jugement lebeau 10 mars 2008

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Institut Philippe Pinel de Montréal et Lebeau 2008 QCCLP 1446 COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES Montréal 10 mars 2008 Région : Montréal Dossier : 316751-71-0705 Dossier CSST : 4077856 Commissaire : Anne Vaillancourt, avocate Membres : Lise Tourangeau-Anderson, associations d’employeurs Louise Larivée, associations syndicales ______________________________________________________________________ Institut Philippe Pinel de Montréal Partie requérante et Sylvain Lebeau et S.C.F.P. (Local 2960) Parties intéressées et Commission de la santé et de la sécurité du travail Partie intervenante ______________________________________________________________________ DÉCISION ______________________________________________________________________ [1] Le 7 mai 2007, l’Institut Philippe Pinel de Montréal (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une

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Institut Philippe Pinel de Montréal et Lebeau 2008 QCCLP 1446

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES Montréal 10 mars 2008 Région : Montréal Dossier : 316751-71-0705 Dossier CSST : 4077856 Commissaire : Anne Vaillancourt, avocate Membres : Lise Tourangeau-Anderson, associations d’employeurs Louise Larivée, associations syndicales ______________________________________________________________________ Institut Philippe Pinel de Montréal

Partie requérante et Sylvain Lebeau et S.C.F.P. (Local 2960)

Parties intéressées et Commission de la santé et de la sécurité du travail

Partie intervenante ______________________________________________________________________

DÉCISION ______________________________________________________________________ [1] Le 7 mai 2007, l’Institut Philippe Pinel de Montréal (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une

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316751-71-0705 2 décision rendue le 25 avril 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2] Par cette décision en révision, la CSST modifie la décision de l’inspecteur consignée dans son rapport d’intervention portant le numéro 0275658 daté du 18 octobre 2006 (les motifs de cette intervention se retrouve au rapport numéro 0294622 daté du 24 novembre 2006) et déclare que, bien qu’il n’existe pas de danger justifiant monsieur Sylvain Lebeau (le travailleur) de refuser d’exercer son travail de sociothérapeute, une dérogation doit néanmoins être émise en vertu de l’article 51.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail1 (LSST), mais que la situation était corrigée le 18 octobre 2006 à 11 h 05.

[3] À l’audience tenue devant la Commission des lésions professionnelles le 5 novembre 2007, l’employeur était représenté de même que monsieur Sylvain Lebeau (le travailleur) et le Syndicat Canadien de la Fonction Publique (local 2960). Les parties ont plaidé par écrit. Le 7 décembre 2007, les deux parties syndicales et patronales ont fait parvenir leur argumentation respective au tribunal. Le 12 décembre 2007, la partie syndicale a fait parvenir une réplique et l’employeur a fait de même le 14 décembre 2007. La cause a donc été mise en délibéré le 14 décembre 2007.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’annuler la portion de la décision portant sur le non-respect par l’employeur des obligations contenues à l’article 51 de la LSST le 18 octobre 2006, entre 9 h 30 et 11 h 05.

LES FAITS

[5] À l’audience, le tribunal a entendu les témoignages de madame Francine Pilote, directrice adjointe clinique et administrative aux soins infirmiers et aux programmes, madame Mélanie Aloise, infirmière, de madame Karine Cabana, infirmière, de monsieur Mario Robitaille et du travailleur, tous deux sociothérapeutes.

[6] Les parties ont aussi procédé à des admissions de faits à partir du rapport d’intervention du 24 novembre 2006.

[7] De la preuve documentaire et testimoniale, la Commission des lésions professionnelles retient les faits pertinents qui suivent.

1 L.R.Q., c. S-2.1

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316751-71-0705 3 [8] Le 18 octobre 2006, à 8 h 00, le travailleur se présente à l’unité de vie E-2 à l’Institut Philippe Pinel de Montréal. L’équipe est alors composée de deux infirmiers, madame Mélanie Aloise et monsieur Richard Leclair, et de deux sociothérapeutes, le travailleur et monsieur François Laroche. Madame Francine Boucher est assignée au poste de commis à la console. La coordonnatrice, madame Nicole Cournoyer, et un assistant coordonnateur, monsieur Michel Caron, sont présents dans leur bureau qui sont situés à l’unité E-2, mais à l’extérieur de la console. La situation est jugée normale à ce moment par le travailleur.

[9] L’unité de vie E-2 est composée de 21 bénéficiaires.

[10] Vers 9 h 30 monsieur Laroche quitte l’unité E-2 pour accompagner trois bénéficiaires à une activité d’horticulture.

[11] Le travailleur refuse alors d’exercer son travail sans la présence d’un deuxième sociothérapeute, car il craint pour sa santé et son intégrité physique.

[12] Vers 11 h 05, monsieur Laroche revient à l’unité E-2, de sorte que la situation redevient « normale » à ce moment.

[13] Le 18 octobre 2006, les inspecteurs Denis Leblanc et Anne Gillespie, après avoir entendu les arguments des deux parties, déterminent qu’il n’existe pas de danger justifiant le travailleur de refuser d’exercer son travail. Cependant, les inspecteurs ajoutent une ordonnance en vertu de l’article 51 de la LSST, libellée comme suit:

Les méthodes de travail doivent demeurer inchangées et, spécifiquement, le nombre de sociothérapeutes doit être maintenu jusqu’à l’adoption de mesures pour assurer un niveau de sécurité équivalente.

[14] Le travailleur ne conteste pas la décision de l’inspecteur concernant son droit de refus. Mais, le 24 octobre 2006, l’employeur conteste l’ordonnance émise par l’inspecteur.

[15] Les motifs de la décision des inspecteurs sont consignés dans un second rapport d’intervention daté du 24 novembre 2006.

[16] Le 25 avril 2007, après avoir pris connaissance des arguments des deux parties, la révision administrative maintient la décision rendue par les inspecteurs, mais la formule comme suit :

DÉCLARE qu’une dérogation devait être émise en vertu de l’article 51.5 de la LSST dont le texte doit se lire comme suit : L’employeur ne s’assure pas que l’organisation du travail et les méthodes et techniques utilisées pour l’accomplir étaient sécuritaires et ne

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portaient pas atteinte à la santé des travailleurs. Toutefois, la Révision administrative DÉCLARE cette dérogation corrigée le 18 octobre 2006 à 11 h 05.

[17] L’employeur conteste cette décision à la Commission des lésions professionnelles, d’où le présent litige.

[18] À l’audience, l’employeur a présenté une preuve visant à démontrer qu’à tout moment les conditions de travail ne contreviennent pas à la LSST et, plus particulièrement, au cinquième alinéa de l’article 51 de la LSST. Selon l’employeur, les méthodes et techniques de travail qu’il utilise permettent d’identifier, de contrôler et d’éliminer les risques pouvant affecter la santé et la sécurité des travailleurs.

[19] Selon la représentante du travailleur, les méthodes et techniques de travail mises en place par l’employeur ne permettent pas de contrôler et d’éliminer les risques pouvant affecter la santé et la sécurité des travailleurs.

Mission de l’Institut Pinel

[20] L’Institut Philippe Pinel de Montréal est un hôpital psychiatrique universitaire spécialisé en psychiatrie légale. Sa mission est d’évaluer et de traiter une clientèle atteinte d’une maladie psychiatrique dont une partie significative relève aussi de la justice criminelle. Ainsi, certains patients y purgent une peine ou font l’objet d’une demande d’examen ponctuel de leur état.

[21] La dangerosité et l’imprévisibilité caractérisent la clientèle. En découle la nécessité pour l’Institut d’adopter des mesures de prévention et de protection, tant pour la clientèle que pour le personnel.

[22] La particularité de l’Institut, eu égard à sa mission, a fait l’objet de l’analyse suivante dans l’affaire Institut Louis-Philippe Pinel de Montréal et Syndicat de l’Institut L.-Philippe Pinel2 qui est encore actuelle dans les grandes lignes :

Une clientèle importante de l’Institut Pinel est donc criminalisée. Il n’est pas étonnant, dans les circonstances, de retrouver dans cet Institut des mesures de prévention et de protection similaire à celles que l’on retrouve dans des pénitenciers, tels des chambres verrouillables à la façon de cellules de détention, une salle d’isolement, une unité centrale de contrôle, un personnel de surveillance et des équipes d’intervention d’urgence. Mais l’Institut se distingue, par ailleurs, des centres de détention par la mission qu’elle a de traiter les personnes malades qui lui sont référées en plus de sa mission d’évaluation psychiatrique des individus qui lui sont référés par les tribunaux de droit criminel.

2 C.A.L.P. 22553-60-9010, 9 mars 1993, R. Brassard

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[sic]

[23] La preuve faite concernant l’aménagement des lieux, et plus particulièrement de l’unité E-2, permet de faire des constats équivalents. Tel que l’a qualifié madame Pilote, l’Institut Pinel est un « hôpital sécuritaire ».

Description de l’unité de vie E-2

[24] L’unité E-2 a une capacité maximale de 21 personnes et accueille des patients qui présentent une problématique psychiatrique à long terme dont une partie significative purge une peine. La durée de séjour varie entre six mois et deux ans.

[25] L’unité E-2 comporte trois parties : les chambres avec portes verrouillées donnant sur un corridor, une salle de séjour où les patients peuvent recevoir leur médication, leur repas ou passer des moments de loisirs, et une salle d’isolement.

[26] L’entrée de l’unité abrite une console vitrée qui offre une vue sur le corridor des chambres et une vue partielle sur la salle de séjour. Toutes les portes sont verrouillées avec des électroaimants.

[27] Le bureau du coordonnateur et celui de l’assistant coordonnateur sont situés à l’intérieur de l’unité E-2, mais à l’extérieur de la console et du côté opposé au corridor des chambres.

[28] Le coordonnateur gère deux unités : E1 et E2.

[29] La console est équipée d’équipement d’enregistrement sonore qui permet au commis d’entendre simultanément ou séparément, à son choix, les bruits émanant du corridor des chambres ou de la salle de séjour. Le verrouillage des chambres peut se faire à partir du poste central.

[30] Les patients jouissent de droit de circulation variable selon l’évaluation de leur état clinique. Par exemple, certains patients à l’unité E-2 jouissent d’une circulation dirigée, ce qui signifie qu’ils peuvent se déplacer sans nécessairement être accompagnés, alors que d’autres patients doivent respecter des consignes de circulation restreinte et être toujours accompagnés pour leur déplacement.

Centre de prévention et d’urgence

[31] Le commis à la console peut communiquer directement avec le Centre de prévention et d’urgence (CPU) pour toute demande d’assistance ou d’urgence.

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316751-71-0705 6 [32] Tel que rapporté dans le rapport des inspecteurs, le CPU est disponible pour intervenir en cas d’urgence. Selon les deux parties, le temps d’intervention est de moins de une minute, soit environ 30 secondes dans la majorité des cas.

[33] Selon les statistiques contenues au rapport d’intervention, entre le 1er avril et le 16 septembre 2006, 13 500 appels d’assistance ont été logés dont 482 sont des appels demandant une intervention rapide et 88 une intervention urgente, le reste étant des demandes d’assistance.

[34] Pour l’unité E-2 spécifiquement, à la même période, il y a eu 450 appels dont neuf ont demandé une intervention physique, un appel urgent et un arrêt d’agir. Le nombre de 450 est réparti sur une période de 169 jours, ce qui peut signifier, à titre indicatif, d’une moyenne d’au moins deux appels d’assistance par jour3.

[35] Selon le témoignage de madame Mélanie Aloise, la consigne est de ne pas attendre qu’un état de désorganisation s’installe pour faire appel au CPU. Dès les premières manifestations d’une escalade présumée, un membre du CPU peut être appelé à intervenir. La demande d’intervention est faite tôt et le délai d’intervention est de 20 à 30 secondes selon madame Aloise.

Méthodes et pratiques de travail

[36] Tel que l’a mentionné madame Pilote, l’objectif des traitements administrés est de faire cheminer les personnes vers une éventuelle réinsertion sociale.

[37] Chaque patient a un plan de traitement et d’intervention individualisé. Les membres de l’équipe de travail doivent connaître les informations contenues au plan pour accompagner le patient durant son séjour et l’aider à cheminer vers l’atteinte de son objectif. Le travail d’équipe est de mise.

[38] Au cours des dernières années, certains changements dans la philosophie et les approches sont survenus, ce qui a eu des répercussions sur l’organisation du travail.

[39] Depuis 2002, un nouveau cadre de référence régit les mesures de retrait, d’isolement et de contention des patients4. Sans reprendre intégralement ces lignes de conduite, il y a lieu d’insister sur le fait que, dorénavant, des modalités d’ordre administratives ne peuvent plus justifier des mesures d’isolement ou de retrait, sauf

3 Il faut comprendre que la moyenne est indicative et ne reflète pas nécessairement la réalité,

puisqu’il peut y avoir des journées sans appels et d’autres très occupées. 4 Voir l’article 8 du Règlement concernant les patients de l’Institut Philippe Pinel de Montréal

portant sur les mesures rééducatives de retrait, d’isolement et de contention.

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316751-71-0705 7 durant la nuit. De telles mesures doivent maintenant être justifiées en regard de l’évaluation de l’état clinique du patient seulement.

[40] Avant l’instauration de ces nouvelles règles, il arrivait fréquemment que, lorsque des patients quittaient l’unité de vie avec un accompagnateur5 pour une activité à l’extérieur, les autres patients devaient réintégrer leur chambre verrouillée durant la durée de l’activité, et ce, jusqu’au retour de l’accompagnateur.

[41] Dorénavant, les patients qui restent à l’unité pendant que d’autres sont partis à une activité poursuivent leurs activités normales. Cependant, au moins deux personnes doivent être en présence sur l’unité avec les patients.

[42] Selon le témoignage de madame Pilote, l’employeur a revu la coordination de l’ensemble des activités de manière à pouvoir diminuer le nombre d’accompagnateurs et dégager du personnel disponible.

[43] Cependant, selon l’employeur, les règles issues des pratiques concernant la composition des équipes de travail sont demeurées les mêmes.

[44] En dehors du personnel d’encadrement de l’unité de vie, composé du coordonnateur et de l’assistant coordonnateur6, l’équipe de travail est toujours formée d’un minimum de quatre personnes issues de deux corps d’emploi : sociothérapeute ou infirmier(e).

[45] Les équipes de quatre personnes peuvent être constituées de deux manières différentes : soit une équipe de deux infirmier(e)s et de deux sociothérapeutes ou une équipe de trois sociothérapeutes et d’un infirmier(e). On ne pourrait jamais voir, selon madame Pilote, une équipe de trois infirmier(e)s et d’un seul sociothérapeute.

[46] De même, sur l’équipe de quatre personnes, il doit y avoir au moins deux employés « réguliers ». Un employé régulier est défini comme celui qui a travaillé au moins dix jours dans l’unité où il est affecté au cours des six derniers mois.

[47] Pour les quarts de travail de jour, un commis est toujours assigné à la console, en plus des quatre personnes de l’équipe.

5 La personne qui accompagne est un membre du personnel affecté à l’unité de vie et

généralement issu de deux corps d’emploi : sociothérapeute ou infirmier(e). 6 Le coordonnateur et l’assistant coordonnateur sont généralement issus des corps d’emplois

suivants : criminologue, sociothérapeute ou infirmier(e).

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316751-71-0705 8 [48] La composition des équipes relève du personnel d’encadrement de l’unité de vie qui peut aussi en discuter7 avec les membres de l’équipe au début du quart de travail.

[49] La composition des équipes est réalisée en tenant compte des contraintes administratives selon la main d’œuvre disponible pour les quarts de travail de jour et de soir.

[50] Mais l’état clinique des patients peut aussi justifier et influencer la composition des équipes. Par exemple, si plusieurs patients ont ponctuellement des problématiques plus médicales, la présence d’une seconde infirmière pourrait être plus appropriée dans les circonstances. De même, si l’état des patients le justifient, du personnel additionnel pourrait être demandé pour composer une équipe de plus de quatre personnes.

[51] L’évaluation clinique des patients prévaut dans l’organisation du travail. Cette évaluation doit se faire quotidiennement et doit servir à guider les décisions pour assurer le bon déroulement des activités quotidiennes.

[52] En début de quart de travail, l’équipe se réunit et discute de l’agenda et du déroulement de la journée en plus de tenir compte des particularités identifiées.

[53] Un rapport est toujours complété par les membres du personnel du quart de travail précédent de sorte que le personnel d’encadrement débute la journée en prenant connaissance du rapport le matin, et ce, pour évaluer de manière quotidienne l’état clinique des patients à l’unité de vie.

[54] Les activités sont planifiées bien à l’avance dans le calendrier. Cependant, l’état clinique des patients justifie toujours la décision de les faire participer à une activité ou non, ce qui est évalué quotidiennement de manière plus informelle que formelle. L’activité peut être annulée dans le cas où les patients ne sont pas en état d’y participer. Ou, encore, du personnel additionnel peut aussi être requis lorsque l’état clinique des patients qui restent à l’unité le justifie.

[55] De même, le choix de l’accompagnateur est déterminé le jour même, malgré qu’en général un membre du personnel en particulier soit associé à une activité. Le titre de l’emploi8 n’est pas un critère pour savoir qui est accompagnateur et qui demeure en place durant l’activité.

7 C’est généralement le cas, selon madame Pilote. 8 Un sociothérapeute ou un(e) infirmier(e).

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316751-71-0705 9 [56] Selon le témoignage de madame Aloise, une activité pourrait même être annulée dans l’éventualité où un membre de l’équipe serait inconfortable de demeurer en poste avec les effectifs présents durant l’absence de l’accompagnateur. Ces questions doivent être abordées et discutées par les membres de l’équipe s’il y a lieu.

[57] D’après la preuve entendue, il n’y a pas de système de remplacement systématique durant les absences de courte durée. Ces situations sont gérées au cas par cas selon l’état de la situation à ce moment et selon les besoins ponctuels.

[58] Les témoins entendus ont fait mention d’une pratique de remplacement ponctuelle qu’ils appellent la « couverture ». Selon cette pratique, la personne la plus disponible à faire la tâche peut être demandée pour « couvrir » durant la période d’absence. L’objectif recherché par la « couverture » est de rétablir l’équilibre de l’équipe de travail mis en place, et ce, en allant jusqu’à tenir compte des corps d’emploi, ou, encore, d’assurer sur le plancher la présence minimum obligatoire d’au moins deux employés réguliers.

[59] Madame Aloise a été questionnée sur cette pratique. Bien qu’elle reconnaisse qu’il puisse arriver que la personne qui « couvre » ne soit pas du même corps d’emploi que la personne qui s’est absentée, elle reconnaît que, normalement, la pratique est de couvrir dans le même type d’emploi autant que possible.

[60] Madame Aloise a tenu à deux reprises les propos suivants dans son témoignage:

En général, on essaie de respecter cela : deux sociothéapeutes en présence.

[61] Dans le contexte de cette affirmation, madame Aloise faisait référence au travail sur le plancher de l’unité avec les patients.

[62] Elle admet avoir déjà vu, mais de manière peu fréquente, un ratio de deux infirmières et d’un sociothérapeute. Elle précise que cela se produit lorsque tous les membres de l’équipe de travail se sentent à l’aise avec la situation. Et, dans l’éventualité où un infirmier(e) est appelé à « couvrir » durant l’absence d’un sociothérapeute, c’est pour exercer à ce moment les tâches d’un sociothérapeute, soit de demeurer sur le plancher de l’unité avec les patients. Cependant, l’inverse ne peut se produire, car un sociothérapeute ne peut pas accomplir des tâches spécifiques à un infirmier(e).

[63] Un exemple qui a été souvent donné est la possibilité pour monsieur Caron, assistant coordonnateur et sociothérapeute de formation, de « couvrir » pendant l’absence d’un sociothérapeute à une activité à l’extérieur de l’unité. Cela signifie que,

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316751-71-0705 10 durant le temps de la « couverture », monsieur Caron restera en tout temps sur le plancher et évitera d’aller dans son bureau ou d’être en déplacement comme ses tâches d’assistant coordonnateur l’exigent. Étant donné que les tâches de monsieur Caron sont celles d’un assistant coordonnateur et non d’un sociothérapeute, il a été clairement dit qu’il ne pourrait « couvrir » pour une longue période.

[64] Monsieur Mario Robitaille, sociothérapeute depuis 1979 à l’Institut, affirme n’avoir jamais travaillé seul avec un infirmier(e), car il ne trouve pas la situation sécuritaire. Les sociothérapeutes doivent intervenir quotidiennement et ils acquièrent de ce fait une expérience concrète qu’ils mettent en pratique tous les jours. Le témoignage du travailleur va dans le même sens.

[65] Madame Karine Cabana, infirmière depuis 2002 à l’équipe volante, affirme n’avoir jamais travaillé seule avec un sociothérapeute depuis qu’elle est à l’Institut. Même durant les périodes de pauses, celle-ci sont organisées pour qu’un ratio de deux sociothérapeutes soit toujours maintenu.

[66] Et, quant au témoignage du travailleur, il affirme que c’était la première fois qu’il travaillait seul avec un infirmier(e) le 18 octobre 2006. Toutefois, il a admis que, durant les fins de semaine, entre 8 h 00 et midi, à l’unité E-2, il n’y a pas de commis et l’équipe est composée de deux sociothérapeutes et d’un infirmier(e). Il arrive fréquemment qu’un des sociothérapeutes soit assigné à la console et que l’infirmier(e) travaille sur le plancher avec un sociothérapeute. Le travailleur ajoute que le climat de travail n’est pas le même durant la fin de semaine, car il n’y a pas d’heure précise pour le lever ni d’activités. De même, il précise que l’infirmière passe du temps à la console et que, même si elle donne les médicaments en présence d’un sociothérapeute dans la salle, il y a toujours un second sociothérapeute dans la console.

[67] L’employeur s’est doté d’un outil appelé « OAS » (échelle d’observation de l’agressivité manifeste) pour évaluer quotidiennement l’état d’agressivité et de dangerosité des patients à l’unité de vie. Une grille d’évaluation du patient est donc complétée pour y répertorier systématiquement les manifestations d’agressivité, leur durée, leur moment, le facteur déclencheur et la nature de l’intervention faite.

[68] Tout le personnel de l’unité de vie participe à l’évaluation des manifestations d’agressivité du patient et les observations sont rapportées dans les réunions d’équipe afin d’assurer un suivi approprié et de prévoir les incidents ou les crises. Chaque patient peut donc, selon les résultats obtenus, avoir un profil qui lui est propre et qui est connu des membres de l’équipe.

[69] L’évaluation clinique des patients est toujours faite par les personnes en présence, qu’importe leur corps d’emploi. Ce mandat appartient aux membres de l’équipe, sociothérapeute ou infirmier(e).

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316751-71-0705 11 Modifications du 11 septembre 2006

[70] La date du 11 septembre 2006 correspond à la date d’entrée en vigueur de l’article 1.02 de l’annexe K de la convention collective qui prévoit que tous les intervenants des équipes de travail, y compris les infirmier(e)s, doivent intervenir, même physiquement, à chaque fois que la situation l’impose.

[71] Le syndicat a déposé un grief9, par lequel il demande à l’arbitre de déclarer que la clause 1.02 de l’annexe K de la convention collective contrevient à la LSST, est inapplicable aux personnes salariées détenant le titre d’emploi d’infirmier(e)s et contrevient à l’article 62 du Code du travail10.

[72] L’employeur allègue que cette modification n’a eu aucune incidence sur les effectifs sociothérapeutes / infirmier(e)s et que les équipes de travail et les rôles spécifiques de chacun sont demeurés les mêmes.

[73] Cependant, selon madame Pilote, il peut arriver, depuis le 11 septembre 2006, qu’un infirmier(e) et un sociothérapeute demeurent en poste pour travailler ensemble à l’unité de vie pendant qu’un accompagnateur quitte l’unité de vie avec des patients. Dans un tel cas, la règle dite de la « couverture » fait en sorte que l’assistant coordonnateur peut assurer sa disponibilité durant l’absence d’un accompagnateur, ce qui assure la présence d’une personne additionnelle, en l’occurrence d’un sociothérapeute, dans l’unité de vie.

Description des postes de sociothérapeute et d’infi rmier(e)

[74] Les descriptions de tâches ont été produites à l’audience.

[75] Selon les données fournies par madame Pilote, il y a presque autant de femmes que d’hommes dans le corps d’emploi des sociothérapeutes alors que chez les infirmier(e)s, la proportion de femmes est supérieure des deux tiers.

[76] Le sommaire de l’emploi du sociothérapeute se lit comme suit :

Personne qui, sous la responsabilité du personnel professionnel de l’Institut, répond aux besoins physiques et psychologiques et de rééducation des résidents, en élaborant et en animant les activités des résidents aussi bien dans l’unité qu’en dehors de l’unité de vie. Elle observe le comportement des résidents à tous les moments stratégiques de la vie quotidienne de ceux-ci et rapporte ses observations au dossier clinique et/ou au personnel professionnel de l’Institut. Elle est responsable de la sécurité des résidents et

9 Aucune décision n’est encore rendue par l’arbitre de grief. 10 L.R.Q., c. C-27

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de leur entourage et, à cette fin, doit intervenir même physiquement à chaque fois que la situation l’impose.

[77] Dans les tâches plus spécifiques, le sociothérapeute doit notamment : assister avec les autres membres du personnel le résident dans ses moments de vie; organiser et animer des activités; participer à des réunions d’équipe; contribuer à l’étude de cas; assumer une part de responsabilité dans les décisions du plan de traitement, de soins, d’intervention; rapporter le matériel clinique aux membres de l’équipe; collaborer à l’instauration des politiques de vie; faire vivre aux résidents le programme d’activités prévu en accompagnant le groupe et les individus dans leur démarche.

[78] Selon le témoignage de monsieur Mario Robitaille, le rôle du sociothérapeute est essentiellement d’accompagner le résident dans tous ses moments de la vie quotidienne. De ce fait, son travail se fait sur le terrain.

[79] Le nombre d’interventions est élevé. Dans le cadre du travail sur le terrain, le sociothérapeute est appelé à désamorcer quotidiennement des états de tension qui pourraient dégénérer, et ce, sans avoir à faire appel au CPU. Par exemple, le sociothérapeute peut demander au résident de se retirer et l’escorter à sa chambre. Monsieur Robitaille évalue le nombre d’interventions (selon la méthode de gradation OMÉGA) entre 5 et 10 à l’heure.

[80] Selon le témoignage du travailleur qui est assigné exclusivement à l’unité E-2, le nombre est difficile à évaluer, mais aucune journée ne se passe sans qu’il n’y ait eu d’opportunités de mettre en pratique les techniques de la formation OMÉGA. Ces techniques sont donc utilisées quotidiennement selon le travailleur.

[81] Cependant, monsieur Robitaille, qui est affecté à l’unité H-4 (admission et expertise), admet que la clientèle n’est pas stabilisée si on la compare à l’unité E-2. Il demeure toutefois d’avis que le type de clientèle, même à l’unité E-2, demeure toujours imprévisible.

[82] Pour faire des interventions appropriées, selon monsieur Robitaille, un degré de complicité doit exister avec le partenaire de travail. Ce degré de complicité est fondé sur l’expérience et le savoir faire (approche juste et compétence). Le sociothérapeute est confronté quotidiennement à mettre en pratique ces techniques, plus que l’infirmier(e). D’après son expérience, monsieur Robitaille affirme que le rôle de l’infirmier(e) lorsqu’un patient est tendu est de se tenir à l’écart et voir s’il y a lieu de préparer une médication ou d’appeler le CPU si la situation dégénère. Le degré de complicité n’est pas le même entre un infirmier(e) et un sociothérapeute qu’entre deux sociothérapeutes qui ont l’habitude de travailler ensemble et de pratiquer les mêmes interventions auprès des patients.

Page 13: Jugement Lebeau 10 Mars 2008

316751-71-0705 13 [83] Le travailleur est du même avis que monsieur Robitaille concernant le fait que la complicité entre deux sociothérapeutes est plus grande qu’entre un sociothérapeute et un infirmier(e).

[84] Madame Karine Cabana, infirmière depuis cinq ans à l’équipe volante et représentante syndicale depuis le mois d’octobre 2006, confirme le témoignage de monsieur Robitaille. Elle affirme qu’une infirmière applique peu les pratiques enseignées à la formation OMÉGA. Par la nature de ces tâches, l’infirmière, en cas de désorganisation d’un patient, se retire dans la console ou encore vérifie la médication du patient en difficulté pour voir si un ajustement est nécessaire. Selon l’évolution de la situation, lorsque des mesures de contention sont requises, le rôle de l’infirmière est de suivre le protocole et prendre les signes vitaux du patient alors que d’autres personnes ont pour rôle de le maîtriser.

[85] Pour ce qui est de l’emploi d’infirmier(e), le sommaire des responsabilités se lit comme suit :

Sous l’autorité de la coordonnatrice ou du coordonnateur (de nuit), la personne titulaire du poste assume la responsabilité d’un ensemble de soins infirmiers et collabore à l’administration des procédures thérapeutiques, préventives, diagnostiques et de recherche. Cette personne est responsable de la sécurité des bénéficiaires et de leur entourage. Elle doit intervenir au besoin afin que le bénéficiaire soit contrôlé le plus rapidement possible. Lorsqu’elle accompagne un bénéficiaire à l’occasion de sorties, elle doit prendre les mesures nécessaires afin que le bénéficiaire revienne à l’Institut selon les procédures prévues à cet effet.

[86] La description des tâches spécifiques sont regroupées dans les grandes catégories suivantes : identifier les besoins de santé; contribuer aux méthodes de diagnostic; planifier, prodiguer et contrôler les soins infirmiers; et renseigner les bénéficiaires sur les problèmes d’ordre sanitaire.

[87] L’infirmier(e) doit en outre participer aux réunions où sa présence est requise, rédiger des rapports et maintenir un bon réseau de communication avec l’équipe de travail.

[88] Selon madame Aloise, un infirmier(e) peut animer une activité ou accompagner un groupe à une activité.

[89] L’article 1.02 de l’annexe K de la convention collective se lit comme suit :

Considérant la nature de la clientèle ainsi que le degré de sécurité associé à l’Institut Philippe-Pinel, chaque personne salariée est concernée par la sécurité des usagers, des

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visiteurs et du personnel. À cet effet, la personne salariée visée par un titre d’emploi prévu à la présente annexe, à l’exception du titre d’emploi 5303 d’agent administratif classe 3 (groupe 513) (1), doit intervenir, même physiquement (2), à chaque fois que la situation ne l’impose (3). (1) Ce titre d’emploi entre en vigueur le 21 novembre 2006 tel que stipulé dans la nomenclature des titres d’emploi, des libellés, des taux des échelles de salaire du réseau de la santé et des services sociaux et remplace le titre d’emploi de commis d’unité (groupe 328). (2) Pour les titres d’emploi d’infirmières, cette disposition s’applique après discussion entre les parties mais au plus tard le 11 septembre 2006. (3) Cette exception s’applique également au titre d’emploi de commis d’unité (5102).

[90] L’employeur n’est pas d’accord avec l’interprétation de l’inspecteur voulant que le sociothérapeute soit un intervenant de première ligne et qu’il possède une bonne connaissance du terrain. Selon l’employeur, cette connaissance n’appartient pas uniquement au sociothérapeute, mais aussi à l’infirmier(e). L’infirmier(e), même s’il n’est pas toujours assis dans la salle avec les patients, donne la médication et consigne des observations sur l’état des patients. Il peut donner son avis sur l’état du patient pour évaluer s’il peut ou non se rendre à une activité ou si des mesures d’isolement ou de contention doivent être administrées. Pour cela, l’infirmier(e) doit avoir une bonne connaissance du patient.

[91] Le rôle d’accompagnement du patient appartient à toute l’équipe comprenant tant les infirmier(e)s que les sociothérapeutes, mais en tenant compte aussi des spécificités de leurs tâches.

Formation OMÉGA

[92] Dans son argumentation écrite, l’employeur décrit comme suit l’approche de cette formation :

Ce programme [de formation] a été développé en partenariat avec certains hôpitaux psychiatriques, tels que l’hôpital Douglas, l’hôpital Louis-H. Lafontaine et l’hôpital Rivière-des-Prairies. Le programme repose sur une gradation des moyens utilisés pour obtenir la collaboration et la pacification du patient et désamorcer toute situation pouvant compromettre la sécurité du patient, des intervenants et de l’entourage. Le programme illustre les cycles menant à des situations d’agressivité. Il est primordial de détecter les situations où les patients sont à risque de comportements agressifs.

Page 15: Jugement Lebeau 10 Mars 2008

316751-71-0705 15 [93] Telle qu’expliquée par madame Pilote, la formation est axée sur les moyens pour désamorcer les manifestations d’agressivité afin de pacifier la clientèle. Cependant, la formation prévoit un second volet qui permet de gérer et mettre en pratique des techniques de dégagement pour se sortir de situations fâcheuses lorsque les techniques utilisées n’ont pas réussi à éviter la nécessité d’une intervention physique auprès du patient.

[94] Tous les employés reçoivent à l’embauche une première journée de formation OMÉGA. Par la suite, une formation d’une durée de quatre jours est donnée aux membres du personnel en contact avec la clientèle. Les infirmier(e)s et les sociothérapeutes reçoivent la même formation.

[95] Par la suite, deux jours additionnels de mise à jour de la formation OMÉGA sont dispensés pour combler les besoins spécifiques identifiés par une équipe de travail.

[96] Les membres du personnel de l’unité E-2 ont tous reçu à ce jour la formation de quatre jours et le rafraîchissement de deux jours.

[97] Selon madame Aloise, la formation de deux jours a été donnée aux membres de l’équipe E-2 au printemps 2007.

État de la situation le 18 octobre 2006 à l’unité E -2

[98] Rappelons que l’équipe de travail le 18 octobre 2006 est supervisée par monsieur Caron, assistant coordonnateur, présent sur l’unité E-2 au début du quart de travail. L’équipe est composée de quatre personnes, soit deux sociothérapeutes (le travailleur et monsieur Laroche) et deux infirmiers, madame Aloise et monsieur Richard Leclair. Madame Francine Boucher est commis à la console. L’équipe est composée de trois employés réguliers, ce qui respecte la règle d’un minimum de deux employés réguliers.

[99] L’expérience de monsieur Richard Leclair, infirmier en poste le 18 octobre 2006, a été décrite par madame Pilote. Monsieur Leclair est formé en éducation spécialisée et a exercé pendant 10 ans de manière concomitante les tâches d’infirmier(e) et de sociothérapeute dans un autre établissement. Il a choisi d’exercer les tâches d’infirmier depuis qu’il est en poste à l’Institut à l’équipe volante.

[100] La preuve est contradictoire quant à savoir à quel moment le travailleur a informé monsieur Caron de son inconfort à demeurer seul durant l’absence de monsieur Laroche, deuxième sociothérapeute en poste.

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316751-71-0705 16 [101] Selon le témoignage de madame Aloise, ce n’est qu’après le départ de monsieur Laroche pour l’activité d’horticulture qu’elle a été informée de l’intention du travailleur d’exercer un droit de refus. Ce sujet n’aurait pas été abordé en début de matinée selon le souvenir de madame Aloise.

[102] Monsieur Laroche a quitté vers 9 h 20. Vers 9 h 40, madame Boucher a demandé à madame Aloise de la remplacer à la console pendant qu’elle allait à la comptabilité pour une période d’environ 45 minutes. Jugeant la situation très calme à ce moment, madame Aloise accepte.

[103] Un peu après, madame Aloise a entendu le travailleur dire à monsieur Caron, qui était dans la console à ce moment, qu’il allait exercer un droit de refus en raison du fait qu’il était seul sociothérapeute pendant l’absence de monsieur Laroche et que, dans ces conditions, il ne traverserait pas du côté des patients.

[104] Selon le témoignage du travailleur, il a avisé monsieur Caron dès qu’il a appris que monsieur Laroche partirait avec le groupe, soit en matinée entre 8 h 00 et 8 h 30. Le travailleur affirme avoir mentionné à monsieur Caron qu’il considérait la situation, soit de rester le seul sociothérapeute avec monsieur Leclair et madame Aloise, était dangereuse. Il a ensuite attendu la suite des choses, espérant que monsieur Caron tiendrait compte de son commentaire.

[105] Le travailleur s’est donc rendu après sur le plancher pour le déjeuner et les douches. Il était accompagné de monsieur Leclair tandis que madame Aloise s’occupait de la distribution de la médication. Questionné quant au fait que le travailleur admet justement avoir travaillé seul avec monsieur Leclair durant le début de la matinée du 18 octobre 2006, le travailleur rétorque que la situation n’est pas la même si monsieur Laroche est disponible et qu’il est présent dans l’unité. Il peut donc intervenir au besoin.

[106] Le travailleur admet qu’il a avisé formellement monsieur Caron qu’il faisait un droit de refus lorsqu’il a réintégré la console après 9 h 30. Il constate que monsieur Laroche est parti et que madame Aloise remplace madame Bouchard à la console. Le travailleur signifie donc à monsieur Caron qu’il exerce un droit de refus.

[107] Le travailleur est demeuré à la console jusqu’au retour de monsieur Laroche.

[108] Le travailleur explique que c’était la première fois qu’il se retrouvait seul sociothérapeute pour travailler avec un infirmier(e). Le travailleur ne se sentait pas en sécurité, eu égard au degré d’imprévisibilité de la clientèle même si elle est jugée stable à ce moment.

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316751-71-0705 17 [109] Quant à l’éventualité de travailler et intervenir avec un infirmier(e), le travailleur explique que l’infirmier(e) doit aussi accomplir d’autres tâches qui sont spécifiques durant l’avant-midi et qu’il n’est pas toujours disponible. Quant à monsieur Leclair, comme il provient de l’équipe volante, il n’a pas une aussi bonne connaissance des patients de l’unité pour déceler les signes subtils d’un changement de comportement.

[110] Le travailleur confirme ne pas avoir demandé spécifiquement à monsieur Caron de le « couvrir » durant la période d’absence de monsieur Laroche.

[111] Selon madame Aloise, la clientèle était stable à l’unité E-2 le 18 octobre 2006 et la situation en matinée était calme. Sur les 18 personnes qui restaient après le départ de l’activité avec monsieur Laroche, deux personnes étaient en scolarisation, donc à l’extérieur de l’unité et une personne était en entrevue avec un psychologue. Il restait donc 15 personnes sur le plancher.

[112] Parmi les 15 personnes qui restent, 1 personne était en plan de chambre, ce qui signifie qu’elle n’est autorisée à sortir de sa chambre qu’au moment où les intervenants le jugent approprié; 7 personnes étaient en réinsertion sociale, ce qui implique qu’ils sont présents à l’unité, mais disposent d’une autonomie plus grande (ils bénéficient même de sorties sans accompagnement à l’extérieur hebdomadairement); 2 personnes avaient une circulation restreinte; et les autres avaient accès à une circulation dirigée.

[113] Selon madame Aloise, un tel profil de clientèle n’a pas besoin d’une présence constante.

[114] Selon le déroulement de la journée, monsieur Caron, qui a lu le rapport de la veille, n’avait aucune particularité à signaler concernant la clientèle le matin du 18 octobre 2006.

Argumentation des parties

[115] L’employeur soumet qu’il ne s’est pas produit de changement dans les méthodes de travail utilisées par l’employeur et que celles-ci sont en tout temps sécuritaires.

[116] Il allègue que les mécanismes de contrôle et d’évaluation mis en place par l’employeur assurent qu’il prend tous les moyens pour s’assurer que les méthodes et techniques de travail utilisées permettent d’identifier, de contrôler et d’éliminer les risques pouvant affecter la santé et la sécurité des travailleurs. Ces moyens sont l’échelle d’observation « OAS ». La connaissance des patients par l’infirmier(e) et le sociothérapeute, la formation de tout le personnel clinique à l’approche OMÉGA, le rôle du CPU et la composition des équipes de travail sont les outils mis de l’avant par l’employeur.

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316751-71-0705 18 [117] La preuve révèle que la situation, le 18 octobre 2006, ne présentait pas de risques. Des moyens auraient pu être trouvés pour éviter le droit de refus si le travailleur avait manifesté clairement son inconfort avant. Le travailleur a démontré qu’en d’autres occasions, comme le week-end, il peut travailler avec un infirmier(e) sur le plancher sans que cela ne représente un problème.

[118] Les obligations de l’employeur selon l’article 51 de la LSST sont des obligations de moyens et non de résultat11. L’employeur souligne aussi que le risque d’agression lié à la clientèle fait partie des conditions normales de travail à l’Institut et que des moyens raisonnables et appropriés pour réduire ce risques suivant les règles connues et pratiquées12.

[119] Finalement, l’employeur conclut que l’approche de l’Institut repose sur l’implication de chacun des membres de l’équipe, peu importe le poste occupé, ce qui assure une plus grande sécurité comparativement à l’approche fondée sur une simple règle mathématique. Cette dernière approche étant réductrice et se veut davantage une position de principe.

[120] La partie syndicale rappelle que la clientèle de l’Institut est dangereuse et imprévisible. Elle soumet que la conclusion des inspecteurs dans leur rapport, soit que la présence d’un seul sociothérapeute n’est pas sécuritaire, est bien fondée. Ce constat est aussi fondé, à juste titre selon le syndicat, que les tâches d’un sociothérapeute ne sont pas les mêmes que celles d’un infirmier(e).

[121] La partie syndicale soumet que, même si l’infirmier(e) a suivi la formation OMÉGA, cela n’est pas suffisant pour intervenir efficacement auprès des bénéficiaires. De par ses tâches et ses responsabilités, l’infirmier(e) est peu appelé à intervenir. La modification de tâche effectuée par l’employeur ne garantit pas que l’infirmier(e) va acquérir cette expertise qui s’acquiert par l’expérience davantage que par une formation.

[122] Concernant le fait qu’un jumelage avec un autre corps d’emploi peut diminuer la sécurité, la partie syndicale fait un parallèle avec l’affaire Morin et al et Sûreté du Québec13, dans laquelle un policier était jumelé avec un agent de sécurité.

11 Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (procureur général) DTE 98T-424 (TT);

Bernard CLICHE, Serge LAFONTAINE, Richard MAILHOT, Traité de droit de la santé et de la sécurité au travail, Éditions Yvon Blais, 1993, page 287.

12 Syndicat canadien de la fonction publique et Institut Philippe-Pinel de Montréal, C.A.L.P., AZ-4000005111, 29 mai 1990, C. Demers

13 C.L.P. 193808-04-0210, 18 janvier 2006, F. Mercure

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316751-71-0705 19 [123] La partie syndicale soumet que le fait de ne pas respecter le ratio de deux sociothérapeutes sur l’unité de vie est inacceptable et ne respecte pas les obligations imposées à l‘employeur en vertu de la LSST.

[124] De même, la partie syndicale se réfère à l’affaire Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec et Sécurité Publique – Palais de justice de Drummondville14 dans laquelle les agents correctionnels prétendaient que le transport de détenus devait se faire à trois agents plutôt que deux. La Commission des lésions professionnelles a conclu que l’ajout d’un troisième agent est nécessaire lors des quelques occasions où un transport avec un seul détenu doit s’effectuer vers le palais de justice de Drummondville.

L’AVIS DES MEMBRES

[125] La membre issue des associations syndicales et la membre issue des associations d’employeurs sont d’avis d’accueillir en partie la requête de l’employeur.

[126] Elles estiment que l’ordonnance, telle que libellée dans la décision de la révision administrative de la CSST, est trop générale et ne permet pas de cibler la question. Elles constatent, à partir de la preuve présentée, que la question du maintien d’une équipe de travail sécuritaire se pose uniquement dans les périodes d’absence de courte durée d’un membre de l’équipe de travail.

[127] La preuve démontre que la solution d’imposer à l’employeur le maintien de deux sociothérapeutes en tout temps, qu’importe les circonstances, n’est pas la plus appropriée. L’employeur devrait s’assurer que l’organisation du travail par le remplacement temporaire d’un membre de l’équipe durant un quart de travail assure le maintien d’équipes sécuritaires.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[128] Dans le présent cas, la décision initiale rendue par l’inspecteur comportait deux volets, un premier volet dans lequel l’inspecteur déclare que, le 18 octobre 2006, il n’existe pas de danger justifiant le travailleur de refuser d’exécuter son travail. L’inspecteur ordonne le retour au travail. Or, cette partie de la décision n’a pas été contestée par le travailleur.

[129] La contestation porte seulement sur le second volet de la décision qui ordonnait à l’employeur, en vertu des obligations générales qui lui sont dévolues à l’article 51 de la LSST, que les méthodes de travail demeurent inchangées, dont spécifiquement le nombre de sociothérapeutes. 14 C.L.P. 209715, 17 novembre 2003, L. Boudreault

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316751-71-0705 20 [130] L’employeur a contesté seulement ce volet de la décision de l’inspecteur à la révision administrative.

[131] Le 25 avril 2007, la révision administrative de la CSST a disposé du litige par les termes :

DÉCLARE qu’une dérogation devait être émise en vertu de l’article 51.5 de la LSST dont le texte doit se lire comme suit : L’employeur ne s’assure pas que l’organisation du travail et les méthodes et techniques utilisées pour l’accomplir étaient sécuritaires et ne portaient pas atteinte à la santé des travailleurs. Toutefois, la Révision administrative DÉCLARE cette dérogation corrigée le 18 octobre 2006 à 11 h 05.

[132] Le libellé de cette décision est à la fois imprécis et contradictoire, ce qui a donné lieu à des interprétations divergentes des parties.

[133] La Commission des lésions professionnelles est d’accord avec l’interprétation de l’employeur que sa contestation ne porte pas sur le droit de refus qui n’a fait l’objet d’aucune contestation de la part du travailleur. Cet aspect de la décision de l’inspecteur est devenu final et irrévocable.

[134] Bien que la question du droit de refus ne soit pas en cause, la preuve concernant la journée de travail du 18 octobre 2006 demeure pertinente, car elle porte aussi sur les méthodes de travail utilisées.

[135] La Commission des lésions professionnelles n’entend pas non plus statuer sur l’opportunité pour l’employeur de modifier les descriptions de tâches pour exiger que des membres du personnel, dont les infirmier(e)s, doivent intervenir physiquement lorsque la situation l’exige. La question de savoir si l’article 1.02 de l’annexe K de la convention collective contrevient aux obligations de l’employeur en matière de santé et sécurité au travail a fait l’objet d’une procédure de contestation par grief qui sera entendue prochainement.

[136] La révision administrative réfère dans sa décision plus particulièrement au cinquième alinéa de l’article 51 de la LSST. La partie syndicale a produit une argumentation en référant au cinquième alinéa de l’article 51 de la LSST alors que l’employeur a plutôt référé au troisième alinéa de l’article 51 de la LSST qui porte sur les méthodes de travail.

[137] La Commission des lésions professionnelles entend examiner la question sous l’angle des alinéas 3 et 5 de l’article 51 de la LSST et de déterminer si l’employeur a respecté ses obligations générales portant, notamment, sur l’organisation, les méthodes et les techniques de travail.

[138] Les alinéas 3 et 5 de l’article 51 de la LSST se lisent comme suit :

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Obligations de l'employeur.

51. L'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l'intégrité physique du travailleur. Il doit notamment: […] 3° s'assurer que l'organisation du travail et les méthodes et techniques utilisées pour l'accomplir sont sécuritaires et ne portent pas atteinte à la santé du travailleur; […] 5° utiliser les méthodes et techniques visant à identifier, contrôler et éliminer les risques pouvant affecter la santé et la sécurité du travailleur;

[139] Il y a aussi lieu de rappeler le champ d’application de la LSST qui est libellé comme suit à l’article 2 de la LSST:

Objet de la loi. 2. La présente loi a pour objet l'élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs. Participation du travailleur et des employeurs. Elle établit les mécanismes de participation des travailleurs et de leurs associations, ainsi que des employeurs et de leurs associations à la réalisation de cet objet. 1979, c. 63, a. 2.

[140] La Commission des lésions professionnelles s’est penchée récemment sur les notions de « risque » et de « danger » dans l’affaire Centre hospitalier de St. Mary et Iracani15. Les commissaires font l’inventaire des situations et dispositions dans la LSST où sont employés les termes « risque » et « danger ». Ces termes n’étant pas définis à la LSST, la Commission des lésions professionnelles fait un inventaire des définitions issues des différents dictionnaires pour finalement conclure ainsi :

[56] À la lecture de ces définitions, la Commission des lésions professionnelles constate qu’il y a une distinction à faire entre les deux notions de « danger » et de « risque », même si dans certains dictionnaires il y a renvoi d’une notion à l’autre. [57] La Commission des lésions professionnelles retient que la notion de « danger » fait appel à une menace réelle alors que la notion de « risque » réfère à un événement dont la survenance, bien qu’elle soit possible, est incertaine.

15 C.L.P. 214540-71-0308, 6 juillet 2007, S. Di Pasquale, L. Landriault et G. Robichaud

Page 22: Jugement Lebeau 10 Mars 2008

316751-71-0705 22 [141] Après une revue de la jurisprudence, la Commission des lésons professionnelles retient l’interprétation suivante de la notion de danger :

[83] Quant aux risques, le législateur indique à l’alinéa 5 de l’article 49, que le travailleur doit « participer à l’identification et à l’élimination des risques d’accidents du travail et des maladies professionnelles sur le lieu du travail ». Pour sa part, l’employeur, tel que prévu à l’alinéa 5 de l’article 51, a l’obligation « d’utiliser les méthodes et techniques visant à identifier, contrôler et éliminer les risques… ». À l’alinéa 9 de ce même article, il est précisé que l’employeur doit « informer adéquatement le travailleur sur les risques reliés à son travail… ». Enfin, à l’alinéa 6 du paragraphe 78, il est indiqué que lorsqu’il y a un comité de santé et de sécurité au sein d’un établissement, il est prévu qu’il doive « participer à l’identification et à l’évaluation des risques reliés aux postes de travail et au travail exécuté par les travailleurs… ». [84] Il ressort de ces différentes dispositions que, bien que le législateur demande aux employeurs et aux travailleurs de prendre des mesures visant à réduire ou éliminer les risques, seule la présence de « danger », et non la présence de « risques », donne ouverture à l’exercice d’un droit de refus de travailler ou d’être réaffecté, selon le cas. [85] L’utilisation par le législateur du terme « danger » rejoint donc son sens usuel, soit une menace réelle par opposition à la notion de « risque » qui réfère plutôt à un événement possible mais dont la survenance est incertaine. […] [89] La LSST impose des obligations de taille à l’employeur pour éliminer à la source les dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs. Toutefois, le législateur ne peut pas avoir imposé des obligations qui sont impossibles à rencontrer. C’est ainsi que, eu égard aux risques, par exemple, la Cour d’appel du Québec, face à l’obligation de l’employeur d’« utiliser les méthodes et techniques visant à identifier, contrôler et éliminer les risques … » (article 51 (5°), a conclu que l’employeur n’était tenu qu’à ce qui était « nécessaire et raisonnable »25. ___________________ 25 Domtar c. CALP, C.A., 200-09-000298-882, 29 août 1990, jj. Monet, Beaudoin et

Rousseau-Houle

[142] Il en découle que la notion de « danger » exige la preuve d’une menace réelle alors que la notion de « risque » fait référence à un événement possible, mais dont la survenance est incertaine. Pour démontrer l’existence d’un « danger », la preuve d’un risque virtuel n’est pas suffisante. Il doit être démontré que le risque est réel malgré les efforts pour le contrôler et l’éliminer.

Page 23: Jugement Lebeau 10 Mars 2008

316751-71-0705 23 [143] La Cour d’appel a déterminé que les obligations de l’employeur libellées à l’alinéa 5 de l’article 51 de la LSST ne doivent pas être impossibles à rencontrer et que l’employeur doit être tenu qu’à ce qui est « nécessaire et raisonnable »16.

[144] Les propos tenus par le juge Bernard Lesage dans l’affaire Syndicat de la fonction publique du Québec et Procureur général du Québec17 s’harmonisent bien avec les principes énoncés plus haut. Dans cette affaire, le tribunal du travail était saisi d’une infraction pénale en vertu des alinéas 1 et 3 de l’article 51 de la LSST. Et concernant la nature des obligations imposées à l’employeur en vertu de la LSST, le juge Lesage tenait les propos pertinents suivants :

Cette notion de sécurité fait référence aux principes de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, particulièrement à ses articles 2 à 13. Il y est question de l’élimination à la source des dangers pour la santé et la sécurité, du droit du travailleur à des services d’informations en relation avec son milieu de travail, de tous aspects connexes à de tels objectifs fondamentaux, enfin de prendre en compte les conditions normales d’exécution du travail. Dès que l’on parle d’organisation du travail, de méthodologie, de système, de techniques appropriées, l’on entre dans le champ forcément large et général des meilleures solutions à générer pour des applications concrètes, fréquentes et forcément variées. On peut dire, en transposant des principes philosophiques, que la bonne méthode de travail est le cadre qui constitue l’universel, par rapport à son application pratique à une situation concrète, qui serait le particulier. Or ce dernier a un degré d’imprécision, de mutabilité, de faiblesse, d’imprévisibilité. L’universel doit être réalisé pour tenir compte de ces lacunes dans la plupart des cas, mais pas nécessairement les pallier toutes. Mon collègue, le juge Marc BRIÈRE, faisait ainsi de judicieuses observations sur ces obligations fondamentales de l’employeur, dans une affaire de Mines Sigma (Québec) Ltée, (1992) T.T. 391, à la page 460 :

«La loi vise à éliminer raisonnablement les risques professionnels, c’est-à-dire en fonction des règles de l’art connues et pratiqués actuellement dans chaque secteur d’activité industrielle ou commerciale (ou dans une institution comme un cégep) pour éviter le plus possible de risques dans la poursuite d’une activité économique légitime ou d’enseignement). Le critère demeure donc la conduite du bon artisan, du bon employeur, du bon père de famille, qui, sans être parfait, ni le meilleur, est raisonnablement bon dans la conduite de son entreprise qu’il exploite avec un soin, un souci, une attention convenables, appropriées, suffisantes pour la sécurité des autres membres de l’entreprise. Si l’employeur s’écarte de ce comportement normal – qui est conforme à la norme – il sera en faute et il aura commis une infraction à la loi, si celle-ci l’a prévue et interdite. […]

16 Tel que cité dans l’affaire Centre hospitalier St. Mary précitée; voir : Domtar c. C.A.L.P., CA 200-

09-000298-882, 29 août 1990, jj. Monet, Beaudoin et Rousseau-Houle. 17 Précité, note 11

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Ici, l’obligation faite à l’employeur est d’utiliser dans son entreprise les méthodes et techniques visant à identifier, contrôler et éliminer les risques. Cette obligation est évidemment une obligation de moyens et non de résultat : l’obligation est satisfaite si les moyens sont pris, même s’ils ne donnent pas en telle occasion le résultat visé. La faute d’un intervenant ou d’un tiers, surtout si elle est imprévisible, mais aussi si elle est prévisible, n’empêche pas que les bonnes méthodes et techniques soient normalement utilisées dans l’entreprise.»

[sic]

[145] La Commission des lésions professionnelles examinera donc la question sous l’angle, non pas d’une obligation de résultat, mais d’une obligation de moyens, ayant à l’esprit que l’employeur est tenu à des obligations qui sont nécessaires et raisonnables dans les circonstances. Le tribunal pourra aussi référer au besoin à d’autres situations illustrées par la jurisprudence dans l’analyse de risques semblables dans des milieux de travail comparables.

[146] La preuve a permis d’identifier que le risque dont on parle ici est le risque d’agression lié à la dangerosité et à l’imprévisibilité de la clientèle.

[147] Malgré que la clientèle soit plus stabilisée à l’unité de vie E-2, la preuve documentaire rapporte 450 demandes d’intervention au CPU provenant de l’unité E-2 entre le 1er avril et le 16 septembre 2006, ce qui signifie en moyenne environ deux appels par jour. Même si la moyenne ne reflète pas la réalité, puisqu’il a pu y avoir plus d’appels une journée, et pas du tout à une autre; cela reflète, néanmoins, qu’il y a des appels régulièrement, et probablement assez quotidiennement, même si ces appels ne débouchent pas sur une intervention physique. Il faut comprendre que la présence rapide et efficace des membres du CPU représente un facteur dissuasif.

[148] Le tribunal en conclut que le risque d’agression est présent même à l’unité E-2 dont la clientèle est plus stable qu’à d’autres unités.

[149] La partie syndicale allègue que la présence en tout temps de deux sociothérapeutes dans les équipes de travail est plus sécuritaire, en raison de son effet dissuasif sur la clientèle et en raison du fait que les sociothérapeutes sont plus en mesure de contrer les risques d’agression par leurs interventions sur le terrain.

[150] Dans un premier temps, il y a lieu d’analyser la preuve pour voir comment les équipes de travail sont formées en pratique et selon quelles règles.

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316751-71-0705 25 [151] La preuve démontre que deux règles minimales sont appliquées dans la composition des équipes de travail initialement: la présence d’au moins deux employés réguliers et d’au moins deux sociothérapeutes.

[152] La règle voulant qu’au minimum deux employés réguliers fassent partie d’une équipe de travail est admise par les deux parties, tant pour sa pertinence que pour sa nécessité.

[153] De même, dans la composition initiale des équipes de travail, il y a toujours deux sociothérapeutes. En effet, selon le témoignage de la directrice adjointe clinique et administrative aux soins infirmiers, les équipes de travail sont composées initialement d’au moins quatre personnes, dont au minimum, deux sont sociothérapeutes. Les autres témoignages sont au même effet.

[154] La preuve est donc unanime quant au fait que les équipes régulières de travail sont composées, initialement, généralement d’au moins deux sociothérapeutes. Dans la pratique, cette composition est respectée, du moins dans les quarts de travail réguliers, et nul ne s’en plaint.

[155] Le problème semble survenir, non dans la composition initiale des équipes de travail, mais dans le maintien, à tout moment, d’équipes de travail sécuritaires.

[156] C’est durant les périodes où une personne de l’équipe doit s’absenter, soit pour une pause ou une activité à l’extérieur de l’unité, qu’il pourrait survenir des situations où un sociothérapeute demeure seul de son corps d’emploi.

[157] Or, justement, la journée du 18 octobre 2006 en est un exemple. Le travailleur a manifesté un inconfort, non pas en raison de la composition initiale de l’équipe de travail, mais en raison de la situation qui a prévalu durant l’absence de monsieur Laroche et à l’intérieur de laquelle il s’est retrouvé seul sociothérapeute.

[158] La preuve démontre qu’il y a certaines divergences dans les pratiques, bien que certaines pratiques soient davantage privilégiées.

[159] Même durant les périodes d’absence, la preuve démontre qu’en pratique la solution préconisée oriente vers le maintien en poste d’au moins deux sociothérapeutes.

[160] Sur ce point, le témoignage de madame Aloise est intéressant. Elle affirme avoir déjà constaté dans sa pratique qu’un sociothérapeute demeure en poste avec un infirmier(e), mais elle ajoute qu’il s’agissait d’une période d’absence où tous les membres de l’équipe avaient manifesté qu’ils étaient confortables avec la situation, ce

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316751-71-0705 26 qui semble indiquer qu’elle ne va pas nécessairement de soi. De plus, madame Aloise affirme que, normalement, « on essaie de maintenir deux sociothérapeutes en présence ». Selon le témoignage de madame Aloise, la situation de maintenir deux sociothérapeutes en poste durant les périodes d’absence est plus courante.

[161] Les témoignages de madame Cabana, de monsieur Robitaille et du travailleur sont à l’effet que, durant les périodes d’absence, deux sociothérapeutes demeurent en poste. Du moins, ont-ils affirmé que leur expérience était à cet effet la plupart du temps.

[162] Cependant, durant les week-ends, entre 8 h 00 et 12 h 00, le travailleur admet qu’il peut arriver qu’un sociothérapeute soit en poste à la console pendant qu’un infirmier(e) et un sociothérapeute travaillent ensemble sur le plancher. Mais, le week-end, il n’y a pas d’heure précise de lever, de sorte qu’il y a moins d’activités sur le plancher et que, si une situation problématique se présente, un autre sociothérapeute est néanmoins présent sur l’unité.

[163] Durant les périodes d’absence pendant les quarts de travail réguliers de la semaine, la preuve a permis d’identifier une pratique de remplacement appelée la « couverture », qui est appliquée. Selon cette pratique, la solution est de « couvrir » la situation créée par l’absence d’un employé à court terme, en tentant de rétablir l’équilibre rompu. Cet équilibre peut toucher le nombre d’employés réguliers ou encore le nombre d’employés appartenant à un corps d’emploi donné.

[164] Selon le témoignage de madame Aloise, la « couverture » vise généralement à « couvrir » dans le même corps d’emploi, même s’il peut arriver qu’un infirmier(e) remplace un sociothérapeute. L’inverse ne peut toutefois se faire. Par exemple, si l’équipe est composée initialement de deux sociothérapeutes et d’un infirmier(e) et qu’un sociothérapeute s’absente, on cherchera à en ajouter un second sur le plancher durant l’absence, en demandant généralement à l’assistant coordonnateur (qui est sociothérapeute à l’unité E-2) de rester en poste sur le plancher de l’unité le temps de l’absence.

[165] D’autres solutions sont aussi choisies pour maintenir le même nombre de sociothérapeutes durant une période d’absence, en demandant par exemple à un infirmier(e) ou à l’assistant coordonnateur, d’accompagner les patients à une activité de manière à maintenir en poste les deux sociothérapeutes.

[166] En résumé, la preuve démontre que, normalement, la pratique oriente vers une tentative de maintenir deux sociothérapeutes, même durant les périodes d’absence qui surviennent dans un quart de travail. Mais la preuve démontre aussi qu’il ne s’agit pas d’un absolu et que d’autres solutions peuvent aussi être privilégiées à certaines occasions. Il peut donc arriver que, durant une période d’absence, un seul sociothérapeute demeure en poste et travaille sur le plancher avec un infirmier(e).

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316751-71-0705 27 [167] L’inventaire des pratiques permet d’identifier que la composition initiale des équipes de travail ne cause aucun problème. Mais, durant les périodes d’absence, ces règles ne sont plus nécessairement maintenues.

[168] Le tribunal en comprend que, lorsque la partie syndicale préconise un ratio de deux sociothérapeutes en tout temps, cela vise plus spécifiquement les périodes d’absence qui surviennent durant un quart de travail.

[169] Il convient, dès lors, d’examiner l’argument allégué par la partie syndicale, voulant que l’équipe formée de deux sociothérapeutes sur le plancher est plus sécuritaire que l’équipe formée d’un sociothérapeute et d’un infirmier(e) et qu’il s’agit du seul moyen d’assurer des équipes sécuritaires.

[170] La preuve est contradictoire.

[171] L’employeur soumet que l’approche visant à privilégier l’évaluation clinique des patients comme outil directionnel produit de meilleurs résultats qu’une règle mathématique imposant un ratio de deux sociothérapeutes en tout temps, qu’importe les circonstances, dans la composition des équipes de travail.

[172] L’employeur a mis en place des outils tels que la grille « OAS » pour évaluer et cerner le profil de chaque patient concernant les comportements agressifs. Cet outil peut servir à évaluer les particularités de la clientèle à ce moment et à prévoir les besoins plus spécifiques de la clientèle, ce qui pourrait avoir des effets sur la composition des équipes de travail éventuellement. Tel que l’a mentionné madame Aloise, il peut arriver que la présence d’un deuxième infirmier(e) soit plus justifiée dans le cas où il y aurait des besoins en ce sens.

[173] De la même manière, il pourrait arriver que du personnel additionnel soit requis dans le cas où la situation ne serait pas suffisamment stabilisée.

[174] Le personnel d’encadrement de l’unité peut, au début de chaque quart de travail, évaluer cette question en prenant connaissance des rapports des quarts de travail précédents et en recevant les commentaires et les observations des membres de l’équipe qui participent activement à l’évaluation de l’état clinique des patients, et ce, quel que soit leur corps d’emploi.

[175] De l’avis du tribunal, une telle méthode est plus flexible et peut conduire à des résultats plus ciblés qui répondent davantage aux besoins précis de la clientèle que l’exigence du maintien en tout temps de deux sociothérapeutes.

[176] Mais le tribunal constate que cet argument invoqué par l’employeur vaut pour autant qu’il y ait du personnel disponible lorsque requis. Les parties n’ont pas fait de

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316751-71-0705 28 preuve à cet effet dans un sens ou l’autre. Madame Pilote a souligné que ce qui peut influencer la composition des équipes de travail en terme de ratio (deux sociothérapeutes avec deux infirmier(e)s ou encore trois sociothérapeutes et un infirmier(e)), est aussi tributaire du personnel disponible sur les quarts de travail jour ou soir à ce moment, ce qui laisse entendre qu’il peut y avoir des contraintes reliées au personnel disponible qui entrent en ligne de compte dans la composition des équipes.

[177] Néanmoins, l’employeur allègue aussi que le sociothérapeute n’est pas le seul intervenant de premier plan sur le terrain puisque l’infirmier(e) y travaille aussi et qu’il acquiert, de ce fait, une bonne connaissance des patients qui lui permet de concourir à l’évaluation de l’état clinique des patients. De même, l’infirmier(e) tout comme le sociothérapeute font partie d’une même équipe de travail et concourent tous les deux au respect et suivi du plan de traitement.

[178] De plus, le sociothérapeute et l’infirmier(e) reçoivent exactement la même formation OMÉGA, ce qui les place en terrain d’égalité pour faire des interventions lorsque nécessaire. L’employeur allègue que l’argument fondé sur le corps d’emploi est réducteur et ne tient pas compte de la réalité. Il rappelle que la répartition hommes/femmes est équivalente chez les sociothérapeutes et qu’elle est composée des deux tiers de sexe féminin dans le cas des infirmier(e)s.

[179] Pour sa part, la partie syndicale insiste sur la spécificité des tâches de l’infirmier(e) pour conclure que ce dernier n’acquiert pas la même expérience sur le terrain que le sociothérapeute.

[180] Avant d’examiner la preuve testimoniale sur la question, le tribunal tient à souligner que la description de tâches est explicite et significative sur ce point. On peut voir à la face même des tâches d’un infirmier(e) que la majorité de celles-ci ont une connotation médicale et qu’en cela elles consistent à administrer des soins et à exercer des tâches qui se rapportent à cela, ce qui appartient exclusivement à l’infirmier(e) et que le sociothérapeute ne peut faire. Un premier constat s’impose quant au fait que, si certaines tâches sont interchangeables, d’autres ne le sont pas.

[181] Il est raisonnable de penser, en conséquence, qu’une bonne partie du quart de travail de l’infirmier(e) porte sur l’administration des soins et à tout ce qui s’y rapporte, autant de tâches que ne peut faire le sociothérapeute, qui ne détient pas cette formation spécialisée.

[182] Or, il est intéressant de constater que les témoignages entendus, tant des infirmier(e)s que des sociothérapeutes, vont dans ce sens. Ceux-ci démontrent que dans les faits l’infirmier(e) a d’autres tâches à faire que d’accompagner les bénéficiaires dans leurs moments de vie, même si une bonne partie de ses tâches s’exercent sur le plancher. Cela ne signifie pas que l’infirmier(e) ne peut être appelé à travailler à

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316751-71-0705 29 accompagner le sociothérapeute dans certaines tâches, mais cela ne peut s’exercer sur de longues périodes étant donné la spécificité des tâches qu’il doit accomplir.

[183] Il est tout à fait vrai comme le soutient l’employeur que l’infirmier(e) est bien placé pour recueillir des informations sur l’état clinique des patients et qu’il connaît les patients. Cela en fait-il pour autant une personne qui détient la même expérience que le sociothérapeute?

[184] Le tribunal estime que non. Les tâches d’un sociothérapeute sont essentiellement d’accompagner le patient dans ses moments de vie. Leur expérience s’acquiert sur le terrain en contact constant avec la clientèle la plupart du temps.

[185] Les sociothérapeutes ont affirmé qu’ils appliquaient régulièrement chaque jour les techniques de la formation OMÉGA, contrairement au témoignage de madame Cabana qui affirme ne pas s’en servir souvent.

[186] Le tribunal est d’avis, comme le prétend l’employeur, que de dispenser la formation OMÉGA à un plus grand nombre de personnes accroît les mesures de sécurité, car une bonne partie du personnel est en contact avec la clientèle. La preuve démontre que la formation OMÉGA présente une échelle de moyens adaptés à plusieurs situations dans un ordre de gradation et ne vise pas au premier plan les interventions physiques. Des techniques de communication appropriées à la situation peuvent s’avérer dissuasives et efficaces.

[187] Cependant, on ne peut affirmer, selon la preuve présentée, que l’infirmier(e) dispose de la même expérience sur le terrain que le sociothérapeute.

[188] D’ailleurs, cette assertion est supportée par les pratiques existantes concernant la composition des équipes de travail qui assure un minimum de deux sociothérapeutes sur le terrain alors qu’il peut y avoir un seul infirmier(e) pour trois sociothérapeutes. Il doit bien y avoir une raison pour maintenir cette pratique, que personne ne remet en cause d’ailleurs et dont personne ne se plaint.

[189] Ces constats rendent plus que probables les témoignages de monsieur Laroche, du travailleur et de madame Cabana, sur le nombre d’interventions que pratiquent les sociothérapeutes quotidiennement, contrairement aux infirmier(e)s qui en ont moins souvent l’occasion, même s’ils peuvent, certes, intervenir auprès des patients et appliquer des techniques de l’approche OMÉGA, étant donné qu’ils travaillent en étroite collaboration avec la clientèle.

[190] D’ailleurs, il est intéressant de noter que madame Cabana a expliqué les tâches qui relevaient d’une infirmière lors d’une intervention, puisqu’il est fort probable qu’une

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316751-71-0705 30 médication soit nécessaire pour stabiliser la situation du patient. L’infirmier(e) doit alors préparer une médication, ce qui est sans doute fort utile dans le contexte. Or, pendant que l’infirmier(e) peut vaquer à ses tâches spécifiques, il n’est justement pas disponible pour s’occuper des techniques d’intervention avec le patient.

[191] Dans cette optique, cela fait du sens que les sociothérapeutes affirment avoir plus d’expérience sur le terrain et se sentir plus à l’aise de faire des interventions avec des sociothérapeutes, car ils partagent la même expérience.

[192] Le tribunal n’a pas compris du témoignage des deux sociothérapeutes qu’il s’agissait d’une complicité ou d’une connivence attribuable au seul fait d’appartenir au même corps d’emploi ou, encore, au fait d’appartenir au même sexe, masculin ou féminin, mais plutôt à une complicité fondée sur l’expérience.

[193] La Commission des lésions professionnelles en conclut que la présence de deux sociothérapeutes dans les équipes de travail a sa raison d’être.

[194] D’ailleurs, la preuve démontre que cet objectif tente d’être maintenu la plupart du temps, même durant les périodes d’absence.

[195] Cependant, la preuve démontre aussi que d’autres considérations peuvent entrer en ligne de compte selon l’évaluation de l’état clinique des patients présents dans l’unité de vie.

[196] La solution préconisée par la partie syndicale d’imposer à l’employeur le maintien en tout temps de deux sociothérapeutes est-elle la plus appropriée et la Commission des lésions professionnelles doit-elle l’ordonner?

[197] La Commission des lésions professionnelles ne le croit pas pour les motifs qui suivent.

[198] Dans un premier temps, le tribunal constate, à partir de la preuve présentée, que le respect en tout temps de la présence de deux sociothérapeutes n’est pas nécessairement toujours la seule manière de renforcer la sécurité des travailleurs et de diminuer, de ce fait, les risques d’agressions physiques.

[199] Tel que soumis par l’employeur, l’évaluation clinique prime dans les solutions mises de l’avant, ce qui commande plus de flexibilité, mais peut produire des résultats plus ciblés que l’imposition de la règle du maintien en tout temps de deux sociothérapeutes.

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316751-71-0705 31 [200] De plus, la preuve a permis d’identifier de manière plus générale que c’est lorsqu’un membre de l’équipe s’absente que cela peut conduire à une réduction du nombre d’effectifs dans l’équipe, ce qui est de nature à diminuer la sécurité. Si une équipe est composée généralement de quatre personnes, c’est certes que ce nombre a été jugé suffisant pour assurer l’efficacité de l’équipe et la sécurité des travailleurs qui la composent.

[201] L’absence durant le quart de travail peut viser autant un commis à la console qu’un infirmier(e) ou un sociothérapeute. Il se produit alors, temporairement, une diminution des effectifs. Et, pour pallier la situation, la preuve démontre qu’une multitude de solutions peuvent être appliquées temporairement en pratique sans qu’il en ressorte pour autant des règles minimales pour assurer la sécurité, comme c’est le cas dans la composition des équipes de travail initialement.

[202] La seule règle invoquée est celle de la « couverture » et elle ne répond pas nécessairement entièrement aux situations visées. Par exemple, l’assistant coordonnateur peut, en raison de ses autres tâches, ne pas être disponible pour « couvrir » l’absence d’un sociothérapeute. Il n’a pas été démontré que l’objectif de « couvrir dans le même type d’emploi » ou de « couvrir pour assurer deux employés réguliers » était toujours possible à réaliser selon qu’il y a des ressources disponibles pour effectuer du remplacement.

[203] Aucune autre règle que celle de la « couverture » n’a été mentionnée pour choisir des solutions adéquates et sécuritaires pour pallier les absences de courte durée d’un membre de l’équipe de travail.

[204] Pour fonder la justification du maintien en tout temps de deux sociothérapeutes, la représentante du travailleur s’est appuyée sur deux cas impliquant l’Institut et des membres du personnel, où l’intervention d’un inspecteur a été requise et dont au moins une situation a fait l’objet d’une décision de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles dans l’affaire Institut Philippe Pinel de Montréal et Fiola18. Dans cette affaire, le tribunal concluait que monsieur Fiola, infirmier, avait des motifs raisonnables de croire que l’exécution des tâches l’exposait à un danger. Avec respect, la situation factuelle n’est pas la même et ne peut être transposée.

[205] Concernant le droit de refus de monsieur Mario Robitaille dont le rapport de l’inspecteur a été produit, la situation factuelle est pertinente en ce qu’il s’agit d’un sociothérapeute qui exerce un droit de refus dans le contexte ponctuel où l’employeur a réduit le nombre de sociothérapeutes de trois à deux dans l’équipe affectée à l’unité A-1, ce qui causait un problème durant l’heure du dîner. Toutefois, cette décision a été prise dans une autre unité, en 1998 et, depuis, il est survenu des changements.

18 C.L.P. 112631-73-9903, 2 février 2000, A. Archambault

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316751-71-0705 32 [206] Dans le cadre d’un droit de refus, l’inspecteur doit se prononcer sur l’existence de motifs raisonnables chez le travailleur de croire que l’exécution d’un travail l’expose à un danger. Toutefois, dans le cadre d’une ordonnance de l’inspecteur, il s’agit d’examiner si l’employeur s’est conformé aux obligations générales qui lui incombent en vertu de la LSST. Il ne s’agit pas du même litige. De plus, les situations sont ponctuelles et évolutives, ce qui permet difficilement de les transposer.

[207] La partie syndicale s’est aussi appuyée sur certaines décisions dans lesquelles la présence accrue de personnel a été analysée comme étant un facteur dissuasif, toujours dans l’optique d’un risque d’agression physique, pour que le tribunal adopte la solution préconisée qui consiste à ordonner à l’employeur de maintenir en tout temps deux sociothérapeutes en présence.

[208] Par exemple, dans Proulx et Établissement de détention de Sherbrooke et Ministère de la sécurité publique19, la Commission des lésions professionnelles décide que le fait pour un agent du service correctionnel d’accompagner seul un détenu comporte des risques suffisants pour fonder un droit de refus. Il est intéressant de noter que le nombre de ressource en présence d’une personne considérée comme représentant un risque d’agression est considéré et analysé. Cependant, il faut rappeler que la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Proulx déclare que le droit de refus était fondé dans les circonstances mais ne se prononce pas sur les mesures que devrait appliquer l’employeur à l’avenir. Il faut donc aussi tenir compte que le fait de décider si un travailleur a des motifs raisonnables de croire que son travail comporte des dangers pour sa sécurité n’est pas le même litige que doit décider ici le tribunal qui n’est pas saisi d’un droit de refus, rappelons-le.

[209] Il est aussi question du nombre d’agents des services correctionnels dans les décisions Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec et Sécurité publique20. La Commission des lésions professionnelles ordonnait à l’employeur d’ajouter un troisième agent lors du transport d’un détenu au palais de justice de Drummondville, puisque la présence de deux agents seulement ne respectait pas les règles de l’art en la matière et, de ce fait, n’assurait pas la sécurité des agents.

[210] De même, dans l’affaire Syndicat des agents de la paix et Ministère de la Sécurité publique21, la Commission des lésions professionnelles a conclu que l’employeur ne pouvait réduire, durant la période estivale, le nombre d’agents du service correctionnel, car cela diminuait la sécurité des travailleurs.

[211] Tel qu’il ressort de la jurisprudence, pour déterminer si l’employeur prend les moyens raisonnables dans l’organisation et les méthodes de travail qu’il préconise pour 19 [2000] C.L.P. 1222 20 C.L.P. 209715-05-0306, 17 novembre 2003, L. Boudreault 21 C.L.P. 142283-09-0007, 4 juin 2001, Alain Vaillancourt

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316751-71-0705 33 assurer la santé et la sécurité des travailleurs, il peut être utile de se référer à des milieux de travail similaires afin de dégager des règles d’usage ou règles de l’art en la matière.

[212] D’après la jurisprudence concernant les établissements de détention, on peut constater que l’ajout de personnel est souvent envisagé comme solution pour pallier les risques correspondant à ce type de clientèle.

[213] Mais il est aussi intéressant de constater que l’ajout systématique ou le maintien d’un nombre fixe d’effectifs n’est pas toujours la solution appropriée en tenant compte des circonstances.

[214] Par exemple, dans l’affaire Association des policières et policiers provinciaux du Québec et Sûreté du Québec 22, la Commission des lésions professionnelles a retenu de la preuve présentée que le nombre de policiers présents lors d’une intervention constitue un élément de dissuasion, diminuant ainsi le niveau de risques. Cependant, le tribunal n’ordonne pas un nombre fixe de patrouilleurs, mais ordonne plutôt d’autres mesures qui avaient été amorcées par les parties et dont la preuve avait été faite à l’audience.

[215] Il est aussi intéressant de constater que dans l’affaire Léonard et Ministère de la sécurité publique et Syndicat des agents de la paix23, la Commission des lésions professionnelles conclut à la présence d’un danger physique d’agression pour les cuisiniers lorsqu’ils sont en présence de détenus admis à la cuisine à des fins d’activités de réhabilitation. Cependant, elle conclut qu’aucune des solutions préconisées, dont la présence permanente d’un agent du service correctionnel durant les activités, ne fait l’affaire. En conséquence, le tribunal ordonne l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer de la sécurité des cuisiniers.

[216] De plus, il importe de rappeler que l’Institut Philippe Pinel est un hôpital universitaire spécialisé en psychiatrie légale. Les patients ont un plan de traitement et de cheminement pour les amener vers une réinsertion sociale éventuelle.

[217] La comparaison avec un centre de détention est certes pertinente à certains égards, mais il faut demeurer prudent et ne pas perdre de vue que l’Institut est aussi un hôpital spécialisé, même s’il est « sécuritaire ».

[218] En l’espèce, la situation dont il est ici question concerne l’unité de vie E-2 dont la clientèle est plus stable qu’à d’autres unités et dont certains patients bénéficient d’un 22 C.L.P. 277936-08-0512 et al, 14 décembre 2007, D. Sams 23 [2007] C.L.P. 477

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316751-71-0705 34 degré d’autonomie plus grand. Certains sont plus avancés dans leur cheminement vers la réhabilitation et bénéficient de sorties à l’extérieur sans être accompagnés.

[219] C’est pourquoi la Commission des lésions professionnelles est d’avis que les solutions préconisées ici doivent s’inscrire dans le respect des exigences reliées à la sécurité des travailleurs dans le contexte d’un hôpital sécurisé, mais qui permettent aussi de tenir compte du profil de la clientèle de l’unité E-2, laquelle fait l’objet d’une évaluation ponctuelle par les équipes de travail en place. C’est un argument de plus pour ne pas retenir la solution préconisant toujours la même mesure dans tous les cas, soit le maintien en tout temps de deux sociothérapeutes comme étant la seule solution possible.

[220] L’employeur a démontré qu’il prenait des moyens raisonnables pour maintenir et mettre à jour des outils et des méthodes d’évaluation de l’état clinique des patients. De même, chaque membre de l’équipe participe à cette évaluation qui se fait les uns en présence des autres, sous la supervision de la coordonnatrice et de l’assistant coordonnateur. De plus, tant les sociothérapeutes que les infirmier(e)s ont reçu la formation OMÉGA, ce qui leur permet d’appliquer des techniques appropriées aux situations qu’ils rencontrent dans leur travail.

[221] Il s’agit de moyens appropriés pour faire une bonne adéquation entre les besoins particuliers et ponctuels des patients et les effectifs en place, s’assurant d’une répartition judicieuse des effectifs.

[222] En résumé, la Commission des lésions professionnelles constate que nul ne se plaint ici des règles qui régissent la composition initiale des équipes de travail, qui n’ont fait l’objet d’aucune récrimination : la présence minimale de deux sociothérapeutes et de deux employés réguliers dans une même équipe de travail.

[223] Ce sont les pouvoirs dont le tribunal dispose en vertu de l’article 377 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles24 (la loi) qui lui permettent d’en venir à cette conclusion. Cette disposition lui permet également de rendre la décision qui aurait dû être rendue.

[224] Or, durant les périodes d’absence, il existe une seule règle, celle de la « couverture » dont les objectifs ne sont pas clairs, selon la constatation du tribunal. La preuve a permis d’identifier des pratiques variables et qui font l’objet d’interprétations divergentes quant aux objectifs.

24 L.R.Q. c. A-3.001

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316751-71-0705 35 [225] La diminution des effectifs causée par une période d’absence temporaire d’un membre de l’équipe est de nature à diminuer la sécurité. L’employeur n’a pas démontré que les méthodes de remplacement mises en place durant les périodes d’absence de courte durée permettent le maintien en tout temps d’une équipe de travail sécuritaire.

[226] Or, plusieurs solutions peuvent être envisagées pour mieux encadrer ces périodes d’absence de courte durée et s’assurer que l’organisation et les méthodes de travail durant ces périodes d’absence soient ou demeurent sécuritaires.

[227] Vu les circonstances, il n’appartient pas à la Commission des lésions professionnelles d’imposer à l’employeur des solutions qui peuvent avoir un impact sur la distribution des effectifs, et ce, d’autant plus qu’il n’y a aucune preuve sur ces aspects du dossier. De plus, le tribunal n’est pas le mieux placé pour trouver des solutions qui doivent être ensuite appliquées par ceux et celles qui ont la meilleure connaissance du milieu de travail.

[228] Il apparaît qu’un délai de 90 jours est suffisant pour permettre à l’employeur d’examiner les méthodes de remplacement pour les absences de courte durée et de s’assurer qu’elles soient sécuritaires.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIO NNELLES :

ACCUEILLE EN PARTIE la requête présentée par l’Institut Philippe Pinel de Montréal, l’employeur;

MODIFIE la décision rendue le 25 avril 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’employeur devrait, durant les périodes où un membre de l’équipe de travail à l’unité E-2 doit s’absenter pour une courte durée à l’intérieur d’un quart de travail, faire en sorte que les méthodes de remplacement utilisées assurent et maintiennent des équipes de travail sécuritaires;

ORDONNE à l’employeur, dans un délai de 90 jours, de transmettre à l’inspecteur les mesures nécessaires qu’il entend prendre pour identifier les risques pouvant affecter la santé et la sécurité des travailleurs lors des périodes d’absence de courte durée à l’intérieur d’un même quart de travail d’un membre d’une équipe de travail à l’unité E-2;

ORDONNE à l’employeur, dans un délai de 90 jours, de transmettre à l’inspecteur les mesures nécessaires qu’il entend prendre pour s’assurer que l’organisation du travail et les méthodes et techniques utilisées lors des remplacements d’un membre d’une

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316751-71-0705 36 équipe de travail à l’unité E-2 lors d’une absence de courte durée dans un même quart de travail, soient sécuritaires et ne portent pas atteinte à la santé des travailleurs.

__________________________________ Anne Vaillancourt Commissaire Me Jean-Claude Turcotte LORANGER, MARCOUX Représentant de la partie requérante Me Josée Lavallée MELANÇON, MARCEAU, GRENIER & ASS. Représentante du travailleur Me Gabriel Miron PANNETON LESSARD Représentant de la partie intervenante