journal de l'afrique n°4 spécial burkina faso

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SOMMAIRE1- « Burkina Faso : la révolution dans tous ses détails ». Par notre envoyé spécial à Ouagadougou, Mikaël Aurélio DOULSON ALBERCA2- « L’insurrection populaire a été scientifiquement bien préparée ». Par Hyppolite Domboué et Fulbert Paré3- « Compromise par son soutien à Compaoré, la France doit tirer les leçons de la révolte burkinabè ». Par Survie4- « Vie et combats de Thomas Sankara ». Par Saïd Bouamama5- « Burkina-Faso : Chronique d’une Révolution populaire confisquée ». Par Samuel Njufom

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  • Le Journal de lAfrique N004

    SPECIAL BURKINA FASO

    Sommaire

    Editorial Burkina Faso : Alternance ou alternatives Par Carlos Silenou & Michel Collon

    1- Burkina Faso : la rvolution dans tous ses dtails

    Par Mickael Doulson

    2- Linsurrection populaire a t scientifiquement bien prpare Par Hyppolite Dombou & Fulbert Par

    3- Compromise par son soutien Compaor, la France doit tirer

    les leons de la rvolte burkinab Par Survie

    4- Vie et combats de Thomas Sankara

    Par Said Bouamama

    5- Burkina Faso : Leons de Ouagadougou- Chronique d'une rvolution populaire confisque

    Par Samuel Njufom

  • EDITORIAL DU JOURNAL DE L'AFRIQUE N004

    Burkina Faso : Alternance ou alternatives

    Depuis le 30 octobre, toute lAfrique regarde le Burkina Faso. Et le monde aussi. Faitrare, la presse occidentale salue la bravoure et le sens des responsabilits du peuple burkinab,soulev comme un seul homme pour crier Dgage ! au dictateur vie BlaiseCompaor. Touchantes flicitations ! Y aurait-il unanimit de points de vue entre lOccident,la classe politique burkinab, la socit civile et les milliers de manifestants anonymes ? Ilnous parat que lheure est au questionnement.

    Est-ce dj la victoire ? Lordre tabli est-il dj renvers ? Tous les ennemis ont-ils t identifis et carts ? Lerreur serait de penser que la chute de Compaor gale lavictoire dfinitive. Il ntait quun simple technicien de surface charg dappliquer desplans penss par les capitalistes - imprialistes et leurs rseaux mafieux comme laFranafrique. Il est parti, ses patrons restent. Le peuple doit tre flicit mais ne peut relcherle combat. Car lennemi se mtamorphose : subrepticement, les forces contre-rvolutionnaireslemportent sur la volont du peuple.

    Dabord, le prsident dchu a t exfiltr par la France, pour ses bons et loyauxservices envers la Mre patrie. Pourtant, la France tait nommment dnonce par lesinsurgs comme la bnficiaire de leur misre. Ensuite, le ballet des diplomates occidentaux Ouagadougou nest pas forcment un bon signe pour le peuple combattant. Les charognardsne rdent jamais autour dun cadavre pour rien ! Enfin, et le fait est assez grossier pour ne pastre soulign, cest le lieutenant Colonel Isaac Zida, commandant en second de la gardepersonnelle de Compaor qui a gr la pr-transition. Pourtant, avec le gnral GilbertDiendr, il a constitu la colonne vertbrale de la longue dictature. Comment parler de rvolution avec ces deux individus la manuvre ?

    De fait, la personnalit dite consensuelle qui sera dsigne pour grer la transitiondevra passer son temps mnager les diffrentes factions sociales (y compris le clanCompaor), au lieu de prendre des dcisions courageuses. Une vraie Rvolution au Burkinaaujourdhui devra remettre en cause lordre nocolonial qui rgne ici et partout en Afriquedepuis 1960.

    La rvolte a montr la force du peuple, il lui reste dfinir son alternative, pourdfendre son intrt lui. Bien autre chose quune alternance des marionnettes.

    Carlos Silenou & Michel Collon

  • Burkina Faso : la rvolution dans tous sesdtails

    Un dossier d'actualit ralis par l'envoy spcial Mikal Doulson

    pour InvestigAction.

    La patrie ou la mort : les hommes intgres la (re)conqute de leurlibert

    Le vendredi 31 octobre 2014 vers midi, le Prsident du Faso Blaise Compaordmissionne, mettant fin 27 ans de rgne autoritaire sur le pays des hommes intgres.Cdant sous la pression du peuple, il fuit en Cte dIvoire (grce aux moyens mis en place parla France) pour chapper la justice populaire que rclament les Burkinab. Etonnammentson frre Franois, pourtant arrt la veille laroport alors quil tentait de fuir le pays,semble avoir lui aussi bnfici de la magnanimit du nouveau chef de lEtat le lieutenant-colonel Isaac Yacouba Zida, qui lui a permis de rejoindre le Bnin et dviter ainsi la vindictepopulaire.

  • Derrire toutes ces oprations se profile lombre dun puissant et secret personnage : legnral Gilbert Diendr, qui fut lhomme de main de Blaise Compaor durant tout son rgne.Diendr est impliqu dans toutes les dossiers noirs de lre Compaor, depuis lassassinat deThomas Sankara jusqu celui de Norbert Zongo en passant par ceux de Jean-BaptisteLingani, Henri Zongo, David Oudraogo et bien dautres (voir le portrait de Gilbert Diendr la fin de larticle). Mais pour comprendre et analyser les intrts en jeu ainsi que lesdiffrents acteurs gravitant dans les sphres du pouvoir, il convient dabord de revenirrapidement sur la chronologie des vnements, qui ont prcipit en quelques jours la chute durgime Compaor.

    28 octobre 2014 : un million de voix hurlent sous ses fentres, et il reste sourd

    Suite la dcision du Conseil des ministres du 21 octobre de valider le projet de loivisant modifier larticle 37 de la Constitution afin de permettre Blaise Compaor debriguer un nime mandat aux lections prsidentielles de 2015, les partis dopposition auCDP et des organisations de la socit civile appellent une mobilisation nationale pourdemander au gouvernement labandon du projet de loi. Ce nest pas la premire manifestationde ce genre, puisque depuis plus dun an des manifestations sont organises dans tout le payspour protester contre la modification de la Constitution.

    Les manifestations du 18 janvier 2014 et du 23 aot 2014 par exemple, avaient djmobilis plusieurs centaines de milliers de personnes travers tout le pays, et le 27 octobre2014 une marche des femmes , pourtant interdite par la Mairie de Ouagadougou, a permisaux ouagalaises dexprimer leur mcontentement face un rgime sourd leurs aspirations.

    Mais la journe du 28 octobre, place sous le signe de la dsobissance civile, abattu tous les records. Les organisateurs parlent de plus dun million de personnes dans lesrues de Ouagadougou, alors que le pays compte 17 millions dhabitants.

  • A la fin de la marche, au lieu de regagner comme cela tait prvu la Place de la Nationet de se disperser, les manifestants dcident de faire demi-tour et de marcher vers lAssembleNationale.

    En effet, cest lAssemble Nationale que les dputs doivent se prononcer le 30octobre sur le projet de loi controvers. Le 26 octobre, les dputs du troisime partilADF/RDA ont rejoint le camp du CDP (parti de Blaise, majoritaire lAssemble), ce quifait craindre au peuple que le rfrendum initialement prvu ne soit pas convoqu et que lamodification de la Constitution se dcide sans lui sur les siges de lAssemble.

    Encourags par les chanteurs Smockey et Samsk le jah (des leaders du mouvementpopulaire et apolitique Balai citoyen , qui vise balayer Blaise du pouvoir) lesmanifestants se dirigent donc vers lAssemble, et se heurtent au cordon de CRS. Aprs unsit-in pacifiste au Rond-point des Nations Unies, des heurts clatent : les CRS lancent desgrenades assourdissantes et des grenades lacrymognes pour disperser les manifestants.

    Sensuit un mouvement de foule et une panique au sein des manifestants, qui ferontplusieurs blesss. Les manifestants sorganisent et tentent doccuper une place stratgique ; ilsmontent des barricades et tentent de contenir les incursions des pick-up des CRS. Les CRSutilisent galement un canon eau mont sur un camion pour repousser les manifestants.

  • La manifestation dgnre en gurilla urbaine aux relents dintifada, et les pierres desmanifestants rpondent aux grenades lacrymognes des CRS. Daprs de nombreuxtmoignages, les CRS prsents ne sont pas burkinab, mais togolais, ivoiriens ou maliens. Ceseraient des mercenaires pays par le rgime, qui a consience que les CRS burkinab (quisubissent galement les affres du pouvoir Compaor) pourraient prendre le parti desmanifestants et se ranger du ct du peuple, comme on la vu parfois lors du printemps arabeou des affrontements en Espagne et en Grce.

    29 octobre 2014 : barricades et protestations contre la vie chre

    Le matin, une manifestation contre la vie chre rassemble des dizaines de milliers depersonnes dans le centre-ville de Ouagadougou, mais contrairement la veille cerassemblement se droule dans le calme et ne donne pas lieu de dbordements. La journe etla nuit, de nombreux barrages (composs de branches, pancartes, barrires et pneus brls)sont installs par la population dans plusieurs quartiers de Ouagadougou et sur des axesstratgiques, afin de mettre la pression sur le gouvernement et les dputs avant le vote dulendemain.

    Autour de la Place de la Nation, des courses-poursuites sengagent en pleine nuit entredes pick-up de CRS et des manifestants pied ou moto. Les manifestants, sils sont pris,sont copieusement tabasss et emmens dans les pick-up.

  • 30 octobre 2014 : les flammes de la rvolution embrasent le pays

    Le vote des dputs, initialement prvu 16h, est avanc 10h du matin. Loppositionpolitique et les leaders dorganisations de la socit civile appellent la population serassembler ds 6h du matin sur la Place de la Nation, et de marcher sur lAssemble nationalepour empcher ce vote. Selon eux, le vote ne peut se drouler dans la plus grandetransparence et libert, car certains dputs auraient subi des pressions pour voter en faveur dela rvision de la Constitution.

    Depuis plusieurs jours, les dputs de la majorit prsidentielle sont dailleurs logs lhtel de luxe Azala (jouxtant le btiment de lAssemble nationale) afin de garantir leuraccs lAssemble le jour du vote. Un important dispositif de scurit est mis en placeautour de lAssemble Nationale et de lhtel Azala : des pick-up de CRS et des camionsmilitaires empchent les manifestants daccder lAssemble.

    Aprs plusieurs heures daffrontements entre manifestants et CRS, et bien que lonentende rgulirement les militaires tirer balles relles, la dtermination des manifestants araison de la dmonstration de force du rgime. Les manifestants prennent lAssemblenationale, la saccagent et lincendient afin que le vote nait pas lieu.

  • Une fois le but initial atteint, dautres objectifs se font jour, refltant les aspirationsnouvelles qui ne sont plus seulement dempcher le vote mais de faire tomber le rgime et dechasser le prsident. Pendant quune partie des manifestants assige lhtel Azala o sontrfugis les dputs du CDP, une autre partie incendie le sige du CDP, et une autre encore sedirige vers la maison de Franois Compaor (le frre cadet de Blaise, et lun des hommes lesplus puissants du pays) mais ces derniers sont arrts par des militaires. Les btiments etmagasins appartenant des caciques du rgime sont systmatiquement pills et incendis.

  • Une vendetta populaire sorganise, car la population demande justice aux voleurs etassassins du peuple. Lobjectif final se dessine alors : il faut marcher sur Kosyam (le PalaisPrsidentiel) pour en dloger loccupant de 27 ans, manifestement rcalcitrant laisser saplace au prochain locataire.

  • Des dizaines de milliers de personnes se dirigent alors vers le Palais Prsidentiel (une dizaine de kilomtres du centre-ville), qui pied, qui moto, en scandant : LibrezKosyam, librez Kosyam, librez Kosyam ! .

    Arrivs proximit du Palais, des soldats du RSP (Rgiment de ScuritPrsidentielle, la garde personnelle du Prsident) tirent balles relles sur les manifestants,faisant plusieurs morts et des dizaines de blesss.

    A ce stade, le gnral Gilbert Diendr, le chef des RSP, vient au devant desmanifestants et demande aux leaders du mouvement de cesser leur avance, tant donn queleur objectif premier (empcher le vote lAssemble) a t atteint. Herv Ouattara, leprsident du Collectif Anti-Rfrendum qui tait au devant des manifestants, refuse cetteproposition, et exige de rencontrer le prsident Blaise Compaor pour lui signifier la volontdu peuple quil quitte le pouvoir. Le prsident le reoit, et aprs quelques changes lui prometde prsenter sa dmission le jour mme et devant les mdias, afin dviter dautres effusionsde sang. Forts de cette promesse, et conscients de ne pas faire le poids contre les RSP sur-arms, Herv Ouattara et les autres manifestants rebroussent chemin et se regroupent laPlace de la Nation. La dclaration attendue narrivera jamais, et au contraire Blaise Compaorsemble encore vouloir saccrocher au pouvoir.

  • Entretemps, nous apprenons que Franois Compaor a t arrt laroportinternational de Ouagadougou alors quil tentait de fuir le pays. Le bilan humain de lajourne est grave : une trentaine de morts et des centaines de blesss.

    Au cours de cette journe rvolutionnaire, et depuis le dbut des manifestations qui ontponctu ces derniers mois, les ides et les paroles de Thomas Sankara ont t reprises avecforce par les manifestants. Dans les rues, au cours des marches pacifistes comme au cur desviolents affrontements avec les forces de lordre, les slogans sankaristes revigoraient lestroupes. Les manifestants marchaient sur lAssemble en criant :

    Quand le peuple se met debout, limprialisme tremble ,

    Seule la lutte libre ,

    Oser lutter, savoir vaincre ,

    Lesclave qui nassume pas sa rvolte ne mrite pas

    que lon sapitoie sur son sort ,

  • ou encore:

    L o sabat le dcouragement

    slve la victoire des persvrants .

    Spontanment, les foules scandaient :

    La victoire, au peuple ! La libert, au peuple !

    Le colonialisme, bas ! Le nocolonialisme, bas !

    Limprialisme et ses valets locaux, bas ! comme au temps de la rvolution sankariste trois dcennies plus tt. Enfin, lorsque lesaffrontements se calmaient, la foule rassemble en rangs serrs et le poing lev entamaitlhymne national, compos par Thomas Sankara en 1984 :

    Et une seule nuit a rassembl en elle lhistoire de tout un peuple.Et une seule nuit a dclench sa marche triomphale vers lhorizon du bonheur. Une seule nuit a rconcili notre peuple avec tous les peuples du monde, la conqute de la libert et du progrs. La patrie ou la mort, nous vaincrons ! .

    Thomas Sankara, assassin par son compagnon darmes Blaise Compaor, nest plusl, mais son ombre bienveillante a plan sur le peuple tout au long de la rvolution doctobre2014. Son hritage est bien prsent, port par une jeunesse qui sauto-dfinit comme la gnration consciente , en mal didologie rvolutionnaire mme de lui promettre deslendemains meilleurs. De nombreux manifestants mont confi, la fiert dans les yeux et dansla voix : Nous sommes tous des enfants de Thomas Sankara .

  • Le 30 octobre au soir, le chef de ltat-major des Armes le gnral Honor Traor faitune dclaration dcrtant la dissolution du gouvernement, labandon du projet de loi etltablissement de ltat de sige. Ainsi, larme prend le pouvoir, mais ne renverse pas BlaiseCompaor qui bnficie toujours de la double casquette de Ministre de la dfense et dePrsident du Faso. Un couvre-feu est alors impos de 19h 6h du matin, officiellement pourempcher les casses et les pillages. Dans la nuit, Blaise fait une dclaration confirmant ladissolution du gouvernement et labandon du projet de loi, mais il annule ltat de sige.

    Dans sa dclaration, il appelle la constitution dun gouvernement de transition dont ilresterait la tte afin dorganiser des lections prsidentielles dans 12 mois, ignorant ainsi lavolont du peuple qui exige son dpart immdiat. Devant cet ultime affront, les manifestantspromettent de se mobiliser le lendemain et de marcher nouveau sur Kosyam, quitte mourirsous les balles des RSP, si Blaise ne dmissionne pas. La tension est son comble, la journede demain promet une hcatombe. Comme le dit le dicton, cest quand le vieux lion maladeest accul contre un mur, quil est le plus dangereux .

  • 31 octobre 2014 : la France exfiltre le vieux lion au nez et la barbe dupeuple

    Le matin, une foule dense sest runie devant le sige de ltat-major des Armes, nonloin de la Place de la Nation (renomme dsormais Place de la Rvolution , comme dutemps de la rvolution sankariste).

    Les chefs des partis dopposition y sont runis pour rencontrer le Chef dtat-majordes Armes le Gnral Honor Traor. A lissue de cette concertation, la population qui attendune dclaration de la part dHonor Traor sattend ce quil annonce un putsch. Or, la foulerefuse cette ventualit, car le gnral Honor Traor a t mis en place par Blaise aprs lamutinerie de 2011. Sil saccaparait le pouvoir aujourdhui, ce serait comme si lon remplaait Blaise Compaor par Compaor Blaise comme la fait remarquer unmanifestant. Les manifestants rclament le Gnral Kwam Lougu, lancien Chef dtat-major des Armes qui stait soulev contre Blaise Compaor en 2011 et qui avait tremplac par Honor Traor. La foule scande : Librez Lougu, Librez Lougu, LibrezLougu ! . Une partie des protestataires, perdant patience devant le mutisme de larme et nesachant quels saints se vouer, dcide de marcher nouveau sur Kosyam pour en dlogerBlaise, vaille que vaille.

  • Aux alentours de midi, une nouvelle apprise par communiqu la radio tombe commeun couperet salvateur : Blaise Compaor, qui a rgn pendant prs de trois dcennies sur leBurkina Faso, annonce sa dmission et dclare la vacance du pouvoir . Le vieux lion quittele pouvoir, et fuit en direction de P escort dune trentaine de 4x4 et de plusieurs camionsmilitaires.

  • La France fournit un hlicoptre (Franois Hollande la rvl lors dun discours auCanada le 4 novembre 2014) pour lui permettre de rejoindre larodrome de Fada NGourma,do il dcolle pour la Cte dIvoire. Il rejoint sa femme Chantale Yamoussoukro, sous leshospices bienveillantes du Prsident ivoirien francophile Alassane Ouattara (qui a bnfici delaide du mdiateur Blaise Compaor pour prendre le pouvoir ).

    Lannonce officielle de la dmission de Blaise sonne lheure de la victoire, que chacunfte dans la liesse et lalacrit. Le Burkina Faso entier, rassembl pour loccasion en un seulpeuple, clbre avec soulagement la fin de 27 ans de dictature. Les langues et les curs sedlient, le dictateur nest plus, la libration est totale.

    Si Franois Hollande salue aujourdhui diplomatiquement la dmission de Blaise, cemme Hollande lui avait envoy un courrier le 7 octobre pour lui proposer une porte de sortie,lenjoignant daccepter un poste au sein dune organisation internationale (il tait par exemplepressenti pour diriger lOrganisation Internationale de la Francophonie). Blaise avait alorsrtorqu quil tait trop jeune pour ce type de poste (sic).

  • Mais la joie est malheureusement de courte dure, puisque dans la foule le GnralHonor Traor dclare quil est le nouveau chef de lEtat et quil sassurera de la transitiondmocratique . Le peuple proteste, la foule parvient franchir le cordon de scurit et gagner la cour de ltat-major.

    Devant cette nouvelle dstabilisation, un autre homme fait une dclaration la Placede la Nation vers 18h : le lieutenant-colonel Isaac Yacouba Zida, n2 des RSP, veut mettre delordre dans les rangs. Il annonce la suspension de la Constitution, et la cration dun organede transition (sans prciser qui est sa tte) jusquau retour de lordre constitutionnel. Lors desa dclaration, on aperoit ses cts des leaders du mouvement Balai citoyen. Les Burkinabne savent plus o donner de la tte, ni qui dirige leur pays : Honor Traor (issu de larmergulire) ou Isaac Zida (issu de la garde prsidentielle) ? Le suspense est lev vers 2h dumatin, lorsque le lieutenant-colonel Zida fait une dclaration cette fois dpourvuedambigut, o il annonce quil prend la responsabilit du pouvoir et se proclame Prsidentde la transition. Il annonce galement la fermeture des frontires terrestres et ariennesjusqu nouvel ordre.

    Le prsident du Collectif Anti-Rfrendum (CAR) Herv Ouattara a rvl que dans lanuit du 30 octobre, avant mme que Blaise ne donne sa dmission, les leaders desmouvements dopposition de la socit civile (CAR, Balai citoyen) ont entam desngociations avec le lieutenant-colonel Zida et dautres personnes proches du pouvoir pourleur signifier quils refusaient le gnral Honor Traor comme chef de lEtat. Un consensus aalors merg pour encourager Zida prendre ses responsabilits et renverser HonorTraor, ce quil fit dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre.

  • 1er novembre 2014 : opration mana-mana , du balai citoyen aubalai de la propret

    Lheure est au grand nettoyage, au sens premier du terme. A lappel de certaines radioset mus par la volont de mettre de lordre dans leur ville saccage par plusieurs joursdaffrontements et de pillages, des milliers de citoyens sortent spontanment, un balai lamain, et commencent nettoyer la ville. Ceux-l mme qui hier dressaient des barrages,rigeaient des barricades, lanaient des pierres et dtruisaient des btiments appartenant descadres de lancien rgime, mettent aujourdhui la mme fougue et la mme nergie dgagerles voies, balayer les grandes avenues et les six mtres , et rorganiser la circulationautomobile. Une belle leon de civisme, adresse humblement mais avec une certaine fiertaux citoyens du monde entier. Nous avons dtruit, nous allons reconstruire. Nous voulonsque ltranger de passage dans notre ville sy sente bien, et quil voie que nous sommesautant capables de balayer un rgime corrompu que la salet dans nos rues. Ce balai estnotre arme, et dornavant les prsidents-dictateurs auront peur du balai ! .

    En mme temps que se poursuit lopration mana-mana ( propre-propre ), undernier btiment est copieusement saccag, inspect et fouill : le domicile de FranoisCompaor, le frre de Blaise. Protge par des militaires jusqu lannonce de la dmission deBlaise, la maison a t prise dassaut et pille ds le 31 octobre.

  • Outre les nombreux objets et mobiliers de luxe emports par les pillards, dautres objets ontsuscit ltonnement et lindignation des visiteurs : des ftiches, des amulettes, des plumes,des ttes de mouton, des vtements tachs de sang, et des photos montrant Salah (la femme deFranois Compaor) buvant le sang dun albinos au cours dun rituel satanique.

    Ce sont des preuves charge contre le couple Compaor, souponn de longue datedaccomplir des sacrifices humains pour se voir accorder pouvoir et prosprit. Un reportagede France 24 ayant dvoil ces rumeurs, en guise de rponse la famille de Franois Compaorsest fendue dun communiqu justifiant cette mise en scne :

    Les images et photos msinterprtes et instrumentalises par la presse ne sont riendautre que des uvres de mise en scne dart plastique, cres par notre fille, lve en classede Premire au Lyce Franais Saint-Exupry de Ouagadougou. .

    Cette explication semble peu crdible, car lorsquon connat limportance et la gravitde ces croyances largement rpandues, on imagine mal la fille de lhomme le plus puissant dupays samuser mettre en scne sa mre dvorant un albinos, et prsenter son travail soncours dArt plastique au trs distingu lyce franais.

    Le soir, le couvre-feu est repouss, et prend effet dsormais de 22h 6h du matin.

    2 novembre 2014 : les RSP assoient leur autorit par la force

    Au sein de la population, le doute et la mfiance regagnent du terrain envers lenouveau Chef de lEtat le lieutenant-colonel Zida. Ntait-il pas encore un des chefs des RSPlorsque ces forces ont tir sur les manifestants devant Kosyam pour protger Blaise Compaorpuis organiser sa fuite ? Forts de ce constat, les leaders de lopposition politique appellent un rassemblement sur la Place de la Rvolution afin de demander Zida de remettre lepouvoir aux civils. Des milliers de personnes ont fait le dplacement, et exigent le dpart deZida, avec des slogans vocateurs :

    On ne remplace pas le diable par un diablotin , Qui a donn lordre de tirer sur la foule ? ,

    ou encore plus explicite : Zida, dgage ! .

  • Certains groupes de manifestants vont jusqu souhaiter le dpart immdiat de Zida encriant : Aujourdhui, aujourdhui, aujourdhui ! , et menacent de marcher nouveau surKosyam. Les leaders de lopposition se retirent pour se concerter avec un reprsentant delUnion Europenne, mais la foule simpatiente : Sils ne sont pas capables de trouver uncandidat pour prendre la tte dun organe civil assurant la transition, nous allons le choisirnous-mmes ! . Certains manifestants plbiscitent alors la prsidente du Parti pour leDveloppement et le Changement (PDC) Saran Srm, arguant que les hommes ont deuxlangues et on ne sait pas laquelle croire, on va donc choisir une femme qui na quuneparole . Les manifestants la pressent de faire une dclaration, mais la sono tant dfectueuseils laccompagnent ( de force , dira plus tard Srm) au sige de la Radio TlvisionBurkinab (RTB) pour quelle sadresse la Nation. Mais le cortge de Saran Srm estdevanc de quelques minutes par le gnral Kwam Lougu, escort par des CRS et desmilitaires.

    Le gnral entre sur le plateau de la RTB et dclare aux camras quil est le nouveauchef de lEtat. Les techniciens tant absents et le signal de la RTB coup, le message ne serajamais diffus et seules les personnes prsentes dans le studio auront connaissance de ce coupdclat aux allures de coup dEtat.

  • A lextrieur, la foule attend une dclaration de Saran Srm, qui temporise. Soudain, 13h55 des coups de feu clatent autour du sige de la RTB. Un feu nourri et ininterrompupendant plusieurs minutes, qui fait fuir dans la panique la plus totale la plupart des personnesprsentes. Ce sont les RSP qui encerclent la RTB, pour reprendre le pouvoir que vient desauto-attribuer Kwam Lougu. Le lendemain, la femme de Lougu diffusera uncommuniqu sinquitant du sort de son mari, dont elle na plus aucune nouvelle depuis sadclaration la RTB.

    Officiellement, les RSP nont procd qu des tirs de sommation pour disperser unefoule qui menaait lintgrit du matriel de la RTB , et les tirs auraient fait un mort.Pourtant selon nos informations, au moins trois personnes auraient pri au cours de lafusillade, et au vu de ce bilan morbide on peut se demander si tous les tirs taienteffectivement des tirs de sommation.

    Suite ce coup de force des RSP de Zida, les militaires prennent position dans la villeet dfendent des points stratgiques. Zida et ses hommes installent leur quartier gnral auCES (Conseil Economique et Social), non loin du rond-point des Nations Unies, en pleincur du centre-ville. Pour faire bonne figure auprs de la communaut internationale ,Zida annule la suspension de la Constitution, rouvre les frontires, et dclare vouloir engagerrapidement une passation du pouvoir aux civils.

    Le couvre-feu est nouveau repouss, et court dsormais de minuit 5h du matin. Lesoir mme, une rencontre est organise au CES avec les leaders de lopposition politique, lesambassadeurs tats-unien et franais, la coopration suisse et dautres dignitairesinternationaux. On y aperoit le Gnral Gilbert Diendr (chef des renseignements et n1 desRSP, donc le chef direct de Zida et lhomme de main le plus proche de Blaise Compaor),alors quon le disait en fuite ltranger.

    Sa prsence Ouagadougou alimente les rumeurs : si Zida est fidle Diendr, etDiendr fidle Blaise, nest-ce pas encore Blaise qui dirige le pays distance ?

  • Du 3 au 10 novembre 2014 : aprs le balai citoyen, place au balletdiplomatique

    Commence alors un cycle de rencontres et de concertations avec tous les acteursnationaux, sous rgionaux et internationaux afin de dfinir les contours de la transition. Silon sen tient strictement au cadre lgal prvu par la Constitution (article 43) : "en cas devacance de la prsidence du Faso pour quelque cause que ce soit ou dempchement absolu oudfinitif constat par le Conseil constitutionnel saisi par le gouvernement, les fonctions duprsident du Faso sont exerces par le prsident de lAssemble nationale".

    Or, la population refuse catgoriquement que Soungalo Appolinaire Ouattara,Prsident de lAssemble nationale sous Blaise Compaor jusquau 31 octobre 2014, prennesa succession. Les jours qui suivent le 2 novembre sont donc lobjet dintenses tractationsentre le rgime de Zida et tous les acteurs politiques en prsence afin de dgager unepersonnalit mme de prendre la tte de la priode de transition. Zida rencontre notammentles missaires de lONU, de lUA (Union Africaine), de la CEDEAO (Communautconomique des tats dAfrique de lOuest) (le 3 novembre au CES), de lEglise et desautorits coutumires et religieuses (notamment le Moogo Naaba le 4 novembre au matin),ainsi que certains prsidents africains de la CEDEAO (Macky Sall du Sngal, John DramaniMahama du Ghana, Goodluck Jonathan du Nigria, runis le 5 novembre lhtel Laico deOuagadougou, ou encore le prsident en exercice de lUA et chef de lEtat mauritanienMohamed Ould Abdel Aziz le 10 novembre). Au cours de toutes ces rencontres, le lieutenant-colonel Zida raffirme son intention de rendre le pouvoir aux civils ds que lopposition et lasocit civile auront dgag une personnalit mme de prendre la tte de la priode detransition.

  • LUnion Africaine et la CEDEAO (Communaut conomique des tats dAfrique delOuest) donnent un dlai de 15 jours Zida ( compter de sa prise de fonction le 1ernovembre) pour remettre le pouvoir aux civils, faute de quoi des sanctions pourraient treprises. Lultimatum est donc fix au 15 novembre 2014. Ds le 4 novembre, le Canada dcidede suspendre son aide au dveloppement (qui slevait 30 millions deuros pour la priode2012-2013) jusqu llection dun gouvernement civil stable et lu dmocratiquement auBurkina Faso. Le 10 novembre, aprs plus dune semaine de tractations quotidiennes etfastidieuses entre le nouveau pouvoir burkinab et les acteurs en prsence, un projet de chartede transition est remis par lopposition politique et la socit civile au lieutenant-colonel Zida.Le texte prvoit un Prsident de la transition (qui devra tre un civil), un Premier ministre, ungouvernement de 25 ministres, de nombreuses commissions et une Assemble nationale de 90membres compose en grande majorit de civils (40 issus des rangs de lopposition, 30 de lasocit civile et 10 de lancienne majorit). Les membres de cette Assemble auront le droitde se prsenter aux prochaines lections prsidentielles de 2015, mais pas les membres delexcutif qui seront inligibles, ceci afin dviter dvidents conflits dintrt potentiels.

    Quelques jours auparavant, le 4 novembre 2014, deux dclarations prsidentielles ontindign les Burkinab : dune part, le prsident ivoirien Alassane Ouattara a dclar queBlaise Compaor, install dans le Giscardium - un btiment rserv aux htes de laprsidence - Yamoussoukro, pouvait y rester autant de temps quil le souhaitait. Dautrepart, le prsident franais Franois Hollande a avou officiellement que la France a fait ensorte que le prsident, qui ntait plus prsident, puisse tre vacu vers la Cte dIvoire []en mettant disposition tous les moyens qui pouvaient tre utiles , ceci pour permettre latransition .

    Le rle des autorits franaises dans ce dpart et dans la suite des vnements nest pasencore clairci, mais mrite dtre tudi de prs afin dviter laccaparement des fruits de larvolution par des puissances trangres dans les mois venir.

    Mikal Aurlio DOULSON ALBERCA

    Ouagadougou, le 11 novembre 2014

    Photos de la Rvolution Burkinab: LIEN

    Pour accder lensemble des vidos de la rvolution burkinab :LIEN

    Crdit des photos et des vidos dans ce reportage : Mikal Aurlio DOULSON ALBERCA

  • Pour mieux comprendre les enjeux et les rapports de force de cette phase post-rvolutionnaire, faisons un point sur quelques acteurs burkinab en prsence :ADF/RDA : Troisime parti politique du pays, issu de la fusion de deux partis dopposition :lAlliance pour la Dmocratie et la Fdration, et le Rassemblement Dmocratique Africain.Le 26 octobre 2014 soit quatre jours avant le vote prvu lAssemble nationale, lesdputs de lADF/RDA rejoignent le camp du CDP, qui espre ainsi faire passer la loimodifiant larticle 37 de la Constitution sans convoquer de rfrendum. Alizta Oudraogo :Femme daffaires et Prsidente par intrim de la Chambre de commerce et dindustrie(CCI). Elle est la mre de Salah Compaor, la femme de Franois Compaor. Elle possdeplusieurs socits dans diffrents secteurs lucratifs : limmobilier, la construction et le BTP( travers la Socit de construction et de gestion immobilire du Burkina), le cuir, lesmines, les tlcommunications... Selon le journal Jeune Afrique, elle est aujourdhui lafemme la plus prospre du pays et nous pouvons ajouter quelle est certainement la plusinfluente. Assimi Kouanda : Secrtaire excutif national du parti CDP sous lre Compaor.Le 25 octobre 2014, quelques jours avant le dbut de la Rvolution qui a enflamm le payset lancien rgime, Assimi Kouanda dclarait : Prparons-nous parce quil y a des gensqui croient que lalternance est une scrtion mcanique. Sils [les manifestants] vont brlerune maison, il faut quau retour, ils trouvent que leur maison aussi brle. [] Allonsorganiser des brigades afin que notre raction soit immdiate. Les troubleurs seronttroubls. . Le 30 octobre lAssemble flambe, le 31 Blaise dmissionne, le 4 novembre2014 Assimi Kouanda est arrt.

    Bnwend Stanislas Sankara : Il est le prsident de lUnion pour la Renaissance / Partisankariste (UNIR/PS), devenu en octobre 2014 le Front Progressiste Sankariste (FPS) quirunit plusieurs partis dobdience sankariste. Il est le seul membre du CFOP (coalition despartis dopposition politique) navoir jamais appartenu au CDP ni t un proche de BlaiseCompaor. Malgr la vivacit de lidologie rvolutionnaire sankariste au sein de lapopulation burkinab (surtout chez les jeunes), les partis politiques sankaristes recueillentassez peu de suffrages lors des lections, cause notamment de leurs divisions. Avocat deformation, Bnwend Sankara participe au Comit de Dfense de la Rvolution (CDR)entre 1984 et 1986 sous la prsidence de Thomas Sankara. Aprs son assassinat,Bnwend Sankara devient lavocat de la famille de Thomas Sankara, qui demandequune enqute soit conduite pour faire la lumire sur les circonstances de sa mort et jugerles commanditaires de son assassinat.

    Gilbert Diendr (gnral) : Il est le chef dtat-major particulier du Prsident du FasoBlaise Compaor depuis son arrive au pouvoir en 1987 et jusqu dmission en 2014.Gilbert Diendr est galement le chef de la garde prsidentielle RSP (Rgiment deScurit Prsidentielle), une troupe dlite ddie la protection rapproche du Prsidentdu Faso. Enfin, il dirige depuis la prsidence la cellule de coordination des Renseignementsgnraux, regroupant les services de renseignements de la gendarmerie, de la police, desdouanes et de larme. On le dit proche de lancien ambassadeur franais au Burkina Fasoqui y a exerc de 2010 2013, le gnral Emmanuel Beth (celui-l mme qui commandaitla Force Licorne en cte dIvoire en 2002 et 2003). Le gnral Gilbert Diendr estconsidr par certains mdias et analystes comme lhomme le plus puissant du BurkinaFaso aprs Blaise Compaor lui-mme . Et le gardien de bien des secrets du rgime.Cest Diendr qui supervisait lassassinat de Thomas Sankara et de ses 12 compagnonsle 15 octobre 1987 au sige du Conseil national de la rvolution, alors quil dirigeait dj lpoque les commandos de P chargs dassurer la garde de Sankara.Les liens entre Blaise Compaor et Gilbert Diendr sont anciens, car ds 1981 lorsqueBlaise a hrit du commandement du Centre National dEntranement Commando (CNEC)de P, il a fait du jeune sous-officier Diendr son adjoint.En 1989, Diendr est galement impliqu dans lassassinat de Jean-Baptiste Lingani etHenri Zongo, les anciens camarades de Thomas Sankara et Blaise Compaor. Quelques

  • jours aprs cet vnement, Diendr est nomm secrtaire gnral du comit excutif duFront populaire en charge de la dfense et de la scurit, ce qui revient linstaller commenumro deux du pouvoir. Cest Diendr qui soccupait du librien Charles Taylor (reconnucoupable de crimes contre lhumanit et de crimes de guerre) lorsquil venait sjourner auBurkina Faso, ainsi que de livoirien Guillaume Soro et du guinen Moussa Dadis Camara.Cest encore Diendr qui, selon des tmoins cits dans un rapport de lONU, a gr letransit Ouaga darmes ukrainiennes destines la Sierra Leone la fin des annes 1990.Cest Diendr qui sest rendu au Tchad le 1er dcembre 1990 lorsque Hissne Habrfuyait NDjamena. Cest encore Diendr qui tait au cur de laffaire David Oudraogo, lechauffeur de Franois Compaor retrouv mort en janvier 1998, aprs que les hommes deDiendr lavaient arrt et tent de lui extorquer des aveux. Cest nouveau Diendr quiest au cur de laffaire Norbert Zongo, le journaliste qui a rvl laffaire David Oudraogoet qui a t assassin en dcembre 1998, soulevant lmoi de toute la population burkinabet en particulier des intellectuels. Enfin, Gilbert Diendr est galement le grand mdiateurentre les groupes terroristes luvre dans le Sahel, en premier lieu desquels AQMI, et lesgouvernements occidentaux lorsquil sagit de librer leurs otages.

    Herv Ouattara : Prsident du CAR (Collectif Anti-Rfrendum), une structure de la socitcivile cre pour faire pression sur le gouvernement en vue quil abandonne son projet demodification de la Constitution. Honor Traor (officier gnral) : N en 1957, HonorTraor est un officier gnral nomm chef dtat-major des armes la suite de la rvoltede 2011 au cours de laquelle une partie de larme sest mutine contre le pouvoir en place.Le 31 octobre 2014, il sautoproclame chef de ltat par intrim pour une dure de 12 mois,mais le lendemain larme publie un communiqu (portant galement la signature dHonorTraor) affirmant son soutien au lieutenant-colonel Isaac Zida comme chef de ltat detransition, ce qui implique la dmission dHonor Traor. Le rgne du gnral aura donctait de courte dure.

    Isaac Zida (lieutenant-colonel) : Il est ladjoint de Gilbert Diendr, soit le deuxime chefdes RSP (Rgiment de Scurit Prsidentielle, la garde rapproche du Prsident). Il devientpar auto-proclamation le nouveau Chef de lEtat burkinab le 1er novembre 2014. Lepeuple lui reproche sa proximit avec le rgime de Blaise Compaor, et se demande silordre de tirer sur la foule balles relles le 30 octobre 2014 a pu tre donn sans sonaval, alors quil tait encore dans la chane de commandement. Le peuple se demandegalement comment Blaise Compaor a pu rejoindre la Cte dIvoire, et FranoisCompaor le Bnin (malgr son arrestation laroport de Ouagadougou le 30 octobre),alors que Zida avait fait fermer les frontires terrestres et ariennes. Pour ces raisons, lepeuple ne lui fait pas confiance, rclame son dpart et la remise du pouvoir aux civils. Zidasest engag rendre le pouvoir un organe de transition civil au 15 novembre 2014maximum, date fixe comme un ultimatum par lUA et la CEDEAO.

    Larl Naba (Victor Tiendrebogo ltat civil) : Il est un haut dignitaire du royaumemossi (le troisime dans la hirarchie coutumire mossi, en tant que ministre charg de laguerre), et porte-parole du Moogo Naaba (chef coutumier des Mossis). Il a t dput duCDP de 1992 2014, mais il est le seul des 70 dputs du CDP navoir pas sign ladclaration de soutien au prsident Blaise Compaor qui a t publie en janvier 2014. Lemme mois, il dmissionne de son poste de dput et abandonne le CDP. Il rejoint alors lesanciens caciques du parti majoritaire au sein du Mouvement du Peuple pour le Progrs(MPP), prsid par Roch Marc Christian Kabor.

    Roch Marc Christian Kabor : Il a t directeur gnral de la Banque internationale duBurkina de 1984 1989. Puis il devient ministre dEtat, puis ministre charg de laCoordination de laction gouvernementale, puis ministre des Finances, puis ministre charg

  • des Relations avec les Institutions. De 1994 1996, il devient Premier ministre du BurkinaFaso sous la prsidence de Blaise Compaor. En 1999, il devient le secrtaire excutifnational du CDP (Congrs pour la Dmocratie et le Progrs, le parti de Blaise Compaor aupouvoir). Kabor est mme lu prsident de lAssemble nationale en 2002, et devient en2003 le prsident du CDP. En janvier 2014, il dmissionne du CDP pour crer son propreparti avec dautres dmissionnaires, et devient prsident du parti dopposition leMouvement du Peuple pour le Progrs (MPP). Il est aujourdhui lun des leaders delopposition les plus influents avec Zphirin Diabr, mais le peuple lui reproche sonopportunisme et son collaborationnisme car il naurait quitt le MPP et critiqu lamodification de la Constitution que pour pouvoir se prsenter lui-mme aux lectionsprsidentielles de 2015.

    RSP (Rgiment de Scurit Prsidentielle) : Cest une force arme denviron un millierdhommes, qui forment la garde rapproche du Prsident du Faso. Il sagit dune troupedlite dont les hommes sont trs bien forms et bnficient dun armement moderne etefficace, au contraire de larme rgulire. Les RSP sont composs de cinq groupes decommandos forms dans le Centre National dEntranement Commando (CNEC) de P, quitait dirig par Blaise Compaor. Selon le journal Jeune Afrique, les hommes du RSPsentraneraient mme avec des troupes dlites franaises (la France dispose denviron200 300 hommes sur place), ce qui nest gre tonnant lorsquon connait la proximitentre le chef des RSP Gilbert Diendr et lancien ambassadeur franais au Burkina Fasole gnral Emmanuel Beth. Pour certains analystes, les RSP sont une arme danslarme , une branche arme secrte dont les soldats seraient bien plus efficaces etredoutables que les militaires de larme rgulire.

    Saran Srm : Elle est la prsidente du Parti pour le Dveloppement et le Changement(PDC), un parti dopposition au CDP faisant partie de la coalition mene par ZphirinDiabr. Le 2 novembre 2014, elle est plbiscite par la foule aprs un meeting organis laPlace de la Rvolution, et est contrainte de faire une dclaration la RTB, avant que lesRSP ne reprennent le contrle de la situation par la force.

    Simon Compaor : Ancien tudiant la Facult des sciences conomiques de Dijon, ildevient en 1985 le directeur de cabinet de Blaise Compaor, alors ministre dlgu laprsidence du Burkina Faso. Il est lu maire de Ouagadougou en 1995, et effectue troismandats jursquen 2012. Il est galement dput de 1997 2007, et quil est depuis 2003 lesecrtaire gnral adjoint du CDP, le parti majoritaire. En janvier 2014 (soit un an avant leslections prsidentielles de 2015), il quitte le CDP en compagnie des anciens tnors duparti, Roch Marc Christian Kabor et Salif Diallo, et rejoint opportunment le camp deloppostion. Notons enfin quil a t dcor comme Chevalier de la lgion dhonneur deFrance.

    Urbain Kam : Porte-parole du mouvement populaire et apolitique Balai citoyen, qui a jouun rle considrable dans lorganisation des manifestations au cours de la Rvolution de2014. Dautres leaders du Balai citoyen ont eu un impact fondamental sur la mobilisationdes jeunes au cours de la Rvolution, comme les chanteurs Smockey et Samsk le jah quidepuis plusieurs mois coordonnent et encadrent des marches, des sit-in et des actionsdoccupation des places publiques pour dnoncer le rgime autoritaire de Blaise Compaor.

    Zphirin Diabr : Il est depuis 2013 le CFOP (Chef de File de lOpposition Politique), latte de la coalition des partis dopposition qui exigeait la non-modification de larticle 37 dela Constitution afin dempcher Blaise Compaor de se prsenter en 2015. Ancien lve delcole suprieure de commerce de Bordeaux et de la Facult dconomie et de gestion deBordeaux, il devient professeur assistant de gestion lUniversit de Ouagadougou, puisdirecteur adjoint des brasseries du Burkina Faso au sein du groupe franais Castel. Ildevient par la suite conseiller du Prsident Blaise Compaor pour les affaires conomiques.

  • En 1998, il devient directeur gnral adjoint du Programme des Nations unies pour ledveloppement (PNUD). En 2006, il rejoint le groupe AREVA en tant que Chairman, Afriqueet Moyen-Orient et Conseiller pour les affaires internationales auprs de la prsidente AnneLauvergeon. Il prside galement un groupe de rflexion sur les matires premires au seindu Medef. Il est aussi dput lAssemble nationale burkinab, puis il sige augouvernement comme ministre du commerce, de lindustrie et des mines, ministre delconomie, des finances et du plan, et il prside le Conseil conomique et social (CES) duBurkina Faso. En 2010, il retourne sa veste et prside un parti dopposition, lUnion pour leProgrs et le Changement (UPC). En 2011, il quitte le groupe Areva pour sinstaller commeconsultant international dans le domaine du financement minier.

  • Linsurrection populaire a t scientifiquement bien prpare

    Linsurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 qui a conduit la fuite de lex prsident burkinab, Blaise Compaor ntait pasle fruit dune improvisation. Elle avait t planifie et coordonnepar le Cadre de rflexion et dactions dmocratiques (CADRe).Dans cet entretien, Hyppolite Dombou, le Secrtaire excutifnational du CADRe revient sur la prparation de cetteinsurrection avec un rappel historique jusqu la cration duBalai citoyen, sur son droulement, et sur la gestion du pouvoirdEtat dans lre post-Compaor. Il reconnait surtout que larvolution reste inacheve. Entretien ralis par Fulbert Par

    Quelle est la

    particularit du Hyppolite Dombou : la lutte continuer rapport aux nombreux autres mouvements de la socit civile ?

  • Quelle est la particularit du CADRe par rapport aux nombreux mouvements de la socit civile ?

    Le CADRe par dfinition, est un Cadre de rflexion et dactions dmocratiques (CADRe).Cest un mouvement de la socit civile qui a vu le jour officiellement en 2008. La gense dece mouvement se situe dans la lutte estudiantine et scolaire des annes 1997 jusquen 2006 oune gnration dtudiants sest battue pour que toute la lumire soit faite sur la mort deNorbert Zongo.

    Nous tions vus comme tant le bras droit du Collectif des organisations dmocratiques demasse et de partis politiques. Mais la lutte que nous avons mene au sein de ce Collectif, nousa laiss un got dinachev. Et nous avons dcid de mieux nous organiser pour donner unenouvelle dynamique la classe politique. Cest ainsi que nous avons cr le Cadre derflexion et dactions dmocratiques (CADRe) qui a pour but de travailler lavnement, lalibration de lHomme de la domination et de lalination. Pour ce faire, nous avons entreprisde travailler contrer la mal-gouvernance, et promouvoir lengagement citoyen et ladmocratie.

    Dans ce sens, et lappel du prsident du Faso oprer des rformes politiques, nous avonsen date du 4 juin 2011, runi la jeunesse dans le cadre dun forum pour faire des propositionsde rforme. A lissue de ce forum, nous avons formul des propositions lattention duprsident et nous avons lanc un appel vibrant lendroit de la jeunesse, parce que nous tionsconvaincus que les propositions de rformes que nous avions faites au chef de lEtat,nallaient pas avoir une bonne coute. Il fallait mettre larrire, une grande machine mmede faire la pression ncessaire. En dpit de tout cela, nous avons t dus. Cest ainsi que nous sommes repartis en mai 2012 la tlvision nationale lmissionPoint de vue, pour ritrer notre appel. Depuis ce temps, nous avons compris que leprsident du Faso nallait pas reculer dans ses vellits de sterniser au pouvoir.

    Il tait donc urgent de mettre en place un mouvement populaire qui allait faire ensorte que nos revendications puissent aboutir. Et nous avons dit que si dans ce pays il nyavait plus dHommes dEtat qui puissent prendre leurs responsabilits, la jeunesse allaitprendre les siennes vis--vis de lHistoire. Ds lors, nous avons dcid de dgager une feuillede route claire pour 2015. Beaucoup ont pens que nous faisions de la dmagogie. Mais nousavons, sur la base du petit noyau dj solide et convaincu, lanc la Balai citoyen en tant queporte-parole dun collectif dorganisations de masses, pour faire de lagitation. Et cemouvement Balai citoyen, nous lavons voulu indpendant des partis politiques, car nousavions fait une analyse sociologique de la classe politique. Et cela nous a rvl que leprsident Compaor matrisait tous les partis politiques, toutes tendances confondues. Maisnous tions convaincus que la jeunesse montante, la jeunesse pionnire, allait tre ledtonateur de la Rvolution qui devra renverser le systme en place. Nous savions quen nousalinant des partis politiques, Blaise Compaor allait russir nous rcuprer ; ou en toutcas, nous embrigader.

  • Ce mouvement ayant pris racines, linterne comme linternationale, nous avonscompris quil fallait rsolument travailler lavant-garde pour le maintenir, en vue datteindrenos objectifs communs. Et nous savions que la lutte devrait se mener diffrents niveaux. LeCADRe qui est une instance de rflexions pour dgager des stratgies et tactiques, devraitoprer autrement que dans lagitation.

    Cest ainsi que le 23 juillet dernier, loccasion de linauguration du sige duCADRe, nous sommes remonts au crneau pour interpeller la classe politique et dire que leBalai citoyen doit jouer un rle politique pour faire une certaine pression sur les partispolitiques. Mais aprs cela, les partis politiques de lopposition nous ont encore dus enjouant le jeu de Salia (Salia Sanou, le maire de la Commune de Bobo-Dioulasso), cest--dire,aller faire des meetings dans des stades. Il a fallu que le CADRe remonte au crneau pourinterpeller les partis politiques sur le fait que la seule voie pour renverser ce rgime, cest larue. Nous leur avons demand de quitter les stades ; et nous avons t entendus. Do lamarche-meeting du 23 aot et celle du 28 octobre dernier ; et la suite, cest linsurrectionpopulaire des 30 et 31 octobre dont nous devons tre fiers.

    Comment le CADRe est-il sorti de cette insurrection populaire ?

    Cette insurrection ntait pas une surprise pour le CADRe. Nous y avons travaill depuislongtemps conformment au fondement, la vision, la dmarche, de notre mouvement.Nous avons lanc beaucoup dappels. Cest dans cette dynamique que la manifestation du 30octobre a t scientifiquement bien prpare, et a abouti linsurrection populaire.

    A quoi faites-vous allusion, quand vous dites que la manifestation a t scientifiquement bien prpare ?

    Nous avions dit que cette lutte est une lutte de la jeunesse, et que cette jeunesse devrait donctre lavant-garde. Pour ce faire, nous avons mis des mots dordre dincitation de lajeunesse ; et ce, depuis la marche du 28 octobre 2014 o nos lments appelaient dj marcher sur lAssemble nationale (AN). Pour nous, le systme devrait scrouler le 28octobre. Nous avons essay daffronter les forces de lordre, en dpit du mot dordre contrairedes partis politiques ; mais nous navons pas pu avancer. A lissue de cette marche, nous sommes alls repenser notre plan en nous inspirant de lasubdivision de Ouaga en 9 zones que nous faisions au sein de lANEB (Association nationaledes tudiants du Burkina). Dans ce sens, nous avons identifi les issues par lesquelles onpouvait passer pour prendre lAN. Nous avons galement identifi des lments clairs pourgalvaniser les foules. Cest ainsi que nous avons constitu le front Est qui devait agir enprovenance de la radio nationale et du ministre des Affaires trangres ; le front Sud quidevait venir du ct des Archives nationales ; le front Ouest qui devait venir du rond-point desNations-Unies ; et le front Nord positionn du ct du Lyce Zinda. Nous avions comprisquil fallait prendre en tenaille lAN. Mais je dois dire que les masses mobilises aussi bienpar les autres OSC que par les partis politiques de lopposition ont su resserrer les rangs ausein de ces diffrents fronts.

  • Lorganisation a t, comme vous semblez dire, bien pense. Mais on pourrait aussi direque lindulgence des forces de lordre a favoris le succs de linsurrection. Nest-cepas ?

    Non ; il ny a pas eu dindulgence. Nous avons mis en place une organisation solide. Et noussavions quavec les mutineries de 2011, Blaise Compaor a mis toutes les armes sous sacoupe. Malheureusement, il ne matrise pas les OSC comme il matrise les partis politiques.De plus, nous tions convaincus quau regard de la mobilisation, il ny a pas ce soldatburkinab qui aura le courage de tirer sur la foule. Et mains nues, nous avons russi mettreen difficult les forces de lordre qui se sont vues obliges de se mettre en dtachement pouraccompagner le mouvement insurrectionnel.

    Cest vrai que les choses sont alles trs vite le 30 octobre, mais la conduite active de lalutte contre la modification de larticle 37 a commenc bien longtemps. Le parcours a-t-il connu des imperfections stratgiques par moments ?

    Pour nous, il y a bien longtemps Blaise Compaor serait parti, si on navait pas pass le temps faire des discours creux dans des stades. Si on avait accentu la lutte sur la rue, le Burkinaserait depuis longtemps, sur le chemin de la dmocratie vritable aprs le dpart du prsidentCompaor. Et larrive, ce que nous avons dplor, cest la fuite des dirigeants ltranger.Cela donne un got dinachev la Rvolution dmocratique et populaire. Pour nous, il taittemps quon fasse la reddition de comptes.

    En quoi cette Rvolution a-t-elle un got dinachev ?

    Si elle tait acheve, on ne serait pas l en train de chercher le prsident de la transition. Onaurait pu avoir une organisation bien structure. Les hsitations qui ont suivi la Rvolution,montrent quel point il ny avait pas une avant-garde bien structure. Cela est aussi d uneimprparation dans la gestion des acquis de ce mouvement insurrectionnel.

    Vous, au sein du CADRe, qui saviez que la rue pouvait faire partir le prsident BlaiseCompaor, pourquoi navez-vous pas permis dviter de telles hsitations face unpouvoir vacant ?

    Le CADRe nest pas un parti politique. Notre rle est dclairer les masses. Il revient auxpartis politiques de se prparer la gestion du pouvoir. Nous avons apport notre expertise ; ilrevenait aux partis politiques de se prparer toute ventualit. Malheureusement, ilsntaient pas prpars.

    Comment apprciez-vous le fait que le Lieutenant-Colonel Yacouba Zida qui tientencore les rnes de la transition, loccasion de sa premire adresse au peuple la placede la Rvolution, tait assist des premiers responsables du Balai citoyen ?

    Les camarades du Balai citoyen, jai compris comment ils se sont retrouvs dans cettesituation. Ils y ont, en ralit, t de forceps. Face aux tergiversations au niveau de ltat-major des forces armes, et aux vellits du prsident Compaor de rester au pouvoir eninstaurant un Etat de sige, il fallait trouver une telle issue.

  • Nous avons compris que cette priode dEtat de sige serait mise profit pour passer lpuration des leaders dOSC. Cest pourquoi, nous avons, ipso facto, lanc le mot dordre detravailler pousser le prsident Blaise Compaor la dmission immdiate. Nous avonsmobilis nos camarades la mme nuit, pour accentuer la pression. Et lArme sest ainsi vueoblige de prendre ses responsabilits en poussant le prsident Compaor la dmission.Cest ainsi que le RSP (Rgiment de scurit prsidentielle) qui a toujours montr sa facehideuse aux populations, en prenant ses responsabilits, avait besoin dune cote de populariten se ralliant aux mouvements citoyens. Il leur fallait donc laura de certains mouvementscitoyens en lutte. Nous, nous pensons que cest donc sous une certaine pression que noscamarades se sont retrouvs l-bas ; ce nest pas par exhibitionnisme. Le Lieutenant-Colonelavait besoin de lappui des OSC ; et en se prsentant avec le Balai citoyen, son acceptationpar le peuple a t facilite. Je peux vous dire que nos camarades ne sont pas de complicitavec lArme. Et ils savent quil y a lieu de travailler faire en sorte que lArme nait pas lamainmise sur lappareil dEtat. Cest pourquoi, unanimement, nous avons dit quil faut unetransition civile. Mais, nous ne pouvons pas occulter le fait que lArme a soutenu lemouvement populaire dans sa dernire phase en obligeant Blaise Compaor quitter lepouvoir.

    Comment apprciez-vous la dynamique de concertation enclenche par le Lt-Col Zida ?

    Je pense que le Lt-Col Zida est un homme du srail. Il connat la configurationpolitique du Burkina Faso, il sait trs bien que la vacance de ce pouvoir nest que le fruitdune lutte populaire et il la mme dit dans sa dclaration ; il saura donc passer la directionde la transition aux civils. Et aujourdhui, les concertations ouvertes par le Lt-Col Zida, vontdans le sens de lappel que nous lui avons lanc se mettre la disposition du peuple. Nouspensons que ces concertations nous permettront de trouver une personnalit consensuelle quipuisse apprhender au mieux les aspirations du peuple, et jeter les bases dune vritabledmocratie multipartite au Burkina Faso.

    Dans le cadre dun des rounds de ces concertations, la prsence de lex-majorit la table a t boude. Et le Lt-Col Zida a indiqu que cette composante de la classepolitique ne peut tre occulte. A-t-il raison de dire cela ?

    Effectivement, jtais l quand le ton de la protestation a t donn par les partispolitiques de lopposition. Et les OSC ont abond dans le mme sens. Personnellement, jepense quil faut quon se mette au-dessus de la mle. Je comprends les partis politiques quidisent quil faut dabord panser les plaies. Mais au sein du CADRe, nous disons que pourviter des erreurs, on ne peut pas faire cette transition sans cette composante de la classepolitique. Il faut les couter ; ils ont failli, cest vrai. Mais, pour notre part au niveau duCADRe, nous pensons quil faut couter toutes les composantes de la socit, et que chacunaccepte de faire son mea-culpa. Ecouter tout le monde nexclut pas laudition des comptes. Ilfaudra faire toute la lumire sur tous les crimes conomiques et de sang ; il faudra galementque lArme retourne dans les casernes. Nous estimons donc quil est important que toutes lesparties se retrouvent autour dune mme table.

  • Aprs la transition, on pourra mme faire les tats gnraux de la Nation pour se diretoutes les vrits et poser les bases dune dmocratie relle. Nous sommes une seule Nation,le CDP (Congrs pour la dmocratie et le progrs), cest un parti politique qui a dirig ce payspendant des annes ; nous ne pouvons pas, nous, russir la transition sans ce parti en leconsidrant comme mort. Mme si nous le faisons, celui qui va tre lu prsident, sera obligde composer avec ce parti. La lutte des contraires, cest cela qui amne le dveloppement,disait Lnine. Acceptons le contraire, et cest cela qui fera de nous des Hommes dEtat.

    Comment apprciez-vous la mobilisation de la communaut internationale pouraider organiser la transition ?

    La Communaut internationale a certainement suivi de prs les vnements duBurkina Faso. Mais en ralit, elle est venue pour sauver dune manire ou dune autre BlaiseCompaor. Elle a dabord travaill exfiltrer le prsident Compaor et certains de ses prochesdu pays. En tout tat de cause, la situation actuelle est le fruit dune lutte populaire. Il revientdonc au peuple de poser les bases du mcanisme dun dveloppement meilleur pour notrepays. Les concertations et dcisions doivent maner de notre peuple. La contribution de lacommunaut internationale, est bonne si cest pour nous accompagner. Leur action doit secentrer actuellement sur lacclration de linstauration dune transition civile. Elle doitgalement faire en sorte que nos compatriotes qui ont fui le pays y retournent pour quonpuisse, ensemble, laver le linge sale en famille.

    La priode de transition convenue dans le cadre des concertations est de 12 mois.Des lections couples (prsidentielle et lgislatives) sont prvues sur la priode. Il y aaussi des voix qui se lvent pour souhaiter que le pays puisse se doter au cours de cettepriode transitoire, dune nouvelle Constitution. Est-ce que selon vous, tous ces grandschantiers peuvent tre mens bien durant les 12 mois ?

    Le combat que nous avons men jusque-l, ctait pour dire que notre Constitution estbonne et quil ne fallait pas la modifier. Il est mme intressant de laisser cette Constitution enltat, mme si nous savons quon peut la perfectionner. Nous pensons que la leon qui vientdtre administre, nous vitera des prsidents qui veuillent sterniser au pouvoir. Dans tousles cas, le peuple saura prendre ses responsabilits en temps opportun. Quant la dure de la transition, nous au niveau des OSC, avons dit que la transition dun anest trop longue. Nous estimons que les lections peuvent tre organises dans six mois, etchoisir notre prsident.

    Lon se rappelle que le 1er novembre dernier, vous avez anim un point de presseau cours duquel vous avez mis le souhait de voir instituer une journe de deuil nationalpour les martyrs de la Rvolution populaire. Quen est-il ce jour ?

    Cette ide, toutes les organisations de la socit civile la partagent. Nous pensons quepar devoir de mmoire, il faut quil y ait une journe des martyrs, contrairement la journedu pardon de faade que le prsident Compaor a instaure. Pour nous, cette journe desmartyrs ne saurait tre occulte.

  • Quelle ide peut-on se faire sur lavenir du CADRe ? Va-t-il disparatre avec latransition russie, ou se transformer en parti politique ?

    Notre objectif va bien au-del du renversement du rgime Compaor. Nous voulonsfaire en sorte que le Burkinab soit libr de toute domination, exploitation, alination et quilsoit autonome. Le travail sur ce plan est encore immense. La mission du CADRe nest doncpas termine, elle va se poursuivre dautres niveaux. Dans notre plan dactions, nous avonsprvu de faire en sorte que le CDP sclate, et cela sest fait grce la dynamique dagitationpolitique enclenche au sein des OSC. Cette dynamique a fait comprendre aux tnors commeRoch Marc Christian Kabor, Salif Diallo, Simon Compaor, quils gagneraient rejoindre lepeuple avant quil ne soit trop tard. Et ils ont vite fait de claquer la porte au dit parti. Nousavons aussi vis la liquidation du systme Compaor. Cest vrai que Blaise Compaor estparti, mais son systme nest pas encore totalement liquid ; nous allons y travailler. Cest maintenant quil faut amorcer le changement. Dans les jours venir, nous allons lancerun autre vaste mouvement, le Mouvement dmocratique pour le changement qui sera dotdune plateforme que la jeunesse organise va conduire. Nous voulons, travers ce cadre,poser les bases de notre dmocratie de laprs 2015.

    Le CADRe, va-t-il donc se muer en parti politique ?

    Non, ce nest pas un parti politique. Cest un mouvement de la socit civile qui feraen sorte que toute personne qui viendrait grer ce pays, puisse rsolument sinvestir dans lavoie dun changement rellement positif du Burkina Faso. La jeunesse progressiste va seretrouver pour conduire ce Mouvement sur la base dune plateforme claire. Ce sera un organede veille et de pression.

    Quel est le message du CADRe pour une issue heureuse de la transition ?

    Nous tenons dabord fliciter notre peuple.

    Source : Lefaso.net

  • Compromise par son soutien Compaor,la France doit tirer les leons de la rvolteburkinab Une semaine aprs la chute du prsident burkinab Blaise Compaor, des zonesdombre commencent se dissiper sur le rle de protection du rgime jou jusquaubout par la diplomatie franaise, fidle sa tradition franafricaine et une nouvelle fois contre-pied de lHistoire. Ce soutien est all jusqu lexfiltration de Blaise Compaor,le soustrayant de fait la justice de son pays. Par Survie

    e

    Aprs avoir longtemps qualifi les relations franco-bukinab d"excellentes" ( linstarde Laurent Fabius, en visite Ouagadougou le 27 juillet 2012), la France na pris que trs tardla mesure du mouvement de fond luvre depuis des mois au sein de la socit civileburkinab.

    Dans une lettre Compaor date du 7 octobre 2014, Franois Hollande se contentaitde proposer comme solution de sortie un poste dans une organisation internationale(probablement lOrganisation Internationale de la Francophonie) un prsident burkinabtoujours considr comme "frquentable" quelques jours avant sa sortie prcipite. Leparallle avec la chute du tunisien Ben Ali, en janvier 2011, montre combien la France na passu tirer les leons de ses erreurs et continue senfermer dans le soutien des rgimesdictatoriaux au nom de la "stabilit".

  • Lembarras et les compromissions de la diplomatie franaise ont t manifestes dansles jours prcdant et suivant la chute du despote avec les postures embarrasses dun ministredes Affaires trangres franais se contentant dans un premier temps dun pusillanime appelau calme et la protection des ressortissants, et de personnalits politiques telles que le dputsocialiste Franois Loncle, dfendant en pleine crise le bilan du dictateur burkinab face auxmdias.

    Auparavant, lambassadeur de France au Burkina, militaire de carrire comme sonprdcesseur, stait invit dans plusieurs runions auprs des diffrents protagonistes dusoulvement, alimentant lide quil y dfendait le plan de transition de Compaor, selonlequel le dictateur devait se maintenir au pouvoir le temps de passer la main, quand la foule etlopposition exigeaient un dpart immdiat. Une ingrence scandaleuse de la part de ladiplomatie du pays qui a le plus soutenu Compaor au cours des 27 ans de son rgime.

    Ce qui est dsormais avr, cest le rle actif de la France dans la fuite de BlaiseCompaor. Aprs avoir louvoy en expliquant que la France avait jou un rle dans sonexfiltration, mais sans y participer [1], Franois Hollande a fini par reconnatre sonmensonge en confirmant les informations de Jeune Afrique selon lesquelles le dictateurburkinab a bien t emmen en Cte dIvoire par un hlicoptre puis un avion des forcesfranaises. Plus inquitant, les propos de Franois Hollande sur les conditions de lexfiltrationde Compaor, il y a eu des attaques, il y a eu des rponses sous-entendent la possibilitdun engagement arm des militaires franais. Si le prsident franais assure avoir agi pourune vacuation sans drame , en confiant Compaor un rgime ivoirien "ami" peu enclin lextrader, il lui a surtout permis de se soustraire dventuelles poursuites judiciaires auBurkina Faso, notamment pour son rle dans des assassinats politiques comme ceux deThomas Sankara et du journaliste Norbert Zongo ou dans la mort de manifestants burkinablors du soulvement de ces derniers jours. Indispensable, la tenue dun procs du despoteburkinab permettrait den savoir davantage sur les soutiens multiformes dont il a bnfici dela part de la France depuis sa prise de pouvoir dans le sang en 1987.

    Entirement consacre au repositionnement de larme franaise dans le Sahel(opration Serval, Barkhane), dont le Burkina est aujourdhui un point stratgique, la France anglig une nouvelle fois les aspirations dmocratiques des populations des tats quisoutiennent cette entreprise militaire. Le scnario surprise burkinab pourrait, aujourdhui oudemain, se reproduire au Tchad, au Cameroun, au Congo Brazzaville, au Gabon, au Togo etdans de nombreux autres pays, et prendre nouveau de cours des autorits franaises qui nemanquent pourtant pas dinformations sur la nature de ces rgimes et lexaspration de ceuxqui les subissent.

    Lassociation Survie :

    Demande aux autorits franaises, de cesser toute forme de soutien aux dictateurs etaux familles qui saccrochent au pouvoir : Idriss Dby au Tchad, Sassou NGuesso auCongo Brazzaville, Paul Biya au Cameroun, Ali Bongo au Gabon, Faure Gnassingbau Togo, Joseph Kabila en Rpublique Dmocratique du Congo, Teodoro ObiangNguema en Guine Equatoriale, etc.

  • Soutient le rassemblement organis le samedi 8 novembre 15h devant lAmbassadedu Burkina Faso Paris

    Soutient la demande de commission denqute parlementaire sur le rle des autorits franaises dans lassassinat de Thomas Sankara formule par la campagne Justice pourThomas Sankara, Justice pour lAfrique et dpose sans suite favorable en 2011 et 2013 par les dputs du Front de Gauche et dE.E.L.V.

    Dnonce la protection contre des poursuites judiciaires dont bnficie de factoCompaor en Cte dIvoire et rappelle lexigence de justice pour toutes les victimesdes guerres rgionales, des assassinats et des crimes conomiques de Blaise Compaoret de la Franafrique

    Demande la dmission de Franois Loncle de la prsidence du groupe parlementairedamiti franco-burkinab, pour avoir dfendu jusquau bout Blaise Compaor, sonimage, son bilan, et lide quil devrait encore se maintenir au pouvoir dans le cadredune transition.

    Source : Survie

  • Vie et combats de Thomas Sankara Par Sad Bouamama

    Notre rvolution au Burkina Faso est ouverte aux malheurs de tous lespeuples. Elle sinspire aussi de toutes les expriences des hommes depuis lepremier souffle de lhumanit. Nous voulons tre les hritiers de toutes lesrvolutions du monde, de toutes les luttes de libration des peuples du tiersmonde .

    Thomas SANKARA, La libert se conquiert par la lutte , Discours lAssemble gnrale des Nations unies, 1984.

    Au sommet de lOUA, en juillet 1987, le prsident du Faso lance devant seshomologues bahis un mmorable discours qui restera dans lhistoire comme lun des plusmarquants manifestes contre les dettes injustes et illgitimes :

    La dette sanalyse dabord de par son origine. Les origines de la dette remontentaux origines du colonialisme. Ceux qui nous ont prt de largent, ce sont eux qui nous ontcoloniss. Ceux sont les mmes qui graient nos tats et nos conomies [].

  • La dette, cest encore le nocolonialisme o les colonialistes se sont transforms enassistants techniques (en fait, nous devrions dire en assassins techniques ). Et ce sont euxqui nous ont propos des sources de financement []. On nous a prsente des dossiers et desmontages financiers allchants. Nous nous sommes endetts pour cinquante ans, soixante anset mme plus. Cest--dire que lon nous a amens compromettre nos peuples pendantcinquante ans et plus.

    La dette sous sa forme actuelle est une reconqute savamment organise de lAfrique,pour que sa croissance et son dveloppement obissent des paliers, des normes qui noussont totalement trangers. Faisant en sorte que chacun de nous devienne lesclave financier,cest--dire lesclave tout court, de ceux qui ont eu lopportunit, la ruse, la fourberie deplacer des fonds chez nous avec lobligation de rembourser. []

    Nous ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous navons pas de quoi payer.Nous ne pouvons pas payer la dette parce quau contraire les autres nous doivent ce que lesplus grandes richesses ne pourront jamais payer, cest--dire la dette de sang [].

    Quand nous disons que la dette ne saura tre paye, ce nest point que nous sommescontre la morale, la dignit, le respect de la parole. [Cest parce que] nous estimons que nousnavons pas la mme morale que les autres. Entre le riche et le pauvre, il ny a pas la mmemorale .

    Moins de trois mois aprs, Thomas Sankara est assassin. Il avait prvu cette possibilit en soulignant Addis-Abeba la ncessite dun refus collectif du paiement de la dette pour viter que nous allions individuellement nous faire assassiner . Et de prophtiser : Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas la la prochaine confrence.

    ON PEUT TUER UN HOMME MAIS PAS DES IDES

    Sankara sait de quoi il est question lorsquil parle de la dette. Lexpriencervolutionnaire du Burkina est menace par les remboursements de cette dette, dont le poidsest devenu insupportable alors que dans le mme temps laide internationale chute de 25 % etlaide bilatrale franaise passe de 88 millions 19 millions de dollars entre 1982 et 1985.

    Ce cadre de contrainte conduit, des 1983, une rigueur implacable que Sankarasapplique dabord lui-mme et ses proches. Le prsident du Faso ne dispose que de deuxoutils pour amliorer les conditions matrielles dexistence des plus dmunis et financer ledveloppement autocentr.

  • Le premier est la baisse des dpenses de fonctionnement des services publics. Lesecond est la mise contribution des seuls contribuables qui ont un revenu stable, les salarisurbains et en particulier les fonctionnaires. La hausse des cotisations sociales et taxes diversessappliquant aux fonctionnaires est constante. Journaliste spcialiste du Burkina Faso, PascalLabaze estime 30 % la baisse du pouvoir dachat des salaires urbains entre 1982 et 1987.

    Petit petit, les contradictions sexacerbent entre les fonctionnaires et le pouvoir. Ellessont en outre entretenues par lopposition. Le Syndicat national des enseignants africains deHaute-Volta (SNEAHV), dont plusieurs dirigeants sont membres du Front patriotiquevoltaque, une organisation sopposant au CNR se fait le porte-parole du mcontentement.Larrestation, le 12 mars 1984, de quatre dirigeants de ce syndicat pour complot contre lasret de ltat entrane un mot dordre de grve pour les 20 et 21 mars. Ds le lendemain,le ministre de la Dfense annonce sur les ondes le licenciement des 1 380 enseignantsgrvistes. La Confdration syndicale burkinab (CSB), proche du PAI, reste pour sa part pluslongtemps fidle au rgime rvolutionnaire. Mais, se montrant plus revendicative partir de1984, lorsque le PAI rompt avec le CNR, elle est son tour confronte la rpression. Sonsecrtaire gnral est arrt, laccusation d anarcho-syndicalisme entre dans le discoursofficiel et le prsident du Faso perd ainsi un de ses allis les plus anciens et les plusimportants. Confronte cette grave crise sociale, Sankara explique ainsi son dilemme :

    Il y a un choix faire. Ou bien nous cherchons contenter les fonctionnaires ils sont peu prs 25 000, disons 0,3 % de la population , ou bien nous cherchons nous occuper detous ces autres qui ne peuvent mme pas avoir un comprim de nivaquine ou daspirine et quimeurent simplement quand ils sont malades

    Si lon peut comprendre que la priorit de Sankara aille la seconde catgorie, laquestion du rythme des changements est plus discutable. Pour valuer ce rythme, il manqueau prsident du Faso un outil de liaison politique permanent avec les diffrents secteurssociaux des classes populaires. La division des organisations politiques de gauche lesempche de jouer cette fonction politique. Sankara ne mnage pas ses efforts pour les faireconverger mais, comme il lexplique en 1984, il ne veut pas reproduire les erreurs dautresexpriences rvolutionnaires africaines :

    Nous pourrions, bien sr, crer un parti tout de suite []. Mais nous ne tenons pas calquer, reproduire ici navement, et dune manire plutt burlesque, ce qui a pu se faireailleurs. Ce que nous aimerions, cest dabord tirer profit des expriences des autres peuples.[] Nous ne voulons pas quelle [lorganisation] simpose de manire dictatoriale oubureaucratique, comme cela a pu se passer ailleurs Il faut quelle soit [] lmanation dundsir populaire profond, dun vu rel, dune exigence populaire.

  • Les CDR de leur ct ne peuvent pas non plus assurer cette fonction politique. Ce sontles militaires qui hritent ds le dbut du secrtariat gnral des CDR. Le capitaine daviationPierre Ouedraogo, un des amis de Sankara issus du cercle politique de la premire heure ,est nomm secrtaire gnral national des CDR. Il impulse une logique du changement paren haut tendant ainsi transformer ces structures censes tre de dmocratie directe ensimple courroie de transmission . Plus grave, les CDR sont instrumentaliss au service dela lutte au sein du CNR. Ainsi, rsume Bruno Jaffr, les CDR ont incontestablement jou unrle rpressif en procdant des arrestations arbitraires souvent sur ordre du secrtariatgnral des CDR. Ils ont aussi particip aux diffrentes offensives qui ont eu lieu contre lessyndicats et servi de masse de manuvre dans la sourde bataille que se livraient lesdiffrentes factions politiques pour le contrle du pouvoir. Les interventions du prsident duFaso en avril 1986, lors de la premire confrence nationale des CDR, soulignent soninquitude sur les nombreuses drives de ces organismes. Il y dnonce certains CDR qui deviennent de vritables terreurs pour les directeurs , pingle ceux qui arborent tout unarsenal darmes et utilisent la menace et condamne ceux qui ont fait des chosesexcrables et qui ont profit de la patrouille pour piller.

    Dans de nombreux villages, les CDR ne jouent pas non plus le rle prvu et leurs lussont soit les notables traditionnels, soit des hommes leur service. Analysant lvolution dupouvoir local villageois dans lOuest burkinab, le sociologue Alfred Schwartz conclut lacontinuit relle sous lapparence du changement, cest--dire une subordination de fait dupouvoir rvolutionnaire au pouvoir coutumier.

    Lampleur des changements effectus, le rythme intensif avec lequel les rformes sontmenes, limportance des efforts demandes, les rancurs que suscitent ces bouleversements etlabsence dlections toujours inquitante dans un pays qui se revendique du peuple tendent se coaguler pour nourrir une opposition diffuse qui gagne en audience et relguerau second plan les amliorations pourtant palpables pour la grande majorit. Quelques moisavant son assassinat, Sankara semble pourtant avoir acquis une vision plus raliste de lasituation. Dans son discours clbrant le quatrime anniversaire de la rvolution, le 4 aot1987, il appelle une pause des reformes afin de tirer les leons et enseignements de notreaction passe pour [] nous engager davantage dans la lutte de faon organise, plusscientifique et plus rsolue .

    Sankara semble lui-mme quelque peu dpasse par les vnements, comme il lereconnat avec humilit dans une interview tlvise : Je me retrouve un peu comme uncycliste qui grimpe une pente raide et qui a, gauche et droite, deux prcipices. [] Pourrester moi-mme, pour me sentir moi-mme, je suis oblig de continuer dans cette lance

  • Ces contradictions internes sont attentivement scrutes par les multiples adversairesextrieurs du rgime sankariste. Du pouvoir malien, secoue par des agitations lycennes ettudiantes en dcembre 1985 et qui dclenche une nouvelle guerre contre le Burkina danscette priode, celui de la Cte-dIvoire qui accueille les opposants burkinab, nombreux sontles dirigeants des pays limitrophes que gne le bouillant prsident du Faso. La France,ancienne puissance coloniale, craint pour sa part ce dirigeant qui condamne ouvertement lefranc CFA comme une arme de la domination franaise et la Francophonie comme unestratgie nocolonialiste . Et qui, en plus de boycotter le sommet franco-africain de Lom(novembre 1986), nhsite pas critiquer publiquement Franois Mitterrand. Cest le casnotamment lors de la visite officielle de ce dernier au Burkina Faso, en novembre 1986,lorsque Sankara critique, dans un style offensif qui rappelle le non de Skou Tour deGaulle en 1958, la rcente visite du prsident sud-africain Pieter Botha en France :

    Nous navons pas compris comment des bandits comme [le gurillero angolais] JonasSavimbi [et] des tueurs comme [le prsident sud-africain] Pieter Botha ont eu le droit deparcourir la France si belle et si propre. Ils lont tache de leurs mains et de leurs piedscouverts de sang. Et tous ceux qui leur ont permis de poser ces actes en porteront lentireresponsabilit ici et ailleurs, aujourdhui et toujours.

    Certes, personne ne peut encore dire de manire certaine qui sont les commanditairesde lassassinat de Sankara, le 15 octobre 1987, lors du coup dtat qui permet BlaiseCompaor de prendre le pouvoir. En revanche, la question que Sankara lui-mme posait propos de lassassinat du prsident mozambicain Samora Machel, dcd en octobre 1986dans un accident davion, est pertinente dans son propre cas : Pour savoir qui a tu SamoraMachel, demandons-nous qui se rjouit et qui a intrt ce que Machel ait t tu. On nepeut alors que constater que la mort de Sankara et la politique de rectification lance parCompaor ont permit au systme franafricain , qui na cess de se reproduire depuis lesindpendances de 1960 (voir chapitre 6), de reprendre la main sur un pays qui risquait, souslimpulsion de son rvolutionnaire chef dtat, demmener ses voisins sur les chemins delinsoumission. Les causes qui ont fait merger la rvolution sankariste, savoir loppression,lexploitation et linjustice, nayant pas disparu, il est peu probable que les principes queSankara a tent de mettre en pratique se perdent dans loubli. On peut tuer un homme maispas des ides , aimait-il lui-mme rpter.

    Extrait du livre Figures de la libration africaine. De Kenyatta Sankara, Sad Bouamama, Paris Zones, 2014.

  • Burkina-Faso : Leons de OuagadougouChronique dune rvolution populaireconfisque Par Samuel Nfujom

    Entre le 27 octobre et le 3 novembre 2014 dernier, le Burkina-Faso dudictateur Blaise Compraor a t secou par une vritable lame de fondinsurrectionnelle. Ces vnements ont t trs trop ? vite qualifis de rvolution . Daucuns nont pas hsit parler de printemps noir . Dsle 7 novembre 2014, Samuel Njufom, lors dune confrence-dbat,temprait cette euphorie rvolutionnaire contagieuse par une interventionintitule Burkina- Faso : Entre insurrection populaire et rvolutionconfisque . Cest le texte retouch de cette intervention que le Journal delAfrique offre ses lecteurs aujourdhui.

  • Comme vous pouvez le remarquer, tout en linscrivant dans la thmatique de la Confrence daujourdhui, jai sous-titr mon expos { Entre insurrection populaire et rvolution confisque } et je men expliquerai ci-dessous et au cours du dbat qui suivra cet expos. Je commencerai par brosser rapidement le contexte international et rgional dans lequel sinscrivent aujourdhui (fin octobre-dbut novembre 2014) les rcents vnements du Burkina-Faso. Quand je parle de contexte rgional, il sagit videmment du contexte africain, si on garde en tte la perspective et la thmatique de la Confrence daujourdhui (1).

    Mis en perspective, ce contexte se caractrise par quatre tendances que je qualifierais de lourdes.

    Primo, nous vivons aujourdhui dans un monde o le systme conomique dominantbaptis mondialisation , a du mal se dptrer dune crise que ce mme systme adclench en 2008. Crise tellement durable - pour employer un terme la mode -que daucuns nhsitent pas parler de { Grande dpression }.

    Secundo (ou tel point que ) les partisans de ce systme (tats-Unis en tte),pour continuer donner lillusion de garder la main, nhsitent pas susciter ladstabilisation des rgions entires par rvolutions colores et djihadistes interposs (et lAfrique nchappe pas cette stratgie de dstabilisation).

    Tertio, ct de ce monde senfonant chaque jour un peu plus dans cette Grandedpression , on assiste la naissance dun ple de pays mergents reprsentant lamoiti de la population mondiale, 30% du PIB mondial et 23% de la surface de laTerre (2) . Pour jauger limportance de ce phnomne - que je classe parmi les tendances lourdes - sa juste valeur, il suffit de se rappeler que, pas plus tardquhier, daucuns et ils en rvent encore aujourdhui - voulaient imposer la planteentire un unilatralisme dont larrogance et lagressivit runis taient symboliss parladministration dun certain George W. Bush.

    quatrime tendance qui, conjugue la prcdente vient battre en brche cetunilatralisme arrogant et lhgmonie de lOccident qui avait fait de lAfrique sachasse garde, cest la monte en puissance de la Chine. Cest dans ce contexte-l, quelAfrique en tant que continent, reprsente un enjeu gostratgique dans ce qui sedessine sous nos yeux et que daucuns qualifient de Deuxime guerre froide , maisqui en ralit est une Troisime guerre mondiale larve ! Et par ricochet, cest dans cecontexte-l que sinscrivent les rcents vnements du Burkina-Faso.

  • PRLIMINAIRE TERMINOLOGIQUE : INSURRECTION versus RVOLUTION

    Je vous pargnerai de la dfinition que donne Karl Marx du mot rvolution (3) , pourme contenter de celle du Petit Robert :

    Ensemble des vnements historiques qui ont lieu dans une communaut importante(nationale en gnral) lorsquune partie du groupe en insurrection russit prendre lepouvoir et que des changements profonds (politiques, conomiques et sociaux) se produisentdans la socit.

    Si je me contente de cette dfinition vulgaire - comme dirait Karl Marx - duDictionnaire Le Petit Robert, cest parce quelle a lavantage, ne serait-ce quintuitivement, desouligner la diffrence entre insurrection et rvolution, ce qui est crucial dans le cas qui nousoccupe.

    Malheureusement, le mot rvolution a t tellement galvaud ( dessein dailleurs)quon est en droit de ce demander ce quil y avait de commun (ou de rvolutionnaire )entre Jonas Savimbi, les talibans (qui furent lun et les autres affubls de la mme tiquette de combattants de la libert ), les rvolutions colores de lancien empire sovitique ouplus prs de nous le printemps arabe quand on voit ce quil en reste, non seulement enEgypte et en Tunisie, mais en Libye et en Syrie. Je nen dirai pas plus pour linstant et je vousdonne rendez-vous dans le dbat qui va suivre cet expos. Je vais donc passer directement auxvnements du Burkina- Faso.

    BURKINA-FASO : UNE INSURRECTION POPULAIRE DTOURNE EN UN TEMPS ET QUATRE MOUVEMENTS

    Dans la mesure o les rcents vnements du Burkina-Faso ont occup la Une desmdias mean stream avides du sensationnel (4) surtout quand il sagit de lAfrique -, je nevous ferai donc pas linjure de relater par le menu dtail la chronologie des vnements quiont secou le Burkina-Faso partir du 28 octobre. Comme ce titre peut paratre pluttprovocateur, permettez-moi plutt de le dcliner, cest--dire dexpliciter ce que jentends parl.

    PREMIER TEMPS : Ltincelle !

    Le 28 octobre dernier donc, lappel de lopposition parlementaire, la population (en majoritdes jeunes) descendent dans la rue pour dire STOP Blaise Compraor (B.C. par la suite danscet expos). Dj au pouvoir depuis 27 ans, B.C. projetait tout simplement, et cela pour la 3me fois (5) , de faire voter une modification de larticle 37 de la Constitution lui permettant de briguer un 5me mandat !

  • DEUXIME TEMPS : Linsurrection ; le peuple prend virtuellement le pouvoir

    Le jeudi 30 octobre est marqu par trois images-symbole qui ont fait le tour du monde:

    Premire image, la photo de la faade du Parlement (qui devait tre le thtre de ces rituels dmocratique dont raffolent les amis occidentaux des dictatures africaines quileur servent de relais) avec sa faade aux vitres brises ;

    Deuxime image, lintrieur de ce mme Parlement, lmage des jeunes, occupant latribune et le perchoir dudit Parlement;

    Troisime image enfin, un peu plus loin, dehors dans la rue, deux adolescents face auxcamras des journalistes occidentaux et dont lun, avec lassurance de quelquun quiest dans son bon droit, brandissant un bouclier anti-meute portant linscription POLICE en noir.

    En un mot comme en cent, la signification de ces trois images tait sans quivoque : lepeuple a pris le pouvoir ! Dans la rue en tous cas. Comme au Rugby, il ne restait plusqu transformer cet essai insurrectionnel en rvolution.

    TROISIME TEMPS : Larme prend le pouvoir

    Ce troisime temps est gnralement le moment dcisif de toute insurrection populairecar cest le moment charnire : ou bien linsurrection est transforme en rvolution, ou bienelle est rcupre et dvoye, et on peut alors oublier le mot rvolution . Cest pour cetteraison que nous allons dtailler un peu plus ce troisime temps Que sest-il pass en fait ?Aprs avoir dabord tent de saccrocher au pouvoir, B.C annonce quil quitte la Prsidence. Notez bien, la nuance parat anodine mais elle est trs importante : il dclare quil quitte laPrsidence mais pas le pouvoir !

    En fait cest lArme qui sempare du pouv