le riche et le pauvre lazare - kergonan.org · le riche et le pauvre lazare dimanche dernier,...
TRANSCRIPT
26e dimanche C
Amos 6, 1a.4-7 ; I Tm 6, 11-16 ; Luc 16, 19-31.
Le riche et le pauvre Lazare
Dimanche dernier, l'intendant astucieux de la parabole était loué : renvoyé de son emploi
pour avoir dilapidé les biens de son maître, il a su se faire, en trichant sur les factures, des amis qui
l'accueilleraient chez eux.
Aujourd'hui, par contre, le riche n'a pas fait bon usage de sa richesse pour se faire un ami du
pauvre Lazare qui l'aurait accueilli dans les tentes éternelles. Le renversement de la situation dans
l'au-delà est total, et il est trop tard pour se convertir, car il n'a pas écouté Moïse et les prophètes.
De ce conte grandiose du riche et du pauvre Lazare, se dégagent plusieurs leçons.
C'est d'abord le retournement qui attend les riches et les pauvres d'ici-bas, sans aucune
mention explicite de la valeur morale de leur comportement actuel, comme dans les Béatitudes
selon Luc : Heureux les pauvres, Malheureux les riches. Il n'est pas dit que le riche est puni pour sa
dureté envers Lazare. « Le texte ne dit pas un mot de son inhumanité. Il insinue plutôt le contraire,
lorsqu'il nous dépeint le pauvre à la porte du riche ; il était couché là gisant... par habitude ; c'est
donc qu'il y trouvait son compte. En Palestine, les Lazare déguenillés et couverts d'ulcères sont
légion. Ils se tiennent pour satisfaits si les riches leur assurent la pitance qui les empêche de mourir
de faim. La requête du riche à Abraham ne s'expliquerait pas, si le pauvre avait été traité
inhumainement. S'il se fût reconnu coupable sur ce point, il aurait sollicité l'intervention de tous les
saints du paradis, avant de recourir à celle de son ancien client » (Buzy, RB 1918, 194).
« Tu as reçu tes biens pendant ta vie, et Lazare les maux ; maintenant il est ici consolé et toi
tu es torturé ». Le riche a été inconscient, insouciant de son avenir. « Non seulement la possession
des biens de ce monde ne garantit pas la possession des biens de l'au-delà, mais il est possible que
du sein de l'opulence on soit jeté dans les flammes de la géhenne. Non seulement la misère
matérielle ne constitue pas un état définitif, mais il se peut que les pauvres échangent leur pitoyable
condition pour les honneurs ineffables de la béatitude » (Ib. p.196). L'économe infidèle a su assurer
son avenir ; le riche imprudent n'y a pas pensé et au grand jour il s'est trouvé pris au dépourvu. Il n'a
pas été un homme particulièrement impitoyable ou débauché ou cruel, mais simplement un homme
qui ne pense qu'à jouir de sa fortune et qui n'a pas pu se faire, lui aussi, des amis qui l'eussent reçu
dans les tabernacles éternels. Il n'a pas songé à l'avenir au delà de la tombe.
Un second enseignement s'impose : il y a un « trop tard », un seuil redoutable au-delà duquel
il sera trop tard pour modifier encore sa destinée. Tout n'est pas indéfiniment arrangeable. Croire
que ce que nous faisons sur terre sera un jour évacué comme un rêve au réveil, c'est nous faciliter la
vie par une illusion. En fait, nous travaillons, dans une matière provisoire, sur une œuvre destinée à
durer pour toujours ; et le temps qui nous est alloué pour ce travail est limité. C'est chaque jour que
nous avons à faire notre choix. C'est donc pendant sa vie qu'il faut se repentir. Le faire après ne sert
à rien. Par son indifférence, le riche creusait l'écart qui deviendrait un abîme infini dans l'au-delà.
Brutalement la mort intervient avec l'épreuve du jugement. Le riche découvre la vanité d'une vie
tournée exclusivement vers les plaisirs terrestres. Ses richesses ne peuvent lui être une assurance
pour le bonheur éternel. Jamais on n'a vu un coffre-fort suivre un corbillard. Le riche est exclu du
festin non parce qu'il a usé des richesses, mais parce qu'il n'a pas su en briser le cercle. Il s'est
enseveli en elles. Il s'est enfermé en enfer.
Le drame rebondit dans une troisième scène. Le riche désire que Lazare ressuscite pour
convertir ses frères. Mais le miracle le plus spectaculaire est incompréhensible à celui qui se bouche
les oreilles. La résurrection de Lazare par Jésus n'a fait que durcir le refus des pharisiens. Il n'est pas
fortuit que Jésus ait repris le même nom propre dans la parabole. Devant la mauvaise foi de ses
contemporains, Jésus exprimait une certaine impatience : « Si vous ne voyez des signes et des
miracles, vous ne croirez donc pas ! » (Jn 4 48). Ce désir du merveilleux n'habite-t-il pas encore
notre cœur, nos communautés chrétiennes, notre monde moderne ? On court facilement vers les
soleils tournoyants des apparitions. On fait la queue devant les portes des visionnaires, on invoque
les revenants. Nous demandons des prodiges pour croire. Au lieu de prodiges, Jésus renvoie à la
Parole de Dieu : « s'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes »...
« Souviens-toi », disait Abraham au riche. Il faisait écho à l'avertissement de Moïse dans le
Deutéronome aux israélites oublieux des bienfaits de Dieu. Ce reproche sévère d'avoir oublié la loi,
le prophète Amos le dénonce en termes cinglants contre l'escalade dans la violence et la jouissance,
l'oppression et la misère pour les autres. Il crie si fort car Dieu est atteint et bafoué dans les pauvres.
Le pape Paul VI, dans l'encyclique Populorum progressio, écrivait : « Il s'agit de construire un
monde où tout homme puisse vivre une vie pleinement humaine, où le pauvre Lazare puisse
s'asseoir à la même table que le riche » (n. 47). Dans différentes régions du monde, les conflits pour
le pouvoir politique et économique viennent aggraver une situation déjà critique sur le plan de
l’environnement. L’appel lancé par Paul VI conserve toute son urgence : « Les peuples de la faim
interpellent aujourd'hui de façon dramatique les peuples de l'opulence » (n. 3).
La souffrance et le rejet dont les pauvres sont victimes les assimilent à Jésus qui se profile
derrière Lazare, comme le Ressuscité d'entre les morts. Le Christ s'est fait pauvre pour nous enrichir
de sa pauvreté. Saint Paul exhorte son disciple Timothée à bien se battre pour la foi, et obtenir ainsi
la vie éternelle. La belle profession de foi est celle de Jésus mort sur la croix et descendu aux enfers,
mais par sa résurrection, devenu le grand prêtre, le pontife, celui qui fait le pont entre les deux rives
du grand abîme qui séparait les pécheurs du bonheur. Le Fils unique qui est dans le sein du Père
invite alors tous les croyants, bénis dans leur père Abraham (Gn 12,3), à venir se pencher sur sa
poitrine, comme le fit le disciple que Jésus aimait lors de la Cène, pour accueillir non pas une seule
goutte d'eau mais le fleuve qui jaillit en vie éternelle. Le repas eucharistique est l'anticipation du
banquet céleste, notre entrée avec le Fils dans le cœur du Père.
Seigneur, aide-nous, pauvres Lazare que nous sommes, à préparer notre vie bienheureuse de
l'au-delà à travers les gestes quotidiens d'ici-bas, en écoutant ta Parole, si claire et si bonne... en
communiant à ton Corps, qui inaugure des échanges d'amitié entre nous et avec Dieu dont rien ne
pourra jamais nous séparer, même pas la mort qui sera l'aboutissement d'une vie de charité nous
permettant l'entrée dans ton Royaume. Le cortège des anges nous accueillera, avec Lazare, dans
l'éternel repos. Ce ne sera pas un abîme infini de misère qui nous distanciera de Toi, ô notre Dieu,
au contraire, nous nous abîmerons dans l'infini de ton amour. Amen.
Fr. Jean-Gabriel, Kergonan, le 29 septembre 2013.