le syndrome de lazare. traumatisme psychique et destinée

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Pratiques psychologiques 14 (2008) 301–302 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Analyse de livres Le syndrome de Lazare. Traumatisme psychique et destinée The syndrome of Lazare. Psychic traumatism and destiny J.-P. Chartier École de psychologues praticiens, 23, rue du Montparnasse, 75006 Paris, France Rec ¸u le 1 er janvier 2008 ; accepté le 1 er janvier 2008 Le traumatisme a le vent en poupe – victime de son succès à la grande bourse internationale des classifications réductrices de la psychiatrie biologique contemporaine avec le posttraumatic stress disorder, dont l’auteur fait remarquer avec justesse, ce syndrome qui mélange des notions différentes et galvaudées de nos jours... S’en est suivi un essor considérable d’une discipline présentée comme nouvelle : la victimolo- gie, alors que ses origines remontent au XIX e siècle avec les « névroses ferroviaires » et la névrose traumatique de Freud qui en avait vu des exemples spectaculaires chez Charcot en attendant les névroses de guerre. Aujourd’hui, il nous faut au moins distinguer une approche nord-américaine et une « école » franc ¸aise, avec entre autres G. Briole, G. Lebigot, G. Favre, J.D. Vallet et le général Croq. Les recherches donnent des résultats contradictoires, en particulier, quant à l’efficacité du débriefing post-traumatique immédiat (cellule de crise) et on ne peut qu’être frappé de l’importance donnée à la victime au détriment de travaux indispensables sur le vécu et la personnalité du sujet violent et/ou meurtrier... Comme le dit de fac ¸on provocante l’auteur « il est davantage question de protéger la nature des méfaits de l’homme que de protéger l’homme des caprices de la nature » (p. 33) tant notre omnipotence, les grecs auraient dit notre hybris, est démesurée et notre souci de tout contrôler un trait réellement obsessionnel de notre culture postmoderne. L’angle d’attaque de Patrick Clervoy, chef du service de psychiatrie de l’hôpital militaire de Tarbes, est tout autre. Il s’attache, à partir de cas cliniques dramatiques, d’otages et de soldats qui Adresse e-mail : [email protected]. 1269-1763/$ – see front matter © 2008 Société franc ¸aise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.prps.2008.01.001

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Page 1: Le syndrome de Lazare. Traumatisme psychique et destinée

Pratiques psychologiques 14 (2008) 301–302

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Analyse de livres

Le syndrome de Lazare. Traumatismepsychique et destinée

The syndrome of Lazare. Psychictraumatism and destiny

J.-P. ChartierÉcole de psychologues praticiens, 23, rue du Montparnasse, 75006 Paris, France

Recu le 1er janvier 2008 ; accepté le 1er janvier 2008

Le traumatisme a le vent en poupe – victime de son succès à la grande bourse internationaledes classifications réductrices de la psychiatrie biologique contemporaine avec le posttraumaticstress disorder, dont l’auteur fait remarquer avec justesse, ce syndrome qui mélange des notionsdifférentes et galvaudées de nos jours. . .

S’en est suivi un essor considérable d’une discipline présentée comme nouvelle : la victimolo-gie, alors que ses origines remontent au XIXe siècle avec les « névroses ferroviaires » et la névrosetraumatique de Freud qui en avait vu des exemples spectaculaires chez Charcot en attendant lesnévroses de guerre.

Aujourd’hui, il nous faut au moins distinguer une approche nord-américaine et une « école »francaise, avec entre autres G. Briole, G. Lebigot, G. Favre, J.D. Vallet et le général Croq. Lesrecherches donnent des résultats contradictoires, en particulier, quant à l’efficacité du débriefingpost-traumatique immédiat (cellule de crise) et on ne peut qu’être frappé de l’importance donnéeà la victime au détriment de travaux indispensables sur le vécu et la personnalité du sujet violentet/ou meurtrier. . . Comme le dit de facon provocante l’auteur « il est davantage question deprotéger la nature des méfaits de l’homme que de protéger l’homme des caprices de la nature »(p. 33) tant notre omnipotence, les grecs auraient dit notre hybris, est démesurée et notre souci detout contrôler un trait réellement obsessionnel de notre culture postmoderne.

L’angle d’attaque de Patrick Clervoy, chef du service de psychiatrie de l’hôpital militaire deTarbes, est tout autre. Il s’attache, à partir de cas cliniques dramatiques, d’otages et de soldats qui

Adresse e-mail : [email protected].

1269-1763/$ – see front matter © 2008 Société francaise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.prps.2008.01.001

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ont côtoyé la mort de très près, à décrire leurs changements comportementaux et intrapsychiqueset l’inadéquation qui en résulte avec leur entourage. « À terme, par une accumulation d’influencesréciproques, la victime peut tout perdre : sa famille, son emploi, sa situation sociale » (p. 71). Ildevrait être heureux d’être vivant. De fait, être Lazare en fait un personnage hors du commun,mort pour lui-même et pour les autres comme ces héros de la mythologie grecque naviguant sanstrêve, entre terre et enfer ou encore les petits bébés décédés de notre catéchisme qui n’ayant puêtre baptisés à temps, se retrouveraient dans un lieu intermédiaire : les limbes ou attente indéfiniedu paradis.

Certes, le traumatisme récent en masque d’autres plus anciens et refoulés, en particulier, du faitde désirs œdipiens agressifs et incestueux, que la prise en charge thérapeutique doit identifier avectact. Freud les avait déjà mis en évidence dans le criminel par un sentiment de culpabilité. Desvétérans du Vietnam, 11,6 % suivis psychiatriquement, ont ensuite commis des crimes. Si Freudévoque la destinée malheureuse de Lady Macbeth de Shakespeare, l’auteur s’attache à retracer ladouloureuse histoire de Thomas Edward Laurence, plus connu sous le nom de Lawrence d’Arabie.Celui-ci alterne les épisodes de bravoure héroïque inimaginables et les périodes de repli totalaccompagnées de pratiques masochiques se terminant par la mort.

Comme chez les romains, la roche tarpéiene était proche du Capitole, la frontière qui sépare lehéros respecté et adulé du paria social animé par une pulsion de mort en roue libre et condamné,comme le dit Freud, « à retourner à l’inanimé », de par l’effet de « la répétition démoniaque », dutraumatisme initial. . . Mais avec un thérapeute chevronné et/ou de par ses capacités d’élaborationpersonnelle, le sujet pourra parfois rencontrer grâce aux traumatismes absolus « la région crucialede l’Âme où le mal absolu s’oppose à la fraternité » (André Malraux). Il s’agit pour la victimeselon le mot de l’auteur « d’achever l’Odyssée ». Certes, il n’y a ni mode d’emploi, ni protocolesstandardisés.

J’ai relaté dans « Voyage au bout de la vie : la vie devant soi » les différentes étapes de ladéconstruction et de la reconstruction psychique d’un adepte involontaire du syndrome de Lazare.

Pour nous résumer, trois destins me semblent alors s’offrir à lui : prisonnier de son exploit etde son traumatisme inguérissable, il souffrira sans fin tel Prométhée, le foie rongé sur le montCaucase, acceptant sa condition humaine. Sisyphe remontera quotidiennement son rocher et enserait même heureux si on en croit Albert Camus. Enfin, si la fraternité ne lui fait pas défaut lors deson périple initiatique et quelle que soit sa durée, il retrouvera son Ithaque ou encore aujourd’huiune maison sur la plage s’appelle « To lysiponon » la bien nommée puisqu’elle signifie « ce quidissout la douleur » des Ulysses que nous pouvons parfois devenir au gré de nos existencesmouvementées.