johanna spyri heidi heidi grand mère

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HEIDI GRAND MEREDANS LA MME COLLECTIONJOHANNA SPYRlHEIDI. La merveilleuse histoire d'une fille de la montagne. Illustrations de Jodelet.HEIDI GRANDIT. Suite de la merveilleuse histoire d'une fille de la montagne avec fin indite du traducteur. Illustrations de Jodelet.HEIDI JEUNE FILLE. Suite indite de Heidi et de Heidi grandit, par le traducteur. Illustrations de Jodelet.HEIDI ET SES ENFANTS. Suite indite de Heidi, Heidi grandit et Heidi jeune fille. Illustrations de Jodelet.HEIDI GRAND'MRE. Illustrations de Jean Berthold...

LE SOURIRE DE HEIDIAdaptation de nathalie GARA Illustrations de andr PECAU PAYS DE HEIDI. Traduction nouvelle. Illustrations de Jodelet...

KORNELLI. Traduction nouvelle. Illustrations de Jodelet. (Collection Flammarion.)R E AHEIDI GRAND'MREIllustrations Je JEAN BERTHOLD

Droits de traduction, de reproduction et d'adaptationrservs pour tous les pays.Copyright 1941, text and illustrationby ernest flammarion.Printed in France.TABLE DES MATIRESPremire partieCHAPITRE

I. Un malheur Dorfli

8II. Triste dpart.

18III. Une lettre inutile

28IV. Tristesses et joies

36V. Belles vacances

44VI. Le successeur de M. Keller

54Deuxime partieCHAPITRE

VII. L'heureuse famille.

64VIII. La monte au chalet

75IX. Une bonne nouvelle

89X. Un jour d'angoisse Blanche-Neige .

99XI. A l'Exposition

107XII. La fte du pays

122XIII. L'orage clata soudain

134XIV. Une ide charitable

141XV. Didier, enfant d'Alsace

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CHAPITRE PREMIER

UN MALHEUR A DORFLI.

Bien des annes ont pass depuis que les amis d'Amrique sont retourns chez eux.En ce jour clair de printemps, Heidi, seule dans sa cuisine, tient la main une lettre dont elle vient de terminer la lecture.Un gai soleil d'avril lance un rayon malicieux travers la vitre et vient se jouer sur une marmite de cuivre resplendissante.Heidi, assise la table, a le regard perdu dans un vague lointain. Elle songe. Cette lettre, qui lui a apport des nouvelles de son amie Jamy, lui rappelle de bien vieux souvenirs. Que sont devenus, maintenant, tous ces enfants qui s'amusaient, espigles et heureux, sur l'Alpe, autour du chalet de l'Oncle ?Margareth-Rose vient de se marier. Est-ce dj possible ! Georges a russi brillamment, le mois dernier, ses examens d'ingnieur et a t tout de suite engag dans une des plus grandes usines des environs de New-York. Et ses propres enfants, elle, Heidi? - Henry, aprs de fortes tudes au Polytechnicum de Zurich, est depuis peu sous-directeur d'une importante entreprise de constructions mcaniques Winterthour. Annette passe ces jours-ci les preuves finales l'Ecole normale de Coire. - Quant Paul, il est rest Dorfli, attach sa terre et sa montagne. Il aime cette vie rude et saine du paysan alpin. C'est un aide intelligent et vif pour son pre, Pierre le jardinier.Heidi se sent aujourd'hui bien seule dans le vieux Manoir, o Brigitte sert encore fidlement Ses matres. Elle repasse mlancolique, en son esprit, certains vnements de son existence. Elle se revoit toute petite fille, au jour o elle avait gravi, avec la tante Dete, le sentier qui grimpe travers les vignes, au-dessus de Mayenfeld. Puis ses penses, la conduisent Francfort : la silhouette fantasque de Mademoiselle Rougemont surgit ses yeux et la fait sourire un instant. Qu'est devenue son amie Claire ? Marie, heureuse par le monde ; grand'mre peut-tre ; qui sait ? Il y a longtemps dj qu'on ne sait o l'atteindre. Heidi se remmore la vieille grand'mre aveugle, l'Oncle de l'Alpe et surtout, son grand bienfaiteur; le docteur Rroux...Brusquement, elle est tire de sa rverie par un tintamarre de petites voix aigrelettes qui discutent avec animation sur la place du village. Heidi jette un coup d'il la pendule : trois heures. Pourquoi donc les enfants sortent-ils si tt de l'cole, aujourd'hui ?Intrigue, elle va sur le pas de la porte et interpelle la petite Lina, qui semble fort agite, et trs mue. H ! Lina, viens ici et raconte-moi ce qui se passe.

Elle repasse, mlancolique, en son esprit... Telle une niche de poussins qui on lance du grain, la troupe des enfants se prcipite vers Heidi en jacassant qui mieux mieux. Chacun veut apprendre Heidi la grande nouvelle, et tous crient la fois, si bien qu'il n'est gure possible de comprendre clairement la raison de ce trouble. Voyons, calmez-vous, les enfants. Si je sais ce que vous voulez dire ! Il s'agit de l'instituteur, ce que je devine. Il est malade, lance d'une seule voix toute la bande de bavards. Malade ? et qu'a-t-il ? Laissez donc rpondre Lina ! Madame, l'instituteur nous a dit tout l'heure qu'il ne se sentait pas trs bien, qu'il ne pouvait plus continuer faire la classe, et il nous a congdis jusqu' demain matin. Comment ! Monsieur Keller, malade ? Il toussait trs fort ; a sifflait chaque accs, dit un petit garon. Il tait tout ple, puis tout rouge, dit un autre enfant. Quand nous sommes partis, il s'est assis sa place, a crois les bras sur son pupitre et a laiss tomber sa tte... Il avait l'air de dormir ; je l'ai vu par la fentre... Peut-tre qu'il pleure parce qu'il a mal, dit tristement la petite Marie aux longues tresses blondes. Merci de tous vos renseignements, dit Heidi, je vais aller voir Monsieur Keller et lui demander si je puis lui tre utile, Oh oui ! Madame, merci, dirent les enfants tous ensemble. Et la petite Marie hasarda timidement : Faut-il retourner en classe, demain matin ? Bien sr, rpondit Heidi. Et maintenant, rentrez vite la maison, et surtout soyez bien sages.La petite troupe discuta encore un instant, puis s'parpilla.Heidi ta son tablier, mit en hte un chle sur ses paules, un mouchoir de couleur sur la tte et sortit. Elle rencontra Pierre, son mari, la porte du jardin. Tu sors ? O vas-tu ? lui demanda-t-il. Il n'y a pas de malheur, au moins ? Tu as l'air tout mue. Je vais l'cole, voir ce que devient Monsieur Keller. Nous avions bien remarqu, Dorfli, qu'il avait l'air fatigu ces derniers jours ; il avait mauvaise mine. Il y a une heure, il a interrompu sa leon et a renvoy les lves chez eux. Il a peut-tre besoin d'une aide. Tu es toujours la mme, compatissante et prte rendre service. Depuis que M. Keller a perdu sa femme, il est tout dsempar. Va vite. Je reviendrai bientt.Heidi hta le pas, et son cur battait fort. Pauvre instituteur! Il fallait qu'il ft bien bout de forces pour abandonner ainsi ces petits enfants qu'il aimait tant, auxquels il donnait depuis plusieurs annes tout le meilleur de son cur.Elle frappa la porte de l'cole et, n'entendant pas de rponse, elle pntra dans la classe.Elle trouva le vieil instituteur dans l'attitude que lui avait dcrite Lina. Elle eut comme un triste pressentiment.M. Keller ne l'avait pas entendue entrer. Sur la pointe des pieds, elle s'approcha de lui et, doucement, comme on ferait un enfant qui souffre, elle mit la main sur son paule. L vieillard sursauta, se redressa et, comme pris en faute, baissa les yeux devant la visiteuse inattendue. Voyons, M. Keller, remettez-vous ; c'est moi, Heidi. Bonjour. Il lui tendit la main, qu'Heidi sentit toute chaude et moite de fivre. Il ne vous faut pas rester ainsi, cher ami. Vous devriez aller vous coucher. C'est une forte grippe qui vous fatigue. Remontez vite dans votre chambre. Je vous enverrai Brigitte. Elle fera un cataplasme et de la tisane. Cela vous soulagera. Comme vous tes bonne, Heidi ! Vous savez que je suis seul la maison. Depuis que mon fils unique Franois nous a quitts dans un moment d'garement et depuis que ma chre femme en est morte de chagrin, je n'ai plus got rien... Voyons, voyons, M. Keller, il faut ragir. Je n'en ai plus la force-Une grosse larme coula sur la joue creuse de l'instituteur etalla se perdre dans sa moustache grise. Faites ce que je vous dis. Mettez-vous au lit. Nous ne voulons pas, nous ne pouvons pas vous abandonner ainsi. Voulez-vous que je vous aide monter ?M. Keller se mit tousser trs fort ; une toux rauque qui faisait mal Heidi.Ils montrent ensemble l'appartement, au-dessus de la classe. D'un coup d'il Heidi dcouvrit le dsordre qui rgnait dans la cuisine et dans les chambres. Elle n'en dit rien l'instituteur. Cela lui aurait fait de la peine et n'aurait pu qu'accrotre son chagrin. Voil ; couchez-vous vite. Brigitte sera l dans un instant et je reviendrai voir dans la soire comment a va.Elle sortit rapidement et rentra au Manoir. Brigitte ! Brigitte ! O es-tu donc ? Me voici, cria la vieille cuisinire tout essouffle. Qu'y a-t-il de si grave ? Je ne puis ainsi abandonner mes rissoles. Elles vont bruler ! J'ai fait un gros feu dans le fourneau pour qu'elles soient bien croquantes... Il s'agit bien de tes rissoles ! Laisse-les l. Je m'en occuperai. Mais, me diras-tu ce qui se passe ? M. Keller est trs malade. Il tousse ; il a de la fivre et n'a pas pu continuer la classe cet aprs-midi. Pauvre M. Keller ! Tous les malheurs fondent sur lui depuis quelque temps.

Ecoute-moi, Brigitte : prends une mousseline et un linge dans l'armoire de notre cuisine. Et aussi la bote de fleurs sches pour la tisane. Tu passeras l'picerie acheter de la farine de lin et de la moutarde en poudre. Ensuite rends-toi la maison de l'cole et tu y allumeras un bon feu. Tu prpareras une infusion bien chaude que tu feras boire au malade. Tu prpareras un cataplasme brlant que tu appliqueras sur sa poitrine. Allons ! ne reste pas ainsi tout ahurie.,. C'est que... Heidi... et le souper ? qui fera notre souper ?... Ne t'inquite pas ! J'y pourvoirai et je te rejoindrai bientt. Ah, bon ! fit Brigitte, comme soulage d'un grand poids. Allons ! Bouge ! Ecoute encore : pendant que M. Keller tiendra son cataplasme sur la poitrine, tu mettras discrtement un peu d'ordre la cuisine. Un homme seul, vois-tu, a ne sait pas ranger la vaisselle comme nous. Compris !Heidi se rendit au jardin o elle trouva Pierre et son fils Paul en train de soigner des boutures de graniums htifs. Elle les mit au courant de l'vnement. J'ai l'impression, dit-elle, que notre pauvre instituteur est gravement atteint. Une grosse bronchite qui peut empirer rapidement. Heureusement que les vacances sont bientt l ! Il pourra se reposer un peu. Mais, avant les vacances, il y a les examens. Et M. Keller tient ce que ses lves rpondent brillamment aux experts de la Commission scolaire. Il va se faire du souci ! Bah ! Les examinateurs seront indulgents ; les circonstances sont trs attnuantes. J'aurais bien une ide, dit Heidi, en hsitant. Mais j'ai peur que tu ne l'approuves pas, que tu me grondes. Tes ides sont toujours bonnes, chre femme; dis-moi ce que tu mdites. Je n'ose pas. Je crains de te dplaire. Dis quand mme... Eh bien, voici... Si je faisais moi-mme la classe, la place de M. Keller, en attendant un remplaant ? a ne peut durer que quelques jours. C'est pour les enfants, et pour lui. Et aussi pour le bon renom de l'cole de Dorfli. Tu sais combien j'aime les petits ; et aprs tout, c'est mon mtier ! J'ai t institutrice. A Hinterwald, on me regrette encore...Elle avait dit cela tout d'une traite, comme si elle avait redout de n'avoir pas le courage d'aller jusqu'au bout.Pierre et Paul la regardrent, interloqus. Ils savaient tous deux que la rsolution de Heidi tait dj prise. Curieuse ide, dit Paul aprs un instant de silence gnant. Tu n'y songes pas srieusement, maman. Je reconnais l ton grand dvouement et ton inlassable bont. Mais, tu n'as plus l'habitude de tenir une classe. Certes, je prvoyais que je serais gronde. Je ne m'en tirerai pas plus mal qu'autrefois. Vous savez bien que je n'ai pas perdu le contact avec mes livres. J'en sais encore assez pour enseigner les petits. Nous n'en doutons pas, dit Pierre ; cependant l n'est pas l'essentiel. Malgr ta vaillance, tu n'es plus aussi jeune ; tu seras vite fatigue. Je te connais : tu te consacreras tout entire ta tche. S'il ne s'agissait que de donner des leons ! Passe encore. Mais il y a les corrections des devoirs et les prparations pour le lendemain. Et qui tiendra notre mnage, pendant ces jours-l ? surenchrit Paul. Et Brigitte ? qu'en faites-vous ?Le pre et le fils ne surent que rpondre. D'ailleurs, ils sentaient que toute discussion tait inutile. Heidi les quitta. Je retourne voir M. Keller. En passant au village, j'irai la poste ; je tlphonerai au mdecin de Mayenfeld, pour qu'il monte demain. Je crois que a vaut mieux.Les deux jardiniers se remirent l'ouvrage, songeurs et soucieux.Le soleil venait de se coucher derrire les sommets qui dominent Ragaz, de l'autre ct du Rhin. Le Falknis prit une teinte mordore et le glacier de Scesaplana s'illumina, un instant, orang. De

longs nuages mauves striaient le ciel vers l'ouest. Un lger vent frais s'leva et le serein se mit tomber. Nous aurons de la pluie, demain, cette nuit peut-tre. Assez travaill pour aujourd'hui ; range les outils, Paul. Je rentre.Pierre s'assit la cuisine, prs, d foyer, bourra posment sa pipe au tuyau recourb, l'alluma avec un tison et demeura seul, plong dans une mditation profonde-Tout coup Brigitte fit irruption. Pierre ! Pierre ! Je crois que Heidi perd la tte. N'a-t-elle pas promis M. Keller de faire la classe., ds demain matin, jusqu' ce qu'il soit rtabli ! Je le sais, dit Pierre. Et cela me contrarie. Elle ne veut mme pas qu'on appelle un remplaant. Le prsident de la Commission scolaire tait l, qui le proposait. Elle l'a si bien embobelin qu'il a fini par y renoncer. Je te dis qu'elle perd la tte !Et Brigitte retourna son fourneau, tandis que Pierre, lentement, tirait des bouffes de fume qu'il lanait au plafond noirci. C'est peine s'il entendit entrer Heidi, qui revenait, rayonnante d'avoir accompli une belle action, mais tout de mme un peu anxieuse de l'accueil que lui rserveraient son mari et son fils. Eh bien ? demanda enfin Pierre, rompant le silence. Tu m'en veux ? Dis ? Oh, non ! Je ne t'en veux pas, cependant... Cependant quoi ? Je vois bien que tu n'es pas content. J'ai bien rflchi, sois-en sr. J'ai mon ide... Encore ! Vois-tu, Heidi, ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi tu n'as pas voulu qu'on appelle un supplant. C'est justement parce que j'ai mon ide, rpta Heidi, avec fermet. Tu comprendras plus tard.

CHAPITRE IITRISTE DEPART.Le lendemain matin, le temps tait maussade. A l'heure o le labeur quotidien reprit, la pluie se mit tomber ; une petite pluie froide vous transpercer jusqu'aux os..Heidi se rendit de bonne heure la maison d'cole, le vieil instituteur avait pass une mauvaise nuit. Brigitte, dvoue tait reste vers lui jusqu' minuit. Il avait une forte fivre et toussait fendre l'me.Heidi ranima le feu, fit bouillir du lait qu'elle avait apport et obligea M. Keller boire une bonne tasse de caf au lait. Cela vous fera du bien et vous donnera du courage, en attendant l'arrive du mdecin.

Comme vous tes bonne, Heidi, comme vous tes bonne... Il ne trouvait rien d'autre dire. On sentait que tout effortlui faisait mal.Un lger brouhaha montait de la salle d'cole et l'on entendait les gros sabots des lves frapper lgrement le sol dall du. vestibule. Ah ! ces enfants, dit M. Keller d'une voix saccade, coupe d'accs de toux, je les aime bien. Remarquez-vous comme ils font doucement ? Ils savent que vous tes malade et ils pensent peut-tre que vous dormez. Comme ils sont gentils ! Cela change des jours ordinaires. Quelle bousculade, l'entre, avant que j'apparaisse ! Quel tumulte joyeux marque d'habitude les dbats de journe ! Il est temps que je descende pour m'occuper d'eux. Tiens ! J'entends quelqu'un qui monte l'escalier.On frappa quelque? coups timides la porte et une voix cristalline de fillette cria : M. Kller, dormez-vous ? Est-ce que je peux entrer ?Sans attendre la rponse, la petite Lina pntra dans l'appartement, traversa la cuisine et s'arrta sur le seuil de la chambre coucher. Sa longue plerine brune, lourde de la pluie qu'elle avait reue, dgouttait sur le plancher. Elle resta l, plante, mue, surprise aussi de trouver Heidi au chevet du malade. Que se passait-il dans cette petite cervelle ? L'enfant tait visiblement impressionne de voir son matre, si alerte d'ordinaire, immobile dans un grand lit. Elle n'osait approcher; elle regardait avec tristesse le visage aux traits tirs, les yeux fivreux qui lui faisaient presque peur. On sentait qu'elle allait pleurer. Madame, je venais prendre des nouvelles de notre instituteur ; mes camarades demandent si la leon aura lieu. Oui, elle aura lieu, ce matin, et cet aprs-midi, et encore toute la semaine, jusqu'aux vacances de Pques, rpondit Heidi. Descends et attendez-moi sans faire de vacarme. Viens me serrer la main, dit M. Kller.Lina, sentant la valeur d'un tel appel, comprenant qu'elle tait en mission, envoye par ses camarades, trottina jusque prs du lit. Donne-moi la main, Lina, et salue tous les lves de ma part.L'colire ouvrit brusquement sa plerine et mit un petit bouquet de perce-neige dans la main brlante du malade. Voil. Je les ai cueillies pour vous, en venant. Elles sont, toutes mouilles et un peu fltries, parce qu'il pleut fort. Je vais chercher un verre la cuisine ; on les y placera. Dans l'eau, elles reprendront vite.Aussitt dit, aussitt fait. Comme a, elles vous tiendront compagnie et peut-tre qu'elles vous raconteront des histoires, pour vous gurir.Le brouhaha croissait dans la classe. Les lves, trouvant que la rponse tardait, commenaient s'agiter.Lina et Heidi descendirent et entrrent ensemble dans la salle. Les vtements pendus aux crochets sentaient le chien mouill.L'enfant alla s'asseoir sa place et la nouvelle institutrice, trs l'aise, mais comme surprise elle-mme de se trouver l, frappa le pupitre de sa rgle. La leon commenait... ou plutt allait commencer.Heidi jeta un regard circulaire sur toutes ces petites frimousses stupfaites, pntra avec acuit dans chacune des paires d'yeux bahis qui la regardaient trangement, ne comprenant pas tout de suite ce qui se passait. Elle saisit aussitt leurs sentiments d'tonnement bien naturel, et dans un silence d'glise leur dit : Mes enfants, je lis dans vos yeux que vous tes surpris de me voir ici. Je vous dois une petite explication. Je souhaite de tout cur la prompte gurison de M. Keller, et vous ? Nous aussi, rpondirent les enfants en chur, heureux de rompre une seconde le silence qui leur pesait. Je le pensais bien. En attendant ce beau jour, on aurait pu faire venir un remplaant, qui ne vous connat pas, qui aurait d demander le chemin pour Dorfli, dont il n'a jamais entendu parler. Peut-tre, qui le sait ? il ne vous aurait pas aims comme M. Keller vous aime. Moi, je vous connais tous et je vous aime bien... Nous aussi, dit une petite voix touffe dans le fond de la classe... a, c'est gentil, Louise. Je suis sre que nous ferons bon mnage. Il faut aussi que je vous dise que, il y a dj bien des annes, j'tais institutrice, dans un petit village montagnard du Valais ; il s'appelle Hinterwald. Il est au fond d'une valle, de quelle valle? qui peut me dire quel fleuve coule dans le Valais?Toutes les mains se levrent. Oh ! oh ! vous tes tous des savants. Dis-le-nous, Maria. C'est le Rhne, Madame. Trs bien. Donc, Hinterwald est au fond de la valle du Rhne, tandis que notre Dorfli est accroch aux pentes d'une montagne qui domine un autre grand fleuve suisse. Lequel, Franois ? Le Rhin, Madame. Trs bien. Je vois que notre cher M. Keller vous apprend admirablement la gographie. Au Valais, le paysage est presque le mme que chez nous, un peu plus ferm cependant. Les sommets y sont aussi levs, les glaciers plus grands que celui de Scesaplana. Mais au printemps, comme ces jours-ci, les fleurs y sont aussi belles.Dis-moi, Lina ; tu as apport un joli bouquet, qui rjouit l'me de M. Keller. Sais-tu comment s'appellent ces petites fleurs blanches ? . .Lina rougit d'entendre rvler devant tous ses camarades son geste amical.

Des perce-neige, Madame. Et oui, des perce-neige ; ces fleurs dlicates et robustes tout la fois, qui sont les premires fleurir lorsque la neige fond sur les bords des prs. Lina, connais-tu l'histoire de la perce-neige ? Non, Madame. Qui d'entre vous la connat ? Personne ne leva la main. C'est une bien belle histoire. Puisque vous tes si sages, ce matin, je vais vous raconter cette curieuse lgende :C'est le mois de mars ; un air de fte flotte partout. Avril prpare en secret son arrive.Cependant, sous la neige, des centaines de fleurs couches attendent avec impatience le moment de se montrer en pleine lumire. Les trolles ont hte de faire flamboyer leur or brillant ; les gentianes bleues, pourpres ou jaunes voisinent avec les anmones, les primevres et les timides perce-neige. Malgr leur dsir de sortir de la terre humide, pas une fleur n'ose s'aventurer dehors de peur de mourir de froid. Enfin, la perce-neige, la premire, a le courage de se dresser sur sa tige pour regarder autour d'elle. Elle est alors blouie par le soleil, qui la salue amicalement. Vois, petite amie, la nature s'apprte se parer de ses beaux atours. Les aubpines et les cerisiers tiennent tout prts leurs jolis bourgeons. La neige aura bientt disparu. Va dire tes amies les fleurettes que je les attends pour que la prairie soit souriante.La perce-neige regarde encore de longues heures la nature qui fait sa toilette de printemps ; le soir venu, elle se retire sous la terre pour annoncer la bonne nouvelle ses compagnes peureuses et frileuses.A ce moment, quelqu'un frappa la porte de la classe.Heidi ouvrit. Un homme jeune, vtu de noir, entra. Les enfants se levrent d'un seul coup ; ils connaissaient tous le nouveau venu, le mdecin de Mayenfeld. Bonjour, les enfants ; je viens de rendre visite votre matre. Il est bien malade. Madame, puis-je vous dire deux mots en particulier, sans vous dranger ? Trs facilement, Docteur. Je vais congdier un instant les lves. Mes petits amis, l'heure de la rcration est venue. Il ne pleut plus. Sortez dans le prau ; amusez-vous, mais ne faites pas de vacarme, pour ne pas importuner M. Keller, qui se repose. Allez !Les lves sortirent, sans hte, et avec le moins de bruit que puissent faire une trentaine d petits paysans chausss de gros sabots.Quand la classe fut vide, le mdecin dit d'un air srieux : Madame Heidi, notre malade est gravement atteint. Est-ce possible? Pauvre M. Keller ! Et qu'a-t-il donc? Je crains la pneumonie. Je l'ai auscult fond. Le diagnostic ne fait pas de doute. Qu'allons-nous faire ? Il est maintenant tout seul. Impossible de trouver une garde dans le village. Si seulement j'tais plus jeune, ou encore si Annette, ma fille, tait ici ! Elle passe ces jours-ci ses derniers examens l'Ecole normale de Coire ; on ne saurait songer la faire venir. Il y a une solution.- Laquelle ? De conduire notre malade l'hpital de Ragaz ; il aura sur place tous les soins dsirables. C'est ce qu'il y aurait de plus sage ; mais comment le transporter ? On doit trouver sans peine une voiture .suffisamment confortable Dorfli. Voici ce que je vous propose : comme il me faut aller visiter encore le vieux pre Hans, dans son chalet sur la route de Lutzensteig, je puis tre de retour ici dans deux petites heures, vers onze heures. Vous ferez amener une voiture .toute prte devant l'cole et je conduirai moi-mme M. Keller l'hpital. Que dira-t-il, lorsqu'il saura qu'il lui faut quitter son Dorfli ? N'ayez crainte ; tout l'heure, je ,1'ai prpar doucement cette ventualit, Il s'attend son dpart. Voulez-vous me rendre un service, Docteur ? Avec plaisir, Madame. En sortant d'ici, passez au Manoir. Demandez Pierre d'atteler notre voiture pour l'heure dite et priez Brigitte de venir l'cole. Paul, mon fils, vous conduira Ragaz, et Brigitte prparera les menus objets que M. Keller dsire certainement prendre avec lui. Entendu. A bientt. Au revoir, Madame Heidi.Heidi accompagna le mdecin jusqu'au portail du prau. De petits groupes d'enfants s'taient forms ; les lves chuchotaient entre eux ; la maladie de l'instituteur, on le devinait, faisait l'objet de leurs conversations animes. Heidi monta un instant vers M. Keller pour lui faire part de la dcision prise. Elle attendit Brigitte qui arriva au bout de quelques minutes ; elle lui donna des instructions, redescendit vers les lves, frappa dans ses mains. Les enfants rentrrent en classe, reprirent leurs places.Au sortir de l'cole, les coliers virent la voiture arrte devant le portail. Paul et Pierre s'entretenaient gravement avec le mdecin ; ils entrrent dans la maison. Un instant aprs, Brigitte descendit, munie des couvertures et d'un oreiller, qu'elle disposa avec art dans la voiture de faon rendre le voyage du malade aussi confortable que possible. M. Keller, trs ple, sortit son tour, soutenu par Pierre et Paul, suivis du mdecin et de Heidi portant chacun une valise. Le petit cortge traversa tristement le prau. M. Keller monta dans la voiture avec le mdecin tandis que Paul prenait place sur le sige.Les enfants et quelques habitants de Dorfli avaient form un cercle sur la petite place. Et tout coup, doucement, sans qu'on st comment cela s'tait produit, un chant s'leva dans la lumire blafarde et mlancolique de ce jour gris d'avril. C'taient les lves, c'tait Dorfli qui, sa manire, saluait le dpart du vieil instituteur,

A l'heure o l'ombre gagneLes pentes du vallonJe vois de la montagneLe fuyant horizon ;J'entends la mlodieDe la cloche du soir,J'entends sa voix bnieParler d'amour, d'espoir.Puis quand vient le silence Et que le jour se meurt, Son chant avec puissance Apaise encor mon cur.Paul toucha le cheval du bout de son fouet, la voiture s'branla et s'loigna, tandis que les enfants, quelques-uns les larmes aux yeux, agitaient gauchement leurs petites mains, en signe d'adieu...

CHAPITRE IIIUNE LETTRE INUTILE.

La fin de la semaine s'coula, morne, sous la pluie. Heidi, la classe finie, rentrait chaque soir au Manoir o les deux hommes, arrts dans leurs travaux de jardinage par le mauvais temps, s'ennuyaient dans la maison qui leur semblait vide.Pierre, d'ordinaire si gai, devenait maussade et maugrait propos de la moindre affaire. Paul, mon fils, de moins en moins, je comprends ta mre. On ne sait, avec elle, combien de temps peut durer cette situation intolrable ! La semaine prochaine est la semaine sainte, papa. L'cole sera ferme ds jeudi et maman nous reviendra pour de bon. On n'a pas de nouvelles de M. Keller ; cela m'inquite. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles, dit le proverbe ! Puisses-tu avoir raison ! Sais-tu que la Commission scolaire a demand la direction cantonale de l'enseignement de diffrer les examens jusqu'au retour de M. Keller ? J'espre que le Conseil d'Etat acceptera, car maman pourrait bien se mettre en tte de procder elle-mme aux .interrogations. Je la trouve fatigue. Elle n'est vraiment pas raisonnable. Elle ne sait pas, ou ne veut pas se reposer. Dame ! Tenir tte toute la journe une trentaine de galopins, rentrer la maison et s'occuper du mnage ; et puis passer sa soire corriger des cahiers, ' prparer ses leons du lendemain ! Elle n'y rsisterait pas longtemps. Comme tu viens de le dire : heureusement que les vacances sont bientt l. Je l'entends qui revient. Bonjour, Pierre ; bonjour, Paul ! Bonjour, Heidi ! Bonjour, maman ! Encore un jour de pass. Et bien fatigant ! Cette maudite pluie qui tombe sans arrt m'oblige garder les enfants en classe pendant les rcrations. Quelle volire ! Ils me rompent la tte,! C'est bien toi qui l'as voulu, dit Pierre d'un ton bourru. Encore des reproches ? A propos, toujours pas de nouvelles de M. Keller ? Non. Si nous ne recevons Tien demain, je tlphonerai l'hpital. L-dessus, Heidi pntra dans la -cuisine. Bonjour, Brigitte !Elle n'a pas le temps d'en dire plus long. Brigitte,. fort affaire devant son fourneau, se retourne brusquement comme si un serpent l'avait pique.

Heidi, la classe finie, rentrait chaque soir au Manoir, Quelle horreur ! C'est dj toi, Heidi. Quel malheur ! Interloque, inquite d'un pareil accueil, Heidi interroge,nerveuse : Qu'y a-t-il, Brigitte ? J'ai bien remarqu que mon mari et mon fils avaient l'air tout drle ; de quel malheur parles-tu ? Que veux-tu dire ? S'agit-il de M. Keller, ou alors d'Annette, qui n'a pas russi ses examens ? Allons, parle ! Non ! Non ! Pardonne-moi, il n'y a pas de malheur ! Aucun malheur...- Mais alors, explique-toi ! Je prparais des gaufres pour te faire une surprise ; tu es revenue plus tt que d'habitude et il n'y aura plus de surprise. C'est pourquoi j'ai dit : quel malheur !Heidi respire, mais son motion lui a fait sentir la fatigue ; elle tire elle un escabeau et s'assied. Brigitte, pendant ce temps, remet de la pte dans le fer qu'elle chauffe d'un ct pendant quelques minutes ; puis elle le retourne avec rapidit et habilet, le laisse sur le feu un instant, l'ouvre et en sort deux gaufres bien dores ; elle les pose sur une assiette, les saupoudre de sucre fin. Tiens, Heidi, tu les as bien mrites.Et tandis que la matresse de maison dguste la ptisserie croustillante, Brigitte se hasarde dire : - Heidi, tu es fatigue. Toi aussi ? Comment, moi aussi ? Pas plus que d'habitude. Non, ce n'est pas ce que je veux dire : toi aussi, comme Pierre, comme Paul, tu me fais des reproches. Il se peut que je sois un peu lasse en fin de journe ; c'est naturel, je n'ai plus vingt ans, comme Hinterwald ! Cependant, tu ne peux te figurer la, joie que j'ai me trouver au milieu de tous ces jeunes enfants. Cecontact me rajeunit et me vieillit tout la fois. Il me semble que je fais mon apprentissage... Ton apprentissage de grand'mre, dit Brigitte, en clatant de rire. Et elle poursuivit : Le souper sera bientt prt. Je vais mettre le couvert.Le repas du soir fut moins mlancolique que les jours prcdents.Le lendemain matin, la fille du buraliste postal, en venant en classe, donna une lettre Heidi. Voil, Madame. Papa a pens qu'il fallait vous l'apporter tout de suite ici. S'il l'avait porte au Manoir, vous ne l'auriez trouve qu' midi, en rentrant. Il a reconnu l'criture de M. Keller.C'tait une pauvre lettre, crite au crayon, d'une criture tremblotante, une lettre de malade, crite dans un lit de souffrance. Heidi la lut rapidement et dit aux coliers : Ecoutez, mes petits ; Anne-Lise vient de m'apporter des nouvelles de M. Keller. Ce qu'il m'crit est triste. Il ne va gure mieux. Il a toujours de la fivre et tousse beaucoup. Le mdecin dit que c'est une pneumonie ; or, une pneumonie, c'est grave.Les visages des enfants taient consterns. Un lourd silence pesa un moment sur la classe. Hans, un tout petit bonhomme espigle, leva la main. Quelle plaisanterie va-t-il encore faire ? se demanda Heidi qui hsita une seconde lui donner la parole. Hans, que veux-tu ? Madame, ne pourrions-nous pas envoyer une lettre M. Keller, de la part de ses lves ? Nous la signerions tous, dit Anne-Lise. C'est une jolie ide ,que tu as ; lequel de vous s'offre pour crire M. Keller, au nom de tous ?Toutes les mains se levrent. Moi, moi, dirent trente voix la fois. Moi, moi, Madame. Me voil bien embarrasse ! Je vous fais une proposition. Tous, vous allez composer un projet. Nous choisirons ensemble le meilleur, nous le ferons copier par -celui qui possde la plus belle criture et nous l'enverrons M. Keller. Vous signerez tous, et moi aussi.Et les jours suivants, la plupart des leons donnes dans l'cole de Dorfli se passrent lire les trente projets de lettre. Mme pendant les rcrations, cessant leurs jeux, les coliers en discutaient entre eux ; et encore la sortie de la classe, et aussi le soir, chez eux. Toutes les familles de Dorfli prenaient part la prparation de la lettre M. Keller . De nouvelles ides, de nouveaux mots, des phrases toutes faites surgissaient autour des tables des cuisines ou des salles manger.Le temps passait. Le mardi, Heidi conclut ce passionnant exercice de rdaction. Mes enfants, la lettre doit tre termine demain aprs-midi. Jeudi, c'est le commencement des vacances et nous ne nous trouverons plus runis. Aucun des projets, vous l'avez reconnu vous-mmes, ne nous satisfait compltement. Nous rdigerons ces lignes ensemble, avec la collaboration de tous.Pauvre Heidi ! Il lui fallut des prodiges de fermet, de doigt, de diplomatie et de persuasion pour mener bonne fin la tche entreprise. Chacun tenait une-tournure de phrase, une pense, souvent originale. Tous, admirablement, livraient leur cur. Enfin, le texte dfinitif fut arrt. Heidi imagina de le dicter tous, en annonant que la plus belle copie serait signe par les trente lves et expdie au vieil instituteur. Il avait t en outre dcid que, puisque c'tait bientt Pques, on 7 joindrait une corbeille contenant un bouquet de fleurs, quelques pommes, un petit fromage, des ufs teints et des gaufres qu'avait faites Brigitte. Pas de noix.a fait tousser, ni de cigares avait dclar Heidi qui commena dicter : Cher Monsieur Keller, C'est avec un gros chagrin que nous vous avons vu partir, il y a une semaine. Depuis, toutes les heures, toutes les minutes, nous pensons intensment vous. Nous souhaitons...Heidi fut interrompue dans sa dicte par trois coups sonores frapps la porte. Le facteur apportait un tlgramme. Il chuchota quelques mots l'oreille de l'institutrice, qui plit soudain, et il repartit rapidement.Les trente petites ttes se levrent et fixrent leurs grands yeux clairs sur la matresse. Trente regards intrigus d'abord, puis inquiets, puis anxieux.Heidi, visiblement trouble, ouvrit l'enveloppe jaune et lut le papier vert. Les enfants n'osaient pas mme chuchoter entre eux, pressentant. Un malheur. Heidi se ressaisit, se raidit et, lentement, en pesant ses mots, annona : Nous devons interrompre ici notre dicte... Nous n'enverrons pas la lettre...Elle s'arrta. Les syllabes ne pouvaient plus sortir, semblait-il. Elle s'assit. Les lves attendaient avec impatience la suite de l'explication ; certains ne comprenaient pas ce que pouvait bien contenir le vilain tlgramme ; d'autres l'avaient devin et, furtivement, essuyaient une larme qui perlait leur paupire... Heidi, maintenant plus matresse d'elle-mme, reprit : Nous n'enverrons pas la lettre... C'est dsormais inutile. Le tlgramme nous apporte une nouvelle trs triste : Monsieur Keller, votre instituteur, ne souffrira plus. Il est mort ce matin, l'hpital de Ragaz. J'en ai bien du chagrin ; il vous aimait tant.Elle ne put continuer. Consternes par la tragique certitude, les fillettes se mirent pleurer, quelques-unes chaudes larmes, d'aucunes mme avec de gros sanglots. Le petit Hans pleurait, lui aussi, comme une fille. Les garons, plus fiers, mais non insensibles, tentaient de ne pas trahir leur motion intime : les uns regardaient par la fentre, d'autres accouds sur leur table, soutenant leur, menton de leur main, ne dtachaient pas leurs yeux du plafond, d'autres encore, le regard perdu dans le vague, faisaient semblant de relire les premires phrases de la lettre devenue inutile... Heidi, pour la premire fois de sa vie, n'avait pas la force de ragir. Son deuil tait profond. Elle avait de la peine reprendre ses esprits.Elle congdia les enfants et leur donna rendez-vous pour l'aprs-midi, le dernier aprs-midi d'cole.

CHAPITRE IVTRISTESSES ET JOIES.A deux heures, la classe reprit dans une atmosphre bien diffrente de celle qui aurait rgn, en temps normal, la veille de vacances. Heidi annona que les examens seraient remis plus tard. On utilisa quelques instants pour ranger dans les armoires les livres, les cahiers, les encriers et le menu matriel scolaire. Lorsque tout fut prt pour le licenciement et que les lves eurent regagn bien sagement leur place, Heidi leur dit : La vie, vous l'apprendrez peu peu quelques-uns de vous le savent, hlas, dj est faite de joies et de tristesses. Personne ne sait l'heure o le bon Dieu le rappellera vers Lui. Monsieur Keller a quitt cette terre ; c'est pour nous un grand chagrin, mais c'est srement pour lui une grande joie d'tre vers le bon Dieu. Voyez-vous, mes enfants, faites comme notre vieil instituteur qui n'a jamais oubli de bon Dieu, afin qu'il n'oublie pas non plus Son serviteur.En disant ces derniers mots, Heidi avait ferm les yeux. Les enfants crurent qu'elle priait. En vrit, elle avait eu une vision qui, rapide, avait travers son esprit. Elle se rappelait soudain avoir prononc cette mme phrase pour l'Oncle de l'Alpe lorsque, petite fille, elle tait revenue de Francfort. En quelques secondes, elle se rappela la grand'mre de Claire, elle revit le chalet, l'incendie, le docteur Rroux... Brigitte avait raison, l'autre jour, quand elle avait dit que Heidi faisait son apprentissage de grand'mre.Heidi rouvrit les yeux et revint la ralit. Il est certain que ce n'est pas moi qui ferai la classe Dorfli, aprs les vacances. Un nouvel instituteur viendra ; puisse-t-il vous aimer et vous comprendre comme M. Keller !... et comme moi, ajouta-t-elle dans un murmure.Puis, changeant tout coup de ton, avec un air presque gai, elle ajouta : Voici les vacances ; les belles vacances ! Profitez-en bien. Soyez gentils avec vos parents, aidez-leur, vous, les garons, aux travaux de l'Alpe, vous, les fillettes, aux soins du mnage.Nous ne voulons pas nous quitter ainsi, mlancoliquement. J'ai pens vous faire plaisir en consacrant la lecture d'une histoire les quelques instants qui restent.Quand vous serez plus grands, vous irez probablement une foisen excursion Fribourg, cette ville pittoresque dont je vous ai narr la fondation par le duc de Zaehringen.Non loin de Fribourg, au pied de belles montagnes, se trouve le lac le plus pittoresque qu'il soit possible d'imaginer.Quelle joie ce doit tre de naviguer en rvant sur ses eaux paisibles. C'est un endroit idyllique. Il est entour de tous cts par de riches pturages o paissent de grands troupeaux et par de luxuriantes prairies mailles de fleurs.Un matin, un jeune enfant...La lecture fut soudain interrompue par de petits coups lgers frapps la porte. Entrez !Une belle jeune fille, souriante, apparut sur le seuil de la porte. Toi, Annette ! s'cria Heidi, joyeusement surprise. De retour. Et tes examens ? Russis, maman, russis ! Je suis reue premire ! Embrasse-moi, grande fille. Comment as-tu su me trouver si vite ? le facteur m'a tout appris ; pourquoi ne m'avoir pas crit que tu tais redevenue institutrice ? Je ne voulais pas troubler ton esprit dans le grand effort que tu as d fournir ces jours-ci. Le facteur m'a dit aussi la fin bien triste d M. Keller. Tu as l'air fatigue, ma pauvre maman. C'est la dernire leon que je donne. Je venais de commencer la lecture d'une belle histoire lorsque tu es entre.Ce dialogue imprvu contrariait les coliers, car il les avait empchs d'entendre la suite de la lgende qui les captivait dj. Heidi et Annette lurent dans les yeux des enfants la crainte qu'ils avaient de ne pas en connatre la fin. Quelle histoire lisais-tu, maman ? Celle des cygnes du Lac Noir. Elle est bien belle. La connais-tu ? Je la sais par cur. La vie est faite de tristesses et de joies, disais-je tantt ces enfants. Je ne croyais pas si bien dire. J'ai eu ce matin un gros chagrin en apprenant la mort du vieil instituteur et, en ce moment, j'ai une grande joie. C'est trop en un seul jour. Je me sens bien lasse ! Pauvre maman ! Il me vient une ide. Laquelle ? Laisse-moi raconter cette histoire aux coliers de Dorfli. Bravo ! ce seraient tes premires armes.Et se tournant vers les enfants qui s'impatientaient : - Mes petits, c'est Annette qui va continuer pour vous l'histoire commence. Vous le voulez bien, n'est-ce pas ? Oui ! oui !Rassurs et joyeux, ils frappaient des mains...Annette jeta un coup d'il au livre sur lequel, du doigt, Heidi lui montrait o ""elle en tait reste.Annette, trs l'aise, d'une voix frache, heureuse, reprit :Un matin, un jeune enfant tait assis prs de la fontaine du chalet paternel. -Il dtachait de leur tige des illets sauvages et les jetait l'un aprs l'autre dans le bassin. Il s'amusait les voir surnager lorsqu'un trs beau papillon aux ailes de pourpre vint se poser sur une des fleurs. Il la mit en mouvement : les ailes de l'insecte ressemblaient aux voiles d'une minuscule barque. Soudain l'illet sombra tandis que le papillon s'leva dans le ciel. L'enfant se mit sa poursuite. L'insecte, qui .semblait le narguer, laissait l'enfant s'approcher de lui, se posait sur une fleur, puis il reprenaitson vol. Il entrana ainsi le jeune garon jusqu'aux rives du Lac Noir, passa par-dessus la surface calme des eaux et disparut dans la sombre fort.Dsol et fatigu, il s'assit l'ombre d'un sapin et s'endormit profondment. Il vit en songe le papillon rouge qui, revenu vers lut, voltigeait ses cts^ pour rafrachir l'air qu'il respirait. Trois anges lui prsentaient des bouquets lumineux qui semblaient faits de pierreries, tandis que des colombes lissaient de leur bec ses longs cheveux boucls.Il fut rveill subitement par un bruit trange. Des cygnes tirant un radeau avanaient dans sa direction, travers les roseaux qui se courbaient devant eux pour leur livrer passage.O merveille ! L'enfant leur jette quelques miettes de pain. Puisqu'il n'a pu capturer le papillon rouge, il voudrait prendre lun des grands oiseaux blancs. Mais c'est en vain qu'il tente d'en saisir un par le cou. Les cygnes se retirent. Il s'embarque alors sur un radeau et le vent le pousse au milieu du lac. L vue du rivage qui s'loigne lui fait pousser des cris de frayeur.A ses pleurs, les cygnes s'approchent et entourent le radeau comme pour tenir compagnie l'imprudent petit navigateur. Mais lui, mprisant tout danger, se penche en avant pour s'emparer du plus beau des cygnes, quand tout coup il perd pied et disparat dans les profondeurs du lac:..Il se rveilla dans un lit de velours orn de fines dentelles et s'aperut qu'il tait dans la chambre d'un mystrieux chteau de fes, toute semblable celle que sa mre lui avait souvent dcrite. Trois fes veillaient ses cts. Leur visage avait la blancheur des lis et leurs yeux taient noirs comme la nuit. Elles se ressemblaient trangement et paraissaient galement douces et bonnes. S'approchant du lit de l'enfant, elles lui dirent : N'aie aucune crainte, petit imprudent. Veux-tu demeurer avec nous ? Nous te conterons des histoires et, pour t'amuser, nous te donnerons une biche, des perroquets et un cheval qui te promnera dans nos vastes jardins. Seulement tu dois bien rflchir avant de rpondre, car si tu habites trois jours avec nous tu ne pourras plus respirer l'air de la terre. O est le joli cheval ? s'exclama l'enfant ravi, sans s'inquiter d'autre chose. Il t'attend l'curie, rpondirent les fes. Alors je reste, conclut l'enfant. Allons vite l'curie.Ils traversrent plusieurs appartements. Ce n'tait partout que richesse et splendeurs. Ils arrivrent dans une curie en marbre o douze palefreniers en livre entouraient un jeune coursier. Un cuyer sella le cheval et mit l'enfant dessus. L'animal partit au trot travers des alles ombrages : les fes amuses et heureuses suivaient cavalier et coursier dans cette charmante promenade qui dura plus d'une heure. A son retour, l'enfant leur demanda : O est le bon Dieu ?Le pauvre garon se croyait au Paradis.*

**Plusieurs mois s'coulrent de cette faon. L'enfant faisait chaque jour de nouvelles dcouvertes. Cependant, au bout d'un certain temps, il eut la nostalgie du chalet familial et une profonde tristesse s'empara de lui. Vainement les fes l'interrogeaient sur les motifs de son chagrin. L'enfant ne rpondait pas. Il avait promis ses bienfaitrices de ne jamais les quitter et il ne voulait leur faire aucune peine.Un jour, aprs une excursion de plusieurs heures sous les votes verdoyantes du parc, il se coucha au pied d'une colline et pleuraamrement, donnant libre cours son noir chagrin. Epuis de fatigue le pauvre garon s'endormit. La desse des rves l'effleura de sa baguette magique. Il vit en songe le chalet qu'il avait quitt, son pre et sa mre qui le cherchaient toujours. Il entendit aussi le vent souffler dans les sommets des sapins, les blements des joyeux troupeaux de chvres et la douce musique des cloches de la chapelle du Lac Noir qui sonnaient l'Anglus. Il se rveilla en sursaut en appelant sa mre. Tout coup il crut entendre son nom. Il se leva et se retourna ; il aperut une vieille femme ride, aux yeux creux, au menton pointu, qui marchait en s'aidant d'un bton. Cette horrible femme s'approcha de lui. L'enfant frissonna de peur et chercha , s'enfuir. Sa terreur tait si grande qu'il ne put faire le moindre mouvement. Bel enfant, glapit la vieille, puisque tu t'ennuies atrocement ici, je te reconduirai chez tes parents. Cependant je te pose une seule condition : c'est qu'ils me gardent chez eux jusqu' la fin de ma vie. Jamais, jamais, s'cria l'enfant, je n'abandonnerai mes bonnes fes !A ces paroles, la sorcire disparut dans un nuage lumineux. Une des trois fes qui avait tout entendu s'approcha de lui et lui dit : Puisque tu es fidle ta promesse, demain ton vu sera exauc. Tu reverras le chalet qui t'a vu natre. Oh merci ! bonne fe, rpondit le garon.Toutefois le plaisir de revoir sa famille tait diminu par le regret de quitter les trois fes et il passa une nuit agite. Quand il se rveilla le lendemain, il tait tendu l'ombre du sapin o il s'tait assoupi un an auparavant. Les trois cygnes nageaient dans les roseaux du lac. Il leur jeta des mres sauvages. Les oiseaux le salurent gracieusement et disparurent sous l'onde. Le papillon auxailes de pourpre, qui semblait sortir de l'eau, prit son vol en direction de la montagne. L'enfant le poursuivit et l'insecte, volant de fleur en fleur, le ramena prs du chalet de ses parents et disparut dans les airs. Toute la famille accueillit le jeune garon avec la joie que l'on devine et remercia la Providence de le lui avoir rendu.Lorsque vous passerez prs du Lac Noir, vous verrez peut-tre, assis sur le rivage, un enfant qui tente d'apercevoir dans le lointain trois fes ou trois cygnes. Cependant, ni fes, ni cygnes ne se montreront. Parfois seulement, par les beaux soirs d't, il entendra un doux murmure. C'est la romance triste des fes qui chantent sous l'onde. Telle est, mes enfants, conclut Annette, la lgende des cygnes du Lac Noir. Et maintenant, il ne me reste plus qu' vous souhaiter de bonnes vacances.Les coliers, aprs avoir serr la main de Heidi et de sa fille, quittrent l'cole, lgers et joyeux.Dehors, la pluie avait cess. Un rayon de soleil se jouait sur l'eau de la fontaine.

CHAPITRE VBELLES VACANCES.A la montagne, les vacances de Pques durent trois semaines.Sur l'Alpe, la premire apparition du printemps a un charme tout particulier. Grce aux rayons bienfaisants du soleil chaque jour plus chaud, les fleurs conquirent peu peu le terrain. Les perce-neige, les crocus forcent bravement leur chemin et semblent faire reculer les taches de neige qui s'obstinent rester dans les creux. Irrsistiblement la masse blanche, mauve ou jaune des fleurs s'installe dans les prs encore bruns, puis monte jusqu'aux pturages les plus levs. Sous les taillis, les anmones envahissent tous les recoins humides. La nature est en fte.La joie rgnait aussi au Manoir. Les parents d'Annette taient heureux de son succs scolaire et Paul tait fier de sa grande sur.Le soir de Pques, toute la famille tait runie dans la chambre commune. Au mur, le vieil Oncle de l'Alpe, peint par Chel, souriait dans son cadre.On bavardait. Annette riait joyeusement l'ide qu'on l'appellerait dornavant Mademoiselle .Heidi grenait des souvenirs de ses mois d'enseignement Hinterwald. Elle raconta, une fois de plus, les--difficults du dbut, comment elle avait appris aux fillettes se laver, se peigner, puis coudre. Parle-nous de Chel, maman, dit Annette. Dresser ce petit sauvage fut ma plus grande joie ! Quand je me rappelle la visite de la grotte qui lui servait de repaire et que je regarde le portrait de l'Oncle de l'Alpe, qu'il fit plus tard d'aprs une photographie, je puis mesurer toute l'tendue, la valeur de la conqute d'un cur, d'une me, d'un esprit. Heureusement que les Chels ne sont pas nombreux dans la gent colire, dit Annette. Ma fille, tu en rencontreras srement un, une fois ou l'autre dans ta carrire. Le secret, vois-tu, pour russir dans ton nouveau mtier est de savoir se mettre souvent la place des lves. Annette, reprit Pierre, nous sommes trs satisfaits de ton travail et fiers de ton succs. Cela mrite une rcompense. Dis-nous ce qui pourrait te faire plaisir. Nous te savons raisonnable ; tu ne demanderas pas quelque chose que nos moyens ne nous permettraient pas. de t'offrir. Rflchis et mets un vu ; il est exauc d'avance.Annette rpondit sans hsiter : Je n'ai pas besoin de rflchir bien longtemps. Mon amie Jeanne, dont je vous ai souvent parl, et qui a obtenu son diplme en mme temps que moi elle a t reue deuxime passe ses vacances chez une tante, prs de Lugano. Lorsque nous nous sommes quittes sur le quai de la gare, elle m'a invite lui rendre visite, en disant que sa tante m'accueillerait avec joie. Et qu'as-tu rpondu ? demanda Heidi. Que c'tait impossible, que le voyage cotait cher et que vous m'attendiez pour que je vous aide ici. Tu n'es gure exigeante, ma chre enfant, dit Pierre. C'est accord : tu iras Lugano. Quand pars-tu ? ajouta-t-il malicieusement. Tout de suite, au revoir ! rpliqua Annette, en clatant de rire. Oh ! merci ! Que vous tes gentils. Quel plaisir j'aurai voir le Tessin ! Et dans sa meilleure saison. Nous te devons bien cela ; c'est peu d'ailleurs. Et pendant ton absence, ajouta Heidi mystrieusement, nous te prparerons une belle surprise. Laquelle, maman, dis-le moi ! Chut ! Soyons srieux. Quand comptes-tu partir? Je vais d'abord vite crire un mot Jeanne, pour l'informer de votre permission. Le courrier part dans une demi-heure. Elle aura la lettre demain. J'aurai sa rponse mardi ou mercredi. Si sa tante m'accepte, je serai jeudi Lugano ! Il nous restera encore dix jours, dix longs jours, dix beaux jours passer ensemble !Annette, ce soir-l, toute sa joie, et aussi anime de sentiments divers eut de la peine s'endormir...*

**Le lendemain matin, 7 heures, Heidi entra dans la chambre d'Annette. La Jeune fille dormait encore profondment. Sa mre la rveilla d'un baiser au front. Annette, Annette, un tlgramme! Il vient de ton amie Jeanne qui t'attend le plus vite possible. J'ai regard l'indicateur des chemins de fer. Un train passe Mayenfeld 10 h. 12 ; tu changes Thalwil, puis Arth-Goldau, o tu as 55 minutes d'arrt, le temps de manger convenablement, sans te presser. Tu prends l'express du Gothard i h. 27 de l'aprs-midi et 4 h. et demie tu es Lugano. Oh ! chre maman, comme je suis heureuse, dit Annette en sautant au cou de Heidi. Ne perds pas de temps. Prpare ce que tu veux emporter. Le moins possible ! Je vais servir ton petit djeuner, puis je t'aiderai faire ta valise. Ah ! j'y pense : il serait convenable que tu tlgraphies ton amie Jeanne, pour l'aviser de ton arrive. C'est mme indispensable. Il faut qu'elle vienne me chercher la gare, pour me conduire chez sa tante. Je sais que le village se nomme Dino ! Je ne connais rien de plus ! Allons, fais ta toilette. Nous bavarderons en djeunant.*

**

Jeanne tait venue attendre son amie sur le quai de la gare de Lugano. En dbouchant sur l'esplanade qui domine la ville, Annette fut saisie d'merveillement. Le lac tait d'un bleu profond. Le Monte Br et le San-Salvator dressaient des deux cts de la cit tessinoise leur masse vert sombre. Que c'est beau, s'cria Annette. Je ne me serais jamais figur un paysage aussi splendide. Quelle lumire ! Quelles couleurs ! C'est un vrai rgal des yeux que tu m'as prpar, ma chre Jeanne. C'est bien diffrent de Coire... ou de Dorfli ! dit Jeanne en souriant. Nous allons passer des jours, merveilleux. De vraies vacances !Les deux jeunes filles descendirent au bord du lac. Jeanne fit quelques emplettes dans de minuscules boutiques niches sous les arcades de la vieille rue Centrale. Puis elles s'installrent la terrasse d'une ptisserie en attendant le dpart du tramway qui, en une heure, les conduirait Dino, sur les flancs du Monte Br, presque au pied des Dents de la Vieille, dont les rochers dchiquets se profilaient l'horizon.Annette crivit ses parents une carte postale illustre, aux coloris vigoureux.De la remorque du tram o elles avaient pris place, les deux jeunes filles, pendant leur voyage, admirrent les palmiers, les magnolias en fleur, les chtaigniers qui faisaient des taches sombres sur la clart de la verdure printanire.Elles arrivrent au pittoresque village tessinois au moment du coucher du soleil. Le spectacle tait grandiose. L'immensit du ciel s'empourpra. Annette s'emplit les yeux de ce spectacle inoubliable.*

**

Dix; jours plus tard, Annette rentrait Dorfli, le dimanche soir, trs tard. Le village dormait dj sous la vote cleste splendidement toile.Heidi seule veillait en .attendant sa fille, Mademoiselle Annette . Elle la reut avec une joie non dissimule et l'embrassa avec effusion. Si tu savais comme c'tait beau, maman ! Et comme Jeanne et sa tante ont t gentilles pour moi. Nous sommes alles nous promener en petit bateau, sur le lac, un jour jusqu' Morcote, une autre fois Gandria, et mme en Italie, dans un petit village qui s'appelle Campione. Tu nous raconteras tout cela demain. Ce soir tu es fatigue. Prends cette bonne tasse de caf au lait et ces quelques brioches ; elles te restaureront. Tu dois avoir sommeil. Le voyage est long, car il faut faire un grand dtour. J'ai quitt Jeanne Arth-Goldau. Elle allait passer encore quelques jours Lucerne, chez des parents. Je suis sre que tu vas bien dormir, ma fille. Je ne te rveillerai .pas demain matin. C'est encore pour toi les vacances. L'cole recommence demain matin, Dorfli. J'y songe tout coup : a-t-on nomm un nouvel instituteur ? Oui, le choix est fait, nous en avons eu confirmation ce matin, par ton pre.- Ah ! Qui est-ce ? D'o vient-il, celui-l ? De la ville ? De la campagne ? Etait-il l'Ecole normale de Coire ? Nous parlerons de tout cela demain. Allons-nous coucher. Bonne nuit, Annette. Bonne nuit, maman. A demain !Le lendemain matin Annette, pour la premire fois de sa vie, se rveilla vers 10 heures seulement. Elle eut en elle-mme honte de sa paresse ! Elle sauta bas de son lit. Tout en faisant sa toilette, elle sentit un grand vide en elle. Elle comprit qu'une tape de son existence tait termine et qu'une autre s'ouvrait imprvisible. Contre la paroi tait suspendu, dans un cadre tout neuf, son diplme d'institutrice ! O allait-il le conduire, maintenant ? Il lui faudrait probablement quitter son Dorfli et ses parents qu'elle aimait tant ; comme sa mre, elle serait appele dans un Hinterwald quelconque, pour de longs mois, pour de longues annes peut-tre ; Dieu seul le savait. Elle eut peur de l'avenir, de l'inconnu. Elle tait prte pleurer.Elle descendit la cuisine, o Heidi et Brigitte l'accueillirent avec des visages radieux. Voici ma grande fille ! As-tu bien dormi, Mademoiselle ? demanda Brigitte avec un petit air entendu. Ne te moque pas de moi, Brigitte ! Que comptes-tu faire de ta matine, ou plutt de ce qu'il en reste ? questionna Heidi. Ne puis-je vous tre utile quelque chose ? Non, Mademoiselle ! Tu m'agaces, avec tes Mademoiselle ! ; ou veux-tu dire par l que je ne suis plus bonne rien ? Bah ! dit Heidi ; Brigitte te taquine. Allons au village. J'ai quelques emplettes faire. Je sors avec toi.Annette parut contrarie. Elle aurait prfr sortir seule. Une pense l'obsdait : qui tait le nouvel instituteur de Dorfli? Elle n'osai poser la question sa mre.En route, pourtant, elle prit Heidi par le bras, pour se donner du courage, et demanda : L'cole ne devait-elle pas reprendre ce matin ? Je la vois ferme et les volets de l'appartement de l'instituteur sont clos. Les classes ne recommenceront que cet aprs-midi, trois heures. Il y aura une petite crmonie d'installation. Le nouveau matre doit arriver vers midi seulement, dit-on.Sur la place du village, un groupe de petits enfants jouaient faire un tunnel dans un grand tas de sable. Ds qu'ils virent Heidi et Annette, ils s'lancrent vers elles et tendirent tous la fois leurs petites mains sales pour les saluer. ' Bonjour, Mademoiselle ! Il ne faut pas me dire Mademoiselle voyons ! Auriez-vous oubli que je m'appelle Annette ? Non, M'zelle Annette, dit la petite Lina, avec un sourire malicieux.Quand elles se furent dgages de la troupe turbulente qui tait retourne son jeu et qu'Heidi et sa fille se trouvrent seules, Annette, impatiente, dit : Maman, je ne reconnais plus Dorfli ! Qu'est-ce qu'ils ont tous me dire Mademoiselle ? Je comprendrais cela de la part d'trangers, mais ici ! C'est bien naturel, ma fille. Tout le village sait que tu as ton diplme d'institutrice ; tous, les grands et les petits, sont fiers de toi. C'est leur manire eux de te fliciter.A l'picerie, Annette chercha en savoir plus long sur le nouvel instituteur. Elle interrogea la vieille Adle et le petit Thomy, et d'autres encore qui emplissaient la boutique. On ne sait rien. On ne le connat pas, on ne l'a jamais vu. Voil tout ce qu'elle put obtenir. C'tait peu pour satisfaire sa curiosit.Au repas de midi, Annette raconta ses vacances au Tessin et dcrivit avec enthousiasme les excursions qu'elle avait faites, les belles fleurs qu'elle avait vues dans les parcs de Lugano et dans les villas au bord du lac. Son pre s'intressa vivement tous les dtails, car ils concernaient sa profession. J'ai cultiv quelques-unes de ces fleurs, quand j'ai fait mon apprentissage de jardinier Mayenfeld. Ici, cause de l'altitude et de la fracheur des vents, on ne pourrait les obtenir qu'en serre. Ces magnolias, ces tulipes, ces curieuses fleurs de la Passion que tu as vues Gandria ne trouveraient pas d'amateurs dans notre pauvre Dorfli.Paul amena ensuite la conversation sur la crmonie de l'aprs-midi. Annette s'enhardit. Voyons, toi, papa, qui fais partie de la municipalit, tu dois savoir quel est le remplaant de M. Keller. Je sais juste son nom. Je ne le connais pas, je ne l'ai jamais vu. Je suis certaine, dit Annette, que ce sera un horrible monsieur, svre et mchant, qui rendra les enfants malheureux.Tous sourirent de cette boutade.t- Je crains que tu n'aies raison, ma pauvre petite ! Il parat qu'il a dcid d'tre svre dans ce village. Annette devint rouge d'indignation. Nous ne le lui permettrons pas et, s'il est trop mchant, nous le renverrons chez lui. D'abord, pourquoi ce vilain monsieur n'est-il pas encore arriv ? Il ne saurait tarder. Il est dj midi et demi. Est-il mari ? Nous n'en savons rien ! Tu lui demanderas toi-mme, dit Paul en riant. Vous tes taquins ; je suis persuade que c'est vous tous qui l'avez choisi. On le dit beau garon, dit Paul avec malice.Le repas se passa imaginer l'apparence de celui qu'on attendait. A tout moment Annette regardait par la fentre. Il lui semblait avoir entendu un bruit de grelots ou un bruit de pas sur la route. Peut-tre tait-ce le nouveau matre d'cole ? Chaque fois, elle eut la dception de ne voir qu'un homme du village ou le char d'un paysan. Je pense, dit-elle, que vous avez choisi un homme trop srieux, qui ne rira jamais et qui attristera tout le village par son air froid et distant. Oh ! ajouta-t-elle en plaisantant, si vous m'aviez demand conseil, j'aurais bien su vous dire quel genre d'instituteur convient Dorfli ! Et qu'aurais-tu choisi ? Un jeune homme gai, instruit, aimant les enfants et la montagne. Un citadin ne se plaira pas chez nous et nous serons malheureux. Tu en parles comme si tu devais retourner l'cole, lui dit Pierre. Esprons que tout s'arrangera et que nous ne serons pas dus. Tu sais que je suis membre de la municipalit. Il est temps que j'aille faire un brin de toilette pour l'installation de ce personnage si important. D'ailleurs, tu m'accompagneras et je te demande mme de prendre ton violon pour faire chanter les enfants.Annette aida Heidi et Brigitte dprir la table et laver la vaisselle.Elle pressait les deux femmes pour que 'tout ft en ordre dans la maison. S'il prenait la fantaisie: au nouvel arrivant de venir saluer ses parents avant de se rendre l'cole, il fallait que le Manoir ft une bonne impression. Une touffe de primevres cueillies dans le pr voisin remplaa des gentianes qui n'taient plus trs fraches ; Annette changea le tapis de la table, refit les plis des rideaux. Puis elle s'en fut dans sa chambre. Elle mit une robe bleue toute seme de petits bouquets rouges. Elle noua un foulard blanc autour de son cou ; avec un peigne qu'elle ne mettait qu'aux grandes occasions, elle fixa sur sa tte ses deux belles nattes brunes.

CHAPITRE VILE SUCCESSEUR DE M. KELLER.Peu avant trois heures, toute la famille prit le chemin de l'cole. Le nouvel instituteur n'avait pas daign passer au Manoir. Annette en tait due. Ils ne rencontrrent personne sur leur chemin. Tous les habitants de Dorfli taient sans doute dj installs dans la grande salle o devait avoir lieu la crmonie. En franchissant le seuil de la maison, Annette se sentit treinte d'une trange motion ; elle s'arrta toute saisie. Les enfants taient leur place silencieux. Au fond de la classe beaucoup de parents, assis ou debout semblaient attendre. Prs du pupitre vide, les membres de la municipalit en habits de crmonie parlaient voix basse.Toutes les ttes se tournrent vers les nouveaux arrivants, les enfants se levrent et, comme un signal, une fillette s'avana, un bouquet la main, en disant : Bienvenue notre nouvelle institutrice !N'en pouvant croire ses oreilles, Annette regarda en arrire, vers son pre et sa mre qui la suivaient.Ils sourirent en approuvant de la tte.Alors, joyeuse et confuse la fois, Annette plaa le violon dans les bras du pasteur et se baissa pour embrasser sa petite lve, qui rougit de plaisir.Solennellement, le Prsident de la commune, aprs avoir toussot pour se faire la voix, commena la lecture de son discours : Mademoiselle, j'ai le privilge et la grande joie de vous annoncer que, sur le pravis de notre municipalit et de la Commission scolaire, le Conseil d'Etat du canton des Grisons vous a dsigne pour succder au regrett M. Keller, comme institutrice Dorfli et vous confie la direction de notre cole, pour une anne titre d'essai.Il s'arrta, comme tout tonn d'avoir pu prononcer sans accroc une phrase si longue. Puis, reprenant : Au nom du Conseil municipal et au nom de tous les habitants de Dorfli, je vous flicite de ce succs bien mrit. Nous somms persuads qu'on ne pouvait faire un choix meilleur...Il s'arrta de nouveau, mit le papier dans sa poche, caressa sa grande barbe grise, hsita un instant. Mes chers amis de Dorfli, chers enfants, et toi, ma grande Annette. J'avais -crit un beau discours, mais je sens maintenant combien des mots officiels ne sont pas de mise entre nous. C'aurait t indiqu si on nous avait envoy un de ces jeunes citadins qui ne. comprennent rien aux gens de la montagne ! Nous avons de la chance: tu es de chez nous. Tu sais mieux que tout autre ce que

Bienvenue notre nouvelle institutrice doit tre l'cole de Dorfli. Tu es sortie premire de l'Ecole normale, nous sommes assurs que tu es savante. Quant aux conseils sur la tenue d'une classe, ce n'est pas moi qui puis te les donner ! C'est Heidi, ta bonne mre, qui te guidera dans le dbut de ta carrire. Tu as de la chance et, nous aussi, nous avons de la chance ! Viens et embrasse-moi !Annette tait trs mue. C'tait donc bien vrai, elle tait institutrice, et Dorfli ! Son rve le plus cher tait ralis ! Tandis que parents et enfants applaudissaient en trpignant, le pasteur et les membres de la municipalit vinrent lui serrer la main et la fliciter affectueusement.Prenant tout de suite son rle au srieux, Annette s'avana jusqu'au pupitre et dit simplement : Je suis trop heureuse et trop reconnaissante pour vous faire un long discours. Si vous le voulez bien, je vais vous remercier en faisant chanter par les enfants quelques-uns de nos beaux chants de montagne.Elle accorda son violon, que le pasteur avait gard, et bientt jeunes et vieux chantaient en chur les beauts de leur chre patrie.Puis les adultes s'en retournrent leurs travaux et l'on donna cong aux lves, afin qu'Annette pt prparer le travail du lendemain.Reste seule dans la classe, elle s'assit au pupitre et regarda autour d'elle. Tout avait chang en quelques jours : les tables des lves avaient t rabotes de frais, les murs reblanchis. La chaire tait toute neuve et trs joliment sculpte. Certainement ses parents avaient pass par l. Ils avaient voulu que leur fille ft bien installe dans ses meubles propres et nets.Aussi se sentait-elle le cur dbordant de reconnaissance et d'amour pour eux. Du mme coup s'clairait tout le mystre de leur conduite pendant les jours prcdents.Le soir, on la taquina un peu. Pierre lui demanda : Notre choix tait-il donc si mauvais, ma fille ? Notre instituteur est-il trop srieux ? J'espre que votre choix est bon, mais j'ai un peu peur maintenant de n'tre pas assez srieuse, ni assez savante pour ma tche. Dieu t'aidera si tu le Lui demandes, ajouta Heidi. Je pense que tu n'as pas oubli de Le remercier, Lui d'abord.*

**

Le matin suivant, sept heures moins un quart, la cloche de l'cole se mit sonner d'une trange faon. Il y eut d'abord trois coups faibles, hsitants ; puis toute une srie de coups rapides et irrguliers s'envolrent du clocher comme autant d'abeilles presses de sortir de la ruche. Chez eux, les villageois dressrent l'oreille ; les uns sourirent, les autres froncrent le sourcil, mais tous devinrent que la nouvelle institutrice tait aux prises avec la premire difficult de sa profession : tirer la corde de la cloche avec rgularit, sans contrarier les battements.Annette comptait haute voix : 27, 28, 29 . Elle devait sonner trente coups, elle le savait. Elle compta donc trente et lcha la corde. Cela produisit par en haut, dans le clocheton, toute une cascade de sons argentins qui remplirent d'inquitude la jeune institutrice. Elle saisit vivement la corde pour' mettre un terme au bruit, mais elle tira trop fort et la cloche se remit battre 31, 32, 33, 34... .Annette, un peu confuse, pntra dans la classe vide, s'assit sa place et se plongea dans les notes qu'elle avait apportes. Elle les relut distraitement pendant que les lves entraient et s'installaient. Enfin, elle leva les yeux et regarda devant elle. Tout d'abord elle ne distingua pas nettement les visages. Je vais faire l'appel. En entendant son nom, chacun de vous se lvera et rpondra Prsent . Hans Annen. Prsent!Annette regarda avec attention^ le petit gars trapu et rbl; elle savait qu'il tait le fils du forestier. Alfred Bertschi. Prsent ! rpondit un grand garon, la mine effronte. Jean-Pierre Vernez. Prsent!L'appel des garons termin, vint le tour des filles : Lina Weber. Prsent! Anne-Lise Salis. Prsent! Flora Castelli. Prsent! Marthe Castelli. Prsent!Les deux voix qui rpondirent taient identiques et Annette en levant les yeux resta un moment comme ptrifie d'tonnement. Elle avait devant elle deux visages absolument semblables. Mmes yeux bleu fonc bords de cils noirs, mme grande bouche rieuse, mmes cheveux chtains boucls. La jeune institutrice se souvint tout coup que, dans la dernire lettre qu'elle lui avait crite, Heidi avait mentionn le retour au village du mnage Castelli et de leurs deux jumelles. Le, pre, maon, avait travaill pendant plusieurs annes dans les villes du plateau suisse. Il tait rentr Dorfli avec sa famille, la mort de ses beaux-parents.Prise par ses examens, Annette avait lu la nouvelle, mais sans s'y intresser. Elle demanda : Laquelle est Flora et laquelle est Marthe ?

Les jumelles se regardrent, sourirent gentiment et rpondirent d'une seule voix : Moi.Tous les lves clatrent de rire et cela fit dans la classe un bruit assourdissant. Annette eut peur ; il lui sembla se trouver soudain devant une bande de petits diables malveillants piant sa moindre dfaillance. Pourquoi donc l'Ecole normale des institutrices de Coire n'avait-elle pas prpar ses tudiantes pareil contact avec des lves jumelles? Sa question avait t maladroite ; que dire pour ramener le calme ? Flora, viens ici.Le bruit cessa instantanment et les coliers devinrent attentifs. Leurs yeux ptillaient, on allait s'amuser. Flora se plaa prs de la chaire et Annette la dvisagea afin de graver les traits de la fillette dans sa mmoire. Marthe, viens aussi.La petite s'avana et se mit ct de sa sur. Annette la regarda, c'tait le portrait exact de sa jumelle.Il doit bien y avoir un moyen de les distinguer l'une de l'autre, pensait Annette; il suffit de chercher. Voyons... Flora a peut-tre les yeux un peu plus vifs que Marthe ; Marthe peut-tre les cheveux plus foncs que Flora...Mais non ! Aucun signe ne permettait de dire avec certitude : c'est Marthe, c'est Flora.Toutefois, la jeune institutrice, craignant de perdre son autorit en reconnaissant son incapacit distinguer les jumelles, les renvoya leur place en affirmant : C'est bien, maintenant je vous connais parfaitement l'une et l'autre.Les deux fillettes tournrent le dos au pupitre et s'en furent vers leur place, l'une par le couloir du centre, l'autre par celui de droite. Elles s'assirent d'un mme geste et Annette, en les regardant, se sentit envahie d'un grand trouble ; o tait Marthe, o tait Flora ?La leon de lecture commena. Annette fit lire Alfred, puis Jean-Pierre ; ce fut ensuite le tour de Lina. Dans ce groupe d'lves de douze treize ans, il n'y avait plus que les jumelles. A la suivante, maintenant.Par espiglerie, les deux fillettes se mirent lire ensemble... et la classe entire clata d'un rire bruyant, sonore, d'un rire qui devait s'entendre jusqu'au bas du village.Annette faillit perdre la tte.Qu'allaient penser les villageois qui passaient sur la place? Ils croiraient qu'elle n'avait aucune autorit, que les enfants se moquaient d'elle. Leur opinion sur la nouvelle institutrice serait bien mauvaise, sans doute. Que faire, que faire? se demandait la jeune fille avec angoisse. Le rire s'agrmentait de bruits de pieds, de heurts sur les tables.Soudain, Annette eut une inspiration. Sache te mettre souvent la place des lves , lui avait dit Heidi. En une seconde Annette se vit sur un banc d'colire et elle commena rire aussi en regardant sa classe d'un air joyeux et entendu. Ce fut miraculeux. Au bout de quelques secondes, le calme se rtablit, mais de la joie restait imprime sur tous les visages/ Jamais je ne distinguerai Marthe de Flora, ni Flora de Marthe ! dit-elle. Aussi pour viter de gronder l'une quand l'autre aura fait une sottise, je vais vous mettre un signe, chaque matin en arrivant, Oui, oui, crirent les enfants, mettez-leur un signe. Lequel ? interrogea Annette. Un ruban de couleur. Une plume d'aigle dans les cheveux. Une tache noire sur le nez de Marthe. Les rponses fusaient de partout. Cela suffit, dit Annette en riant. Je choisirai un ruban bleu pour Flora et un rouge pour Marthe. Tous les matins je les mettrai dans leurs cheveux et ainsi je ne confondrai plus les deux surs !Et la leon se poursuivit aprs cet incident.La tche de la jeune institutrice n'tait certes pas toujours facile. Il y avait l trente lves de sept treize ans, filles et garons.Chaque soir, Annette, rentre chez elle, racontait Heidi lesdtails de la journe. Les conseils et les encouragements que lui donnait sa mre taient pour elle d'un prcieux secours. Sache, ma fille, que le secret de la russite dans .ta vocation, c'est de connatre les dfauts et les qualits de chacun des enfants qui te sont confis. Ce n'est pas ais avec de petits montagnards ; ils ne livrent gure leur cur, l'cole. Il n'y a. pas de doute. Aussi est-ce par des entretiens particuliers que tu pourras pntrer dans l'me et dans l'esprit de tes lves. Je connais cette thorie, ma chre maman ; comment faire pour la mettre en pratique ? Vois-tu, Hinterwald, malgr l'hostilit que j'y avais rencontre, j'avais fait la connaissance de toutes les familles ; je m'intressais leurs travaux, je prenais part leurs soucis, leurs joies. Dans un village, c'est beaucoup plus commode que dans une grande ville. Au surplus, tu as la chance d'tre de Dorfli, o les portes de chaque demeure te sont ouvertes. Va voir tes lves chez eux ; et surtout, aime-les tous galement.Annette suivit ces instructions. Elle devint rapidement l'amie ane des enfants de Dorfli, la conseillre avise de tous.Par sa douceur et sa fermet, elle imposa son autorit, gagna le respect et conquit les curs pour de longues annes.

DEUXIME PARTIECHAPITRE VIIL HEUREUSE FAMILLE.Quinze fois dj les grandes montagnes, les valles et le village ont t recouverts par l'paisse couche de neige ; quinze fois aussi les pturages ont reverdi, les fleurs des Alpes ont gay les prairies et le brillant soleil d't a lui de nouveau sur la nature entire.Heidi n'est certes plus la jeune mre alerte de jadis ; cependant le mme charme mane toujours de sa personne. Elle s'oublie soi-mme encore bien souvent pour les autres et sait partager les peines et les joies d'autrui.Au Manoir , la jeune Lina, devenue orpheline de bonne heure et recueillie par Pierre et Heidi, a remplac Brigitte. Elle vient d'avoir vingt-deux ans. Vive, toujours joyeuse, elle assume la direction de la maison, entourant ses parents adoptifs d'une affectueuse reconnaissance.Heidi est grand'mre de plusieurs petits-enfants. Henry est New-York o, grce aux amis d'Amrique dont on a rgulirement des nouvelles, il a trouv une belle situation ; il a pous une Suissesse ne l-bas ; il a un fils de 12 ans, John, et une fillette de 9 ans, Elisabeth.Annette s'est marie au mdecin de Mayenfeld ; ils ont deux enfants, deux jumeaux de huit ans, Jean-Pierre et Jacqueline.Quant Paul, rest Dorfli, il a fond un foyer avec Ida, la fille du facteur ; une petite fille, qui a maintenant cinq ans, et deux garons, l'un de quatre ans et l'autre qui n'est encore qu'un bb, animent le Manoir . Car Paul a repris les travaux horticoles cl son pre* II a mme cr un splendide jardin alpin o il a runi toute la flore de la rgion.Ce matin-l nous sommes au mois de mai Pierre est install dans le grand fauteuil ; il lit un journal dploy derrire lequel disparaissent entirement son visage et la belle barbe grise qui l'encadre.Heidi est assise en face de lui et tricote une brassire de laine rose pour le petit Bouby. De temps en temps elle prend de l'eau qui "chante dans la bouilloire pour la verser sur un caf parfum.Les deux vieux attendent l'heure du repas de midi ; Ida et Lina s'affairent la cuisine d'o parvient une odeur apptissante.Brusquement la porte s'ouvre avec fracas et deux enfants font irruption dans la chambre, comme deux diablotins. Jean-Pierre fait la culbute sur le plancher et, se glissant sous le journal, saute califourchon sur les genoux du grand-pre. Jacqueline s'assied sur le bras du fauteuil de grand'maman Heidi, la prend par le cou et l'embrasse de toutes ses forces.. Quelle heureuse surprise, dit Heidi. Vous n'tes pourtant pas monts seuls Dorfli. O est votre maman ? Elle nous suit. Elle ne peut pas courir aussi vite que nous ! Nous l'avons abandonne l'entre du village. Elle trouvera bien son chemin toute seule, dit Jean-Pierre d'un air espigle, a n'est pas gentil d'abandonner ainsi sa maman en route, dit la grand'mre. Nous nous sommes bien dbrouills tout seuls ! Mamy se dbrouillera bien aussi ! rpliqua Jean-Pierre.Pierre et Heidi se regardrent, surpris de cette rponse qui. touchait l'impertinence. Jacqueline appuya clinement sa petite tte contre la joue de sa grand'maman. Dis, Mme, quand monterons-nous au chalet ? Parce que, vous savez, affirma Jean-Pierre, nous sommes venus Dorfli pour monter au chalet ; c'est dcid. C'est dcid, c'est dcid ! Comme tu y vas, mon petit bonhomme ! dit Pierre surpris d'une telle assurance.Annette entra ce moment, essouffle et manifestant une certaine inquitude. Elle pensait : Dieu sait quelle niche mes deux terribles auront encore faite avant mon arrive ! Bonjour, Annette. Quelle joie de vous voir tous les trois ici. C'est du soleil dans la maison ! dit Heidi. Du soleil ! du soleil ! Dis plutt la tempte, ajouta en souriant Pierre qui tentait en vain depuis un moment de dsaronner son petit-fils. N'est-ce pas, Mamy, que nous irons au chalet ? Grand-papa l'a promis lors de notre dernire visite, cria Jean-Pierre qui se cramponnait aux paules de l'aeul. Promis ! Il s'agirait de s'entendre. Descends d'abord de mes genoux et nous parlerons plus l'aise. Je ne descendrai pas avant que tu m'aies dit quand nous monterons sur l'Alpe, rpondit Jean-Pierre en se faisant tout coup cajoleur. Ds que ta grand'maman aura fait les bagages, lcha Pierre imprudemment.L'enfant se laissa glisser terre, prompt comme l'clair, et se prcipita vers Heidi. Oh ! alors, grand'maman, nous ferons les malles aujourd'hui ! S'il te plat, faisons-les tout de suite, je t'aiderai et nous pourrons partir dj demain matin. Patience ! Pour le moment, mettons-nous table. Venez avec moi la cuisine saluer tante Ida et Lina ; Paul ne saurait tarder rentrer du jardin, avec Marie qui s'intresse fort au travail de son pre.Le repas se passa gament, au milieu des rires et du bavardage des cinq enfants. Heidi, Pierre, Annette, Paul et Ida discutaient entre eux de la faon dont on pourrait loger tout ce monde au chalet de l'Alpe. Ce n'est pas un secret pour vous, dit Pierre, que l'automne dernier, j'ai transform notre maison d't. L'Oncle de l'Alpe semblait avoir prvu, avec le Docteur Rroux, l'agrandissement de cette demeure. Tu n'as pas encore vu ce chef-d'uvre, Annette, ajouta Heidi. Tu n'en croiras pas tes yeux. Le chalet a doubl de longueur. Nous avons agrandi la cuisine ; la salle manger, c'est l'ancienne table chvres. D'ailleurs, moi-mme, je ne suis pas retourne l-haut depuis que les travaux sont achevs. C'est une vraie pension-famille ! dit Annette m riant. Tu as raison, une vaste demeure pour notre famille ! Nous avons pens qu'en nous serrant un peu, bien sr, nous pourrons tous nous y loger. Tu n'ignores pas, ma chre Annette, que la dernire lettre reue de New-York nous fait part de l'intention qu'a ton frre Henry de venir passer l't en Suisse. Il est vrai que je ne connais pas encore ma belle-sur d'Amrique, ni mon neveu, ni ma nice du Nouveau Monde ! Nous non plus ! On les a pourtant vus en photographie, dit la petite voix flte de Jean-Pierre. La tante Edith a un chapeau haut comme a ! Et la cousine Elisabeth a les jambes nues, avec des chaussettes comme les garons.Le repas tait termin. On envoya les enfants jouer au verger. Lina desservit la table et apporta le caf. Ida monta dans sa chambre pour mettre coucher le petit Bouby qui s'endormit tout de suite dans son berceau. Il n'a pas froid aux yeux, ton Jean-Pierre, dit Paul sa sur. Mon fils est vif comme les chvres et curieux comme elles. Je plains son institutrice Mayenfeld ! Plains plutt ses parents ! Voici qui te surprendra peut-tre : l'cole, il est sage comme une image. Comme il a de la vie dpenser, une fois rentr la maison il donne toute libert son exubrance. Il pourra s'en donner cur joie sur l'Alpe, dit Pierre, qui avait allum un long cigare bien noir. Depuis un certain temps, Jean-Pierre se passionne l'ide de monter au chalet, dit Annette. Il ne cesse de me poser des questions : Quand monterons-nous au chalet ? Comment est-il le chalet, maintenant ? Est-ce que je coucherai dans la mme chambre queRobert et que John, quand ils viendront de New-York ? J'en ai la tte rompue. Et ton mari, que dit-il de tout cela ? demanda Ida qui tait redescendue. Claude en est tout heureux. Rappelle-toi quel plaisir il avait eu, l't dernier, de passer quelques jours sur l'Alpe. D'ailleurs, ajouta Heidi, c'est lui qui a eu l'ide de ce sjour de toute la famille, pour cette anne. C'est bien grce son appui financier que nous avons pu faire les transformations indispensables. Il sera surpris et satisfait, je le souhaite, du parti que nous avons su tirer de la demeure alpestre. Je pense qu'il montera vers nous tous les dimanches, peut-tre mme le samedi soir dj. Quels beaux jours nous allons passer l-haut, en pleine nature, dit Lina en versant chacun une seconde tasse de caf bouillant. Heidi grand'mre, au milieu de ses sept petits-enfants! murmura Pierre avec une pointe d'motion.- Quel splendide tableau de famille !Un silence de bien-tre et de bonheur rgna quelques minutes dans la chambre. Chacun voquait cette, vision admirable d'un proche avenir.Paul se leva le premier. Je retourne l'ouvrage. En passant, jette un coup d'il sur les enfants ! On les entend rire au grand soleil.Pierre, aprs avoir hsit un instant, hasarda : Est-ce que je vous gnerais en vous faisant entendre un peu de belle musique ? Ce magnifique poste de radio que Claude nous a donn la fin de l't dernier nous a permis de passer d'agrables soires, cet hiver. Paul et Lina se couchent tt, ajouta Heidi. Deux vieux comme nous n'ont plus besoin d'autant de sommeil et cet instrument, aux sons si purs, nous a transmis de beaux concerts, de Zurich, de Baie, de Genve ou mme de Paris, Parfois mme, nous ayons pu capter les ondes de New-York. Ces Amricains font une musique bien trange, qui ne nous plat pas beaucoup ! Cependant nous l'coutions tout de mme, car elle venait de New-York et nous avions -l'illusion d'tre tout prs d'Henry. C'est d'ailleurs le seul poste du village, dit Heidi. L'automne dernier, au moment o un vent de folie soufflait sur l'Europe, nous avons t heureux de connatre les nouvelles rcentes ! Puisse le cauchemar de la guerre qui menaait s'tre loign pour toujours !Pierre avait tourn le bouton de l'appareil. Un air sonore et rythm, un air suisse en sortit. Les adultes coutrent en silence.Pierre battait doucement la mesure avec le pied. Heidi balanait imperceptiblement la tte.Soudain, Annette clata de rire, en montrant l'embrasure de la fentre. Quand je vous disais qu'il tait curieux comme une chvre, mon Jean-Pierre !Une petite tte boucle mergeait juste la hauteur de la tablette; des deux cts de cette frimousse veille, deux petites mains s'agrippaient la pierre. Le bonhomme avait quitt les enfants pour couter la musique, en cachette. Se voyant dcouvert, il fit rapidement le tour de la maison, entra dans la salle manger en s'criant :. Dis, grand'maman, est-ce qu'on fait bientt les malles? La ntre est dj faite ! dit Annette. Mais elle est encore Mayenfeld. Elle n'arrivera que dans la soire, par la voiture postale. Je crois qu'il sera inutile que tu la dballes, remarqua Heidi. Tu pourras te borner prendre ce qui est ncessaire pour la nuit.

Nous monterons au chalet demain matin.Jean-Pierre fit un grand saut, suivi d'une culbute si vigoureuse que les assiettes de faence vibrrent dans le vaisselier et que les tasses s'entrechoqurent dans le buffet. Hourra !Et il fila au verger annoncer aux enfants la grande nouvelle : Demain, demain ! a y est. C'est Mme Heidi qui l'a dit ! Demain, on monte au chalet, sur l'Alpe !Et saisissant par les mains les deux enfants les plus proches, forant le quatrime fermer le cercle, il les entrana en une ronde endiable, en hurlant de joie. -Le vacarme fut tel qu'il rveilla le petit Bouby qui, dans son berceau, poussa pleins poumons des cris aigus, faisant chorus avec ses frre et sur et ses cousin et cousine.Quel joyeux tumulte ! Le vieux Manoir n'en avait jamais tant entendu.Essouffle d'avoir tourn si vite, d'avoir autant cri, la troupe s'lana dans la maison, Jean-Pierre en tte.Heidi eut de la peine rsister l'assaut de ses petits-enfants. Ils se pendaient sa jupe, la tirant de ci, la tirant de l. Viens, Mme, viens avec nous. Tu sortiras tout ce qu'on doit emporter pour l't. Nous le mettrons dans les malles. Tu vas voir comme ce sera vite fait !Vraiment, c'tait un grand jour ! Le Manoir prit en un instant l'aspect d'une choppe de foire. Des vtements de toutes sortes taient tals sur les lits, les canaps et les fauteuils. Jean-Pierre et Jacqueline amassrent au milieu du vestibule, entre les pattes d'un cheval bascule, des livres d'images, des poupes, une toupie, trois raquettes, deux volants aux plumes multicolores et une bote d'aquarelle. Jean-Pierre dnicha encore un pantin, un petit ours de drap rempli de son, un fouet et un sifflet qu'il lana triomphalement sur le tas de jouets, au grand effarement de sa cousine Marie qui craignait pour l'existence de ses poupes. Voil, a y est ! dit Robert, le petit frre de Marie.En effet, a y tait ! Dans le Manoir on ne pouvait plus s'asseoir nulle part et, pour passer d'une pice une autre, il fallait enjamber des monceaux d'objets de toute nature., Vous tes fous, les petits ! s'cria Lina en sortant de la cuisine. On a bien raison de dire qu'un seul dmnagement vaut deux incendies. Bah ! dit Heidi. Je me charge de faire le sergent-major... Avec des prodiges d'adresse, Pierre avait russi placer trois malles vides, le couvercle lev, dans la salle manger.C'est alors que Mme Heidi commena sa besogne, avec une patience et une douceur admirables. Annette et Ida s'offrirent pour lui aider. Elle refusa leur secours. Non, non. J'ai mon plan ! Restez simplement ici et vous aurez un beau spectacle... comique, je prsume.Et elle appela : Jean-Pierre, Jacqueline, Marie, Robert ! venez vers moi. Les quatre accoururent et se plantrent, sur un rang, devantleur grand'maman. Votre plus grand dsir n'est-il pas de monter demain sur l'Alpe ? Oui, Mme. Bien sr. Nous y comptons. Naturellement ! rpondirent les enfants, ensemble. Bien ! bien ! alors, coutez-moi : toute seule, je n'arriverais jamais boucler les malles ce soir. Vous m'aiderez, comme de grandes personnes que vous tes et, en moins d'une heure, nous aurons fini ! Bravo, je vais chercher les poupes, cria Jacqueline en se prcipitant dans le vestibule._Et moi le cheval, dit Jean-Pierre. Et moi le fouet, fit Marie. Et moi le sifflet, chantonna le petit Robert, qui s'enfuit en trottinant.Heidi, Annette et Ida partirent d'un clat de rire. a commence bien, dit Annette. Gomment vas-tu t'en sortir, ma pauvre maman ? Laissez faire ! Toi, Annette, tu iras dans ma chambre et tu donneras aux petits messagers les vtements qu'ils t'indiqueront de ma part. Ida ira dans la sienne et fera de mme.Les enfants taient revenus, les bras pleins de jouets qu'ils avaient lancs ple-mle dans la premire malle venue. Puis ils taient repartis pour chercher le reste. Comme cela, dit Heidi d'un air malicieux, le vestibule est dbarrass et on pourra passer plus facilement.La grand'maman, avec art et mthode, ordonna le transport des vtements des chambres aux malles. Les quatre enfants, conscients de l'importance de leur mission, s'acquittrent de leur tche avec soin et empressement.A l'heure du goter les malles taient faites. Le facteur apporta la quatrime, celle de Mayenfeld, au moment prcis o les enfants, assis sur la troisime, pesaient de tout leur poids sur le couvercle pour tasser les vtements gonfls qui empchaient de le fermer. Et voil ! C'est fini ! Vous tes de vrais petits nains de la montagne... Et toi, tu es la bonne fe, dit Jacqueline voix basse. La bonne fe va vous servir le goter. Vous l'avez bien mrit. A table !

CHAPITRE VIIILA MONTEE AU CHALET.Le lendemain matin, les premiers rayons du soleil lanaient leur poudre d'or depuis une demi-heure sur les sommets environnants ; dj les quatre petits diablotins bavardaient dans leur chambre avec volubilit. Dans les arbres du verger, la fracheur humide de l'aube, les moineaux piaillaient, comme pour donner la rplique. Un coup de cornette aigrelette retentit sur la route, suivi de claquements de fouet alternant avec des youtches sonores et joyeuses. C'tait Thomas le chevrier, qui, pour la premire fois de l'anne, menait son troupeau au pturage.

Jean-Pierre, Jacqueline, Marie et Robert se prcipitrent la fentre pour voir le joli spectacle. Une vingtaine de chvres folichonnes faisaient tinter leurs claires clochettes, se bousculant les unes les autres, tout excites l'ide qu'elles montaient vers la libert des grands rochers.Le temps tait splendide. La journe s'annonait magnifique. Les enfants, de la fentre, salurent Thomas par des cris de joie. Le petit chevrier leur rpondit en agitant son fouet et en soufflant pleins poumons dans sa cornette. A tout l'heure, cria Jean-Pierre. Nous montons tous sur l'Alpe aujourd'hui, et nous y resterons tout l't ! A bientt, rpondit Thomas, qui avait fort faire pousser ses chvres dans la bonne direction.Le petit Robert battait des mains en criant : A bientt, -les chvres ! A bientt !Les quatre paires d'yeux fascins par l'agilit des btes cornues brillaient dans la lumire du matin. Heidi tait entre si doucement dans la chambre que les enfants ne l'avaient pas entendue. Son cur battait bien fort en regardant ces quatre petits penchs la fentre, pieds nus, en longue chemise de nuit. L'allgresse rayonnait sur son visage. Mes petits ! murmura-t-elle. Mes petits moi, bien moi, pour tout ce bel t !En effet, le jour prcdent, la veille, alors que la grand'maman, les deux mamans et Lina examinaient comment on rpartirait la besogne au chalet, Annette avait dclar, sur un ton qui n'admettait pas de rplique : Toi, Mme, .tu t'occuperas des enfants. Faire la cuisine, la lessive et mettre les chambres en ordre, repasser, ravauder, c'est notre affaire. Tu joueras ton rle de grand'm