le syndrome de münchausen par procuration. À propos d’un cas

3
CAS CLINIQUE Le syndrome de Münchausen par procuration. À propos d’un cas Münchausen syndrome by proxy. A case report A. Moussaoui a, * , N. Fejjal b , K. Ababou a , K. Tourabi a , A. Ennouhi a , Y. Ribag a , A. Slaoui c , J. Sqalli c , H. Ihrai a a Service de chirurgie plastique, centre des bru ˆle ´s, ho ˆ pital militaire d’instruction Mohamed V, 10001 Rabat, Maroc b Service de chirurgie plastique, ho ˆ pital Ibn Sina, Rabat, Maroc c Clinique des Nations-Unies, Rabat, Maroc Rec¸u le 18 janvier 2008 ; accepte´ le 16 mai 2008 MOTS CLÉS Syndrome de Münchausen par procuration ; Trouble factice ; Perte de substance cutanée Résumé Le chirurgien plasticien peut être amené dans son exercice à prendre en charge des patients présentant des troubles factices chroniques avec symptômes organiques. Le syndrome de Münchausen par procuration en fait partie. Nous mettons le point sur ce syndrome à travers l’observation clinique d’une jeune fille de huit ans victime de maltraitance de la part de sa maman. # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Münchausen syndrome by proxy; Factitious disorders; Skin defect Summary The plastic surgeon rarely encounters patient with factitious disorders. The syn- drome of Münchausen by proxy is a part of it. We put the point on this syndrome through a clinical observation of an eight-year-old girl victim of parent abuse. # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Introduction Le chirurgien plasticien est amené à prendre en charge des lésions cutanées d’origines diverses. Leur aspect et leur localisation permettent souvent d’orienter le diagnostic. Dans certains rares cas, ces lésions peuvent s’intégrer dans le cadre de troubles factices chroniques avec symptômes Annales de chirurgie plastique esthétique (2009) 54, 8890 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Moussaoui). 0294-1260/$ see front matter # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anplas.2008.05.005

Upload: a-moussaoui

Post on 25-Aug-2016

234 views

Category:

Documents


6 download

TRANSCRIPT

Page 1: Le syndrome de Münchausen par procuration. À propos d’un cas

CAS CLINIQUE

Le syndrome de Münchausen par procuration.À propos d’un cas

Münchausen syndrome by proxy. A case report

A. Moussaoui a,*, N. Fejjal b, K. Ababou a, K. Tourabi a,A. Ennouhi a, Y. Ribag a, A. Slaoui c, J. Sqalli c, H. Ihrai a

a Service de chirurgie plastique, centre des brules, hopital militaire d’instruction Mohamed V, 10001 Rabat, Marocb Service de chirurgie plastique, hopital Ibn Sina, Rabat, MaroccClinique des Nations-Unies, Rabat, Maroc

Recu le 18 janvier 2008 ; accepte le 16 mai 2008

MOTS CLÉSSyndrome deMünchausen parprocuration ;Trouble factice ;Perte de substancecutanée

Résumé Le chirurgien plasticien peut être amené dans son exercice à prendre en charge despatients présentant des troubles factices chroniques avec symptômes organiques. Le syndromede Münchausen par procuration en fait partie. Nous mettons le point sur ce syndrome à traversl’observation clinique d’une jeune fille de huit ans victime de maltraitance de la part de samaman.# 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSMünchausen syndromeby proxy;Factitious disorders;Skin defect

Summary The plastic surgeon rarely encounters patient with factitious disorders. The syn-drome of Münchausen by proxy is a part of it. We put the point on this syndrome through a clinicalobservation of an eight-year-old girl victim of parent abuse.# 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Annales de chirurgie plastique esthétique (2009) 54, 88—90

Introduction

Le chirurgien plasticien est amené à prendre en charge deslésions cutanées d’origines diverses. Leur aspect et leurlocalisation permettent souvent d’orienter le diagnostic.Dans certains rares cas, ces lésions peuvent s’intégrer dansle cadre de troubles factices chroniques avec symptômes

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (A. Moussaoui).

0294-1260/$ — see front matter # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.anplas.2008.05.005

Page 2: Le syndrome de Münchausen par procuration. À propos d’un cas

Le syndrome de Münchausen par procuration. À propos d’un cas 89

organiques [1]. Une comorbidité dermatopsychiatrique estobservée chez un tiers des patients [2]. La pathomimie en estun exemple chez l’adulte et elle représente 0,2 % desconsultations en dermatologie [3]. Chez l’enfant, le syn-drome de Münchausen par procuration peut aboutir à despertes de substance graves par leur étendue et/ou leurlocalisation. Le chirurgien plasticien doit connaître cettepathologie.

Nous proposons, à travers un cas clinique, une mise aupoint sur ce syndrome, ses aspects épidémiologiques etchirurgicaux.

Cas clinique

Il s’agit d’une patiente âgée de huit ans, fille unique d’uncouple divorcé qui était adressée au service par un confrèreexerçant dans la ville de Tanger pour la prise en charge d’uneperte de substance thoracique antérieure médiane d’origineinconnue et sans tendance à la cicatrisation depuis plusieursmois.

L’anamnèse ne trouvait pas de notion de traumatisme oud’infection pouvant expliquer le tableau clinique. La mèrede la patiente rapportait avoir fait consulter sa fille parplusieurs médecins, mais que tous les traitements prescritsn’avaient donné aucune amélioration. La dernière prise encharge avait consisté en un large parage exposant les côtessans couverture de la perte de substance.

Figure 1 Patiente âgée de huit ans victime de maltraitance de lexposant les cartilages costaux et l’appendice xyphoïde ; B : parage easpect en fin d’intervention ; D : aspect après cicatrisation ; E : lconsécutive à l’injection sous-cutanée d’esprit-de-sel.

À l’examen clinique, la patiente présentait une perte desubstance thoracique médiane antérieure avec expositiondes quatrième, cinquième, sixième et septième cartilagescostaux, de l’appendice xyphoïde et de l’aponévrose desgrands droits. Le bilan réalisé (bilan sanguin, biopsie de lalésion, prélèvements bactériologiques et examens radiolo-giques) était sans anomalie.

La couverture de la perte de substance était faite par unlambeau musculocutané pédiculé de muscle grand dorsal(Fig. 1). Les suites opératoires étaient marquées par l’appa-rition de deux lésions nécrotiques à type de phlyctènesgrisâtres, puis noirâtres dont l’excision trouvait un tissude nécrose, l’une sur la face dorsale de la main gauche etl’autre sur l’avant-bras gauche. La maman confirmait que ceslésions avaient le même aspect que la lésion thoracique. Unparage réalisé trouvait un tissu nécrosé dont l’originedemeurait inexpliquée.

Une autre lésion similaire était apparue dans les jourssuivants au niveau du flanc droit.

Devant ce tableau de lésions cutanées inexpliquées qui necicatrisent pas et le contexte familial de la petite fille, noussuspections un syndrome de Münchausen par procuration.Nous avons commencé par isoler la patiente de sa mère.Les autorités et l’assistante sociale était contactées et, aprèsune enquête poussée, la maman avouait avoir injecté à plu-sieurs reprises de l’esprit-de-sel dilué en sous-cutané chez safille durant son hospitalisation. Les lésions ont parfaitement

a part de sa mère. A : perte de substance thoracique antérieuret couverture par un lambeau de muscle grand dorsal pédiculé ; C :ésion de nécrose cutanée de la face dorsale de la main gauche

Page 3: Le syndrome de Münchausen par procuration. À propos d’un cas

90 A. Moussaoui et al.

cicatrisé. Par la suite, la garde de l’enfant a été confiée aupère et un confrère pédopsychiatre l’a prise en charge.

Discussion

Le syndrome de Münchausen a été décrit par Asher en 1951[4,5]. Vingt-cinq années plus tard, Meadow en définit uneprésentation particulière qui est le syndrome de Münchausenpar procuration (SMPP) [6], dans lequel la violence n’est plusretournée sur soi-même, mais envers une autre personne, leplus souvent un sujet mineur. En 1987, Rosenberg propose lescritères suivants pour définir le syndrome de Münchausen parprocuration [4] :

� une maladie simulée et/ou produite délibérément par unparent sur son enfant ;� une investigation médicale répétée dans l’intention d’une

reconnaissance pour le bien-être de l’enfant ;� un déni du parent quant à l’origine des symptômes de

l’enfant ;� un amendement de la symptomatologie présentée par

l’enfant lorsqu’il est séparé du parent en question.

Son incidence est estimée à 0,4/100 000 chez les enfantsâgés de moins de 16 ans et 0,2/100 000 chez les enfants demoins d’un an [5,6]. Le sex-ratio est de 1.

Les manifestations du SMPP dépendent du type d’abusinfligé par le parent. Dans la plupart des cas rapportés, ils’agit d’atteinte des systèmes nerveux central, gastro-intes-tinal, respiratoire ou de troubles hématologiques [7,8]. Enmilieu chirurgical, des lésions gynécologiques [9], trauma-tologiques [10] et cutanées, comme c’est le cas pour notrepatiente, peuvent se voir.

Les méthodes utilisées sont variées. Les agents les plusutilisés en cas d’empoisonnement sont les anticonvulsivants,les opiacés, les benzodiazépines. . . [6]. Dans notre cas, ils’agissait d’injections sous-cutanées d’esprit-de-sel dilué.

Toute lésion traumatique chez un enfant avec une incohé-rence entre son aspect, sa localisation et les données del’examen clinique doit attirer l’attention du chirurgien plas-ticien sur la possibilité de maltraitance, voire de sévices,surtout en cas de lésions multiples et récidivantes sanstendance à la guérison. La notion de consultations multiplespeut être évocatrice.

En chirurgie plastique, la prise en charge de ces patientsdoit obéir à certains principes dont :

� l’hospitalisation de l’enfant ;� l’intérêt des pansements occlusifs, voire du VAC1 ;� la surveillance de l’enfant. Certains centres utilisent des

caméras de surveillance pour innocenter ou incriminer leparent suspecté [11].

Sur le plan technique, le traitement des pertes de sub-stance éventuelles fait appel aux différents procédés de lachirurgie réparatrice depuis la suture directe jusqu’auxlambeaux libres. La cicatrisation dirigée peut être difficileà mettre en œuvre avant l’isolement de l’enfant.

En plus de la chirurgie, la prise en charge est multidisci-plinaire, incluant psychiatres et l’assistance sociale. Elle

commence par l’isolement systématique de l’enfant et saséparation du parent en cause. Un suivi psychiatrique estindispensable, aussi bien pour l’enfant que pour la famille.

La victime devra par la suite être placée dans une familled’accueil loin de tout contact avec le parent en cause.

La morbidité due au SMPP est plus élevée par rapportaux autres formes d’abus. La mortalité totale est de 6 à 8 %[6], essentiellement due à la suffocation et aux empoison-nements. La fratrie des patients est également exposée àce type d’abus et doit être également isolée du parent. Leretour à domicile ne peut être permis que si le parentadmet l’abus dont il a été l’auteur, explique les raisons quil’ont poussé à le faire et présente suffisamment de garan-ties pour que de tels actes ne se reproduisent plus dans lefutur.

Conclusion

Le recours à la chirurgie plastique pour la prise en charge despathologies dermopsychiatriques n’est pas exceptionnelchez l’adulte comme chez l’enfant. Le plasticien doitévoquer la possibilité de maltraitance de l’enfant devanttoute lésion traumatique inexpliquée ou tout trouble decicatrisation cutanée sans cause évidente. Une fois diagnos-tiqué, la prise en charge du SMPP est multidisciplinaire,incluant chirurgiens, psychiatres, assistance sociale, orga-nismes de protection de l’enfance et juristes. L’évaluationexacte nécessite une hospitalisation. Le risque de récidiveest important, aussi la réintroduction des victimes au sein deleur famille nécessite des conditions particulières et unesupervision à la fois médicale et légale.

Références

[1] Nollet D. Le syndrome de Münchausen. Rev Med Interne1982;3(2):119—20.

[2] Gupta MA, Gupta AK. Psychodermatology: an update. J Am AcadDermatol 1996;34(6):1030—46.

[3] Moussaoui A, Fejjal N, Cantaloube D. Surgical management ofcutaneous pathomimia. A case report. Ann Chir Plast Esthet2005;50(6):743—5.

[4] De Becker E, Ali Hamed N. Les fausses allégations d’abussexuels sur mineurs d’âge : entre Münchausen et aliénationparentale. Evol Psychiatr 2006;71:471—83.

[5] Lieder HS, Irving SY, Mauricio R, Graf JM. Münchausen syndromeby proxy: a case report. AACN Clin Issues 2005;16(2):178—84.

[6] Hettler J. Münchausen syndrome by proxy. Pediatr Emerg Care2002;18(5):371—4.

[7] Blyth CC, Russell S, Zwi KJ, Taitz J, Fairley M, Post JJ. Münchau-sen syndrome by proxy and recurrent polymicrobial bactere-mia. Pediatr Infect Dis J 2007;26(2):191.

[8] de Ridder L, Hoekstra JH. Manifestations of Münchausen syn-drome by proxy in pediatric gastroenterology. J Pediatr Gas-troenterol Nutr 2000;31(4):208—11.

[9] Edi-Osagie EC, Hopkins RE, Edi-Osagie NE. Münchausen’s syn-drome in obstetrics and gynecology: a review. Obstet GynecolSurv 1998;53(1):45—9.

[10] Davis D, Barone JE, Blackwood MM. Münchausen syndromepresenting as trauma. J Trauma 1997;42(6):1179—81.

[11] Nardella D, Sohawon MS, Heymans O. Münchausen’s syndromein plastic surgery practice: a bewildering situation! Indian JPlast Surg 2007;40(2):194—8.