le th~me du voyage dans la poésie de stéphane mallarmé a été
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,.-$;'''.: ~'\O,.~ •.
SOMMAIRE
LE VOYAGE DANS 'LA POÉSIE DE' STÉPHANE MALLARMÉ
Le th~me du voyage dans la poésie de Stéphane
Mallarmé a été abordé avec l' analyse lexicologiqu~ .. ?-G certains mots clefs du vocabu~aire mallarméen.Le. pre
mier chapitre de cette dissertation met en lum1~re le
répe~t6ire des milieux explorés, t~t spirituels que
matériels, tant intérieurs qU'extérieurs.
Dans le deuxième chapitre se trouve un' regrou
pement des agents du voyage, entendues par là créa
tions du poète chargées de "départ ". Exception faite
"'. de quelques pe:!'sonnages vrais, ces mandataires du
voyage spirituel Mallarmé les recrute d~s les domai
nes les plus variés, depuis la matérialité banale
jusqu'à l'insaisissable cosmos.
Ces deux chapitres situe~t la mise aU point
de nombreux éléments relatifs au thème du voyag~ et
visent à clarifier certaines formes obscures que prê
tait aU déplacement l'interprétation mallarméenne.
Sans ce travail de base l'explication des sens mul
tiples du "départit aurait été particulièrement
laborieuse.
.....
L'exégàse ~es principaux tableaux du voyage
fait l'objet du troisiàme chapitre. Les poêmes choi
sis marquent une progression de la pensée mall~é
enne tourmentée par le voyage, par sa possibilité ou
sa'nécessité, sa signification artistique et méta-.. - . -.
physique ainsi que par la menace de nombreux dangers.
La conclusion éclairera, croyons-nous, l'a
cheminement de la pensée du ma1tre vers le thàme du
voyage. Ainsi présenté, ce voyage appara1tra non
seulement comme un procédé d'évasion commun a d'au
tres poètes mais aussi comme une marque indélébile
de la pensée mallarméenne et de son express1on.
LE VOYAGE DANS LA PO~SIE DE STÉPHANE MALL.ARMlf
Par Louise~Ange Finn-Mansoor
Dissertation présentée à l'Écode des Études Supérieures de l'Université McGill en vue de
1 1 obtention du diplôme de la
MAîTRISE ~S ARTS
Département de français
Montréal, Canada, 1969
@) Louise-Ange Finn-Mansoor 1969
.. TABLE DES MATIERES
Chapitres
INTRODUCTION
l MILIEUX A FRANCHIR OU A PARCOURIR
.Azur Horizon, crépuscule Glacier Fen~tre Rideau, tapisserie Regard, Oeil bleu Femme Chevelure Mer Verdure Miroir Tombeau Nuit, page blanche
II AGENTS DU VOYAGE
Bibelot Fleur ~toile,. constellation, diamant Source d'eau, pluie Jet d'eau, de feu Soleil Vent, rire Aile, pied Oiseau ~ventail Personnages : Hérodiade~ saint Jean,
Hrumlet, le Faune, nymphes, sylphes, sirènes, la campagne idéale de Prose
Pages
l
, '
III ANALYSE THÉMATIQUE DE QUELQUES POUS 53
Les Fenêtres LfAz~
~v~ntail (de Mademoiselle Mallar.mé) et ~ventail (de Mad~e Mallar.mé)
Pro~e (pour des Esseintes) liOrmnage (à Puvis de Chavannes) M'introduire d~s ton histoire ••• Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui ••• Brise marine Salut Au seuJ. souci de voyager ••• A· la nue accablante tu ••• Un coup de dés
IV CONCLUSION 96
BIBLIOGRAPHIE 102
...... i..,r .'
INTRODUCTION
La· li ttézaature de toutes les époques est marquée de·
11idéa~isme exalté de certains auteurs. Au~eurs pour qui
le.·contact:d1ff:Lclle avec le quotidien et 11 appel de la
tl'anscendan,ce . font na!tre le Grand RIve en sa forme la plUs
élémentaire· et la plus universelle.' Clest n •• :.' la r3ve
rie (qui) met ·le rSveur en dehors du monde prochain. de~ant
un monde qui porte le signe d'un inf~ • ..elle fuit l" ob
jet proche.,· et tout de suite elle est lo1n~. ailleurs, dans
llespace de l'ailleurs ••• fil, selon Gaston Bachelard.- Gr
cette- revSr.ie de 11'1' ailleurs uldversel li,. leur inspire t8t
ou tard le gol1t du voyage. Ainsi voyons;-nous la mer ·ensei-'
gner l'existence à Ulysse, l'enfer ouvrir ses· portes: à
VirgUe età Dante, l'attrait de l'inconnu et la qu3.te. de·
lf/absolu nourrir les ambitions grandioses des Croisés.
Les grands r3ves d'aventure se prolongent et s'épanouissent
en une série de·pé~égrinations destL~ées à renouveler l!ima
gination des romantiques.
1névitablament les symbolistes, eux aussi, iront
étancher leur soif d'idéalisme au rituel du voyage, et leur
chef, Stéphane Mallar.mé, ne fait pas exca~~~on à cette
poussée uni verse'lle vers l ~ au delà,. Avanli de considérer
lGaston Bachelard, La Poétique de l'espace, P.U.F., Paris, 1964, p.16S.
,le point de vue unique du poète sur le voyage, rappelons
nous l'avertissement de Max Jacob; il dit:
" n ••• qU'en matière d'esthétique, on n'est jamais nouveau . profondément. Les-lois du beau sont éternelles, les p:J.\1S violents novateu:rs s' Y' soumett~nt: sans s "en rendre co~te; ils s'Y' soumettent à leur maniere, c'est là l'intér3t".1
Chez Stéphane Mallar.méla.soumission à l'esthétique du "voyage
littéraire" ne diminue en rien l'envotl.tement qu'il exerce sur
nous. L'idéalisme chez cet auteUl',plus exigeant que celui
d'un Poe ou d'un Baudelaire, donne à son élan d'évasion une
tournure toute spéciale et plus fascinante que celle de ses
contemporains. Son oeuvre poétique, rigourèusement compacte
et toute mince qu'elle soit, déploie une progression serrée
de sa mystique du voyage, toujours en relation étroite avec
une esthétique personnelle.
La présente étude suivra l'itinéraire de cette ob
session majeure du voyage, telle qu'elle se présente dans
l'oeuvre poétique du ma1~re, qui en porte la marque profonde.
Sans prétendre épuiser le réseau complexe 'de la ter.minologie
mallar.méenne, les deux premiers chapitres porteront sur la
réduction des arcanes qui cloisonnent la symbolique du voyage,
par une tentative d'élucidation des symboles et des termes qui .'
s'y rapportent. L'analyse lexicologique traitera, au premier
chapitre, du répertoire des milieux à franchir ou à parcourir;
~~ Jacob, Art poétique, éd. Emile-Paul, Paris, 1922, p. 16-1'7.
au deuxième chapitre, des agents du voyage, qu'Us soient mes
sages d'un ailleurs ou messagers proprement dits. Nous tente
~ons, au troisième, une brève exég~se des prfncipaux poèmes
qui s'inspirent du déplacement.
Comme bien d'autres avant 1ui Ma-J.larmé est parti
d'une nosta1gie de 1'Eden perdu qui incar~ait un idéal à pré
sent inaccessib1e. I1 faut donc une évasion pour rejoindre
cet idéal. l/Ia11armé partira du monde extérieur pour engen
dre~ 1'atmosphère du pé1ë:rinage initial, c'est-à-dire qu'il
y a pour 1u1 situation d'un point géographique donné par rap
port à un autre. Déborah Aish a raison, dans un certain
sena$ de soutenir que les critiques se trompent à considé
rer Ma11armé comme un poète de l' intériee: "En effet,
c'est dans 1a nature 1e plus souvent qu'i1 puise ses images".l
Ce site géographique, ce paysage, mène 1e rêveur à la poéti
que de l'ailleurs édénique qui évei11e le désir d'une vie à
la. fois immédiate et lOintain'e, " ••• candide divinité avec
tout ce qu'elle a dl/intime à la fois et d t étranger".2
L' oeUVl'e enfantine témoigne d'une âme qui s'ouvrait
à la visitation des anges, des étoiles, des fleurs et des
voix chus du ciel; de même, les messages de l'enfant
lD.A.K. Aish, La Métamorphose dans l'oeuwe de Stéphane Mallarmé, Dros; Paris, 1938, p:~' 57.
2aobert Guiette, "Elskamp et Mallarmé", Mercure de France, juin 1960, p. 258.
3
. s'envolent vers le ciel " •• ~ sur les ailes de lIEspér~ce".l
Mais l'adolescent voit cette espér~~e ébranlée; il commence
à "chercher l'Infini qui fait que l'homme p~che".2 Plus ja
maio 11 ne sera passivement r.éceptif; il rejoint les rangs
des "pailletés d'astres, fous d'azur, les gl'ands bohèmes".3
Avec le terrassement du "vieux et méchant' plumage, Dieu", 4 il
connait la chute vertigineuse de lléloignement, phase décisive
qui, dit Wallace Fowlie, rapproche Mallarmé de ses confrères
en poésie:
A poet1s lUe is a repetition of the myth of·...:rcarus,cdm.posed first of vision or the f1ight of the imagination, and secondl7 of the 10ss of the vision or the fall fram~he adventure of the spirit into the realitY,of the world.
A l'instar de ses ma1tres, en effet, il cannait très t8t le
naufrage enflammé d'un Icare. qui chercherait à filer vers les
nues de l'extase poétique; la hantise du voyage est dé~er.minée
à llorigine par cet échec. Le poète n'a plus que la force de
" •• '~ (mordre) la terre chaude"6 en attendant de r6ver son a
venture du rapproche.ment. Le jeune Stéphane laisse tomber les
liens qui le rattachaient aux parents défunts, ces chères
lstéphane Mallar.mé, Oeuvres com~lètes, . Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1954, ~antate pour la première Oomm'lllnon, pé 3'.
2Ibid., L1Enf~t prodigue, p. 14.
3Ibid.; Contre un Polte parisien, p. 21.
4Id~, Oorrespondance, 1862-?1, Gallimard, Paris, 1959, p. 241.
5w. Fowlie, Mallarmé, The university of Chicago Press, Obicago, Ill.; 1953, p .• 23.
~llarmé~ op. cit., O.c., Renouveau, p. 34.
4
.. ,. -'
-figures fémintnes de la mère~ de la soeur Marie~ et de la
soeur spirituelle Harriet. Il se retrouve dénudé et seUl~
condamné à cette solitude de la chute "distantiatrice" que
propose Benrieh Steftens:
Le vertige est une soudaine solitude. une fois qu l i1 s'empare d l un'3tre,aueun appu:1 ne peut le sauver. Il. est chute vivante. (Ein 'Solcher Mensh W1rd Inden DunklenlAbgrund seines eigene.n Daseins '~ ~ ~ h±mwegge-zogen.') .
Georges PoUlet résume ce stade 1m.tial. quand il. decl.are
qul"il n'y a chez Mallam qu'immobilité et attente".2 On
se rappelle d'ail1e~s l'exclamation l'1l'ique du jeme ma1tre
1 ce sujet: "J'attends en m1ab!mant que mon ennui slél.àve.nJ
Quand le r3ve le hante~a encore, Mallarmé tentera de
reconquérir seUl l'espace inaccessible pour retrouver les
âmes soeurs disparues. Il s'efforcera de repérer le site de
llinnocence~ de la virginité reconquise, où celle-ci s'épa
nouit intact.e et naturelle; l.e chaste et l'ardent se conju
guent pour former une toison sacrée qui représente le terme de
la quête; tout en demeurant une et inatteignabl.e, cette toison
de l'Idéal prendra différents aspects avec la modification
progressive de la vision dépa'1sante. Mallarmé devra, lui aussi. ~
souscrire au mensonge ~hique, c'est-à-dire à l'hyperbole.
1,~ Steffens, Was ich erlebte, Breslau, 1840, 10 vol., t. l, p. 3.34.
2G. Poulet, Etudes sur le temps humain, II, La distance intérieure, Plon, paris, 1952, p. 299.
~ll~é, op. cit., O.c., Renouveau, p. 34.
5
Dès le début son art sera complice de son voyage spi
rituel et le reflétera, le stimul.era m&ne en soif pour le
périple. La qu3te se fera à la lumière d'Une poésie dont "le
mouvement naturel est élévation" et dont ftliime assidûment
défendue est 'Verticalité". l Cette recherche le mènera de son
exil sur terre aux premières tentatives d'évasion qui seront
aussi élans verticaux, projetés absolus. Pitoyablement ces
essors se heurtent à un azur implacable et, furieux, Mallar
mé refusera l.'appel du départ. Il se cloisonnera volontai
rement "parmi ('lm) ciel de porcelaine nue1l2 pour tenter de .
détour.ner vers une autre dimension l'itinéraire de l'au delà.
La. clôture substitue à présent un monde plastique au monde
réel. Ynhui Park tnterprète ainsi le choix que le poète
exerce:
Mall~é obsédé par le désir de la création poétique vraiment digne de ce nom; abandonne non sans regret le paradis d'enfance alors ~ue Baudelaire le regrette avec nostalgie. Il a choisi 'le terrain avare et froid de ma cervelle" • .3
O'est là que le poète mènera son aventure, minutieusement
calculée, vers un centre toujours imprécis mais 1,m1neux.
Ce monde réduit se double dl un si te pour 11 amo'llr qui
s'offre également comme territoire à parcourir; mais quand '- ~ .. '.. -
il ne se révèle quwà distance Mallar.mé régresse vers les
chastes for.mes féminines de l'antérieur qui ont jadis
lRobert Vivier, Mallar.mé, Empreintes, Paris, 1948, nO spécial, p. 93.
6
2Mallar.mé, op. cit., ~, Las de l'amer repos. p. 35.
3y. Park, L'Idée chez Mallarmé, centre de documentation univarsitaire$ Sorbonna~ Paris, p. 52.
déclenché toute cette croisadeo Il les découvre enfouies au
bout d'une allée orphique, allée qui passe p~ son propre
monde intérieur. Eenri Corbin nous représente ce lieu comme
"région qui n'est pas dans un où, le où étant désormais tn
vo1ué dans l'iman • l
Mall~é plongera alors dans le tréfonds de lui~@me,
il partira à la recherche de son ortho-centre pour aboutir à
la terrifiante saisie du Néant. Il taut donc se réorienter
et s'identifier avec le Cosmos et, en tant qu'élément du
Cosmos, partir à l'exploration du grand extérieur macrocos
mique. Ainsi sera affirmée la possibilité du périple micro
cosmique qui, seuJ.~ peut déboucher sur le Monde Antérieur.
Mais la soif d'idéal chez Mallarmé a finalement en
gendré son incarnation artistique. La poésie qui avait
jusque-là si largement orienté et exprimé les modulations
. du voyage devient enfin la toison ultime, le but m3me de
l'aventure: ft • •.• les plus purs glaciers de l'esthétique . ft •••
aux. fi ••• altitudes lucides ••• 02 Il av~1t voulu liquider
l'azur en traversant un abhle, un tombeau, une chevelure,
et ultimement un grimoire, un poème, mais tout aboutit à 'lm
au delà infini toujours plus vaste que l'azur initial. Il
lE. Corbin, Terre céleste et corps de résurrection, Bader Dufour, Paris, 1948, p~ 72.
2Mallarmé, op. cit., Corr., p. 220-221.
7
n'y a de fin au voyage, m&ne le plus littérairement abstrait,
que dans l'anéantissement, et le dernier naufrage aura lieu
sur Une pag~ blanche e Fow11e nous avertit de "son peu de
liberté", ~feste d~s le début dgns'"la densité de sa
langue".l Toute fervente que soit la tentative du voyage
absolu dans la poésie mallar.méenne, elle n'en sera pas moins
un échec, mais un échec sublime.
lpowlie, La Pureté dans l'art, éd. de l'Arbre, Paris, 1953, p. 28.
a
CHAPITRE l
MILIEUX A FRANCHIR OU A PARCOURIR
L'étude du vocabulaire privilégié, au premier cha
pitre, est basée sur les divers terrains que Mallarmé a re
censés pour en ordonner le contenu poétique et ésotérique
relatif au voyage. Il a non seulement parcouru les régions
traditionnelles des inconnus marin, terrestre et céleste,
mais il s'est initié aux sites intermédiaires; à savoir:
le miroir, la fenêtre, la chevelure, bref, les diverses ma
nifestations de la clôture qui s'élève entre la réalité ~
médiate et l'au delà. Il lui restait à se f~iliariser avec
les lieux vierges d'un autrui, ceux d'un tombeau ou d'une
nuit blanche littéraire, tous aux frontières de l'infini
idéal. Sa probité intellectuelle exigeait la connaissance
de ces milieux intermédiaires, en guise d'apprentissage,
avant le grand voyage absolu -- idée de toujours.
Azur : Selon Poulet qui a voulu déterminer la place
de l'azur dans la thématique de la distance, l'azur n'est
uni un point ni un mouvement, c'est un espace initial".l
Ce premier terme de la hantise de l'ailleurs se manifeste
lPoulet, OP. cit., p. 300.
t".e~s t6t dans 11 oeuvre poétique. Emilie NouJ.et et Guy M1-
chaud ont cherché tous deux à llinventorier et à en suivre
la courbe dans l'oeuvre du poète; ils f~ent vers 1866
li abandon de ce vocabl.e; il faudra donc attendre vingt-cinq
ans pour voir sa réapparition dans L'Hommage à Puvis de
Chavannes. Hérodiaâe serait définitivement le mament du
partage dans 11 affolement de l'azur:
•• 'lI ltazur Séraphique sourit dans les vitrei profondes, Et je déteste, moi, le bel azurS
Pourquoi abgndonner cette éChappée vers l'infini' Le voyage
que se proposait Mallarmé n'était-il pas d'une essence spi
rituelle dont le paradigme serait l'azur? Il a t8t fàit
dt Y découvrir un faux refuge. Si, comme le soutient Jean
Pierre Richard, "l'azur ne signifie rien d'autre que notre
impuissance à nous élever vers l'azur",2 le poète trouvera
mieux pour atteindre son idéal que la stérile ~passe de
ftregarder l'azur en mourant de faim".3 Et Richard de conti-
nuer:
A l'inverse du ciel baudelair:Len, qui crée en nous le vertige d'une profondetœ sans terJ:r.S ••• l'azur mallarméen nous tour.mente par son voisinage, sa nature de frontière étalée.4
L'azur est donc la première manifestation de la c18ture à
l.Mall~é, OP. cit., ~, Hérodiade, Scène, p. 48.
2J.-p. Richard, L'Univers imaginaire de Mallar.mé, éd. du Seuil, Paris, 1961, p. 56.
3malla~é, op. cit., Corr., p. 118.
4Richard, op. cit., p. 55.
10
frgncbir ou à percer; il n'est plus le milieu poreux qui.
s'offre à l'entrecroisement des esprits célestes et des voeux
terrestres. En perdant l'unité antérieure Mallar.mé a da faire
face à un azur devenu hostile au déplacement spirituel; il n'y
a plus que prolifération éclat~te mais inutile dont le poète
doit apprendre à se méfier~
Horizon; crépuscul.e: Si l'azur était distancé il se
présenterait comme plus perméable aux tentatives d'évasion;
du moins existerait-il la dimension de l'espoir entre l'ici
et l'horizon. Il faut reculer l'azur, le colorer plus vive
ment -- c'est le moment privi1.égié de l'aurore, et surtout,
ee1.ui. du crépuscuJ.e. Maliarmé lui-~me signale à René Ghil
l'entière dépend~ce de sa sommation poétique et de son dyna-
misme sur cet attendrissement de l'azur hautain: 11 ••• tout
se résume dans un beau soir comme celui-cil1 , 1. s9ir qu:1 permet
de lise retremper vers les lointains et vers soi-même l1•2 ·L'ini
tiation essentielle du voyageur est bien de se faire "lecteur
d 1horizons"3 et le voyageur accompli sera nul autre qu'un
Usculpteur d'horizons",4 capable de les mouler à s~s voeux.
p. 22. lR. Ghi1, ~s Dates et les oeuvres, Orès, Pari.s, 1923,
2H. Mondor, Vie de Mallar.mé, Gallimard, Paris, 1941., II, p. 604.
3Mallar.mé, op. cit., ~, Villiers, p. 509. 4 . Ibid., Toast funèbre, p. 55.
11
Qu~d il aura fr~chi la dernière étape de son existence
terrestre, il lui restera le "souvenirs d 1horizons l1 ,1 de ces
horizons qui ouvraient la seule porte vers l'au 'delà co~que.
Glacier: Le glacier représente dans le vocabulaire
mallarméen le durcissement extrême de l'azur; il s'apparente
au thème de la vitre que nous verrons bientôt. On y retrouve
une suggestion de hauteur invincible et inviolée, de blancheur
intacte et d'effilement statique. Les "m.onts neigeuxl12 sont
autant le couronnement de ltaz·~ qu'une impossibilité maté
rielle de le percer par leur blanc envol; Mallar.mé évoquera
leur aspiration d~amiquede nglaciers attentatoires") en a
joutant des ailes à ses nblancs coursiers"4. Il parle alors
de "monts n qui dédoubleront de leur "pic lustral, de leur
pur sommet1t5 et c'est l'envol impossible d'une Hérodiade ou
d'un Sa~t Jean. Parfois le poète devient synthétiquement
hybri~e à partir de l'azur et du glacier pour nous donner le
ciel blanc, clôture flottante devant le Néant. Lorsqu'en
1884 Mallarmé aura renoncé au déplacement absolu, le glacier
p. 182.
lIbid., Bucolique, p. 402.
2Ibid., Sa Fosse est creuséel ••• , p. 5.
3Ibid., M'introduire dans ton histoire, p. ?5. 4 Ibid., Contes indiens, Nala et Damayant1, p. 628. 5 ~, Les Noces d'Hérodiade, Gallimard, Paris, 1959,
12
..
sera dit "perfide", 1 tandis que la première version du même
po~me ne trahissait aucune hostilité à l'égard de cette senti
nelle de l'azure (Voir OoCO$ po 1416.)
Fen3tre: Dans la vitre, kl l armé retrouve la froidure
de la glace, mais surtout sa dureté transparente. Elle est
c18ture par excellence qui -
se méfie de toutes les inégaiités~ .. ta.ches, ondulations, nuages -- qui pisqueraient dt.offpil'~ notre. besoin dlau delà le prétexte d'une irisert~p:nniatérielle.et·peut-être· le moyen d'une traversée.2 ·.. ....... .
. '. . ~. .' ."
La fen3tre occasionne :~la mutatio:ri:de·l~.c-·$oif' pO'llJ:'llau deJ.à ..
azuré en un refus de cette atteint~ .'. iinp'~ss"ible,<c~qui. recré~-. . ~ . .
pa plutSt des "carreaux bombéspal'le~R8ves intérieurs".3
Les tentatives de rupture présagentle'désastre et ~ond8mnent
"au risque de tomber pendarit ltétertlité"4 dans Les Fen8tres,
à la froide et stérile nudité duPitrè.·ch!tié, ou à l'l'aile.
saignante et plle, dép1mné·e,,5deDbnd~~po~m.e~ Il faut alors .. " ','.,. . ': . :'
fortifier la cloison protectrice, lamÙJ.~ip1.ie~ eriautant de
clôtures qu' 01'1 puisse en invente2';lefard.,:l.e voile, 1.e rideau,
la tapisserie et le plafond s'ajoutent à la fen8tre pour struc
turer statiquement tous les poèmes, de l'intérieur, par leur
~llarmé, op. cit., ~, Le Pitre ch3.tié, p. 31. 2 J.-P. Richard, op. cit., p .• 55.
3Mallarmé, op'. cit., ~., p. 233-
4Idem, op~ cit., O.c., Les Fen3tres, p. 33.
5Ibid., Don du po~me, p~ 40.
1
retrait intime, et ces poèmes "pJ.oye(ront) (J.eur) aiJ.e indu
bitab1e1 avec si1encieuse résignation.
Rideau; tapisserie: I1s proJ.ongent le refus de J.a
fen3tre et lancent un appeJ. vers un aiJ.J.eurs plus intime,
pJ.us personne1. Avec eux J.I extérieur s'éteint et la chambre
devient tombeau en attente, calfeutré de tapisseries "avec un
vent d'au delA dans J.es trous ... ~2 Oette clat~e recè1e J.lul.ti;'
me acte négatif du refus de la matière, refUs d'une Hérodiate
qui veut faire "cJ.o(re) J.es voJ.ets",3 et qui se retrouve dans
Alternative où le r~ve se cache derrière les "rideaux vaguesu4
pour na pas avoir à envisager seul. l'effarement du Néant. La
cJ.ôture disperse J.a volonté d'un voJ. extérieur, S1ll'tout à paP
tir de, 1866; les "stores chinois" de J.a maison de Tournon et
les ~tent1ll'es japonaisesn5 au s~tUâiré a. Va1vins réalisent
matériellement cette réclusion qui s'empare de l'auteur en 1e
comblant de J.a précieuse illusion, celle d'un lointain venu
à lui'~
Regard, oeil bleu: Doublet thématique du ciel, du
paradis et de llart$ le regard forme en plus la vitre entre
deux bas qui se rejoignent. Mallarmé entreprend donc de
résoudre le voyage par le regard; c'est la suprême indiscré
tion du chercheur dans Le Nénuphar blanc. S'il Y a
lMallar.mé, op. cit., ~, Quand l'ombre menaça de J.a .-,f ... a .... t .... a...,1 ... e_1..,.o .... i .... , p. 67.
Henri
2n. Mondor, op. cit~. ~ p. 754~
3~.~1.arIll;~.:, op~ c:i.t~,. ~~,Hérodiade, Scène, p .. 46. 4~, N.R.F., 1er janvier 1954, p. 188.
5 Idem , Correspondance inédite de Stéphane Mallar.mé et. Rougon, P. Oa111er,lGeneve, 19~~, p. 63.
e- _appropriation distante, la fennne en est l' obj et, ou e~core un'
ci-el féminisé, reD.a.u à la vie par les déesses nues qui s'y
prélassent.'.. ~e. voyage ocuJ.aire promet l'immédiat d'un Faune
"trouant"l la verdure; il est aux antipodes du froid regard
~pressiohiste qui g~che le rêve et s'installe lourdement dans
l'immédiat. Le regard réalise l'ultime effort pour peupler
"de vue et non de visibns"2 les extatiques odyssées de l'es
prit; mais il est surtout tentative de rapprochement entre
deux êtres, parfois séparés par l'éternité même -- ainsi in
terprétons-nous le transfert ontologique entre le po~te et son
fils, ce voyage d'un monde à l'autre où "ses yeux (le) règar-
dent ••• et suffisent, pris déjà par l'absence et le gouffre.
Tout y raccorder'l"3
Le regard offre avgnt tout la visitation idéale pour
le déplacement érotique. La femme s'est élOignée, elle siest
identifiée à l'azur; elle ~ azur du regard, de "ces lacs où
se fond l'éternel azur dlun jour de bonheur".4 Il '1 a en
outre l'oeil bleu de Marie Gerhard, sa jeun.e épouse, qui rap
pelle le ciel et "les glaciers vierges U5 de la SUisse,précur
seur de cet oeil d1antan où Hérodiade aspire à se noyer pour
enfin se rejoindre. La rêverie de l'oeil s'associe à tous
lMallarmé, op. cit., O.c., L'Après-midi d'un faune (églogue), p. 51. _
2Ibid., Prose (pour des Esseintes), p. 56.
15
3I dem" documents inédits présentés par J.-P. Richard dans Pourïj'il'Tombeau d'Anatole", éd. du Seuil, Paris, 1961, p. 91.
, 4Idem, ,op. ci t., .2:..2.!., Contes indiens~ Le Portrait enchanté~ p. 592.
5~, op. cit., Corr.'p. 90.
les paradigmes du voyage - le soleil, le lac, le miroir, le
digmgnt et la fleur - qui en sont le foisonnement dans la.
nature. Et Bachelard voit dans le cosmos une "somme de beau
tés, .un Argus, sonnne d'yeux toujours ouverts : .... tout ce qu:L
brille voit 11 ,let tous ces paradigmes du voyage ~e:. pa~tagent
l'essence m@me de ce qui brille.
Fel1D.1le: Avec son "pur scintillement stellaire", 2 elle
prend la relève de l' obsessiOn~~\::l'az'U:t' et fait suite à la
mystique du regard, car a.pr~s Ia.défaite de l'azur elle en
est l'objet premier. Elle, s' iritè~~l.par 1à.m,&ne à la r@verie
16
de l'éloignement où!1éile:se trouv'e@tre·natureJ.lement déesse".3 . ," . .
Puiaqu'elle est l'élément essentiel dé. l' appel vers l'antério-
rité, ~11e en conjure l'unité tempéœelle'et spatiale grâce à
sa dimension propre de 1 'amO'Ul'~La.t1soetirsensée et tendre ll4
devient indispensable auvôyage h,euréuxparce qU'elle nous
permet le bond vers sa ~ensionnative dans l'absolu. Mais.
pour remplir les exigences de ce bond, il faut précisément une
soe'l.lr, c'est-à-dire une compELgne qui soit close "dans sa gaine
debout nulle de firmament" ~ 5 inspiratrice de chasteté; le but
IBachelard, La poétique de la r@verie, P.U.F., Paris, 1961, p. 159.
p. 56.
~allarmé, op. cit., Corr., p~ 59.
3Richard, op. cit.; L'Univers, p. 108.
~al1~é, op. cit., ~~ Prose (pour des Esseintes),
Srdem, op. cit., Noces, Gallimard, Paris, 1959, p. 83.
17
du voy~e amoureux vise le retour à la virginité première;
selon la moralité amoureuse mallarmé enne , "la virginité se
situe au tel'me et non pas à l'origine"l du·périple amoureux
nouvelle .image de la toison à conquérir. La réalisation de
cette pureté édénique exige la venue de la femme au poète,
"éclatante en sa jubilation nue" ;21ci s'impose la m3me passi- .
vité dont jadis faisait preuve Stéphane enfant quand 11
attendait du ciel des témoignages. d'amour sans se soucier de
partir lui-m~me à leur conquâte. Ainsi venue de ses prcpres
ressources, la femme offre une alternative à la descente au
tombeau. Aussi la retrempe amoureuse du· "blanc couple nageur"3
suffit-elle pour provoquer un retour lavé à l'origine, de
m~me que les "étincelles d'Etre" de la chevelure féminine suf
fisent à éloigner "des ténèbres les vaguesn •4 Mais foncière
ment, la femme elle-même, comme l'azur d'ailleurs, demeure
in"/iolable.
Chevelure: "L'onde de fiers cheveux",5 sans lourdeur,
presque ~atérielle, complète la suggestion de la vocation
d'arrachement qui est incitée par "l'heureuse fluidité du
lRichard, op~ cit., L'Univers, p. 114.
2Mallar.mé, op. cit., ~, Petit air .I, p. 65.
3Ibid., Le Guignon, p. 29.
4Idem, "De l'orient passé des temps", Fontaine, Paris, nov. 1946, p. 34.
5 Idem. op. cit.; ~, Contes ind~, Le Portrait Enchanté, p. 593.
" ". "
, " ,cheveu-fétiche".l' "Ri '\T1ère.:tièd~ ",2, la chevelure tient de,
lamobiiité ,dë l'eau; el:teconf'ondses:"flotsnoirsn3 ou son
"blond'torrentn4 darisl' égarement précipitédl.Wl' cours dl eau. ,
, Le'poètepeutalor~~~an~mue~ ".:Le ' splendide ' b~in 'de eheve~,,5 ". " " '. . .' : ~ . .
en rivière ide ale qui le .meners'·aux t.erres somptueusement' ,.
féminines' de,s'o~r~~e.'·, .:. .. :
C' est' aus~i'~ri ft j,oyeuse ett'lltélaire torche", 6 que
la chevelure rappelle l'é~ân(3scencealtière de la flamme;
image souvent prédominante et significative à cause non
seulement du feu qui s' élan<?è et se perd dans l t au delà,
mais aussi à cause de Itassociation avec le soleil, ce prome
neur azuréen tant envié qui éclaire les cheveux de la "lut
teuse endormie"7 de Tristesse d'été, la crinière dl.!!"!?!
petite laveuse blonde, et le spectre familier d'Apparition.
~is le rôle idéal de la chevelure est bien celui de
l t e'ss~r' de "de'llX aiJ:es de lumière"8 qui, par sa suggestion
d'évanescence de la présence féminine, exalte le poète en une
IBerthe Morisot, Correspondance de Berthe Morisot'; avec sa frumille et ses arnds, éd. des Quatre ohemIns$ paris, 1956, p. 178.
18
~alla~é, op. cit., ~~, Tristesse d'été, p. 37.
3Mondor, Mallar.mé lycéen, Gallimard, Paris, 1954, p. 138.
~allarmé,op •. cit., ~; Hérodiade, Scène, p. 44. 5 Ibid., L!Api-ès-midi, d!'un;,faune (églogue), p. 52.
6Ibid., La Chevelure, p. 53.
7Ibid., Tristesse d'été, p. 36.
~ondor, "Mallarmé plus intime", N.R.F., Gallimard, Paris, 1944, p. 35.
approx±mation imaginaire de cette fuite; la vision d'envol ne 1 tarde pas à "se (v3tir) de l'azur qui sort de sa chevelure",
et la projette dans l'éloignement absolu du ciel, éloignement
que "les cheveux, vol noir"2 d' 'lm Saint Jean auront pour mis
sion de hasarder.
La chevelure peut cependant se durcir en voile d'acier,
comme en témoigne Hérodiade; elle devient alors obstacle au dé
placement. M3me à ses heures ~es plus favorables elle n'est
pas à l'épreuve de l'échec, comme le rappelle Poulet à propos
de la chevelure, cette chevelure qui, dgns Le Château de
l'Espérance -
ft •• ~ a fait nattre en ~s·on cerveau l'idée d''lm drapeau; (son) coeur ~ris d''lme ardeur militaire, s'élance à travers d'affreux paysages et va assiéger le cbâteau
3fort de l'espé
rance pour y planter cet étendard d'or fin. n
Rien à faire -- la traversée était pré-condamnée et
il ne s'ensuit pas nécessairement que le pélérinage, à son
terme, apportera le bonheur parce que Mallar.mé aura su naviguer
à travers une chevelure ou s'en servir à titre d'étendard' Elle
n'est en somme que milieu à explorer et n'assure· pas le succès
du voyage.
lMallar.mé, op. cit., ~, Symphonie littéraire, p. 265.
2 Idem, OP. cit., Noces, p. 119.
3poulet, op. cit., p. 307.
19
~: La chevel'U.!'e prépare au vaste songe de la mer
avec nle doux hennissement (de ses) aurores marines'~I.l Son
immensité~ aussi réelle que rêvée, authentifie le grandiose
de) l'aventure en offrant à l'oeil "une grandeur sans com~
paraison, mais concrète, ~édiaten.2 Robert Greer-Cobn
ajoute à son acception macrocosmique évidente le refoulement
du retour impliqué dans l' homon'Yllle "mère", également milieu '. .
orphique salin où l'on aspire à retrouver l'inconscience
première: "... everJlDB.ll returning to' ever-ywoman". 3
Mallarmé doit se constituer nune grotte ma~ine"4 d'où
il va tenter la posse.s,sion de ce milieu menaçant pour s' ini
tier à ses rites et s'aguerrir contre des naufrages qui ja
lonnent les principales tentatives de traversée: Brise
Marine, Salut, A la nue accablante tu et Un Coup de dés. Mais
le poète n'est pas entièrement satisfait des paysages marins
, qU'il rencontre, et si "(sa) nudité intellectuelle (est)
s~olisée par la mer l1 ,5 paroles de Jacques Gengoux, elle est
lMallar.mé, Le Réveil du faune, éd. Rombaldi, Paris, 1944, p. 8.
2Bachelard, La Terre et les r~veries de la volonté, Librairie José Corti, Paris, 1948, p. 379.
3R. Greer-Co~, Mallar.mé's Un Coup de dés, Yale French StUdies Publication, New Haven, Conn., 1949, p. 25.
4Malla~é, Propos sur la poésie, éd. du Rocher, Monaco, 2e éd., 1953, p. 92.
5J. Gengoux, Le Symbolisme de Mallarmé, Nizet, Paris, 1950, p. '75.
20
.symbolisée aussi par une mer recrée, synthétisée; le penseur
ne peut discerner dans la vraie mer l'agressivité ténébreuse
des eaux wagnériennes - tant r~cherchée - ce qui a inspiré ces
paroles à . Banville: n.. •• la nature comme nous la voulons et
comme nous la voyons d'ici n'est nul.lepartn~l Où, .en effet,
pourrait-elle exister, cetté mer absente de iaterre., au bord ..... .",."'
de laquelle on saurait deviner "au delà de notre séjourorcii-
naire, c' est-à-dire l'infini et rien", 2 .. ·un telini11eu·'t>er~e~ , ' .. ' . . . . .
rait du Néant~ site de mort à traverseretoù.,peut~3t~e, la
conscience survivrait en quelque scintilla tion~1m~ginable.· De là un petit Anatole en costume de marin sur son lit de
mort, selon le voeu de son père, ainsi que l'atteste le pré
cie'UX recueil de Documents iC01'lographiques· de Mondor: 3
"Petit marin, costum.e marin, quoi, pour la grande tra-versée".4
lCharles Chassé, Banville cité dans Lueurs sur Mall ar.mé , éd. de la Nouvelle Revue critique, Paris, 1941, p. 83.
~llarmé, op. cit., O.c •• , La dernière mode, p. 132.
3Mondor, Mallar.mé, Documents iconographiques, P. Cailler, Genève, 1941, doc. XXVII, XXVIII.
~allar.mé, op. cit., Anatole, p. 185.
21
Verdure: Extension terrestre de la mer, la verdUre,
"en maint rameau subtil", l propose une traversée moins fatale
que la tombe mais, come l'affirme Bachelard.: !
••• il n'est pas besoin dl~tre longtemps dans les bo+s pour conna!~re l'impression toujours un peu anxieuse qu'on "s!entonee 11 dans un monde sans limite. 2
n faut au r~ve de déplacement le prélude végétal "énervé de
parfUlll3 d'arbre"3 ostensiblement absent des sites aquatiques
d'Avignon et de Tournon. (Voir Corr. p.15.)
La verdure devient la chevelure de la nature, et les
deux thèmes sont souvent ·interchangeables comme en témoigne
le "gazon de territoiren4 de la visitation érotique ou dans
le désir "d'herbes enivré"5 du Pitre châtié qui traverse de son
regard l'écran de cils-roseaux. Richard avance ici que
••• la qu3te spirituelle ou sensuelle ne pourra pas se dispenser de s'enfoncer en cette ••• profusion (végétale) si elle veut vra~ent atteindre l'3tre 10intain.6
Si le poète cherchait sa fin sur la nappe du Néant, la pro
menade à travers la touffe végétale serait la'recherche de
lui-m3me: " ••• être soi, un tel, poursuivi aux forêts,
lIdem~ .2J2.Q cit., ~, L'Apl"ès-midi dl un faune (é-glogue), p:-bO.
2Bachelaz'd, op. cit., La poétique de l'espace, p. 170.
3Ma11armé, op. cit., ~, Renouveau, p. 34.
22
4Ibid., lM' introduire dans ton histoire ••• , p. 75.
5Ibid., Poésies, 1ère version, Le Pitre châtié, p. 1416.
6Richarà., op. cit., L'Univers, p. 104.
· épars, jusqu'à Une source la.. ,,'1 Il lui est impossible, au
dire de sa fille GeneViève, de tolérer les paysages bornés:
Je crois, disait-il" que si jfavais un ps.rc merveilleux, j'iraiS toujours m'asseoir sur le banc de pierre extérieur, celui qui est de l'autre côté du mur, à la po:rt e. 2
La verdure sauvage et.l1bre le séduit par son appel irrésis
tible qui l'invite, d'apr~s Richard:
••• (l)rejoindre ces au delà terrestres :. autrui, l'objet, moi-même •••. ~ Du rêve azuréen au songe végétal, ••• le projet reste de traversée, et le désir vise toujours une origine. 3
Miroir: La fenêtre s'ouvre, le jour, sur le paysage
extérieur, mais la nuit venue elle renvoie au chercheur sa
réflexion sur un fond de ténèbres; elle se mue en miroir
nocturne, "révélateur", pour Guy Michaud, "d'une autre réa
lité, inaccessible à nos yeuimçI'tels".4 Le miroir écarte
les dangers du jaillissement hors de soi puisqu'il occasion- ..
ne le repliement vers llorig'ineoù le rêveur s'appara1t dans
le brouillard de la glace "comme une ombre lointaine";5 la
pureté première ainsi retrouvée, le rêveur se "mire et (se)
voi(t) ange".6 Marcel Raymond va plus loin encore -- il ne
IMallar.mé, OP. cit., ~, Bucoligue, p. 403.
2G• Mallarmé-Bonniot, "Mallarmé par sa fille", déc. 1926, p. 521.
3Richard, op. cit., L'Univers, p. 106.
N.R.F.,
4G• Michaud~ "Le Thème du miroir dans le S-ymbolisme f'rançais lt , C.A.I.E.F., mai 1959, p. 199.
~llar.mé, op. cit., ~, Hérodiade, Scène, p. 45.
6Ibid., Les Fen~tres, p. 33.
23
e s'agit plus d'une simple révélation: n ••• c'est par le miroir
que s'ouvrait autrefois l'aut~e monde".l Il est donc milieu à
parcourir tangiblement pour rejoindre le moi d'antan, "jusqu'à
ce qU'il se détach(e) permanent de la glace".2
Mais le miroir est un milieu à double trajet; au recul
du contemplateur vers lui-m~me s'ajoute sa vocation de "seuil
redoutable",3 écrit Léon Cellier. Il introduit la présence
tombale dans sa nostalgie de l'apparition et ainsi le miroir
se métamorphose en styx.' à rebours en "passage qutempruntent
les morts pour revenir jusqu' à nous".4 Par un mouvement in
verse la froide liquidité du miroir propose au r~veur "mille
sépulcres pour y vierge disparattre",5 véritable terrain or
phique de l'aller-retour.
Tombeau: Ce nouveau terrain avec lequel Mallarmé
doit se familiariser s'apparente à la fenêtre q~i attend "un
croque-mort grimpant au logis de la morte par la lucarne", 6"
m~me vitre que troue Saint Jean pour sortir de son tombeau
~. Ra~ond, st~hane Mallarmé, Essais et témoignages, éd. La Baconniere, Neuc tel, 1942, p. 47~
~llarmé, op. cit., O.~, Igitur, p. 441~
3L• Cellier, Mallarmé et la morte gui parle, P.U.F., Paris, 1959, p. 84.
4 ~., p. 85.
5Mallanné, op. cit., ~, Le Pitre ch~tié, p. 31.
6Ibid., Galanterie macabre, p. 16.
24
avec "un vol ébloui de vitrage";l devenue ~roir, cette
vitre s'identifie à la pierre tombale des anc&tres d'Igitur.
Le tombeau sert de lieu à la rencontre parfaite, c'est-à-dire
avec 1 1être dont la mort a écorché le faux moi et lia rendu
perméable, pleinement sensible à la visite: "Tel qU'en lui
même enfin 11éternité le change".2
L'inspiration hégélienne domdnera cette recherche
abyssale qui aspire à la "résurrection ste11a:ir e de la mor
te"3 repérée par Mauron. Comme la province française aux
"heures enfouies4 qui préparait la résurrection parisienne
du poète, le tombeau doit 3tre franchi et 11est dans Igitur
ot.
••• l'obstacle ••• a été sournoisement attaqué et comme désintégré par le mouvement successivement négateur de la pensée dialectique ••• la nappe nocturne se divise ••• en une inf'inité de petits intervalles séparés. 5
Cèttechute tombale organisée promet une pureté de descente
et d'union dans la mort que réalisent "la défunte nue"6
1 Idem, op. cit., Noces, p. 59.
2Idem, op. cit., ~, Le Tombeau d'Edgar Poe, .p. ?O.
3Charles Mauron, Introduction à la psychanalyse de Mallarmé, éd. de la Baconnière, Neuchâtel, Paris, 1950, p. l5S.
~ranc1s Jgmmes, S. Mallar.mé, Dialolgues, Stols, La Haye, 1940, p. 13.
5Ricbard, op. cit., L'Univers, p. 19J.
9Mallarmé, op. cit., Ses purs o~gles très haut dédiant leur onyx, p. 69.
accouplée aux licornes du Sonnet en X et l'introversion ~dro
gyne de H~et dans Un Ooup de dés; ces visiteurs dont la
marche aboutit au tombeau y sont conduits par divers équiva
lentsaquat1quesdu . "Sty.x:" • . . ..
. Nuit" page blanche: La nuit s'unit au milieu tombal
et àI11apëurd~Inolirir·lorSqU'Oncouche seul""l mais elle ne . , . . .
signif1e,pasnoirce~--elle est nuit ,blanche" héritière de . '.' . .".
l' a.ZUl',lIi~urdésert· négatif' ••• identique à la di~tarice qui
,J.esépare du.contemplateuru•2 Elle tire son existence d'une .' .' . " .. .'
attente qui se prépare pour "sonner la descente au Sty.x.".3
. Richard nous apprend que nl'enfoncement nocturne ••• sera
choisi" assumé, positivement traverséu4 avec les poèmes de
la nuit: Igitur"Un Coup de dés" Las de l'amer repos"
Victorieusement fui et Brise marine.
Le glissement de la nuit polaire à la page "implaca
blement blancheu5 est naturel. Mallarmé juxtapose ces deux
éléments ouvertement dans Brise marine où "le vide 'papier
que la blancheur défendu6 le trB;risperce dès qU'il s'adresse à
la nuit tentatrice qui l'exhorte au large. Il aspire, nous
l cih" O.c." Angoisse, 35. Idem" op. p.
2poulet, op. cit.; p. 321.
3Mauron" op. cit.~ PSlch~al:lse, p. 16'7.
4Richard, op. cit., L'Univers, p. 161.
~allarmé, op. cit., Corr., p. 150. 6 Id "it O· " 'D....1' _--c._ , . .., 38 _____ em .. , op., c ;,;. ,i.-C."1.:..".Q;L- se. mi;U-.a..w.e~,,'p. •
26
,e _dit Chassé, à "projeter tous ses r3vesnl sur le milieu
nocturne et sur son correspondant artistique, la page
blanche, 'et enfin à les fouiller dans. leurs profondeurs
dernières; mais cette blancheur lui revient "pour conclure
•••. rien au-delà et aut1:l.entiquer le silence,,~2
lChassé, op. cit., Lueurs, p. 89.
p. 387. 2Mal 1 armé , op. oit., ~., Le Mystère dans. les lettres,
·27
CHAPITRE II
AGENTS DU VOYAGE
Tels que mentionnés dans l'introduction, les agents " -
du voyage comprennent les messages et les messagers. Les
messages,objetsstatiques,sugg"èrent quand même ""le Ir.ouve
ment par leur rappel de la toison à atteindre. Ils sont un
point de départ vers 1atranscendaIlce,. une réduction de l'i-.' . :' '.
déa1. Les meSsagers, par contre; sont des agents indépendants
- personnages et corps en mouvement- qui agissent par eux
mêmes et se meuvent vers un but.
Bibelot :"" Quelques témoignages des contemporains de
Mal1ar.mé suffisent à mettre en évidence son inclination pour
le bibelot. Il paraissaitè. Hérédia "trop exquis pour savoir
jouir de la vie ou de la naturelt;l rien de plus simple alors
que ceci: "la fatalité disputait l'espace et prenait à tâ
che de resserrer le champ de mouvement et de visionlt •2 Donc
nul refuge plus sftr que "la verrerie éphémère"3 qui occupe
une place privilégiée dans le champ des préférences mallar
méennes. Messager par èxcel1ence du voyage g;t'.âce è. un lIsta
tisme" suggestif, l'objet nous distrait de l'extérieur
1Chassé, op. cit., J.-M. de Hérédia cité dans Lueurs, p. 83.
2François Calmette, Leconte de Lisle et ses amis, Per Lamm, Paris, 1902, p. 232.
3Mallarmé, oJ2.! ci t., .9.!..2.o, Surgi de la croupe et du bond, p. '74.
" obsessionnel en nous imposant sa réalité tactile. Crédences,
vases, coquillages, sont autant d'objets qui écartent l'ab
surde par leur simple manifestation d'Etre et qui per.mettent
à Mallarmé de tolérer l'existant : "Fuir ce monde-Z On en
t 11 l es •••• Le bibelot nous fait envisager une matérialité
alourdissante à l'échelle réduite et sous sa fonne la plus
alléchante; ses repliements annoncent un "vol recueilli •••
pr3t à s t élargir1t •2 Selon Richard, l'objet s'évade ainsi
vers un centre spirituel, ;et il s'enfuit à travers celui-ci
vers la totalité des autres objets du monda ll• 3
29
Le bibelot fait plus encore: il réveille tout un
monde intérieur nouveau, comme par exemple le pty.x, coqÙilla
ge beau qui contient en lui tout le tumulte de la mer. C'est
bien ce que Gardner Davies se figurait lorsqu'il disait :
••• de la perception directe d'un phénomène quelconque, il passe à l'absence de celui-ci, pour aboutir à une reconstitution intellectuelle qui représente à la fois le phénomène et son absence. 4
Autrement dit, le bibelot est message qui certifie ailleurs
l'existence de ce qu'il évoque; la réalité matérielle de ce
nchu trophéeu5 élevé au-dessus du quotidien sert Ode point de
départ vers les terres nouvelles du Beau.
lIbid., La dernière mode, p. 719.
2Ibid., Le Livre, instrument spirituel, p. 379.
3Richard, op. cit., p. 420.
4G. Davies, Mallarmé et le drame solaire, Librairie José Corti, Paris, 1959, p. 280.
5Mallarmé, op. ci~., 9.:.2,., Tout orgueil fume-t-il du soir-Z, p. 73.
Fleur: La fleur est, dès ses origines d'envol chu
du ciel, message d'espoir quant au voyage. Elle nous console
par son "oubli des humaines. douleurs"l que la contingence in
flinge à l'espèce humaine. Le trophée floral reflète le ciel
dont il est issu(en un jaillissement de pétales, "car si l'a
zur a une indolence florale, la fle~.a inversement une ori
gine azuréenne et une parenté virginale".2 Il y a union
hypostatique entre la fleur terrestre "au filigrane bleu de
l'âme se greffant"3 et sa contrepartie idéale, laquelle assume .', .
une nouvelle présence florale à conquérir : la femme azuréenne.
Le trophée floral joue aussi un rôle médiateur en
tre le féminin terrestre et le féminin céleste, manifeste
dans les premières oeuvres encore intouchées par l'hermétisme;
ainsi, dans Ce que disaient les Trois CigOgnes, la présence
féminine, arrachée pour un moment à la mort, unit la "royale
rose rouge"4 à sa couronne de morte. Richard nous révèle,
que -
, .
••• cette union du blanc et du rouge ••• para1t ••• le signe d'une réconciliation du ciel et de la terre, de la femme angélique et de la femme charnelle. 5
ser~e
Irbid., op. cit., ~., Hérodiade, Scène, p. 45.
2A•M• Shmidt,. La Littérature s-ymboliste, P"U.F., "Que sais-je?", Paris, 1942, p. 12.
3Mallarmé, op. cit.,. ~., Las de l'amer repos, p. 35.
4 Idem, "Ce que disaient les Trois Cigognes Il, Le Point, Paris, 1944, fév.-avril, p. 26.
5Richard, op. cit., p. 81.
30
Enfin, Mallarmé dit bien la valeur évocatrice de la
fleur pour "le poète las que la vie étioleul dans une let
tre à Huysmans :
••• et ces fleurs.J ~vision absolue de tout ce qui peut, à un individu placé devant la jouissance barbare ou moderne, ouvrir du paradis la sensation seule. 2
Il écrivait ceci à l'époque de Prose pour des Esseintes,
quand la r~verie de la visitation florale se transformait en
fleur prise dans 1limmédiat, mais élancée en· "gloire du long
désir".3 Voilà la promesse du déplacement absolu vers les
al ti tudes du Beau.'
31
Etoile, constellation, di~t : L1étoile s'avère la
continuation céleste de la mission florale. Adile Ayda cons
tate cette parenté entre la fleur et l'étoile :
Les fleurs ornent la terre comme les étoiles ornent le ciel. Celles-ci comme celles-là qnt pour mission de consoler les hommes, d l attirer sur elles leur attention. 4 .
Par ce rappel vers les réalités transcendantales à
retrouver, les étoiles balisent la route qu'emprunte cet en
chantement du trésor artistique, leur feu guide le v.oyage;
ainsi faut-il "ravir Itétincqlle aux. astres".5 Rien ne ma
gnétise autant vers l'ailleurs que l'étoile aU ciel et la
lMallar.mé, op. cit., C.c., Les Fleurs, p. 33.
2Roland de Renéville, Mallarmé cité dans Univers de la parole, Gallimard, Paris, 1938, p. 46.
p. 56. 3Mallar.mé~ op. cit., ~., Prose (pour des Esseintes),
4A• Ayda, Le Drrume intérieur de Mallarmé, éd. La Turquie moderne, Istambovi, 1955, p. 171.
5Mondor, op. cit., Mallarmé cité dans Mallarmé lycéen, p. 208 •. -------
franchise des premdères oeuvres le démontre bien
Prends ton vol et t'élgnce Traverse les éclairs et redeicends vainqueur Portant l'astre à ton front.
Oe dernier vers' rend bien la valeur directrice du
message stellaire qui marque au front le chercheur sur terre
revenu pour y poursuivre son aventure. L'étoile se présente
ici COllmle le paradigme du "petit" et du "froid" : rien ne de
meure du flamboiement astral -- elle est glacée à la manière
du matin "grelottant de fleurs".2 Elle répand I1IIles scintilla
tions (du) septuor",) pour se multiplier dans le coup de dés
du septentrion, cette Itconstellation froide d,'oubli et de
désuétude".4
Quand il s'impose ainsi par la force du nombre au poè
te, le message stellaire prend une valeur ésotérique en tant
que constellation; les arcanes de l'astrologie débouchent
vers une esthétique lumineuse. En la .. constellation, . nous
dit Richard, "le hasard infini se réduit".5 Ainsi la poussée
vers le terme du voyage est actionnée par "la danse idéale
des constellations,,6 qui apportent une précieuse délimitation
lIbid., p. 19).
2Mallarmé, OP. cit., ~., HérOdiade, Ouverture ancienne, p. 43.
3~., Ses purs ongles très haut, p. 69.
4Ibid., Un Ooup de dés, p. 477.
~ichard, op. cit., p. 309.
6Mallarmé, op. cit., ~., Ballets, p. 30).
32
de ce ter.me grâce à un amoindrissement de l'incidence du
hasard. ...... . .. La for.me accessib~e du message stellaire se situe
au sein du diamant, présence concrète ou abstraite comme
deux "reflets d'un vol circulaire supérieur de pierrerie ou
d'be tt•l Le diamant offre la centralisation r~vée et la
concentration intense de la lumière céleste en un bibelot
parfait; i.l réjouit Mallar.mé par sa "complication stellaire ll
parce .qu'il est "résumé de l'univers"2 et demeure ainsi le
rappel constant de ses frontières qui toutes s'étalent en
circonférences concentriques.
Source d'eau, pluie : Comme agent du voyage, la
source d'eau se propage en une expansion horizontale entra1-
née par le dynamisme de son mouvement. Elle s'affranchit de
nla présence des eaux lourdes et mortes"3 d'un Poe qui la re
tiendraient dans sa course vers la mer. La source est pour
Mallar.mé lIun des trois ou quatre thèmes absolus ••• qui coule
selon un livre vivant".4 Elle peut accompagner le déplace
ment hum.ain qui aime à s'enfuir "avec de longs fleuves,,5
lIbid., Le Mort vivant, p. 615.
2Idem, brouillon d'Igitur dans Les Lettre,s" nO spécial, Paris, 1948, p. 24.
3Richard, Poésie et profondeur, éd. du Seuil, Paris, 1955, p. 96.
4Chassé, op. cit., Mallar.mé cité dgns Lueurs, p. 49.
5Mallarmé, "Dialogue des ny.mphes", Les Lettres, nO spécial, 1948, p. 21.
33
':)JI II!!! .:r:s:.
ou y faire suite tout simplement car, dans la pensée mallar
méenne, Il toute. fui te pl.us avant, revient en tant que fleuve Il .1
Les eaux libres trouvent leur réalisation par excellen
ce dans le fractionnement pluvial dont les cascades rappellent
le torrent capillaire ou l'ondée de pleurs angéliques. Artihur
Koestler reconnalt dans cette manifestation lacrymale un élan
vers autrui :
••• un désir de transcender les frontières insulaires de llindividu, d'entrer en rapport in~ime par symbiose avec un ~tre humain ou une autre entité plus prestigieuse, réelle ou ~ginaire, dont le moi est conscient d'être une partien•2
Bientôt la pluie de larmes se béatifie en "odorantes avalan
chesn3 de fleurs dont "chacune retomb(e) e~ pluie d'étoilesn•4
Tout ce mouvement vertical descendant des navalanches d'or
du vieil azur"5 appartient à une période antérie'UJ:'e à la
chute de l'espérance; plus tard, il ne sera que témoignage
d'une tombée érotique avec "l 'avalanche de roses mauvaises
ayant le péché pour parfum" ~ 6 La déplacement aquatique se
condaire des sources d'eau et de la pluie ne suffisent plus;
ult~ement le poète abandonne leur mobilité trop facile et
trop lyrique, ~onç~t un au delà factice.
lIdem, OP. cit., ~., Bucolique, p. 404.
2A• Koestler, The Art of Creation, Macmillan Co., New York, 1964, p. 299.
3Mondor, OP. cit., M. plus int., p. 28.
4 Ib - 41 ~., p. •
~allarmé, OP. cit., ~., Les Fleurs, p. 33.
6Ibid., Symphonie littéraire, p. 263.
35
Jet d'eau, de feu: Comment vivre dans un au delà
et en même temps subister dans le concret quotidien, la réa
lité connue? Où trouver l'agent subtil qui puisse concilier
les deux mondes sans les heurter? Le jet d'eau réalise mira
culeusement cette conciliation; issu d'une margelle terrestre,
il s'élgnce vers les hauteurs inviolées~ Si au début il
"soupire vers llazur",l son élan découragé rebondit aussitôt
pour orienter sa chuta en un mouvement perpétuel entre les
deux mondes. A~ec ~on intarissable jaillissement d'eau et
de lumière il semble se dynrumiser pour le voyage sur la
secrète trajectoire qU'il ne parcourra jamais. Ainsi se
boucle le rêve du ma1tre d'une "grande allée que terminerait
un jet d'eau",2 allée d'épreuves à sub.ir avant le délice
de ce mouvement minuscule se renvoyant sans fin son message
de joie; c'est le message poétique par excellence grâce à
son évocation de la poésie "éprise d'elle-même" et qui ~re
tombe délicieusement ll3 en l'âme du poète. Au dire de Poulet,
le jet d'eau voudrait parvenir à l'inaccessible dans le plus
simple mouvement, comme lIun désir qui s'élève, se trouve," se
reflète et retombe n •4
lIbid., Soupir, p. 39.
2Idem, op. cit., Cor~., p. 240.
3Ibid., p. 243.
4poulet, op. cit., p. 302.
La rÉiverie du "circuit fermé" est un échec d'envol
parce que l'ardente promesse de rompre les liens terrestres
ne se réalise jamais. Le jet d'eau n'offre qu1 un songe éphé
mère et se transforme par sa propre hésitation en symbole
d'enracinement, alors qU'au début il se 'présentait comme
candidat à l'arrachement terrestre. Oe n'est donc pas par
hasard que Hérodiade, héro!ne du futile, apparatt "comme
près d'un bassin dont le jet d'eau (1) 'accueille".l
Le poète en vient mê~e à rÉiver au jet qui serait
idéal, libéré des liens de la gravité, le jet igné du feu
dtartifice dont il retrouvait chez Baudelaire "les gerbes
roses".2 Mallarmé contemple aussi les envolées de feu qu~,
par quelque magique 11 jeu de clavier électrique ••• , dessi
nerai(en)t dans la nuit des motifs: paon, galère, etc.",3
motifs en.fuis dans un éclat de lumière.
Soleil : Pendant toute sa carrière Mallarmé a ac
cordé au soleil une place de première importance dans sa
symbolique. "Au coucher comme au lever du soleil~l, nous dit
Ohassé~ "il est fait allusion dans presque chaque poème de
jeunesse de Mallarmé".4
Out of
lMallar.mé, op. cit., ~., Hérodiade, Scène, p. 44.
20harles Baudelaire, Oeuvres com~lètes, Anywhere the World, éd. de la Pléiade, Par1s, 1951, p. 348.
3Geneviève Bonniot, Mallarmé cité dans"Mardi soir, rue de Rome", Les Marges·, jan. 1936, p. 17.
36
40hassé, Les Olefs de Mallarmé, Aubier, éd. Montaigne, Paris, 1954, p. 44.
Dénudé et libre de par son essence astrale, ce
"tison de gloireul se constitue par sa vélocité stellaire
agent privilégié dans le drame du voyage mallarméen. Sa
marche solennelle qui inspirait l'adolescent à s 1exclamer,
tel un Argonaute, "Volez vers le soleill Ravissez l'étin
celle •• ~ 1t2devient pour l'adulte une heureuse image inflé
trissable du déplacement cosmîque perpétuel ainsi qutun mo
dèle de voyage bravement entrepris et constant malgré les
risques du précipice crépusculaire.
Le so~eil et le génie se confondent à leur aurore en
37
un m~me essor pot:t:r> "apaise(r) de l'éden 11inquiête merveille".3
Cependant, dès 1870 le thème vespéral 11emporte sur "l'illU
sion dt orlt4 matinale plus propice. Affolé par la disparition
des siens, des poètes, des nymphes, du Cosmos, 1lesprit-soleil
stél~ce sur leur trajectoire, acheminé vers sa propre dispa
rition cyclique qui, idéalement, limiterait au soleil cet
"aspect inacceptable de. l'univers impur, inc ohérent 11 , que le
poète stefforce, selon Park, "de nier par tous les moyens". 5
Par son voyage au bord du gouffre céleste, le soleil sert
l~allarmé; op. cit., ~., Victorieusement fui le suicide beau ••• , p. 68.
200.
2Mondor, op. cit., MaIl. lyc., p. 183.
3Mallarmé, op. cit., .Q..:.g,., Toast funèbre, p. 54.
4 Idem, Entre quatre murs, Gallimard, Paris, 1954, p.
5park, op. cit., p. 24.
ainsi de prétexte à la h~tise ma11arméenne de la négation
ontologique. Cette catastrophe du voyage vespéral préoccu
pait déjà le maître d~s Les Dieux antigues où il devinait
les disparitions taciturnes d'Héraclès, de Bellérophon et
d'Achillel , dans la tragédie solaire.
Chaque jour voit "ce vaisseau qui enfoncen2 terminer
sa course à l'horizon qu~d le naufrage met un terme à l'a~
venture; cette entreprise tragique suffit pourtant à lui as
surer un périple céleste sans fin dans un cadre limité, sur
lequel le voyageur de l'~sprit peut calquer ses premiers
itinéraires. L'échec du soleil ne déterminera pas son ache
minement vers les Tombeaux mallarméens, car le poète se réser
ve la. consolation des sépulcres vides. Cependant, comme le
38
jet d'eau, il ne réussira pas à changer d'itinéraire pour par
courir une route vierge en dehors d~s·~e'Ycles. co.smiq'.lles(.prédéter
minés :
Le soleil que sa halte Surnaturelle exalte Aussitôt redescend Incandescent. 3
IMallarmé, op. cit., ~., Les Dieux antiques, p. 1213, 1215, 1267.
2Ibid., .2!:., p. 398.
p. 49. 3~., Hérodiade, III Cantique de saint Jean,
Vent, rir~ : Le vent est une présence vivante et in
time qui annonce au moyen du "malaise provoqué en nous par
l'appel de (son) esprit voyageurttl llailleurs indiscutable
dont il est issu. Il s'identifie facilement, par analogie
sonore, au rire, si l'on suit Mallarmé dans Les Dieux anti
ques, où il est question du "rire moqueurn2 dtHermès, dieu
du vent qui nargue notre pitoyable enracinement.
Le vent s'associe aux notions d'allégresse et d'en
vol, grâce à sa mélodie ailée qui éclate en un ":rire vaste
envolé haut".3 Le poète croit entendre dans "le rire de la
nature" né tiparmi les vagues", 4 quand le dynamisme ascen
sionnel du vent se confond avec le langage instinctif de la
nature, lé son de quelque cor victorieux, annonciateur de
llessor idéal : tout cela parce que le maître a conçu un
"rire qui sait r~ver",5 condition première d!élévation,
dont l'éclat fond la nappe infinie des gels intérieurs dans
~'introduire dans ton histoire où l'aventurier apprend à
"rire très haut sa victoire ll6 imaginaire.
lJacques Scherer, Mallar.m.é cité dans le "Livre ll de Mallarmé, Gallimard, Paris, 195'7 ,p. 22(A).
2Mallar.mé, op. cit., ~., Les Dieux antiaue~, p. 1256.
3Ibid., Notes sur le théât~e, p. 33'7.
4Ibid., 5Ibiq., 6' Ibid. ,
Notes sur le théâtre, p. 338.
Eventails, XIII, p. 109. M'introduire dans ton histoire ... , p. 75.
39
Dépourvu de son rire, le vent devient messager de
l'espace, issu de l'haleine des anges, haleine chargée de
transmettre les "voeux pleins de confiance" qui "s'envolent
vers le ciel".l Mallarmé dotera là vent des aspects obses
sionnels du voyage : "effarement du vent nocturne". 2 Le
vent lui souffle les chuchotements d'un ailleurs peuplé
d'ombres familières enfuies et lUl'i.; montre une image de ber
ger cosmique qui courberait vers le sol les étoiles éparses.
Mais à l'instar des autres agents, le vent ne peut
s'approcher de rien ni même viser un ailleurs parce que son
champ d'action s'est disloqué: "1es cieux sont Ichus,".3
A la vision exaltante des cieux s'est substituée la présence
du Néant où aucun voyageur ne s'aventure, encore moins le
vent qui requiert tout l'étaiement de la matérialité pour
prêter un sens à son vol ~atériel. Son sifflement, promet
teur au début d'envols heureux, en vient même à signaler' 'la
présence du Néant, domaine du non-être et de l'inatteignable.
Les paroles angoissées écrites au chevet de mort du petit
Anatole, "Soleil couché et vent. Or parti, et vent de rien
qui sOuffle lt, 4 expriment la futilité dernière que représente,
lIbid., Cantate pour la première communion, p. 3. o ~ondor, op. cit., M. plus int., p. 31.
3Scherer, op. cit., Mallarmé cité dans le "Livre", p. 29 (A).
4Richard, Mallarmé ci té dans Pour un "Tombeau d'Anatole", éd. du Seuil, Paris, 1961, p. 59.
40
Aile, pied: L'étude des êtres ailés, oiseaux et éven
taiJ.s, aux prochains sous-titres, tente d'approfondir "lléter
nel coup d'aiJ.euJ. qui a toujours plané sur la mystique mallar
méenne du voyage. Signalons toutefois la signification de
l'aiJ.e détachée et chue jusqu'au paysage terrestre; elle t·é
moigne d'une mobilité antérieure, mais à la manière d'un tro
phée qui a cessé de remplir sa fonction première et évoqua
dans une salle close sa liberté d'autrefois. Le démembrement
de l'aiJ.e annonce la cessation de son vol mais rappelle tou
jours sa vocation interrompue de voyageur célesta.
Mérite d'être mentionné J.e rapport qui existait dans
l '.espri t du poète entre l' agent de dépJ.acement aérien et le
pied, sa plus modeste contre-partie terrestre. Il l'idéalise
ra avec un "soleil qui les dore" et "fait (ses) pieds ailés ll•2
S'il n'a pas la mobilité aérienne entière, le pied poétisé
remplit cependant les conditions classiques d'envol prescrites
par Léonard de Vinci :
••• J.a légèreté n'est crée que si elle est conjonction avec J.a pesanteur, et la pesantetœ ne se produit que si elle se prolonge dans la légèreté.3
A titre d'agent idéalisé, le pied a donc un plus vas
te champ d'action qu'un pied ordinaire. La force pédestre
est grandement augmentée par un souffle qui porte le pied
p. 342.
lMallarmé, op. cit., ~., La dernière mode, p. 730. 2~., Sa Fosse est fermée ••• , p. 7.
3Bachelard, op. cit., Da Vinci cité dans La Terre,
4J. . 1
vers le monde des rêves comme l'atteste Hérodiade: "Allons
au doux tombeau des songes, mes talons,~l Voilà le pied, doué
de la mobilité flottante de la vision orphique et dissocié du
lieu purement terrestre que réclamerait sa nature. Que le
pied soit "talons ingénus 1t2.d1ï.tm f.aune qui bouleversent une
nature grandiose parcourue ou "pur orteilu3 qui fouille
jusqu'aux dédales les plus secrets de 11essence florale, il
demeure toujours l'agent le plus audacieux qui n'hésitera
pas à se poser sur "quelque gazon de territoire".4 Resplen
dissant dans sa nudité, le "talon universelu5 avance, muni
de pouvoirs magiques nouveaUX; il est l'apanage des divinités
aventurières et son évocation suscite des songes de terri
toires qui attendent patiemment la sensation de son empreinte
conquérante.
lMallar.mé, OP. cit., Noces, p. 163.
2 Idem, op. cit., ~., L'Après-midi d'un faune (églogue);-p7 52.
3~., Les Fleurs, p. 33.
4Ibid., M'introduire dans ton histoire ••• , p. 75.
5Ibid., Les Mots anglais, Livre troisième, p. 1014.
42
Oiseau: D'après le répertoire du poète, l'oiseau est
fils de l'ange; quand l'ange "dans le nu de son glaivenl inter
dit l'accès à l'Eden de jeunesse et enveloppe l'azur d'un gel
impénétrable, il se vit remplacé par un être tout aussi mobile,
mais au service de l'esprit humain plutôt que de l'exaltation
d'un paradis perdu. Dans'ce sens, Bachelard vo~ dans la magie
aérienne de 110iseau "le proche destin du monde sublimé". 2 En
effet, l'oiseau, même :s;ve.o sa puissance d l élév-ation, demeure
fils de la terre et donne le pas aux ~bitions terrestres de
l'essor.
nOe qui intéresse Mallarmé", au dire de Weber~ îlce
n'est point la fO~le apparente de l'oiseau, qU'il ne décrit
jrumais, ni son chant (dans les poèmes anciens), mais'bien son
mouvement, son voll1• 3 Ce c~amisme aérien fait de l'oiseau
l'intérêt principal et complète le mouvement solaire dans l'es
prit du poète; l'image la plus heureuse de la concentration
des énergies aériennes qu'en tire le ma1tre est celle de ces
paons qui malgré leur forte attache terrestre "imitent, avec
leur queue éblouissante, chaq'L1.e roue du char véloce l1•4 Les
"bohémien(s) de l'azuru5 exercent un rôle capital dans le
IIbid., Le Guignon, p. 28. 2 Bachelard, one cit., La Poétique, pu 179.
3J • p• Weber, Genèse de l'Oeuvre poétigue, N.R.F., Paris, 1960, p. 234.
4Mallar.mé, op. cit., ~., Contes indiens, Nala et Damayant1, p. 629.
43
5Mondor, op. cit., Mallarmé cité dans M. plus int., p~ 36.
44
ritue~ du départ parce qU'ils sont nos frères, mais frères ca
pables de rejoindre l'azur où leur présence nous rappelle sans
cesse notre infir.mité d'envol.
L,uexplorateuru frustré qu'est Mallarmé souf'fre des
IIgrands trous bleus que font mécha.mment les oisea:u:x,,,;l ces
~tres intermédiaires occupent indolemment l'espace entre le
ciel et la terre et se prélassent dans la volupté de leur
course immodeste qui fait regretter jusqu'à l'existence de
tout nplumage féalu,2 troublant nos aspirations de fuite cé
leste. Le poète pressentait le "risque de tomber pendant l'é
ternité"3 au terme de son évasion icarienne vers cette liberté"
d'oiseau.
Bien que le vide azuréen terminât sa belle aventure
de l'esprit, Mallar.raé saisissait" l'ambivalence de la nature
céleste capable de transformation en chrunp de victoire où le
mysticisme religieux est rerŒplacé par la lucidité adulte.
Prisonnier de l'oiseau nocturne aux ailes osseuses, Dieu, le
poète "tomb(e), victorieux, éperdument et infiniment,,4 en
chute libératrice vers la perspicacité qu'exige un départ
certain. Ainsi épuise-t-il les aspects néfastes et bien
faisants de l'agent ailé, "fils des arbres parmi la nuit
1 Mallarmé, op. cit., ~, L'Azur, p. 37.
2Ib"d ' ~.,
3!!?M., 4 ~,
Le Sonneu~, p. 36.
Les Fenêtres, p. 33.
op. cit., ~., p. 241.
1
s01aire, ••• qui a quelque chose des étoiles et un peu de
mort".l
Toutefois ce citoyen des frontières est un symbole
très· fécond et Mallar.mé ne se limite guère à sa simple ambi
valence. Il dépasse la vision hégélienne de l'oiseau n se
jouant dans les airs (qui) arrive au sentiment de sOi,,2 p·our
approfondir son propre paradoxe poétique de l'accomplissement
par le refus, de 1a plénitude dans le Néant avec l'image de
l'être ailé qui a su replier ses ailes pour 1es ouvrir au
45
vol intérieur. Le poète découvrira dans "la fuite antique du
cygne,,3 ce vol qui nIa jamais eu lieu, ce blanc vol de plumage
fantôme qui marquera la fin de 1 t illusion. Le chant du cygne
s'ajoute au v01 refoulé pour souligner l'élan inutile de notre
passion. Dans cet appel des "cygnes purs des célestes nids,,4
se fait entendre le chant du poète qui se voudrait libérateur.
Le cygne devient enfin, sous l'égide de Mallar.mé, l'agent idéal
d'introversion capable, par sa seule présence, de npropager de 5" l t ai1e un frisson familier", . capa.ble de plonger le pèlerin
1:rbid., p. 2500
2Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Philosophie de la nature, trad. Vera, III, Desclée, Paris, 1958, p. 415.
3Mallarmé, op. cit., NOCG~, p. 152.
4 Idem, OP. ci,t,., O.c., La Prière d'une Mère, .!.ll La Terre" p. .10.
5Ibid., Homraa.ge (à Richard Wagner), p. 11.
-
dans le déjà-vu fantasmagorique ttde,s vols qui n'ont :pas fuiu•l
Eventail : Dans un ordre plus abstrait la parfaite
"aile" qui "s'évanouit et fondu2 démontre le sublime refus du
cygne de s'envoler; l'éventail adopte la for.me qui correspond
à sa nature d'aile spirituelle dégagée du monde animal et de
toute la fragilité d'unè.essence par trop temporelle. Chassé
propose dans ce sens l'~portance de l'éventail:
Il est frappant que des mots comme l1éperdu" et "voln reviennent presque inévitablement sous la plume de Mallar.mé chaque fois qu'il prend dans ses vers l'éven-tail comme sujet de méditation.3 ,
L'éventail s'attribue une capacité vraisemblablement
inépuisable de mouvement du fait que don dyn~sme échappe à
la fragilité physiologique d'un battement de coeur. Ses plis
vibrent à la fois de l'essor des premiers oiseaux et de la re
tenue du cygne, et il est ainsi doté d'une "extatique impuis
sance à dispara~treu.4 Son énergie contrôlée est d'autant
plus fascinante qu'elle'est comme l'élan poétique dépendante
de la main fantaisiste. L'éventail relève de la poésie par
la palpitation clôturée, l'expansion et l'infleXion, qui déga-
46
gent une présence intime mais insaisissable, enfuie libérée ••••
p~ 67. l ~., Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui ••• ,
2 ~., Sonnet II A~M=~ p. 177.
3Chassé, OP. cit., Clefs, p. 220.
p. 305. 4Mallar.mé, op. cit., ~., Crayonné au théâtre, Ballets,
Cet objet de luxe accompl~t le voyage parfaitement contr~lé à
la plongée retenue, irréalisée; il décrit le bond et la chute
du temps, ce npont ••• minute char.m.ante ••• se rabattant en
éventail contre une serue rive, la nôtre".l
L'éventail se meut dans sa dimension propre au cours
47
de son trajet artificiel qui offre au r~veur '''l'horizon dans
une bouffée". 2 Il atteint cette dimension parce qu'il "met en
contact progressif' et réciproque, nous dit Richard, la cons
cience et son dangereux dehors".3 Son insouciance foncière des
mouvements directs verticaux ou horizontaux nie llespace ou le
rend incohérent par son va-et-vient sans prétention; ainsi
parvient-il seul "à jeter le ciel en détail". 4 L'éventail
est libéré de toutes les conventions poétiques ou aventurières,
livré au "pur délice sans chemin,,5 qui de nulle part peut mener
partout. C'est le seul des agents possédant l'immunité contre
les aléas du précipice et à ce titre il ttiomphe dans la sécu
rité de ses "ret.ours vibrants connne flèche,,6 empruntés à
quelque papillon à jamais spiritualisé.
Ip. Falconnet$ Mallarmé cité dans "Mallarmé à Valvins tt,
Les Nouvelles littéraires, IX, 1948, p. 9.
2Mallarmé op. cit., ~., Eventail II, p. 107.
3Richard, OP. cit., L'Univers, p. 311.
~a11ar.mé, op. cit., ~., Eventail, p. 59.
5Ibid., Autre éventail (de Mlle Mallarmé), p. 58.
6~., Crayonné au théâtre, Ballets, p. 304.
-
Cette aile factice se crée un ciel sur mesure où
elle actualise, en tant que parfait "instrument des fuites" l' 1
les r6ves d'évasion de la personne qui la tient. Avec son
mouvement oscillatoire de plume flottant dans l'éther 'et sa
substance "baigné(e) d'écume",2 l'éventail possède la légè
reté nécessaire à la réalisation de la plus parfaite des
fuites mallar.méennes. Il accepte volontiers la circonscrip
tion d'un itiriéraire intériorisé,si ce n'est que pour com
blerson voeu secret d'''éventement de la gravité"3 et se
soustraira à cette loi qui alourdit les plus beaux efforts
d'envolée.
Enfin l'éventail complète l'ambition grandiose du
cygne par la vision mallarméenne d'un monde de voyageur's où
"il volerait ••• dans les hauteurs de grands éventails
blancs qui, de leur aile, disperseraient à tous les recoins
les parfums de délice et d'oubli". 4
l ' ~., LIAprès-:midi d'un faune (églogue), p. 51.
2~.,
3Ibid• , -4Ib"d '. --20.... ,
A une petite Laveuse blonde, p~ 11.
Théodore de Banville, p. 521.
Contes indiens, Le Portrait enchanté, p. 587.
48
Personnages : Les quelques personnages qui figurent
dans 110euvre de Mallarmé terminent cette étude des agents du
voyage. Les rares êtres articulés et autonomes qU'on y repère,
Hérodiade, saint Jean et le Faune, aboutissent à la séduction
de ltailleurs. Hérodiade, la première, prendrait volontiers
congé d'elle-même : "Jty partirais".l Pourtant ses nyeux
perdus au paradis"2 la trompent amèrement car, selon Bernard,
elle évolue dans Uun temps indéfini o-rl le héros 'se trouve
inD:nobilisé, captif ••• ".3 Son envoûtement se mue sans hé-
si tation en haine du "bel azurn• 4
Saint 'Jean, à son tour, ne trouve guère m,eilleure
issue à ses rêves azuréens; condamné à l'envol. par sa décol
lation, il formule un voeu dtarrachement au quotidien maté-5 riel qui ntranche les anciens désaccords avec le corps".
Mais, comme le soleil, sa tête est prisonnière dtune courbe
imposée par le ciel qui protège jalousement ses espaces.
Quelque libérés que soient la tête de saint Jean et le so
leil des vicissitudes de la gravité, le territoire de ltazur
ne leur est que partiellement a'ccessible. Lt échec du saint
lIbid., Hérodiad~, II Scène, p. 48.
2Ibid., Hérodiade, II Scène, p~ 4?
3Suzanne Bernard, Mall~é et la Musique, Nizet, Paris, 1959, p~ 102.
4Mallarmé, op. cit., ~., HérOdiade, II Scène, p. 48.
5Ibid.~ Hérodiade, III Cantique de saint Jean, p. 49.
WB! 222aaŒ,
e
annonce que l'rumbition et la s~ple hardiesse n'assurent pas
le voyage; il manque au personnage la minutieuse préparation
spirituelle pour cerner préalablement le site au moyen d'une
connaissance exhaustive. or il a d~ se résigner à l'envol
abortif de sa t1t~te heurtant l'au-delà qu' (il) ne conna1{t)
pas".l
Hamlet représente 11 envers andrOg-yne d'Hérodiade
dans ·la pensée mallarméenne et en prolonge l'impuissance
crispé.e; comme elle, il est prisonnier de son moment~ de son
site. Mallarmé déplore t1 ce promeneu:r ~'un labyrinthe de
trouble et de griefs (qui) en prolonge les circuits avec le
suspens d'un acte inachevé".2 Quand il part à l'aventure,
"nageur trattre ll à sa destinée, il innove "mille sépulcres"3
qu'il explore en autant de plongeons orphiques. C'est ce mê
me Hamlet d'ailleurs qui préSide à l'échec final du Coup de
d's. Il ajoute au voyage une ambiance de cortège funèbre -prédéterminé se dirigeant vers le lieu tombal cosraique.
Il ne faudrait pas oublier ici le Faune dont le
voeu dtenvol charnel prend forme grâce aUX nymphes qui
réussissent à --
••• faire aussi haut que 11 amour se module Evanouir du songe ordinaire de dos Ou de flanc pur suivis avec mes rega~ds clos, Une sonore, vaine et monotone ligne.
lIdem, OP. cit., Noces, p. 115.
2Idem, 012· cit., ~., HamJ.et, p. 300.
3~., Le Pitre châtié, p. 31.
4Ibid., L 1 A:erès-midi q:.~_j' a une (é61osuel, p. 51.
50
La gaieté de la scène faunesque allège de sa riante volatisa
tion l'habituelle lourdeur d'envol sans pour autant.iparvanilt
au niveau du déplacement hallucinatoire que conna1tront un
jour les départs structurés du poète.
Le Faune nous conduit aUX personnages mineurs, ses
fils, les sylphes gardiens de l'esprit d'Anatole, "pris déjà
par l'absence et le gOuffre,,;l ces sylphes rejoignent d'une
part les cb±mères qui s'évaporent dans l'éther étoilé, et
d'autre part les sirènes qui fondent noyées dgns Itemporte
ment marin de l'écume. Pareil sort est réservé à ces voya-
geurs fabuleux, trop faibles pour réaliser leur rêve et
51
que Shakespeare avà1t si sommairement - mais à juste titre -
qualifiés de "poor, bare, forked creature who is born to die".2
S'ils accomplissent une mince part de leur vocation de mobi
lité, c'est dans la mesure où un moment ils auront égaré
l'ordre rationnel du penseur qui considère leurs évolutions
aériennes ou aquatiques à l'éclairage de l'occultisme des
mythes anciens, où il suffit de contempler ces êtres pour
transcender. le familier.
Ltidéale compagne de voyage dans Prose (pour des
Esseintes) complète ce panorama de personnages qui s'ache
minent vers la dés,incarnation. Alter ego du poète chargée
lRichard, op. cite, MalI. cité dans Anatole, p. 91.
2Willirun Shakespeare, Complete Works, King Lear, Act III, sc. 4, 110-111, Oxford Uhiversity Press, London, 1945, p. 926.
de le guider vers 'llll paradis d'antan où "toute fleur SI éta
lait plus largen~ la "soeur sensée et tendre"l se voue elle
aussi à un destin d'évanescence, le partage de tous ceux
dont l!existence consiste à poursuivre le mirage de l'au
delà. Bien qu'elle soit Udocte déjà par chemins u,2 elle
nourrit le désir---connnun à tous les personnages dl atre
urevêtue ••• de ces cieu.:xu,3 de dispara1tre à l'horizon
qui les attire tous et pour lequel il faut pa~er de soi.
52
~allarmé, °E· cit., .Q..:.g,. , Prose (Eour des Esseintes), p. 56.
2 (pour des Esseintes~, 57. ~., Prose p.
3Scherer, oP. cit., Mall. cité dans Le Livre, p. 32(A) •
CHAPITRE III
. ANAL1SE THÉMATIQUE DE QUELQUES poblEs
La pensée de MallaP.mé suivait la trajectoire de l'éva
sion artistique conmmne aux poètes de son espèce, et Baudelaire
de dire : "Tout poète lyrique, en vertu de sa nature, opère fa
talement un retour vers l'Eden perdu".l Comme les peintres
~pressionnistes de son temps, il était envoûté par la séduc
tion des choses familières : "La vie innnédiate chère et mul
tiple,,2 des bibelots et des chambres closes qui sont points
de départ de nouvelles sensations et de nouvelles formes.artis
tiques.
La plus grande partie des poèmes de Mallarmé traitent
de la hantise du voyageup et feraient volontiers l'objet d'une
étude exhaustive, mais cette modeste analyse ne porte que sur
les pièces ayant le voyage pour thème principal. Ici point
d'ordre strictement cl1ronologique mais justifié quant à l'évo
lution des découvertes relatives au déplacement, et à cette
lumière, voué ou non au succès. Très révélateur est cet
ordre des diverses étapés où s'est arrêtée la pensée d'un
esprit aussi rigoureusement discipliné.
Dans l'ordre chronologique mallarméen les départs en
thousiastes sont suivis ·par le désabusement de l'azur
lChassé, op. cit., Baudelaire cité dans Clefs, p. 152.
2Mallarmé, op. cit., O~c., La dernière mode, p. 718.
inatte ignab1e , puis par quelques fugues p1us heureuses, avant
de sombrer dans le "naufrage".
Les Fenêtres, pièce inspirée par les paysages londo
niens lors du séjour de Mallar.mé en Angleterre (1863), est
le premier poème important 'qui traite du voyage. Le monde
est transmis par la vitre à la manière du Cosmos reflété dans
le miroir de Ses purs ongles •••• A 1s. vitre le calfeutré
rencontre 1e dehors. Même ainsi fermé, l'univers du poète
s'ouvre à l'infini de l'extérieur; c'est le drame d'un Igitur
partagé entre un monde auquel il n'appartient plus et un
autre auquel il n'appartiendra peut-être jamais. L'artiste,
incompatible avec un milieu social et moral méprisable, ce
lui de l'hôpital, se voit dans ce rare moment d'un entre
deux. métaphysique transformé en habitant de l'azur: "Je
me mire et me vois angel n • 1
Il y a p1us ici qu'un simple désir d'évasion un peu
rêveur, se perdant dans la contemplation "des galères d'or". 2
Il Y a toute l'explosion d'un "Pitre châtié" et comme un
transfert à une région utopique parce que le moribond ne
peut oublier longtemps son état; sa révolte consiste è.j,VOU
loir fuir l'inacceptable quotidien que ne yeut assimiler sa
native noblesse. Pareil au Pitre le malade engage tout son
être dans une seule volonté de rupture face à sa situation
lIbid., Les Fenêtres, p. 33.
2~., Les Fenêtres, p. 32.
55
désespérée. Mais cette volonté d'engagement demeure au stade
conceptuel: s'il troue la paroi à l'instar du Pitre, il risque
dans cette entreprise le même sort qu'un Lucifer, le plus hardi
des voyageurs,' de choir à sa perte éte.rnelle. La plongée luci
férienne et la nudité artistique "sans plume"l qu'elle impli
que est un trop grand prix à payer.
Des trois directions d'évasion proposées dans l!!
Fenêtres, la sensualité, le suicide et l'art, c'est la dern.ière
seUlement qui offre une montée graduelle et sftre vers un ail
leurs reconstruit. Il convient donc de chercher un autre dé-
part que la trouée irréparable de la vitre. Poulet écrit
uLe rêve n'existe qU'en raison de la glace, c'est· .. à-dire de
la distance, et s'il n'y a plus de glace ni de distance, il
n'y a plus rienl1•2 L'au delà demeure le milieu le plus dan
gereux : il pose le délicat problème de la culpabilité du dé
sir d'envol, séquelle du christianisme de l'enfance mallarmé-
enne.
Considérons maintenant la destination que Mallarmé
se propose dans ce premier effort sérieux de fuite. On
relève dans le poème quelques notions du site recherché
le "grand nonchaloir chargé de souvenirs,,3 laisse soupçonner
lIbid., Les Fenêtres, p. 33. 2 Poulet, op~ cit., p. 308.
3Mallarmé, op. cit., ~., Les Fenêtres, p. 33.
1
56
un territoire idéalisé qui procède tout de même de la réalité
vécue. Oe n'est pas un paradis hors du monde qui est recher
ché : le soleil en demeure le potrit focal et Beaus1re nous
dit :
Mallarmé voi't dans la nature une approximation de ce quI il chercheo Tout ce qU'il voit lui rappelle sans cesse ce qul il voudrait voir, le conduit au dedans de lui-même, le rapproche de son propre centre. l
L'accès à l'horizon fantasmagor1q~e n'est-il possible que
par la mort: le poète "tourne l'épaule à la vie",2 ou ex
prime-t-il dans ces pa,roles un repliement sur lu1.-m~me pour
pénétrer au tréfond de son ~tre' •••
Le vieil enntrl. des "crépuscules qui tiédissent sous
(son) crâne"3 llassaille de nouveau. Les simples paysages 'de
la nature ne lui suf'fisent pas longtemps comme point de mire
de l'ailleurs. Mallarmé n'a pas encore réussi à formuler
l'Eden de ses envolées contemplatives. Les Fen~tres ne font
que proposer un itinéraire du pèlerinage de sa vie "maiS,
hélas! Ici-bas est ma!.tre" et le "foree à boucher le' nez
devant l' azur tt • 4
lPierre Beausire, Mallarmé, poésie et poétique, Mermod, Genève, 1949, p. 91.
2Mallarmé, op. cit., ~, Les Fen~tres, p. 33.
3Ibid., Renouveau, p. 34.
4Ibid., Les Fen~tres, p. 33.
Dès son retour en Frgnce, en 1864, la mélancolie de ...... -..
~ournon lui inspire son poème L'Azur dans lequel"versant
dans 1 ~ obse.ssion céleste que lui a communiquée Théophile
Gautier, 'il abândo:l:m:e les faux élans 'des F~n3tres poUr " '. 1 -
got\ter au boDheur cOmmun de la fow.e". ' Ainsi' définit:-il ~
lui-~e l'ambition au se~ de cette pièce -- ambition J
, br,
doub~ée de l'espérance év~élique de tout gagner par l'aban-
don de tout"c'est~à-dire par un refus de l'azur. Mallarmé
substituera alors à la, simple imperméabilité de la vitre
l'épaisse opacité d,nun gr~ plafo~ silencieuxn2 qui pro
tège l'habitant terrestre de l'e~gence azuréenne comme
plus tard dans Quand l'ombre menaça ••• il le protégera
des fulgurations sidérales. C'est une affir.mation et non
une suppression de l'espace intermédiaire par ce plafond
fait de l'épaisseur amortissante des "chers brouillards
qui emmitoutflent nos cervelles".3
Ce retranchement spatial produit, selon Micbaud,
une "prise de conscience par le poète, ••• grice à la dou
ble métaphore 'plafond-bonheur', 'ciel-idéal' ••• d'une
analogie de structure entre le monde extérieur et le
monde intérieu;r.-", 4 paroles lourdes de sens du fait que
Boivin,
~ndor, op. cit., Mallarmé cité dans !!!, p. 105. 2 Mallarmé, op. cit., .Q.:.s.., L'Azur, p. 37.
3 .' ~., La Pipe, p. 275.
~chaud, Mallar.mé, l'homme et l'oeuvre, éd. HatierParis, 1953, p. 20.
1
Mallarmé a découvert que le bonneur l'exile de l'idéal qui
l'appelle hors de l' aècessible. Ro~re se pr~te ainsi à.
cette interprétation: uSa songerie ••• n'est jamais qu'un
prétex.te à se. inart'Yl'iser" ,1 c'est-à.-dire à. se libérer de
la basse servitudeS. lm· bonheur limitant sa vue d''tm idéal
qui ne ero!t que par l' ascèse et l'épuisement de ses ins
tincts de foUle. Rappelons aussi cette analogie que décou
vre Micha1.ld entre le monde extérieur et le monde intérieur
cgncernant L'Azur. Cette découverte. ouvrirait à Mallarmé
le champ illimité des pérégrinations du retranchement, de
la vie qùi se recroqueville sur elle-m3me. Oette intério
risation des rumbitions de pgrcours n'est qu'au stade ini
tial dans L' Az'lXl', mais elle marque le début des fouilles
microcosmiques qui font pendant aux ambitions cosmdques
du poète.
Toutes ces découvertes sur 1.1 AZur ne réfutent pas 2
sa "sereine ironien • Le m.attre a beau le renier, le ciel
est toujours là. pour lui rappeler son infirmité de déplace-
ment:
• • • Où fuir? Et que l1e nuit hagarde Jeter, l rumb e aux, jeter sur ce mépris navrant?3
p. 41. lJean Royère, Malla~é, éd. Stmon Kra, Paris, 1927,
~all~é, op. cit., ~., L'Az~, p. 37.
3~., ~'AZ~, p. 37.
58
S l il reste ébloui, terrassé par l'éciat de la nappe céleste
à la fin de son poème, c'est que son "désir d'évasionn,. nous
confie Fiser, nest tel que toute réalisation 11m1te et, par
là, altère, 1 i aspirat ion du po~te vers une pureté abs olue" 0 1
MaJ+ar.m.é ,ne réussira plus à concilier en lui les deux exi
gences de la possession par la découverte et la pureté idé
ale inaccessiblès.
un premier rapport harmonieux, mais à l'état rudimen
taire, entre ces deux visées appardt dans le cél~bre Bvèn
tail ,(de Mademoiselle Mallarmé), publié en 1884, et dans
sa su1te~ l'Eventail (de Madame Mallarmé) de 1891, pobes
écrits lors des années relativement beureusesde Paris~
Dans une certaine mesure le double but de mobilité et de
pureté se trouve atteint grâce à l'ayenture parfaitement
artificielle que propose l'éventail à l'esprit créateur.
Il détache le m.dtre du pèlerinage vécu et le dirige vers
l'intérieur de son univers mental où il SI abandolllle "au pur
délice sans chemin"2 sans enfreindre les directives de l'es
prit qui déterminent 'les conditions idéales du voyage réussi.
Le bon départ, précipité par la contemplation spontanée des
choses familières, postule un itinéraire intérieur, ou en
treprise spirituelle, accessible aux seuJ.s initiés; il
sous-entend aussi une présence féminine amoureuse mais
lE. Fiser, Le S~ole littéraire,Librairie José C~rti, Paris, 19)9, p~ 30.
. ~l1a_. 4- ci t., .!1.:.li.-, Autre ':Sventai1 (de Mademoiselle Malla ), p.58.
59
chaste~ exerçant un effort discret pour soutenir, à la gloire
de. J.' art, 'lm monde antique de bonhe't.1r silencieux. Tous ces . ,: .. :~.
éléments, davantage en relief' dans l'b.9ureuse odyssée de
Prose (pOUl' des Esseintes) ,,"sbnt déjà ébaucllés dans les
Eventails. OonsidérOll@-les bri~vement • . "Ohanger d'horizons ne lui est pas indispensable", l
nous dit Royère. Le contemplateur de l'éventail peut pivo
ter SUl' son axe propre et se parcourir lui-m8me p1ut&t que
de se hasarder dans l'ailleurs géographique parce que cet
objet au jeu rituel poss~de le mouvement en sa "s tagnan(ce)n 2
byzantine; 'lm. ésotérisme particul.iel' émane de ses battements
qui rythment le message "morse" de l'esthétique du silence.
Le silence en effet se fait primordial dans ces deux Eventails l ••
et perpétue l'attitude baudelairienne des Fen8tres et de
L'Azur devant 1es choses : c lest l.a m&ne ambiance de calme
beauté inaccessible sans 1aquelle l'épanouissement de tou
tes les possibilités du rêve, d'où les vale~s sonores sont
exclues, serait irréalisable.
Cet instrument d'évasion fascine spontanément
jusqu'! la songerie, .seul "refuge" 'ê,,-ê pour les "malheureux
que la terre dégoûte"3 par la force de son oscillation
~oyère, op. ci~.~ Mallarmé, p. 47. 2 Mallar.mé, op. cit., ~., A~~r~~ven~~~, p. 58.
3mchaud, QP.. _~1.~., Mall~nOité:8daniJ~'~=h+"~~, p. 19.
60
sémillante auttrire enseveli tt.l 0' est la. joie tranquille
des vents alizés 06 esotérisme n'implique pas exotisme.
L-a spontanéite du geste animateur, la familiarité de l'ob
jet et l'absence de danger contàrent à ce départ une en
vergure limi tée mais inversement de ce modeste tremplin
Mallar.mé entreprend un voyage infini. L'éventail n'était
pas alors le rare objet qU'il est devenu aUjourd'hui et
à c'e sujet Burnand s'exprime ainsi : L •
Il existait 'des éventails pouœ toutes les heures de la ,joUrnée, pour toutes les circonstances de l'année .~.;~ on gardait toujours son éventail à la main.
L'éventail présente en outre l'élément féminin in
dispensable aUX départs de bonne augure dans la main qui
l'agite où se conjuguent l'amour et la chasteté. Dana
Autre Eventail (de Mademoiselle Mallarmé) le cycle ininter
rompu du mouvelŒlnt, dont le chaste élan aJD.O'Ul'eux est
n •• '. fou de ndtre pour pers onne tt ,3 restitue à Geneviave
son nparadis farouche". 4 Mais ce retour ne signifie pas,
connue dans le cas de Hérodiade, un emprisonnement dans ce
paradis farouche car l'amour demeuœe l'objet de ses
aspirations.
1870
~a~larm.é, op. cit., O.~., ~utre Eventail,' p. 58~ .
2nobert Burnand, La vie quotidienne en France de à 1900, Hachette, Paris, 19)5, p. 7). .
- 3Ma11armé, op'~ cit., ~., Autre Eventail, p. 58.
4Ibid., Autl!!è~en'bai~, p. 58.
ttSi1zœ:::aa ::œ
61
Oe bibelot mobile communique par un procédé d'os
mose spirituel sa nature' au monde dont il présente 'un ré
sumé; la cO'll:l?be de son horizon se l1e à l'horizon réél
, qu'il cloisonne de son intimité, qulil manipu1e, pour le
"recuJ.e (r) ",1 le réduire à l'idée pure. L'éventail borne
par sa courbe le co1lp d'oeil. de 11 esprit voyageur s~ la
nature et finalement l'absorbe en son symbole vivant de
papier ou de soie, de la m3memani~re qu'il concentre en
62
un "logis très précieu:z:"2 le génie percepteur. Cette dis
tillation de l'éventail en son essence (avec sa palpita
tion poétiqlle) est prometteuse dans lIEve~ta11 (pour Mada
me Ma.1lal'lDél d'un env'ol spir~tuel. tel que décxait pe':Ohassé :
Chaque vers se détache lentement en frémissant vexas un idéal céleste tout comme cleat vers le ciel que monte le frisson de l'éventail.~ ,
L'Eventail (de Mademoiselle Mallarmé,). offre une pro
messe de succ~s par l'identification de l'objet rose fer.mé
avec le l1sceptren4 qui domine le monde extérieUl' des "riva
ges roses".5 La contemplation de l'éventail-sceptre posé
contre 1 ior diun bracelet présente à l'imag1nati~n'fe~tile,
en une seule vision, tout l'antique paysage d'un rivage ------------------_._.--._'----------
lIb~~., Autre Eventai~, p. 58. 2 . Ibi~., Eveptai,!, p~ 57. ,
.3Chassé, .9;p. c:h~., ,Q,lef.!, p~ 222.
4me.l1armé, ,QP. cit., O."C;., Autre .Eventai~, p. 58.
5 Ibi~., Autre Eventail, p. 58.
mystique allongé contre 1e doré immémoria1 d'un coucher de
sole11 âla Vermeer. Oet instrtanent aux cabrioles renais
santes, qui le portent à bondir entre cie1 et terre, fait
goûter à l t be .,sensible l' ult:Lm.e extase de son vertige
supra-terrest~, chavirgnt 1'espace p1acide.
L'impULsion du départ artistique dans Eventail (de
Madame Mallarmé), tout comme dans Les Fen3tr~s', est lancée
et maintenue par l'analogie entre la poésie et cette aile
apirituelle qui, d'aprè~ Greer-Cobn, "é~ve esthétiquement
l'horizon ordinaire".l Par spiritualisation ou poétisation,
ou mSmepar substitution, l'éventail ouvre le'paysa,ge à
l'exploration mystique du po~te.
Prose (pour des Esseintes), écrit en 1885, vient
parfaire la pâle esquisse d'envol intellectuel que nous
proposait Mallarmé dans les Eventails. "Il y est traité
des droits de l'imaginationu2 selon l'expression de Soula.
L'idée d'une odyssée mentale, encore plus d'une odyssée
spirituelle, est accentuée par 1e mot Uprose" au titre,
qui évoque 1es cantiques en vers latins de l'office reli
gieux. Le sous-titre valorise de l'obsession ce périple
spirituel puisqu'il dédie le poème à des Esseintes, le
héros du roman A Rebours de Huysmans; Barbey dtAurévilly
déce1ait en ce personnage passé mattre dans 1'art des
l Greer-Cobn, Toward the Poems of Mallarmé, UD1v.
of·Ca1ifornia Press, Berkeley, 1965, p~ 114~
2Cami11e Sotüa, Gloses sur Malla~, éd. Diderot, Paris, 1945, p~ 33.
63 .
pé~~grinations fictives lme "âme malade dl in1'in1 dans une 1
société qui ne croit plus qU'aux choses finies".
p~~~~ décrit un voyage SgnS destination ni diree
tion,.dont le mouvement s'apparente à une contemplation
immoblle. Tout est réduit à la pure suggestion qui se
cristallisera selon les modulations de ll6me du lecteur.
Nulle part il n'est question de départ oU d'arrivée -
aucune anticipation fiévreuse; on saisit d'un trait avec
la sensation déroutante de l'immédiat qui donne aux EveA
tail!!. 1eur spontanéité. La conns,issgnce intuitive :tmmé-1
mariale étale d~s un silence absolu, au regard pénétrant
cet autre monde idéal "sans que nous en devisions1t , 2 clest
à-dire a~ delà des savantes manipulations d'une raison
limitative. Bachelard résume ainsi la spontanéité de
l'arrivée :
Alors que les penseurs qui reconstruisent·un monde retracent un long chemin de réflexion, l'image cosmique est immédiate. Elle nous donne le tout avant les parties".3
64
L'antique Eden de fleurs mosa!quées que ressuscite
cette nouvelle "patrie" spirituelle expose toute' la véracité
~chaud, Message poétique du S:ymbolisme, Nizet, 194~, p. 295.
2 . . Mallarmé, .0;>. ci!., .2.!.2.., P.rose, p. 56.
p'. 158. 3Bachelard, opQ ,ci!., La "p'oétique de la rêverie,
du vécu, de la réalité historique. La mémoire du po~te et
celle de sa muse étayent la mémoire documentaire des an
ciens manuscrits byz~tina-"parcbeminsnl et "livre de
fer v3tuu2 - d'où émergent ies somptueuses sonorités
65
royales des noms de npuJ.chérien et d' tlAnastase" : "Nous
prœœnions notre visage ••• our maints charmes de paysage 11 •3
La création poétique de Mall~é n'est donc pas invention
pure du voyage et du pays mais transcendance ou réactua
lisation d'.'l1n passé conservé dans la mémoire du po~te et
dans les documents. L'ésotérisme des l'atlas, herbiers et
rituels tl4 y ajoute les vestiges d'une culture patiente et
ce, d'ailleurs, avec le témoignage irréfutable des plantes
séchées et des recensements territoriaux.
Le po~te authentifie de façon halluctnante la tan
gente parcourue d~s Prose (pour des Esseintes). Cette dé
marche sUbit une extrapolation qui vise un mouvement orphi
que dans un sens et un p~lerinage esthétique aUX sources
de la création dans l'autre,partgnt sous le signe de l'hy
perbole qui défie à partir du premier vers les fronti~res
de l'écriture. L'agrandissement synthétique de l'hyperbole,
~allar.mé, op. cit., ~., Prose, p. 57. 2 Ibi~., pros~, p. 55.
3~ig. ,l?rose, p. 56.
4Ibig., Pr~, p. 56.
procédé fgm1lier d'amplification des récits d'aventure my
thologique, pousse jusqu'à la crise le drame mallarméen du
refus de la finitude. L'aventure de Prose ne se figera
donc jamais dans une béatitude irréductible : ce ne sera
qU'lm moment inoubliable, certes, mais duquel il faudra
retracer les pas et y substituer le pis-aller de l'envol
artistique à basse altitude.
~s deux voyages d'aventure orphique et esthétique
s'accomplissent avec une compagne, ce qu'indique la tran-1
sition rapide du "je" au "nous". Son exotisme muet la
nimbe d'une auréole de mystère. Alter ego angélique, elle
est dans l'expérience orphique la "soeur sensée et tendreu2
que le po~te espère ressusciter des ténèbres, telle une
nouvelle Eurydice, transfiguration m8me de la Beauté sur
gie de la mort. En tant que messagère orphique cette com
pagne mettra un terme à la quête en se sacrifiant : elle
"abdique son extase Il 3 et réintègre les limbes tombales
pour assurer au voyage lme issue salutaire dans ce que
Mauron appelle If ••• le barrage de cerbères qui sont s1Xr'lllOi, 4 refoulement et censure" tapis au fond du subconscient de
lIbi.d:., Pros,e, p. 56.
2 Ibid., Prose, p. 56.
3Ib~~., ?r~se, p. 57.
-------_.
~uron, OP. c!.'È.', Psycpanal::yse, p. 23?
66
l'ave~turie~ orphique dont' ~'envoûtement "grandissait trop
pour (l.eurs) ~aisons".l A titre de compagne esthétique,
elle se révèle mémoire platonicienne capable de conduire
Mallarmé au jardin des Idées qu'elle a connu dans son ciel
~telligible, si l'on se reporte à la version originale de
la première strophe :
Indéfinissable, ô Mémoire Par ce midi, ne r8ves-tu L'hyperbole, aujourd'hui grimoire D~s un livre de fer v3tu. 2
Cette "anima" du poète se confond avec le paysage;
il y a union hypostatique entre elle et les fleurs du pays
traversé, suscitgnt l'appréciation s~u1tanée de leurs
charmes :
Nous promenions notre visage • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • Sur maints charmes de paysage, o soeur y comparant les tiens.3
67
Ce pays féminisé en jardin est circonscrit étroitement par
l'auteur qui, d'après Noulet, y "rétrécit la place de l'ar-4 tiste, non plus mattre du monde mais d'me !le probable".
On peut ~nagtner un rétrécissement plu~ serré encore de ce
paysage mental aux dimensions mobiles qui suivraient le
voyageur druns sa rêverie et qui ne se matérialiseraient en
lMallarmé, op. cit., ~., p~~, p. 56.
2Daniel Boulay, Mallarmé cité dans L t obscurité esthétique de Stéphane Mallarmé, éd. D. BoUlay, paris';" 1960, p. 24. .
éd.
3Mal1armé, op. ci~., ~., Pro~, p. 56.
4Em.i11e Nou1et, Dix Poèmes de Stéphane Mallarmé" Droz, Genève, 1948, p. 47.
somme que sous ses pas. Oomme le Jardin des délices de
Ohrétien de Troyes, le Novissima Verba lamartinien ou le
petit parc d'Aurélia, ce lieu caché est imprégné de dou
ceur et de tranquillité : "pour bien désigner un monde
r@v'~ dans l'optique de Bachelard, '~lfaut le marquer
par un bOnheur".l
Le sol imprécis de cette !le est apparemment fait
d'iris qui croissent de la présence de·l1eau; cernée d'un 2 '
"lucide contour, lacune", chaque image florale expres-
sioniste é1~ve le socle de tout l'univers mental, forme
"idéalisée ••• immédiatement idéalisante et c'est ainsi
qu'un univers na!t d'une image en expansion".3 Oes
"iridée'Stt4 sont offertes par le ma!tre dans leur essence
,florale, parfaite en guise de récompense aU voyageur hardi
qui a su freiner son enthousiasme et les attendre avec
une simplicité enfantine. Le s'ortilège floral. supprime
tous les autres appas traditionnels des pays entrevus par
le génie créateur. Un déliement aérien indéfinissable se
fait sentir sans prototypes d'envol à l'horizon; en effet,
lBaehelard, op. eit., La poétique de la rêverie, p. 152.
2mallar.mé, op. cit., ~., Prose, p. 56.
3Baehelard, op. cit., La poétique de la rêverie, p~ 1~1. '
~allar.mé, op. cit., ~., Prose, p. 56.
68
1
les oiseaux sont à dessein absents de l'tle où leur pré-
sence serait superflue pour ne pas· dire encombrante.
Mais tout n'est pas sans faille dans ce monde
apirituel; le po~te doit, envisager la dichotomie de l'ex
tase de la découverte et de 1 t actualisation esthétique •..
Il faut, comme le rappelle Thibaudet, situer pr,crae (pour
ses Esseintes) parmi 1es"r~ves de sites ou de paradis
non pour eux-m.3mes mais comme s:ymbole d'un état humain,
ici l'état poétiqtl8".l Ce ser·a une tentative de recréa
tion du paradis intérieur par le langage, par le "nouveau
devoir",2 de la poésie. Ul:t:i.mement on parvient à la néga
tion du voyage spirituel au profit d'une réalisation ar
tistique aU patient parcours de chemins horizontaux et de
parchemins qui, au dire de Boulay, "se déroulent mais ne
s'é1~vent plus".3
Quantité d'autres facteurs mettent un te~e au
voyage, entre autres ce que Chisholm appelle "les réalités
géographiques de la maturité du poète lt , c'est-à-dire le
lAlbert Thibaudet, La poéSie de Stéphane Mallarmé, Gallimard, paris, 1926, p. 401. '
~a.llarmé, OP. cit., ~., Prose, p. 56.
69
3Bôulay, op. cit., L'obscurité esthétique, p. 50.
4A•R• Chisho1m, Mal1armé's Grand Oeuvre, Manchester University Press, Univers~ty of Manchester, 1962, p. 43.
scepticisme du poète qui cherche des vérifications dans le
monde réel; aUX artifices de la maturité s'ajoute le pé
rilleux vertige d'une expérience trop décantée : de par
tout les raisonneurs conspuent, voulant convaincre le po~:
te ft que ce pays n'existe. pas 11 .1
70
Mais, effectivement, le terme du voyage, se trouve
précipité par le conflit fondrumenta1 qu l i1 y a entre le
désir de désirer (extase visionnaire), et le désir de pos
séder (mission artistique). Pris en éCharpe entre les deux
dimensions de l'idéal et de l'art, Mallarmé se contente de
la mobilité rumbiguB de l'oeuvre qui, "semblable à la fl~-
che fameuse ••• vole et ne vole pas, se compose de temps
et lui échappe". 2 Ainsi la poésie authentique est-elle
corollaire du voyage intérieur dont elle prend la rel~ve.
Mallarmé admet que le temps disloque l'artiste et
l'oeuvre; seul le figement temporel du voyage intemporel
saura contenir cette dislocation mentale et artistique.
De son côté le Hasard menace de façon absolue et ne sera
maté que par quelque v coup de dés' saVSU"1t qui l'enfermera
dans un t1grimoire1t ,3 mais à quel prix: la cessation du
voyage.
~llar.mé, op. cit., ~., Pros~, p. 5?
~uron, op. ci,t., Ps:y:chanal:ys,e, p. 242.
3Mal 1 armé , op. cit., ~., Prose, p. 55.
Suit une brève ana1'1Se de deux peti ta po~s où
1.e voyage a lieu dans la gaieté d l un succès moindre. Mal
larmé dédiait R~ l Puvis de Ohav~es, peintre ~,
épris d'idéalisme, qui dessinait souvent des sc~nes pré
raphaélites de pasteu:rs gardant leur-B--'troupeaux. Dans ce
poème il appara!t comme un pâtre qui devance son temps en
frappant devant lui avec un bâton au cours de sa marche
vers l'imprévisible "le long de son pas futur",l tel un
Moise avec sa houlette cherchant de 11 eau dans le dé'sert,
ou tel le génie isolé du dix-neuvième siècle conduisant
les hommes vers leur destinée. Il s'achemine victorieu
sement avec la connaissance de l'avenir, sans le procédé
initiatique du rituel de l'amour, dans la mesure du pos
sible è. l'abri du Hasard : "Vous allez superbement dans
votre chemin, ou, mieux l'ouvrez devant vos pas fi. 2 L' am
bi tion de Puvis de Chavannes est artistique mais' celle du
ma!tre, artistique et cosmique, donc infinie. Or Mallar
mé n'a pu écrire à son propre endroit un voyage aussi
bien réussi sans les préparatifs susmentionnéso
LI image du "baton frappant d'l.1r tl3 est le rappel
d'une oeuvre plus ancienne, Eclat de rire, où il s'agit
l rbid., Homma.~e, p. 72.
2Idem, 0]2- cit., Pro.:pos, p. 170.
3Idem, 0]2. cit., ~., Hœmnage. p. 72.
71
d,lIun bâton pour diriger tes pas au bord de llinsondable".l
'Les résonnances d'immensité, de ce poème d'enfance éclatent
ici en coups de "clairons d'aztlrn2 à l'aurore, s~ole de
11 aspiration de l'artiste vers un monde meilleur que même
une atmosphère IIgo'ttMeu.3 ne peut voiler.
Ce poème identifie le voyage avec la tâche que le
solitaire Puvis: a entreprise et qU'il veut accomplir jus
quI au bout; si le pâtre :frappe dur devant lui avec toute
son énergie affirmative; c'est 'moins pour faire sourdre à
l'instar de Moise dans le désert une "ample sourcen4 que
pour se rappeler le devoir de per~ister et de diminuer sans
cesse la distance qui le sépare de son triomphe. Soula re
lève au sujet de cette poussée impérative vers l'inconnu
l'ambigtttté voulue de "tant quen5 au dernier vers des qua
trains qui transmet l'idée d'un voyage qui durera "autant
de temps qU'il en faudra pour vaincre, et du point de vue
s"3Illboliq~, jusqu'au bout de la distance l1•6
~ondor, op. cit., Mallarmé 1Ic., p. 214.
2Malla.r.~, op. cit., ~., Hopnnage, po '720
.3 Ibid., Honnn.ag;e, p. '72. 4 Ibid., Homm.age, p. '72.
5lf>id., Honnnage, p& '72.
6Soula, op. cit., Gloses, p. 104.
'72
.... "
1
Richard dit qU'il faut s urt 0 'Ilt. voir dans HOmmage
une brève méthode exploitant des thèmes de déplacement, 1 "une r3verie mallarméenne de l'origine retrouvé~" aux
évocations' de sirènes, de source recherchée et de soleil
qui recommence sa marche. Dgns l'ensemble c'est la doctri
ne de Prose reprise en miniature avec pareil pèlerinage de
l'artiste en qu3te des valeurs éternelles.
M'introduire dans ton histoire ••• (1886) se situe
dans le m3me courant que Hommage (à Puvis de Ohavannes).
Mallarmé y relate de nouveau une odyssée heureuse,. érotique,
dédiée à Méry Latu'ent, tant aimée de lui. Il Y eXplore le
territoire de l'érotisme féminin tout comme B~dela1re qui
songeait dans La Géante à -
Parcourir à loisir ses magnifiques formes, 2 Ramper sur le versant de ses genoux énormes.
Mallarmé comme Baudelaire trouve dans le corps fé~ le
prétexte aUX eXplorations de contrées nouvelles. Charpen
tier souligne ce glissement d'un recensement immédiat et in
time à un plus vaste recensement géographique : "L'idée de
conqu3te dans ce voyage s'applique également à la femme et
à un territoire tt •3
lRichard, op. cit., L'Univer~, p. 268.
2Baude~aire, op. cit., ~., La Géante, p. 96.
3Henri Oharpentier, "Etude", Le Point, Lanzac par Souillac (Lot), février-avril 1944, p:-66.
73
Comme dans les Eventai'ls et dans Prose MI introduire
dans ton histoire •• :~ offre la spontanéité du fait accompli
affr~ch1 de la langueur anticipatrice qui alourdit et fige
les autres poèmes de déplacement. La véracité des person
nages mythiques est incarnée dans ce "héros" aux "talon(s}
nu(s)ltl dont la pureté malée de vulnérabilité impr~ le
mouvement au périple érotique mallar.méen dans lequel Greer
Cobn voit nun corollaire d'évasion vers un absolumétaphy
sique, un bond quasi religieux vers la pureté". 2 Mais tout
héros qu l il soit d~s la plus fière tradition ~tique, ce
personnage nt en demeure pas moins un "héros effarouché,,;3
c~tte imperfectnon limite l'envergure de son entreprise qui,
en f'Ût-il autrement, le projetterai·t vers ie vrai gazon de .
. 11 ailleurs, le "gazon de territoire,,4 à l.'espace verdoyant
de "touffe d'herbe du Tendren5 qui reluisait toujours pour
Mallar.mé d'une intimité amie. Mais pour dominer le gazon
féminin, décuplé en régions mystérieuses, il lui faudra fon
dre les I1glaciersu6 qui surplombent de leur gel son site
d'élection.
lMallarmé, op_cit., .2.:.2,. , M'introduire dans ton histoire ••• , p. ?5.
2Greer-Cobn, op. cit., Towards the Poems,p. 3?
3Mal l armé , op. cit., ~., MI-introduire ••• , p. 75.
4Ibid, M'introdui~e ••• , p. ?5.
~ondor, op. cit.~ Mallarmé cité dans y!!, p. 55.
6Mallarmé, .2l2.!.,. cit., .2!.2.., M1introduir,! ••• , p. ?5.
74
Les "royaumes épars III qu lil découvre déploient les
tonalités de l'envol; la chevel'l:tt'e 'dorée de son uPaonu2
Méry . fait la ro'\lS devant le regard ébloui du poète - image
saisissant,e du sol:-eil qui emporte ses visions dans le tour
billon de sa course crépusculaire. Oe royaume s'éteint avec
le couchant; ou doit-on entendre que le soleil avec "ton
nerre et rubis aux moyetet"3 choit avec l'accalmie de la
fougue amoureuse du visionnaire au "vespéral de (ses) .
chars tt ,4 c'est-à-dire au déclin de son ardeur'l Son voyage
imaginaire dans le domaine de l'éro1tism.e entra!nerait ainsi,
dans son sillage, le rituel céleste quotidien à sa chute
où meurt la pourpre.
Chassé croit plutôt que le poème s'achève sur une
note ironique: "Le poète est trop désargenté pour s'of
frir, le soir, une promenade en voiture aU Bois; le seul
char è. sa disposition, c'est le char du solei1".5 Peut-
on starroger le droit de minim1~er la multiplicité des vi
sions mallar.méennes et de choisir entre ces interprétations'l
Ce voyage est-il lancé par l'embarras pécunaire le con
traignant à un envol artistique suppléant, ou est~ce un
~~., M'introduire dans ton histoire ••• , p. 75.
2Mondor, op.cit., Mall~é cité-dans Mallarmé plus ~.~ p. 242 •.
3Mallarmé, ,op. cit., O.c., M'introduire dap.s ton a:Î;s,toi,r~e ••• , p. 75. _. . -
4Ibid., M'introduire ••• , p. 75. 5 Ohassé, OR., .c,it., Clefs, p. 203.
75
essor em.o'l:lI'eux capable de régir le jeu solaire? Ou SI agi
rait-il d'une rassurance ~a:ns la réalité du cycle céleste
que ses illusions d'amant victorieux poss~de enfin?
... ,
Ne me suffit-il. pas ••• pour jouir de 1a confirmation de mes exploits imaginaires., de voir le soleil en feu, dans le ciel occidental, s'enfoncer au milieu du tonnerre et des nuages rouges et pourpres'll
Avec Le vierge, le vivace et le bel. sujourd'hui
dont la première édition date de 1885, commence ici
l'étude d'oeuvres attribuées à la r3verie aquatique, tôt
assombrie par une présence tombaJ.e. Connne dans Remémora
tiop-_d t amis belges, la présence du cygne est un .~J.m!!; en
sa noble solitude il rappelle le génie poétique. Mallar
mé reprend le conflit entre le mouvement du r3ve d'aven
ture et sa cessation dans le témoignage poétique, élabo
ré aussi dans Pro~e, mais prése~té ici dans une veine dé
nudée d'espoir. Pas de voyage; au plus, Uun mouvement
tout intérieur, dit Duchesne-Guillemin, car extérieure
ment rien ne parait changé".2 Ce sonnet illustre l'unique
tableau d'un oiseau, agent d'envol, prisonnier de glaces
lacustres, à cause d'un savant renversement de l'ordre des
IDavies, Mallar.mé cité dgns Drame solaire, p. 160. 2 Jacques Duchesne-Guillemin, uLe Cygne de Mallarmé'!
E!Preinte~, Paris, 1948, p. 50.
76
choses que Bachelard appelle une ."s'31Ilbiose des images (qui)
donne l'oiseau! l'eau profonde".1
Le cygne affronte en toute lucidité le vasteespa
ce devenu ennemi, en face duquel i1 peut nier mais non abo-
1ir sa captivité ou "resp1endi(t) l'ennui".2 Ouirassé
dt une form.eextérieure immobilisante il se rés.igne à la
confrontation intérieure. Son cou majestueux synthétise
toute l'aventure : flèche lumineuse qui jaillit des glaces
vers le ciel, il incarne la foree dt arraehement. Est~ve
semble être de eet avis quand il rappelle que "1e eo~ et
non les pattes secoue 1a blanehe agonie".3 Mais le cou
retombe et trace une sp1endide eourbe qui fixe l'image de
son éternelle interrogation, de sa quête intériorisée en
direetion du lieu figé et de ltinfini de son âme seer~te,
site inviolable des "vo1s qui nt ont pas fm". 4
Oe eygne aux ai1es inuti1es ne s tenvo1e pas eomme
les autres oiseaux; i1 se refuse le subterfuge de ltinfini
azuréen, il se refuse jusqu'à l'extériorisation eonsolante
d'un èhant de cygne. S'il "tourne l'épaule à 1a vie",
77
lBaehelard, L'eau et les r~ves,. Librairie José Corti, Paris, 1942, p. 72.
p. 68. 2Mallar.mé, op. eit., ~., Le vierge, le vivaee
301aude-Louis Estève, Etudes philosophiques sur l'expression littéraire, Vrin, Paris, 1939, p. 146.
p. 67. ~llar.mé, op~ eit., ~., Le vierge, le vivaee
... ,
... ,
c'est pour marquer sa fidélité au "ciel antérieur où
fleurit la beauté".l Il restera volontairement l'image
parfaite d'un désir d'au delà qui unit ciel et terre par
un filament spirituel. La nudité éclatgnte de la glace,
ajoutée à sa propre blancheur, dépeint un paysage vide
"ivre,,2 de désir; le poète a semé le vocab1e tlivre" six
fois dans ce sonnet en respectgnt ou non l'ordre des let-
"vivre" "givre" "délivre" "vierge" et ., , , , nhivern·~3 Cet affolement extatique de la vide blancheur
en qU§te d'étoffement suffit, par s"3lDbiose, à couronner
le cygne lIprince l1 de l'aspiration vers l'infini. Il ne
s'agit pas d'un simple conquérgnt d'~spaces limités, nous
dit Duchesne-Guillemin • "Son "Our éclat son éclatante pu-. .. , reté lui suffit et le place au-dessus de tout ce qU'il
pourrait faire".4
Le cygne devrait toutefois se méfier de son or
gueil - refus total - qui le sépare même de l'amour, lui
infligeant la nblanche agonie tl•5 Il risque la paralysie
1 ~., Les Fenêtres, p. 33.
2Ibid., Le vierge, le vivace ••• , p. 67~
3Ibid., Le Vierge, le vivace ••• , p. 67, 68.
4a:aeques Duchesne-Guillemin, tlAU sujet du: 'Divin Cygne' 11, Mercure de France , 1er septembre 1948, p. 68.
5.Mallarmé, op. cit., ~., Le vierge, le vivace ••• , p. 68.
78
de son espace intérieur; ranson inévitable d'une "intério
rité prise! son propre piège".l Sa fièr.e apathie pourrait
l'immobiliser tant intérie'lll'ement,qu'extérieurement et ·fai
re de son supplice "un exil inutile".2 Déjà il ne'poss~de
que l'essence d'un fantôme prolongeant une agome intermi
nable par son refus de l'engouffremeRt dans le gel tombal
, du lac qui l'engage à demi dans "l'horreur du solft.3
Le cygne sait que ce n'est pas en brisant cette
nappe blanche qu'il parviendra à s'échapper; .cette Il accumu
lation de vols", cette "sédimentation d'échecs et d'immobi
lités .. 4 qu'est le lac ne peut ~trebrisée au nom de llaspi
ration vers l'au del'à. sans violer les conditions de l'art,
de la mysticité : 11 ••• le jeu se borne à une perpétuelle
illusion sans briser la glace". 5 Pour le cygne aUC'llne é
mergence possible, pas plus que de sursis pour le soleil
dans Tout orguei1 fume-t-il du soir •••• Sa connaissance
implicite et sa résignation immédiate à cet état de choses
provoquent la rêverie ininterrompue et contrôlée du "songe
froid de mépris";6 i1 trouve la clef de 1'aille'I.:I:Ps choisi
lRichard, op. cit.,. L'Univers, p. 179.,
~all~é, op. cit., ~., Le vierge, le vivace p. 68~
3Ibid., Le vierge, le vivace ••• , p. 68.
4aichard, 0.E-, c:t:t., L'Unive:r::s, p~ 252.
51Iallarmé, op'~ cit., Sh2,., Mimique, p_ 310
6Ibid., Le Vierge, le vivace ••• , p. 67.
... ,
79
en transcendant le tlcoup dt aile ivre" (du) "vierge, (du)
vivace et (du) bel aUjourd'h,rl.II. 1
En 1864 Mallarmé écrivait à Tour.non son premier
poème marin. Le paysage de Brise marinp sera suivi de
quatre autres pièces qui en reprendront le th~me pour l'ap
profondir jusqu'à la décruntation totale duQoHR de' qé~.
Il s'inscrit dans la veine des années 64 à 83 alors que
l'azur de jeunes/se fait place à la grande nuit de la qu@
te mallarméenne qui assombrira les autres aventures mari
nes. Les sources de cette oeuvre sont manifestement
l'Invitation au voyage de Baudelaire~ aux bateaux amarrés
frémissant d'anticipation voluptueuse, et le ravissement
de Poe que lui remémorait sa propre traduction : "Tout ce
vers quoi mon âme languissait - une 1le verte en mer". 2
Deux ans' après sa composition, Mallarmé confiait,
à un ami quel Brise marine ntétait qu'un "désir ineXpliqué
qui vous prend parfo,is de qui tter ceux qui vous sont
chers et de partir" • .3 Désir, en effet, car ce poème est
le drrune du désir ensorcelant qui fait miroiter des para
dis perdus où cesserait l'angoisse du mal dtêtre retenu.
Comma dans le célèbre proverbe de Montaigne, Mallar.mé ,-
80
lIbid~~ Le vierge, le viva~~ ••• , p. 6?
2Jt>id., A; quelqu',un au paradis, p. 199.
3Chas'se, op., cit., Mallarmé cité dans Cle~.!, p. 106.
sait ce qU'il fuit, mais il ne sait pas ce qU'il cherche.
Son désir., d'après PouJ.et, "ne sait où s'adresser, qui a.t-1
teindre, ni même que demanderu •
Le charme de la vie douce des "vieux jardins,,2 ne
le retiendrait pas plus que "1a je'Ulle :femme allaitant son
er~ant".3 Oes aimants ne sauraient, par leur force d'at
tract:i:on, le garder fidè'le à la corvée du "vide papier que
la blancheur défend".4 Il voudrait se soustraire à l'es
clavage de sa stérile missionspiritue11e. A son ame dé
sabusée, beaucoup plus attirante que J_a froide blancheu:t'
de la page, para1t l'~ensité de la mer. L~s oiseaux
"ivres d'être parmi l'écume inconnue et 1es cieux1t5 stimu-
1ent de leur invitation un él~ déjà presque total; cette
invitation se répercute sur les autres "poèmes marins".
La présence d'un bateau refor.muJ.e l'envofttement
des "galères d'or,,;6 à présent la vision est rehaussée de
!Poulet, op. cit., p. 302.
2Mallarmé, op. cit., ~., Brise marine, p. 38.
3Ibid., Brise marine, p. 38.
4Ibid., Brise marine, p. 38. -5Ibid., Brise marine, p. 38.
6Ibid., Les Fenêtres, p. 32.
81
tout ~e concret d'un "steamer"l tellement plus ,souhaitable
et satisfaisant pour le pauvre Stéphane. Selon Ohassé il
aurait été, ,s. l'époque, en qu~te dl emploi à bord d'un paque
bot! ••• Son esprit est rivé à l'image hallucinante' de cet
,"oeil voyageur, frSleur d1infinis", dans les pa~oles de
Barthes, et qui "produit sans' cesse des départs ••• fait
pas sel' l' homme d'une psychanalyse de la caverne à une poé
tique véritable de lleXploration".2 Sa concentration sou
tenue démunit finalement le bateau et le réduit à son plus
modeste schème; ~e po~te le présente sans mâts, ne lui
laissant que sa quille pour se diriger sur une mer inconnue.
Oette absence de mâts qui auraient été arrachés
après avoir "invit(é) les orages"3 rév~le l'inquiétude se
crète de l'écrivain; ~s le premier vers, il a éliminé
deux sur trois des évasions proposées dans ~s Fen3tres, :
"La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres".4
Après le refus des pos'sibilités de la chair et de llesprit,
il ne lui reste plus que le suicide comportant ici tous les
artifices du péril marin. Le jeune poète est obsédé par le
lIbid., ~rise marin~, p. 38.
2Roland Barthes, Mythologies, éd. du Seuil, Paris, 1957, p. 92.
3Mallar.mé, op. c~~., ~., Brise mari~~, p. 38.
4~., Bris;e;' .• ~il'l;,E!., p. 38.
82
pressent~ent des désastres futurs - pressentiment qui se
transfor.ma en espoir secret de naufrage, en désir de se pré
cipiter au devant de ces désastres. Il se voit déjà "per-
(A" ." 3. du ), sans mats" sans mats" nd. fertiles 110ts ••• , re-
nonçant aux sécurités du quotidien familier -idée morbide
que le pléonasme de cette répétition met en relief. Ainsi
peut-on comprendre la pensée qui l'animait et lui faisait
dire à Eugène Lefébure : "La destruction fut ma Béatrice".2
Pour son esprit l'aventure périlleuse est le transfert
d'.'lllle vie accablante" d'une existence qui le suffoque de
responsabilités. Plus élucidante encore semble 3tre la ré
vélation de Beausire : 11 ••• c'est au néant qu'il voudrait
marcher, tant ••• l'excède la lucidité de sa conscience tl • 3
Mais le départ reste à l'état de désir. Comment
s'en aller quand c'est soi-même qU'on cherche à fui~~ En
somme ce n'est que son "coeur qui dans la mer se trempe lt• 4
Il ne pourra pas y engager toute son existence.
Salut, de 1893" ajoute l'insouciance au paysage
marin de Brise marine,. Mallarmé entreprend sans ambages
cette nouvelle aventure marine en contemplant une coupe de
Paris,
lIbid., Brise mar~e" p. 38.
~. Mondor" Eugène Lefébure (lettre,s), Gallimard, 1953., o. 348.
3Beausire, op. cit., p. 100.
4mallarmé , op. ci!.t'., .Q.!:2.., Bri se.,ElS-yine , p. 38.
83
champagne qu'il lève en toast à l'occasion d'un banquet
littéraire. Ce léger prétexte déclenche la rêverie du dé
part aquatique et il navigue sur la barque de l'esprit,
eette fois ave.c ses commensaux, sans égard pour ttJ.e flot
de foudres et'd'hiirers tt • l
Rassuré ·pax-J la prés'enee de ses amis· écrivains,
Mallarmé manifeste toute la candide bravoure de l'aventu
rier penché à la barre. Tous sont initiés aux dédales de
la création et cette connaissance les for~i.tie au moment
du départ vers leur but esthétique : "SolitUde, récif~
étoile lf •2 Tous ont passé par le dur apprentissage de la
solitude créatrice; ils ont bravé le récif perfide du ris
que artistique et aspirent à la même étoile lointaine de
pe·rfection que leur ma!tre. Ils risquent, bien s'Or, le
.saut cosmique à partir du naufrage avec ses If sirènes
mainte à·l'envers".3
Dans l'écume du champagne Mallarmé en~revoit le
"tangagen4 menaçant du navire qui creuse la mer de plus
en plus au milieu des sirènes noyées, des foUdres et des
hivers, mais l'équipage atteint la rive de sa destinée.
l S.alut, 27. ]bid., p.
2Ib· J.d. , Salut, p. 27.
3Ibid• .... ~r~._ , Salut, p • 27.
4Ibid .• , Salut, p. 27.
84
85
D'un commun accord les poètes regardent devgnt eux "sruns
craindre"l et sans se bercer dl aspirations dépassrunt leur
art : ils se contentent de la seule "ivresse belle".2 Tel
est le voyage par plaisir, à la manière de Au seul souci de
voxager - voyage qui s'esthétise en se tournant vers son
propre déroulement. Les ex.plorateurs du moi joùissent
d'une telle ivresse qU'ils sont prêts., malgré les péril.s, à
"porter debout (un) sa1utn3 en l'honneur de la s.olitude,du
récif' et de l'éto1;Le qui leur font signe·. de partir et . leur
le courage de lever la voiJ.e du "blanc souci de (leUr)
tOi1e".4
Avec une fraîche spontanéité Mallarmé a:ura. inis dans
~alut, ~me partiellement, son aneienne ambition de
" ••• terminer (ses) longues réflexions de inenerà·bo:rine
fin (ses) minutieuses préparations, de ·s'é1ancer·vers l'i
déal au lieu de (se) creuser la tête pour trouver une maniè- .
re adéquate de l'évoquer". 5
pensée p. 79.
l S.alut, 27. Ibip.. , p.
2 Ibi,Ë;. , Salut, p. 27.
3Ibid., Salut, p. 27.
4Ibid., Salut, p. 27.
50harles Ohadwick, Mallarmé cité dans tilallarmé.1 s~ ~§ la poésie, Libra~rie José Oorti, Paris, 1962,
1
Le po~me posthume, Au seul souci de voyager, rép~
te le paysage marin de Salut. Sur une mer nocturne sillon
née par le destin, qui est s'Ylnbolisé par une barque, navi
gue "sans "que la barre ne varieul un exploratetm"'" cosmique
dl avant la lettre. un parall~le s'établit entre la cons
truction syntaxique et le voyage; une longue phrase ordon
née, "sans interruption, décrit un trajet sans escale, le
cap fixé touj ott!>s vers le m3ms but. Noulet affirme cette
correspondance entre la chose vue et la chose dite q~and
ellé déclare qU'"aucun po~e plus que celui-ci n'est, se
lon llexpression de Bachelard, un tttë~racle de mouvement',
et c'est la syntaxe qui dénonce et imite la plus grande
des mobilités vivantes : la mobilité imaginaire". 2
Les idées de salut et de voyage s'entremêlent;par
86
la mobilité imaginaire le récit d'aventure glisse au salut,
"me~sager du temps",3 que le po~te porte à la gloire de la
passion de transcender le temporel vers "nuit, désespoir,
pierrerie",4 cr~st-à-dire au delà de toutes les frontières
i!'..:f'ranchissables, au delà d,llune Inde splendide et trouble", 5
p. 72.
Droz,
lMallar.mé, op. cit., ~., Au seul souci de vOY§Ber,
2~lie Noulet, Vingt po~mes._ge Stéphane Mallar.mé, Geneve, 1967, p. 2?2.
3Mallarmé, op. cit., ~., Au seul souë"i ••• , p. 72.
4Ibid., ~ seul souci ••• , p. 72.
5Ibid., ~u seul souci ••• , p. 72.
jusqu'à l'Eterne~ m3me. Mallarmé salue le voyageur qui,
comme dans Brise marine, est pr~t à consentir tous ~es
sacrifices.
Personnage so~itaire, "le pâle Vasco"l agit uni
quement par DmQttr du voyage, selon la prescription baude
lairienne que IIles vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui
partent pour partir". 2 Le but de· Vasco se fixe au plus
loin, au delà du temps, "cap que (sa) poupe double 11 ,3 au
terme d'un long pèlerinage iqui serait l'oeuvre de sa vie.
Il sait où il va et s'y dirige sans hésitation en un tri
ple saut intuitif qui va de "l'inutile gisement,,4 au cri
de l'oiseau "reflété jusqu'au sourire,,5 de l'ho:mme.
L'ambition du poàte se l~te ici à llévocation
d'un vrai voyagetœ. QU'est donc devenue, dans le ressas
sement de ces souvenirs historiques, la grande ambition
mallarméenne de partir? Noulet suggère que ~le désir de
voyage, le goût de change1r se limiteront à la cI'éation
d'un poème, d'un envoi, de ce salut à un. voyage possibletl. 6
lIbid., Au seul souci de voyager, p. 72.
2Baudelaire, 0'0. cit., Le voyage, p. 196.
87
3Mallarmé, op. cit., ~., Au seul souci 4
... , p. 72 •
~., Au seul souci ••• , p. 72.
5Ibid., Au' seul souci ••• , p. 72.
6Emilie Noulet, tlAu seul souci de voyager", ~preintes, Paris, 1948, p. 28.
On est loin des visées antérieures! Mallarmé remue davanta-
ge ces souvenirs de Vasco parce qu'il sent, selon Gengoux,
que Vasco est "l'unificateur de l'Univers, est .le corres
pondant du Poète qui tente 'l'explication orphique .de la
terre,n. l Voilà pourquoi il imagine un Vasco qui aspire,
comme lui, au même lieu isolé, de nuit~ de désespoir et de
pierreries, par~aits correspondants de solitude, récif et
étoile dans l'univers squelétique de Salut.
La frénésie obsessionnelle pouss~t à atteindre la
rive inatteignable s'est calmée. C'est maintenant l'heure
du savoir-faire, celle de l'explorateur célèbre qui fr~
chit sans inquiétude la solitude, la nuit et le désespoir
du gisement perdu qui ne sera pas découvert. Impassible en
face de l' engouf'frement de la "vergue bas plongeante avec
la caravelle lt ,2 l'homme lève son regard vers l'heureux pré
sage d'un "oiseau d'annonce nouvelleu) qui précède son na
vire et chante l'aurore à venir. Mallarmé découvre, par
l'exemple de Vasco, que l'aurore suffit à encourager la pa
tience, consolation ~édiate au voyageur souriant mais
aguerri contre les vicissitudes du voyage.
lGengoux, op. cit., p. 105. 2 Mallarmé, op. cit., ~~~ ~u seul souci ••• , p. 72.
)Ibid., Au seul souci ••• , p. 72.
88
89
Avec son ciel. nocturne "de basal.te et de l.aves",l.
ses écumes sauvages fouettées par l.e vent, sa sirène noyée
et son abtme d'où surgit comme un ossèment le dernier ves
tige dlun bateau, A l.a nue accabl.ante tu ••• , de 1895, pré
sente pgr.mi les courtes pièces l.e pl.us sombre voyage. Pré
cédant de deux ans ]h Coup de dés il. en exécute dans l.a mê
me veine hermétique un raccourci saisissant.
Mal.l.armé explique cet hermétisme qU'il affectionne:
"Toute chose sacrée et qui veut demeurer sacrée .s'enve
loppe de mystère".2 Dans un l.angage fort mystérieux il. ex
prime une certitude qulil ne s'était pas encore avouée: il
n'y a ni savoir, ni conquête, ni voyage possibl.e.. Comme
plus tard dans Un Coup de dés, la matière s'impose à tous
les mouvements de l.tintelligence et de la volonté sans
transcendance possibl.e. Mais cette tragique "perdition
haute"3 ne se révèl.e qu'aux initiés, d'où 1 ther.métisme sou
tenu du récit, l.a dispersion verbal.e délibérée qui image, 4 selon Charpentier, "les pièces d'un navire l1
•
Aucun passage du poème ne semble offrir un espoir
de sursis. Le poète interroge le théâtre du désastre pour
lIbid., A l.a nue accablante tu ••• , p. '76.
2Emil.ie Noul.et, Mallar.mé cité dans L'oeuvre poétique de Stéphane Mal.larmé, Droz, Genève, 1940, p. 37.
3Mallar.mé, op. cit., O.c., A l.a nue accablante t~ ••• , p. '76.
4Charpentier, oP. cit., p. 66.
90
découvrir "quel sépul.cral naufrage"l y a eu lieu, dérobé à
la fois au ciel et aux échos de la mer, pour "aboli(r) le
mât dévêtu", 2 épave suprême. Ce mât sans voile n'a ni. uti
lité ni sens. Vue de loin, cette longue forme mince signi
fierait tout aussi bien le naufrage du "flanc enfant d'une
sirène"3 que celui d'un navire.
Cet attentat commis dans le silence sans laisser
aucune t:l?ace fait dire â Mauron qU'il y a "beaucoup de
bruit, pour rien";4 ce rien d'un départ hallucinatoire sans
,voyage, sans bateau, est fatalement prescrit par le mouve
ment chaotique de la mer, puis confirmé par le vide du site
lors de l'accalmie à la fin du poème. L'atmosphère du dé
but, au dire de Gr~er-Cobn, lIun plafond écrasant posé en
couvercle ••• sur (le) désir de survivre au voyagen,5 est
tout aussi accablante dans le vide du paysage f~al ou
seulement llécmn.e "tra!nen6 sur les rochers où rien ne se
meut de son propre mouvement, dl un mouvement qui soit indé-
pendant du rythme tout-puissant de la mer.
lMallarmé, OP. cit. , ~., A la nue accablante tu , . . ,., p • 76.
2 A la nue accablante tu 76. Ibi,q. , ... , p •
3Ibid. , A la nue accablante tu ... , p • 76
~auron, OP. cit., p. 159.
5Greer-Cobn, op. cit., Towards the Poems of M., p. 230.
6Malla r.mé, op. cit., ~., A la nue accablante tu ••• , p. 76.
La conspiration de·la matière a étouffé selon Nou
let "ce qui existe à peine, la forme entrevue d'un mythe
naissantll,l le mythe de l'odyssée marine. Il n'y a pas
même l'ombr~ de cette suggestion qu'à un moment antérieur
le voyage aurait pu progresser. "L'inutile gisement"2 de
ce poème se métamorphose dans A la· hue accablante ••• en
un mat dév3tuu3 présageant l'impossibil:tté du périple et
signe plus inutile que le gise~entlégendaire car il est
voué à la. futilité la plus complète.·
L'avertissement de la matière dominante s'adresse
non seulement à l'artiste voyageur mais à tous ceux qui as
pirenaient à outrepasser les écueils de leur existence,
d'où la profonde tragédie de A la nue accablante t,u ••• ;
Bernard en parle ainsi : "Il n 1 est nullement question"
pour Mallarmé I~ •• du nau1'ragede ses espérances, ..... mais
de l'homme en général et de sa lutte contre les forces de
l'univers".4 Cette lutte est vouée à l'échec par l'inap
titude de Mallarmé à évoquer l'image d'un bateau, agent de
bonne augure, et entouré, par exemple, d'oiseaux. Le seul.
agent qui aurait pu être d'heureux présage, la sirène, se
91
p. 72.
lNoulet, op. cit., Dix poèmes de St. M., p. 138.
2Mallarmé, OP. cit., .9..!.2..,AU seul souci de voyager,
3~., A ls(nue accablante tu ••• , p. 76.
4Bernard, op. cit.~ p. 120.
A ~
trouve noyée de- la m3me façon que l'équipage .du bateau qui
ne projette déjà p1us que l'ombre ~'un spectre. Olen est
déjà assez pour se demgnder s'il y a vraiment eu, en'quel
que époque lo~taine, embarcation pour un ailleurs.
Les méditations du po~te s.ur le 'voyage se ternd
nent avec Un coup de dés (1897).. Composé en m3me temps que
1e Cgntigue de saint Jean, cet ouvrage de dix-neuf pages
est imprégné de la même inaptitude à sortir du monde maté
riel pour s'envo1er vers l'immatériel "de l'horizon un8n1-me".l Mallarmé avait conçu cette oeuvre en tant que ta
bleau global d'un naufrage commique, visuel par la dispo
sition typographique, l'effet verbale et liordre des pa
ges, mais inte1lectuel et artistique en son contenu. Aus
si confie-t-il à son disciple Valéry :
La conste~lation y affectera, d'après des lois exactes, et autant qu'.il est permis à un texte iliIPrimé; fatalement une allure de constellation. Le vaisseau y donne2 de la bande, du haut d'une page au bas de l'autre ••••
Dans ce voyage "qui va s'ensevelir aUX écumes ori
ginelles u3 le récit est remplacé par l'hypothèse, devenue
le seul instrument maniable du poète qui "se place et nous
place tl, dit Garcia Bacca, "dans un univers probabiliste,
et non dans le petit monde de lloccasionne;LIt.4
lMa1larmé, op. cit., ~., Un coup de dés, p. 463
2paul Valéry, Mallarmé cité dans Variété II, Gallimard, Paris, 1924, p. 200-201.
3Ma11armé, Qpe ci~., O.,c., un coup de dés, p. 473.
4J .-D• Garcia Bacca, "Mallarmé", J@npreintes, Paris, 1948, p. 78.
92
ct
Le ~ représente la finalité d1un dernier geste;
la mer en "cOnflagrationl1l se fait mer totale; le ciel de
vient "quelque surface vacante et supérieure,,;2 la cons
tellation au "compte total en formation"3 est le signe ul
time et le bateau de "chance oiseuse,,4 file le dernier
voyage tenté par 11homme. La blancheur de la page se con
jugue avec la mer écumée et la voile pour créer le paysage
nébuleux d'un désastre sur l'océan du hasard où un vieil
lard, "maniaque chenun ~ 5 est la victime qui a osé SI oppo
ser aux forces de la nature. Mattre de sa course et de sa
destinée, l1homme pourrait alors lancer le coup de dés qui
assurerait sa survivance; mais sa main, projetée hors de
l'eau, se crispe sur les dés.
Richard affirme qu'à ce moment d'hésitation où on
ignore si le capitaine jettera les dés, "la profondeur se
lie génétiquement à l'altitude, le gouffre se marie à la
constellation dans le geste d'un suicide créateur".6 A
cet instant f'ugitif Mallar~né réalise l'unité du monde
lMallarmé, 012- cit., ~., Un couE de dés, p. 462.
2Ibid., Un couE de dés, p. 477.
3Ibid., Un couE de dés, po 477. 4 Ibid. , Un couE de dés, p. 464. 5 Ibid., Un cOUE de dés, p. 462.
6Richard, 012· cit., L'Univers, p. 598.
93
qu1il avait tant cherché à resserrer dans un tout cohérent
au moyen du voyage ou de la formulation orphique -- Cl est
le Itnau1'rage de quelque haute visée"l conçu dans Igitur.
Le vieillard, au poing hors de l'eau, unit,symbo
liquement dans ce geste le ciel avec la terre, mais son
hési tation le noie dans la nappe marine et le rend "t'enta
me d1un geste n2 comme le cygne emprisonné par hésitation
aussi dans le gel aquatique et qui n1avait su se décider
à "chant(er) la région où "fivre".3 Cette hésitation du
voyageur nous présente au dire de Verhesen un Mallarmé
qui "est resté sur le seuj.l d'un monde entrevu, et comme
foudroyé, dans llimpossibilité de le parcourirn•4 Le dé
sir d'absolu l'inquiète encore et dépasse le triomphe pos
sible d'un coup de dés.
De cette vaine lutte avec les éléments qui aboutit
à la lIconjonction supr~me avec la probabilité,,5 na1t un
vague héritier à qui le Maitre transmet la connaissance
enfermée dans son poing au-dessus des flots. Un autre ta
bleau montre ce Hamlet nprince amer de l'écueilt16 au rire
lMallarmé, OP. cit., ~., Igitur, p. 451.
2Ibid., Un coup de dés, p. 464.
3Ibid., Le Vierge, le vivace et le bel aujourdthui ••• , p. 68.
4Fernand Verhesen, "Un coup de dés", Empreintes, Paris, 1948, p. 66.
~allarmé, op. cit., ~., Un coup de dés, p. 464.
6Ibiq., Un coup de dés, p. 469.
94
·e
ct
sonore suggérant que le contenu secret du coup de dés, no
tamment la pensée absolue, aurait été le fruit du Hasard.
Rien ne sr~pose plus au paysage : la sirène qui nage un
moment à la surface du désastre disparaît aussitôt .comme
95
sa soeur dans A la nue accablante tu ••• ; l'échec de la v.oi
le contre l'espace se prolonge dans l'échec de la "lucide
et seigneuriale aigrette".lCette plume sur la toque de
Hamlet, chue d'un oiseau de défaite, n'arrive pas à la hau
teur de sa tâche littéraire sous-entendue •••
En somme rien ne se passe, nrien nI aura eu lieu
que le lieu", 2 et il en aurait été ainsi même si le 'Nombre
des nombres eftt été lancé. Il n'y a que l'ab1me et, "aus
si loin qu'un endroit fusionne avec l'au-delà",3 c'@st-à
dire hors de l'espace où le hasard triomphe, une constel
lation brillante d'espoir omise dans A la nue accablante
.. ~ •••• Comme le "septuor" "de scintillationsu4 remplace
la "défunte nue n5 du sonnet en X, ici la constellation
fait suite aU naufrage. Mallarmé revêt l'aU-delà inattei
gnable d'une certaine forme dans Sa poésie; dans Un coup
lIbid. , Un cou]2 de dés, p. 4'70.
2Ibid., Un couE de dé~, p. 474-475.
3Ibid., Un couE de dés, p. 476-477.
4Ibid .. , Ses 121.lrS ongles très haut dédiant leur onYaS ... , p • 69.
5Ibid. , Ses 12Ul'S ongles très haut dédiant leur on:v:s ... , p • 69.
de dés il le symbolise par l'étoile d'un ciel ineffable,
celui des ~tres ailés de son enf~ce; d~s un envol in
tellectuel, il effectue un retour complet. Citons-le à
ce propos: Il ••• c l est l'éternel retour de l'exilé
tant on n'échappe pas •• ~ à l'inévitable Mythe".l
•••
La mer et les étoiles forment la trame du voyage
hypothétique des dés lancés et retombés, lequel runnonce
l'évanèscenee de l'univers de l'homme dans le Néant, "ne
laissant que l'éternité monolinéaire,,2 d'apr~s Greer-Cobn.
Cette alternative des dés, lancés ou non, cet éternel
"soit que ••• soit que"3 ne peut "atteindre", dit Richard,
lia sa pleine vertu qu'en refusant d'$tre autre chose qU'une
possibilité pel'lllaIlente de passage ll •4 En partant des pré
mices voulant qua ce passage st ouvre sur le Néant, mieux
vaut s'y préparer par l'activité artistique à la manière
mallar.méenne que d'y ~tre projeté en vociférant des pro
testations aveugles~ Parvenu à ce point, Mallarmé avait
il enfin trouvé sa place1 Que n'eüt-il vécu plus long
temps pour nous transmettre l'orientation définitive de
sa pensée!
1 Idem, op. cit., Propos, p. 345.
2Greer-Cobn, op. cit., CoUP de dés, p. 21.
3Mallar.mé, OP. cit., ~., Un coup de dés, p. 460.
4Richard, op. cit., L'Univers, p. 428.
CONCLUSION
L'étude des "m.iJ.ietlX à parcourir" et des "agents
du voyage" suivie d'une exégèse sommaire des principa'UX
poèmes de Mallar.mé sur, la hantise de l'ailleurs, ont of
fert une première analyse du thème du voyage. Mais après
avoir ainsi morcelé une totalité pour satisfaire aUX exi-
. gences de llexplication (lexicologique et thématique)~
nous devons considérer le thème du voyage dans son aspect
synthétique, purement mallar.méen.
Nlest-ce pas, d'abord, la hantise d lune absolue
pureté qui s'était très tôt emparée du poètet Cette con
templation d lun absolu se modifie très vite, car l'art
exige la retombée dans un lieu très froid, même si propi
ce è. son éclosion. Et pour franchir la distance il faut
voyager. D'où l'élan maintes. fois répété vers les gJ.a
ciers, ainsi que l'envol de saint .Jean et le drame du cy
gne, tous destinés aUX altitudes d'une blancheur nouvelle.
Le désir et, partant, la nécessité du Itdépart", se fondent
sur cette .obsession marquante chez le poète.
Là réside le dilemme; car l'oeuvre artistique é
tait le parfait instrument d'une ttexpédition métaphysique"
et elle seule, avec son feu sacré, pénétrait les signes
sensibles du monde réel jusqu!à l'intériorité affective
pouvant relier microcosme et macrocosme. Le poème devient
alors~ comme les autres milieux, une contrée à parcourir :
le voyage est affaire mentale. Aussi convient-il d'ajouter
à l'hermétisme du poète le mystère de l'initiation que de
mande cette entreprise. Pour "saisir" le lecteur n'aura
d'autre expédient que sa propre affectivité capable d'ad
hésion en traversant le labyrinthe poétique.
98
Cette décantation du yoème est-elle vraiment indis
pensable à la possession des altitudes nouvelles! Pour at
teindre le Beau, "élévation défendue et de foudre",l sans
risquer la folie ou le suicide, Mallar.mé ne dispose que de
son art fO.it de mots et de rythmes. Dans· Le Livre il sou
ligne que Itécriture constitue la grande aventure inté
rieure, disciplinée et sacrée, c~r si la l~ua peut ou
vrir jusqu'au Héant elle permet aussi le "départ". Le ver
be glisse du tri-dimensionnel purement analytique, qui nous
limite â la simple visualisation, au bi-dimensionnel s-ynthé
tique qui aplanit l'aura par sa magie de réduction, l'aère
complètement en privant le concept d'espace de son sens
habituel et en laissant les ~tres suspendus entre ciel et
terre dans une virtualité permanente d'envol. Ainsi la
langue s'allie-t-el1e au génie poétique pour évoquer la
pure essence de la pensée voyageuse. C'était dans ce sens
IMallarmé, op. cit., ~., La Musique et les lettres, p. 64'7.
que Mallarmé disait à Cazalis : "En vérité, je voyage, mais
dans des pays inconnus ••• tu ne peux t t imaginer dans
quelles altitudes lucides je mtaventure~.l
L'a langue qui crée Un espace bi-dimensionnel se su
perpose ~édiatement à la vision poétique d'un Absolu né
'antisant auquel aspire Mallar.mé. Cette vision poétique na1t
dlune méticuleuse opération mentale qui dégarnit le monde
en un effeuillement méthodique pour le réactualiser en poè
me. En d'autres mots, l'image purifiée, lancée comme en
trajectoire verticale Va tenter de cerner ltimage inviolée.
Seul le langage découvre l'intimité secr~te de l'inaccessi
ble qulil peut seul absorber. Or, chez Mallarmé la techni
que du voyage est alternativement science ou expérience es
thétique. Plus le voyage fait de lui un voyant, plus il
lui propose-de moyens pour favoriser la connaissance
analogique.
La faculté de volatilisation et d'évocation du lan-
gage atteint son point culmjnant avec l'hyperbole qui se
rait l'équivalent d'une puissance immédiate de montée ver
ticale. Par ce procédé Mallarmé abolit le monde réel en
arrachant les images à leur prétexte conceptuel pour les in
tégrer dans un au delà métaphysique : celui de l'ascèse
chère à Platon. "Le visible et serein souffle artificiel
lIdem, op. cit., Propos, p. 68.
99
de l'inspiratio~ qui regagne le' ciel"l dans L'Après-Midi
d'un Faune traduit l'hyperbole d'une manière vivante : le
poète désincarne l'objet de sa pensée et rejoint dans un
saut absolu "les deux moitiés d'une pensée qui tâche de
se pensertl•2
L'effort linguistique, quelque magnifique qU'il
füt, .pour avoir tenté de raccrocher deux mondes, n'assu
re pas à Mallarmé le triomphe des soUhaits. Comment au
rait-il pu se complaire dans un succès relatif quand sa
pensée visait la perfection en refusant ce qui n'est pas à
la mesure de l'Absolu? L'ascèse linguistique laisse le
poète en proie aU désastre final, autant nécessaire que
tragique puisque selon Thibaudet "l'homme, son oeuvre,
n'existent que dans llacte même de leur naufrage ll .3 Cepen
dant les chutes de Mallarmé marquent, en quelque sorte, un
approfondis~ement et un prolongement dans l'ab1me de la
distance parcourue.
L'espace et le temps balisent l'envol vers la lu
mière primitive mais retiennent l'homme à la terre, ce qui
entacha toute absolue pureté. Une telle opposition aux va
leurs éternelles est intiment liée à,la faillite de la poé
sie. Il s'ensuit qu'en dépit d'une lutte inutile - dès le
p. 50. lIdem, op. cit., ~., L'Après-Midi d'un Faune,
2Poulet, op. cit., p. 30l~
.3Thibaudet, op. cit.~ p. 426.
100
départ - il fallait ù tout prix tenter la conquête de l'es
pace dans un mouvement en marge du temporel.' L'idéal mal
lar.méen de la pureté et de la poésie absolues exige le sa
crifice de tout pour faire oublier 11espace et le temps
dans un essor.de création subl~e, quoique irréalisable,
où le poète, "les 'Yeux au-dedans fixés sur l'entier oubli
d'aller, ••• nl bercerait le rêve d'un saut hyperbolique,
au milieu de sa chute, de l'ici ~édiat aux rivages
inabordables.
Si llEl Dorado des essences inviolées par le Ha
sard échappe aU poète, quel rêve Mallarmé en fit dans cer
tains de ses plus beaux versl Il n()us a au moins légué
une méthode d1approche spirituelle. Une grande modestie
lui rendit léger son échec partiel et il nIa jamais tenté
de décourager ceux qui suivaient son itinéraire, m~me en
s 1étant enfin résigné à nla beauté humaine de la vie qU'on 2 ne dépasse".
IMallarmé, op. cit., ~., Le Nénuphar blanc, p. 283.
2~dem, 02. cit., Noces, p. 112.
101
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