jacques-alain miller- course on poesy-introductory lecture

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  • 8/11/2019 Jacques-Alain Miller- Course on Poesy-Introductory Lecture

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    Orientation lacanienne III, 4.

    Jacques-Alain Miller

    Premire sance du Cours

    (mercredi 13 novembre 2002)

    I

    Bonjour !

    Vous tes l pour que je disequelque chose ? Je men doutais.Bon, allons-y ! Allons-y !

    Plutarque vous le savez ou vousne le savez pas, vous tes supposs lesavoir tait prtre d'Apollon, Delphes. Sanctuaire, on peut encore levisiter, on peut voir encore se lever lesoleil sur le site inou de Delphes. Il y aun htel qui a t juste construit aumeilleur point de vue.

    Plutarque est rest prs de quarante

    ans prtre d'Apollon, Delphes. Il en avu, oh oui ! jusqu' sa mort, dans lepremier quart du second sicle. On ledonne pour dcd vers 126, disent lesrudits, l'anne 126 de notre re.

    Durant le temps de son longsacerdoce, il composa trois dialoguesconsacrs aux oracles, dialogues quel'on connat sous le nom de Dialoguespythiques, de la pythie. On discute deleur ordre, mais on suppose que lepremier fut celui que l'on dsigne, en

    latin c'est l quon a mis tout a enordre , comme le De defectuoraculorum, De la disparition desoracles .

    La disparition des oracles. Ce sontdes esprits distingus qui se retrouvent Delphes. L'un deux a visitrcemment un sanctuaire lointain dansle dsert de Libye c'tait dj undsert , le sanctuaire de Zeus

    Ammon. Il rapporte que les prtres, l-bas, avaient remarqu que la lampe dutemple qui devait brler dun feuperptuel comme la flamme du

    Soldat inconnu sous notre Arc detriomphe, il y a l une pratiquemultisculaire, la flamme qui ne steintpas, sauf, manque de pot, quand ellesteint , la lampe du temple quidevait brler d'un feu ternel, eh bien,on avait remarqu quelle consommaitchaque anne un peu moins d'huile. Etdonc les prtres libyens concluaientque chaque anne tait plus courte quela prcdente, ce qui renversait lathorie astronomique mme de cetemps-l.

    Alors la discussion initiale de cedialogue porte sur ce point-l : N'est-ilpas ridicule, demande l'un, de partir defaits aussi menus pour chercher des

    vrits trs importantes. Est-ce quepour une mche de lampe, on vabouleverser le ciel, lunivers, mmedtruire de fond en comble lesmathmatiques, pour ce petit dtail ? On discute.

    Un des assistants argumente, aucontraire, que des faits trs menuspeuvent trs bien tre le signe devrits trs importantes.

    Un philosophe discute les causes dela diminution de lhuile consomme par

    le feu de la lampe. Admettre que lesannes dcroissent en longueurbouleverserait tout l'ordonnancementdu ciel, et peut-tre est-ce plus simplede supposer que l'air, soit en serchauffant, soit en se refroidissant,modifie la combustion de la mche. Oualors, c'est lhuile qui, danne enanne, naurait pas la mme qualit dflation du bouleversement initial.

    Mais enfin cette petite discussion dela mche de la lampe est place en

    exergue dune discussion sur ladisparition des oracles, les discussionsqui partent d'un fait troublant et quirecherchent des causes.

    On reste avec a jusqu ce que lephilosophe demande aux voyageurs deretour de Libye : Mais enfin, parle-nous plutt de l'oracle de ce sanctuaire,car la renomme du dieu de l-bas futgrande jadis, mais elle sembleaujourd'hui plutt fltrie.

    Et l-dessus un des assistantsobjecte : Il ne convient nullement denous informer, de discuter les oracles

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    de l-bas, quand nous voyons que ceuxdici ont tellement perdu de leur clat,ou plutt que, sauf un ou deux, ils onttous disparu ; ce qu'il faut rechercher,c'est la cause d'une telle dfaillance. quoi bon les numrer tous ? Ceux deBotie qui, dans les temps anciens,faisaient retentir ce pays de leursnombreuses voix, ont maintenant tout fait cess, comme des rivires taries, etla divination est frappe dans cettergion d'une profonde strilit. Car endehors de Lbade, la Botie n'offreplus aucune source de prdiction ceux qui dsirent y puiser ; dans tousles autres sanctuaires rgne soit lesilence, soit mme la solitude

    complte. Et pourtant, suit unedescription de l'poque o, dans toutela Grce, les oracles taient florissants.

    Et le dialogue roule sur ce fait, ce faitde l'extinction des oracles, de leuratrophie progressive, et on enrecherche les causes.

    Dans le cours du dialogue, ilsarrivent distinguer quatre causes decette disparition. La premire, c'est ceque propose Didyme le Cynique, ilpropose dans une sorte de sortie

    furibarde, du genre : Mais pourquoi secasser la tte ? Bien sr ce sont lesdieux qui se sont dtourns ! Ils ontcess d'alimenter les oracles !Pythagore disait que les hommesatteignent leur plus haut degr de vertuchaque fois qu'ils se rendent auprsdes dieux . Qu'est-ce qu'on constate,dit Didyme le Cynique, dans la pratiquedes oracles ? Aujourd'hui, c'est tout lecontraire : on ne se tient pas bien dutout devant le dieu. Les maladies de

    lme et les passions, qu'il serait santde dguiser et de cacher en prsenced'un homme que l'on respecte, on vientles taler ces maladies de lme, cespassions , dcouvertes et nuesdevant le dieu ! Donc a le dgote,le dieu ! Il dserte le lieu de l'oracle. Etpuis dailleurs Didyme le cynique en atellement marre de ces cons aveclesquels il est oblig de discuter, qu'ilprend la tangente une fois qu'il leur aassn sa thorie.

    Le philosophe est le plus pos c'est une sorte de Bourdieu, si je puis

    dire , il propose une thoriesociologique : si les oracles onttendance disparatre, c'est que laGrce se dpeuple, en raison desguerres civiles, des guerres extrieuresqui ont t infliges aux Grecs. LaGrce est devenue dsertique, il fautfaire des kilomtres enfin ils necomptaient pas en kilomtres , il fautfaire des kilomtres pour aller telsanctuaire. Qui va faire a ? Et doncc'est bien normal que a ferme, aferme partout !

    La troisime thorie met en causeles dmons, ces tres intermdiairesentre les dieux et les hommes qui nesont pas immortels mme sils vivent

    plus longtemps que les hommes etqui prsident aux oracles, et qui serventde serviteurs et de secrtaires auxdieux. Il se pourrait que les dmonsaient fini par mourir, et quainsi il ny aitplus personne pour faire la connexion.

    La quatrime thorie, la dernire, estgologique. C'est celle selon laquelleloracle parle travers un tre humain,parle travers un prophte ou unepythie, condition que les donsdivinatoires de la personne soient

    excits par un fluide manant de laterre, le pneuma, et s'il y a uneperturbation gologique, un sisme,couic ! on coupe le pneuma : plusd'inspiration ! Et cest peut-tre ce quiaurait pu se passer pour que lesoracles disparaissent.

    Le dialogue ne conclut pas. Il donnelide d'un souci partag sur ladisparition de ces messages quivenaient rpondre aux questionspressantes quon leur posait. Il se

    trouve qu'ils ne parlent plus, lesoracles, et que les hommes sedtournent des lieux o les oracles sefaisaient entendre.

    Bien des notions que nous avons surcette poque nous viennent dePlutarque, sans doute recoupes, maisla description quil donne l de l'tat deschoses est en tout cas une des sourcesde notre connaissance qui sontaccrdites par les historiens.

    On prend pour authentique ce qu'ilpeint de la dcadence des oracles, deleur atrophie et aussi de la

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    dpopulation de la Grce. Et il faut direque si ce dialogue est un haut lieu del'humanisme, c'est surtout par une pagequi roule dans la rflexion humaniste etqui relve de la troisime deshypothses du dialogue : ladmonologie.

    C'est en effet de l quon a prlev,que les Pres de l'glise d'abord, etpuis les humanistes Rabelais, pournous ont prlev l'histoire, aprs toutmystrieuse, du grand Pan estmort . Il faut que je vous lise lepassage.

    On cite quelqu'un qui narrait cettehistoire : Celui-ci racontait quun jour,se rendant en Italie par mer, il s'tait

    embarqu sur un navire qui transportaitdes marchandises et de nombreuxpassagers. Le soir, comme on setrouvait dj prs des les Echinades, levent soudain tomba et le navire futentran par les flots dans les paragesde Paxos. La plupart des gens bordtaient veills et beaucoupcontinuaient boire aprs le repas.Soudain, une voix se fit entendre qui,de l'le de Paxos, appelait grands crisThamous. On s'tonna. Ce Thamous

    tait un pilote gyptien, et peu depassagers le connaissaient par sonnom. Il s'entendit nommer ainsi deuxfois sans rien dire, puis, la troisimefois, il rpondit celui qui lappelait cette voix sans visage , et celui-cialors, enflant la voix, lui dit : Quand tuseras la hauteur de Palods, annonceque le grand Pan est mort ! Enentendant cela, tous furent glacsd'effroi. Comme ils se consultaiententre eux pour savoir s'il valait mieux

    obir cet ordre ou ne pas seninquiter et le ngliger, Thamousdcida que, si le vent soufflait, ilpasserait le long du rivage sans riendire, mais que, sil ny avait pas de ventet si le calme rgnait lendroit indiqu,il rpterait ce quil avait entendu. Or,lorsquon arriva la hauteur dePalods, il ny avait pas un souffle dair,pas une vague. Alors Thamous, plac la poupe et tourn vers la terre, dit,suivant les paroles entendues : Legrand Pan est mort. peine avait-ilfini quun grand sanglot sleva, pouss

    non par une, mais par beaucoup depersonnes, et ml de cris de surprise.Comme cette scne avait eu un grandnombre de tmoins, le bruit senrpandit bientt Rome, et Thamousfut mand par Tibre. Tibre ajouta foi son rcit au point de sinformer et defaire des recherches au sujet de cePan. Les philologues de son entourage,qui taient nombreux, portrent leurconjecture sur le fils dHerms et dePnlope. Il y eut son rcit confirm parplusieurs des assistants qui lavaiententendu raconter.

    C'est de cette page de Plutarqueque l'nonc Le grand Pan est mort a vol a fait donc bientt

    2000 ans , a vol dans la littratureuniverselle comme le symbole duchangement des temps.Mystrieusement annonc, il a tinterprt comme un des signesannonciateurs de la fin du paganismeet de la monte, dans l'Empire romain,dans le monde civilis, de la monte duchristianisme. C'est--dire qu'on a fait

    jouer cet nonc le grand Pan estmort la mme fonction que, parailleurs, on a fait jouer la IVeEglogue

    de Virgile : on dchiffrait la naissance venir de l'Enfant divin.C'est Eusbe de Csare qui a

    lanc, semble-t-il, le premier, cetteinterprtation vanglique quonretrouve plus tard dans Pantagruel,dans le Pantagruel de Rabelais. Et legrand Pan, ici, on ne linterprte pas partir du personnage disons parent desSatyres que l'on connat, sinon commele nom, un des noms du Cosmos, undes noms du Tout, donc annonant la

    bascule des temps.Voil mon exergue.

    C'est un exergue qui est fait pourintroduire quoi d'autre ? sinon lesouci que nous donne la psychanalyse.Ce souci est-il celui de sa disparition ?Il faut bien que je repose la question,puisquil mest venu, hier, de mereporter Plutarque. Je me suisinterrog sur ce qui my conduisait.Peut-on dire que les sanctuaires de lapsychanalyse soient dserts ? Va-t-onparler de dpopulation, de dsertion ?

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    a paratrait tout de mme, ici,excessif.

    On a le sentiment d'avoir, tout aucontraire, affaire l'expansion, lamultiplication, une invasion. On seraitplutt port dire que la psychanalyseest partout ce qui videmment est unnonc qui ne peut pas ne pas treaccompagn de son ombre : qu'elleserait peut-tre nulle part.

    Je vois bien que jen ai le soucipuisque que, il y a trs peu de temps, jelai crit comme cest pas long, jevais vous le lire pour dire bonjouravec la reparution d'un absent. Il sestlongtemps mnag dans l'ombre

    justement, la revue s'appelant

    Ornicar ?, quon attend l d'un jour oul'autre. Quand je me relis, je vois quea situe, en effet, mon souci et marponse ce souci. a figure sur lerabat de droite de cette publication quia des rabats. Et [hors un gros Plutarque mettre mes rabats], comme ditMolire.

    Mais o est donc la psychanalyse ?me demandais-je. C'est croire qu'elleest partout, parce que, dans lesmdias, tous les psys sont

    psychanalystes, et aussi desessayistes, des conomistes, diversfumistes. Du coup, on se dit que lapsychanalyse, elle, nest plus nulle part.Non, ce nest pas a : elle est ailleurs.C'est l'acte de foi, si je puis dire.Ce quiadvient et se trmousse sur la scne,n'est pas ce qui se passe. C'estseulement ce qui passe. Vous voyez lafoi nave dont tmoigne l'auteur dans letoujours le mme. Ce qui dure, lenoyau dur, est moins en vidence.

    Parce qu'il est discret, parce qu'il ne faitpas de bruit, on croit qu'il nexiste pas.On croit de mme quil ny a que desartifices, des conventions, desconstructions, que tout se gre et semanipule, qu'il ny a rien de rel.Fariboles, dit-il avec une assuranceconfondante.La psychanalyse doit sonendurance trange laccs quelledonne au rel de l'existence. Commepar miracle, par le moyen d'un langagespcial, la contingence, le chahut de lavie quotidienne, dans ce mondesublunaire Aristote considrait

    justement quon ne pouvait pas fairescience du contingent , lacontingence, le chahut de la viequotidienne dans ce monde sublunairese rvlent conditionn par lencessaire, bord par limpossible.Lacan voulait mme quune analyseaboutisse un thorme. On a laiss Ornicar ? son sous-titre historique revue du Champ freudien mais sonambition est bien dtre la Revue durel.

    a ne mange pas de pain : Revuedu Rel ! Oui, bon. Relisant a, deuxsemaines de distance, je vois ce qui,moi, me conditionne. Qu'est-ce que jedchiffre dans ce que moi-mme j'ai

    lch l ?J'essaie de lire a comme dessignes annonciateurs, maisannonciateurs de ce qui a dj eu lieu, savoir que la psychanalyse estentre, depuis longtemps dj, sansdoute, dans une nouvelle poque. Onpeut dire que ce qu'elle plaait sur sapriphrie lui est devenu central, estdevenu son souci central. Ce qu'elleplaait sur sa priphrie, c'est ce qu'ona baptis, plus ou moins

    heureusement, la psychanalyseapplique. Et pendant longtemps, il fautbien dire que la psychanalyseapplique a t rejete sur des marges,les marges de la psychanalyse pure.Ctait physique. Dans l'ancienne Ecolefreudienne de Paris, c'est supposmentla psychanalyse pure qui tenait lessances plnires, et puis, quand onrpartissait le public par ailleurs dansdes salles diverses, simultanes, alorson avait la bigarrure de la psychanalyse

    applique, les praticiens se rpartissanten fonction de leurs institutions, du typede sujets auxquels ils avaient affaire defaon lective. Et, au fond, on leuroffrait l'hospitalit pour tenir leur dbat,tant entendu que la zone centrale taitprserve.

    a fait dj longtemps que cedehors est devenu intrieur. Et on peutmme dire qu'il est devenu extime lapsychanalyse.

    Alors, on peut dire que le processus,en terme de quantit, a fait longtempsqu'il opre. Peut-tre maintenant, on

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    s'aperoit de ce qui a eu lieu dj dunemutation qualitative cet gard. Lapsychanalyse elle-mme est entredj dans une nouvelle phase de sontre-au-monde.

    On peut dire que la psychanalyse at une enclave dans la socit, et queles analystes ont eu assumer cet tre part, et amnager cette enclave, enassumant, il faut dire, une postureessentiellement dfensive, etconstituant des socits qui taient,avec des formules diverses, des contre-socits, prenant sans doute desassurances auprs des institutionssociales. Et ce qui a eu lieu, peut-trepeut-on le dire ainsi, c'est que la

    psychanalyse s'est dsenclave. Etcela nest pas sans consquences qu'ilfaut valuer.

    Pour le dire le plus simplement : lapsychanalyse dsormais communiqueavec l'esprit du temps. Est-ce qu'onpeut dire qu'elle est comme infecte del'esprit du temps ? Peut-on dire a ? alors que depuis toujours on saitqu'elle est fille de son temps et qu'elle amarqu l'esprit du temps, qu'elle estune composante de l'esprit du temps.

    Oui, mais quelque chose a tout demme t l dplac.coutons ce que Lacan disait, l

    sans doute o il fallait le dire, aux Etats-Unis, en 1975 : L'analyse estactuellement une plaie. Elle est en elle-mme jabrge elle est en elle-mme un symptme social, la dernireforme de dmence sociale qui ait tconue.

    C'est un propos historiquement dat.C'est ce que formule quelqu'un qui a en

    effet vcu la transformation de lapsychanalyse, de l'tat o on pouvait latrouver avant la Seconde guerremondiale, en France, rserve unelite, an happy few, lite intellectuelle,littraire, financire, et qui a peru etnonc aprs la Seconde guerremondiale le passage de lapsychothrapie l'chelle de masse, etqui a vu la chose se confirmer ets'accentuer avec les annes soixante,la crise de mai 68, et ce que a advers comme population qui s'estdverse dans la socit analytique, au

    point qu'il y a dj un quart de sicle,enfin, il posait ce diagnostic dans lestermes qui ont fini par tre les siens l'endroit de la psychanalyse, c'est--dire les termes d'un certain ravalementde la psychanalyse, qu'indique assez lemot plaie .

    Qualifier la psychanalyse d'tre uneplaie est faible et a des rsonancesquon pourrait faire virer lui donner, la psychanalyse, une valeur decastration sociale. C'est vrai que ladrision que Lacan volontiers la fin deson enseignement tournait vers lapsychanalyse, cette drision est celle-lmme que la psychanalyse peut fortbien tendre tout ce qui est idaux et

    institutions. C'est vraiment l lui fairegoter son propre brouet, ce qu'ellesert, partout, enfin, la psychanalyse, dene pas len l'excepter elle-mme.

    Mais enfin, dans plaie, il y a cettevaleur de flau quil parat indiquer desouligner puisque nous sommes icidans la dimension du social, et quil fautsans doute entendre ici plaie au senso on parle des sept plaies d'gypte.

    C'est cohrent avec ce que Lacanpouvait noncer d'une dmence sociale

    que serait la conception mme de lapsychanalyse. Dmence sociale, adoit sentendre sur le fond de ce quil selaissait aller formuler dun tout lemonde est fou aussi uneproposition, thse, de son dernierenseignement, qui nest passimplement un grognement, un crachat,qui est une thse qui consiste s'installer dans une perspective o leclivage de la nvrose et de la psychosecesse d'tre pertinent, o la nvrose

    comme la psychose et certainement laperversion apparaissent dans cetteperspective comme autant dedispositifs de dfense contre le rel.

    Ah a ! on peut dire, c'est latoutmatre : dfense contre le rel. C'est leschibboleth partir de quoi Lacanopre aussi bien dans son dernierenseignement un ravalement de laculture tout entire, comme quoi laculture tout entire serait de l'ordre dela dfense contre le rel, que la culture,dans ses diffrentes composantes, estfaite d'lucubrations, de constructions

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    d'difices douteux, loccasion toutelimagination littraire, pour Lacan,mrite d'tre place dans cettecatgorie de foutaises . C'est le ctCline de Lacan, si je puis dire. Il y a unct, quand on prend la perspective : tout a, c'est de la dfense contre lerel tout y passe, on dglingueabsolument tout. Sottises ! Fariboles !La culture tout entire est faited'lucubrations dont la fin est unique :la dfense contre le rel.

    Ah ! justement parce que la dfensecontre le rel, c'est dune certaine faonle nec plus ultra vers quoi se dirige lapointe de l'enseignement de Lacan, certainement des termes qui seraient

    un petit peu lucubrer ensemblescette anne. Dfense , videmment, a nest

    pas refoulement . Le refoulementporte sur le symbolique, et a laisse laplace des tas de fantaisies : Je terefoule, mais tu reviens, et puis on faitun compromis. C'est extrmementdistrayant, et a se prte l'interprtation. Alors que le terme dedfense porte sur le rel, la diffrencedu symbolique. Cest ce point

    dissymtrique, ces deux termes, que,alors que l'inconscient refoule, dit-on,Lacan laisse entendre, au contraire,quil se pourrait bien que l'inconscientsoit lui-mme une dfense contre lerel. Pas simplement parce quel'inconscient serait une lucubration deFreud, une manigance de Freud. C'esttrop vident, c'est trop vident que c'estune manigance de Freud, enfin, sousun certain angle. Linconscient, cest unconcept bidouill par Freud, bricol

    avec les moyens du bord, pour asseoirsa pratique. Donc, allez-y, la construction sociale de linconscient eh oui ! Les voix par lesquelles on aaccrdit dans la population la pluscrdule l'existence de l'inconscient,lastuce des psychanalystes, enfin,pouvant confesser eux-mmes nycomprenant rien, mais d'autant plus,vrifiant par l, au fond, vrifiant parleur apostolat, qu'il doit bien y avoir iciun dieu qui continue de pneumatiserl'opration. Donc, inconscient lucubration freudienne , allez-y ! je

    vous en prie. Cest une thsesimplement qui ressortit la relativithistorique de la psychanalyse.

    Mais ce que laisse entendre Lacan,c'est autre chose, c'est quel'inconscient comme tel est une dfensecontre le rel. C'est tout fait distinctde la perspective postmoderne, cestmme le contraire. On peut tout faitconfesser la perspective postmodernede l'artificialit de la constructionfreudienne. Mais ce que Lacandsigne, c'est autre chose, c'est que lefait de l'inconscient lui-mme c'est cequ'il nonce dans sa Note italienne ,c'est la valeur que je pense qu'il faut luidonner, page 310 des Autres crits,

    ce propos , que l'inconscient est unsavoir invent par l'espce humainepour pouvoir se reproduire, pourpouvoir continuer de se reproduire,pour russir surmonter le dfaut derapport sexuel.

    Il dit exactement : un savoirinvent par lhumus humain . Lhumushumain, a vaut sans doute, et a sefait tenir par lassonance del'expression. C'est le mme registremtaphorique, le mme registre

    vgtal, que l'expression d'Alfieri Alfieri, pote italien l'expressiond'Alfieri qui tait aime de Stendhal quila rpte plusieurs fois : la pianta uomo,la plante homme. Il parle de l'hommecomme la plante homme. Lhumushumain de Lacan, cest du mmeregistre vgtal que celui de la piantauomo. a dsigne quelque chose quiest le devenir vgtal de lhumain. C'estun degr plus bas que son deveniranimal.

    Le devenir animal de l'humain, sonparadigme, cest la MtamorphosedeKafka. Cest trs gai. Vous devenezanimal, vous gardez beaucoup desproprits de votre personne, cetteoccasion. Vous gardez l'individualit, lamotricit, la conscience, vous vousdplacez difficilement parce que vousavez des trognons de pommes dans lacarapace, mais enfin on s'y retrouve,nest-ce pas.

    Donc, il y a dun ct ltre cancrelat,qui est une version. Il faut dire quec'tait un sentiment que Kafka lui-

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    mme, quand il tait dans son plumard,il ne savait pas trop faire. Il tmoignequ'il se pensait ainsi. Il y a au moinsdes traces crites de cette pense-l.

    La plante homme, c'est un degrplus bas, si on peut dire, parce que laplante homme, a ne jouit pas de lamotricit. a dit : les hommes poussentsur un certain terreau, et du coup lesRomains n'ont pas le mme rapportavec le bien et le mal qu'un Rosbif.Enfin, il suffit de lire lesPromenadesdans Rome, elles sont faites pourdmontrer a, nest-ce pas, justement quel point les idaux sont relatifs auterreau natal. a, c'est Stendhal, etpuis il y a Lacan.

    Et Lacan, c'est lhumus humain .L, non seulement on na plus la gaiemotricit de l'animal, mais on na mmeplus l'individualit. a soustrait l'humain son individualit. a fait pasde l'humain ce qui pousse sur unterreau : a fait de l'humain le terreaului-mme.

    Lhumus, qu'est-ce qui reste l ? cest la moisissure, c'est le produit dela dcomposition du vgtal. Donc, ilreste, en effet, une matire organique

    infra-individuelle. Et, au fond, il fautbien dire, c'est dans cette direction quetire le dernier enseignement de Lacan,de la mme faon que, dans sonSminaire, il pouvait faire de la parolerien de plus qu'un parasite de l'trehumain, une formation parasitaire de la parole, de la parole dont dans sonpremier enseignement, il montre aucontraire ce qu'elle doit la structure.

    Quand il y a structure c'est de lque Lacan est parti : de la structure ,

    quand il y a structure, il y a mcaniquequi est au premier plan. Cest paslorganique, cest la mcanique. Etquand Lacan expose mtaphore etmtonymie, il les extrait, viaJakobson,de la rhtorique pour en faire desmcanismes. Nous avons une armaturemcanique du langage qui est tout l'oppos de cette perspective quidgage, au contraire, lorganique,disons la vie pr-individuelle.

    Alors, il faut bien dire que lesmtaphores chez Lacan, de son dernierenseignement, les mtaphores vitales,

    les rfrences faites la vie, sontvidemment les consquences de lamise en question du signifiant.

    Le signifiant comme tel annule la vie.C'est bien la premire lecture queLacan pouvait donner de l'Au-del duprincipe de plaisirde Freud. C'tait unelecture en termes de signifiant, c'est--dire quil y installait l'automatisme derptition comme syntaxe signifiante c'est son Sminaire II que vous pouvezlire , une syntaxe signifiante quiopre indpendamment et au-del dela vie.

    En effet, tant quon est structuralisteet qu'on raisonne en termes designifiant, il faut dire que le signifiant a

    partie lie avec la mort. C'est a qui estinclus dans la phrase que le mot estle meurtre de la chose . videmment,pour dire quelque chose comme a, ilfaut croire aux mots, il faut croire queles mots existent comme a, alors quele mot, a n'est que le nom d'une partiedu discours, telle que le grammairienllucubre. Cest--dire que le motressortit dune lucubration pistmiquesur la langue, la langue qu'on parle, etqu'on peut fort bien parler sans rien

    savoir de la grammaire. Et mme, on aeu l'ide, au moins une poque o ons'occupait plus srieusement desquestions de langue que de nos jours,on avait quand mme lide que, dansles questions de langue, il fallait mieuxs'en remettre ceux qui n'taient pasinfects par les grammairiens, par lesignorants et spcialement lesignorantes.

    Alors, on voit bien que, quand onprend quelque distance avec la

    structure, avec le dcoupagemcanique qu'elle apporte, opratoiresans doute, quand on prend quelquedistance et pourquoi il faut prendreses distances ? il faut prendre sesdistances, si on veut entendre quelquechose ce dont il s'agit dans la

    jouissance et ce qui dans lajouissance ressortit prcisment unevie pr-individualise. Et c'est cohrentavec cet humus humain que de parlerde substance jouissante, ou que Lacanpuisse joindre jouissance et parole endisant : l o aparle ajouit , c'est-

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    -dire faire disparatre le je .Quand il y a jouissance, quand il

    s'agit du plus opaque de la vie, c'estpas le je qui est l. Le je , c'estun mot, et quand il y a je , il y a djmort. Et donc ce qui est l vis passesous les rpartitions de l'individualit.

    a dveloppe un passage trsclassique, que j'ai bien sr dj ponctudans ce Cours, jadis, trouv dans Subversion du sujet dans les crits,page 821, et qui souligne les affinitsdu plaisir et du signifiant commedans tout le Sminaire de l'thique dela psychanalyse : le plaisir apporte la jouissance ses limites. Et il apportede ce fait la vie une liaison, cette vie

    qui sans lui serait, dit Lacan,incohrente. C'est cette vie en tantqu'incohrente qui est vise dans cethumus humain. D'ailleurs, rien nemontre mieux cette affinit du plaisir etdu signifiant que le plaisir est par Freudappareill dans une loi. Il parle duprincipedu plaisir. Le plaisir, c'est unergulation. Le plaisir en tant que tel estchevill un ordre signifiant, unemise en ordre signifiante de la

    jouissance de lhumus humain. Et c'est

    pourquoi vous trouvez dans leSminaire Encore de Lacan unerflexion sur ce que nous devons ounon l'individualit du corps.

    Quel est l'apport de l'individualit ducorps notre croyance l'Un ? Quelserait l'enracinement, prcisment dansle corps comme individuel, dusymbolique, qui est fait d'unitsignifiante ?

    Alors, c'est dans ce contexte-l biensr que Lacan fait rsonner son il y a

    de lUn qu'il va chercher dans leParmnide, qu'il appuie sur leParmnide. Mais a veut dire :comment se fait-il qu'il y a unergulation de la jouissance ? Commentse fait-il que, de la langue qu'on parle,mergent des langages ordonns,grammairiss, syntaxis,dictionnariss ? Comment se fait-il quese mettent en ordre des discours ?Comment se fait-il que de cet humushumain, partir de l, le lien social setisse sous des modalits diverses, quise rpartissent ?

    C'est dans ce contexte-l en effetquest concevable une interrogation surlorigine du signifiant, lorigine dusignifiant en tant que c'est ce qui secompte pour Un, et par l mmelorigine des chiffres dans la langue,dans le langage, sur lorigine dusignifiant matre, sur le surgissement dusignifiant Un, comme tel, dtach de cequi fait la moisissure qui se rpand,sans qu'on puisse lui trouver une forme,sans qu'on puisse trouver larticuler.

    C'est a le contexte o on se posetoutes ces questions. C'est le contexteo on vise un substrat de matiresorganiques, de matire vivante, pr-individuelle et jouissante.

    C'est aussi l que jouir, a n'est pasavoir du plaisir, que la jouissancecomporte un index dinfinitude, alorsqu'avoir du plaisir c'est born, c'estbeaucoup plus born que la jouissance,comme Lacan le souligne dj dansson Kant avec Sade . Et puis, avoirdu plaisir, c'est justement articul dansdes dispositifs. On dit avoir duplaisir , a suppose dj quon estdans ce rapport avec le corps de nepas tre le corps, mais de l'avoir.

    Donc l, ce quoi on s'est habitudans le dernier enseignement deLacan, son style de ravalement, aufond, fait passer une perspective qui estcelle de ce que nous pouvons appeler,en premire lecture, le vitalisme deLacan, au rebours de sonstructuralisme.

    C'est en ce sens l que Lacan peutdire en 1975 : la psychanalyse, elle estcomme une pidmie, elle est commeune maladie infectieuse qui s'est

    propage dans lhumus humain. a ases lettres de crdit chez Freud quifaisait de la psychanalyse, comme onsait, une peste, si on croit saconfidence Jung qui le confia Lacan. Lacan qui lpoque ramnelhistoire l'pidmie, qui fait del'pidmie le phnomne central del'histoire humaine. D'ailleurs, l'histoirede lhumus, que pourrait-elle tred'autre qupidmique ? Cest a qui leconduit dire ce qu'on appelle l'histoireet l'histoire des pidmies. LEmpireromain, par exemple, est une

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    pidmie ; le christianisme est unepidmie. Alors, il y a l'Amricain qui luidit : la psychanalyse aussi ; et Lacanenchane : la psychanalyse aussi estune pidmie.

    Donc ce qu'il appelle pidmie, biensr, cest un discours en tant qu'il serpand, en tant qu'il attire des tresparlants, quil les met en ordre selon lesfonctions quil dispose, les attire par sessignifiants, les attire par ses effets devrit. Il instaure un nouveau rgime dela parole, un nouveau rgime durapport au corps, un nouveau rapport la jouissance. Et en effet, dit Lacan, lapsychanalyse sinscrivait minemmentcomme un nouveau mode, une

    nouvelle pidmie discursive.videmment, prsenter lapsychanalyse comme pidmique, c'estpas exactement la prsenter commethrapeutique, la psychanalyseapplique l'pidmie. C'est de l'ordredu traitement du mal par le mal.D'ailleurs, on n'a jamais fait autre choseque de traiter le mal par le mal.

    Comment la psychanalyse est-elledevenue pidmique dans la socit dumalaise dans la civilisation ? Comment

    est-ce qu'elle est devenue pidmiedans la civilisation ? Et qu'est-ce qui luien est revenue elle ?

    Elle est devenue une pidmie, unepetite pidmie, en offrant un refugecontre le malaise dans la civilisation.Elle est devenue une pidmie enassumant dtre une enclave. C'est sonct sanctuaire : il faut y aller. Enfin : ilfallait y aller. Il fallait y aller parce quenous avons aujourd'hui les brigadesdintervention. Mais enfin jusqu'alors, il

    fallait y aller.Et donc la psychanalyse assumait

    dtre une enclave grce quoi elledevenait une pidmie. Et c'estpourquoi, toujours en 75, Lacan peutprsenter la psychanalyse comme ladernire fleur de la mdecine, la queuede la mdecine, c'est--dire exactementla place o la mdecine peut trouverrefuge, la psychanalyse comme laplace o la mdecine peut trouverrefuge car, ailleurs, dit Lacan, elle estdevenue scientifique, la mdecine,chose qui intresse moins les gens,

    disait-il.Au fond, c'est trs prcis. a

    dsigne bien le fait que la psychanalysea su tre un refuge contre le discoursde la science, et contre le discours dela science en tant qu'il gagne lesdiffrentes activits humaines, c'est--dire, en particulier, quil a gagn sur lamdecine, et que la psychanalyse apris en charge le rsidu, le rsidu nonscientifique de la mdecine, nonscientificisable, c'est--dire ce qui,comme le dit Lacan dans Tlvision, cequi de la mdecine oprait par lesmots, ce qui de la mdecine oprait parle transfert. La psychanalyse a pris encharge ce rsidu, elle est ce rsidu-l.

    Alors, sans doute, la psychanalysesest-elle prsente avec Freud commescientifique, parce que c'est la seulefaon d'avoir aujourd'hui ses lettres decrance , a na pas empchl'administration des Finances, quon netrompe pas comme a, de placer lespsychanalystes avec les voyantes.Cest pertinent. D'ailleurs, si j'avaisdgag lacronyme IRMA, lInstitut derecherche sur les mathmes de lapsychanalyse, c'est bien en hommage,

    enfin, au personnage de Mme Irma.Alors la psychanalyse s'estprsente avec Freud commescientifique, c'est--dire comme del'ge de la science. Et, en effet, sondterminisme, le dterminismeanalytique, est de l'ge de la science.Cest quil lui a fallu, la psychanalyse,pour tablir son sujet suppos savoir,enfin, de faire fond sur le tout a uneraison , rien nest sans cause deLeibniz. Et puis de faire valoir a dans

    les petites choses, dans les petits faitslists dans Psychopathologie de la viequotidienne, et puis dinventer unappareil qui rponde de tous ces petitsfaits et qui donne la cause.

    Lacan a march fond l-dedans, ilfaut dire, comme lui-mme non passen repent mais, enfin, retourne lescartes, et bien qu'il faisait confiance lalinguistique, par exemple, simaginaitque la linguistique tait une science.Mais quelles que soient lesconstructions de l'ge de la science quela psychanalyse a pu apporter,

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    remanier, dans sa pratique, il en va toutautrement. Dans sa pratique, elle estvidemment antinomique au discoursde la science.

    Son sujet suppos savoir, lapsychanalyse la soutir au discours dela science, mais elle le met en uvred'une faon tout fait diffrente. Il estbeaucoup plus vrai de dire que lapsychanalyse a su faire revivre laparole des oracles l'ge de lascience.

    La science lucubre un savoir qui semesure au savoir inscrit dans le rel oumme qui se confond, qui veut seconfondre avec lui. Loracle a une vritqui est d'un tout autre ordre.

    C'est ce que soulignait Lacan parexemple dans Subversion du sujet ,page 808. Je l'ai souvent cite, cetteproposition, je suis content de le faireune fois de plus, cette place-ci : Ledit premier dcrte, lgifre, aphorise,est oracle, il confre l'autre rel sonobscure autorit.

    Il faut dire que cette phrase est elle-mme de cet ordre, de l'ordre du ditpremier. C'est pas la seule dans Lacan,bien sr. C'est que loracle, il se

    confronte pas la ralit de la viequotidienne, il donne corps l'autoritcomme telle de la parole. Autoritcomme telle veut dire : autoritobscure. Lautorit est obscure parceque le dit que ce soit dit estcomme tel une raison ultime, ultimaratio. C'est encore plus menaant enlatin.

    videmment, lobscure autorit, c'esttout fait l'oppos de l'exigence desLumires, lexigence des Lumires qui

    est : il faut donner ses raisons.La pense conservatrice, la pense

    contre-rvolutionnaire a fort bien vu quel point il s'agissait l d'une exigenceexorbitante, et quil lui tait tout faitimportant, pour que tiennent ensemblesles discours, de ne pas y aller voir.Cest la sagesse en tout cas dunDescartes : le Discours de la mthode,ctait trs bien dans l'ordre dessciences, mais il ne fallait pas se mettre appliquer a aux institutions sociales.Il percevait bien le dgt que aproduirait si on se mettait procder

    comme a avec les institutionssociales, que toute autorit en dernireinstance est obscure.

    Et loracle, a consiste d'abord,comme mode de dire, ne pas donnerd'explication. Expliquer, cest dplier, etloracle est quelque chose de repli.Lacan le note quelque part, que laparole qui sexplique est condamne la platitude. C'est fort de dire a quand,au fond, il a pass dix ans tre lecommentateur de Freud. C'est doncquelqu'un qui savait de quoi il parlaitquand il pouvait dire que l'explication sedploie toujours dans un discours djconstitu. Et il opposait a prcisment Freud dont le texte, disait-il, vhicule

    une parole qui constitue unemergence nouvelle de la vrit.Cest a qui fait l'oraculaire : c'est

    une mergence nouvelle qui produit uneffet de vrit indit, un effet de sensindit. On peut ensuite se lexpliquer,mais la parole qui accomplit a, elle, estcondamne se poursuivre dans ceregistre. Dans sa premire navet,Lacan pouvait dfinir ainsi la parolepleine, par son identit ce dont elleparle. Il dsignait, par cette phrase, la

    parole comme constituante, et non pasconstitue, auto-fondatrice si je puisdire, et par l mme infaillible, infaillibleparce que le lieu est vide do savrification pourrait se trouver endfaut.

    Alors la ranon, cest qu'on ne saitpas ce qu'elle veut dire. Mais enfin c'estpas un vice rdhibitoire. Hraclite,ncessit par Plutarque, Hraclite dit : Le matre qui appartient loracle deDelphes ne rvle ni ne cache rien, il

    donne des signes, il fait signe . EtPlutarque cite cette parole, dans sondialogue sur les Oracles de la pythie, etil dit : Ces mots sont parfaits. Prtred'Apollon, pendant quarante ans ! EtLacan les reprend son usage, cestermes-l, dans L'tourdit , tout enfaisant des rserves sur le fait queFreud se pourlche des vaticinationspr-socratiques.

    Mais, tout de mme, il dit que cestceux-l, ceux qui parlaient de faonoraculaire, qui taient aux yeux deFreud seuls capables de tmoigner de

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    ce qu'il retrouvait.Et aussi bien dans les Autres crits,

    page 558, vous y verrez l'vocation denouveau, que avant Socrate, dit-il : Avant que l'tre imbcile ne prenne ledessus, d'autres d'autres queSocrate pas sots, nonaient del'oracle qu'il ne rvle ni ne cache :s?a??e? il fait signe.

    Avant que l'tre imbcile neprenne le dessus , cest avantlontologie, avant que narrivent Platonet Aristote avec une rflexion sur l'treet avec le culte de l'Un. Le culte del'Un, c'est par excellence ce qui sert dedfense contre le rel.

    Pour que la position nonciative del'analyste se tienne ce niveau, ceniveau qui n'est pas celui de laproposition, vraie ou fausse, qui estd'une nonciation tierce, c'est--direcelle qui donne lucubrer, a supposede se soustraire, a suppose de sesoustraire au mode de dire commun. Etcest a qui est le plus difficile lapsychanalyse daujourd'hui, pour fairela sociologie de la psychanalysedaujourd'hui, mais c'est pas notre

    affaire. La question est de savoir qu'est-ce qu'il est arriv, dans lapsychanalyse, l'oraculaire, au ton, aumode de dire oraculaire. C'est, aprstout, quoi l'interprtation est attache, quoi elle est cheville.Linterprtation, c'est pas des contenus,c'est pas des noncs, c'est un modede dire. Et c'est un mode de dire qui estcaractris par sa gratuit, sonessence ludique, qui suppose deramener le langage, qui est une

    rgulation, vers les jeux possibles dansla langue.

    Alors le modle, en effet, c'est le motd'esprit, cest le Witz, le Witz dontLacan dit qu'il permet de passer laporte au-del de laquelle il ny a plusrien trouver. C'est--dire qui, en effet,rvle une perte de l'objet, et quiapporte sans doute aussi bien unesatisfaction, la jouissance de ce qui faitsigne alors a, c'est trs louable ,de ce qui est contraint par le rgne del'utile. Et c'est a que la psychanalysea affaire aujourd'hui.

    Au fond, il y a quelqu'un que moi jeprends depuis toujours, je men rendscompte, comme un prophte ou undevin des temps modernes, qui estBaudelaire. C'est pour moi, en effet,comme le matre delphique qui fait dessignes. Et lui, il avait trouv ce qui luiindiquait, enfin, le problme des tempsmodernes. Il avait trouv la figure dansEdgar Poe, c'est--dire un Amricain.Et pour lui, il tait tout fait essentielquEdgar Poe soit un Amricain, c'est--dire quil soit dans la positiondinterprter l'Amrique, cette Amriquetellement fascinante pour Baudelairequ'il dcrit dans ces termes, dans un deses crits sur Edgar Poe montrer

    l'exception paradoxale que constitueEdgar Poe dans l'amricanit : Dans ce bouillonnement demdiocrit, dans ce monde pris deperfectionnement matriel, scandaled'un nouveau genre, qui faitcomprendre la grandeur des peuplesfainants, dans cette socit avided'tonnement, amoureuse de la viemais surtout d'une vie pleinedexcitation, un homme apparut qui at grand non seulement par sa

    subtilit mtaphysique, par la beautsinistre ou ravissante de sesconceptions, par la rigueur de sonanalyse, mais grand aussi et non moinsgrand comme caricature, Edgar Poe.

    Et, dans la bouche dEdgar Poe, cequil va pcher, cest ce quEdgar Poedveloppe du principe de la posie, etde ce que Edgar Poe appelaitspirituellement la grande hrsiepotique des temps modernes . Etcette hrsie, il le dit comme a, aussi

    clair, cette hrsie, cest lide d'utilitdirecte. Que la posie soit utile ditEdgar Poe traduit, arrang parBaudelaire , que la posie soit utile,cela est hors de doute, mais ce n'estpas son but ; cela vient par-dessus lemarch.

    Et au fond nous en avons ici l'choquand Lacan pose, concernant ce quiest thrapeutique dans lapsychanalyse, dans la psychanalyseapplique, c'est que la gurison vientde surcrot. C'est la mme figure quecelle qui est l dgage par Baudelaire

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    et par Edgar Poe. Et c'est prcismentle culte de l'utilit directe, si je puis dire,le culte de l'utilit directe qui est, sansdoute, la cause de l'extinction de lavertu oraculaire dans la psychanalyse.

    C'est ce qu'on peut entendre dansl'crit de Plutarque sur les oracles de lapythie, o il pose la question de savoirpourquoi la pythie ne rend plus sesoracles en vers, pourquoi la pythie,pourquoi loracle est devenu prosaque.

    Eh bien nous reprendrons a la foisprochaine, avec la question de savoirpourquoi la psychanalyse a tendance devenir prosaque, et ce quil sagit defaire pour ranimer en elle, si je puis

    dire, le feu de la langue potique.Bien, la semaine prochaine.

    Fin du Cours Ide Jacques-AlainMiller du 13 novembre 2002.