l'Écran octobre 2015 | pensée critique

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DOSSIER Pensée critique ARTICLES Comment espérer tenir les promesses de la pensée critique? Qu’est-ce que l’esprit critique? Le jugement critique en Éthique et culture religieuse Nos élèves parlent, mais dialoguent-ils de façon critique? Médias et pensée critique : défis et stratégies Le développement des pensées critique et empathique dans le contexte politique actuel Utilisation de la littérature afin de réfléchir à des questions éthiques et de développer l’esprit critique CHRONIQUES Recherche et pratique en dialogue Littérature jeunesse Trucs de prof! ÉCRan Éthique et Culture Religieuse | articles et nouvelles PRINTEMPS 2015, VOLUME 5, NUMÉRO 2

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L’ÉCRan (acronyme pour Éthique, Culture Religieuse, Articles et Nouvelles) propose des articles de fond sur les fondements du programme ÉCR, des réflexions critiques sur les diverses facettes de son application, des ressources et outils pédagogiques pertinents pour les enseignantes et enseignants, des réactions et échanges face aux débats et enjeux suscités par le cours ÉCR, et bien plus encore! Bref, L’ÉCRan est un carrefour essentiel au partage d’idées et d’expertises dans le domaine de l’enseignement de l’éthique et de la culture religieuse au Québec.

TRANSCRIPT

Page 1: l'ÉCRan Octobre 2015 | Pensée critique

DOSSIERPensée critique

ARTICLESComment espérer tenir les

promesses de la pensée critique?

Qu’est-ce que l’esprit critique?

Le jugement critique enÉthique et culture religieuse

Nos élèves parlent, maisdialoguent-ils de façon critique?

Médias et pensée critique :défis et stratégies

Le développement des pensées critique etempathique dans le contexte politique actuel

Utilisation de la littérature afin de réfléchir àdes questions éthiques et de développer

l’esprit critique

CHRONIQUESRecherche et pratique en dialogue

Littérature jeunesse

Trucs de prof!

ÉCRanÉthique et Culture Religieuse | articles et nouvelles

PRINTEMPS 2015, VOLUME 5, NUMÉRO 2

Page 2: l'ÉCRan Octobre 2015 | Pensée critique

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SOMMAIRE

ARTICLESCOMMENT ESPÉRER TENIR LES

PROMESSES DE LA PENSÉE CRITIQUE?Normand Baillargeon

Professeur à L’Université du Québec à Montréal

QU’EST-CE QUE L’ESPRIT CRITIQUE?Philippe Legault

Philosophe

NOS ÉLÈVES PARLENT, MAISDIALOGUENT-ILS DE FAÇON CRITIQUE

Marie-France DanielProfesseure titulaire, Université de Montréal et Chercheure,

Groupe de recherche sur l’éducation éthique et l’éthique en éducation (GRÉÉ)

LE DÉVELOPPEMENT DES PENSÉESCRITIQUE ET EMPATHIQUE DANS LE

CONTEXTE POLITIQUE ACTUELAnne-Marie Duclos

Doctorante en psychopédagogie, Université de Montréal

LE JUGEMENT CRITIQUE EN ÉTHIQUE ETCULTURE RELIGIEUSE

Pierre LucierChercheur associé à la Chaire Fernand-Dumont sur

la culture de l’INRS et professeur invité au Département de sciences des religions de l’UQAM

MÉDIAS ET PENSÉE CRITIQUE : DÉFISET STRATÉGIESMathieu Gagnon

Professeur à la Faculté d’Éducation del’Université de Sherbrooke

UTILISATION DE LA LITTÉRATURE AFIN DERÉFLÉCHIR À DES QUESTIONS ÉTHIQUES ET DE DÉVELOPPER L’ESPRIT CRITIQUE :

LES RESSOURCES DE LIVRES OUVERTSRachel DeRoy-Ringuette

Collaboratrice au site Livres ouverts

CHRONIQUES

ÉDITORIAL

RECHERCHE ET PRATIQUE EN DIALOGUEEntrevue avec Vincent Beaucher

Chargé de cours

LITTÉRATURE JEUNESSECatherine Chiasson

Libraire jeunesse à la Librairie Bric à Brac

TRUCS DE PROFS! : LA BOÎTE À OUTILS D’ÉCR

Mélanie DuboisEnseignante et chargée de cours

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Directeur de la revueSylvain Fournier

Rédactrice en chef invitéeChantal Bertrand

Réviseure linguistiqueJulie Coutu

Réalisation graphiqueAlexandre Poirier

ImpressionImprimerie Lanaudière

Photo de couvertureDreamstine 24664066

Depuis 2008, cette publication est conçue à l’initiative de l’Association québécoise en Éthique et culture religieuse (AQÉCR) qui en est l’éditeur.

L’Association québécoise en Éthique et culture religieuse (AQÉCR) se dégage de toute responsabilité par rapport au contenu des publicités publiées dans ses pages.

De plus, les opinions énoncées dans cette revue n’engagent en rien l’AQÉCR et sont sous l’entière responsabilité des auteurs.

courriel : [email protected] web : www.aqecr.com

Changements d’adresse et retours postauxASS. QUEBECOISE EN ÉTHIQUE ET CULTURE REL.

CP 1283 L’EPIPHANIE SUCC BUREAU-CHEF L’EPIPHANIE, J5X 4S9

Dépôt légal : Bibliothèque et Archives CanadaISSN 1916-8047

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VOUS RAPPELEZ-VOUS DE LA VIDÉO VIRALE D’UN AIGLE SOULEVANT un bambin sur le Mont-Royal ? Ce canular, créé par des étudiants mon-tréalais en animation 3D, a fait le tour du monde et a été vu plus de huit millions de fois. Beaucoup de personnes ont été bernées, presque toutes ont été emballées par la qualité de la création. Les fausses rumeurs, les

légendes urbaines, les informations erronées, les écrits dont l’objectif premier est la manipulation, ne constituent évidemment pas de nouvelles réalités. Ce qui est nouveau c’est Internet qui, en dépit de ses formidables apports à la société, contribue à en faire une diffusion incomparablement large et rapide. La pensée critique, objet de ce numéro, n’est pas seulement en lien avec les TIC mais bien sûr avec toutes les sphères de notre vie, notamment avec la réflexion éthique et la compréhension du phénomène religieux. L’actualité en fait la preuve quotidiennement…

Exercer son jugement critique constitue la troisième compétence transversale du PFÉQ. Le programme d’ÉCR, par ses finalités et les visées de ses compétences, est un lieu particulièrement propice à cette fin. Or, faire dialoguer les élèves ou leur demand-er de faire des recherches sur un sujet ne suffit pas à développer leur esprit critique. Il faut les aider à reconnaitre les indices de fiabilité d’une source d’information, qu’elle soit trouvée en ligne ou qu’elle soit imprimée (les jeunes, comme de nombreux adultes ont souvent tendance à considérer que ce qui est imprimé - journaux, livres…- est vrai), à développer de bonnes pratiques de recherche, à développer leur curiosité intellectuelle…

Ce numéro débute avec un texte de Normand Baillargeon qui porte sur l’urgence de développer l’esprit critique à l’école. Il ne suffit pas de prendre conscience de l’importance que cela revêt mais aussi de réaliser la complexité de la tâche. Il importe de réfléchir à ce qu’est l’esprit critique. Philippe Legault nous apporte quelques éclaircissements à cet effet. Si le développement de l’esprit critique est spontanément associé au volet éthique, le programme d’ÉCR mentionne également l’importance de développer l’esprit de discernement des élèves face au phénomène religieux. À ce sujet, nous avons demandé à Pierre Lucier de faire le pont entre l’esprit critique et les trois compétences disciplinaires.

Ensuite, au-delà du Pourquoi et du Quoi, il convient de se demander Comment ? L’article de Marie-France Daniel démontre bien l’importance de faire progresser les élèves dans le dialogue pour les aider à dépasser le piège du relativisme. Le rôle que doit jouer la personne enseignante à cet effet est primordial, et un retour réflexif sur notre pratique est essentiel pour devenir des guides efficaces. Mathieu Gagnon met de l’avant les défis posés à l’exercice de la pensée critique par les médias ainsi que des stratégies pour les relever.

CHANTAL BERTRANDRédactrice en chef invitée

ÉDITORIAL/////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////

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Par ailleurs, la philosophie pour enfants est l’approche pédagogique la plus documentée en lien avec le programme d’éthique et culture religieuse. Anne-Marie Duclos nous la présente en mettant de l’avant ses apports sur le développement des pensées critique et empathique en contexte néolibéral. Pour sa part, Rachel Deroy-Ringuette démontre l’apport de la littérature jeunesse dans le dévelop-pement de l’esprit critique. Les chroniques « Littérature et l’ÉCR », « La pratique et la recherche en dialogue » et « Truc de prof » sont de retour avec deux suggestions de la libraire Catherine Chiasson, une entrevue avec Vincent Beaucher sur les défis liés à l’évaluation en ÉCR et Mélanie Dubois nous présente un outil qu’elle a créé et expérimenté pour une intégration plus efficace des éléments de contenus du programme.

J’en profite pour remercier sincèrement ceux et celles qui ont accepté de partager leur savoir et leurs idées pour alimenter les nôtres. Merci aussi à Alexandre Bazinet pour ses illustrations. Je vous souhaite à toutes et à tous une bonne lecture, mais aussi une réflexion stimulante. N’hésitez surtout pas à partager vos préoccupations et vos stratégies sur la page Facebook de l’AQECR…

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UN IDÉAL INCONTOURNABLE

En fait, un tel idéal est en quelque sorte inscrit dans l’idée même d’éducation telle que nous l’entendons typiquement, qui demande qu’on forme une personne autonome, c’est-à-dire capable de penser par elle-même.

Une telle personne fera donc preuve de pensée critique : elle saura donner des arguments en faveur d’une conclusion qu’elle adopte, évaluera de manière impartiale ceux qu’on lui propose, suspendra son jugement lorsque cela sera souhaitable, saura voir et jauger les différents aspects d’un problème et ainsi de suite. Pour citer Harvey Siegel, qui a, selon moi, donné la meilleure définition (tenant dans le moins de mots possible) de la pensée critique : une telle personne réagi-ra comme il convient à de bons arguments1.

On peut encore avancer un argument politique en faveur de cette culture de la pensée critique par l’édu-cation. Dans une démocratie, les personnes sont des citoyennes et des citoyens, des gouvernants en puissance, appelés à se prononcer sur les politiques publiques, à en débattre et à prendre activement part à ce que le philosophe John Dewey (1859-1952) appelait la «con-versation démocratique».

PERSONNE, JE PENSE, NE CONTESTERA QUE L’ÉDUCATION DOIT VISER LE DÉVELOPPEMENT DE LA PENSÉE CRITIQUE.

Pour cela, il faut faire en sorte non seulement que chacun acquière certains savoirs indispensables pour prendre part à cette conversation, mais aussi que chacun apprenne à dialoguer, à échanger et à penser de manière autonome et critique.

On pourrait en avancer d’autres, mais ces deux argu-ments (l’argument éducationnel et l’argument politique) sont à mon sens solides et convaincants et, à eux seuls, suffisent à justifier que l’éducation cherche activement à promouvoir la pensée critique.

Mais il faut aussitôt dire que c’est un idéal bien difficile à atteindre. Voyons pourquoi.

DE FORMIDABLES DÉFIS

Une première difficulté est bien connue et elle tient à ce que nous soyons tous et toutes sujets à l’erreur par un nombre considérable de manières et susceptibles par là de tomber dans d’innombrables pièges cognitifs.

À la frontière de la rhétorique et de la logique, la tra-dition, à partir d’Aristote, en a recensé un grand nombre et la logique formelle et informelle poursuit aujourd’hui ce travail. Sophismes et paralogismes sont les noms sous lesquels ces pièges cognitifs sont le plus souvent exposés et j’en ai moi-même proposé un bilan dans un ouvrage2. Certains de ces pièges peuvent être relative-ment faciles à détecter (l’ad hominem, pour prendre un exemple); d’autres le sont beaucoup moins (l’affirmation

1 Ma traduction ne rend pas entièrement justice à la finesse du propos. Siegel écrit : «appropriately moved by reasons».2 Normand Baillargeon, Petit cours d’autodéfense intellectuelle, Lux, Montréal, 2005.

COMMENT ESPÉRER TENIR LES PROMESSES DE LA PENSÉE CRITIQUE ?//////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////NORMAND BAILLARGEON | Professeur à l’Université du Québec à Montréal

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du conséquent). Mais on pense qu’on aidera à les repérer en les faisant connaître, d’où cette composante des cours de pensée critique consacrée à la logique, formelle et informelle.

Depuis quelques décennies à peine, un élément nou-veau s’est ajouté à cette liste de pièges cognitifs. Il s’agit de ce qu’on appelle des «biais cognitifs», lesquels ont été mis à jour par les psychologues Daniel Kahneman (1934) et Amos Tversky (1937-1996) : à la lumière de ces travaux, la tâche de la pensée critique devient, bien entendu, plus difficile encore.

Un dernier élément qui est susceptible de minor-er, peut-être très considérablement, l’efficacité de l’enseignement de la pensée critique tient aux vastes circonstances sociales et politiques de son exercice, à son contexte idéologique et institutionnel. La plus solide et la mieux intentionnée des penseuses critiques pourrait ainsi, par des médias biaisés et partiaux (c’est la thèse de Herman et Chomsky), être privée des informations qui lui permettraient de déployer ses talents. Elle pourrait aussi être contrainte, par les exigences des institutions au sein desquelles elle œuvre, à prendre des décisions et à poser des gestes contraires à ce que la pensée critique demanderait. Chomsky propose d’appeler ce phénomène la «stupidité institutionnelle3» et il suffit de le compren-dre pour l’observer souvent…

Les arguments que je viens de déployer donnent à penser que l’enseignement de la pensée critique, s’il est souhaitable comme je l’ai soutenu, sera néanmoins une tâche difficile. Et la recherche empirique le confirme : enseigner la pensée critique est une tâche si difficile qu’on a bien du mal à y parvenir.

3 «Noam Chomsky on Institutional Stupidity», Philosophy Now, No. 107.4 Daniel T. Willingham, « Critical Thinking. Why is it so Hard to Teach ?», American Educator, Été 2007, pp. 8-19.5 Kevin McCaffree et Anondah Saide, «Why is critical Thinking so hard to Teach ?», Skeptic, vol. 19, no 4, pp. 54-64.6 S. Trickey et K. J. Topping, «Philosophy for Children: a Systematic Review», Research Papers in Education, Vol. 19, No. 3, Septembre 2004, pp. 365-380.

DES RÉSULTATS DÉCEVANTS

Dans le milieu scolaire, comme on sait, on propose pour développer la pensée critique d’innombrables cours, du primaire à l’université, qui se donnent précisé-ment cet objectif de faire apprendre à penser de manière critique.

Que valent-ils ? Dans un remarquable texte4, le spécialiste des sciences cognitives Daniel T. Willingham rappelle qu’il y a, malheureusement sur cette question, peu de recherches obéissant à des normes méthod-ologiques rigoureuses et publiées dans des revues avec comités de lecture ; mais que les recherches crédibles tendent à montrer que les impacts de ces cours, auxquels on consacre beaucoup de temps, sont plutôt décevants. Une étude toute récente de plusieurs cours universitaires visant à promouvoir la pensée critique sur l’examen des croyances paranormales aboutit à cette même con-clusion : les croyances paranormales diminuent, mais la pensée critique, elle, mesurée par des tests comme le Cornell Critical Thinking Test ou le Watson-Glaser Critical Thinking Apparaisal n’augmente pas de manière statistiquement significative5.

Toutefois, le fameux programme de Philosophie pour enfants (Philosophy for Children) est de ce point de vue exemplaire. Parmi les recherches qu’on lui a consacrées, il semble que bien peu aient été menées selon des normes méthodologiques rigoureuses ou publiées dans des re-vues avec comités de lecture. En 2004, des chercheurs ont examiné dix recherches répondant à des exigences méthodologiques minimales et ils ont conclu que celles-ci montrent que le programme semble avoir des effets positifs, mais modérés6.

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Si on ajoute aux difficultés de l’enseignement de la pensée critique évoquées plus haut certains résultats des sciences cognitives, ces modestes résultats sont peu étonnants.

Voici, en quelques mots, ce qu’il faut savoir à ce sujet.

On a établi, hors de tout doute raisonnable, que des activités intellectuelles de haut niveau, comme la pensée critique justement, ou la créativité, sont spécifiques à un domaine, en ce sens qu’elles demandent pour s’exercer la possession de vastes et profondes connaissances dans un domaine donné. Puis, lorsque c’est le cas, elles ne se transfèrent pas, ou très difficilement, à d’autres domaines où on ne possède pas des vastes et profondes connais-sances. Ce transfert est en fait plus difficile à proportion que ce domaine est éloigné et que nos connaissances en sont moindres.

Une des conséquences de cette découverte est que l’idée qu’il existerait des compétences transversales ou génériques, comme la capacité à penser de manière critique, qu’il serait possible de développer in asbtrac-to pour ensuite les appliquer à tous les domaines est, en grande partie, elle-même un piège cognitif. On lui a même donné un nom en philosophie de l’éducation: le formalisme.

Je renvoie au texte de Willingham qui souhaiterait ap-profondir cette idée du point de vue des sciences cog-nitives. Disons simplement que notre compréhension d’un savoir donné se l’approprie en en restant d’abord à sa structure superficielle avec tous les détails qu’elle com-porte, avant, par sur-apprentissage, de saisir sa structure profonde qui met de côté ces détails pour appréhender les concepts. Ceux-ci sont rattachés aux autres concepts

d’un domaine de connaissances et se déploient avec une certaine et grandissante familiarité dans ce contexte : c’est alors que des habiletés intellectuelles de haut niveau peuvent être déployées. Mais elles se transfèrent mal ou pas du tout quand on s’éloigne de ce territoire conceptu-el familier. Ce qui ne signifie bien entendu pas que ces stratégies intellectuelles, par exemple celles que depuis Aristote la logique formelle et informelle décrivent, n’ex-istent pas : simplement que leur mise en oeuvre est tou-jours contextualisée. Et difficile.

Willingham écrit, résumant son propos : « Que faut-il retenir de tout cela? Primo, que penser de manière cri-tique n’est pas une compétence (a skill) et aussi qu’un ensemble de compétences qui composeraient la pensée critique, que l’on pourrait acquérir et déployer ensuite dans n’importe quel contexte, que cela n’existe tout sim-plement pas. Secundo, qu’il existe des stratégies méta-cognitives qui, si elles sont apprises, rendent en effet plus probable la mise en œuvre de la pensée critique. Tertio, que la capacité à penser de manière critique, la capacité de faire ce que demandent de nous ces stratégies méta-cognitives, cela dépend de connaissances que nous avons dans le domaine [dans lequel nous souhaitons le faire] et de la pratique que nous y mettons. Pour les enseig-nant.e.s , la situation n’est pas désespérée : mais personne ne devrait sous-estimer la difficulté d’apprendre aux élèves à penser de manière critique.» (p. 17)

Si on m’accorde que l’enseignement de la pensée cri-tique est un objectif qu’il faut viser en éducation, mais que c’est aussi un objectif difficile, qu’il est même facile de s’illusionner sur la manière de l’atteindre, que convi-ent-il de faire ?

DEUX MODESTES PROPOSITIONS

Voici deux modestes pistes de réflexion à ce sujet, que me semblent autoriser la philosophie de l’éducation, les recherches empiriques ainsi que les précieux enseigne-ments des sciences cognitives.

Je suggère que la pensée critique devrait être conçue comme une vertu à la fois intellectuelle et morale qui se manifeste par des habiletés, des dispositions et des habi-tudes et qui permet notamment, à l’abri du dogmatisme

Illustration parAlexandre Bazinet, enseignant en adaptation scolaire au secondaire

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NORMAND BAILLARGEONProfesseur à l’Université du

Québec à Montréal

et des préjugés, de parvenir, sur des questions et notamment sur des questions con-troversées, à un jugement raisonnable fondé sur les faits et les arguments présentés.

Partant de là, ma première suggestion est que puisque la pensée critique est une vertu, une disposition, elle s’enseigne certes, mais surtout se pratique, s’acquiert en s’exerçant.

On devrait donc fournir des contextes où cette pratique est favorisée, encour-agée, des contextes non menaçants, sécuritaires, motivants. Ce que met de l’avant Lipmann va justement dans cette direction.

Je suggère aussi, et c’est ma deuxième proposition, que plutôt que de miser sur des cours spécifiques de pensée critique, celle-ci devrait être enseignée dans et par les disciplines qui demandent qu’elle se déploie de manière propre pour chacune d’elles.

Cette pratique «interne» de la pensée critique me semble conforme à ce que la recherche et les sciences cognitives apprennent et permet d’éviter le piège du for-malisme. Je ne me risque pas à entrer dans les terriblement complexes détails de la mise en pratique de cette manière de faire, et me bornerai à deux remarques.

Pour commencer, dans l’enseignement d’une discipline, on devrait viser à ce qu’en bout de piste les faits, les données, les théories soient problématisées. Pour me faire comprendre, prenons le cas des sciences naturelles : pour elles, c’est pos-siblement par un enseignement qui fait sa place à l’histoire et à la philosophie des sciences qu’on y parviendrait.

Enfin, on devrait former pour un tel enseignement interne de la pensée critique des maîtres possédant une vaste culture générale, une connaissance approfondie de leur discipline permettant d’accéder à sa structure profonde, mais aussi une sub-stantielle connaissance de son histoire et de sa philosophie.

Quant à la stupidité institutionnelle, je suis de ceux qui pensent que ce sont les institutions qui l’engendrent, qu’il faut changer et que l’éducation peut contribuer à ce changement.

Mais il est vrai que c’est une autre histoire.

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QU’EST-CE QUE L’ESPRIT CRITIQUE ?//////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////PHILIPPE LEGAULT | Philosophe

Cette simple plaisanterie échangée il y a plus de dix ans pendant une pause d’un cours sur les philosophes présocratiques résonne encore aujourd’hui dans mes oreilles. En fait, cette tirade échangée spontanément

entre un maître et son élève rejoint probablement l’es-sence de l’activité philosophique en tant qu’amour de la sagesse. N’a-t-on pas vu depuis les balbutiements de la philosophie et tout au long de son histoire un maître se faire critiquer par son élève : Thalès et Anaximandre, Platon et Aristote, Hume et Kant, dans une autre me-sure. Mais qu’est-ce donc que cette étrange activité que de désapprouver les idées du maître ? Qu’entend-on par cet esprit critique ?

Lorsqu’on tente de définir une notion, une démarche per-tinente et efficace consiste tout d’abord à exposer ce que cette chose n’est pas, donc son contraire…

On pourrait donc dire que l’antithèse de l’esprit critique serait un esprit crédule, docile, superficiel, faible, lourd, sans nuance, inflexible.

Puis à explorer la sagesse présente dans le langage pop-ulaire…

Le langage populaire semble octroyer au terme critique un aspect péjoratif que tout le monde a déjà entendu : «Tu me critiques tout le temps ! » ou « arrête de toujours critiquer!» C’est donc dire que rarement l’esprit critique fait l’unanimité. En fait, il va souvent à contre-courant. C’est un esprit rebelle et courageux qui ose déplaire, si nécessaire, dans sa quête de vérité. Le langage populaire nous renvoie également à l’idée d’ultimatum : « Le Qué-bec est dans un état critique! »

- JE ME MÉFIE DE VOUS, MONSIEUR DE KONINCK !- VOUS FAITES BIEN PHILIPPE !

Enfin, on se doit de vérifier convenablement l’étymologie derrière le mot…

Si l’on admet que l’esprit critique est celui qui fait preuve de pensée critique, il convient à la fois d’explorer l’éty-mologie des termes «pensée» et «critique».

La pensée est le produit de l’action de penser, du latin pensare qui renvoie à une pesée telle une balance qui ap-précie le juste poids des objets sur ses plateaux. Penser est donc une sorte de jugement.

Le terme « critique » étant relativement plus récent, son étymologie latine nous renseigne toutefois sur son acception médicale de stade critique qui rejoint l’idée d’ultimatum vue précédemment. Aussi, «critique» ren-voie au jugement. La pensée critique serait donc une sorte de pléonasme, un jugement sur le jugement; Criti-cus est l’action de juger des ouvrages de l’esprit, une sorte de métajugement. Cette découverte importante nous éclaire sur un élément fondamental de la pensée critique qui semble être essentiellement réflexive, en cela qu’elle effectue un retour sur elle-même. Enfin, ce retour, cette appréciation des pensées se fait également à l’aide de critères (criterium) qui assurent plus d’objectivité à notre jugement réflexif.

Fort de ce premier débroussaillage, tâchons maintenant de rassembler nos premiers matériaux enfin d’esquisser une première définition informelle de l’esprit critique….

L’esprit critique est donc celui qui fait usage de pensée critique c’est-à-dire, une pensée qui effectue un retour sur elle-même à l’aide de critères rationnels. C’est égale-ment une pensée autonome qui n’hésite pas à aller ques-tionner les normes, les opinions, les thèses et les dogmes antérieurs. Enfin, on pourrait la dire « ultime » dû à sa marche implacable et incessante vers le fond des choses, quitte à secouer nos institutions et nos échafaudages idéologiques.

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PHILIPPE LEGAULTPhilosophe

Permettons-nous une dernière digression à propos de quelques philosophes et de la no-tion d’esprit critique avant d’élaborer une définition formelle de notre notion….

Tant de philosophes ont traité sinon effleuré la notion de pensée critique qu’il m’est impossible de les inviter tous dans ces quelques pages. Toutefois, deux m’apparais-sent intéressants lorsqu’on aborde ce terrain : Kant et Lipman.

L’œuvre phare de Kant, la Critique de la raison pure, est probablement, comme son titre l’indique, un des archétypes de l’esprit critique tel que nous venons de le définir. Notre philosophe s’en prend à deux théories de la connaissance alors qu’il opère une révolution «copernicienne» de la pensée en secouant des thèses fortes faisant autorité à son époque. En outre, dans son célèbre essai Qu’est-ce que les Lumières? Kant nous convie à utiliser notre propre intelligence pour acquérir nos connaissances et, de ce fait, sortir de notre état de minorité en assumant une activ-ité intellectuelle autonome.

À notre époque, de notre côté de l’océan, Lipman bonifie également notre défi-nition de la pensée critique en la rendant à la fois autocorrectrice et sensible au contexte dans lequel nous nous retrouvons lors de nos jugements. L’esprit critique recherche donc la vérité dans les points de vue d’autrui tout en effectuant son pro-pre inventaire de croyances et d’opinions.

DÉFINITION FORMELLE

La pensée critique est donc une pensée autonome, autocorrective, réflexive, sensi-ble au contexte qui porte un jugement appréciatif à partir de critères rationnels sur d’autres pensées.

Enfin, nous dirions que dans une époque où l’affect est omniprésent dans les médias et sur les réseaux sociaux on ne saurait trop insister sur la formation de cet esprit critique qui assure une autonomie et une flexibilité intellectuelle pour relever les défis à venir qui sont intimement liés, il me semble, à la reconnaissance de l’autre et au bien commun. Exhortons-nous donc mutuellement à perpétuer cet esprit de critique dans nos classes afin que nos élèves remettent en doute nos pensées et les leurs…

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NOS ÉLÈVES PARLENT, MAIS DIALOGUENT-ILS DE FAÇON CRITIQUE?//////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////MARIE-FRANCE DANIEL Professeure titulaire, Université de Montréal et Chercheure, Groupe de recherche

sur l’éducation éthique et l’éthique en éducation (GRÉÉ)

Le programme d’éthique et culture religieuse vise, entre autres objectifs, la stimulation d’une pensée critique chez les élèves puisqu’il est désormais reconnu qu’une telle pensée contribue au développement et au main-

tien de la démocratie et des droits de la personne. Ici, le terme « critique » est entendu, bien sûr, dans son ac-ception constructive, et non dans un sens dénigrant ou négatif. Une pensée critique constructive est un acte ré-fléchi et logique, en ce qu’elle évalue les principes et les actions avant de porter un jugement d’appréciation sur ces principes et actions. Elle est aussi un acte créatif, car elle propose des relations originales et novatrices. Et elle est un acte responsable, en ce qu’elle vise l’amélioration de l’expérience individuelle et sociale.

La pensée critique n’est pas innée; pour se dévelop-per, elle doit être stimulée (Daniel, 2013). Comment les enseignants et les enseignantes peuvent-ils stimuler une pensée critique constructive chez les élèves? Il existe di-verses approches plus ou moins « techniques » qui sont très populaires. Cependant des études montrent que des approches constructivistes sont plus efficaces à long terme. Nommons, entre autres, la Philosophie pour en-fants (PPE) qui est basée sur le « dialogue critique » entre pairs.

Qu’est-ce qu’un dialogue? Tout échange est-il dia-

logique? Tout dialogue est-il critique? Des analyses menées dans plusieurs pays, auprès d’élèves du présco-laire et du primaire qui échangeaient entre eux durant une année scolaire à l’aide de la PPE, ont fait émerger cinq types d’échanges, allant du plus simple au plus com-plexe, que nous avons nommés l’anecdotique, le mono-logique, le dialogique non-critique, le dialogique qua-si-critique et le dialogique critique.

Dans la section suivante, nous décrivons ces types d’échanges (voir aussi Daniel, 2007) et proposons des

questions que l’enseignante ou l’enseignant peut poser aux élèves en vue de les faire progresser vers un échange dialogique critique.

ÉCHANGE ANECDOTIQUE

Selon nos analyses, l’échange est considéré anecdotique lorsque les jeunes parlent de façon non structurée à pro-pos de situations particulières qui leur sont personnelles. L’échange est alors une narration d’anecdotes person-nelles qui sont adressées à l’enseignante, et il est articulé au « je » ou au « mon/ma » ». Dans l’échange anecdot-ique, les élèves ne sont pas inscrits dans un processus de réflexion critique. De fait, ils ne sont pas engagés dans la résolution d’un problème commun, et leurs points de vue sont peu ou pas influencés par ceux des pairs. En somme, dans l’échange anecdotique, la classe se réduit à un groupe d’individus isolés (plutôt qu’à une microso-ciété ou encore une communauté de recherche). À noter qu’une majorité d’élèves, du préscolaire à la fin du sec-ondaire, a tendance à échanger de manière anecdotique lorsqu’elle n’est pas encadrée par l’enseignante ou l’ensei-gnant.

Pour aider les élèves à dépasser l’échange anecdotique, l’enseignante ou l’enseignant peut poser aux élèves des questions qui vont les aider à généraliser leurs propos. Par exemple : « Ce que tu dis à propos de toi, peut-il s’ap-pliquer à tous les enfants? À toutes les personnes? » ou encore « Ce que tu dis à propos de ton chien peut-il s’ap-pliquer à tous les chiens? À tous les animaux? À tous les êtres vivants? »

ÉCHANGE MONOLOGIQUE

L’autre type d’échange que nous avons observé dans les classes est appelé monologique. Les élèves se situent alors dans un processus de réflexion, mais orienté es-sentiellement vers la recherche de « la » bonne réponse.

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Leurs réponses sont indépendantes les unes des autres, comme si chacun poursuivait un monologue intérieur. Ainsi, l’échange monologique peut être réfléchi, intelli-gent, intéressant, mais il contribue peu à la complexifica-tion des représentations que les élèves se font du monde car il n’est pas basé sur l’écoute active ; il ne tient pas compte des points de vue des pairs. C’est pourtant par l’écoute de l’autre que les perspectives s’enrichissent, se nuancent, évoluent ; que les démocraties se dynamisent.

Pour aider les élèves à dépasser l’échange monologique et à accéder à l’échange dialogique, l’enseignante ou l’en-seignant peut, de manière régulière, rappeler aux élèves que dans un échange, il faut d’abord écouter et tenter de comprendre les points de vue des pairs avant de s’ex-primer : « Peux-tu reformuler ce que x vient de dire ? Comment peux-tu relier ton point de vue à ce qui vient d’être dit sur la question? » ou encore « Qui veut aider y à compléter son idée ? Qui peut ajouter quelque chose pour expliciter l’idée de y ? Qui peut donner un exemple pour clarifier le point de vue de x?

ÉCHANGE DIALOGIQUE NON-CRITIQUE

Un échange est dialogique lorsque les élèves construis-ent leurs interventions à partir de celles des pairs, qu’ils se respectent mutuellement et qu’ils s’investissent dans la réflexion en étant motivés par un problème commun à résoudre ensemble. Selon nos observations dans les classes, les enseignantes et les enseignants retirent beau-coup de satisfaction d’un échange dialogique entre les élèves. En effet, cette perspective met en lumière une pensée réfléchie et une pensée de la sollicitude, deux types de pensée relativement peu manifestés à l’école traditionnelle. Les élèves aussi retirent beaucoup de sat-isfaction de ce type d’échange; ils sont satisfaits de l’en-richissement collectif qui résulte de l’échange dialogique, et ils se sentent « intéressants » et « intelligents ».

Cependant un échange dialogique n’est pas néces-sairement critique. Dans un échange dialogique non-cri-tique les élèves ne négocient pas, ils ne remettent pas en question et ne nuancent pas les points de vue des pairs. Aussi, les perspectives des élèves risquent de stagner, et les représentations qu’ils se font du monde risquent de ne pas se complexifier. Par exemple, si un dialogue non-cri-

tique se construit à partir d’une erreur de jugement, d’une fausse interprétation, d’un préjugé négatif, etc., l’échange risque d’amplifier, de confirmer ou d’avaliser cette erreur de jugement, cette mauvaise interprétation, ce préjugé négatif.

Il convient donc que l’enseignante ou l’enseignant stimule les élèves vers un dialogue critique en posant régulièrement des questions comme celles-ci : « Qui peut apporter un contre-exemple? Qui peut apporter une nu-ance à … ? Quels sont les avantages et les désavantages de x (action, tradition, valeur)? Parmi les raisons que l’on vient de nommer, laquelle semble la plus appropriée, la plus utile…? Qu’arriverait-il si tout le monde faisait cette action? Est-ce que ce x (point de vue, comporte-ment, règle, valeur…) est acceptable dans tous les con-textes? Quelles sont les conséquences de x (point de vue, décision, comportement…) sur soi? sur les autres? sur la société? » Ces questions permettent aux élèves d’éviter les généralisations (qui sont une des sources de la vio-lence) et de nuancer leurs points de vue et perspectives. Ces questions guident les élèves vers une réflexion cri-tique, une réflexion éclairée de la situation, du fait, de la valeur. Par des questions de ce type, posées de manière régulière, les certitudes des élèves sont constamment mises au défi et la réflexion des élèves est stimulée vers un dialogue critique et une pensée critique dialogique.

ÉCHANGE DIALOGIQUE QUASI-CRITIQUE

Le processus pour accéder au dialogue critique est com-plexe; il exige du temps avant de s’installer dans la classe. Aussi, un échange dialogique intermédiaire a été observé dans les classes, que nous avons nommé quasi-critique. Dans un contexte d’interdépendance, certains élèves sont suffisamment critiques pour questionner les énoncés des pairs, mais il arrive que certains autres ne le soient pas suffisamment pour « entendre » la critique émise et se laisser influencer par elle. Des questions comme : « Comment le point de vue de x peut-il se relier au tien? Veux-tu modifier ou enrichir ton point de vue à partir des points de vue des pairs qui viennent d’être énoncés? » stimulent les élèves vers l’autocorrection les aide à com-prendre que de modifier un point de vue est constitutif d’une réflexion critique - et non représentatif d’une er-reur avouée, comme plusieurs le croient.

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ÉCHANGE DIALOGIQUE CRITIQUE

L’échange entre les élèves est appelé dialogique critique lorsque les élèves s’expri-ment au « elles/ils » ou au « nous », lorsqu’ils élaborent des relations divergentes avec les points de vue des pairs, recherchent la critique constructive en vue de trou-ver une solution fiable et valide. Nous avons observé que, dans un dialogue critique, les élèves sont inscrits dans un processus de recherche de sens (vs la recherche d’une vérité ou d’une bonne réponse), dans une recherche constante de la divergence des points de vue (vs la recherche de l’approbation de l’enseignante et des pairs). Le doute et l’incertitude ne créent pas de malaise chez les élèves, qui prennent plai-sir à formuler leurs énoncés sous forme d’hypothèses à vérifier (vs de conclusions fermées) et qui demeurent ouverts quant aux nouvelles possibilités, alternatives, solutions. En outre, il a été observé que dans un dialogue critique, l’évaluation des points de vue est motivée par des préoccupations éthiques (vs personnelles). CONCLUSION

En somme, nos résultats de recherche montrent que, sans être de nature distincte, l’échange de type dialogique critique est différent dans ses intentions et dans ses modalités des échanges de types anecdotique et monologique.

Le dialogue critique est un acte social complexe, qui présuppose et stimule une pensée critique constructive. C’est pourquoi il convient que les enseignantes et les enseignants s’investissent dans sa stimulation auprès des élèves.

RÉFÉRENCESDaniel, M.-F. (2013). Pensée critique : Pourquoi et comment faire progresser la pensée des élèves au-delà du relativisme. Diotime, Revue internationale de didactique de la philosophie, 57. http://www.educ-revues.fr/DIOTIME/AffichageDocument.aspx?iddoc=45119

Daniel, M.-F. (2007). Documentaire vidéo. Stimuler la pensée et le dialogue critiques chez les enfants de 5 ans.http://www.regardez.ca/penseecritique

MARIE-FRANCE DANIELProfesseure titulaire à

l’Université de Montréal etChercheure pour le Groupe de recherche

sur l’éducation éthique etl’éthique en éducation (GRÉÉ)

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LE DÉVELOPPEMENT DES PENSÉES CRITIQUE ETEMPATHIQUE DANS LE CONTEXTE POLITIQUE ACTUEL//////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////ANNE-MARIE DUCLOS | Doctorante en psychopédagogie, Université de Montréal

La suprématie mondiale des intérêts finan-ciers dans tous les secteurs de l’activité hu-maine prônée par l’idéologie néolibérale amène avec elle un enjeu de taille: la néces-sité de développer les pensées critique et em-

pathique nécessaires à un engagement citoyen. Comme le déplore Martha Nussbaum dans son ouvrage « Les émotions démocratiques : comment former le citoyen du XXIe siècle ? »1 (2011), la priorité accordée aux profits économiques nuit aux démocraties en les plaçant au sec-ond plan. Les conséquences se répercutent au niveau des droits et libertés non seulement individuels, mais aussi sociaux. Devant cet effritement des habiletés citoyennes et la fragilité de nos démocraties, il devient important de considérer des moyens pédagogiques qui favorisent les pensées critique et empathique. Comment est-il possible de penser ne pas négliger l’éducation des enfants et ado-lescents si celle-ci ne leur permet pas de développer et de pratiquer le raisonnement critique, la sensibilité aux au-tres et la pensée autonome? À cet effet, le Programme de formation de l’école québécoise2 (MELS, 2001) ne laisse sous-entendre d’aucune façon que les élèves du Québec devraient remettre en question l’idéologie dominante de notre époque et n’y propose aucune méthode explicite pour contrer la propagande et l’endoctrinement. Comme si la démocratie et nos droits et libertés étaient naturel-lement maintenus. Dans le contexte politique austère actuel, ceux-ci sont pourtant menacés. Sans apporter de solutions miracles aux problèmes de justice sociale qu’affrontent actuellement nos sociétés, nous proposons d’explorer le potentiel d’une approche pédagogique et philosophique approuvée par l’UNESCO3 pouvant être

utilisée en salle de classe pour expérimenter, réfléchir et pratiquer les habiletés démocratiques, soit le programme de Philosophie pour enfants de Matthew Lipman (PPE). La méthode et les fondements de la PPE ainsi que les liens avec la protection de la démocratie seront intro-duits dans le présent texte.

LA MÉTHODE DE PHILOSOPHIE POUR ENFANTS

Le programme de Philosophie pour enfants a été fondé par le philo¬sophe et professeur américain Matthew Lipman. Pour lui, certaines habiletés intellectuelles et sociales propres à l’engagement communautaire étaient considérées latentes et inexplorées. C’est pourquoi il a mis sur pied un programme permettant de développer certains types de pensées qui ne sont pas innés, mais qui doivent nécessairement être acquis. L’un des fondements majeurs du programme de Philosophie pour enfants est donc le développement des pensées critique, créatrice et empathique au moyen de la réflexion et du dialogue philosophiques entre pairs. Il ne s’agit pas d’apprendre aux enfants les œuvres des plus influents philosophes, mais de les placer en situation où ce sont eux qui phi-losophent sur les grandes questions de la vie. À cet effet, les enfants peuvent parfois être particulièrement impres-sionnants.

Le modèle de Lipman comporte 4 étapes principales: la lecture d’un conte philosophique, la période de questions et du vote, le dialogue et l’autoévaluation. La lecture d’un conte philosophique constitue une amorce ou un stimu-lus pour engager une discussion à visée philosophique.

1 Nussbaum, M. (2011). Les émotions démocratiques : comment former le citoyen du XXIe siècle ? Paris : Climats.2 Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2001). Programme de formation de l’école québécoise, Éducation préscolaire, Enseignement pri-maire. Québec: Gouvernement du Québec.3 UNESCO (2011). L’enseignement de la philosophie en Europe et en Amérique du Nord. Paris, Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture. Repéré à: http://unesdoc.unesco.org/images/0021/002140/214090f.pdf

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Notons qu’un conte philosophique ne comporte ni de morale à la fin de l’histoire, ni de vérités prédéterminées ou de règles de conduite déjà toutes tracées. À l’opposé, le conte philosophique doit être porteur de tensions ou de conflits de valeurs afin de développer la pensée critique, créatrice et affective. Il doit susciter la réflexion critique axée sur des questions complexes, des dilemmes et des sujets contestables. Par exemple, un conte philosophique peut présenter un groupe qui exclut un membre parce qu’il est différent d’eux ou introduire des concepts liés à la violence, à la justice ou à la pauvreté, teintés de par-adoxes, comme le sont d’ailleurs les situations de la vie courante.

Lors de la deuxième étape, les participants posent des questions sur ce qui les a marqués ou touchés par rap-port à l’histoire et votent pour la question qui les intéres-se, par exemple: en quoi notre société est-elle tolérante ou juste? Comment agit une personne violente? Quels genres d’actions un citoyen engagé pose-t-il?

Le dialogue en communauté de recherche représente le cœur de l’expérience lipmanienne. C’est à cette étape que les membres de la communauté de recherche ap-prennent à développer, à structurer et à exercer leurs pensées en jouant avec les idées, les concepts, les raisons et les arguments, tout cela, enrichi des interventions des autres. L’enseignant animateur demeure un guide dans cette discussion entre élèves. La pratique d’une commu-nauté de recherche, dans sa forme et dans son contenu, permet de mettre en action des vertus, des concepts et des habiletés démocratiques par une approche pragma-tiste et socioconstructiviste.

En réfléchissant à des questions philosophiques, les participants sont appelés à examiner la significa-tion de différentes conduites en lien avec les valeurs et les normes favorisées dans une société. L’apprentissage d’un dialogue empreint d’écoute, de discernement et de participation active de la part de tous ses membres est nécessaire pour Lipman. La compétence au dialogue fait appel à trois composantes : organiser sa pensée; colla-borer avec les autres; et élaborer un point de vue plus complexe, enrichi des interventions des pairs.

À la dernière étape, l’animateur ou l’animatrice de Philosophie pour enfants invite les participants à s’au-toévaluer en lien avec le développement de différentes habiletés intellectuelles et/ou sociales en fonction du groupe. On peut par exemple demander: « Est-ce qu’on a bien écouté et accepté les idées des autres? », « Est-ce qu’on a fait preuve de tolérance durant la discussion? », « A-t-on dégagé des présupposés; défini des critères; proposé des hypothèses? », etc. Les recherches ont démontré les bénéfices de cette méthode pédagogique et philosophique chez les enfants et les adolescents et elle est maintenant instaurée dans plus de 50 pays à travers le monde. Il convient donc de considérer son introduction dans notre cursus québécois.

LES FONDEMENTS DE LA PHILOSOPHIE POUR ENFANTS

Bien entendu, se positionner et agir en faveur de la jus-tice ou de l’égalité, par exemple, demande d’abord que l’on se soit questionné de manière profonde sur ces thèmes en exerçant sa sensibilité et son raisonnement critique. Pour Lipman4, ces qualités sont non seulement utiles à la connaissance de soi, mais indispensables à la vie en société puisqu’en explorant des concepts cruciaux et significatifs entre pairs, les enfants développent l’ex-amen de conscience nécessaire pour prendre position sur divers problèmes et reconnaître l’impact de ces prises de position sur la société. Il importe de mentionner que la pensée critique à elle seule serait incomplète dans une perspective de développement citoyen démocratique. En effet, comment serait-il possible de vivre ensemble dans une société où tous et toutes doivent être pris en compte et respectés si cette sensibilité à l’autre n’est pas cultivée? La pensée empathique pourrait être définie comme la ca-pacité à nous imaginer à la place de l’autre, de ses pensées et de ses émotions, même si ces pensées et émotions ne sont pas celles dont nous faisons l’expérience. C’est une sensibilité par rapport aux autres et au monde qui nous entoure. De plus, l’engagement social implique de penser au-delà de soi et d’imaginer sa communauté comme un tout où il est essentiel d’agir de façon responsable, nota-mment par l’implication sociale et politique.

4 Lipman, M. (2011). À l’école de la pensée : enseigner une pensée holistique. (3e éd.). Bruxelles : De Boeck.

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La promotion de la démocratie représente un second fondement de la méthode de Philosophie pour enfants puisque tous les participants sont appelés à interagir entre eux et à produire des réflexions communes qui dépassent ce que chacun peut penser individuellement. Ils transcendent l’étroitesse d’esprit propre à l’individual-isme en cultivant leur ouverture et leur sensibilité à l’autre. Les enfants et adoles-cents aiguisent donc leur capacité de raisonnement tout en cultivant des habiletés démocratiques telles que l’empathie, la collaboration, l’entraide et la tolérance.

Finalement, le programme de PPE est basé sur des valeurs universelles comme l’égalité, la justice, la liberté. Ces valeurs guident le fond et la forme des discussions philosophiques. Bref, la pratique de la PPE amène à penser, à structurer et à exercer sa pensée en jouant avec les idées, les concepts, les raisons et les arguments, et ce, dans un climat de respect et d’écoute.

LA RECHERCHE DES PROFITS VERSUS L’ENGAGEMENT CITOYEN

L’éducation ne peut plus se baser que sur les profits, mais doit former des citoyens responsables et politiquement engagés. Cette obsession de la financiarisation de l’économie prônée par les néolibéraux réduit les possibilités pour les enfants de développer les habiletés intellectuelles et sociales propres à un agir citoyen. Pour Maughn Gregory5, le manque de pensée critique mène à une perte d’autonomie de l’être humain puisque les personnes qui sont incapables d’analyser et d’évaluer ce qu’elles vivent et entendent deviennent facilement des victimes des intentions poli-tiques des classes dominantes. Le programme de Philosophie pour enfants permet un dialogue qui nous amène à nous prémunir des effets du moralisme, à identifier les sophismes et à réinventer ce qui est imposé de l’extérieur. En ce sens, il importe d’acquérir les pensées critique et empathique afin de mieux comprendre les enjeux éthiques d’une situation, de faire des choix judicieux en tant que société et de passer à l’action de manière autonome et responsable. Dans ce contexte politique d’aus-térité, n’est-il pas temps d’agir?

5 Gregory, M. (2011). Philosophy for Children and its Critics: A Mendham Dialogue. Journal of Philosophy of Education, 45(2), 199-219.

ANNE-MARIE DUCLOSDoctorante en psychopédagogie

Université de Montréal

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LE JUGEMENT CRITIQUE EN ÉTHIQUE ET CULTURE RELIGEUSE//////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////PIERRE LUCIER Chercheur associé à la Chaire Fernand-Dumont sur la culture de l’INRS et

professeur invité au Département de sciences des religions de l’UQAM

Qu’en est-il de l’exercice du jugement critique en Éthique et culture religieuse? Cette visée est-elle com-patible avec le respect des appartenances personnelles et familiales des élèves? Est-elle cohérente avec une posture professionnelle dont on dit qu’elle doit être impartiale –ou même «neutre», comme on le traduit couramment? Au fait, ce dont il s’agit ici est-il vraiment clair?

La question est complexe. D’une part, en effet, le Programme de formation de l’école québé-coise considère «l’exercice du jugement cri-tique» comme une des compétences transver-sales de l’ensemble de la formation scolaire.

Plus même, la première compétence professionnelle attendue des enseignants est d’être «héritier, critique et interprète d’objets de savoir ou de culture» (La forma-tion à l’enseignement. Les orientations. Les compétences professionnelles). D’autre part, c’est justement autour de cette visée critique que des adversaires du programme ÉCR ont tenté de capitaliser, s’inquiétant de ce que les jeunes puissent être incités à adopter des attitudes cri-tiques et relativistes envers cela même qu’on s’emploi-erait par ailleurs à leur présenter comme absolu, comme «la» vérité en religion et en éthique.

Il faut dire que le mot «critique» est lui-même porteur d’une polysémie qui ne compte pas pour peu dans les débats qu’on vient d’évoquer. Dans la langue populaire, en effet, «critiquer» est souvent synonyme de «juger négativement», de «descendre», de «démolir». Il y a des traces de ces connotations négatives dans l’image qu’on se fait souvent du «critique d’art», voire du «critique de l’Opposition» : des objecteurs et des opposants, laisse-t-on entendre, dont le travail consisterait à faire ressortir tout ce qu’il y a d’inadéquat ou de fautif dans la perfor-mance analysée, à «se camper contre», à «râler», à «pi-cosser», à éreinter si possible.

Dans le sillage de la langue universitaire courante, les concepteurs et les rédacteurs du Programme de forma-tion de l’école québécoise et de La formation à l’enseigne-ment ont manifestement puisé à d’autres sources et ont adopté un sens plus large et plus fondamental du mot «critique». Issue de la même source grecque (κρίσις / cri-sis), la «critique» est synonyme de «discernement»; un moment de «crise» est un moment de tri, une croisée de chemins. Critiquer, c’est dès lors cerner, distinguer, sépar-er, mettre à distance pour se faire une idée juste, pour fonder son jugement et, ultimement, pour comprendre par le fond des choses, pour décider par soi-même et en connaissance de cause. Tout le contraire d’une approche positivement ou négativement promotionnelle.

En éthique, le programme ÉCR s’est explicitement et systématiquement affranchi du «positionnement mor-al», le «prendre position» naguère recherché et promu en enseignement moral confessionnel ou non confes-sionnel. Il propose plutôt de «réfléchir sur» des ques-tions éthiques, une compétence dont les composantes consistent à analyser, à évaluer des options, à examiner des possibles. Ce sont assurément là des dimensions qui sont de l’ordre de la «critique»: mise à distance, mise en relation, distinction, discernement. Progressivement au cours des années, cet apprentissage produit naturelle-ment une certaine relativisation des objets analysés –les situations, les repères, les valeurs, les normes, les usages, les options possibles. Mais rien qui puisse se confondre avec la réfutation, le rejet ou la «descente en flammes», encore moins en fournir la légitimation. Prendre du re-cul pour comprendre, pour mieux saisir les tenants et aboutissants des valeurs, des normes et des usages, n’est-ce pas même une condition nécessaire pour d’éventuelles adhésions réfléchies et éclairées?

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PIERRE LUCIERChercheur associé à la Chaire

Fernand-Dumont sur la culture de l’INRS et professeur invité au

Département de sciences desreligions de l’UQAM

En culture religieuse, le programme ÉCR vise la «compréhension du phénomène religieux» à partir du repérage et de la lecture des «expressions» du religieux : mettre ces expressions du religieux en contexte, établir des liens entre ces expressions et l’environnement social et culturel, examiner diverses façons de penser et d’agir, ainsi que le déclinent les composantes de la compétence. L’objectif n’est pas de convaincre ou d’inciter à des attitudes ou à des pratiques, ou même de «faire apprécier», mais pas davantage d’en dissuader ou d’en détourner : quoi qu’elle puisse viser, la «prédi-cation» est ici exclue. On s’emploie plutôt à analyser le phénomène religieux et ses signes, à saisir les dynamiques qui le portent pour les quêtes humaines du sens et de l’action, à le «situer», à le mettre en contexte. Là encore, progressivement selon l’âge des élèves, une distance s’établit vis-à-vis du fait religieux –oui, une certaine «relativisation»-, dans la mesure même où on s’applique à en explorer les diverses dimensions -«expérientielle, historique, doctrinale, morale, rituelle, littéraire, artis-tique, sociale ou politique», mentionne le programme (20/518). Cerner, distinguer, discerner, situer : rien qui suggère ici quelque travail de sape.

En pratique du dialogue, cette compétence charnière du programme ÉCR, on évolue aussi dans les perspectives de la distance critique. Nuancer et justifier ses interventions, identifier les obstacles au dialogue et les pièges de l’anti-dialogue, traiter de questions complexes avec ouverture et respect, et sans jouer les mata-mores, prendre conscience de ses propres façons de dialoguer : la critique se fait ici autocritique. C’est d’ailleurs par le biais de la pratique du dialogue que la présenta-tion officielle du programme donne un exemple des relations entre le programme ÉCR et la compétence transversale «exercer son jugement critique» (5/503). En fait, comme on l’a suggéré ici, les trois compétences du programme entretiennent des liens serrés et structurants avec cette compétence transversale.

Les mots font parfois peur, et bien des approximations ont circulé autour du jugement critique à pratiquer en ÉCR. Rien ne justifierait pour autant que l’on s’em-ploie à atténuer ou à occulter l’importante contribution du programme ÉCR à l’ap-prentissage de l’exercice du jugement critique qui est au cœur de Programme de formation de l’école québécoise et du profil idéal attendu des enseignants. En pour-suivant l’acquisition des trois compétences qui lui sont assignées, le programme ÉCR est solidement établi dans la dynamique de l’intelligence critique. Et, en ac-complissant son travail selon la posture d’impartialité et de réserve qu’on lui de-mande, l’enseignant réalise aussi clairement son incessible mission d’«héritier, de critique et d’interprète». Cela n’a rien à voir avec des élèves qui deviendraient des «opposants» ou avec des maîtres qui imposeraient leurs convictions ou leurs «bi-bittes» personnelles. Il faut le redire avec assurance: le programme ÉCR suppose et développe l’exercice du jugement critique, ce chemin le plus sûr vers la liberté, ce rempart le plus puissant contre tous les fanatismes.

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MÉDIAS ET PENSÉE CRITIQUE : DÉFIS ET STRATÉGIES//////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////MATHEIU GAGNON | Professeur à la Faculté d’Éducation de l’Université de Sherbrooke

Selon diverses études, les jeunes seraient exposés à une consommation quotidienne de médias dépassant les 7 heures (Giroux et al., 2014). Bien entendu, dans ce contexte, le terme médias cou-vre un large spectre, allant du cinéma et de la

télévision, à la musique, en passant par l’affichage public-itaire, la radio, la presse écrite, les jeux vidéo et Internet (tant dans sa dimension informative qu’interactive — Web 2.0). À cet égard, en faisant des Médias un domaine général de formation (DGF) (MÉQ, 2001; MELS, 2006), le Ministère considère ceux-ci comme étant un objet sur lequel devraient porter les interventions éducatives, et ce, tant à l’intérieur des domaines d’apprentissage qu’à l’«extérieur» de ceux-ci, dans le cadre de projets inter-disciplinaires ou éducatifs au sens large. Toujours pour le Ministère, l’intention éducative poursuivie par le DGF Médias consiste à «[a]mener l’élève à faire preuve de sens critique, éthique [nous soulignons] et esthétique à l’égard des médias» (MELS, 2006, p. 27).

À la lumière de l’intention éducative poursuivie par le DGF Médias, il ressort clairement que le programme d’Éthique et Culture Religieuse (PÉCR) représente l’un des points d’ancrage privilégié de sa mise en œuvre. En effet, non seulement la dimension éthique est au cœur de ce DGF, mais la perspective critique constitue l’assise tant des relations que devraient entretenir les élèves avec les médias que de la réflexion éthique elle-même. Rappelons à cet égard que le Ministère définit l’éthique comme étant une «réflexion critique [nous soulignons] sur la significa-tion des conduites ainsi que sur les valeurs et les normes que se donnent les membres d’une société ou d’un groupe pour guider et réguler leurs actions» (MELS, 2008, p. 1 [499]). Dès lors, la question se pose : quelle forme cette réflexion critique face aux médias peut-elle prendre? Quelles sont les perspectives à partir desquelles il devient possible d’engager des processus de réflexion critique à l’égard des médias dans le cadre du PÉCR? Mais d’abord, avant d’aborder plus spécifiquement ces questions, préci-sons ce que nous entendons par «pensée critique».

PRÉCISIONS SUR NOTRE CONCEPTION DE LA PENSÉE CRITIQUE

La définition de la pensée critique à partir de laquelle nous articulons nos réflexions est la suivante (Gagnon, 2011, p. 125):

«La pensée critique est une pratique évaluative et justificative fondée sur une démarche réflexive, autocritique et autocorrectrice impliquant le re-cours à différentes ressources (connaissances, ha-biletés de pensée, attitudes, personnes, informa-tion, matériel, etc.) dans le but de déterminer ce qu’il y a raisonnablement lieu de croire (concep-tions épistémologiques) ou de faire (interventions d’ordre méthodologique et éthique) en considérant attentivement les critères de choix et les diversités contextuelles.»

Cette définition met clairement l’accent sur l’idée de pratique, de manière à bien ancrer le fait que la pensée critique puisse être examinée sous l’angle d’un proces-sus, idéalement interactif, et que cette pratique critique doive être intimement liée aux sources externes d’infor-mation auxquelles se rapportent directement les médias. Cette définition met également en évidence la dimen-sion éthique de la pensée critique dans la mesure où elle s’accorde avec les idées de mieux vivre-ensemble ainsi que de la poursuite du bien commun véhiculées dans le PFÉQ et plus particulièrement dans le PÉCR.

Alors, de quelle manière est-il possible d’articuler ce regard critique dans les relations que les élèves entreti-ennent avec les différents médias? À ce sujet, au moins deux axes d’intervention éducative peuvent être dégagés, à savoir : 1) les médias comme sources d’informations et comme véhicules de représentations sociales; 2) les mé-dias comme lieux d’interactions sociales. Prenons soin d’examiner de plus près ces deux axes.

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LES MÉDIAS COMME SOURCES D’INFORMA-TION ET VÉHICULES DE REPRÉSENTATIONS SOCIALES : QUELS SONT LES APPORTS DE LA PENSÉE CRITIQUE EN ÉCR?

Si les sources externes d’informations sont des ressourc-es pour les compétences et que la pensée critique est con-sidérée comme une compétence, il en ressort que l’in-formation constitue une ressource pour l’exercice d’une pensée critique. Or, dans ce cas, le rapport aux sources d’informations impose d’y porter un regard évaluatif. Il ne s’agit donc pas de prendre n’importe quelle informa-tion, ni n’importe comment, pour produire un jugement qui soit qualifié de critique. Encore faut-il que cette mo-bilisation soit structurée par une démarche visant à dé-terminer le niveau de pertinence et de crédibilité des in-formations mobilisées, et cela ne peut se faire autrement que par l’exercice d’une pensée critique.

Cela est bien connu ; à l’ère du numérique, l’accessibil-ité aux informations est plus grande et plus rapide qu’elle ne l’a jamais été, celles-ci nous proviennent de sources extrêmement variées et possèdent un niveau de crédibil-ité tout aussi varié. À cela s’ajoute que la source princi-pale d’information, et ce tant pour les jeunes que pour les adultes, demeure Internet. Dans ce contexte, il devient impératif d’outiller les élèves afin qu’ils soient en mesure de juger, de manière critique, de la qualité des sources qu’ils utilisent. Il devient dès lors précieux d’engager les élèves dans des démarches de recherche et d’évaluation de l’information. Pour ce faire, certains critères et questions peuvent contribuer à guider les jeunes. D’abord, il faut se demander qui sont les auteurs, quelle est leur formation et si cette dernière est en lien avec l’objet traité. Ensuite, quelle est la nature des informations présentées? S’agit-il d’opinions ou de faits? Si l’information est présentée comme des faits, comment ceux-ci ont-ils été établis? Les processus ayant mené à la diffusion de ces faits sont-ils fiables? Contiennent-ils des limites? Quelles sont les in-tentions poursuivies par les auteurs? Appartiennent-ils à un groupe de pression? Sont-ils commandités? Quels types d’arguments sont présentés? Les auteurs font-ils appel à des sophismes (c’est-à-dire aux procédés suscep-tibles d’entraver le dialogue dans le PÉCR)? Est-il pos-sible de contrevérifier ces informations? Des références sont-elles fournies? L’information est-elle à jour? Etc.

Si cette dimension du regard critique porté sur les sources externes d’information nous apparaît particu-lièrement important en ÉCR, c’est notamment parce que les questions éthiques présentent un riche potentiel inter-disciplinaire. D’ailleurs, la plupart des enjeux actuels ne prennent réellement sens qu’une fois inscrits à l’intérieur de questionnements éthiques. Ainsi, les cours d’ÉCR représentent des lieux dans et par lesquels il est possible de mettre en œuvre des activités interdisciplinaires, en recourant par exemple à des îlots interdisciplinaires de rationalité (Gagnon, 2010), qui conduiront les élèves à exercer leur pensée critique devant l’information.

En outre, les médias sont des véhicules de représenta-tions sociales face auxquelles il convient de mobiliser une pensée critique. Il suffit de penser à l’image de la femme, et parfois même de l’homme, qui est véhiculée dans les campagnes publicitaires, les films, les vidéoclips ou en-core les jeux vidéo pour nous convaincre de l’importance d’engager des réflexions critiques avec les élèves face aux médias. Il en va de même pour les religions et les guides spirituels dont le portrait peut être dessiné de telle sorte que les médias contribuent, parfois, à véhiculer davan-tage de préjugés et de stéréotypes que de l’information juste et nuancée. À cet égard, les éléments de contenu associés à la compétence 3 du PÉCR, et plus particu-lièrement ceux se rapportant aux procédés susceptibles d’entraver le dialogue (qui sont autant de sophismes) constituent des leviers particulièrement intéressants pour inviter les élèves à porter un regard critique sur les manières dont les médias traitent parfois l’information.

LES MÉDIAS COMME LIEUX D’INTERACTIONS SOCIALES : QUELS SONT LES APPORTS DE LA PENSÉE CRITIQUE EN ÉCR?

Depuis l’avènement du Web 2.0, les médias sont devenus, par le biais des réseaux sociaux, des lieux d’interactions sociales. Ces nouveaux lieux d’échange soulèvent de nombreux enjeux éthiques, notamment sous l’angle des conduites à adopter sur ces plateformes. Le Web 2.0 doit-il se soustraire à toutes les normes guidant notre agir? Y a-t-il des règles à respecter? Lesquelles? Comment les établir, en fonction de quels critères? À cet égard, les cours d’éthique peuvent sans conteste contribuer de manière significative au développement de la pensée cri-

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tique des élèves, que ce soit par le biais d’études de cas, de situations d’apprentissage par problèmes ou même par le recours aux dialogues philosophiques.

Le Web 2.0 est désormais considéré comme le 4e pou-voir, un pouvoir qui contribue directement à influencer l’opinion publique ainsi qu’à organiser des rassemblem-ents. Ce nouveau pouvoir soulève des enjeux éthiques et politiques importants. Pensons, par exemple, au printemps arabe et au printemps érable qui, sans les ré-seaux sociaux, n’auraient pas eu une telle ampleur. À cela s’ajoute l’extraordinaire potentiel de captation (photos et vidéos) et de diffusion des outils technologiques, et avec lui, des questions fondamentales touchant, notamment, le respect de la vie privée et la nétiquette en général. Les cas à partir desquels il est possible d’engager des réflex-ions critiques sur les règles devant guider notre agir face à de telles possibilités sont nombreux. À titre d’exem-ple, nous pourrions nous demander s’il est acceptable de prendre des clichés des gens et de les diffuser sur les réseaux sociaux sans leur consentement. Quels types d’images ou de vidéos (que ce soit de soi-même ou des autres) est-il approprié de diffuser? Quels impacts ces diffusions peuvent-elles avoir sur soi ou sur les autres? Comment juger de ce qu’il est préférable de ne pas dif-fuser, comme message ou commentaire, sur les réseaux sociaux? Quelles conduites adopter face aux autres sur les réseaux sociaux? Dès que nous sommes à l’extérieur de notre domicile, sachant que nous pouvons à tout mo-ment être filmés, notre vie devient-elle publique? Quelles conduites adopter au quotidien face à cette possibilité constante d’être capté sur un appareil mobile?

Dans tous les cas, il s’agit d’entreprendre des réflexions avec les élèves qui visent à déterminer des critères de choix, à porter une attention aux contextes, à examiner les conséquences possibles, à évaluer ses propres actions et à les corriger au besoin ainsi qu’à déterminer ce qu’il y a raisonnablement lieu de faire… En ce sens, les cours d’ÉCR ont un rôle important à jouer dans les manières dont les élèves construiront un regard critique face aux différents médias et aux enjeux éthiques que soulève leur utilisation.

MATHIEU GAGNONProfesseur à la Faculté d’Éducation de

l’Université de Sherbrooke

DÉVELOPPER LA PENSÉE CRITIQUE FACE AUX MÉDIAS EN ÉCR : UN DÉFI QUI DEMEURE ENTIER

Comme nous l’avons vu, les enjeux liés à la dimension éthique face aux médias sont nombreux. À cela s’ajoute le fait que peu d’espace soit consacré, au final, à l’exam-en de ce qu’est la pensée critique et des moyens pour la développer dans le cadre des formations initiale et con-tinue des enseignants. Et pour ajouter aux défis, notons que lors d’une recherche récente dans le cadre de laquelle nous avons questionné plus de 300 étudiants en ensei-gnement, 70% à 85% d’entre eux étaient d’avis qu’il ne revenait pas à l’école d’éduquer les élèves à propos de la nétiquette (éthique du Net), à propos des conduites à adopter sur les réseaux sociaux ou à propos de la cy-berintimidation (Giroux et al., 2014). Ces résultats sont troublants et nous indiquent qu’il y a encore beaucoup de travail à accomplir pour restituer toute l’importance de l’éthique dans la formation des élèves, un domaine qui, malheureusement, semble toujours trop négligé par rapport aux autres…

RÉFÉRENCESGagnon, M. (2010). Réfléchir en îlot interdisciplinaire de rationalité autour de questions éthiques : les enjeux de la complexité, du jugement critique et des rapports aux savoirs. In N. Bouchard et M.-F. Daniel (dir.). Réflexions di-alogiques sur l’éducation éthique, Québec : Presses de l’Université du Québec, 77 – 98.

Gagnon, M. (2011). Proposition d’une grille d’analyse des pratiques critiques d’élèves en situation de résolution de problèmes dits complexes. Revue Re-cherches Qualitatives, 30(2), 122 – 147.

Giroux, P., Gagnon, M., Gremion, C. et Heinzen, S. (2014). Regard de futurs enseignants sur l’importance des compétences TIC (Internet) pour les jeunes et la responsabilité de divers intervenants à cet égard.

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UTILISATION DE LA LITTÉRATURE AFIN DE RÉFLÉCHIR À DES QUESTIONS ÉTHIQUES ET DE DÉVELOPPER L’ESPRIT CRITIQUE : LES RESSOURCES DE LIVRES OUVERTS//////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////RACHEL DEROY-RINGUETTE | Collaboratrice au site Livres ouverts

Si l’utilisation de la littérature va de soi pour développer les compétences des élèves dans la discipline Français, langue d’enseignement, il en est différemment dans les autres disciplines. Afin de faciliter la recherche de ressources lit-

téraires dans les diverses disciplines du Programme de formation de l’école québécoise (PFÉQ), l’équipe de Livres ouverts (www.livresouverts.qc.ca) a conçu la sec-tion « Lecture dans toutes les disciplines » . Cette section du site Internet offre des bibliographies de titres sélec-tionnés pour répondre au contenu du PFÉQ et à celui des documents sur la progression des apprentissages, et ce, tant pour le primaire que pour le secondaire. Cet arti-cle portera sur l’utilisation de la littérature pour soutenir l’application du programme d’ÉCR, plus précisément les compétences « Réfléchir sur des questions éthiques » et « Pratiquer le dialogue », ainsi que le développement de l’esprit critique.

L’utilisation d’ouvrages littéraires en classe d’ÉCR s’avère un choix judicieux puisque la littérature présente des personnages et des situations à partir desquels les élèves, éveillés à de nouvelles perspectives, s’identifient et apprennent à penser autrement. Les enseignants qui désirent faire réfléchir à des questions éthiques et pra-tiquer le dialogue par le biais de la littérature doivent notamment, à l’aide de l’onglet « Lecture dans toutes les disciplines » du site Livres ouverts :

1) choisir au moins un livre adapté à leur lectorat

2) repérer la thématique (les mots-clés des notices complètes des titres choisis orientent ce repérage)3) formuler des questions éthiques portant sur les personnages et les situations vécues afin de guider la discussion avec les élèves (les pistes d’exploration proposées facilitent cette tâche)4) confronter ce livre à différents points de vue ou repères, que ce soit d’autres livres, des articles de jour-naux, des faits d’actualité, etc.

Il est à noter que dans sa sélection générale, Livres ou-verts se fait un devoir de choisir des textes illustrant div-ers points de vue. Selon la politique du site :

«Les livres traitent une grande variété de sujets et de thèmes, ils offrent une multitude de connaissances sur le monde et ils proposent de nombreuses voies de réflexion sur soi, sur son entourage et sur les sociétés. À travers les lieux et les époques, les livres donnent un accès privilégié aux patrimoines littéraires, artistiques, culturels et scien-tifiques. […] En lisant régulièrement et de manière signif-icative, ils [les élèves] poursuivent activement différentes facettes de leur formation (p.4).»

Conséquemment, en s’interrogeant sur les actions posées par les personnages rencontrés au fil de leurs lectures, en réfléchissant à la portée des œuvres lues, les élèves, au contact avec une multiplicité de points de vue sur un même sujet, enrichissent leur compréhension de concepts clés et s’approprient les outils nécessaires au développement de l’esprit critique. En effet, en se référant à Caroti (2010), l’esprit critique est « l’état d’es-prit que le penseur critique doit toujours adopter lor-squ’il est confronté à une nouvelle source d’information ». C’est en favorisant une attitude ouverte chez les jeunes et en les confrontant souvent à une diversité de situa-tions présentées dans les œuvres qu’ils aiguiseront leur esprit critique, tant par ces nouvelles lectures, que par les discussions qu’elles susciteront.

IL SEMBLE PLUS FRUCTUEUX DE CHERCHERLA CONFRONTATION ET LE CÔTOIEMENTDE LIVRES PRÉSENTANT DES POINTS DEVUE DIFFÉRENTS, VOIRE OPPOSÉS, PLUTÔTQU’UNE IMPOSSIBLE NEUTRALITÉPratte, 2012, p.143

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D’après Baillargeon (in Noël, 2014) : « on ne peut pas avoir une pensée critique sur un sujet qu’on ne connaît pas ». Ainsi, plusieurs ouvrages littéraires, en présentant des situations concrètes, bien que fictives, permettent d’établir des bases de connaissances et de discussion sur plusieurs concepts. La littérature devient alors un moyen privilégié d’explorer différents repères et façons d’entre-voir un contenu de formation. Pour exemplifier ce pro-pos, le concept de la liberté sera exploré à travers trois ouvrages.

Le premier, Le Journal de guerre d’Émilio, met en scène Émilio, un enfant-soldat recruté contre son gré par des révolutionnaires. Par ce docu-fiction, l’enseignant accompagne les élèves dans la découverte de la dualité qui oppose la liberté individuelle, brimée, de l’enfant et la liberté du peuple, portée par la guérilla. Ce livre peut également mener à des réflexions et à des questionne-ments liés à des faits d’actualité et, ayant lu le récit fictif d’Émilio, les élèves seront davantage en mesure d’user d’esprit critique lorsqu’ils les commenteront.

Le second récit, L’île aux lapins, permet de jeter un re-gard différent sur la liberté. Dans cet album, les élèves font la rencontre de deux lapins d’un élevage de masse. Ignorant ce que l’avenir leur réserve, les animaux déci-dent de s’enfuir. Au fil du récit, il apparaît que l’un est épris de liberté, tandis que l’autre se remémore le confort de la captivité. Puisque les deux personnages choisissent un sort différent, sans pourtant avoir toutes les informa-tions nécessaires pour faire un choix judicieux, l’ouvrage invite à traiter des notions qui sous-tendent le libre arbi-tre. À l’aide de cet album, l’enseignant et ses élèves peu-

vent soulever des questions éthiques, analyser les points de vue des deux lapins quant à leurs choix respectifs et en discuter de manière critique.

Finalement, le court album Demain, je reviendrai per-met de travailler la liberté sous une double perspective. En premier lieu, le récit dépeint les réflexions et les ac-tions d’un immigrant fuyant sa terre natale pour, vrais-emblablement, gagner l’Occident. Les élèves découvrent peu à peu les diverses raisons qui le poussent à fuir et les motivations qui le guident vers des terres qui lui sem-blent plus libres et justes. Le personnage mentionne, no-tamment : « Je veux la liberté de vivre et de faire vivre ma famille ». En second lieu, les difficultés rencontrées lors de la parution de l’ouvrage et relatées dans le rabat de la 4e de couverture peuvent aussi inspirer des pistes de dis-cussion sur la liberté. En effet, l’album aurait dû être pub-lié en tant que lauréat d’un concours littéraire en 2008. Or, le prix n’a finalement pas été attribué en raison du traitement du sujet par son auteure. Ce n’est qu’en 2013 que le livre paraît aux éditions L’atelier du poisson solu-ble, de concert avec le Réseau Éducation Sans Frontières. Dans cette double perspective, Demain, je reviendrai permet de traiter de la quête de liberté des immigrants illégaux et de la liberté d’expression par la publication re-tardée du livre.

Ces trois exemples démontrent la richesse de la lit-térature pour explorer le concept de liberté, que les livres soient lus ensemble ou séparément, reliés entre eux ou à d’autres sources (films, articles de journaux, etc.) afin de soutenir le développement de l’esprit critique chez les élèves.

Utilisez-vous des romans ou des albums dans votre enseignement de l’ÉCR ? Pourquoi ? Si oui, quels sont alors vos objectifs et quels en sont les résultats ?

Avez-vous déjà fait un projet interdisciplinaire avec les enseignants de français en lien avec la littérature ? Si oui, racontez-nous ! Sinon, pourriez-vous éventuellement le faire et pourquoi ?

DIALOGUONS

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LIVRES DE LITTÉRATURE JEUNESSE CITÉSEpenoy, Karine (2013), Demain, je reviendrai, Le Puy-en-Veley : L’atelier du poisson soluble; Paris : RESF

Jacob, André (2013), Le journal de guerre d’Émilio, Montréal : Isatis

Steiner, Jörg (2005, c1977), L’île aux lapins, Namur : Mijade

RÉFÉRENCESCaroti, Denis (2010). Pensée critique? Esprit critique? Un peu de théorieRepéré à : http://cortecs.org/cours/pensee-critique/, consulté le 7 mai 2015

Livres ouverts, Politique éditoriale:http://www.livresouverts.qc.ca/Documents/LO-Politique_Editoriale.pdf, consulté en ligne le 7 mai 2015

MELS, Programme d’Éthique et culture religieusehttp://www.mels.gouv.qc.ca/programme-ethique-et-culture-religieuse/, consulté en ligne le 7 mai 2015

Noël, Isabelle. Dix questions à Normand Baillargeon, La Quête, octobre 2014http://amecq.ca/entrevue/2014/10/6/dix_questions_a_normand_baillargeon/, consulté en ligne le 7 mai 2015

Pratte, Geneviève (2012, c1987). Laissez-les lire!, Paris : Gallimard jeunesse

RACHEL DEROY-RINGUETTECollaboratrice au site Livres ouverts

Illustration parAlexandre Bazinet, enseignant en adaptation scolaire au secondaire

En guise de conclusion, il ne faut pas passer sous silence le rôle de l’enseignant dans l’utilisation de la littérature en éthique puisque celui-ci agit comme guide tant sur le plan du choix des textes que dans la façon de les aborder avec les élèves. Tel que Livres ouverts l’indique dans sa politique éditoriale : « L’immense potentiel éducatif et culturel des livres prend toute son ampleur lorsqu’il est mis en valeur par des adultes attentifs, créatifs et critiques qui savent mettre en lumière les nom-breuses richesses des livres » (p.4).

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CHRONIQUERECHERCHE ET PRATIQUE EN DIALOGUE//////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////ENTREVUE AVEC VINCENT BEAUCHER | chargé de cours

Question : Qui êtes-vous ?

Réponse : Au départ, je suis un enseignant au secon-daire. J’ai enseigné quelques années tout en faisant une maîtrise, puis j’ai complété un doctorat en éducation. C’est à ce moment, en 2007, que j’ai commencé à m’in-téresser au programme d’ÉCR. Ce fut donc le sujet de mon doctorat, de mon postdoctorat, de même que d’un manuel didactique corédigé pendant cette période. Parallèlement, je suis chargé de cours et superviseur de stage depuis sept ans. J’ai entre autres enseigné des cours d’ÉCR à l’UQAM et à l’Université de Sherbrooke.

Q : Quel était votre objet d’étude et pourquoi l’avoir choisi ?

R : En tant que praticiens en enseignement, nous savons tous qu’une bonne partie de notre tâche tourne autour de l’évaluation, que ce soit sa planification, sa mise-en-œuvre, ou encore son interprétation et sa divulgation. Or, comment nous évaluons, nos cadres de référence, notre compréhension des méthodes d’évaluation et sur-tout la relation que nous entretenons avec le processus d’évaluation lui-même demeurent des thèmes qui ne sont pas bien compris. En même temps, la jeunesse du programme d’ÉCR offrait un terrain intéressant à in-vestiguer, surtout que cette discipline commande une évaluation particulière, qui détonne de l’évaluation qu’on peut souvent être porté instinctivement à mettre en application.

Q : Que souhaitez-vous comprendre/expliquer et quelle a été votre démarche ?

R : L’objectif de ma recherche postdoctorale1 consis-tait à dresser un portrait et à analyser selon différents aspects les pratiques d’évaluation des enseignantes et

enseignants d’ÉCR au secondaire. Ainsi, à l’automne 2012, 80 enseignantes et enseignants ont accepté de répondre à un questionnaire en ligne à ce sujet. Tous ces répondants ont complété la section à choix multi-ples, mais seulement 40 d’entre eux ont offert des infor-mations supplémentaires en répondant aux questions à développement. Cependant, ces derniers étaient major-itairement des enseignants ayant plus de trois ans d’an-cienneté en ÉCR et cumulaient de nombreuses années de pratique en enseignement.

Le questionnaire qui a été distribué dans toutes les régions du Québec (réseaux public et privé) comportait neuf items permettant de dresser un portrait des répon-dants. En extrapolant l’effet du hasard, on peut présum-er que cela représente possiblement bien l’ensemble des enseignants d’ÉCR du secondaire. Par exemple, un peu plus de femmes que d’hommes ont répondu à l’appel (respectivement 60% et 40%2). Il y avait une bonne répartition à travers chacune des quatre années offrant de l’ÉCR (et aussi quelques tâches en troisième secon-daire) et pour les deux tiers, l’ÉCR représente plus de 80% de leur tâche. Fait intéressant, près de 70% des enseignants sondés avaient déjà enseigné la morale. Soulignons par ailleurs qu’il y a davantage d’enseig-nants d’expérience que de novices qui ont pris le temps de répondre au questionnaire.

Q : Qu’avez-vous appris ?

R : Deux constats ont retenu mon attention, soit la for-mation suivie par le corps enseignant pendant l’instau-ration du programme d’ÉCR, de même que la relation qu’ont les enseignantes et enseignants envers l’évalua-tion, de façon générale et aussi spécifiquement en ÉCR.

1 Comparatif entre les perceptions des enseignants du secondaire en éthique et culture religieuse et les éléments de ce programme au regard des objets à évaluer et des pratiques d’évaluation à mettre en œuvre; financée par le FRQ-SC (2011-2014)2 Tous les pourcentages ont été arrondis.

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LA FORMATION PROMISE ET REÇUE (OU PAS)

Lorsqu’on a demandé si une formation sur l’enseigne-ment de l’ÉCR donnée par le MELS ou une commis-sion scolaire avait été suivie, 35% ont répondu néga-tivement. Pour les autres, 11% ont reçu une formation d’une journée, 23% de deux à trois journées, puis 32% plus de trois journées. Il est difficile de juger à partir de combien de jours une formation peut être jugée adéquate, mais relevons néanmoins que près de la moitié des répondants ont reçu très peu ou pas de for-mation de la part du MELS ou de leur CS, et presque personne n’a reçu de formation de la part des maisons d’édition (seulement 5%). Et quand on demande «Avez-vous suivi un autre type de formation pour enseigner l’ÉCR?», 65% ont répondu par la négative et 25% ont répondu «plus de 3 jours», ce qui s’explique par des par-ticipations à des congrès, ou par une formation initiale en enseignement à l’université.

À la lumière de ces données, il semble bien exister une lacune quant à la formation qui devait être offerte à une grande majorité des enseignants d’ÉCR, tel que promis à l’implantation du programme. On peut aisé-ment supposer que cela a eu des impacts sur la per-ception de l’évaluation à faire dans le cadre de ce pro-gramme, comme en font foi les résultats suivants.

L’IMAGE NÉGATIVE DE L’ÉVALUATION EN ÉCR

De ce fait, le principal constat qui ressort de l’analyse des réponses à développement concerne l’appréciation somme toute assez faible du processus d’évaluation en ÉCR. À la question «Comme qualifieriez-vous l’évalua-tion en ÉCR?», les deux mots qui ressortent le plus sont «Difficile» et «Ardue». Le peu de temps disponible avec les (nombreux) élèves explique ces réponses, tout com-me la complexité et la subjectivité perçues du processus d’évaluation.

La subjectivité revient quand il est question du dia-logue, à savoir un point sur lequel les répondants sont le moins à l’aise lors de l’évaluation en ÉCR. À l’inverse, l’évaluation des connaissances et de la matière présen-tant davantage de contenu précis (comme les religions)

plait le plus. Notons qu’à la question «Quels sont d’après vous les objets à évaluer en ÉCR?», «les connaissanc-es» est la réponse qui revient le plus souvent, suivie de la capacité de réflexion et des trois compétences dis-ciplinaires. Cette idée qu’il y ait des choses précises à savoir et à évaluer peut par ailleurs expliquer le recours quasi inexistant à l’autoévaluation et à la coévalua-tion, deux approches qui demandent à l’enseignant de «déléguer» un certain pouvoir de jugement aux élèves. Les enseignants semblent alors vouloir garder le con-trôle de l’évaluation, peut-être pour des raisons d’in-sécurité, de gains de temps ou simplement par habitude.

CONCLUSIONS DE L’ÉTUDE

Force est de constater qu’au regard de la présente étude, l’évaluation en ÉCR s’avère, selon les répondants, une expérience plutôt négative, à laquelle il faut se com-plaire du mieux qu’on peut. Les résultats datent d’il y a trois ans, mais il est permis de croire que la situation est aujourd’hui similaire, bien que nous espérons qu’elle se soit améliorée. Rassurons-nous cependant, ce constat n’est pas nouveau et il est même corroboré par d’autres études récentes, dont une sur la perception des enseig-nants à l’égard de la Réforme de l’éducation.

Dans le cas qui nous concerne, il est malgré tout lég-itime de s’interroger : le manque de formation n’a-t-il pas accentué ce malaise? À cela, il faut peut-être ajout-er un nécessaire questionnement individuel et collectif quant à la façon d’appréhender l’évaluation en ÉCR. Par exemple, l’évaluation doit-elle réellement se centrer sur des connaissances? Des critères plus précis, plus «ob-jectifs», rendraient-ils justice aux visées de formation du programme? L’évaluation non certificative doit-elle forcément reposer entièrement sur les épaules de l’en-seignant, ou serait-il pertinent d’impliquer un peu plus les élèves, ce qui collerait plutôt bien aux fondements du programme?

Q : Comment votre étude pourrait-elle être utile pour les enseignants?

R : Je pense essentiellement que les résultats de cette recherche devraient susciter chez les enseignants une réflexion saine sur leurs propres pratiques évaluatives.

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VINCENT BEAUCHERchargé de cours

Souvent, dans le feu de l’action, il n’est pas facile de trouver le temps ou d’avoir le réflexe de se questionner si ce qui est fait est optimal, bénéfique pour les élèves, et surtout dans le cas du programme d’ÉCR, réellement conforme à ses orientations assez innova-trices. Je pense aussi qu’il serait intéressant de se pencher davantage sur la place addi-tionnelle qu’on pourrait offrir aux élèves, par exemple à l’aide de l’autoévaluation et de la coévaluation. Cela dit, il convient sûrement de retenir que si l’évaluation est un mal nécessaire, il est sans doute possible de réfléchir sur le rapport que nous entretenons à son égard, question d’en amoindrir les effets indésirables et souvent démoralisants, pour les enseignants comme pour les élèves.

Quels sont vos principaux défis liés à l’évalua-tion?

Avez-vous des stratégies, des outils à partager avec les membres de l’AECR?

Un éventuel dossier sur l’évaluation dans l’ÉCRan vous semble-t-il pertinent?

DIALOGUONS

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CHRONIQUELITTÉRATURE JEUNESSE//////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////CATHERINE CHIASSON | libraire jeunesse à la Librairie Bric à Brac

POUR LE PRIMAIRE

Pablo trouve un trésorAndrée Poulin et Isabelle Malenfant2014. Éditions les 400 coups : Montréal.

Thème : Des exigences de la vie en sociétéÉlément de contenu : L’acceptable et l’inacceptable dans la société

Le quotidien des deux protagonistes de cet album est parsemé d’embûches. Chaque matin, ils se rendent au dépotoir près du bidonville où ils habitent. Ils parcourent les montagnes de déchets où ils espèrent trouver quelques trésors pouvant les aider à subvenir aux besoins de leur famille. Un jour, Pablo trouve un trésor. Mais ce dernier échappera-t-il aux mains infâmes du tyran qui usurpe sans scrupule les trouvailles des autres?

Pablo trouve un trésor est un album coup de poing qui allie tous les thèmes susceptibles d’entamer la discussion avec les élèves : pauvreté, persévérance, entraide. Il permet aussi d’aborder les différences culturelles autant que les écarts entre les classes sociales. Cet album nous porte finalement à réfléchir à notre société nord-américaine où la surconsommation et les besoins fondamentaux de l’être humain sont plus fréquemment comblés.

POUR LE SECONDAIRE

Ma vie (racontée malgré moi)Susin Nielsen2014. La courte échelle : Montréal.

Thème : L’ambivalance de l’être humainÉlément de contenu : Des ambiguïtés de l’agir humain

Jesse a commis l’irréparable. Victime d’intimidation depuis son entrée au secondaire, il décide d’éliminer son bourreau et de mettre fin à ses jours. Depuis, son jeune frère Henry et son père ont quitté leur petite ville et sa mère, victime de dépression, reste chez ses propres parents. Rien ne va plus pour la famille qui tente d’oublié ÇA.

Écrit à la manière d’un journal intime, nous suivons Henry et rencontrons autant de fig-ures qui l’aideront bien malgré lui à surmonter l’insurmontable. Un excellent roman qui permet d’aborder les thématiques du suicide, du deuil, de l’intimidation et du pardon sans pour autant tomber dans le mélodrame. Parce que Susin Nielsen a ce don de s’approprier une tragédie afin de nous la rendre avec un brin d’humour et un immense souffle d’espoir, Ma vie (racontée malgré moi) est un roman puissant.

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CHRONIQUE : TRUCS DE PROF!LA BOÎTE À OUTILS D’ÉCR//////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////MÉLANIE DUBOIS | enseignante et chargée de cours

LE QUESTIONNEMENT

Je me questionnais depuis plusieurs années sur la façon optimale d’intégrer chez les élèves les contenus essentiels du programme d’ÉCR? Étant enseignante au deuxième cycle du secondaire depuis plusieurs années, j’ai remar-qué que mes nouveaux élèves de 4e secondaire ne con-naissaient pas, pour la plupart, ni les procédés suscep-tibles d’entraver le dialogue, ni les questions éthiques, ni la démarche éthique. Pourquoi les élèves n’avaient-ils pas intégré ces contenus pourtant supposément vus à chaque année, et pour certains depuis le primaire? Ce constat m’amena à réfléchir à mes propres méthodes pédagogiques afin de trouver celles qui pourraient être les plus efficaces, c’est-à-dire qui favoriseraient une com-préhension des éléments du programme mais aussi son intégration. C’est à ce moment que j’ai commencé à tester différentes approches et méthodes d’enseignement, afin d’obtenir une meilleure intégration des contenus année après année. Néanmoins, les résultats étaient intéres-sants, mais toujours pas optimaux!

L’IDÉE

C’est après avoir été en contact avec la planification ex-igée par l’Organisation du Bac International (IB) aux écoles accréditées que cette idée m’est venue. Chaque école IB doit fournir une planification verticale et hor-izontale des notions importantes et se munir d’un “Cof-fre à outils”, c’est-à-dire d’une méthodologie de travail utilisée par tous les enseignants. Pourquoi ne pas faire la même chose avec les contenus essentiels en ÉCR, soit créer un outil pédagogique de référence commun à tous les enseignants d’ECR d’un établissement ? Bref, une planification verticale qui permettrait une uniformité des contenus essentiels enseignés en ÉCR et qui serait revus et réutilisés chaque année par les élèves.

LA CONSTRUCTION

J’ai donc décidé de créer une première version de la Boîte à outils d’ECR et de la « tester » sur mes élèves de troisième secondaire au début de l’année scolaire 2014-15. J’ai donc créé une première version de la Boîte à out-ils. J’y ai notamment intégré :

• Une brève présentation du programme et de ses ob-jectifs

• Les finalités et les trois compétences du programme avec des explications et des exemples concrets d’ap-plication en classe

• Les définitions propres au programme (ex: culture religieuse, repères, valeurs, normes...)

• La démarche éthique• Une définition de la pensée critique• Les conditions favorables au dialogue• Les entraves au dialogue avec les définitions du pro-

gramme et des exemples• Les différents types de questions éthiques.

LA DÉMARCHE

En début d’année, j’ai présenté la Boîte à outils à mes élèves et je leur ai spécifié qu’il s’agissait d’une référence pour toute l’année. J’ai pris le temps d’en voir les conte-nus, leurs applications concrètes en classe et des exer-cices. Les élèves doivent aussi participer à la construc-tion de leur boîte à outils en notant des définitions et des exemples. Ensuite, j’ai intégré, petit à petit, chacune des notions de ce document dans mes cours et dans mes pro-jets. Je réfère à la Boîte à outils dans les consignes de mes travaux et projets ainsi que dans mes grilles d’évaluation. Par exemple, j’insère un rappel aux élèves afin qu’ils con-sultent leur Boîte à outils pour s’assurer de bien faire le travail. Les élèves doivent donc se familiariser avec ces contenus et tenter de les mettre en pratique concrète-ment et ce de façon autonome.

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Lorsque j’ai corrigé le premier travail, j’ai noté les erreurs les plus fréquentes et j’ai ensuite pris une période afin de faire un retour sur les contenus de la Boîte à outils qui avaient été moins bien compris. J’ai aussi pris le temps de cibler et d’expliquer les erreurs les plus courantes. Au travail suivant, j’ai vu une nette amélioration dans l’application des contenus propre à l’ÉCR en classe, tant dans les discussions que dans la terminologie utilisée par les élèves que dans les travaux d’étapes. Par ex-emple, j’ai remarqué que les questions éthiques étaient mieux formulées et que les enjeux essentiels d’une problématique étaient mieux ciblés.

CONCLUSION

En conclusion, la Boîte à outils est devenue une ressource pour les élèves puisqu’ils devaient s’y référer toute l’année. En l’offrant à l’ensemble des enseignantes et ensei-gnants d’ÉCR d’un établissement, celle-ci favoriserait une plus grande cohérence disciplinaire à l’échelle de l’école, l’uniformisation des contenus et, par le fait même, une meilleure intégration de ceux-ci. Par exemple, le simple fait de sélectionner une typologie commune pour les questions éthiques aiderait grandement les élèves à faire des liens d’année en année. Enfin, si les élèves intègrent mieux les contenus essentiels à l’ÉCR, cela pourrait faciliter aussi le travail des enseignants qui n’auront plus l’impression d’être obligés de tout recommencer à chaque rentrée scolaire!

MÉLANIE DUBOISenseignante à l’école secondaire

Saint-Nom-de-Marie etchargée de cours à l’UQAM

En ligneLes Bibliothèques de Montréal proposent en ligne un jeu, intitulé Escouade B, pour aider les élèves du primaire à identifier les sites web fiables. En ligne : http://bibliomontreal.com/escouadeB/

Un site Internet nommé Internet sans crainte propose des jeux, des conseils, des informations pour une utilisation saine, efficace, amusante et critique d’Internet. On y trouve notamment les aventures de Vinz et Lou, deux élèves. Voici un exemple de vidéo qui peut servir de point de départ pour un dia-logue sur les informations trouvées en ligne : Tout n’est pas toujours vrai sur Internet à l’adresse suivante : http://www.internetsanscrainte.fr/le-coin-des-juniors/tout-nest-pas-toujours-vrai-sur-internet

Centre des sciences offre aussi un jeu intitulé : Vérité ou mensonge dans lequel l’esprit critique des jeunes est mis à l’épreuve ainsi que leur créativité. Ainsi, après avoir essayé de partager les vraies et les fausses informations surprenantes, les élèves sont invités à créer leur propre canular. Concret et ludique ! On peut poursuivre en discutant en petits ou en grands groupes de ce que sont les canulars (incluant les hoax, soit les canulars informatiques), les sites satiriques, les légendes urbaines, les blogues et autres pour ensuite dresser un liste de critères de sources acceptables qui nous servira de repère tout au long de l’année. http://canularouverite.ca

DES RESSOURCES POUR AIDER LES ÉLÈVES ÀDÉVELOPPER LEUR ESPRIT CRITIQUE

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Quelques livres et magasinesQuelques idées pour la classe

Voici maintenant des livres et des revues qui déboulonnent les idées reçues. Il s’agit d’un autre excellent point de départ pour dialoguer sur l’importance de l’esprit critique. Une activité classique mais efficace est de remettre aux élèves un certain nombre d’idées reçues et leur demander d’en vérifier l’exactitude. Dans leur démonstration, on leur demande de justifier en quoi on peut se fier, ou non, à leurs sources. Voici quelques titres pour vous donner des idées :

Le grand livre des idées reçues – Pour démêler le vrai du fauxÉditeur : Le Cavalier Bleu Éditions

Du fer dans les épinards, sous la direction de Jean-François BouvetCollection Points, Édition du Seuil

La revue Le Point offre également une incontournable collection de numéros spéciaux basée sur 100 idées reçues (et fausses) sur… L’un des thèmes abordés est justement Les religions.

Pour développer notre propre esprit critique…

Petit cours d’autodéfense intellectuelle de Normand Baillargeon, illustré par Charb

LE classique pour se forger un esprit critique bien acéré. Si vous n’avez pas encore lu ce livre, nous ne saurions trop vous le recommander. On y trouve les cinq chapitres suivants :

1) Le langage2) Mathématiques : compter pour ne pas s’en laisser conter3) L’expérience personnelle4) La science empirique et expérimentale5) Les médias

Clair, pertinent, concrètement exemplifié et drôle, cet ouvrage aura un impact sur votre rapport aux mé-dias et à toutes les autres sources de savoir et/ou de désinformation. Des enseignants d’ÉCR et de français l’utilisent. Projet interdisciplinaire à l’horizon ?

Légendes pédagogiques de Normand BaillargeonMarc Landy vous explique « Pourquoi les enseignants devraient lire ce livre… »

« Même si Normand Baillargeon n’a pas vraiment compris le travail de l’enseignant en ÉCR (!), les Légen-des pédagogiques est une lecture nécessaire. Ne serait-ce que pour la réflexion critique qu’il amène sur les méthodes éducatives que nous avons tous, un jour ou l’autre, considérées comme véridiques. Par exem-

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ple, le principe des intelligences multiples qui n’a aucun fondement scientifique. Il nous fait aussi décou-vrir mon nouvel incontournable, John Hattie. Trop souvent, les pédagogues surmenés que nous sommes oublions que nous avons étudié en sciences de l’éducation. Normand Baillargeon nous le rappelle. »

Quand le paranormal manipule la science de Serge Larivée

Un livre pour développer son esprit critique face aux pseudo-sciences écrit par le chercheur Serge Larivée de l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal. On y aborde entre autres la clairvoyance, la divination, l’homéopathie et l’astrologie. À découvrir…

Avez-vous lu l’un ou l’autre des livres proposés ? Qu’en avez-vous pensé ?

Quelles ressources et stratégies utilisez-vous pour développer l’esprit critique de vos élèves ?

Quelles sont les principales lacunes que vous observez chez vos élèves et comment essayez-vous de les combler ?

DIALOGUONS

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