit-âme, conséquence de la primauté excessive accordée à l’un quelconque de ces termes sur les autres, l’homme pourra découvrir en lui-même le reflet du cosmos et de son principe uni-ficateur suprême.

Ces idées modifient la conception de la place de l’homme dans la natu-re et appellent une transformation radicale des modèles de développement : l’élimination de la pauvreté, de l’ignorance et de la misère ; la fin de la course aux armements ; l’adoption de nouveaux modes d’apprentissage, de nouveaux systèmes éducatifs et nouvelles attitudes mentales ; l’application de formes améliorées de redistribution destinées à garantir la justice sociale ; une nou-velle conception des modes de vie, fondée sur une réduction du gaspillage ; un respect de la diversité, tant biologique que socio-économique ou culturelle, qui transcende les concepts périmés de la souveraineté.

La science et la technologie sont indispensables pour atteindre ces ob-jectifs, mais elles ne pourront réussir que par une intégration de la science et de la culture qui donne une raison de vivre et par une appropriation intégrée destinée à surmonter la fragmentation qui a provoqué une débâcle de la com-munication culturelle.

Si nous ne parvenons pas à réorienter la science et la technologie vers la satisfaction des besoins fondamentaux, les progrès de l’informatique (accu-mulation des connaissances), de la biotechnologie (dépôt de brevets pour des formes de vie) et de l’ingénierie génétique (cartographie du génome humain) auront des conséquences irréversibles préjudiciables à l’avenir de la vie humaine.

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Il ne reste plus beaucoup de temps : tout retard apporté à l’instauration d’une paix éco-culturelle mondiale ne fera qu’accroître le coût de la survie.

Il nous faut reconnaître la réalité d’un monde multireligieux et la nécessi-té d’une tolérance qui permette aux religions, quelles que soient leurs différences, de coopérer les unes avec les autres. Cela contribuerait à satisfaire aux exigences de la survie de l’humanité et du maintien des valeurs fondamentales partagées de solidarité humaine. C’est là le patrimoine commun de l’humanité, né de notre perception de la signification transcendantale de l’existence humaine et d’une conscience planétaire nouvelle.

Signataires

Daniel Afedzi Akyeampong (Ghana), président de l’Association mathématique du Ghana ; Ubiratan D’Ambrosio (Brésil), professeur de mathématiques et vice-recteur pour le Développement universitaire à l’université d’état de Campinas ; André Chouraqui (Israël), auteur, étude des religions ; Pierre Dansereau (Cana-da), écologiste, professeur à l’Université du Québec à Montréal ; Nicolo Dalla-porta (Italie), professeur honoraire à l’école internationale des hautes études de Trieste ; Mahdi Elmanjra (Maroc), ancien sous-directeur général de l’UNESCO, président de l’Association internationale Futuribles ; Santiago Genoves (Mexi-que), professeur titulaire de recherche en anthropologie, université de Mexico ; Alexander Kiss (Grande-Bretagne), président du Club de Rome ; Eleonara Bar-bieri Masini (Italie), président de la Fédération mondiale pour les études sur le futur ; Digby McLaren (Canada), président de la Société royale du Canada ; Yûjiro Nakamura (Japon), philosophe, auteur et professeur à l’université Meiji ; Lisandro Otero (Cuba), écrivain ; Michel Random (France), écrivain ; Josef Riman (Tchécoslovaquie), président de l’Académie tchécoslovaque des sciences ; Soed-jatmoko (Indonésie), ancien recteur de l’université des Nations-Unies ; Henry Stapp (états-Unis d’Amérique), physicien au Laboratoire Lawrence Berkeley, université de Californie à Berkeley.

Un Indien Kayapo, de la forêt amazonienne, Raoni, fait une tournée, avec le soutien du chanteur Sting, pour sensibiliser l’opinion publique sur le danger représenté par la déforestation de l’Amazonie.

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1992Avril

Sous la direction du professeur Gaston Pineau, paraît De l’air. Essai sur l’écoformation (Paris : Païdeia). Cet ouvrage collectif, préfacé par Madame Gro Harlem Brundtland (qui fut la présidente de la Commission mondiale sur l’en-vironnement et le développement), est l’une des toutes premières manifesta-tions de l’écoformation, courant de pensée transdisciplinaire à la jonction en-tre éducation, philosophie, écologie et psychologie. Le Groupe de Recherche en écoFormation est né, sous le double parrainage de l’Université de Tours et de l’Université de Paris 8-Saint-Denis, pour fédérer les travaux pratiques et théo-riques dans ce domaine. De l’air est le premier d’une série de quatre volumes consacrés aux quatre éléments. En 2001, le Gref publiait Les eaux écoformatri-ces (Paris : L’Harmattan). En 2005, le troisième ouvrage sortait sous le titre de Habiter la terre. écoformation terrestre pour une conscience planétaire (Paris : L’Harmattan). Gaston Pineau explique dans l’introduction à De l’air, l’origine de l’écoformation et les enjeux qu’elle pose aujourd’hui :

Voilà deux siècles, J. J. Rousseau dans les premières pages de l’émile, avait déjà posé très clairement que ce qui rend l’éducation aussi complexe que la vie est qu’elle dépend de maîtres de soi : soi, les autres, les choses. Il a été condam-né par les autres qui, avec les meilleurs prétextes, tolèrent mal la concurrence. L’autoformation commence tout juste à avoir droit de cité. Quand à l’appren-tissage expérientiel acquis des choses, il cherche son nom. Rousseau paraît d’éducation négative, celle qui résulte de la non-intervention des autres. Dans ce sillage privatif, les notions d’éducation informelle et non formelle ont fleuri. En marge et contrepoint de l’école, des mouvements d’éducation par la nature se sont développés : le scoutisme en est l’image caricaturée. Plus récemment, la découverte du système organisme/environnement comme unité ontologique de base et de survie fait émerger les notions d’éducation écologique, mésologi-que ou à et par l’environnement. Nous utilisons le terme d’auto-écoformation dont le trait d’union entre les deux préfixes renvoie à un rapport formateur ré-ciproque entre soi et le cadre matériel de vie, non médiatisé par les autres. Ces derniers ne sont pas éliminés, mais leur influence est pondérée par un nouveau rapport qui s’établit souvent dans une situation-type limite : la solitude, absen-ce des autres qui peut rendre les choses plus présentes et plus parlantes dans leur silence même. (Pineau, 1992, 22-23).

14 avrilà l’initiative de Michel Salomon, un Appel international est rendu pu-

blic. Baptisé « Appel de Heidelberg », cette déclaration visait, quelques semai-nes avant la tenue du Sommet de la Terre de Rio, à faire pression sur les chefs d’état et de gouvernement afin qu’ils soient attentifs au danger représenté par « la naissance d’une idéologie irrationnelle qui s’oppose au progrès scientifique

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et industriel, et qui entrave le développement économique et social ». Près de Soixante-dix récipiendaires du prix Nobel ont signé l’Appel. Celui-ci a suscité une très forte réaction des milieux scientifiques et écologistes qui voyaient en lui une déclaration de type scientiste. Le texte de l’appel est :

Nous souhaitons apporter notre pleine contribution à la préservation de notre héritage commun, la Terre.

à l’aube du vingt et unième siècle, nous sommes toutefois inquiets de la naissance d’une idéologie irrationnelle qui s’oppose au progrès scientifique et industriel, et qui entrave le développement économique et social.

Nous soutenons qu’un état Naturel, quelquefois idéalisé par les mouve-ments qui ont tendance à se tourner vers le passé, n’existe pas et n’a probable-ment jamais existé depuis l’apparition de l’homme dans la biosphère, dans la mesure où l’humanité a toujours progressé par l’exploitation constante de la Nature pour ses besoins et non le contraire.

Nous adhérons pleinement aux objectifs d’une écologie scientifique pour un univers dont les ressources doivent être inventoriées, contrôlées et préser-vées. Toutefois, nous exigeons que cet inventaire, ce contrôle et cette préserva-tion soient basés sur des critères scientifiques et non sur des préconceptions irrationnelles.

Nous soulignons que bon nombre d’activités humaines essentielles sont effectuées soit dans la manipulation de substances dangereuses, soit dans la proximité de ces substances, et que le progrès et le développement ont toujours nécessité de plus en plus de contrôle contre les forces hostiles, et ce, dans l’inté-rêt de l’humanité. Nous considérons donc que l’écologie scientifique n’est rien de plus que le prolongement du progrès continuel à l’égard d’une vie meilleure pour les générations futures. Nous avons l’intention de faire valoir les responsa-bilités et obligations de la science à l’égard de la société. Nous prévenons toute-fois les autorités en charge de la destinée de notre planète contre les décisions soutenues par des arguments pseudo-scientifiques ou des données fausses et non-pertinentes.

Nous attirons l’attention de tous à la nécessité absolue d’aider les pays pau-vres à atteindre un niveau de développement durable qui équivaut à celui du reste de la planète, de les protéger contre les problèmes et dangers engendrés par les pays développés, et de leur éviter de s’empêtrer dans un dédale d’engagements ir-réalistes qui pourraient compromettre à la fois leur indépendance et leur dignité.

Les plus grands maux qui accablent notre Terre sont l’ignorance et l’op-pression, et non la Science, la Technologie et l’Industrie dont les instruments, lorsqu’ils sont adéquatement gérés, deviennent les outils indispensables à un futur façonné par l’Humanité, par elle-même et pour elle-même, lui permettant ainsi de surmonter les problèmes majeurs tels que la surpopulation, la famine et les maladies répandues à travers le monde.

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4-11 juinSous l’égide de l’ONU, la communauté internationale se réunit à Rio de Ja-

neiro, au Brésil, pour prendre part à la deuxième Conférence des Nations-Unies sur l’environnement et le Développement, communément appelée « Sommet de la Terre ». La décision d’organiser cette réunion planétaire avait été prise en 1989. Elle a constitué à un moment important dans l’émergence d’une conscience éco-logique planétaire, aussi bien au niveau des institutions politiques qu’au niveau des sociétés civiles. Près de 120 chefs d’état et de gouvernement y participèrent. Ses engagements sont représentés par la Déclaration de Rio, l’Action 21, avec son agenda, et la Déclaration sur la gestion et la conservation des forêts. Par ailleurs, d’autres documents sont le fruit direct du Sommet de la Terre, comme les Conventions sur la diversité biologique, les Changements climatiques et la Désertification. Le Protocole de Kyoto (11 décembre 1997) est aussi à mettre au crédit du sommet. L’Action 21 est, pour les 173 états signataires, un outil impor-tant du travail social et écologique à réaliser. Le texte comprend 2500 recom-mandations. Le préambule du document explique : « Nous ne pouvons continuer avec les politiques actuelles qui perpétuent l’écart économique dans les pays et entre eux, qui augmentent la pauvreté, la faim, la maladie et l’analphabétisme dans le monde et qui causent la détérioration continue des écosystèmes dont nous dépendons pour survivre sur terre ». Sous l’égide du Conseil économique et social de l’ONU, la conférence de Rio a mis en place la Commission sur le Développe-ment durable, dont le mandat est de vérifier la réalisation des propositions de l’Action 21. Mais cette commission n’a aucun pouvoir de contrainte.

Le sociologue et philosophe Michael Löwy publie (en collaboration avec Robert Sayre) Révolte et mélancolie. Le romantisme à contre courant de la moder-nité (Paris : Payot). Dans cet ouvrage, les auteurs nous introduisent dans l’his-toire, assez méconnue, des sensibilités philosophiques, littéraires, esthétiques, scientifiques, politiques qui, tout au long des XIXe et XXe siècles, ont essayé de défendre une conception du monde socialement et écologiquement qualitative, face à l’entreprise de réification de l’humain et de la nature. Il ressort de cette présentation, une approche renouvelée de la société occidentale, notamment du capitalisme. Les auteurs soulignent :

Le capitalisme doit se concevoir comme un « Gesamtkomplex », un tout complexe à facettes multiples. Ce système socio-économique est caractérisé par divers aspects : l’industrialisation, le développement rapide et conjugué de la science et de la technologie (...) ; l’hégémonie du marché, la propriété privée des moyens de production, la reproduction élargie du capital, le travail « libre », une division du travail intensifiée. Et se développent autour de lui des phénomènes de « civilisation » qui lui sont intégralement liés : la rationalisation, la bureau-cratisation, la prédominance des « rapports secondaires » (...) dans la vie sociale, l’urbanisation, la sécularisation, la « réification ». C’est cette totalité, dont le ca-pitalisme en tant que mode et rapport de production est le principe unificateur et générateur, mais qui est riche en ramifications, qui constitue la « modernité ». (Löwy et Sayre, 1992, 32).

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1993Le Traité de Maastricht de l’Union Européenne reconnaît la légitimité du principe de précaution.

1994Février

Dominique Cottereau publie à l’école des éléments. écoformation et classe de mer (Lyon : Chronique sociale). Praticienne en éducation à l’environnement, l’auteur propose, dans cet ouvrage, non seulement la présentation d’un ensem-ble d’expériences concrètes, mais également une explicitation méthodologique et philosophique de l’écoformation. Elle évoque, notamment, les enjeux liés à l’imaginaire. Dominique Cottereau souligne :

Chacun perçoit, lit, traduit l’environnement à l’aide de son propre sys-tème de sens. Les informations objectives contenues dans le monde extérieur ne sont pas intégrées sans transformation de l’être. La connaissance intime se construit par la fusion de l’objet et du sujet, du choisi et de l’incontrôlable, du sensible et de l’invisible, de la raison et de l’imagination.

Sans doute notre société se trouve-t-elle au bord d’un nouveau rapport à la nature. Sans doute l’écologie est-elle une science qui n’a pas fini de se complexifier. Ma contribution à une pédagogie de l’écoformation se voudrait conscientisation du lien écologique que nous avec la nature, connaissance pour une éco-naissance (…)

L’éducation instituée ne s’est jamais préoccupée des signifiants symboli-ques pourtant si présents au contact de la nature. Pour singuliers qu’ils soient, ils n’en sont pas moins féconds et porteurs de connaissances.

Une approche scientifique de compréhension de l’environnement ne suf-fit plus. C’est un constat : les plus grands destructeurs de la planète sont aussi, sans conteste, les plus grands experts dans l’explication de ses fonctionnements. Si une pédagogie rationnelle la science et un esprit scientifique, une pédago-gie de l’imaginaire et de l’écoformation lui apportera la conscience devenue aujourd’hui nécessaire dans tout acte d’utilisation des matériaux terrestres.

Raison et imagination, savoir et connaissance, science et conscience.. des couples qui ne doivent plus être dissociés, sans pour autant fondre les deux par-ties l’une dans l’autre. (Cottereau, 1994, 122-123).

2-7 novembre Sous le parrainage de l’UNESCO, a lieu le Premier Congrès Mondial de la

Transdisciplinarité, à Arribida, au Portugal. Un Comité de rédaction, composé de Lima de Freitas, Edgar Morin et de Basarab Nicolescu, rédige la Charte de la Transdisciplinarité, qui est rendu public le 6 novembre 1994.

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PréambuleConsidérant que la prolifération actuelle des disciplines académiques et non-académiques conduit à une croissance exponentielle du savoir ce qui rend impossible tout regard global de l’être humain ,

Considérant que seule une intelligence qui rend compte de la dimension planétaire des conflits actuels pourra faire face à la complexité de notre monde et au défi contemporain d’autodestruction matérielle et spirituelle de notre espèce,

Considérant que la vie est lourdement menacée par une technoscience triomphante, n’obéissant qu’à la logique effrayante de l’efficacité pour l’efficacité,

Considérant que la rupture contemporaine entre un savoir de plus en plus accumulatif et un être intérieur de plus en plus appauvri mène à une mon-tée d’un nouvel obscurantisme, dont les conséquences sur le plan individuel et social sont incalculables,

Considérant que la croissance des savoirs, sans précédent dans l’histoire, accroît l’inégalité entre ceux qui les possèdent et ceux qui en sont dépourvus, engendrant ainsi des inégalités croissantes au sein des peuples et entre les na-tions sur notre planète,

Considérant en même temps que tous les défis énoncés ont leur contre-partie d’espérance et que la croissance extraordinaire des savoirs peut conduire, à long terme, à une mutation comparable au passage des hominiens à l’espèce humaine,

Considérant ce qui précède, les participants au Premier Congrès Mondial de Transdisciplinarité (Convento da Arrábida, Portugal, 2-7 novembre 1994) adoptent la présente Charte comprise comme un ensemble de principes fon-damentaux de la communauté des esprits transdisciplinaires, constituant un contrat moral que tout signataire de cette Charte fait avec soi- même, en dehors de toute contrainte juridique et institutionnelle.

Article 1 : Toute tentative de réduire l’être humain à une définition et de le dissoudre dans des structures formelles, quelles qu’elles soient, est incompatible avec la vision transdisciplinaire.

Article 2 : La reconnaissance de l’existence de différents niveaux de réalité, régis par des logiques différentes, est inhérente à l’attitude transdisciplinaire. Toute tenta-tive de réduire la réalité à un seul niveau régi par une seule logique ne se situe pas dans le champ de la transdisciplinarité.

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Article 3 : La transdisciplinarité est complémentaire de l’approche disciplinaire ; elle fait émerger de la confrontation des disciplines de nouvelles données qui les articu-lent entre elles ; et elle nous offre une nouvelle vision de la nature et de la réa-lité. La transdisciplinarité ne recherche pas la maîtrise de plusieurs disciplines, mais l’ouverture de toutes les disciplines à ce qui les traverse et les dépasse.

Article 4 : La clef de voûte de la transdiciplinarité réside dans l’unification sémantique et opérative des acceptions à travers et au delà des disciplines. Elle présuppose une rationalité ouverte, par un nouveau regard sur la relativité des notions de «définition» et d’»objectivité». Le formalisme excessif, la rigidité des définitions et l’absolutisation de l’objectivité comportant l’exclusion du sujet conduisent à l’appauvrissement.

Article 5 :

La vision transdisciplinaire est résolument ouverte dans la mesure où elle dé-passe le domaine des sciences exactes par leur dialogue et leur réconciliation non seulement avec les sciences humaines mais aussi avec l’art, la littérature, la poésie et l’expérience intérieure.

Article 6 : Par rapport à l’interdisciplinarité et à la multidisciplinarité, la transdisciplina-rité est multiréférentielle et multidimensionnelle. Tout en tenant compte des conceptions du temps et de l’histoire, la transdisciplinarité n’exclut pas l’exis-tence d’un horizon transhistorique.

Article 7 : La transdisciplinarité ne constitue ni une nouvelle religion, ni une nouvelle phi-losophie, ni une nouvelle métaphysique, ni une science des sciences.

Article 8 : La dignité de l’être humain est aussi d’ordre cosmique et planétaire. L’appari-tion de l’être humain sur la Terre est une des étapes de l’histoire de l’Univers. La reconnaissance de la Terre comme patrie est un des impératifs de la transdis-ciplinarité. Tout être humain a droit à une nationalité, mais, au titre d’habitant de la Terre, il est en même temps un être transnational. La reconnaissance par le droit international de la double appartenance - à une nation et à la Terre - constitue un des buts de la recherche transdisciplinaire.

Article 9 : La transdisciplinarité conduit à une attitude ouverte à l’égard des mythes et des religions et de ceux qui les respectent dans un esprit transdisciplinaire

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Article 10 : Il n’y a pas un lieu culturel privilégié d’ou l’on puisse juger les autres cultures. La démarche transdisciplinaire est elle-même transculturelle.

Article 11 : Une éducation authentique ne peut privilégier l’abstraction dans la

connaissance. Elle doit enseigner à contextualiser, concrétiser et globaliser. L’éducation transdisciplinaire réévalue le rôle de l’intuition, de l’imaginaire, de la sensibilité et du corps dans la transmission des connaissances.

Article 12 : L’élaboration d’une économie transdisciplinaire est fondée sur le postu-

lat que l’économie doit être au service de l’être humain et non l’inverse.

Article 13 : L’éthique transdisciplinaire récuse toute attitude qui refuse le dialogue

et la discussion, quelle que soit son origine - d’ordre idéologique, scientiste, re-ligieux, économique, politique, philosophique. Le savoir partagé devrait mener à une compréhension partagée fondée sur le respect absolu des altérités unies par la vie commune sur une seule et même Terre.

Article 14 : Rigueur, ouverture et tolérance sont les caractéristiques fondamentales

de l’attitude et de la vision transdisciplinaires. La rigueur dans l’argumentation qui prend en compte toutes les données est le garde-fou à l’égard des dérives possibles. L’ouverture comporte l’acceptation de l’inconnu, de l’inattendu et de l’imprévisible. La tolérance est la reconnaissance du droit aux idées et vérités contraires aux nôtres.

Article final : La présente Charte de la Transdisciplinarité est adoptée par les parti-

cipants au Premier Congrès Mondial de Transdisciplinarité, ne se réclamant d’aucune autre autorité que celle de leur oeuvre et de leur activité.

Selon les procédures qui seront définies en accord avec les esprits trans-disciplinaires de tous les pays, la Charte est ouverte à la signature de tout être humain intéressé par les mesures progressives d’ordre national, international et transnational pour l’application de ses articles dans la vie.

Convento da Arrábida,

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199514 septembre

Dix-huit personnalités, provenant de la communauté scientifique inter-nationale, rendent public un Communiqué final à l’issue du colloque « Science et culture : un chemin commun vers l’avenir », qui a eu lieu à Tokyo, au Japon, sous l’égide de l’UNESCO. Le texte du Communiqué précise :

La science mécaniste, qui a connu son apogée au siècle dernier, s’employait à séparer l’observateur impartial de l’objet étudié. Elle débouchait ainsi sur la conception d’un progrès aveugle qui favorisait à son tour une vision matéria-liste de la civilisation. C’est ainsi que nous pouvons discerner aujourd’hui deux idéologies rivales : d’un côté, une conception technologique du « progrès », réalisé par une normalisation des civilisations ; de l’autre, le souci de la préservation des identités culturelles et des valeurs par le respect de la diversité. Ces idées-forces reposent sur la croyance non vérifiée en une incompatibilité entre « la science » et la « culture et la tradition » qui seraient séparées par un fossé infranchissable.

à notre avis, cette incompatibilité apparente est due au fait qu’au cours des trois cents dernières années – un dix millième seulement de la vie de l’hu-manité -, la science occidentale s’est écartée des conceptions plus holistiques de la nature qui régnaient auparavant. Cette évolution s’est fondée sur une vision mécaniste de la nature, dénuée de toute référence à des valeurs, qui a certes conduit à l’abondance matérielle et technologique mais aussi à une spécialisa-tion et à un cloisonnement croissants.

Au cours du XXe siècle, des découvertes empiriques ont conduit d’émi-nents scientifiques (il ne s’agit ici ni de théologiens, ni de philosophes, mais bien d’hommes de science) à revenir sur les postulats des trois siècles antérieurs. Ce revirement est dû principalement aux inventeurs de la physique quantique, qui ont découvert l’existence dans l’univers d’une forme de globalité s’apparentant à celle que faisaient intervenir autrefois des conceptions abandonnées depuis par la science.

Réunis à Tokyo en ce mois de septembre 1995, nous voulons faire savoir que le temps est venu d’instaurer une nouvelle ère des Lumières, où les valeurs humaines universelles uniront et guideront de nouveau les efforts de l’humanité. à cet égard, les femmes constituent une force fondamentale en faveur en faveur de l’avènement d’une société mue par le souci de l’être humain, à travers leur par-ticipation à la création d’une culture de paix dans laquelle chaque femme et cha-que homme seront maîtres de leur destin. Mais ce souci ne saurait se limiter aux êtres vivant aujourd’hui. Afin de donner à la Déclaration universelle des droits de l’homme et à la Convention relative aux droits de l’enfant des prolongements voulus, et conformément à la notion de continuité entre les générations, nous demandons que tous ces droits soient étendus aux générations futures.

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Au cœur de ce thème des Lumières se trouve la complémentarité para-doxale de l’unité dans la diversité. Contrairement à la tolérance, l’hostilité à l’égard de la différence – ethnique, religieuse, raciale ou autre – engendre non pas l’unité mais le désespoir. Les préceptes holistiques qui découlent naturel-lement des nouvelles connaissances scientifiques, associés à une remise en honneur des certaines conceptions traditionnelles, pourraient servir de base à l’instauration d’une paix perpétuelle.

Cette ère des Lumières qu’il s’agit d’instaurer se caractérise principale-ment par une conception nouvelle de l’unité dans la diversité. Les spécialistes des sciences naturelles et des sciences sociales soutiennent depuis longtemps cette idée, qui a pris corps initialement dans le domaine des arts visuels, que le tout est d’avantage que la somme de ses éléments et qu’il en est différent. Selon cette conception, l’association spécifique des éléments qui constituent le tout donne en elle-même naissance à des attributs nouveaux. Mais les scientifiques ont mainte-nant mis au jour un autre aspect holistique de l’univers, totalement différent. Ce nouvel « holisme » considère que le tout est englobé dans ses composants et que ceux-ci sont répartis dans le tout. Notre message se situe ainsi dans le droit-fil des enseignements du bouddhisme Mahayana, qui offrent une vision holistique prégnante de l’avenir de l’existence humaine au sein de la nature.

Signataires :

René Berger, président honoraire de l’Association internationale des critiques d’art (Suisse) ; Jacques-Yves Cousteau, président de l’équipe Cousteau (France) ; Ubiratan D’Ambrosio, Universidade Estadual de Campinas (Brésil) ; Mahdi El-manjra, Université Mohamed V (Maroc) ; Santiago Genoves, Universidade Na-tional Autonoma de Mexico (Mexique) ; Hayao Kawai, directeur de l’interna-tional Research Center for Japaneses Studies (Japon) ; Edgar Morin, directeur de recherche au Centre d’études transdisciplinaires (CNRS) (France) ; Yûjiro Naka-mura, Université Meiji (Japon) ; Aloyse-Raymond Ndiaye, directeur du fonds in-ternational de coopération universitaire à Montréal (Sénégal) ; Yasunori Nishi-jima, ancien président de l’Université de Kyoto (japon) ; Kenzaburo Oe, lauréat du prix Nobel de littérature (japon) ; R. V. Petrov, vice-président de l’Académie des sciences de Russie (Russie) ; Karl Pribram, Center for Brain Research and Information Sciences, Radford University (états-Unis d’Amérique) ; Michel Ran-dom, philosophe et écrivain (France) ; Henry Stapp, Lawrence Berkeley Labora-tory, Université de Californie (états-Unis d’Amérique) ; Mely G. Tan (Ms), Centre d’études sociales et culturelles, Institut indonésien des sciences (Indonésie) ; Kazuko Tsurumi (Ms), Université Sophia (Japon) ; Takuma Yamamoto, président de la Fédération nationales des associations UNESCO du japon (Japon).

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1996Afin de coordonner leurs politiques de développement durable, un cer-

tain nombre d’états se réunissent dans le cadre du Sommet des Amériques sur le développement durable, qui a lieu à Santa Crux, en Bolivie.

199730 avril-2 mai

Le Centre International de Recherches et études Transdisciplinaires (CI-RET), présidé par le physicien Basarab Nicolescu, et l’UNESCO organisent à Lo-carno, en Suisse, le congrès international « Quelle université pour demain ? Vers une évolution transdisciplinaire de l’Université ». LA Déclaration de Locarno, ainsi que des recommandations, sont rendues publiques.

Déclaration de Locarno

Les participants au Congrès International, Quelle Université pour de-main ? Vers une évolution transdisciplinaire de l’Université, (Monte Verità, Lo-carno, Suisse, 30 avril - 2 mai 1997) approuvent pleinement la finalité du projet CIRET-UNESCO qui fit l’objet des débats du Congrès : faire évoluer l’Université vers l’étude de l’universel dans le contexte d’une accélération sans précédent des savoirs parcellaires. Cette évolution est inséparable de la recherche trans-disciplinaire, c’est-à-dire de ce qu’il y a entre, à travers et au-delà de toutes les disciplines.

Malgré les conditions extrêmement variées d’une université à l’autre et d’un pays à l’autre, la désorientation de l’Université est devenue mondiale. De multiples symptômes masquent la cause générale de cette désorientation : la privation de sens et la famine universelle du sens. La quête du sens passe né-cessairement par l’éducation intégrale de l’être humain, à laquelle la recherche transdisciplinaire peut ouvrir la voie.

Les participants lancent un appel solennel à l’Unesco et à tous ses pays membres ainsi qu’aux autorités universitaires du monde entier afin que tout soit mis en oeuvre pour faire pénétrer la pensée complexe et transdisciplinaire dans les structures et les programmes de l’Université de demain.

L’Université est non seulement menacée par l’absence du sens, mais aussi par le refus du partage des connaissances. L’information qui circule dans le cyber-espace engendre une richesse sans précédent dans l’histoire. Compte tenu de l’évolution actuelle, il est à craindre que les info-pauvres deviennent de plus en plus pauvres, les info-riches de plus en plus riches. L’une des vocations de la transdisciplinarité est la recherche de mesures nécessaires pour adapter l’Université à l’ère cyber. L’Université doit devenir une zone franche du cyber-espace-temps.

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Le partage universel des connaissances ne pourra avoir lieu sans l’émer-gence d’une nouvelle tolérance fondée sur l’attitude transdisciplinaire, ce qui implique la mise en pratique de la vision transculturelle, transreligieuse,transpolitique et transnationale. D’où la relation directe et incontournable entre paix et transdisciplinarité.

La transdisciplinarité est globalement ouverte. La définir par la logique classique serait l’enfermer dans une pensée unique. Les niveaux de réalité sont indissociables des niveaux de perception et ceux-ci fondent la verticalité des degrés de transdisciplinarité. La voie transdisciplinaire est inséparable à la fois d’une nouvelle vision et d’une expérience vécue. C’est une voie d’autotransfor-mation orientée vers la connaissance de soi, vers l’unité de la connaissance et vers la création d’un nouvel art de vivre.

Le clivage entre science et culture qui s’est produit il y a un peu plus de trois siècles est un des plus dangereux. D’un côté, les détenteurs d’un savoir pur et dur et, de l’autre, les praticiens d’un savoir équivoque et mou. Ce clivage se ré-fléchit inévitablement dans le fonctionnement des universités dès lors qu’elles favorisent le développement accéléré de la culture scientifique au prix de la né-gation du sujet et de l’évanouissement du sens. Tout doit être fait pour réunifier les deux cultures artificiellement antagonistes - culture scientifique et culture littéraire ou artistique - par leur dépassement dans une nouvelle culture trans-disciplinaire, condition préalable d’une transformation des mentalités.

Le problème-clef le plus complexe de l’évolution transdisciplinaire de l’Université est celui de la formation des formateurs. Les universités pourraient pleinement contribuer à la création et au fonctionnement de véritables «Insti-tuts de recherche du sens» qui auraient forcément des effets bénéfiques pour la survie, la vie et le rayonnement des universités.

Une éducation authentique ne peut orienter la connaissance vers le seul pôle extérieur de l’Objet sous couvert de centaines de disciplines de recherches sans orienter en même temps son interrogation vers le pôle intérieur du Sujet. Dans cette perspective, l’éducation transdisciplinaire réévalue le rôle de l’intui-tion donatrice originaire, de l’imaginaire, de la sensibilité et du corps dans la transmission des connaissances.

Monte Verità, Locarno, le 2 mai 1997

Comité de rédaction de la Déclaration : Michel Camus et Basarab Nicolescu

Recommandations

1. Création d’une chaire UNESCO itinérante

Il est recommandé à l’UNESCO, si possible en collaboration avec l’Univer-sité des Nations Unies (Tokyo), de créer une chaire itinérante qui organiserait des conférences magistrales impliquant la communauté entière et permettant de l’informer sur les concepts et méthodes de la transdisciplinarité. Cette chaire pourrait s’appuyer sur la création d’un site Internet qui préparerait la commu-

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nauté internationale et universitaire à une découverte théorique et pratique de la transdisciplinarité. L’objectif est que tout soit mis en oeuvre pour faire péné-trer le germe de la pensée complexe et de la transdisciplinarité dans les structu-res et les programmes de l’Université de demain.

2. Développement de la responsabilité

Il est recommandé aux Universités dans le cadre d’une approche trans-disciplinaire de faire appel notamment à la philosophie de la Nature, à la philo-sophie de l’Histoire et à l’épistémologie dans le but de développer la créativité et le sens de responsabilité des futurs dirigeants. Il faudrait introduire des cours à tous les niveaux pour sensibiliser les étudiants et les éveiller à l’harmonie entre les êtres et les choses. Ces cours pourraient se fonder sur l’histoire des sciences et de la technologie ainsi que sur les grands thèmes multidisciplinai-res d’aujourd’hui (surtout la cosmologie et la biologie générale) pour habituer les étudiants à penser les choses avec clarté et dans leur contexte, en vue du développement industriel et de l’innovation technologique, et de s’assurer que les applications ne contreviennent pas à une éthique de responsabilité vis-à-vis des autres hommes et de l’environnement.

3. Diffusion des expériences transdisciplinaires innovatrices

Il est recommandé au CIRET de préparer à l’intention des formateurs une publication dans les langues de l’UNESCO qui recenserait des expériences in-novatrices de référence : Open University, Académie d’Architecture du Tessin (l’expérience Mario Botta), American Renaissance in Science Education (l’expé-rience Leon Lederman), l’Université de Bâle (l’expérience Werner Arber) l’Ob-servatoire pour l’étude de l’Universite du Futur (l’OEUF) avec la collaboration de l’école Polytechnique Fédérale de Lausanne, Maison des Cultures du Monde, expériences transculturelles de la Catalogne, etc. L’objectif est un réel partage des connaissances et expériences.

4. Formation des formateurs et éducation permanente

Il est recommandé aux Universités, dans le cadre de l’éducation perma-nente et de la formation continue :

de concevoir et de réaliser des programmes de formation au contenu spé-cifiquement transdisciplinaire, qui, au-delà de visées proprement profession-nelles, permettraient l’épanouissement de la personne humaine et la prise en compte des phénomènes de société.

de publier des comptes-rendus d’expériences éducatives diverses témoi-gnant, de manière didactique et vivante, du problème de la complexité et de l’émergence du sens ainsi que de l’intérêt de nouvelles méthodologies d’ap-prentissage induites par la transdisciplinarité.

En vue de la formation des formateurs, il est demandé au CIRET d’entre-prendre des travaux en vue d’organiser, aves les ONG, fondations et universités, quatre ateliers régionaux de recherches transdisciplinaires impliquant la mise

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en pratique de la vision transculturelle, transreligieuse, transpolitique et trans-nationale. Un effort particulier devra être fait afin que certains de ces ateliers se tiennent dans, ou en collaboration avec, des Universités de pays dits en voie de développement.

5. Du temps pour la transdisciplinarité

Il est recommandé aux responsables universitaires (présidents des Uni-versités, directeurs de départements, ...) de consacrer, pour chaque discipline, 10% du temps à des enseignements proprement transdisciplinaires.

6. Création de centres d’orientation, d’ateliers de recherche et d’espaces transdisciplinaires

Il est recommandé aux Universités :

de créer des centres d’orientation transdisciplinaire destinés à éveiller des vocations et à faire découvrir les possibilités enfouies en chacun ; l’égalité des chances chez les étudiants se heurte forcément aux inégalités de leurs pos-sibilités.

de créer des ateliers de recherches transdisciplinaires (libres de tout contrôle idéologique, politique ou religieux) comprenant, dans chaque atelier, des chercheurs de toutes les disciplines. Il s’agit, sur des projets précis, d’intro-duire progressivement des chercheurs ou des créateurs extérieurs à l’Universi-té, y compris des musiciens, des poètes et des artistes de haut niveau, en vue de fonder le dialogue universitaire entre les diverses approches culturelles, tenant compte de l’expérience intérieure et de la culture de l’âme . La codirection de chaque atelier serait assurée par un enseignant en sciences exactes et un ensei-gnant en sciences humaines ou en art, chacun d’eux étant élu par cooptation et en toute transparence. Il s’agirait pour chacun de découvrir le vécu d’une mé-diation sensible et corporelle afin de tenter de vivre une expérience plus large de relation avec le monde, la nature et les autres.

7. Culture scientifique et culture littéraire et artistique

Afin de rapprocher les deux cultures artificiellement antagonistes, culture scientifique et culture littéraire et artistique, et de faire évoluer les mentalités, il est recommandé à l’UNESCO, aux Universités, au CIRET, aux ONG et fondations d’organiser des forums transdisciplinaires incluant l’histoire, la philosophie, la sociologie des sciences et l’histoire de l’art contemporain.

8. Transdisciplinarité, développement et éthique

Suite à son important rapport sur «culture et développement», il est re-commandé à l’UNESCO de tirer parti de la vision transdisciplinaire, notamment en ce qui concerne les projets, programmes et recommandations touchant :

à l’éthique de l’universel,

aux questions concernant les femmes et la jeunesse.

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9. Innovation pédagogique et transdisciplinarité

Il est essentiel de réaliser des suivis d’expériences témoignant de l’inno-vation proprement pédagogique liée au développement de la démarche trans-disciplinaire dans l’enseignement.

10. Mass média et transdisciplinarité

La question de la transdisciplinarité ne concernant pas seulement les éli-tes, il convient, afin de toucher la société, que le CIRET imagine et réalise des actions à destination des mass média (télévision, radio, journaux, publications sur Internet, etc.)

11. Multimedia et transdisciplinarité

Il est recommandé à l’UNESCO, dans le cadre de ses travaux sur la com-munication faisant suite notamment à la célébration du centenaire du cinema, de développer des programmes de rencontres entre le savoir universitaire et l’expérience créatrice des artistes travaillant sur différents médias et utilisant les nouvelles technologies.

12. transdisciplinarité et cyberespace : ateliers pilotes

Il est recommandé de favoriser et de développer tous les moyens techni-ques à disposition en vue de donner à l’éducation transdisciplinaire en émer-gence la dimension universelle requise et, plus généralement, de promouvoir le domaine public de l’information (la mémoire virtuelle du monde, l’information produite par les organisations gouvernementales ainsi que l’information liée au régime du copyleft ).

Dans cette perspective, il est hautement recommandé à l’UNESCO et aux pays concernés d’encourager et de développer des expériences-pilotes qui, comme par exemple l’OEUF (Observatoire pour l’étude de l’Université du Futur), se fondent sur l’extension des réseaux, tel Internet, et «inventent» le futur en assurant une activité planétaire en feed-back continu, instaurant de la sorte pour la première fois des interactions au niveau universel.

13. Paix et transdisciplinarité

Il est recommandé de favoriser, de soutenir et de faire connaître les expé-riences et les projets démontrant l’apport de la transdisciplinarité au dévelop-pement de l’exigence et de l’esprit de paix.

Monte Verità, Locarno, le 2 mai 1997

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23-27 juinDite « Rio +5 », l’ONU organise une session extraordinaire de son Assemblé Gé-nérale, à New York, aux états-Unis. L’enjeu de la réunion est de procéder à un premier bilan des engagements pris à la suite du Sommet de la Terre, qui a eu lieu à Rio en 1992, notamment à propos de la mise en oeuvre d’Action 21. La réu-nion aboutit au constat d’un important désaccord à propos de la réduction des gaz à effets de serre, notamment entre les états-Unis et l’Union Européenne.

11 décembreRéunis à Kyoto, au Japon, les états signataires de la Convention de Rio rendent public le Protocole dit de Kyoto portant sur la réduction des gaz à effet de serre. Cet accord est l’un des instruments de la communauté internationale afin de lutter contre le réchauffement climatique. Mais il faut attendre le 16 février 2005, après la ratification de l’accord par la Russie en novembre 2004, pour qu’il puisse entrer en vigueur. En effet, la réunion de Kyoto précisait qu’il fallait at-teindre un ensemble d’états représentants au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre, pour que le Protocole entre dans un processus de concrétisation.

1999L’ONU publie le Global Compact, qui est un code de conduite à destination des entreprises afin qu’elles respectent un certain nombre de principes relatifs à la protection de l’environnement, au respect du droit du travail, des droits de l’homme, etc.

2000 L’un des acteurs du mouvement altermondialiste asiatique, le Philip-

pin Nicanor Perlas, publie Shaping Globalization. Civil Society, Cultural Power and Threefolding. La grande thèse de l’ouvrage est que depuis 1999 (date de la grande manifestation de protestation contre la tenue d’une réunion de l’OMC à Seattle, au états-Unis), l’humanité connaîtrait une sorte de tournant avec l’ir-ruption d’un nouveau sujet historique, la Société Civile. Celle-ci devient le « troi-sième pouvoir », après les pouvoirs politico-étatiques et économiques. Nicanor Perlas recevra, en 2003, le prix Nobel alternatif, pour son engagement non-vio-lent dans le processus de transformation sociale de son pays, face aux diverses dictatures qui se succèdent. Dans son ouvrage (traduit en langue française sous le titre La société civile : le 3e pouvoir. Changer la face de la mondialisation – Aux éditions Yves Michel, 2003), l’auteur explique ce tournant :

à la fin du XXe siècle, la nouvelle d’un grand tournant historique déferla sur le monde. Les médias internationaux rapportèrent à des centaines de mil-lions d’auditeurs et de lecteurs les détails spectaculaires d’une confrontation

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inhabituelle. Certains reconnurent immédiatement qu’il s’agissait d’un séisme social de la plus haute intensité, touchant la planète entière. D’autres mirent plus de temps à comprendre que les fondations de la vie sociale mondiale avaient été ébranlées. Par la suite, d’importants rassemblements nationaux et internationaux rendirent hommage à l’événement, et s’y référèrent pour jus-tifier leurs conceptions, leurs programmes et leurs activités propres. Depuis, cet événement historique, entré dans l’histoire sous le nom de la « Bataille de Seattle », ne cesse de hanter les responsables de la forme la plus puissante de modernité matérialiste jamais apparue sur notre planète. (Perlas, 2003, 21).

Cette date, en effet, marquait l’une des plus grandes manifestations ci-toyennes contre les institutions politico-économiques internationales. En l’oc-currence, c’était contre un sommet de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) que le rassemblement, fort de plusieurs dizaines de milliers de person-nes, avait eu lieu.

2001Les chefs d’état et de gouvernement de l’Union Européenne, réunis au

Sommet européen de Göteborg, approuvent la politique stratégique de dé-veloppement durable. Cette stratégie porte, notamment, sur les questions du changement climatique, des transports, de la gestion des ressources naturelles ou encore sur la santé.

Les états-Unis prennent la décision de rejet le Protocole de Kyoto portant sur la réduction des gaz à effet de serre.

NovembreL’Unesco rend public la Déclaration Universelle de la Diversité Culturelle, texte qui est devenue une référence majeure pour ceux qui essaient de protéger le plura-lisme des cultures de l’humanité. Il s’agit également d’un texte d’appui pour ceux qui tentent de donner au Développement durable et à l’éducation au Développe-ment durable une tonalité moins techno-économique, qui est, souvent, la tonalité dominante. En insistant sur la dimension culturelle du DD, ils tentent d’articuler les instances économique, sociale et environnementale avec l’instance culturelle.

200216-17 septembreà Istanbul, en Turquie, a lieu la troisième Table-Ronde des Ministres de la culture, organisée par l’UNESCO. Elle est intitulée « Le patrimoine culturel im-matériel, miroir de la diversité culturelle ». Le lien entre diversité culturelle et environnement est, de nouveau, mis en évidence. La Table-Ronde souligne : « La diversité culturelle est, pour le genre humain, aussi nécessaire que la biodiversité dans l’ordre du vivant ».

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2004Février

Le philosophe Pierre Hadot publie Le voile d’Isis. Essai sur l’histoire de l’idée de Nature (Paris : Gallimard). Professeur honoraire au Collège de France, l’auteur nous propose une fresque qui, d’Héraclite à Goethe, des Stoïciens à Newton, des Néoplatoniciens à Bergson, nous raconte comment des philosophes, des poè-tes, des théologiens, des scientifiques, ont pensé notre environnement naturel. L’auteur met l’accent sur ces deux grandes attitudes qui traversent l’histoire : l’une (qu’il place sous la figure de Promothée) tend à expliquer/dominer la natu-re, tandis que l’autre (qu’il place sous la figure d’Orphée) privilégie une approche contemplative. Mécanisme ou Art, tel est le défi de nos représentations d’Isis, per-sonnification de Dame nature. Pierre Hadot, à propos de notre époque, écrit ceci :

Au XXe siècle, poètes, savants et philosophes ont exprimé les mêmes craintes au sujet de la mécanisation de la nature. On a parlé de « désenchante-ment du monde », de « mort de la nature ». Nous ne pouvons entrer dans le dé-tail de l’abondante littérature qui a été consacré à ce problème. Il faudrait citer Georges Duhamel, Aldous Huxley, Rainer Maria Rilke, et bien d’autres. Je pense que l’on peut retenir comme particulièrement significatives deux conférences prononcées sur ce thème, le 17 et le 18 novembre 1953, la première par Martin Heidegger ; la seconde par le savant Werner Heisenberg. Heidegger insiste for-tement dans son texte sur le caractère, que j’appelle prométhéen, de la techni-que contemporaine. Celle-ci est à ses yeux une démarche violente pour obtenir un dévoilement de la nature : « Le dévoilement qui régit la technique moderne est une pro-vocation (herausfordern) par laquelle la nature est mise en demeu-re de livrer une énergie qui puisse comme telle être extraite et accumulée. » (…) Heisenberg, dans sa conférence intitulée L’image de la nature dans la physique contemporaine, dénonce le même danger : « Nous vivons dans un monde si to-talement transformé par l’homme que nous rencontrons partout les structures dont il est l’auteur : emploi des instruments de la vie quotidienne, préparation de la nourriture par les machines, transformation du paysage par l’homme, de sorte que l’homme ne rencontre plus que lui-même. » à la différence de Hei-degger, il ne pense pas que ce soit la technique en elle-même qui constitue le danger, mais le fait que l’humanité n’a pas pu encore s’adapter à ses nouvelles conditions de vie.

Cinquante ans après, nous devons bien reconnaître que, loin de maîtriser cette situation, l’humanité se trouve, au contraire, aux prises avec des dangers en-core plus graves. La technique engendre un mode de vie et des modes de pensée qui ont pour conséquence de mécaniser de plus en plus l’homme lui-même, mais, par ailleurs, il est impossible d’arrêter l’engrenage impitoyable de ce type de civili-sation. L’humanité risque d’y perdre son âme et son corps. (Hadot, 2004, 161-162)

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2005SeptembreLes grandes institutions financières internationales – la Banque mondiale et le Fond Monétaire Internationale – décident d’annuler la dette des 18 pays les plus pauvres de la planète.

2007 12 octobreLe GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et l’ancien candidat à la présidence des états-Unis, Al Gore, reçoivent conjointe-ment le prix Nobel de la Paix. Le GIEC venait, en effet, de remettre son rapport à l’ONU. L’une de ses conclusions : les sociétés humaines étaient probablement en train d’influencer les équilibres climatiques de la planète. Pour sa part, Al Gore avait réalisé un documentaire, « Une vérité qui dérange », toujours sur le climat du climat. Son impact a été extrêmement important dans les opinions publiques.

15 décembreà Bali, en Indonésie, la communauté internationale se réunit pour discuter des interactions entre les politiques économiques et le dérèglement climatique. L’accord de Bali est, en réalité, un accord minimum qui ne fait que lancer le pro-cessus de négociation. Le rapport 2007 du GIEC est annexé à l’Accord.

18-19 octobreUne conférence est organisée, à Ottawa (au Canada) afin de réfléchir sur les avancées et les stagnations en matière de développement durable, depuis la publication, vingt ans auparavant, du Rapport Brundtland.

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Illustrations marc-guerra.com

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Achevé d’imprimer en décembre 2009

sur les presses de l’imprimerie Causses et Cévenne Parc d’activités Millau-Ouest

12100 Saint-Georges-de-Luzençon05 65 58 41 41

dépôt légal mars 2010imprimé en France

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