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Le Catéchisme de mon père André Gillain

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Le Catéchisme de mon père

André Gillain

10.82 653646

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 128 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 10.82 ----------------------------------------------------------------------------

Le Catéchisme de mon père

André Gillain

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À Pierre-Yves sans qui ce livre ne serait pas

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Introduction

Dans ma vie, je n’ai jamais été un modèle de vertu. J’ai passé plus de temps à m’éclater dans d’énormes guindailles plutôt qu’à cultiver les petites fleurs des grandes vertus chrétiennes. Pourtant, je suis chrétien, je suis d’Église.

Quand j’évoque ma foi, les incroyants de mon entourage m’écoutent surpris de cette langue qu’ils croyaient définitivement morte. Ces lettres enrubannées rangées au fond du tiroir de l’oubli vaudraient-elles encore la peine d’être dénouées ?

Par contre, la plupart des bons catholiques, en m’écoutant, s’agitent du goupillon, m’aspergent d’eau bénite pour me refouler dans le plus noir des Enfers où se consument schismatiques et hérétiques de mon espèce. La foi ne se discute point. Ils ne m’autorisent aucun doute. Pourtant, j’ai douté de mes parents, de ma femme, de mes enfants, de tous ceux que j’ai aimés. Pourquoi ne douterais-je pas de Dieu ?

Je me méfie de ceux qui ne doutent jamais de rien,

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je me méfie de la foi du charbonnier. Je veux planter un coin dans la certitude des convictions. La foi n’est pas une certitude. La certitude n’engage à rien.

J’offre ces lignes à tous ceux qui croient avoir la foi, mais aussi à tous ceux qui croient ne pas l’avoir.

Je voudrais les offrir à mon père qui fut un chrétien sincère, donc inquiet. En son temps, il n’a pas eu droit au chapitre. En bon paroissien, il ne pouvait ouvrir la bouche que pour avaler sans grimace l’huile de foie de morue vaticane. Gavé comme une oie du Périgord à en perdre le goût de Dieu, il ne pouvait plus en parler. Ce que tu n’as pas su me dire alors, papa, j’essaierai de le dire à mon fils.

Ceci est le catéchisme de mon père.

* * *

Dans la parabole de l’enfant prodigue1, je serais bien le fils ingrat qui quitte le nid paternel pour aller ripailler, courir la gueuse, jeter l’argent par les fenêtres pour me retrouver finalement pauvre comme Job au fond d’une porcherie. Puis, quand les cochons m’auront piqué mes derniers glands, le ventre creux, le cœur gros, je reprendrai mon bâton de pèlerin pour rentrer à la maison. Mon père m’y attend, je le sais, je le sens, mais mon frère aussi m’attend, les bras écartés

1 Lc XV, 11-32

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pour me barrer la route. Il est le serviteur fidèle, l’ouvrier de la première heure. Il a toujours honoré le père, lui, le seul fils fiable. Le pouilleux que je suis peut bien passer son chemin. Ce vieux bigot tient le Père en otage dans sa propre maison. Il lui en a pris toutes les clés. Reste la porte oubliée au fond du jardin, celle que personne n’a pensé fermer. C’est peut-être là que le Père m’attend en secret.

* * *

Dans mon enfance, comme tous les enfants du Nord, j’ai cru que saint Nicolas descendait par la cheminée la nuit du 6 décembre pour m’apporter des beaux jouets. J’ai pleuré le jour où mes parents se sont décidés à me dire que saint Nicolas n’existait pas.

Dans mon adolescence, je me suis déshabillé de toute condition religieuse comme on se débarrasse d’un costume devenu trop étroit. J’ai décidé que Dieu n’existait pas et je n’en ai pas pleuré. Un Dieu de bonté qui crée un monde de terreur est encore plus incroyable qu’un saint Nicolas qui descend par la cheminée. Tissées de mailles invraisemblables, les belles légendes se défont d’elles-mêmes.

Confusion des sentiments. J’aurais peut-être dû ne pas pleurer la mort de saint Nicolas et garder mes larmes pour le Dieu que je voulais étouffer.

Ce livre est sa dernière chance !

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I Un Dieu brisé

« Mais que foutait donc Dieu avant la Création 2 ? »

Bloc compact, impénétrable, sans aucune faille. Pas de comptes à rendre. D’ailleurs, personne ne Lui en demandait. Il était seul dans son immense éternité. Il s’ennuyait.

Puis tout à coup, Big Bang, un choc terrible, un grand vide vient éclater cette plénitude. Le monde vient de naître.

À ce moment-là, Dieu dormait, je pense. Le bruit L’a réveillé trop tard. Le mal était fait. Le hasard venait de Lui voler la Création, s’y engouffrant avec son long cortège d’horreur et de terreur, bête affamée codée uniquement pour la survie à n’importe quel prix, au prix du plus faible. Première défaite du Tout-Puissant, mais aussi premier défi. On n’est pas Dieu

2 Denis Diderot, « Addition aux pensées philosophiques ».

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pour rien. Il commencera par dompter le hasard. Il en fera son meilleur outil. Quand Dieu se sert du hasard, le hasard change de nom et s’appelle Providence.

Il se coupera en trois pour nous. Il se fera Dieu trine. Il ira jusqu’à mourir sur une croix pour nous récupérer, pour se récupérer. Il se fera tout petit devant nous, jusqu’à nous demander humblement de Lui rendre son règne, de Lui laisser faire sa volonté sur Terre comme au ciel. Incroyable, Dieu nous demande pardon de nous avoir ratés.

Dieu n’agit pas gratuitement. Il ne fait pas de bénévolat. Il a besoin de nous pour se réaliser, pour retrouver son unité brisée. Dieu est manchot, Il a besoin de nos mains. À quelque chose malheur est bon. Il n’est plus seul. Il a fini de s’ennuyer.

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II De la Création

Au commencement, matière brute, eau, minéral, air et feu. Il pouvait encore être fier de Lui. C’était beau et cela l’est toujours. Pourquoi ne s’est-Il pas arrêté là ? Mais non. Il s’est pris au jeu. Quelques brins d’ADN et d’ARN copulant hélicoïdalement et la vie commence. C’est le début du rythme génial et infernal de l’évolution. À chaque palier, le même signal donné à la nouvelle espèce un instant triomphante : « Croissez et multipliez-vous. Couvrez la Terre. Prenez-en possession. » Le même code pour toutes les espèces et chacune y répond, chacune saisit sa chance avec passion. De l’algue au mammifère, toutes sont parties en guerre pour conquérir la Terre, toute la Terre, avec un mot d’ordre sans équivoque : « Tue pour manger, tue pour ne pas être mangé, fais des petits qui auront faim pour qu’ils continuent de tuer. » Ça fait des morts, beaucoup de morts : fossiles gravés au fond d’une

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grotte, mammouths congelés dans les grandes glaces. Qui nous dira la grande tristesse des dinosaures à jamais disparus ? Puis il y a les survivants, arrêtés dans leur expansion, parqués dans leur réserve : la gentille mésange perchée la tête en bas sur la branche de ton jardin ou le petit veau de la pâture d’à côté dont le museau n’a pas encore flairé le fond de ta casserole. Ils ne servent plus que de décor ou de garde-manger aux nouveaux vainqueurs.

Toute la Création a été bâtie à coups d’échecs, de culs-de-sac, pour en arriver à l’homme, erreur génétique d’un ancêtre qui n’a pas pu nous faire singes comme nos cousins. Il y a des milliers d’années, qui aurait parié sur l’homme, ce singe raté qui ne pouvait plus rien faire de ses deux pattes avant, forcé à la verticalisation par ses pattes de derrière ?

* * *

Avec Adam, la conscience s’éveille. D’un premier regard, il voit que les vautours ne l’ont pas attendu pour dévorer la charogne que leur avait laissée le lion repu. Il voit ce champ de carnage qu’on disait jardin de l’innocence. Il n’a pas eu à croquer la pomme, elle était déjà pourrie. Il aurait pu se taire, il aurait dû se taire, et nous serions encore des handicapés mentaux se tenant par la main pour faire des rondes autour de l’Arbre qui n’aurait jamais donné de fruits.

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Mais il a parlé. Témoin gênant d’une création à la dérive. Politiquement incorrect. On ne découvre pas impunément la couronne du divin. La sentence n’a pas tardé. Travaux forcés à perpétuité pour le constat d’une faute qui avait été commise bien avant lui, le péché originel.

Dieu l’a chassé comme un malpropre sur une terre de mort et de misère sous prétexte de maraude. Diderot a raison : « Le Dieu des chrétiens est un Père qui fait grand cas de ses pommes et fort peu de ses enfants. »

Si tu manges le fruit de cet arbre, tu seras comme Dieu. Adam a relevé le défi. Il n’avait pas le choix. À la sueur de son front, il est parti féconder cette terre sauvage où Dieu n’avait pas encore osé s’aventurer. Adam a forcé Dieu à prendre l’homme au sérieux. J’aime la naïveté de ces icônes où Jésus, entre mort et résurrection, descend aux Enfers pour régler un vieux compte avec Adam en lui retendant la main.