le métier de gouverneur de chypre sous l'empire romain

108
Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 1 Virginie Mahé Sous la direction de F. Hurlet Université de Nantes U.F.R. Histoire, Histoire de l’Art et Archéologie LES GOUVERNEURS DE CHYPRE (1 er siècle a. C. -3 ème siècle p. C.) MEMOIRE Année 2008/2009

Upload: virginie-mahe

Post on 13-Jun-2015

375 views

Category:

Government & Nonprofit


4 download

DESCRIPTION

Mémoire de master 2 sur les proconsuls de la province de Chypre

TRANSCRIPT

  • 1. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 1 Virginie Mah Sous la direction de F. Hurlet Universit de Nantes U.F.R. Histoire, Histoire de lArt et Archologie LES GOUVERNEURS DE CHYPRE (1er sicle a. C. -3me sicle p. C.) MEMOIRE Anne 2008/2009

2. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 2 INTRODUCTION In 22 B.C., Cyprus entered upon more than three centuries of a tranquil obscurity, seemingly not unprosperous and apparently well governed1 : voil comment T. B. Mitford, qui fut lun des plus grands spcialistes de lhistoire romaine de Chypre, rsume les premiers sicles de domination de lUrbs sur lle. Dans la continuit de notre prcdent mmoire, sur les proconsuls dAchae aux deux premiers sicles de notre re, il nous a sembl pertinent et intressant dappliquer la mme tude cette province snatoriale mineure, qui, daprs M. Hurlet, navait pas connu ce type de synthse depuis longtemps. Effectivement, les principaux travaux sur les gouverneurs romains de lle remontaient larticle de Mitford Roman Cyprus (publi dans ANRW, II.7-2 en 1980 mais rdig plusieurs annes auparavant), ractualis notamment par M. Christol en 19862 , qui stait toutefois content de reprendre certains cas seulement. Une nouvelle version simposait donc. Quelles sont donc les sources disposition lorsque lon veut tudier la Chypre romaine ? Cest avant tout le manque de sources concernant cette priode qui est frappant. En effet, les inscriptions retrouves ne sont pas si nombreuses, et sont trs souvent dans un mauvais tat. Les sources littraires sont particulirement silencieuses sur notre sujet3 : dune grande aide pour reconstituer le droulement du dbut de loccupation romaine, elles restent malgr tout lacunaires et fort imprcises pour les annes qui suivent, avant de se taire totalement pour les deux premiers sicles de notre re. Cest pourquoi les sources pigraphiques, archologiques et numismatiques sont si 1 ANRW II 7.2, p. 1295. 2 Proconsuls de Chypre , Chiron 16. 3 Little can be gleaned from the historians of the period, and references to the island owe much to chance and accident ; nor are the geographers and scientific writers informative outside the limits of their trade. (Mitford, ANRW II 7-2, p. 1297). 3. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 3 importantes pour notre tude. Par exemple, nous connaissons deux proconsuls grce des monnaies frappes Chypre1 . Lun des problmes que lon rencontre dans lpigraphie chypriote est quun nombre important de fouilles ont t menes de manire plus ou moins anarchiques, sans mthode scientifique : de nombreuses pierres sont ainsi perdues depuis le 18me ou le 19me sicle, et bien souvent, lon ignore le lieu prcis de la dcouverte de linscription ou encore les caractristiques de la pierre (taille, parties manquantes). De plus, les Chypriotes eux-mmes ont beaucoup pill les tombes et les autres antiquits. Ces fouilles furent surtout menes par les consuls franais, britanniques et amricains, notamment partir de 1878 lorsque le sultan cda lle au Royaume-Uni. Ds lors, les fouilles prives furent interdites. Luigi Palma di Cesnola2 , consul amricain de 1865 1876, fut particulirement actif dans toute lle, mais quasiment toutes ses trouvailles sont prendre avec prcaution : si, en onze ans, il a amass la plus grande collection dantiquits chypriotes au monde (conserve au Metropolitan Museum of Art de New York), il navait auparavant aucune exprience archologique ; il ne lui semblait donc pas trs important de noter prcisment les dtails de ses dcouvertes. Sa collection est par ailleurs fortement critique pour ses restaurations abusives et errones3 . 1 A. Plautius et T. Cominius Proculus. 2 Myres ( Handbook of the Cesnola Collection of Antiquities from Cyprus, p. XIII sq.) dveloppe sa biographie : n en 1832, il part en 1860 aux Etats-Unis o il fonde une cole militaire pour officiers et participe la guerre civile. De 1865 1876, il est consul Chypre. Son frre continua par la suite (Alessandro P. di Cesnola) mais sans faire de grandes dcouvertes ; toutefois, cest lui qui publia en 1882 une bonne partie des dcouvertes dans Salaminia. 3 Voir la critique de Hogarth (JHS 9, p. 150) : it is much to be regretted that his want of all archaeological qualifications, coupled with his desire that that want should not be apparent to the world, has introduced such confusion into his results. Had he not been so shy of confessing that he had little or no hand in the actual discovery of the treasure, that the majority of the work was done by Beshbesh not by himself, that many objects were purchased from villagers and not unearthed, that he hardly knew where his foreman worked, what he spent, or what he found, and finally that he himself neither kept accurate notes of the provenance of his treasures nor of the incidents of his journeys, he might have written a plain narrative of inestimable value in place of the ambitious and turgid volume which has worse confounded Cypriote archaeology. 4. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 4 Les fouilles menes par Tubbs et Munro en 1890 Salamine1 , dont les rsultats sont conservs pour la plupart au British Museum de Londres, furent conduites l encore avec un certain amateurisme ; or, aucun carnet original ni archive qui aurait pu nous aider ne nous est parvenu. Comme toutes les autres fouilles, elles ont avant tout donn des rsultats concernant les priodes archaque et hellnistiques. Les recherches menes par Hogarth en 1887/82 dans la zone de Paphos et finances par lUniversit de Cambridge furent les premires suivre une vritable mthode archologique3 . Lanne 1883 vit louverture dun muse de Chypre Nicosie, sous limpulsion de Dmtrios Pirids, un amateur chypriote cultiv qui avait une importante collection ; il reste aujourdhui encore le plus important muse archologique de Chypre. Le dbut du 20me sicle connat fort peu de fouilles Chypre, mme si Mitford commence tudier les inscriptions sur place partir de 1936. Le renouveau dbute en 1959 avec la nomination de Vassos Karageorghis comme Directeur des Antiquits, une fois les indpendantistes rprims4 . En revanche, depuis 1974 et linvasion turque, qui fut suivie de la partition de lle, la situation pour les chercheurs est nettement plus complique5 , mme si elle sest incontestablement amliore ces dernires annes. Ceci est prendre en compte pour expliquer le retard des recherches concernant Chypre pris ces trente dernires annes. A Salamine6 les fouilles furent menes entre 1963 et 1974 par Jean Pouilloux, bien que le thtre et les bains furent fouills auparavant, entre 1952 et 1959, par Dikigoropoulos et Karageorghis, sous la direction du Dpartement des Antiquits de Megaw. Elles rvlent un renouveau du site sous Auguste, comme quasiment partout 1 Cf. larticle ce propos de V. Wilson, Colloque Salamine, p. 59-70. Fouilles publies dans Excavations in Cyprus, 1890. Third Season's Work. Salamis, JHS 12 (1891), pp. 59-198. 2 Excavations in Cyprus, 1887-88. Paphos, Leontari, Amargetti, JHS 9 (1888), pp. 147-271 3 Je renvoie lintroduction de cet article pour la description des inconvnients des fouilles prcdentes, et celle des fouilles quils menrent prs de Nicosie et Paphos. 4 Cf. Avant-propos de Colloque Salamine par M. Yon. 5 Cf. le commentaire acerbe de Karageorghis sur labandon des fouilles de Salamine en 1974 : Aprs 22 annes de travail, fouilleurs et ouvriers durent tout abandonner aux hordes dAttila lenvahisseur (Colloque Salamine, p. 14). 6 Cf. lintroduction de ISalamine. 5. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 5 dans les autres cits chypriotes. Paphos1 fut quant elle fouille ds la fin du 19me sicle par lquipe de Hogarth, et des fouilles rgulires eurent lieu depuis. Kition2 est fouille depuis 1976 par lUniversit de Lyon, qui a repris galement les fouilles du temple de Zeus Salamine. Le site dAmathonte3 fut fouill en 1862 par une mission mene par de Vog ; mme si elle est assez mal connu car il ny eut pas de publication spcifique, lpigraphiste prsent, W. Waddington, publia quelques unes des trouvailles. La cit fut galement fouille par les britanniques en 1893/4, puis par une mission sudoise en 1930, est nouveau tudie par le Dpartement des Antiquits de Chypre et par lEcole Franaise dAthnes depuis 1975. Kourion4 a commenc tre fouille en 1934 sous la direction de Hill, puis de McFadden jusqu sa mort en 1951 ; il ny eut pas de publication finale. A la fin des annes 50, les fouilles reprirent peu peu avec Megaw. Depuis, elles sont menes par le Dpartement des Antiquits de Chypre, tandis quune mission amricaine sest occupe de la ncropole est. Lhistoriographie5 suit globalement les tapes archologiques prcdemment dveloppes, dans la mesure o il sagit avant tout de rapports de fouilles. On citera en sus le Kypros de Engel, publi en 1841, qui sintressait surtout aux sources littraires et restait trs gnral. En 1850 parat Inschriften von Cypern par L. Ross, puis en 1854 le compte-rendu dun voyage de prs de quatre ans de Sakellarios sur lle6 . En 1870 est publi celui du voyage de Waddington, o la moiti des inscriptions concernant Chypre sont indites, lautre moiti tant constitue de reprises de publications de Ross et Sakellarios. Avant larticle de Mitford sur Roman Cyprus, il fallait consulter un court article de Chapot7 , trop succinct, ou bien un ouvrage de Hill, quasiment introuvable8 . Comme le regrette Mitford, this neglect - for such, indeed, it seems - is indicative not 1 Pour Paphos et les autres cits, cf. Cayla et Hermary, Chypre lpoque hellnistique , p. 238 sq. 2 Cf. galement lintroduction de IKition. 3 Cf. Lintroduction de Amathonte, I, Testimonia. 4 Cf. Bagnall/Drew-Bear, Phoenix 27, p. 99 sq., qui commentent IKourion. 5 Cf. lintroduction de M. Yon IKition. 6 Il faut se mfier de la seconde dition quil publie en 1890, o il na revu aucun des textes par lui-mme, mais faite une sorte de compilation des publications des 30 dernires annes. 7 Les Romains et Chypre , Mlanges Cagnat, 1912, p. 59-83. 8 A History of Cyprus, 1940 (non vidi). 6. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 6 only of the quite literal insularity of this small and in general insignificant province, but also of a long-standing and unwarranted indifference to Cypriot epigraphy1 . Il nexiste pas de corpus runissant toutes les inscriptions grecques et latines de Chypre. Si Mitford eut bien ce projet un moment, il labandonna vite au profit de publications de corpus par cit : nous en avons ainsi notre disposition pour les cits de Salamine, Kourion, Kition (dit par M. Yon)2 , et Paphos (dit par Cayla)3 . Pouilloux galement eut cur dditer un corpus des inscriptions grecques de Chypre, mais dut y renoncer. Il faut galement prendre en compte la chronique annuelle dIno Nikolaou ( Inscriptiones Cypriae alphabeticae dans RDAC) , qui permet de mettre jour nos connaissances de lpigraphie chypriote. Dans lensemble, nous avons utilis pour notre tude les publications de spcialistes de Chypre (Hogarth, Hill, Mitford, Pouilloux, Nicolaou, Yon et Cayla) ou de lOrient romain, comme Bagnall, Drew-Bear, Christol, ou Corbier. Sur le sujet prcis qui nous intresse, les proconsuls de Chypre, la premire liste fut tablie par Hogarth4 , corrige par Hill en 1940, puis par Mitford dans ANRW II 7.2 (p. 1292-1305), qui soulignait lui-mme la fragilit de son travail5 . Marcillet-Jaubert y apporta les premires corrections en 19806 ; Thomasson poursuivit cette rvision en 19847 , et M. Christol tudia de nouveau cette liste en 19868 . Haensch galement eut loccasion de se pencher sur le sujet loccasion de la publication de sa somme, recherchant les indices de prsence des gouverneurs province par province9 . Toutefois, lon se rend vite compte quaucun des successeurs de Mitford na vraiment pris le temps de revoir chaque inscription, et de toute manire, la liste na pas t actualise depuis une vingtaine dannes. 1 BSA 42, p. 201 sq. 2 Toutefois, la partie sur les inscriptions en grec alphabtique (celle qui nous intresse donc) a t dite par T. Oziol. 3 Il ne sagit pas pour linstant dun vritable corpus, mais dune thse, soutenue le 6 dcembre 2003. 4 Devia Cypria, 1889 (ouvrage quasiment introuvable). 5 It lays no claim to finality : it represents preliminary study, and a proper discussion of the fasti of Cyprus has yet to be made. (ANRW p. 1299, note 46). 6 Colloque Salamine, p. 289-92. 7 Laterculi Praesidum, qui donne la liste des magistrats romains en fonction province par province, avec les sources utilises. 8 Proconsuls de Chypre , Chiron 16 p.1-14. 9 Capita Provinciarum, 1997. 7. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 7 Au niveau mthodologique, jai choisi dtudier toutes les inscriptions indiquant clairement un proconsulat de Chypre au sein dune carrire, ainsi que toutes celles qui furent trouves Chypre et qui mentionnent un proconsul. Etant donn le mauvais tat gnral de conservation des inscriptions1 , nous avons un nombre trs important dinscriptions qui citent un proconsul de Chypre, mais o le nom de ce dernier na pas t conserv (ou conserv seulement partiellement). De mme, les inscriptions o lon hsite conclure un proconsulat de Chypre sont frquentes. On trouvera galement une srie dinscriptions et dextraits littraires divers concernant de prs ou de loin les proconsuls de Chypre. Jai essay de dresser cette nouvelle liste avec rigueur, car ctait exactement le principal dfaut de celle tablie par Mitford : en effet, ce dernier avait une fcheuse tendance restituer abusivement des inscriptions ou en tirer des conclusions htives. Je renvoie notamment larticle de Bagnall et Drew-Bear qui critique le corpus IKourion, mais dont les griefs pourraient sappliquer lensemble de luvre de Mitford2 : : The traits of scholarship that underlie the books deficiencies are clear : the failure to understand an editors responsibility for accurate and unbiased presentation of the evidence ; an unsufficient knowledge of the work of others scholars and a persistent tendency to cite it erroneously ; frequent absence of logic in the formulation of hypotheses without foundation. One further salient characteristic must be noted : Mitford shows no interest and little knowledge of evidence outside Cyprus3 . Mon travail a donc avant tout consist actualiser avec plus de srieux et de prcautions la liste tablie par Mitford. Mais avant de commencer cette tude en 58 a. C., date de lannexion romaine, il convient de faire un petit rappel sur lhistoire de Chypre, afin de bien comprendre le contexte ce moment crucial4 . 1 Cela a notamment pour consquence dimportantes diffrences entre les publications dune mme inscription , plusieurs lectures tant donc proposes. 2 Documents from Kourion : A Review article , Phoenix 27 (1973), p. 99 sq. 3 P. 117. 4 Cf. Cayla et Hermary, Chypre lpoque hellnistique , dans Identits croises en un milieu mditerranen : le cas de Chypre (Antiquit-Moyen Age), 2006. 8. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 8 Lors du ralliement Alexandre le Grand en 332, Chypre tait compose de petits royaumes-cits, qui disparurent vers 3101 . A lpoque ptolmaque, les cits les plus importantes taient Salamine, Na-Paphos (ville nouvelle fonde en proximit du sanctuaire dAphrodite, devenu Palaipaphos), Amathonte, Kition et Kourion, et ce sont ces cits qui gardrent leur importance lpoque romaine ( lexception dAmathonte, qui est peine cite dans notre corpus). En dehors de Kourion, aucune ne semble avoir eu les institutions dmocratiques des cits grecques. De mme, il ny avait probablement pas de koinon2 (ligue provinciale). Si la vie politique ntait pas trs dveloppe, en revanche la vie sociale se manifestait avant tout dans les gymnases et les thtres. Avec la conqute lagide, on assiste une importante acculturation (Chypre avait conserv des traits phniciens) : la koin simpose ; lalphabet syllabaire est abandonn. Au 2me sicle avant notre re, Chypre est une vraie forteresse et une base arrire des Ptolmes, dont Paphos est le centre politique et administratif (elle le restera sous les Romains) ; elle est dirige par un stratge. Il existe une cour, avec une hirarchie des fonctions. Aprs les disputes entre les deux frres rivaux Ptolme IX Ster et Ptolme X, dans lesquelles Chypre joua un rle dimportance, on sait que lle constitua un royaume autonome dans la premire moiti du 1er sicle, mais cette priode reste trs mal connue. Trs peu de contacts furent nous avec Rome : Chypre fut admise au sein des amis et allis de Rome par un snatus-consulte dat denviron 100 a.C. ou de peu aprs. Le but tait dviter que les pirates ny obtienne refuge3 . A larrive des Romains, lle tait fertile, et son roi (Ptolme Ster II Lathyrus , frre de Ptolme Aulte, roi dEgypte) avait de grandes richesses. Cyprus, in short, was self- sufficient ; lay on no important sea-routes and accordingly, was without military significance ; while Romans as individuals appear to have had little stake in the island4 . 1 En voici la liste : Salamine, Kition, Amathonte, Kourion, Paphos, Marion (la future Arsino), Lapthonte, Soli, et Tamathonte (achete par Kition entre 355 et 341) plus probablement que Krynia. 2 Note 4 p. 241 : certains textes mentionnant le koinon des Chypriotes traditionnellement dats de la fin de la priode hellnistique [notamment par Mitford], doivent probablement tre dats du dbut de la priode romaine. 3 Cf. Mitford, ANRW II 7-2, p. 1289. 4 Cf. Mitford, ANRW II 7-2, p. 1297. 9. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 9 Pour une question de cohrence, nous commencerons donc notre tude en 58 a. C., date de lannexion de lle par Rome, et finirons la fin du 3me sicle de notre re, lorsque les rformes de Diocltien bouleversrent le systme dadministration qui avait eu cours jusque l Chypre, savoir une gestion confie pour un an un gouverneur de rang prtorien tir au sort. Nous chercherons donc apprhender sur cette longue dure (trois sicles et demi) les ralits du gouvernement de la province de Chypre : quels vnements durent-ils faire face ? Quels furent les statuts des gouverneurs de Chypre ? Quels moyens taient leur disposition pour mener bien cette administration ? Quels rapports avaient-ils durant le gouvernement avec le pouvoir imprial, mais aussi avec les Chypriotes ? Enfin, concrtement, en quoi consistait leur rle de gouverneur ? 10. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 10 I- CHYPRE (1er s. a C.-3me s. p. C.), UNE PROVINCE NOUVELLE, TRANQUILLE ET ISOLE I-1 La constitution en province Le premier sicle avant notre re est une priode trs mal connue de lhistoire de Chypre, et notamment la phase entre lannexion de lle par Rome et le retour au statut de province publique en 22 a. C. I-1-A Annexion en 58 a. C.1 Le rle de Caton Pour bien comprendre lannexion de lle par Rome, il faut claircir le contexte politique. Les guerres civiles dchirent alors la premire moiti du premier sicle avant notre re, une opposition, politique (optimates/populares) mais aussi personnelle, entre Cicron et P. Clodius Pulcher fait rage. En mars 58 a. C., Clodius, alors tribun de la plbe et vritable matre de Rome, russit faire passer une loi contraignant Cicron lexil et lui confisquant ses biens, au motif de procdures illgales contre les partisans de Catilina lors de la conjuration de 63 (conjuration qui avait chou grce lintervention de Cicron) . Un des problmes pour tudier le sujet est que la principale source en est Cicron, et lon aura compris que malgr ses qualits, il pouvait difficilement tre objectif sur son ennemi jur et ses motivations. Cest cette priode que Clodius imposa la loi confisquant Chypre aux Ptolmes, et notamment le trsor du roi de Chypre Ptolme Ster II Lathyrus , le frre de Ptolme Aulte, alors sur le trne dEgypte. Il sagissait avant tout dune opration financire, dune importance capitale pour Clodius, mais aussi pour Csar dont il tait lalli : les richesses minires de Chypre et les biens du dernier roi taient un appt important. On ignore combien de temps aprs M. Porcius Cato (autrement connu comme Caton dUtique) fut envoy pour mettre excution lannexion ; Clodius 1 Cf. A. J. Marshall, Cicero's Letter to Cyprus, Phoenix 18, No. 3 (1964), p. 206-215 et E. Badian, M. Porcius Cato and the Annexation and Early Administration of Cyprus, JRS 1 (1965), p. 110 sqq. Sur les premires annes de la Chypre romaine, cf. Mitford ANRW II 7-2, p. 1289-1291. 11. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 11 le choisit probablement assez tardivement, pour sa probit, car comme le souligne Marshall, vu le contexte de lpoque, tout autre se serait largement servi au passage. Il tait alors ancien tribun, et lon connat mal son statut Chypre, mais Badian, la suite de Balsdon, a clairci la question et pense quil fut un questeur, envoy avec un imperium prtorien, donc avec des pouvoirs suprieurs son rang1 . Il semble galement quil fut paul dun questeur dans sa mission ; dans ce cas, seul limperium prtorien lui aurait permis daffirmer sa supriorit sur son assistant. En 58 galement, Clodius fit passer une loi permettant aux anciens consuls de choisir leur province, dans lobjectif bien videmment de les laisser prendre les plus riches donc les plus rentables en matire de taxes plus ou moins officielles. Cest ainsi que son alli dans lexil de Cicron, le consul Aulus Gabinius, put choisir la Cilicie- Chypre en 58. On peut penser que la runion de Chypre la Cilicie tait prvue ds le dpart, bien quune fois de plus les sources soient rares et peu claires2 . Or, la Cilicie ntait pas jusque l rpute comme une province intressante ; cest donc bien Chypre, et ses mines, qui constitue largument dterminant. Cependant, lorsque cest Caton qui est envoy finalement Chypre (et que par consquent lle est temporairement retire de lautorit du gouverneur de Cilicie), Gabinius se ravise et opte pour la province de Syrie, tandis que la Cilicie est confie un ancien prteur. On peut supposer que la dcision de ce changement ne vint pas de Clodius mais du premier triumvirat (Csar, Pompe et Crassus), qui tait derrire lui : la raison tait dloigner Caton de Rome pour viter quil ne dnonce les commissions 1 Sur le statut de Caton, Badian (p. 119 sq.) a tudi un prcdent : lenvoi en 70 de P. Lentulus Marcellinus en Cyrnaque. Celui-ci avait la fonction de questeur mais dtenait un imperium prtorien ; il semble avoir seulement remis en ordre la province, alors dvaste par les luttes incessantes, avec un soin particulier pour les anciennes possessions royales, dans un contexte l encore dpuisement conomique de Rome. Inutile de souligner les ressemblances avec le cas de Chypre. On pourra remarquer que ce Lentulus devait avoir un lien de parent important avec le Lentulus Spinther qui dota probablement Chypre de sa lex provinciae. Quant au statut de questorien envoy par le peuple, il sagirait dune nouveaut, bien que des questoriens eussent p tre nomms par des magistrats imperium lorsquil ny avait plus de questeurs disponibles. 2 Cf. Marshall p. 117 : In and after 56 B.c.-i.e. as soon as Cato's mission was over-we find Cilicia and Cyprus under a single governor. There is no reason to doubt that this arrangement was foreseen when annexation was planned, and was not just an afterthought. We know that-despite Cicero's charges and rhetoric, the annexation of Cyprus turned out to be a very orderly affair. 12. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 12 extraordinaires et les lois de Clodius. De plus, de solides raisons conomiques venaient encore renforcer lenvoi de Caton Chypre : si Gabinius y avait t envoy, le Trsor naurait probablement pas t trs renflou, alors que les besoins taient criants, avec le consulat de Csar et la loi frumentaire de Clodius (distributions gratuites de bl au peuple). Et ce ne sont pas les 7000 talents rapports par Caton (cf. Cicron, dom. 25) qui dmontreront linverse. Quant la mission prcise de Caton, on sait quelle tait avant tout financire et devait consister surtout grer la confiscation des biens des Ptolmes1 ; dailleurs le roi de Chypre prfra se suicider plutt que dassister ce pillage. Quoi quil en soit, avant daccomplir sa mission, Caton dt forcment soccuper de lannexion officielle. On notera cependant que pour certains, et notamment pour Marshall, Caton eut galement grer lorganisation de la nouvelle province, et crer la lex provinciae2 . Il semble en tout cas que sa mission se droula sans heurt3 . Enfin, on a retrouv Palaipaphos une inscription honorant Marcia, cousine dOctave-Auguste et nice de Marcia, lpouse de Caton pendant sa mission Chypre4 : Szramkiewicz5 a ainsi suppos quil sagissait pour les Chypriotes dhonorer la famille de Caton (qui neut pas de descendance directe). Comme son mari, P. Fabius Maximus, est mentionn ses cts, on a longtemps pens quil ft gouverneur de Chypre6 , mais aucun indice ne vient conforter cette supposition7 . Il doit sagir dune visite personnelle au sanctuaire, alors son apoge, comme le suppose Mitford8 , ou bien, daprs M. Corbier, dun hommage rendu linitiative du proconsul Q. Marcius Hortensius, qui serait son petit-fils ou arrire petit-fils. 1 Strabon, Gographie, XIV, 6 (corpus n 83). 2 Cf. aussi dans ce sens Jones, the Cities, p. 373 sq. 3 Dion Cassius, Histoire Romaine 39, 22-23 sur le bilan positif de la mission de Caton (corpus n 82). 4 IGR III 939 = ILS 8811 : Marki&a? Fili&ppou qugatri_, a)neyia=? / Kai&saroj qeou= Sebastou=, gunaiki_/ Pau&lou Fabi&ou Maci&mou, Sebasth=j / Pa&fou h( boulh_ kai_ o( dh=moj. 5 Les gouverneurs des provinces lpoque augustenne, p. 185-186. 6 Ainsi Boeck, Dessau, Syme, Cagnat, Szramkiewicz, ou encore Thomasson (Laterculi 295 n1). 7 Cf. Haensch, capita provinciarum, note 13 p. 579. 8 ANRW II 7-2 note 285 p. 1346. 13. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 13 Le mystre du questeur C. Sextilius Rufus1 Il est connu par une lettre de Cicron (Ad Fam. 13.48)2 , dans laquelle lancien gouverneur de Cilicie-Chypre lui recommande les Chypriotes et lui conseille de suivre le rglement que lui-mme a tabli, ainsi que celui de P. Lentulus (probablement la lex provinciae). Sextilius Rufus est donc envoy en mission Chypre peu aprs 50 a. C.3 (date de fin du gouvernement de Cicron), et est qualifi par Cicron de primus in eam insulam quaestor. De lui, rien nest connu en dehors de ce texte, si ce nest quil faut peut-tre lidentifier avec le Sextilius Rufus qui a command une partie de la flotte rpublicaine le long des ctes de Cilicie en 43 a. C. Cest son statut qui pose problme, et qui a pu faire penser certains quil joua le rle de gouverneur de lle. En effet, il devait tre suffisamment puissant pour instaurer des rgles suivre par ses successeurs (ea te instituere quae sequantur alii), et lon ne peut pas, de toute faon, imaginer quil ft un simple questeur, le premier se rendre sur lle4 . Pour Marshall, il fut questeur de la province de Cilicie-Chypre, envoy pour une mission spciale sur lle. Lhistorien propose de rapprocher cette mission des rformes de Csar concernant le systme de taxation des provinces orientales. Date de 48 ou 47 a. C., elle donne la charge de collecter le tribut non plus ladministration romaine mais aux publicains, le responsable romain au niveau provincial devant tre le questeur. Sextilius Rufus aurait donc t le premier questeur mettre en place cette rforme Chypre. Le problme est que lon date gnralement de 48/47 le retour de Chypre aux Ptolmes, et de toute faon on ignore si, outre lAsie, cette rforme concernait la Cilicie-Chypre. Une autre solution propose par Badian ferait de Sextilius Rufus un deuxime questeur envoy par le snat pour rgler les problmes dadministration dus linsularit ; ce serait trange mais pas sans prcdent. Il peut aussi sagir dun dcret du 1 Notamment tudi par Marshall, dans Cicero's Letter to Cyprus, Phoenix 18, No. 3 (1964), p. 206- 215. 2 Cf.proconsul n3. 3 Sur la date de sa mission Chypre, Badian (p. 113 sq) propose lanne 49 : lanne 48 est peu probable car Cicron aurait forcment fait rfrence lactualit agite de ce dbut danne ; reste donc le dbut de 49 si lon accepte 47 comme date du passage aux Ptolmes. Sextilius est donc lun des derniers questeurs lus avant la guerre civile. 4 Cf. largumentation de Marshall ce sujet : It harboured the usual contingent of Roman negotiatores, contained valuable copper-mines owned by the Roman state, was liable to the tribute, and had at times been subjected to the vectigal praetorium or payment against billeting. 14. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 14 snat demandant au gouverneur de Cilicie denvoyer son questeur Chypre pour une priode limite afin dy rgler des questions judiciaires et administratives. En dfinitive, on peut seulement dire que Sextilius Rufus a d tre envoy Chypre peu aprs 50 a. C. pour y accomplir une mission particulire, probablement afin de parfaire lorganisation de la province. Ladministration romaine des premires annes Le premier gouverneur connu est P. Cornelius Lentulus Spinther, proconsul de Cilicie et de Chypre de 56 53 a. C. Or, lon sait que la mission dannexion de Caton date de 58 : il y a donc un intervalle de deux ans sur lequel on ignore tout de ladministration de lle. Mitford avait ainsi imagin un proconsul inconnu, en poste pour deux ans1 . Badian quant lui a tudi un passage de Cicron (Cicron, Ad Fam. III 7.5 ) mentionnant le prdcesseur de Lentulus, mais sans parvenir claircir le sujet2 . Comme successeur de Lentulus, on trouve Appius Claudius Pulcher, gouverneur de la Cilicie-Chypre de 53 51 a. C.. Cest le frre du Clodius ennemi de Cicron ; il fit chanter la cit de Salamine. Puis Cicron, de retour dexil, assuma la charge en 51/50 a. C. On ignore la suite, que ce soit le nom des gouverneurs ou mme la date exacte du retour de Chypre la gestion ptolmaque. Cest ce qui a pu conduire Cayla proposer quaprs la mission de Sextilius Rufus, les affaires insulaires [aient pu tre] confies un vice-gouverneur chypriote rsidant Paphos 3 . Il se base sur la rinterprtation dune base de statue4 o le koinon des Chypriotes honore Potamn, vice-stratge de lle et surintendant des mines (antistratgos ts nsou kai pi tn metalln). Mitford la datait davant 105 a. C., en fonction de sa thorie errone sur les titres des technites chypriotes5 ; pour lui, 1 Le n1 de sa liste dans ANRW, p. 1292. 2 Badian, JRS 1965 p. 118 : le nom de ce prdcesseur, un certain Appius, fut corrig par Klebs en Ampius, ce qui ferait rfrence T. Ampius Balbus, proconsul dAsie en 57/6, donc en charge des diocses phrygiens (qui devaient tre transfres de la province de Cilicie lAsie), do le terme de successeur. Mais lexplication est peu convaincante, dautant plus que lon connat le successeur de Balbius en Asie. Une autre explication serait quil ft le prteur ayant reu la Cilicie aprs le changement de province de Gabinius ; le problme est que ce gouverneur prtorien fut forcment extra ordinem, donc sans succession possible. On doit donc renoncer toute correction. 3 Cayla, IPaphos, p. 47 et p. 231-235. 4 JHS 9 n102 (= OGIS 165) ; Mitford, BSA 56 n107. 5 Acteurs engags pour les ftes en lhonneur de Dionysos notamment. 15. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 15 lantistratgos remplaait le roi Ptolme IX lors de ses absences. Cayla reprend dans sa thse lexamen trs complexe de ces titres, et en conclut, appuy par la palographie et le vocabulaire de linscription quelle date de la premire moiti du 1er sicle a. C., et propose mme la date prcise de 49/48 a. C. Ce Potamn est originaire de Paphos et est honor dans une autre inscription comme prtre du culte dynastique des Ptolmes. Cayla suppose quil sagirait dun dlgu du gouverneur de Cilicie, choisi parmi les locaux pour administrer lle. Le problme est quil se base sur une inscription honorant L. Coelius Pamphilus, a)nqu&patoj kai_ strathgo&j (cest--dire proconsul et prteur ) de Chypre pour affirmer quaprs lannexion par Rome Chypre fut gouverne par des stratges . Cependant, on ignore la date exacte du gouvernement de Coelius Pamphilius (mme si lon est sr quil date de la Rpublique) ; de plus, nous navons aucune autre attestation dune gestion confie des provinciaux si tt aprs lannexion. Pour ma part, et comme Cayla le souligne lui-mme, je pense quil sagit dune erreur du lapicide1 : il a probablement voulu inscrire anthupatos pour le titre de proconsul, et antistratgos pour limperium prtorien (puisque stratgos signifie aussi prteur). Il ne faut pas non plus oublier que les Chypriotes, isols cause de leur situation dinsularit2 , ne devaient pas tre habitus aux titres officiels romains, et rencontraient en sus la difficult de la traduction vers le grec3 . Pour revenir au statut de Potamn, il me semble plus simple et plus cohrent de penser quil occupait le poste de dlgu des Ptolmes sur lle pendant la priode o elle retourna lautorit gyptienne, dautant plus que stratgos tait le titre officiel du gouverneur de lle avant lannexion romaine. Une des conclusions quen tire Cayla est que Chypre dut dabord tre administre sparment de la Cilicie4 avant dtre gre depuis le continent, et ce au 1 Cayla a tudi cette expression (IPaphos, p. 317-320, n 160) et en conclut quelle reprend lappellation officielle des consuls au 2me s. a. C. (stratgos anthupatos), jamais atteste aprs 80 a. C. Il sagirait donc dune formule employe avec une connotation ancienne dans un but de flatterie ; comme cest un titre dont on avait perdu lhabitude, le ddicant a pens quil sagissait de deux titres distincts et les a donc spars et intervertis. 2 Voir par exemple infra pour leur mauvais usage du latin. On soulignera aussi la mauvaise qualit gnrale des inscriptions de Chypre, tant au niveau de la gravure que de la langue employe. 3 On soulignera par exemple que la traduction grecque de legatus pro praetore est presbeuth_j kai_ a)ntistra&thgoj : le kai ninduit pas forcment un cumul de fonctions. 4 Cela parat ventuellement plausible pour la priode inconnue couvrant 58 56 a.C. Mais lon a dj vu que la principale raison du choix de Gabinius pour la province de Cilicie devait tre quelle contenait galement Chypre ; par ailleurs, si Cicron tait le premier gouverneur grer Chypre avec la Cilicie, il y 16. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 16 moins partir de Cicron. Ce systme administratif aurait t amlior par les rformes de Sextilius, avec la nomination dun vice stratge chypriote. Mme si cela reste trs mal connu, il me semble plus simple de voir ainsi les premires annes de ladministration de Chypre : lannexion et la confiscation des biens royaux menes par Caton en 58 a. C. ; deux annes probablement sous la gestion de Caton (58-56 a. C.) ; le gouverneur Lentulus qui donne galement la lex provinciae (56-53 a. C.)1 ; le gouverneur A. Claudius Pulcher (53-51 a. C.) ; Cicron (51/50 a. C.) ; le questeur Sextilius Rufus (49 a. C.). Jignore pourquoi tous les historiens qui ont tudi la question des proconsuls de Chypre sarrtent Cicron et ne prennent pas en compte ses successeurs au proconsulat de Cilicie2 : de fait, Chypre ne fut pas spare de la Cilicie avant 47 (au plus tt, lorsquelle est donne aux Ptolmes). I-1-B La restauration ptolmaque et le retour Rome3 Si lon connat mal lhistoire des premires annes de Chypre sous la domination romaine, cest encore pire pour la priode qui suit, et qui voit lle retourner dans le giron ptolmaque. Le retour de Chypre aux Ptolmes P. Cornelius Lentulus Spinther fut charg de rgler laffaire de Ptolme Aulte, qui stait fait reconnatre roi dEgypte par Rome en payant Csar (pendant son consulat) 6000 talents, quil avait obtenus en pressurant ses sujets, qui le chassrent dAlexandrie en 584 . Tandis que les Alexandrins envoyaient Rome une ambassade pour se justifier (elle fut en partie massacre et en partie corrompue), Ptolme achetait aurait probablement fait rfrence. En dfinitive, il parat plus probable de penser que ds le dbut Chypre fut gouverne avec la Cilicie. 1 Pour Sartre galement (LOrient romain, p. 22) la constitution de Chypre en province doit tre date de 56 ; il parle auparavant dune occupation par Caton. 2 Comme P. Sestius, proconsul ( ?) en 49/8, ou encore Q. Marcius Philippus en 47 a.C., qui fut par ailleurs loncle de Marcia, cousine dAuguste, qui est honore sous Tibre par la cit de Paphos, sur initiative probable de son petit-fils ( ?) le proconsul de Chypre Q. Marcius Hortensinus (cf. proconsul 16). 3 Pour cette partie, je renvoie notamment Bicknell, Caesar, Antony, Cleopatra and Cyprus, Latomus 36 (1977), p. 325 342, qui est le seul article sur le sujet que jai pu trouver. 4 Sur le contexte, je renvoie la note trs bien faite de L. A. Constans dans ldition du tome II de la correspondance de Cicron (p. 109-125). 17. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 17 des snateurs grce des emprunts auprs de riches romains, qui soutenaient son entreprise en esprant de grosses retombes. Or, Lentulus, lors de son consulat lanne prcdente (57/6), avait obtenu un snatus-consulte confiant la restauration du roi dEgypte au proconsul de Cilicie. Aprs avoir lutt contre Pompe, qui convoyait aussi ce poste, ce fut bien Lentulus qui lobtint, mais le Snat, sous la pression de Pompe et ses allis, lui interdit de procder la restauration de Ptolme sur le trne. Lle resta donc associe la Cilicie lors des premires annes. Traditionnellement, on date de 47 la restitution de lle par Csar aux enfants de Ptolme XII Aulte. Cependant, on peut douter de cette date, dautant plus que les sources sont lointaines, et que les plus proches parlent bien dun retour aux Ptolmes en 47, mais seulement pour lEgypte, pas pour Chypre. Strabon affirme mme que lle reste territoire romain jusquau don de lle Cloptre par Marc-Antoine1 . Marshall2 quant lui met en avant le manque de preuve de cette cession de lle, en insistant particulirement sur le fait que Dion Cassius3 parle dintention mais pas dacte, ce qui a pu faire dire certains quil sagissait surtout dun effet dannonce de la part de Csar pour calmer les Alexandrins. Marshall reprend galement largument des monnaies mises Chypre par Cloptre : lune dentre elles la montre en effet avec Csarion, le fils quelle eut avec Jules Csar, mais comme lon hsite entre 47 et 44 pour dater sa naissance, cela ne nous avance gure. Sans aller jusqu remettre en doute le retour de Chypre aux Ptolmes, il nous faut tout de mme admettre que la date traditionnelle de 47 a. C. nest absolument pas certaine ; il vaut mieux compter sur une fourchette allant de 47 44 a. C. Ce qui est sr, cest quen 43 lle est sous la domination de Cloptre : il semble que, peu aprs lassassinat de Csar (15 mars 44), Marc-Antoine, puissant en 1 Strabon, XIV, 6 : A partir de ce moment [annexion par Caton], Chypre devint ce qu'elle est encore aujourd'hui, une province romaine administre par un prteur. Il y eut seulement une courte priode pendant laquelle Antoine livra Chypre Cloptre et sa soeur Arsino ; mais il fut renvers et toutes les dispositions qu'il avait prises se trouvrent renverses du mme coup. (traduction Amde Tardieu, cf. corpus n83). La date de ce don par Marc-Antoine est elle-mme dbattue (cf. infra). 2 Phoenix 18, p. 207. 3 Dion Cassius, Histoire Romaine 42, 35 : le verbe est xari&zomai. 18. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 18 tant que consul, ait donn Chypre le statut de royaume subordonn lEgypte, et pour reine Arsino IV, la sur de Cloptre VII. Mais cette dernire, non contente de possder lEgypte, envoya son lieutenant Srapion prendre possession de lle, contraignant ainsi Arsino se rfugier en Asie Mineure. Lon sait donc que de 43 41 a. C. cest Srapion, gnral de Cloptre, qui gra Chypre1 . Puis, sous le rgne de Cloptre et dAntoine, lpigraphie nous apprend que lle fut gouverne par le stratge Dmtrios, affranchi de Jules Csar, probablement de 41 39, et en 38 par le stratge Diogne, qui soccupa galement de la Cilicie2 . Une autre question reste en suspens : quelques annes aprs ce premier don Arsino, probablement en 363 , Marc-Antoine donna officiellement Chypre (ainsi que le peu qui restait de la Cilicie) Cloptre et ordonna lassassinat dArsino4 : Bicknell en dduit que la possession de Chypre a donc forcment d tre interrompue entre 43 et ce don, sinon ce serait illogique. Une hypothse, qui na pas t formule (du moins ma connaissance), serait dy voir tout simplement une confirmation de possession plutt quun vritable don, tant donn quen 43 Cloptre stait empare de lle par la force. De 36 (?) 30, Cloptre seule rgne sur Chypre ; lon ignore si lle est alors indpendante de la Cilicie administrativement. Dans lensemble, on connat trs mal cette priode pendant laquelle il semble que Paphos garde un rle prpondrant5 . Cayla suppose qu partir du moment o Antoine se joint Cloptre (41/40), les institutions des cits chypriotes auraient repris le modle hellnistique, abandonnant les rformes romaines6 . Chypre redevient romaine 1 Cela dit, l encore des doutes peuvent tre mis : la principale source sur Srapion est Appien (Guerre Civile 4.61.262 et 5.9.35) mais peut-tre se trompe-t-il puisque lon sait quil y avait un questeur romain Chypre en 43 (C. Cassius Parmensis- cf. Cicron Ad Fam. 12.13). Il se peut que Srapion fut le commandant de la flotte envoye pour aider Cassius. Pour les dates suivantes, je reprends la note de Cayla, IPaphos, p. 214 sq 2 ISalamine p. 47 n 97. 3 Jai trouv plusieurs propositions (40, 37, 36, 34), aucune ntant plus justifie quune autre (Mitford lui-mme avance la date de 40 puis de 36 ANRW p. 1292). 4 Dion Cassius, Histoire Romaine, 49, 32 (cf. corpusn 85). 5 Cayla IPaphos, p. 48. 6 Sur la rforme romaine des institutions civiques, cf. I-2-B. 19. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 19 On sait que Chypre revint Auguste aprs Actium et la mort de Cloptre et Csarion, mais on ne connat pas la date exacte. On ignore si Chypre constitua ds 30 une province part entire ou si, comme lcrit Szramkiewicz, elle fut runie, comme avant la seconde guerre civile, la Cilicie, ou du moins ce qui en restait, aprs lattribution de lessentiel de cette dernire province Amyntas, le nouveau roi de Galatie 1 . Tout dabord range parmi les provinces impriales lors du partage de 27 a. C.2 , et donc gouverne pendant un temps par des lgats impriaux proprteurs, lle retourne la gestion publique en 22, probablement parce quAuguste se rend alors compte que la province nest plus importante stratgiquement et militairement depuis que lEgypte est sous contrle3 . Ds lors, elle est dirige par un proconsul imperium prtorien. Il semble que cet ultime changement de statut fut clbr par une frappe de monnaie, orchestre par le proconsul de 21 a. C. ou peu aprs, A. Plautius4 . On connat deux types de la monnaie quil a fait frapper : le premier, portant sur lavers la mention IMP. CAESAR DIVI F., et au revers celle de A. PLAUTIUS PROCOS, avec une reprsentation du temple dAphrodite Paphos. Le second prsente les mmes inscriptions, mais porte limage du Zeus de Salamine. I-1-C Organisation de la province : lex provinciae et romanisation des institutions civiques La lex provinciae On connat grce la lettre de Cicron Sextilius Rufus une certaine lex Lentulia5 ou pour reprendre les termes de Cicron une P. Lentuli lex. Il la prsente au 1 Les gouverneurs de province, II, p. 527-528. 2 Qui voit Auguste rendre au Snat toutes les provinces, le Snat lui confiant celles militarises et se gardant les autres. On connat une mission de pices de bronze chypriotes date de 27 a. C. et clbrant IM[P. CAESAR] DIVI F. AUGUSTUS / CO(n)S(ul) OCT[AV(us)] DESIGN(atus) (cf Hill, Coins, p. CXIX-CXX). 3 Cf. Dion Cassius, Histoire romaine, 54, 4-1 (corpus n 86). 4 M. Grant, From Imperium to Auctoritas, p. 143-5 n5 = RPC 3906 et 3907. Cf. proconsul n 8. 5 Ad Familiares XIII, 48 : [] tu serviras aussi ta propre renomme, qui a ma faveur, si, aprs ton arrive dans cette le, o tu seras le premier questeur, tu institues des usages, que dautres puissent appliquer. Tu atteindras plus facilement ce but, je lespre, si tu dcides dappliquer le rglement de P. 20. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 20 questeur comme un modle suivre ( ct des rglements qui lui-mme a instaurs lors de son gouvernement de Cilicie-Chypre) lors de sa mission Chypre. Le dbat consiste savoir sil sagit ou non de la lex provinciae de Chypre. Cre au moment de la constitution en province, cette loi fixait les rglements fiscaux, les frontires et les statuts des cits ; bref, elle constituait une vritable charte de fonctionnement. Cependant, on ignore si toutes les provinces en avaient une, a fortiori dans le cas de Chypre, si mal connu en gnral. Ainsi, pour la majorit des historiens, la lex Lentulia constitue bien le premier rglement de la province. Que peut-on savoir de son contenu ? Avant tout, quelle ntait pas bien complte puisquelle fut enrichie par les rglements de Cicron peu aprs, et probablement par des rformes mises en pratique par le questeur Sextilius Rufus. Elle devait srement comporter une rvision des institutions des cits chypriotes sur le modle romain (cf. infra). Ce manque dinformation a pu conduire Marshall notamment penser quelle ntait pas la lex provinciae1 . Il proposa donc pour auteur de cette mystrieuse charte provinciale Caton lui-mme, partant du fait quil avait limperium ncessaire pour le faire. Mais Badian lui objecta que Cicron aurait forcment cit Caton et sa loi dans sa lettre Sextilius si tel tait le cas2 . Si la thorie de Marshall est errone, elle a le mrite davoir cherch une autre explication la lex Lentulia : comme aucune loi qui pourrait concerner des questions provinciales na t passe notre connaissance sous le consulat de Lentulus (57/56 a. C.), il pourrait donc sagir dune lex data. Cest un rglement pass pendant le proconsulat, qui vient sajouter la lex provinciae et la complter dans un domaine particulier. Il suggre quil puisse sagir dun ajout de type financier puisque Lentulus est connu pour avoir t particulirement ferme avec les publicains3 . En dfinitive, je serais encline penser quil ny a pas forcment eu de lex provinciae pour Chypre, dautant plus que lle na pas eu le statut de province part ds le dpart ; la lex Lentulia serait une sorte dbauche bien incomplte ; mais vu le peu dlments que lon possde sur le sujet, il faut rester trs prudent. Lentulus, qui tunissent des liens troits, et les usages que jai tablis [] . Cf. corpus pour le texte latin. 1 Phoenix 18, p. 211 sq. 2 JRS 1, p. 113. 3 Note 26 p. 212. 21. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 21 La rforme des institutions1 J.-B. Cayla a tudi dans sa thse le cas de Paphos. La premire mention de la boul kai dmos, cest--dire le snat et le peuple, les deux institutions romaines, doit tre trouve dans une inscription datant des annes 50 avant notre re2 . Auparavant, lon a seulement le terme de polis : selon lhistorien, cela montre donc une romanisation des institutions, imputer lannexion de lle et aux rformes qui sensuivirent3 . Malheureusement pour nous, les autres cits sont loin dtre aussi bien connues, mais lon peut penser que, comme partout, leurs institutions devinrent moins dmocratiques, afin de mieux correspondre au modle de Rome, qui pouvait ainsi mieux matriser les nouveaux territoires en en contrlant llite4 . Il faut donc concevoir Chypre aussi une monte en puissance des conseils, organiss hirarchiquement en fonction des magistratures remplies, do lexistence de censeurs dont le rle tait notamment de vrifier cette hirarchie interne et ses modifications. Une fois nest pas coutume, Chypre est une des rares provinces de lOrient romain o cette magistrature civique est atteste, pour la cit de Soli : il sagit dun pidestal du deuxime sicle honorant un certain Apollnios5 . La fin de linscription, grave peu aprs la partie suprieure, le qualifie de timhteu&saj, th_n boulh_n? [kata-]/le&caj ( ayant t censeur, il rdigea la liste du conseil ), ne laissant aucun doute quant linterprtation de sa fonction. Il y a fort parier que si la petite cit de Soli avait son propre censeur, cest que les autres cits avaient le leur. Quant au koinon, ou assemble provinciale, on dbat encore de son existence ds lpoque hellnistique, comme le soutient Mitford6 , ou de sa cration lors de lannexion romaine. Cayla7 , qui dfend cette dernire hypothse, remet en cause le systme de datation de Mitford pour proposer la cration du koinon comme fruit de la lex provinciae de Lentulus ou des rformes de Sextilius Rufus. Le koinon des Chypriotes 1 Cf. aussi Mitford, ANRW II 7.2 p. 1342 sq. 2 Cayla, IPaphos n 80 p. 238 sq (cf. BSA 56 n98). 3 On aura dsormais compris que lon ignore qui a vritablement men ces rformes, de Caton, Lentulus ou Sextilius Rufus. 4 Cf. galement Sartre, Le Haut-Empire, p. 129-130. 5 IGR III 930 = Mitford, BSA 42 (1947), p. 201-206, n1. Cf proconsul n 35. 6 Mettre les rf. 7 IPaphos, p. 231 sq 22. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 22 devait jouer avant tout un rle dans lorganisation du culte imprial, et donc tre en contact rgulirement avec le proconsul. Quoi quil en soit, il ne semble pas que les rformes romaines imposrent un changement important dans la vie quotidienne des Chypriotes : habitus lomniprsence de ladministration lagide, la faible prsence romaine sur lle1 leur accorda finalement peut-tre plus de libert dans la gestion des affaires civiques2 . On ignore si la province de Chypre reut une charte dorganisation et, dans laffirmative, quand ; peut-tre ladaptation ladministration romaine se fit-elle progressivement, y compris au niveau des institutions civiques et provinciales, qui adoptrent le modle romain (snat puissant ; conventus ou koinon). I-2 Ralits de la provincia de Chypre Pour comprendre dans quelles conditions le proconsul de Chypre exerait, voyons de plus prs les grands traits de sa province, du 1er sicle avant notre re au 3me sicle. I-2-A Situation gnrale Comme lcrit Jones, there is no mention of public land of the roman people in the island3 , donc tout le territoire de lle est divis entre les 12 ou 13 cits, la plupart tant situes sur la cte. Dans lensemble, Chypre est une le fertile, comme le note 1 Les seuls officiers romains sur lle taient le gouverneur et son quipe, fort rduite dans une petite province comme Chypre. 2 Cf. Jones, the Cities, p. 373 : the annexation must by destroying the centralized administration of the Ptolemies have given the cities a greater degree of autonomy. 3 the Cities, p. 373. On notera lhypothse de Mitford : un procurator local honor Salamine pourrait suggrer lexistence dun ager publicus populi romani, qui serait constitu des terres de Nicocron, dernier roi de Salamine, confisques par Ptolme, et donc hrites par ltat romain. (ANRW, note 31 p. 1296). Cependant, comme le souligne Haensch, il nest mme pas sr que ce procurateur, honor par son assistant, ait exerc sa fonction sur lle. 23. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 23 Strabon1 . Les mines, gres par les Lagides, sont reprises en main par Rome. On admet gnralement quelles taient administres par des procurateurs impriaux, bien que cela reste incertain2 . Pour avoir une liste officielle des cits, il faut attendre le rgne de Justinien au 6me sicle, mais comme il y eut peu dinterventions de Rome auparavant, cela constitue malgr tout une source utilisable. Les textes plus rcents donnent des noms de villes mais ne prcisent pas si elles ont le statut de cit. On notera que lon connat trs mal les frontires de chacune des cits, mme si Mitford a avanc une premire analyse du sujet3 . Il ny avait aucune colonie romaine et les cits taient toutes stipendiaires ; aucune dentre elles navait le statut de cit libre ni mme un avantage quelconque concd par Rome : cela sexpliquerait par une sorte de punition qui frappa aussi les Egyptiens qui avaient soutenu Antoine contre Octave4 . Au dbut du 2me sicle avant notre re, Paphos5 remplace Salamine comme capitale de Chypre, statut qui fut maintenu jusquen 346 lorsque Salamine prend le nom de Constantia. Sous la domination romaine, Palaipaphos6 et Paphos7 ne forment quune cit avec son sanctuaire. On connat mal la chra de la cit, mais on peut sen faire une ide grce aux milliaires romains : il sagissait dune plaine entre Kourion et Arsino (lancienne Marion) et de la zone montagneuse avoisinante. La cit disposait dun port, dun odon, dun thtre et dun gymnase. A Palaipaphos, il y a avait deux sanctuaires : celui au sud date de lpoque mycnienne et a t refait sous les Romains ; celui du nord recouvre en partie le premier et a probablement t construit sous les Flaviens. En 15 a. C., la cit reoit dAuguste le titre de Sbast8 . Sous les Svres, son titre est complet et fixe : Sbast Claudia Flavia Paphos hira mtropolis tn kata Kypron 1 Strabon, Gographie, XIV, 6, 5 : ( Disons maintenant que, sous le rapport de la fertilit, Chypre n'est infrieure aucune autre le ). 2 Cf. II-2-B sur les procurateurs. 3 A partir de ltude du rseau routier (Cf. Mitford, ANRW II 7.2 p. 1332 sq). 4 Cf. Mitford ANRW II 7-2, p. 1296. 5 Sur cette cit, cf. Mitford ANRW p. 1309 sq. et Cayla IPaphos p. 10 sq. 6 Cest le nom de la ville qui entoure le sanctuaire dAphrodite. Aujourdhui, elle sappelle Kouklia. 7 Le nom moderne de cette ville est Kato Paphos ou Ktima ; elle est parfois dsigne dans le texte sous le terme de Na Paphos, par opposition Palaipaphos, puisquelle ne fut fonde qu la priode hellnistique. 8 Cf. Dion Cassius, Histoire Romaine, 54, 23, 7. 24. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 24 polen (Paphos Auguste Claudia Flavia, la mtropole sacre des cits de Chypre). Il est trange que lon connaisse une inscription dans laquelle la cit de Salamine se qualifie de Kuprou mtropolis (sous Hadrien)1 : pour Mitford, la cit se serait adjug ce titre en se sentant protge par Hadrien (suite la rpression de la rvolte juive), mais aurait vite t calme dans ses ardeurs par le pouvoir imprial. Salamine2 est la cit chypriote la plus importante et la plus active. Ctait une cit fort peuple et riche, en juger par le nombre de btiments publics retrouvs : bains, thtre (15000 places), et gymnase. Un vergte de la seconde moiti du deuxime sicle, Ser. Sulpicius Pancles Veranianus, fut particulirement actif dans cette cit puisquil finana lagrandissement du thtre, la construction dun amphithtre et de bains. Le temple de Zeus tait particulirement renomm Kourion3 tait une cit importante, qui possdait un stade et un thtre dune capacit de 7000 spectateurs. Le sanctuaire dApollon Hylates tait un des plus importants de lle ; on y associa le culte de Trajan (ou du moins dApollon Csar) pendant le rgne de ce dernier. Il tait compos dune porte magistrale ouvrant la voie sacre, menant des btiments et des bains. Il semble que la cit ait vcu un renouveau sous les Svres (multiplication des inscriptions, restaurations de monuments...). Amathonte4 est reste non fouille jusquen 1975. La cit devait avoir son propre port, et tait entoure de murailles. Le culte de lAphrodite locale persista sous les Romains, ainsi que celui dHra. On y connat galement un temple colonnade extrieure rig en lhonneur de Titus par un proconsul5 . A Kition6 , la culture smitique devait encore tre prsente, du moins au niveau local. Il devait exister un thtre (au moins sous les Flaviens), mais on na pas encore trouv son emplacement. On notera que les seuls honneurs attribus un empereur par 1 ISalamis p. 119-121, n 92 = ISalamine n 140 : cf proconsul n 31. 2 Cf. lintroduction de Mitford et Nicolaou pour ISalamis et Mitford, ANRW II 7.2 p. 1321 sq. 3 Cf. Mitford, ANRW II 7.2 p. 1315 sq. 4 Cf. Mitford, ANRW II 7.2 p. 1317 sq. 5 Mitford, JHS 66 (1946), p. 40-42, n16 = AE 1950 n122 (cf. proconsul n 26). 6 Cf. Mitford, ANRW II 7.2 p. 1318 sq. 25. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 25 cette cit furent pour Nerva, alors que lon ne connat aucune autre ddicace pour lui Chypre1 . Karpasia2 tait une petite cit, jouissant dun port naturel. Malheureusement, le site na pas t fouill, et reste donc encore mal connu. On sait toutefois quelle conserva le statut de cit sous les Romains et un grand-prtre du culte imprial y est attest. Le principal culte y tait celui dAphrodite Akraia. Le site de Krynia3 est recouvert par la ville moderne de Kyrnia, mme si lancien port est toujours utilis ; il na pas encore t fouill. On ignore si elle conserve le statut de cit la priode qui nous intresse. Lapthonte4 , aujourdhui Karavas, a conserv les vestiges du port et des murailles ; la cit tait clbre pour ses sources. Le site a t trs peu fouill ; on a pas trouv de thtre mais le gymnase tait trs important dans la vie de la cit : des Jeux y furent organiss pour clbrer la victoire dAuguste. Au milieu du 3me sicle, les murs de la cit furent restaurs (probablement en prvision dventuelles invasions goths) par Cl. Leontichus Illyrius, qui, daprs Mitford, pourrait tre originaire de la cit5 . Soli6 tait constitue dune acropole et dune zone dhabitation en contrebas. Elle tait la cit la plus importante du nord-ouest de lle, et sa prosprit tait notamment due aux mine de cuivre. Elle avait un thtre dune capacit de 3500 spectateurs et tait traverse dune grande rue pave et entoure de colonnes. Elle semble avoir connu son apoge sous les Antonins, mais est la seule cit dans ce cas. Arsino7 , fonde en 270 a. C. sur les ruines de Marion, na pas connu de fouilles systmatiques, mais rien na t trouv datant de la priode qui nous intresse. Kythra8 est aujourdhui un champ de ruines lest de la ville moderne, dont les fouilles nont pas encore t menes bien. Elle est une des rares cits chypriotes ne pas tre situe sur la cte. La cit tait clbre pour ses sources intarissables. ; on sait 1 Cf. M. Yon : [il] semble avoir t un bienfaiteur particulirement attentif de Citium, peut-tre mme un nouveau fondateur (IKition p. 236). 2 Cf. Mitford, ANRW II 7.2 p. 1324. 3 Cf. Mitford, ANRW II 7.2 p. 1324 sq. 4 Cf. Mitford, ANRW II 7.2 p. 1325 sq. 5 Mitford, Byzantion 20 (1950), p. 136-139, n 10. Cf. corpus n 59. 6 Cf. Mitford, ANRW II 7.2 p. 1327 sq. 7 Cf. Mitford, ANRW II 7.2 p. 1329. 8 Cf. Mitford, ANRW II 7.2 p. 1329 sq. 26. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 26 quelle conserva le statut de cit sous les Romains. Il semble quelle ait t subordonne au moins conomiquement Salamine. Le site de Tamathonte1 na pas t fouill et est occup en partie par la moderne Politiko. L aussi, dimportantes mines de cuivre assurait une certaine prosprit ; elle devait notamment exporter par le port de Soli. Quant Trmithonte2 , si elle navait probablement pas le statut de cit, sa situation la croise des routes romaines lui assura un certain dveloppement. La socit chypriote tait trs attache la vie de village et la petite proprit. Lesclavage devait tre largement rpandu dans lle. La classe dirigeante a pu montrer un zle de romanisation au dbut de la domination romaine (contrairement la majorit de la population qui semble stre satisfaite de lordre des choses) ; il ny eut pas ou peu de citoyens trs riches ( lexemple dHrode Atticus pour lAchae), et les vergtes ne furent pas nombreux, dvoilant une certaine homognit de richesse chez les Chypriotes. Quant au rle du koinon3 , on sait quil tait responsable de lmission de monnaies de bronze. Il est surtout attest Palaipaphos (8 inscriptions sur 12) et lpoque impriale4 , mme sil existe au moins depuis lpoque rpublicaine5 . Haensch, qui a tudi le systme de conventus province par province, en arrive la conclusion qu Chypre il se runissait probablement Paphos, capitale de la province6 . Comme le rsume Cayla, cette institution se dveloppe lpoque impriale avec probablement, comme ailleurs, une extension de son rle et un recentrage autour du culte imprial . On sait toutefois quil joua un rle diplomatique, puisquun ambassadeur de lle est 1 Cf. Mitford, ANRW II 7.2 p. 1331. 2 Cf. Mitford, ANRW II 7.2 p. 1332. 3 Cf. Cayla, Livie, Aphrodite et une famille de prtres du culte imprial Paphos , lHellnisme dpoque romaine, p. 239-241 et IPaphos, p. 57 sq . Pour les rapports du koinon avec les proconsuls, voir la partie sur le culte imprial (III). 4 Deux inscriptions sont traditionnellement dates de lpoque hellnistique, mais daprs la rvision de Cayla dans sa thse, elles ne sont pas antrieures lannexion de lle en 58. 5 Cayla (IPaphos, p. 231 sq) soppose ici Mitford, qui faisait remonter quant lui la cration du koinon la fin de la priode hellnistique. 6 Il a galement dress la liste complte des rfrences au koinon ou aux grands prtres (Capita provinciarum note 22 p. 266). 27. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 27 honor sous les Julio-Claudiens Kition et un autre Athnes sous Hadrien1 . Le koinon honorait rgulirement les gymnasiarques, agonothtes et grands-prtres car ctaient eux qui payaient pour les concours et autres crmonies organises pour les empereurs. Il clbrait galement ses patrons, comme dans le cas de ce [ ?] Vehilius, frre de deux proconsuls de Chypre de la fin du premier sicle avant notre re, Marcus et Lucius Vehilius2 . Peut-tre avait-il accompagn son an lors de son proconsulat au sein de la cohors amicorum, moins que cet honneur ne sexplique par des liens anciens entre la famille et le koinon. I-2-B Une faible romanisation A cause de sa situation insulaire et de son appartenance au royaume lagide, Chypre est longtemps reste lcart de linfluence de Rome. Mme en tant que province romaine, lemprise reste peu marque. On notera la prsence de citoyens romains, des ngociants, depuis la fin de la priode hellnistique, atteste pigraphiquement Paphos et Salamine3 . Toutefois, il y a dbat sur la date de leur installation Chypre : ainsi, Mitford la situe la fin du 2me sicle a. C. alors que Cayla4 , la suite de Moretti, prfre une date plus tardive dun demi-sicle. Les citoyens romains taient extrmement peu nombreux : probablement se trouvaient-ils seulement dans quelques colonies de commerants tablies depuis la moiti du 1er sicle a. C. Mme le premier grand-prtre provincial, un certain Hyllos, fils dHyllos, en fonction sous Auguste et que lon imagine puissant pour avoir obtenu cette charge, ne possdait pas la citoyennet romaine. Mitford a cependant not que la 1 Cayla, IPaphos p. 63. On pense aussi celle qui obtint dAuguste la confirmation du droit dasylie de trois temples chypriotes (Tacite, Annales III, 62-63 cf. corpus n 87). 2 I. Nicolaou, Inscriptiones Cypriae alphabeticae IX (1969) , RDAC 1970, p.153 n8 = M. Christol, Proconsuls de Chypre , Chiron 16 (1986), p.1-14. Inscription trouve Paphos et aujourdhui disparue. Voici la traduction de Cayla : Le koinon des Chypriotes (fait une ddicace) son patron []us Vehilius, fils de Marcus, frre de [Marcus] Vehilius, lancien gouverneur de la province, et de Lucius Vehilius, proconsul. Cf. proconsul n5. 3 H. Seyrig, Inscriptions de Chypre , BCH 51 (1927), p. 143-4 n4. On notera que Cicron aussi parle de cette communaut de commerants romains : cives Romani pauci qui illic negotiantur (Ad Atticum, V, 21, 6, cf. proconsul 3). 4 IPaphos n 136. 28. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 28 cit de Kition semble en avoir accueilli nettement plus que les autres1 . Aprs 212, les Chypriotes nutilisrent pas systmatiquement leur tria nomina, comme si loctroi de la citoyennet leur avait t gal. Avec la domination romaine, on assiste galement une modification du systme de calendrier2 , que cela vienne dune initiative provinciale ou que le pouvoir central en soit lorigine3 . Durant les quelques annes o la province de Chypre rpondait la Rpublique romaine, soit lon devait dater par anne consulaire, soit une nouvelle re fut cre, qui ne dut pas durer longtemps en tout cas. Lors du retour aux Ptolmes, la datation est donne selon lanne de rgne des souverains gyptiens. De nouveau en possession de Rome, un nouveau calendrier provincial fut cr. On ignore la date exacte de sa cration, mais lon peut dire quelle se situe entre 21 a. C. (date du mariage dAgrippa avec Julie) et 12 a.C. (date de la mort dAgrippa) ; probablement est-ce en 15 a. C., linitiative de Paphos qui fut aide par Auguste suite un important tremblement de terre. De mme, on ne sait pas en quelle anne le calendrier dbute : est-ce en 22, lorsque la province a un statut fixe, ou plus probablement en 30 a. C., en continuit du calendrier gyptien rform par Auguste (le calendrier Alexandrin) ? Le nouveau calendrier, qui prenait des noms de mois partir des membres de la famille impriale, fut actualis en 2 a.C. Dsormais, il commenait par le jour de la naissance dAuguste, le 23 aot. Jai pu recenser deux noms de mois de ce calendrier dans mon corpus : le troisime, Apogonikos4 , et le neuvime, Dmarchxousios5 . Comme le rsumait Waddington6 , les Chypriotes, comme les Egyptiens, comptaient la seconde anne du rgne dun princeps, non du premier renouvellement de la puissance tribunicienne [donc le premier janvier], selon lusage 1 Note 398 p. 1363. 2 Cf. Mitford, ANRW II 7. 2, p. 1357 sq. 3 Cf. Haensch, Capita provinciarum, p. 265 note 17 : Ob die Stadt avidly pro-Roman war, ist unsicher. Die Einfhrung eines solaren Kalenders rmischen Typs mu keineswegs auf lokale Initiative zurckgehen. 4 IGR III 933. Cf. proconsul 17. Mitford donne la liste complte des mois p. 1360. 5 IGR III, 930 = Mitford, BSA 42 (1947), p. 201-206, n1. Cf. proconsul 35. 6 LBW III 2806 = IGR III 967. Cf. proconsul 39. 29. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 29 romain, mais partir du premier renouvellement de leur propre anne civile [donc le 23 aot]. Le problme est quen parallle le calendrier ptolmaque continue tre utilis et quil dbute la veille du 1er Thot, ce qui correspond au 29 aot (ou parfois le 30). La rgion de Salamine a longtemps maintenu lancien systme, contrairement louest et au nord de lle. Quant au sud, on ignore quelle ligne il suivit. Quoi quil en soit, on sait quau dbut du 3me sicle, le calendrier est unifi. Cela dit, dans la majorit de nos inscriptions, la datation est donne partir des annes de rgne des empereurs, du nombre de leur puissance tribunicienne ou de leurs salutations impriales, ce qui nous permet de donner des dates avec prcision. Le signe L, qui signifie e1touj et est dorigine gyptienne, est utilis systmatiquement Chypre depuis le 3me sicle a. C. jusquau 3me sicle p. C. pour signifier lanne de rgne (ou plus rarement dans les inscriptions funraires lge du dfunt). On notera une inscription publie par H. Seyrig1 , qui donne pour date une mystrieuse anne 29, correspondant lanne qui va du 1er juillet 210 au 1er juillet 211 : lorigine de cette re locale serait donc lanne 182, mais lon ne connat aucun vnement concernant Chypre cette anne l. Une explication pourrait tre la mauvaise lecture du chiffre kq. Par ailleurs, il est remarquable que la langue latine ait si peu pntr lle, et cela est d notamment au peu de citoyens romains prsents sur lle. A lpoque concerne, on a donc une uniformit de la langue sur Chypre (le grec), mme sil a pu subsister un dialecte dorigine phnicienne Kition, un niveau domestique et au dbut de lempire au plus tard2 . En tmoignent galement le petit nombre dinscriptions en latin et les normes fautes qui les maillent parfois3 . Cayla a ainsi pu dfinir trois tapes dans lusage du latin Paphos comme Chypre : une premire priode o le latin est utilis en langue prive seulement par les citoyens romains4 ; une seconde o la langue 1 Inscriptions de Chypre , BCH 51 (1927), p. 139-143, n3. Cf. proconsul 40. 2 Mitford, ANRW II 7-2 p. 1308. On rappellera que le peuplement de lle est pour moiti grec pour moiti phnicien. 3 Un exemple, quasi caricatural, en est la borne milliaire de IGR III 967 : tribouniciai po(testate) to VI, patri patriai, et Imperator(i) Caisar(i) L(uciou) Septimiou Severou [ ] Divi Nerouae [ ] per Audioum Bassoum (sur Audius Bassus, proconsul en 198/9). 4 En tmoignent linscription publie par H. Seyrig (BCH 51 (1927), p. 143-4 n4) faite par les cives R(omani)Paphiae diocen(seos), mais aussi lpitaphe dun certain Centurio (Mitford, OA VI, p. 54-56, 30. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 30 est rserve lpigraphie monumentale ; enfin une troisime o elle est la langue de tous les documents officiels (cf. les milliaires : dabord bilingues, ils sont partir du 4me sicle exclusivement en latin). Nous possdons tout de mme quelques traces de contacts entre les Chypriotes et Rome, comme par exemple une ambassade envoye Rome sous Tibre pour maintenir le droit dasylie des grands temples chypriotes1 . Il peut subsister galement des vestiges de rescrits impriaux, qui constituent des rponses de lempereur valeur jurisprudentielle des questions crites. Toutefois, les textes sont si fragmentaires que les historiens ne saccordent pas tous leur accorder le statut de rescrit. Ainsi, on a retrouv Salamine une inscription qui, pour Mitford et Nicolaou, constitue assurment un rescrit imprial, peut-tre pour interdire une corporation dartisans juifs. De leur ct, les derniers diteurs (ISalamine), qui critiquent la restitution abusive des premiers, parlent seulement dune rfrence au local dune association, sans pouvoir en dire plus2 . Dernirement, on a trouv au gymnase de Salamine un fragment correspondant probablement un rescrit imprial du 2me ou du 3me sicle, qui rpondait peut-tre une ptition des provinciaux3 . I-2-C Chronologie des vnements Nous avons dit dans notre introduction que la province de Chypre na pas connu de grands bouleversements lors de la priode qui nous intresse. Voyons n29, tudie galement dans la partie sur le rle militaire du proconsul). Il sagit de la seule pitaphe latine retrouve Chypre ; on doit la dater du 1er sicle avant ou aprs notre re. 1 Tacite, Ann. III, 62 : Exim Cyprii tribus de delubris, quorum vetustissimum Paphiae Veneri Amathusiae et Iovi Salaminio Teucer, Telamonis patris ira profugus, posuissent. Puis vinrent les habitants de Chypre qui parlrent de trois temples btis, le plus ancien Vnus de Paphos par Arias, le second Vnus dAmathonte par Amathus, fils dArias, et le troisime Jupiter Salaminien par Teucer fuyant la colre de son pre Tlamon. (Traduction H. Goelzer). Cf. corpus n 87. 2 ISalamine p. 16-17, n 24 (= ISalamis n 91). 3 ISalamine n 27 = AE 2001, 1949 = Feissel D., Un rescrit imprial et une conscration daprs une inscription du gymnase de Salamine Cahiers du Centre dEtudes Chypriotes 31 (2001), p. 189-207. Texte trs fragmentaire nayant concern aucun nom ou titre dempereur ou de fonctionnaires romains. 31. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 31 toutefois plus en dtail les quelques petits vnements qui sy sont produits sous le gouvernement dun proconsul romain1 . Le premier dentre eux, le sige du conseil de Salamine par des agents de Brutus, relve dune problmatique politico-financire complexe2 . En effet, il semble que depuis lannexion de lle, les Chypriotes aient d payer au proconsul une somme trs importante afin dviter le stationnement de larme, avec les pillages et abus qui sensuivent3 . Pour pouvoir sen acquitter, la cit de Salamine stait endette auprs de riches Romains : elle avait notamment contract une dette au taux dintrt de 48% ( !) auprs de Iunius Brutus, par ailleurs gendre dAppius Claudius Pulcher, alors proconsul de Cilicie-Chypre (53-51 a. C.). Cest cet abus qui conduisit Cicron lanne suivante produire un dit limitant les prts 12%, et refuser personnellement les 200 talents. Cest alors que Brutus envoya deux agents, M. Scaptius et P. Matinius, afin de rcuprer son argent avec le taux initial. Pour parvenir leurs fins, les deux sbires firent le blocus du conseil de la cit, condamnant ainsi cinq de ses membres mourir de faim. Par la suite, cest Cicron qui finit par rgler laffaire, tiraill entre les pressions politiques et son jugement personnel4 . Un autre vnement fut le tremblement de terre de 15 a. C., qui entrana peut- tre le maintien en poste de P. Paquius Scaeva dans les annes 10 a. C. pour aider les cits sen relever5 . Paphos dut alors recevoir une aide financire de la part dAuguste, 1 Cf. Mitford, ANRW II 7-2 p. 1297. 2 Cf. Mitford, ANRW II 7-2, p. 1291 et la note explicative de Constans et Bayet dans Correspondance de Cicron IV, p. 11-25 et p. 99-112. 3 Cicron, Ad Atticum, V, 21, 7 : Illud autem tempus quotannis ante me fuerat in hoc quaestu : civitates locupletes, ne in hiberna milites reciperent, magnas pecunias dabant, Cyprii talenta Attica CC [] Or, chaque anne avant moi, cette saison avait vu le trafic suivant : les cits riches, pour navoir pas recevoir des soldats en quartiers dhiver, payaient des sommes considrables : les Chypriotes avaient donn 200 talents attiques (traduction par L.-A. Constans et J. Bayet). Cette somme sappelle le vectigal praetorium. 4 Pour les dtails de ce rglement final, cf. Ad Atticum, V, 21, 10-13. 5 Il est en effet qualifi de procos iterum extra sortem auctoritate Aug. Caesaris, / et s(enatus) c(onsulto) misso ad componendum statum in reliquum provinciae Cypri (CIL IX, 2845). On notera cependant que rien ne nous dit dans cette titulature quil fut envoy en lien avec ce tremblement de terre, comme le remarque Mitford (ANRW II 7-2, note 47 p. 1299). 32. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 32 do le titre de Sbast (ou Augusta) quelle porte partir de 15 a. C. Cayla a aussi relev une inscription dans laquelle le dmos de Paphos honore Hrode, roi de Jude1 : cest probablement mettre en lien avec la location par Auguste de la moiti de la production des mines de cuivre de Soli Hrode contre 300 talents, en lan 12 a. C. ; comme le monarque tait un grand vergte, peut-tre a-t-il fait quelque chose pour Paphos loccasion du tremblement de terre. En 22 p. C., Paphos, Amathonte et Salamine, aprs examen du Snat, sont confirmes dans leur droit dasylia, depuis longtemps dtenu par leurs clbres temples (Aphrodite Paphos et Amathonte, et Zeus Salamine). En 69 p. C., Titus, en route pour la Syrie, fait escale Chypre et reoit de Sostratos, le grand-prtre dAphrodite Paphos lassurance de son grand destin2 . Entre 115 et 117, une rvolte juive de grande ampleur secoue tout le Proche- Orient ; Chypre, mene par Artmion, elle a inflig de terribles dgts Salamine. Etudie en profondeur par M. Pucci3 , cette rvolte prsente des causes profondes, telles quun mcontentement latent et un manque dintgration llment grec environnant depuis la destruction du temple de Jrusalem. Malheureusement, si lon sait quelle a clat galement Chypre, on en ignore les dtails, en partie cause de la raret et de la date tardive des sources disponibles sur le sujet4 . A Chypre, ce qui est tonnant est que lon na pas de tmoignages de tensions entre Juifs et Grecs au sicle prcdent, contrairement lEgypte et la Cyrnaque. Il semble que l aussi la rvolte ait t dirige contre les Grecs. Comme Cyrne, les Juifs dtruisirent tout ce quils trouvaient sur leur passage. Les sources donnent limpression dun vritable massacre5 : sil ne 1 IPaphos, n235 p. 397 sq. 2 Tacite, Hist. II 4 et Sutone, Titus, 5 (cf corpus n 88). On soulignera que Mitford est convaincu que Trajan aussi est pass par Chypre en 113 pour rejoindre Antioche en Syrie, son base dans la guerre parthe, mais sa thorie repose sur des bases plus que fragiles. 3 La rivolta ebraica al tempo di Traiano, Biblioteca di Studi Antichi n33, Pise, 1981, surtout les pages 73 79 pour Chypre. Cf. aussi Sartre Le Haut-Empire romain, p. 404 sq. 4 Principalement Chronique de Jrme (Chron. Hieron.) p. 196 et Chronique armnienne (Chron. Vers. Arm.), do probablement les notices de Paul Orose et Georges Le Sincelle (348 A). 5 Cf. notamment Dion Cassius, qui parle de 240 000 morts : toutefois, lon ignore si ce chiffre (de toute manire probablement exagr) correspond celui pour Chypre, ou pour toute la rvolte , et sil ne prend 33. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 33 faut pas les prendre la lettre, on doit tout de mme en conclure que cela devait tre fort impressionnant. On ignore si la rvolte eut lieu dans toute lle ou seulement Salamine ; pour Salamine, toutes les sources concordent dpeindre une cit dvaste. Cependant, cela vient probablement dune interprtation exagre des sources littraires ; il est en effet peu probable que la cit fut compltement dtruite puisque quelque temps, aprs elle est qualifie de mtropole dans une inscription. Lpigraphie atteste de nombreuses reconstructions cette poque1 , mais sans en exprimer la cause ; de plus, lon voit apparatre lpithte Ster accol au nom dHadrien par Salamine. Le chef de la rvolte est connu, un certain Artmion, qui napparat pas dans dautres documents juifs (tout comme le chef de la rvolte en Cyrnaque). On ignore combien de temps les Juifs tinrent la cit ; il est probable quaprs un certain temps, durant lequel les Grecs ne parvinrent pas reprendre la cit, Rome ait dcid dintervenir militairement. A lpoque, larme tait en Orient pour la campagne parthe, et en 116, Q. Marcius Turbo est charg de mater la rvolte2 . Un dtachement de lgion (vexillum) fut envoy Chypre pour mater la rbellion, probablement au printemps 1173 , dirig par un certain C. Valerius Rufus. Comme ailleurs, la rpression dut tre terrible : mises mort, confiscations, disparition de communauts entires (mort ou exil). Un autre tremblement de terre secoua lle en 77/8, entranant peut-tre le transfert de latelier de frappe de monnaie dAntioche Chypre pour quelques annes. En effet, on a pu remarquer la raret de la frappe date de la 10me anne de Vespasien, ce qui sexplique srement cause de ce tremblement de terre4 ; cela explique aussi que lmission suivante, celle de la 1re anne de rgne de Titus, soit beaucoup plus grossire en compte que les victimes des Juifs ou galement les chiffres de la rpression (Dion Cassius, Histoire romaine 68, 32 cf corpus n 90). 1 Peut-tre faut-il interprter dans ce sens lhommage de Salamine Hadrien, datant de 123 : selon Mitford, lempereur aurait fortement contribu la reconstruction de la cit aprs la rvolte. Cf. ISalamis n 92 = ISalamine n 140 (proconsul n 31). 2 Mitford cite Lusius Quietus (Cf. ANRW II 7.2 p. 1345) : or, il fut charg de mater la rbellion en Jude seulement. 3 Cf. ILS 9491 (trouve Beyrouth) qui honore C. Valerius Rufus, miss[us] cum vexillo ab / Imp(ertaori) Nerva Traiano Optumo Aug(usto) Ger(manico)/ Dacico Parth(ico) Cyprum in expeditionem.(voir galement III-5 sur le rle militaire du proconsul). Cf corpus n 76. 4 B. Helly, Monnaies de Vespasien frappes Chypre , dans Colloque Salamine, p. 293-311. 34. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 34 (ateliers atteints, manque de personnel...) ; enfin cela explique larrt de la production et le transfert Antioche dans la 2me anne de Titus. Probablement en 215, C. Iulius Avitus Alexianus, le mari de Julia Maesa, fut envoy par Caracalla de Msopotamie Chypre, et mourut sur lle1 . Cependant, le texte est ambigu, et si lon comprend quil a d jouer un rle dans le gouvernement de Chypre, il parat difficile dy voir comme Thomasson un proconsul part entire2 ; mieux vaut penser une mesure dloignement de la part de Caracalla qui lenvoya rejoindre lquipe du proconsul de Chypre alors en place. Enfin, en 269, les Goths semblent avoir tent daborder lle mais sans succs3 : on notera que quelques annes auparavant, la cit de Lapthonte avait fait appel Claudius Leontichus Illyrius (proconsul ?) pour renforcer les murs de dfense de la cit ; sans doute se prparait-elle dj une attaque4 . Les premires annes de la domination romaine sont trs mal connues, mais lon peut en esquisser la trame : lannexion se passe assez tranquillement en 58 a. C., puis Chypre rejoint la Cilicie et est gouverne par son proconsul. Ensuite, lle retourne la 1 Dion Cassius, Histoire Romaine, 79, 30-4 (et non 78, 30 comme lcrit Mitford dans ANRW note 44 p. 1298) : o( ga_r )Aoui=toj para_ me_n tou= Karaka&llou e)j Ku&pron e)k th=j Mesopotami&aj meta_ th_n th=j )Asi&aj a)rxh_n pemfqei_j klhrwtw=? tini_ su&nedroj u(po_ te gh&rwj kai_ u(p a)rrwsti&aj e1fqh sunairou&menoj: Quant Avitus, envoy par Caracalla de la Msopotamie Chypre aprs son gouvernement dAsie comme membre de lassemble du gouverneur tir au sort, il devana [Julia Maesa dans la mort], emport la fois par la vieillesse et par la maladie. . Pflaum a tudi cet homme, et voici sa version du texte de Dion (REL (1979) p. 298-314) : met[a_ th_n th=j )A]si&aj a)rxh_n [pemfqei_j klh]rwtw=? tini_ s[- u(po_ te] gh&rwj k[ai_ u(p a)rrwsti&]aj w1fqh [sunairo&menoj] Si lhistorien ne trouve pas non plus dexplication cet envoi Chypre, il remarque toutefois ceci : comment expliquer la mission Chypre autrement que par un acte de disgrce ? . 2 Thomasson, Laterculi Praesidum, col. 299, n29 3 Trebellius Pollio, Vita Claudii XII, 1 : fuerunt per ea tempora et apud Cretam Scythae, et Cyprum vastare tentarunt ; sed ubique morbo exercitu laborante, superati sunt. 4 Cf. corpus n 59. 35. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 35 domination ptolmaque, tout en restant plus ou moins sous contrle de Rome, dans la mesure o les souverains gyptiens eux-mmes ntaient pas parfaitement libres de leurs choix. Chypre reste alors sous la coupe de Cloptre, peut-tre avec un rapide retour Rome, et ne revient dfinitivement aux Romains quavec la chute de la reine. Le statut de la province (et donc celui de son gouverneur) volue encore au tout dbut du Principat, et ne devient fixe quen 22 a. C. On peut dire que le proconsul ne devait pas arriver trop proccup dans la province dont il avait soccuper : en effet, ce qui ressort de ce tableau de Chypre sous le Haut-Empire, cest avant tout une impression dhomognit et de tranquillit. Les cits avaient toutes le mme statut, et mme si Paphos et Salamine sortent du lot par leur importance, elles ne semblent pas avoir cras les autres pour autant1 . De mme, on ne voit pas surgir une lite au sein des cits qui aurait clips les autres citoyens par sa richesse et sa puissance2 . Cette unit semble renforce par le koinon, qui unit toutes les cits de lle et est actif notamment pour la frappe de monnaie ou le culte imprial3 . Un autre lment de cohsion est la civilisation grecque, partage par lcrasante majorit4 , et qui laisse peu pntrer la culture romaine, comme en tmoigne lpigraphie, qui utilise le latin seulement dans les documents officiels, et encore, souvent doubl de la traduction grecque, et truff de fautes. Toutefois, on note des lments de romanisation, tels quune rforme des institutions civiques ou du systme de calendrier ; mais il faut alors se demander dans quelle mesure ils furent imposs par le pouvoir central ou choisis par les provinciaux. Dans lensemble, on nobserve que de rares contacts avec Rome, voire avec le reste de lempire, et cela est appuy encore par la trs faible prsence de citoyens romains sur lle. Enfin, peu dincidents viennent perturber ce calme : outre les sismes rcurrents, on notera simplement des premiers contacts dlicats avec les Romains (chantage la garnison de soldats ; sige du conseil de Salamine), et limportante rvolte juive de la 1 Voir galement dans la partie sur le rle judiciaire du proconsul : on ne connat pas de conflit entre cits Chypre, ce qui est lexact oppos de la situation en Achae ou en Asie par exemple. 2 Mme si lon sait que quelques grandes familles ont pu monopoliser au premier sicle les grandes prtrises Paphos et Salamine. Cf notamment ltude de la clientle du proconsul C. Ummidius Durmus Quadratus au II-3. 3 Sur ce dernier point, voir III-6 sur le rle religieux du proconsul. 4 Si lon excepte la communaut juive, trs mal connue (sans mme parler de la premire communaut chrtienne) et qui sen prit justement cette culture lors de la rvolte de 115/7. 36. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 36 fin du rgne de Trajan, qui reste malheureusement mal connue. Les proconsuls neurent donc que rarement grer des situations extraordinaires. Comme le rsume Mitford, after initial fluctuations, which reflected no change in the internal condition of the island but merely the vicissitudes of the Roman Civil War, the history of Cyprus assumes a uniformity, almost an anonymity, which is in itself significant1 . 1 ANRW II 7-2, p. 1290. 37. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 37 II- LES GOUVERNEURS : CONDITIONS DEXERCICE Nous avons vu que la province en elle-mme ne devait pas poser de difficults au proconsul de Chypre. Toutefois, celui-ci devait trouver sa place dans un systme o il ntait pas le seul administrer la province, et devait composer aussi bien avec les provinciaux que le pouvoir imprial, qui pouvait notamment intervenir au moment de la nomination. II-1 Nomination et statut des gouverneurs de Chypre Mais comment les gouverneurs de Chypre arrivaient-ils donc ce poste ? En thorie, cela dpendait uniquement du sort, mais dans la pratique, on se rend compte que le pouvoir imprial se faisait toujours plus prsent. II-1-A Droulement classique de la nomination du proconsul1 Entre la prture, pour laquelle il faut avoir 30 ans minimum, et le consulat, toujours aussi prestigieux et auquel seule une minorit des snateurs aura accs, scoulent environ dix ans. Cest pendant cette priode que sont remplies les charges prtoriennes, qui se rattachent au domaine militaire ou ladministration, comme dans notre cas le gouvernement dune province publique en tant que proconsul. Malheureusement, nous navons aucun tmoignage relatif Chypre en particulier, cest pourquoi nous nous contenterons dun rsum gnral. Dans le cadre de la province de Chypre, comme pour les autres provinces publiques prtoriennes, le proconsul est nomm par tirage au sort (la sortitio), rgi par des rgles prcises2 . La dure du gouvernement provincial est fixe un an, avec un dlai de cinq ans entre la prture et le droit de tirer au sort une province. Les futurs proconsuls pouvaient plus ou moins sarranger entre eux pour changer les provinces 1 Je renvoie la premire partie du II de mon mmoire de lan dernier pour plus de dtails ainsi que les renvois bibliographiques. 2 Voir ce sujet Hurlet, Le proconsul et le prince, p. 24-82, notamment en ce qui concerne les volutions chronologiques de la sortitio et son organisation technique. 38. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 38 qui leur revenaient, en fonction du prestige de la province ou daffinit personnelle avec une rgion1 . Mais si dans le cas de lAchae on avait dj pu relever que ce dernier critre tait particulirement important, la province de Chypre semble avoir t subie plus que choisie : on ne trouve pas ou peu de liens entre les proconsuls et lle2 , et son absence de prestige ne saurait le compenser. Quant au droulement matriel de la sortitio, il nous reste en grande partie inconnu. Le tirage au sort se droulait la fin de lhiver ou au dbut du printemps, pour permettre dentrer en fonction au dbut de lt au plus tard. Le Snat intervenait par un snatus-consulte annuel invitant tirer au sort les anciens prteurs et consuls ayant le droit de sy prsenter ; peut-tre une loi comitiale ratifiait-t-elle linvestiture. Concrtement, on devait utiliser une urne pivotante avec des boules de mme format ; le tirage au sort des provinces prtoriennes devait intervenir avant celui de lAfrique et de lAsie, et il se peut que les boules des candidats privilgis taient tires en premier. Sensuivait la profectio, ou crmonie de dpart. Sous la Rpublique, la crmonie de dpart de Rome consistait prendre les auspices de dpart, se rendre au Capitole pour prononcer les vux traditionnels et prendre le paludamentum (lhabit de guerre), avant de franchir le pomerium avec des troupes et des licteurs. Avec le Principat, quelques changements forte valeur symbolique ont lieu, tel que le point de dpart qui est transfr au temple de Mars Ultor sur le forum Auguste, tandis que le droit de porter le paludamentum fut retir au proconsul, montrant ainsi sa perte de pouvoir militaire. Cest loccasion de cette crmonie qutaient remis au proconsul les mandata, des conseils gnraux sur le gouvernement dune province, accompagns de remarques morales et dinstructions particulires, qui adaptaient ainsi les consignes la province en question3 . Quant au voyage du proconsul vers sa province, il est progressivement rglement : Tibre a contraint en 15 les proconsuls partir avant le premier juin, pour 1 Un autre critre entre en jeu dans ces changes ; en effet, une sorte de hirarchie assez mal connue se met progressivement en place, selon laquelle les anciens prteurs maris et pres de plusieurs enfants sont prioritaires dans le choix des provinces, ceci tant proportionnel au nombre denfants. 2 Cf. II-3. 3 A lorigine, seul le snat avait le pouvoir de donner ces mandata, mais progressivement ce sont les empereurs qui monopolisent ce droit (volution acheve au milieu du 1er sicle). 39. Les gouverneurs de Chypre M2 Histoire 39 lutter contre la mauvaise habitude des gouverneurs de sattarder Rome ou en Italie. Le trajet est le mme dune anne sur lautre et lentre dans la province constitue lacte fondateur du gouvernement. Il y a tout un crmonial suivre, qui varie selon les provinces, et qui se rpte plus ou moins chaque nouvelle cit visite par la suite par le proconsul. II-1-B Lintervention impriale dans la nomination Le princeps pouvait jouer un rle direct dans la nomination du gouverneur de Chypre (nomination dun lgat imprial proprteur ou procdures extraordinaires telles que la nomination extra sortem ou la prorogation), mais aussi de manire plus officieuse, grce son auctoritas. Nous avons vu que pendant une courte priode, de 30 a. C. 22 a. C., Chypre est une province impriale et est donc gouverne de ce fait par un lgat imprial proprteur, nomm directement par Auguste. Un seul tmoignage pigraphique a t conserv de cette priode, Salamine, mme si le nom du lgat na pas eu la mme fortune1 : leg(ato) Au]g(usti) pro pr[aetoreSi la majorit des historiens saccorde situer cette inscription dans ce court laps de temps, on notera la proposition de datation diffrente de Pucci2 : en effet, il y voit un lgat imprial proprteur, qui aurait t envoy en mission Chypre suite la destructrice rvolte juive de 115/7. Par la suite, la politique de restitutio de la res publica mene par Auguste et ses successeurs, feignant de maintenir en place le rgime rpublicain, et le statut de province publique empchent le princeps dintervenir ouvertement dans le choix des proconsuls. Mais en tant que princeps senatus3 , il oriente les