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Initiation à la littérature arabe moderne (M. Boustani) 1. Cours n°2 :...................................................................................................................................................... 2 2. Cours n°3 : Initiation à la littérature arabe moderne................................................................................ 4 3. Cours n°4 : Initiation à la littérature arabe................................................................................................ 7 4. Cours n°5 : Initiation à la littérature arabe................................................................................................ 9 5. Cours n°6 : Initiation à la littérature arabe.............................................................................................. 11 6. Cours n°7 : Initiation à la littérature arabe.............................................................................................. 14 7. Cours n°8 : Initiation à la littérature arabe.............................................................................................. 16 8. Cours n°9 : Initiation à la littérature arabe.............................................................................................. 18 9. Cours n°10 : Initiation à la littérature arabe............................................................................................ 20 10. Cours n°11 : Initiation à la littérature arabe........................................................................................ 23 1.Cours n°2 : I- La Renaissance arabe (nahda) : Egypte ou Bilâd ash-shâm (Syrie et Liban) La « naHDa » veut plutôt dire le rétablissement, le réveil, de cette nation arabe, cela vient de ce contact, de ce croisement et découverte de l’Occident par les arabes, suite à cette époque dite (injustement) de « décadence » qui a duré cinq siècles, le plus problématique fut donc de se découvrir soi-même, s’étant rendus compte de leur retard, par rapport à la modernité représentée par l’Occident, et le traditionalisme était le synonyme du passé dans lequel vivaient les arabes. Ce choc qui fut l’expédition de Bonaparte en Egypte (1798), il avait ramené des médecins, administrateurs, imprimerie, donc faciliter la littérature

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Initiation à la littérature arabe moderne (M. Boustani)

1. Cours n°2 :...........................................................................................................................................................2

2. Cours n°3 : Initiation à la littérature arabe moderne...........................................................................................4

3. Cours n°4 : Initiation à la littérature arabe..........................................................................................................7

4. Cours n°5 : Initiation à la littérature arabe..........................................................................................................9

5. Cours n°6 : Initiation à la littérature arabe........................................................................................................11

6. Cours n°7 : Initiation à la littérature arabe........................................................................................................14

7. Cours n°8 : Initiation à la littérature arabe........................................................................................................16

8. Cours n°9 : Initiation à la littérature arabe........................................................................................................18

9. Cours n°10 : Initiation à la littérature arabe......................................................................................................20

10. Cours n°11 : Initiation à la littérature arabe.................................................................................................23

1. Cours n°2 : I- La Renaissance arabe (nahda) : Egypte ou Bilâd ash-shâm (Syrie et Liban)

La « naHDa » veut plutôt dire le rétablissement, le réveil, de cette nation arabe, cela vient de ce contact, de ce croisement et découverte de l’Occident par les arabes, suite à cette époque dite (injustement) de « décadence » qui a duré cinq siècles, le plus problématique fut donc de se découvrir soi-même, s’étant rendus compte de leur retard, par rapport à la modernité représentée par l’Occident, et le traditionalisme était le synonyme du passé dans lequel vivaient les arabes.

Ce choc qui fut l’expédition de Bonaparte en Egypte (1798), il avait ramené des médecins, administrateurs, imprimerie, donc faciliter la littérature moderne et son expansion. Il a mis fin à la domination des mamlouks en Egypte, et mit en place Mohammed `Ali (qui a gouverné de 1805 à 1848), celui-ci était bien sûr séduit et conscient de la puissance de la France et de son armée, il avait lorsqu’il gouvernait l’objectif de constituer une armée égyptienne forte, rénover l’appareil administratif de l’Etat, il s’est rendu compte que l’évolution d’une nation provient de la culture et d’une éducation alors il a créé une éducation « laïque » (venant de l’Etat). Comme signe d’ouverture, pour former ses cadres il ne peut pas compter uniquement sur ceux qui sont présents en Egypte (qui sort d’une période de décadence), il ne peut pas compter non plus sur les quelques personnes venus avec Bonaparte, il a décidé alors d’envoyer des boursiers (délégation) directement en France, la première délégation

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date de 1826, une personne accompagnait cette délégation qui est un imam appelé Rifâ’aT-TaHtâwî. Mohammed `Ali a envoyé un imam afin de s’assurer que les gens envoyés dans ce pays occidental ne soient pas submergé par la modernité sans perdre leur identité et leurs croyances, mais le comble c’est que l’imam était nettement plus ouvert que les autres, il a une finesse d’observation, il est resté 5 ans en France et de retour en Egypte il a écrit un livre fondateur qu’on a appelé « L’or de Paris » (mais le titre complet est « Purification de l’or pour le résumé de Paris » paru en 1834). Dans ce livre, il raconte ce qu’il a vu en France.

Ce mouvement de « naHDa » (début du XIXème siècle) s’est développé dans 2 espaces : l’Egypte et dans le Liban et la Syrie (Bilad ash-shâm).

La stratégie de cette nouvelle élite qui s’est formée au XIXème siècle, qui voulait redonner un nouvel élan à cette culture, littérature, commence par un premier point qu’on a appelé la réactivation des genres littéraires classiques.

L’apogée de la littérature arabe à l’époque abbasside a été suivie par la décadence mais ça veut pas dire qu’il n’y avait personne après le 13ème siècle (ex : IBN KHALDOUN, IBN RUSHD). Naturellement, quand on commence une renaissance ou un redressement c’est normal d’essayer de retrouver le niveau d’antan (des siècles passés) et c’est la première phase de la naHDa la réactivation des genres littéraires classiques.

A) La réactivation des genres littéraires classiques (al-iHya) : la maqâma (séance) et la riHla (récit de voyage) ; Le roman de formation

Le livre de Rifâ’aT-TaHtâwî est une synthèse entre ces deux grands genres littéraires connus par les arabes que sont le récit de voyage (ar riHla) et al maqâma mais avec une vision tout à fait moderne, il décrit ce qu’il a vu avec un esprit critique, il cite à la fois ce qui est critiquable chez les français mais ne cache pas son admiration devant leur modernité. On peut ajouter que le style de cet ouvrage là est relativement simple, clair, on y observe facilement une tendance à l’assouplissement de la syntaxe. Il utilise bien sûr la prose rimée (as-saj`) mais d’une manière assez allégée.

Al maqâma est un genre littéraire spécifiquement arabe (il n’existe pas dans les autres littératures), il s’agit d’un récit relativement court (à peu près comme la nouvelle). Cette petite histoire a un personnage central (un héros) qui utilise différents moyens pour gagner sa vie mais notamment la Ruse et l’Eloquence. Ce récit est écrit en prose rimée (as-saj`) et on doit cette innovation (celui qui a commencé ce genre littéraire à l’époque abbasside) à Badî`az-zamân al-hamadhânî (il est né en 968 et mort en 1009 : écrivain du Xème siècle). A son retour en Egypte, Rifâ’aT-TaHtâwî a utilisé toute son énergie pour créer un champ culturel nouveau en Egypte. Il a fondé en 1835 l’Ecole des Langues (madrasât al-alsun), et parallèlement le « bureau de Traduction » afin de traduire des ouvrages français. Il a prit la direction du 1er journal officiel égyptien qui était publié en arabe et en turc qui fut fondé en 1828 par Mohammed `Ali et s’intitule « Les actualités égyptiennes » (al-waqâ’i` al miSriyya).

D’autre part, un autre ouvrage fut exceptionnel et important pour la naHDa car il concilie le savoir et le littéraire c’est de MuHammad al-MuwayliHî et le titre est «hadîth `Isa ibn hishâm » (Ce que nous conta `Issâ bn Hishâm) publié en 1905. Il a reprit le personnage principal des maqâmât d’Al-hamadhânî. MuHammad al-MuwayliHî est né en 1858 et mort en 1930, il a suivi son père lettré du nom d’Ibrahim, dans ses voyages et son exil (partis à Paris, Naples, Londres, Constantinople et y sont restés pendant dix ans de 1885-1995 entre ces villes en voyage).

On voit d’ores et déjà que ces écrivains suivent un cheminement commun : voyages à l’étranger, qui leur a permit d’avoir une nouvelle vision de la société et de la modernité.

Le père de MuHammad al-MuwayliHî retourne en Egypte et se consacre à la rédaction de sa revue fondée en 1898 qui s’appelle « miSbaH ash-sharq » « la lanterne de l’Orient »). MuHammad al-MuwayliHî entreprend une carrière de journaliste et publie en feuilletons dans la revue de son père son œuvre et celle-ci fut une œuvre charnière

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entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle. Le titre de cet ouvrage « `Issa bn hishâm » est le héros de maqâmât d’Al-hamadhânî. Dans cet ouvrage, il y a un autre personnage qui est le « pacha », c’est un grand seigneur féodal, contemporain de Muhammad `Ali, un pacha donc qui a vécu durant la première moitié du XIXème siècle. Ce pacha est ressuscité un demi-siècle plus tard, ce qui permet une comparaison entre la vie, la société égyptienne de la première moitié du XIXème siècle et la société égyptienne à la fin du XIXème siècle. A travers un voyage dans tous les quartiers de la capitale du Caire et d’Alexandrie (deux grandes villes d’Egypte), le pacha découvre les transformations, mutations qui ont eu lieu en cinquante ans dans des domaines diverses (médecine, police, valeurs morales, etc.). MuwayliHî décrit avec une ironie mordante le fonctionnement des instituts administratifs. Toutes les couches de la société sont passées au crible, personne, d’aucun milieu et d’aucune profession n’a été épargné. Et en montrant les innovations survenues en Egypte, le narrateur (`issa ibn hishâm) critique explicitement ou implicitement la société égyptienne qui imite aveuglément l’Occident sans assimiler profondément la modernité. Il dit par exemple dans le livre comme constatation : « on peut dire des égyptiens qu’ils ont délaissé les vertus de leur ancienne civilisation sans réussir à se parer de celle de la civilisation moderne ».

Quand on parle de récit, celui qui le raconte (le récit) on l’appelle le narrateur, ici en l’occurrence c’est « `Issa bn Hishâm » et non MuwayliHî. Le narrateur se réveille s’imaginant retrouver l’Egypte de son époque (début XIXème siècle) mais quand il prend son cheval il voit une société moderne, nouvelle : par exemple, il se dispute avec un paysan et celui-ci lui répond qu’il va appeler la police, ce qui est nouveau pour le pacha (à son époque un fellah se corrige par la force et non par une police d’Etat ou une justice d’état, d’ailleurs le mot « police » était inconnu de sa part). Dans ce livre, l’auteur décrit avec beaucoup d’ironie le mariage où on adresse des faireparts à des gens qu’ils ne connaissent pas, on y invite des gens européens à la table, s’étonnent de leur sacs à main (il pense que c’est juste pour porter les cadeaux de la mariée), cela ne se faisait pas avant. L’auteur critique aussi la société actuelle en opposant également la vie à la campagne à la vie en ville et cela à travers une personne importante qui est « le maire » (al `umda) : c’est un maire d’un village qui visite Le Caire. Il se retrouve entouré d’entrepreneurs, on essaie de le convaincre d’acheter des actions à la bourse, etc. Il faut savoir que le père de MuwayliHî a hérité d’une grande somme de son père (commerce textile) et il a tout perdu. La bourse est une création de la modernité, et à ce maire on lui décrit comment ça se passe, lui décrit la facilité de gagner de l’argent, sans se compliquer la tâche, mais le maire va être tenté et perdre tout son argent, cela montre le mal de cette création de l’Occident.

Dans son second volume écrit à la même époque, mais qu’il paraitra en 1926 (« Le second voyage », et ce second voyage c’était en France à l’occasion de l’exposition universelle de 1900), MuwayliHî, imagine en plus de ces deux précédents personnages une troisième personne qui est un ami à Paris. Ce livre parle de la différence entre l’Orient et l’Occident : il joue moins pour découvrir une autre civilisation mais plutôt pour mieux se connaitre, mieux connaître le présent de l’Egypte et préparer son avenir.

Ces deux volumes sont deux textes fondateurs où se posent les grandes problématiques autour desquelles va tourner la production littéraire égyptienne postérieure.

Dans son premier volume, il met en lumière les méfaits de la colonisation mais aussi les problèmes internes à la société égyptienne. Dans son second volume, chacun des personnages est particulier, différents les uns des autres, l’ami critique les idées reçues, « tout n’est pas vraiment extraordinaire », l’image de l’Occident en Orient et celle de l’Orient en Occident est à revoir, et on remarque que cette problématique est toujours d’actualité. L’objectif de MuwayliHî n’était pas de critiquer l’Occident mais plutôt de faire en sorte que les égyptiens apprennent à se connaître eux-mêmes, car on ne peut pas avancer si on ne se connait pas.

On voit bien une évolution dans le style : il y a des passages en prose rimée, mais l’originalité du sujet et la technique narrative suivie par l’auteur font de cette œuvre en 2 volumes une création charnière dans l’écriture romanesque arabe. Au début de chaque chapitre il y a de la prose rimée, mais aussi des pages où il y a de la

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narration, mais aussi du dialogue qui est très présent dans le texte (pas encore en dialectal mais arabe littéral classique assez simple).

2. Cours n°3 : Initiation à la littérature arabe moderne

Le mouvement de redressement (naHDa) dans Bilad ash-sham (surtout Liban et Syrie).

Ce mouvement est dû en particulier aux missions étrangères protestantes et catholiques qui se sont installées dès le XVIIIème siècle au Liban et au nord de la Syrie. En Egypte, l’expédition de Bonaparte a été déclencheuse de ce mouvement de redressement alors qu’il s’agit des missionnaires qui ont été un facteur de ce renouveau intellectuel et littéraire dans la région de Bilad ash-sham. Ces missionnaires se sont activés dans les domaines de l’alphabétisation et de l’instruction de la population, ils ont fondé des écoles et plus tard au XIXème siècle des universités. Ils ont utilisé la langue arabe pour leur propagande, pour leur mission. Avec les écoles et universités, il y a eu la formation d’une nouvelle élite intellectuelle et l’apport de cette nouvelle élite intellectuelle qui était formée par ces institutions à la langue arabe et à la littérature arabe en général est indéniable. Cette élite nouvellement formée s’est assignée pour tâche de réactualiser le patrimoine littéraire ancien et de faire connaître la littérature occidentale par des traductions ou des adaptations de textes français et anglais. Il s’agit presque d’une démarche identique à ce qu’il y a eu en Egypte (délégations envoyées régulièrement par le gouvernement pour être formées en Occident), sauf que ce sont les missionnaires occidentaux qui viennent directement dans ces pays arabes. Cette nouvelle élite a tenté de rénover la langue arabe afin de la rendre capable d’exprimer les innovations et les inventions de la vie moderne. Ce sont surtout les libanais qui se sont illustrés dans ce domaine à l’exemple de la famille des Yâziji (le père s’appelle : NâSif al Yâziji [né en 1800 et mort en 1871], et son fils Ibrahîm [né en 1848 et mort en 1906]) et la famille des Boustânî (le père s’appelle BouTros surnommé « Al mu`allim » (la grand maître) [né en 1819 et mort en 1883] et ses deux enfants Salim et Saïd).

Nâsif al Yâziji a écrit plusieurs manuels de rhétorique, et surtout un ouvrage célèbre appelé « le Confluent des deux mers » [paru en 1856], il imite les maqâmât d’Al-hamadhânî, dans lequel il traite plusieurs questions de grammaire, de prosodie, et de lexicographie. Son fils Ibrahîm est l’auteur d’un dictionnaire qu’il a publié à la fin de sa vie en 1904. Quant à BouTros al Boustânî, il a tout d’abord écrit un dictionnaire qui s’appelle « L’océan de l’océan » (muHîT al muHîT) et toujours dans le souci de la modernisation de la langue arabe et dans le souci de la diffusion de la culture il a entreprit avec ses deux fils la rédaction de la 1ère encyclopédie arabe (da’ira al ma`arif) qui est restée d’ailleurs inachevée bien qu’ils y ont travaillé dessus près d’un quart de siècle (de 1876 à 1900). Boutros al Boustânî a fondé la première école nationale (non religieuse) en 1863 à Beyrouth qui a accueilli des élèves de toute confession.

Un autre écrivain libanais qui est Ahmad Fâris ash-Shidyâq (né en 1804 et mort en 1887) a participé à ce mouvement de renouveau. Il publie à Paris en 1865 son fameux livre, traduit en français aussi, « La jambe sur la jambe, ou les Aventures de Fâriyâq. Le personnage de son aventure est Al Fâriyâq (deux syllabes prises du nom et prénom de l’auteur). Il est né chrétien maronite mais se heurte à l’obscurantisme de l’Eglise qui torture son frère. Il fuit alors au Caire, puis à Malte, et va à Londres (se convertit au protestantisme) où il participe à la traduction de la Bible en arabe, puis il passe par Paris, il va en Tunisie en 1855 où il se convertit à l’islam et prend le nom d’Ahmad. Dans son livre le sérieux et le plaisant sont mêlés. On trouve « le récit de voyage » à l’instar de TaHTâwy, il y a la maqâma par le style ou par le personnage qu’il crée. Cet ouvrage annonce en quelque sorte le roman de formation. En mélangeant son nom et son prénom et en faire le nom de son héros montre que son histoire est autobiographique. Ses sujets sont la tolérance entre les religions, l’instruction de la femme, quant au style il passe de la prose rimée à la prose simple.

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Ce n’est qu’après quelques décennies du XXème siècle qu’on va avoir une certaine classification littéraire (roman, etc.)

On assiste à la jonction des deux espaces (Bilad ash-sham et de l’Egypte), celle-ci passe par la naissance et l’expansion de la presse arabe.

En 1860, BouTros al Boustânî publie au Liban le journal « Nafîr sûryâ » (Trompette de la Syrie) qui est le 1er journal national publié selon des règles modernes (éditorial, barres des évènements, de l’éducation, etc.). Ce journal sera suivi par trois autres : Al Janna ; al Junayna ; Al Jinân ; qui furent gérés par lui et ses deux fils Salim et Saïd. Et puis un grand nombre d’hommes de lettres syro-libanais, chrétiens dans leur majorité, ont émigré en Egypte et y ont fondé des revues et des journaux. Quelques exemples : Adîb Ishâq et Muhammad `Abduh font paraître la revue « MiSr » (Egypte). Juzay Zaydân fonde en 1892 la revue « al hilâl ». La libanaise Layla hâshim fonde en 1906 la revue « fatâh ash-Sharq ». Et les deux frères libanais Salim et Bishâra taqlâ publient « Al ’ahrâm ». Ainsi, toute la littérature de la NaHDa trouve dans la presse égyptienne et syro-libanaise la tribune nécessaire à son expansion et sa diffusion : presque la totalité des œuvres publiées ont été écrites sous forme de feuilletons dans la presse. De ce fait, la presse assure à l’écrivain une large diffusion de ses écrits. Cette presse a joué un grand rôle dans l’ouverture de la langue arabe à un nouveau lexique, à une nouvelle terminologie qui touche les différents domaines de la pensée (idéologie, science, politique, science, etc.). De nouveaux concepts ont intégré la langue arabe par la presse.

Pour ces nouveaux mots, on prenait parfois des mots désuets, très anciens pour qualifier de nouvelles choses (ex : qitar qui signifiait les chameaux qui se suivaient les uns derrière les autres, maintenant désigne le train) ou alors on arabise des mots étrangers. Les mots qui se terminent par le suffixe « -isme » en français, on l’adapte en arabe avec une terminaison en « -iyya ».

La presse est soit quotidienne ou hebdomadaire, cela nécessite donc un certain nombre d’écrivains et de lecteurs c’est ce qui conduit à l’émergence d’une catégorie sociale cultivée, c’est pour cela que se développe la culture.

La prose rimée est incompatible avec la presse, c’est pourquoi la presse a mis fin à ce style artificiel de la prose rimée dans l’écriture pour mettre à la place une prose transparente, claire, simple et accessible. Il faut souligner que le combat mené par la presse n’était pas toujours facile à cause d’un courant très traditionnaliste attaché à l’authenticité de la langue refusant ainsi toute tentative d’innovation. Ce courant considère l’innovation dans cette façon d’écriture comme une atteinte au caractère sacrée de la langue arabe. Mais avec la diffusion de cette presse, l’écriture s’est rapprochée des lecteurs de la société et donc proche du « parler », on a abouti à une langue « médiane » qui n’est pas le dialecte mais un arabe simple et accessible.

Cela a conduit à ce qu’on appelle l’écriture romanesque. Cette écriture romanesque aussi était au centre d’un débat, elle s’inscrit parfaitement dans un rapport Orient/Occident. En effet à la fin du XIXème et début XXème siècle, il y a un débat qui a animé les sphères intellectuelles concernant la légitimité du nouveau genre littéraire (écriture romanesque) qui est fondé essentiellement sur la construction d’une fiction, et par conséquent sur l’imaginaire. Il y a eu plusieurs textes, plusieurs articles publiés dans cette même presse incitant les parents à faire attention aux lectures de leurs enfants afin de sauvegarder les bonnes mœurs. En fait, derrière cet appel, se cache le sentiment que la fiction (discours de l’imaginaire) constitue une menace pour la jeunesse parce que la liberté qui est à la base du genre romanesque est perçue par les adversaires de ce genre comme un appel à enfreindre les interdits. La presse prône alors des textes profitables, qui confortent la raison (al `aql), c’est pourquoi les promoteurs du genre romanesque en ses débuts ont abaissé la fiction en la mettant au service de la raison et de l’éducation sociale. Ce genre littéraire avait à l’époque trois missions : instruire, éduquer, moraliser. En d’autres termes, il s’agit de soumettre l’imaginaire à la raison.

L’écriture romanesque a évolué de la traduction, de ce qu’on appelle aussi « l’adaptation » puis est arrivée à la création. Quand on parle de l’écriture romanesque bien sûr il y a des histoires d’amour, et celles-ci étaient lues par

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toutes les générations y compris les jeunes. La nouvelle et le roman sont des écritures occidentales, mais pour certains romanciers arabes, en étant réadaptées, ces écritures pouvaient très bien convenir aux populations des pays arabes.

Des traductions importantes pendant cette NaHDa est la traduction de la Bible qui a influencé toute la littérature arabe du XXème siècle et continue encore, la littérature moderne puise beaucoup de références dans l’Ancien Testament. Souleymane Al Boustânî a traduit l’ilyâd (mythologie grecque) et il a publié en 1904 au Caire « Al hilâl ».

Cette montée de l’écriture romanesque a donné au début le roman historique et le roman à thèses. Le roman historique a eu comme auteurs Salim Al Boustânî et surtout le pionnier de ce genre littéraire qui est Jurjy Zaydân. Le roman historique puise aux sources du patrimoine arabe la matière de la fiction : il y a les exploits, les faits historiques, les grandes figures de l’histoire arabe, qui sont investis dans une grande création de l’histoire romanesque. Ces romans qui rappellent les grands moments de l’Histoire véhiculent un message éducatif et transmettent en même temps une leçon de morale. Ces romans sont exploités comme un roman identitaire parce qu’ils rappellent au lecteur arabe la fierté de son appartenance. Les romans de Jurjy Zaydân ont pendant de longues années, introduit un premier contact avec la civilisation arabo-islamique. On peut y voir aussi un objectif idéologique et politique, ces romans (ou ces écritures) soutiennent une idéologie de panarabisme, de l’arabité par opposition au panislamisme.

Il s’agissait par cette notion d’arabité d’unir les arabes et de les rassembler pour lutter contre l’empire ottoman.

Salim Al Boustânî a écrit trois romans historiques mais Jurjy Zaydân en a écrit étant publiés principalement dans sa revue « Al hilâl » et ses histoires (romans) ont connu un succès retentissant pour toutes les générations.

3. Cours n°4 : Initiation à la littérature arabe

A côté de ce roman historique, s’est développé à la fin du XIXème siècle le roman à thèse dont l’objectif était plutôt philosophique, il s’agit en fait de proposer une thèse idéologique capable de remédier aux problèmes de la société. L’œuvre intitulée « La forêt du droit » (ghâbat al-Haqq) publié en 1865, de Francis Al-Marrâsh [né en 1835 et mort en 1873], est considérée comme une première tentative d’écriture romanesque. Al-Marrâsh est né à Alep (nord de la Syrie) et est parti pour la France afin d’étudier la médecine (parcours type de tous ces écrivains qui font un séjour à l’étranger) mais il est retourné en Syrie en raison de gros problèmes de santé. Dans cette œuvre, le narrateur au cours d’un rêve assiste à un procès dans lequel il y a le roi du Droit, la reine de la Sagesse et de la Philosophie, qui exposent les vertus de leur royaume « inégal » qui est appelé le Royaume de la civilisation et du bon ordre. C’est une histoire allégorique qui a pour objectif de répandre les idées philosophiques de son auteur au sujet de la liberté et au sujet du socialisme utopique de l’Occident. La prose romanesque est bien entendu utilisée dans cette œuvre, mais celle-ci a comme particularité d’avoir intégré avant le XXème siècle, le socialisme français, et des idéologies philosophiques. La religion, la science et l’argent, roman à thèse, de formation, inspiré lui aussi par l’histoire de la République et tout le socialisme en vigueur en Occident à la fin du XIXème siècle.

Dans cette nouvelle écriture (roman historique ou roman à thèse), la langue arabe s’est totalement débarrassée de la prose rimée tout en restant parfaitement pure (conforme à la syntaxe sans utiliser le dialecte), surtout dans le roman historique de Jûrjî Zaydân. La langue arabe devient de plus en plus accessible au peuple, elle exprime le présent, le réel. Ce n’est qu’au début du XXème siècle qu’on a utilisé le dialecte dans l’écriture romanesque.

II- La littérature de l’émigration

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Emigration des Syro-libanais aux Etats-Unis et en Amérique latine

Le romantisme dans la littérature arabe :

Le romantisme est né en Allemagne, il influencera non seulement la littérature européenne mais également la littérature arabe moderne. Un grand nombre d’écrivains arabes ont admiré des grands romantiques français comme Victor Hugo, Lamartine, Chateaubriand. Le romantisme tel qu’il est conçu en arabe est affaire de sensibilité et un puissant élan de l’imagination et qui s’exprime par des techniques nouvelles. Par rapport aux valeurs classiques, le romantisme apporte un nouvel esprit de révolte sur les plans littéraire, social mais aussi politique. Les auteurs romantiques estiment qu’à une société nouvelle il faut une littérature nouvelle. Le romantisme vise la sincérité et c’est un grand retour vers l’individu, vers ce qu’il a de plus personnel. Donc l’influence du romantisme s’est manifestée d’abord dans la littérature de l’émigration ou de l’exil qu’on appelle « adab al mahjar », c’est une littérature produite par les syro-libanais qui ont émigré aux Etats-Unis et en Amérique latine à la fin du XIXème siècle et début XXème siècle. Les plus célèbres de ses écrivains sont : Jibrân Khalîl Jibrân [1883-1931], Amîn ar-RayHânî [1876-1940], Mikha’îl Nu`ayma [1889- 1988].

Jibrân Khalîl Jibrân a passé son enfance dans son village natal qui s’appelle Bcharré (Liban) avant d’émigrer à Boston aux Etats-Unis en 1894. Il retourne au Liban en 1897 où il suit ses études au Collège de la Sagesse à Beyrouth (école très réputée du pays). Il repart aux Etats-Unis en 1900. Il passe trois ans à Paris à étudier la peinture et la sculpture puis retourne à New-York. C’est un peintre, poète et écrivain bilingue : il a écrit une bonne partie au début en arabe et après en anglais (par exemple il a écrit « Le prophète » en anglais qui a été traduit ensuite de l’anglais vers l’arabe et d’autres langues). Il avait un père alcoolique, il part avec son frère et ses deux sœurs qui vont mourir, donc il souffrira énormément dans sa vie, d’ailleurs beaucoup de livres parlent de lui, car il avait une part de mystère en lui, et parce que ses idéologies intriguent. C’est une dame américaine épris de son intelligence qui lui finance ses études à Paris. Grâce à son dynamisme, à New York en 1920, il fonde avec un groupe d’écrivains et poètes arabes vivant aux Etats-Unis, la Ligue de la Plume (ar-râbiTa al-qalamiya) dont il sera le président. Jibrân Khalîl Jibrân publie en 1907 un recueil de poèmes intitulé « `arâ’is al murûj » (Les nymphes des prairies) et en 1908 Les Esprits rebelles (al-arwâh al mutamarrida) et il publie en 1912 un roman intitulé Les ailes brisées. Les nouvelles de Jibrân Khalîl Jibrân expriment sa profonde révolte contre le pouvoir et la tradition qui sont représentées par le Clergé, les féodaux, et le gouverneur : donc ces trois pôles de forces s’allient contre les pauvres et par conséquent contre le peuple. Jibrân Khalîl Jibrân invite son lecteur à détruire ce symbole pour construire un univers fondé uniquement sur l’amour, sur les sentiments nobles et célestes du cœur, sur les lois éternelles de la nature. D’ailleurs cet amour est toujours sanctifié par les romantiques et considéré par eux comme la source de la vertu. Un exemple de nouvelle d’une dizaine de pages intitulée « le lit de la mariée » tirée de « al-arwâh al mutamarrida » : cette nouvelle commence par une scène décrivant la sortie des mariés de l’Eglise (ou Temple, indifféremment de la religion) suivis du joyeux cortège des invités. Une fois arrivés à la maison du marié, les deux jeunes mariés s’installent sur deux hautes chaises entourés des invités. Le narrateur insiste dans son récit sur la description de la maison du marié et tous les indices, tous les signes révèlent son appartenance à la féodalité, à la classe riche. Il décrit la présence de l’alcool, de la liberté de mœurs des invités. Et par opposition à cet univers, il décrit l’univers de la mariée, une jolie fille avec des yeux tristes comme ceux du prisonnier face au mur noir de sa prison. Elle se tourne de temps à autre vers une personne assise à l’écart comme « un oiseau blessé qui s’isole des autres » qui s’appelle Salim âgé de 2O ans qui est son amant. A minuit quand l’agitation est à son comble, la mariée appelle son amie d’enfance Susanne et lui murmure à l’oreille, de dire discrètement à Salim de venir pour qu’il vienne la libérer des ténèbres de ce mariage, afin qu’ils se marient ensemble sous la bannière de l’amour. Un autre monde est décrit, par ces trois personnages : la haine caractérise la relation entre les deux univers, ainsi la mariée traite de « porcs, de loups ennemis » les personnages du premier univers (les riches). C’est pour cela que l’auteur choisit un autre cadre pour unir les amoureux, il choisit la nature sous les sols. Une rupture totale sépare les deux espaces, la mariée dit quand elle retrouve son amant Salim « je suis partie de cette maison et je n’y reviendrai pas, rien ne pourra m’obliger de retourner dans les bras de l’homme que j’ai épousé contre mon gré […] Viens faisons vite, partons vite d’ici et profitons de la nuit qui nous cache ». Salim est tiraillé entre son amour pour la mariée Layla

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et la tradition et ses codes. L’amour est de Dieu mais la tradition est l’œuvre des hommes, et donc Salim vit un conflit entre les lois de la nature et les lois de la société, mais Salim refuse de partir avec elle. A ce moment là, elle tire de sa robe un poignard et en un éclair elle le plonge dans la poitrine du jeune homme. Tout le monde s’approchait autour du corps, la mariée dit « vous raconterez à vos enfants l’histoire de la femme qui a tué son amour le soir de son mariage, [vous parlerez en mal de moi avec vos enfants] mais vos petits-enfants eux me béniront, et succèdera un temps de plus de justice… », puis elle se poignarda à son tour.

L’auteur pose le problème de la relation homme-femme dans la société et pour cela il distingue une union entre l’homme et la femme fondée sur l’amour qui est la seule expression de la volonté du Ciel (namûs aT-Tabî`a) et l’union fondée sur les lois de la terre, de la société qu’il appelle (shari`atu-l-arD).

La tragédie (al ma’sâ) est le résultat de l’union par les lois humaines, mais cette tragédie est vécue uniquement par la femme dans une société patriarcale qu’est la société arabe, car la femme n’est pas comprise par l’homme dans cette société. Cette incompréhension conduit l’homme et à travers lui la société, à condamner toujours la femme, car il considère que les gens aveuglés par la tradition et l’ignorance sont incapables de distinguer le bien du mal, et c’est pourquoi ils jugent sévèrement le comportement de la mariée (Layla).

A la fin, on voit toute une série d’actions révolutionnaires entreprises par cette mariée, et cette femme se situe au centre de tout changement : c’est toujours la femme qui prend l’initiative et qui décide toute seule de son sort et c’est elle en fin de compte qui lutte pour sa liberté.

Sur ce plan idéologique, on voit dans sa littérature (surtout ses nouvelles écrites en arabe) notamment la lutte contre le propriétaire terrien (féodal), le Clergé, le gouverneur, il dénonce aussi l’instrumentalisation de la religion. A la fin du XIXème siècle, ses nouvelles revendiquent l’émancipation de la femme, notamment en affirmant que l’éducation de la femme est une chose essentielle pour le progrès de la société.

Par ailleurs, Amîn al Khalîl a écrit en 1901 « La libération de la femme ».

Ce n’est pas à l’homme d’accorder la liberté à la femme mais c’est à la femme de se révolter et d’arracher sa liberté aux hommes. Cette écriture romanesque bouleverse ainsi les idées admises par la tradition.

Il est certain dans la littérature de Jibrân que le message véhiculé par ses romans prime sur l’art romanesque , il utilisera un ton professoral et prophétique. Son apport à la langue arabe est indéniable par son style prophétique, ses images mariant l’abstrait et l’évident, inspirées de la Bible, du soufisme arabe, et puis, son langage simple conciliant la prose et la poésie, Jibrân et l’école romantique avec lui ont réussi à faire exploser les moules figées de la langue arabe. Les écrivains de l’émigration sont considérés par les critiques comme les précurseurs de la modernité.

Jibrân a négligé quelques contraintes syntaxiques pour donner un nouveau souffle à la langue arabe.

D’autre part, il ne faut pas considérer par contre, que chaque espace géographique était isolé l’un de l’autre. Il y avait des dizaines de revues publiées au Nord comme au Sud des Etats-Unis mais le lectorat concernait surtout les émigrés arabes, mais surtout l’Orient. Les polémiques que Jibrân a suscité se manifestent dans la presse égyptienne, ce qui prouve que ces espaces (Bilad ash-sham et Egypte) sont à prendre ensemble.

Il a intégré à la langue des mots et des structures qui n’étaient pas acceptés avant lui, et d’autres formules rhétoriques nouvelles.

4. Cours n°5 : Initiation à la littérature arabe

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Chercher la biographie de : Taha Hussein, Naguib Mahfoud, Jibrân Khalil Jibrân, `Ala al-Aswânî, Nizar qabbânî (100 mots sans compter le « Wa »)…

Le roman est nouveau dans la littérature arabe, alors qu’au contraire la poésie est le genre noble de la littérature arabe.

On sait que les premiers textes poétiques qui nous sont parvenus remontent au VIème siècle, c'est-à-dire à l’époque qu’on appelle « la jâhiliya », qui précède l’Islam. Cette poésie était transmise oralement, sous la forme de « qaSîda » (un poème), qui est composé de plusieurs vers (al-bayt) qui est l’unité phonétique et sémantique de base dans la composition de la « qaSîda ». La poésie se dit « ash-sha`r ».

Bayt-ash-sha`r est habituellement composé de deux parties égales qu’on appelle hémistiches (en arabe : « shaTr », et ce vers suit un rythme, un mètre qui sera le même dans tout le poème. Pour qu’on puisse parler d’une qaSîda il faut au moins 7 vers. Les deux parties du 1er vers ainsi que la dernière partie de chacun des vers se terminent par la même rime (en arabe : qâfiya). Cette poésie qui est restée vivante a été écrite de cette façon là, mais la poésie arabe a évolué durant le premier siècle de son histoire et a atteint son apogée aux IXème-Xème siècles. Mais après le XIIIème siècle, la littérature arabe (au même titre que la civilisation arabe en général) connaît son déclin. Cette poésie a été « réactivée » au XIXème siècle, et au XXème siècle cette poésie reprendra son évolution, et cette évolution a touché la structure même du poème. Révolution poétique mettant en cause la structure de base du poème arabe. On distingue 3 phases qui ont marqué l’évolution de la poésie arabe :

- 1) Une liberté assez limitée : c'est-à-dire que le poète se donne la liberté de ne pas respecter le même mètre dans tout le poème par exemple, il passe d’un mètre (ex : mètre khafif) à un autre (ex : mètre basit). De plus, cette liberté a touché la rime, donc au lieu que ce soit un poème monorime, on peut désormais en trouver plusieurs. Le code canonique de la poésie qui s’appelait « mètre unique monorime » a été bouleverse au cours du XXème siècle.

- 2) Le poème libre (ash-sha`r l-kurr) : ce poème est libéré des contraintes classiques à savoir le mètre, la rime et le vers poétique classique (composé de 2 parties égales). Il peut mettre un seul mot dans un vers et 10 pieds par la suite. Cette révolution du poème libre est apparue en 1947 avec deux poètes irakiens : poète Badr shâkir as-sayyâb et la poétesse Nâzik al-Malâ’ika. Cependant, les prémisses de cette révolution étaient déjà présentes au début du XXème siècle.

- 3) Le poème en prose (qaSîda an-nathar) : En 1960, Unsî al-Hajj a écrit un recueil intitulé « Lan » (Non ! [à toutes les règles]), et publie des poésies en prose (poèmes français traduits en arabe par exemple) dans la revue Shi`r fondée en 1957 par Yûsuf al-Khâl).

Au début du XXème siècle, il y avait plusieurs groupes littéraires qui prônaient le renouveau dans la littérature et poésie arabe, et les groupes les plus importants sont sans doute les groupes influencés par le romantisme : notamment aux Etats-Unis avec Jibrân Khalîl Jibrân, puis en Egypte avec le groupe Apollo qui avait à sa tête Ahmad zikî Abû Shâdî [né en 1892 et mort en 1965] fondant la revue du même nom « Apollo ». Dans cette revue, le poète tunisien Abû-l-Qâsim ash-shâbî y a publié tous ses poèmes romantiques. Ces poèmes romantiques s’étendront ensuite dans d’autres pays comme le Liban.

Dans cette poésie il y avait une autre vision de l’être humain. Ainsi, le groupe vivant aux Etats-Unis a réservé une large place à la nature humaine (nature profonde de l’individu) et à sa situation dans l’univers. Dans leur conception, l’Homme est toujours une créature énigmatique et mystérieuse, qui est sujet à des

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questionnements multiples qui restent toutefois sans réponse : par exemple : Mikha’îl Nu`ayma, dans un poème intitulé «al `irâk » (le conflit), décrit le poète démuni qui assiste impuissant au combat auquel se livrent, en son for intérieur, le démon (ash-shayTân) et l’ange (al-malek), et ce combat loin de trancher entre l’un et l’autre ne fait qu’augmenter le doute et accentuer l’incertitude. Il dit « je ne sais si c’est un démon qui réside dans mon âme ou si c’est un ange ».

Cette poésie romantique va aussi opposer les différences entre l’homme et la nature, comme Jibrân qui évoque la nature sous le nom de « al-Ghâb ». Oppose les lois de la nature et celles de l’homme. Le poète dont la poésie rassemble d’une manière dense les aspects du romantisme est le poète tunisien né en 1909 et mort en 1934 qui s’appelle Abû Al Qâsim ash-shâbî, qui a publié qu’un seul recueil. Ce poète, comme tout poète romantique arabe en général, consacre un poème qu’il intitule « shi`r » ou « shâ`ir » pour définir la poésie, comme étant les sentiments les plus sincères du poète. Ash-shâbî se décrit comme triste, mélancolique et solitaire, vivant dans une société qui est incapable de comprendre ses sentiments et partager avec lui les mêmes valeurs : il dévoile dans sa poésie son état d’âme, son mal de vivre et sa vision pessimisme de la vie d’ici-bas, ce sont des aspects qui se répètent dans ses poèmes. Il est clair que quand on parle d’Abû Al Qâsim ash-shâbî, qu’il est très influencé par Jibrân Khalîl Jibrân, c’est en quelque sort son modèle et son écho au Maghreb.

« Lorsque le peuple se décide un jour pour la vie, force est au destin d’obtempérer, force est à la nuit de se dissiper, force est aux chaines de se rompre » est le début d’un de ses poèmes.

5. Cours n°6 : Initiation à la littérature arabe

L’évolution dans l’écriture arabe est illustrée par le passage d’une écriture de tendance romantique à une tendance réaliste, et il y a là tout un cheminement, différentes tentatives pour arriver à une écriture complètement réaliste.

Muhammad Hussein Haykal (1888-1956) et son roman Zaynab et Taha Hussein (1889-1973) et son livre « Al ayyâm »

Muhammad Hussein Haykal est issu d’une grande famille paysanne, a reçu une licence en droit à l’université du Caire, et a préparé une thèse d’économie politique à Paris. Il est donc aussi passé par l’Occident. Son premier roman intitulé Zaynab du nom de l’héroïne, est considéré par plusieurs critiques littéraires comme étant le premier roman arabe moderne qui répond aux exigences de la nouvelle technique narrative. Ce roman a été écrit entre 1910 et 1911 quand l’auteur était en Europe entre Paris, Londres et Genève. Dans ce roman là, l’auteur décrit l’espace pastorale de l’Egypte tout en profitant bien sûr de la technique narrative occidentale et du roman français du XIXème siècle. Pourquoi a-t-on tendance à désigner ce roman comme le 1 er roman arabe moderne ? Quel est son contenu ?

Dans ce roman, on a un héros qui s’appelle Hamid qui est le fils d’un grand propriétaire terrien, un jeune instruit qui suit ses études au Caire, donc issu de la bourgeoisie (il a l’argent et la culture). Hamid est sentimentalement déchiré entre deux filles : Zaynab qui est une simple paysanne ouvrière et qui travaille dans la terre du père de Hamid, cette fille est pauvre et belle ; et `Azîza (sa cousine) qui est lettrée, bourgeoise, avec laquelle il a entretenu une correspondance amoureuse en cachette via des lettres. Mais dans ce monde bourgeois, les filles et garçons sont séparées, la tradition les sépare, Hamid peut voir Zaynab mais pas sa cousine `Azîza. Ainsi, Hamid dénonce cette tradition conservatrice. Sa cousine `Azîza se marie, par arrangement, avec un autre homme, alors son amour avec celle-ci n’aboutit pas, Hamid était contraint d’épouser une fille choisie par ses parents. Hamid quitte alors sa famille et part pour Le Caire, laissant derrière lui une lettre exprimant sa déception, et affirme dedans ne plus

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vouloir revenir à la maison familiale jusqu’à ce qu’il trouvera la femme de ses rêves, étant cohérent avec ses idées et avec la société dans laquelle il vit. C’est une façon de contester le système patriarcale des sociétés arabes, et surtout dans le milieu bourgeois.

Quant à Zaynab, son amour avec Ibrahîm (pauvre comme elle) mène aussi à un échec car les parents de Zaynab l’obligent à se marier avec Hassan, un homme qui possède une petite parcelle de terre qu’il peut cultiver, alors qu’Ibrahîm n’avait rien du tout. Mais bien sûr, Zaynab, est restée inconsolable dans son amour pour Ibrahîm, tombe malade et meurt de la tuberculose. Ibrahîm quant à lui s’engage dans l’armée et part faire la guerre au Soudan. On voit l’échec de ces situations sentimentales dans ce roman. Malgré le ton romanesque et l’ambiance romantique qui règnent dans le roman, le roman Zaynab met en relief les possibilités et les prémisses d’une écriture réaliste capable de saisir, de refléter, de décrire les conflits et les mutations sociales du début du XXème siècle. Ce roman fait écho aux problèmes sociaux débattus à l’époque, et bien sûr comme d’autres œuvres qu’on a déjà vues, il pose la question de la « libération de la femme ». La description dans ce roman occupe une place importante et le langage poétique utilisé dans ce roman rappelle parfois le style de Jibrân Khalîl Jibrân, mais la beauté stylistique réside dans les dialogues qui sont écrits en arabe dialectal. Il mélange l’arabe littéraire avec l’arabe dialectal, on le constate dans plusieurs dialogues présents dans ce roman, ainsi la langue se rapproche de plus en plus de la société et des problèmes sociaux.

Taha Hussein est né le 14 novembre 1889 et est mort en 1973. C’est un écrivain égyptien et il est le septième enfant d’une famille de 13 enfants, il grandit dans un milieu familial tout à fait modeste : l’ignorance de son entourage et l’absence d’hygiène rende cet enfant aveugle à l’âge de 3 ans. Il apprend à lire et à écrire dans l’école coranique du village et il quitte le village pour l’université d’Al Azhar au Caire en 1902 (à l’âge de 13 ans) où étudiait son frère donc ils habitaient dans la même chambre. Mais rapidement, il se révolte contre les méthodes médiévales d’enseignement dans cette université. Il rompt avec Al Azhar et entre à l’université laïque du Caire dès sa fondation en 1908 dans laquelle il obtient une bourse pour la France où il est reçu pour un doctorat de lettres à la Sorbonne en 1918. Pendant la Première Guerre mondiale donc, son séjour en France s’est établi entre la ville de Paris et Montpelliers. Il rencontre alors une jeune fille dénommée Susanne (une de ses lectrices qui l’accompagnait dans ses déplacements, l’aidant à l’apprentissage) qu’il épousera en 1917. Pour lui, ce mariage symbolise un vrai lien entre l’Orient et l’Occident. Après son retour en Egypte, il occupe plusieurs postes dans le domaine universitaire où il devient le doyen de la faculté de lettres de l’université du Caire et il joue également un rôle dans le domaine politique où il sera nommé Ministre de l’Education Nationale où il a fait énormément de réformes quand il était présent dans ce ministère. La vie de Taha Hussein comme ancien paysan, son expérience au Caire et son séjour en France ont fortement influencé sa création littéraire. Taha Hussein mène un combat pour dénoncer les problèmes sociaux de l’Egypte : dans ses écrits il avait une admiration particulière pour la civilisation occidentale, et notamment la civilisation française. Il a écrit une quarantaine ou cinquantaine d’ouvrages dans tout domaine : critique littéraire, romans, essais politiques, etc., après sa mort il y a eu six grands volumes inédits qui sont parus.

On va s’arrêter sur deux œuvres : Al Ayyâm (le livre des jours ou les jours) et Nidâ’ al karawân (l’appel de courlis).

En 1929, paraîtra le premier volume d’Al Ayyâm, qui était d’abord publié en épisodes (dans une revue très réputée appelée Al Hilâl fondée par Jurjy Zaydân) entre 1926 et 1927. Le second volume paraitra en 1939, et le troisième volume en 1955. Kitâb Al Ayyâm est un récit où s’entremêlent l’écriture romanesque et la biographie. L’ensemble de l’ouvrage porte sur les années de formation du narrateur. Le 1 er volume couvre les années de sa jeune enfance (de 1988 à 1902 : période d’apprentissage de la lecture et écriture à l’école coranique, il décrit aussi l’ambiance de la maison etc.), le 2ème volume couvre les années de 1903 à 1914 (années passées entre Al Azhar et l’université laïque du Caire), et le 3ème volume couvre les années de 1914 à 1918 passées en France. La toute première particularité de cet ouvrage est que le héros (le protagoniste) est désigné par « il » (huwa) ou par « aS-Saby » (le jeune garçon) au lieu du « Je ». Narrateur (ar-râwy) de l’histoire.

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Remarque : Il faut toujours distinguer entre « auteur » et « narrateur » : l’auteur est celui qui a inventé l’histoire tandis que le narrateur c’est celui qui dans le texte raconte l’histoire.

Le narrateur raconte son enfance qui est marquée de privations et d’angoisses : il avait très peur la nuit, il dormait à peine, content de se lever très tôt quand il entendait les femmes avec leurs jarres qui venaient prendre de l’eau près de la source à côté de chez lui, il se rend compte aussi dès les premières années de se situation, qu’il lui manque la vue, qu’il est différent des autres. Mais en grandissant, il s’est rendu compte de la situation sociale de son pays et de son environnement comme il a vite ressenti la différence entre les différentes catégories sociales. Sa persévérance a été à l’origine de sa réussite, il n’avait qu’une seule idée c’était d’aller au Caire. Dans les 2 ème et 3ème

volumes, il exprime sa révolte contre le pouvoir des enseignants d’Al Azhar qui exerçaient une tyrannie scientifique et morale sans limite. Avide de savoir et de liberté, le protagoniste préfère à un enseignement uniquement théologique et monotone, les cours d’écrivains étrangers qui l’ouvrent à une pensée moderne, sur toutes les sciences humaines et sciences en général. Il faut noter qu’entre les deux guerres, la société égyptienne a vécu une forte mutation sociale, donc il y a eu la naissance de la nouvelle bourgeoisie, et en même temps le fossé s’est bien creusé entre d’un côté les riches et d’un autre côté les pauvres : il y avait des fortunes colossales qui appartenaient à une minorité d’européens ou d’orientaux immigrés (du Liban ou de la Syrie) ou quelques rares Egyptiens. On voyait alors des immeubles montrant une grande richesse aux cotés de bidonvilles où une population y vivait dans une grande misère. Les relations entre ces deux classes sociales en Egypte étaient caractérisées par le mépris des riches envers les pauvres (« fellah » était péjoratif), cela influencera Taha Hussein qui est doté d’une grande sensibilité, qui a vécu lui-même le passage d’une famille modeste et pauvre à une situation aisée grâce à ses plus hauts postes dans l’Etat.

La deuxième œuvre est Nidâ’ al karawân (l’appel de courlis) publiée en 1918, il s’agit d’une série de tableaux montrant la vie paysanne dans la Haute-Égypte au début du XXème siècle, la héroïne de ce roman est Amena élevée par sa mère (Zahra) dans un milieu très modeste et sa sœur Hanadi, le père est assassiné très tôt dans cette fiction. Dès lors, toute la famille est contrainte d’errer dans les environs à la recherche d’un travail pour gagner leur vie. Le voyage de cette pauvre famille composée de la mère et de deux filles (que de sexe féminin donc) exprime toutes les souffrances de la paysannerie égyptienne mais en même temps elle symbolise la volonté de cette paysannerie égyptienne de se faire une place dans la société. Ce voyage est caractérisé par la misère, l’humiliation et l’inquiétude, c’est dans cette ambiance que passent ces 3 filles, mais ce qui les pousse à surmonter ces épreuves de la vie est le désir de vivre. Dans ce roman, la plus jeune des deux sœurs Hanadi finit par se laisser séduire par un fils de bourgeois (Bash Muhandis) qui est accoutumé à séduire les filles nécessiteuses, habitué qu’elles viennent faire les taches ménagères chez lui. Elle tombe enceinte de lui, et pour effacer ce déshonneur, cette fille Hanadi a été tuée par son oncle (le frère de sa mère) car elle n’a pas su lui résister. Ensuite la mère finira par mourir, il restera Amena qui est témoin de tout cela, que tous ces drames sont en fin de compte liés à sa situation sociale, mais Amena refuse de capituler. Elle fuit son oncle et sera engagée dans une famille bourgeoise de la ville, va y travailler où elle décide d’apprendre ce dont elle a été privée durant son enfance (la culture : lire et écrire). Elle acquiert très vite la lecture et l’écriture en arabe et en français grâce à Khadija, la fille de la famille dans laquelle elle travaille. Amena décide de remédier à sa condition de fille pauvre par le savoir (on retrouve ainsi l’expérience de Taha Hussein), et non à travers l’argent. Ainsi, à plusieurs reprises dans ce roman, il revendique l’importance du livre comme moyen de culture, et Amena met en évidence cela, c’est pour cette raison qu’elle désire nourrir son intellect non pas par les livres religieux mais par la science. Elle décide de venger sa sœur qui était victime de l’ignorance et de l’injustice sociale, ce désir de vengeance a renforcé chez elle la volonté de vivre et la volonté de surmonter la misère. Elle a vu qu’il y a eu un projet de mariage entre le Bash Muhandis et son amie Khadija, mais Amena a réussi à empêcher ce mariage en révélant aux parents de Khadija (ses maîtres) la vérité sur cet homme, Amena a réussi ensuite à s’engager comme femme de ménage chez l’ingénieur (Bash Muhandis) qui ignorait ses origines, ignorant qu’elle était la sœur de Hanadi ! Donc le Bash Muhandis (riche) tombe amoureux d’Amena (pauvre) qu’il emmène avec lui, et se marie avec elle après qu’elle lui ait dit la vérité en révélant son identité, et c’est par ce mariage

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qu’Amena devient une femme élégante, totalement transformée (mythe de Pygmalion), elle s’exprime en français comme en arabe, fréquente les milieux bourgeois et change même de prénom, elle s’appelle désormais Sou`ad.

On aura presque le même schéma dans les autres romans de Taha Hussein, en persévérant on peut s’en sortir et le moyen de cela est l’acquisition de la science. Ses écrits ont suscité des attaques violentes de la part de ses anciens maîtres d’Al Azhar ainsi que de la part des milieux conservateurs : accusé en plein Sénat d’hérétique, de porter atteinte au Coran et à la Sunna, et Taha Hussein relate cette campagne menée contre lui dans le 3ème volume d’Al Ayyâm. Cette campagne menée contre lui illustre la lutte des intellectuels pour la liberté de la pensée et la liberté de l’expression. Dans tous ses romans, il dénonce le conformisme, les superstitions, les abus des autorités religieuses et ne cache pas son enthousiasme pour la culture occidentale et pour la démocratie. Les personnages de ses romans souvent pauvres et défavorisés parviennent par leur lutte et par la force de leur volonté, leur persévérance au succès et au bonheur.

6. Cours n°7 : Initiation à la littérature arabe

Najîb MahfûDH : il est né en 1911 dans un quartier du Caire qui s’appelle Al jamâliya. C’est un vieux quartier du Caire, il est né dans une famille de la petite bourgeoisie égyptienne, cairote. En 1924, sa famille quitte ce quartier pour s’installer dans un autre quartier du Caire appelé Al `abbâsiya. Mais dans différentes interviews, Najîb MahfûDH a toujours exprimé son attachement à son premier quartier de naissance, et à plusieurs reprises il a dit qu’il y a entre lui et le quartier, entre lui et les gens qui habitaient ce quartier, une étrange relation qui suscitait toujours chez lui des sentiments extrêmement intimes. Il est donc né au Caire, il y a vécu, et ce qui est caractéristique chez lui quand on observe ses écrits et publications, c’est qu’on se rend compte que les lieux qu’il a fréquentés seront la source de ses œuvres. D’ailleurs, plusieurs de ses romans portent comme titre le nom d’un quartier. D’emblée, on peut voir que la campagne est totalement absente de ses écrits : c’est un citadin à la fois dans sa vie et dans sa littérature, contrairement à beaucoup d’autres écrivains égyptiens de son époque. Najîb MahfûDH entre à l’université en 1930 et il commence à préparer une licence ( ijzâza en arabe) en philosophie avant de se convertir à la littérature. Sa carrière professionnelle commence dans la fonction publique où il y occupe plusieurs postes : il fut tout d’abord employé à l’administration (idâra en arabe) de l’université du Caire, puis a travaillé ensuite comme secrétaire, employé dans le ministère des Donations pieuses (institutions pieuses) qu’on appelle al Waqaf. Puis avant sa retraite en 1971, il fut le président de l’Institut du Cinéma. Il recevra ensuite le Prix Nobel de littérature en 1988, il fut ainsi le premier arabe à recevoir ce prix après sa création en 1901. En 1994, il fut victime d’un attentat perpétré par un extrémiste religieux qui le laissa profondément affaibli. Najîb MahfûDH est mort en août 2006 à l’âge de 95 ans.

Il a publié son premier ouvrage en 1938, il s’agissait d’un premier recueil de nouvelles qui s’intitule : « hamis al junûn » (Un souffle de folie). On peut généralement distinguer 3 périodes dans la carrière littéraire de Najîb MahfûDH :

- 1) la période du roman historique : entre 1939 et 1944, Najîb MahfûDH a publié 3 romans inspirés de l’histoire pharaonique de l’Egypte.

- 2) la période du roman réaliste qui a fait toute sa réputation : rapidement, il abandonne le thème historique pour puiser à la société cairote la matière de ses romans. Son approche de la société devient de plus en plus réaliste et par conséquent il devient de plus en plus critique à l’égard de cette société. Entre 1945 et 1948, il publie 5 romans qui illustrent clairement sa nouvelle vision littéraire. Par exemple « al qâhira al jadîda ». Dans ses romans là, Najîb MahfûDH décrit la petite bourgeoisie en quête d’une

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promotion sociale dans une société où le pouvoir est entre les mains d’une aristocratie et dont l’accès est presque impossible à la petite bourgeoisie. Mais cette petite bourgeoisie - qui a fait des études supérieures dans une université publique gratuite- lutte pour avoir une situation dans la société. Dans l’entre deux guerres, en Egypte, il va y avoir le début d’un enseignement démocratique, qui donnera des générations formées dans les universités qui vont chercher leur place dans le secteur supérieur (l’appareil du pouvoir), dans la société. Mais bien sûr, il y a la difficulté d’intégrer ce système qui reste présente, et cette voie qui est presque fermée à la nouvelle génération était en même temps la cause de toutes les corruptions possibles (mais aussi des moyens honnêtes) pour aboutir à leur objectif d’intégrer l’appareil du pouvoir. Souvent, ce sont les enfants des petits paysans ou petits artisans qui viennent de la campagne, qui font des études au Caire, qui intègrent la vie active, qui ont un poste mais qui sont souvent frappés par l’ambiance du Caire (opposée à celle des campagnes), ils vont être en contact avec des fonctionnaires qui vont abuser de leur pouvoir contre ceux qui arrivent sur le marché du travail, etc. Après plusieurs tentatives, par l’intermédiaire de quelqu’un, on accordera un poste « au personnage d’un de ses romans » à condition de se marier avec telle personne, comme condition d’ascension sociale.

Son chef d’œuvre est « la trilogie » composée de L’impasse des deux palais [bayna al qaSrayni] (1956), Le Palais du désir [qaSr ash-shûq](1957) et Le Jardin du Passé [as-sakkariyya] (1957) : cette trilogie a été écrite entre 1946 et 1952 et publiée entre 1956 et 1957.

La date 1952 marque un changement politique et social important en Egypte, avec la prise de pouvoir de Gamal Abdel Nasser suite à la révolution des officiers libres dont il était à la tête : c’est le passage d’une monarchie à un « gouvernement révolutionnaire ».

Le temps de la narration de cette trilogie est entre 1946 et 1952, et le temps de l’histoire racontée dans cette trilogie correspond en fait à l’histoire de 3 générations qui vivent dans la société du Caire entre 1917 et 1944. Le 1er volume de cette trilogie offre une description minutieuse des traditions et des valeurs sociales et des principes moraux que l’auteur lie aux évènements politiques de la première moitié du XXème siècle et particulièrement à ce qu’on appelle la Révolution de 1919 de Saad Zaghlul (président du Wafd) : cette révolution faisait en quelque sorte le contrepoids à la révolution de 1882 où il y avait l’échec de la révolution d’Urabi Pacha qui voulait l’indépendance de l’Egypte, matée par les Britanniques. Ainsi, la Révolution de 1919 était soutenue par beaucoup d’intellectuels égyptiens pour lutter contre l’hégémonie britannique dans leur pays. Dans cette trilogie, il s’agit de la famille d’Ahmad Abduljawâd (le père), qui appartient à la petite bourgeoisie, ce père a une double personnalité, il est très autoritaire, tyrannique, redoutable au sein de sa famille, il considère sa maison comme un petit royaume dans lequel il serait le roi absolu, mais à l’extérieur il mène une vie de plaisirs, il est doux et plaisant avec ses amis et tendre bien sûr avec ses maitresses. L’autorité d’ Ahmad Abduljawâd s’applique indifféremment à tous les membres de la famille : Yâsîne, son fils qui a 21 ans et est le fils ainé d’un premier mariage, il est fonctionnaire (secteur public) ; Fahmî, fils de 18 ans est étudiant à l’université de droit (ça rejoint ce qu’on disait plus haut sur la formation d’une nouvelle génération au sein des universités), et Kamâl qui a 10 ans (représente la dernière génération) ; quant aux filles il en a deux : Khadija qui a 20 ans et `A’icha qui a 16 ans. La mère s’appelle Amîna et son mari exerce aussi son autorité sur elle. Un exemple dans son présent volume : depuis son mariage avec Ahmad Abduljawâd, Amîna doit attendre le retour de son mari (qui traine dehors) avant de s’endormir car elle doit s’occuper de lui. Un jour elle a osé lui faire une petite réflexion concernant ses veillées, et la réponse du mari ne s’est pas fait attendre, il lui a tiré les oreilles en disant « je suis l’homme, c’est moi qui commande, je n’admets aucune remarque concernant ma conduite, ton devoir est de m’obéir, prend garde à ne pas recommencer ». Mais à la fin du 1 er volume qui va jusqu’en 1924, on remarque que le pouvoir absolu du père sera timidement contesté au sein de la famille, cela reflète une évolution dans la société égyptienne en général, mais rien d’important ne change dans le 1er volume : tout simplement le romancier nous laisse ressentir que dans l’horizon il y a les prémisses d’un changement, d’une évolution, d’une mutation sociale.

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Dans le 2ème volume, les actions (évènements) se situent entre 1924 et 1927. Kamâl en 1917 avait 10 ans, donc en 1927 il a 17 ans, c'est-à-dire c’est l’âge où il doit effectuer un choix pour la discipline qu’il doit poursuivre dans une université en fonction de ses projets d’avenir. Dans ce 2 ème volume, l’histoire se passe sans Fahmî (le second fils) qui fut tué lors d’une manifestation en 1919. Là aussi, on voit la structure de la narration : Yâsîne fait ses études de droit, Fahmî est mort, donc l’histoire se focalise particulièrement sur Kamâl. Les filles se marieront simplement. Le père qui vieillit se révèle beaucoup plus aimable avec son épouse, et celle-ci ose désormais discuter davantage avec lui, avant elle s’asseyait à ses pieds pour lui nettoyer les pieds et s’occuper de lui, mais maintenant elle se met à son niveau, tout en continuant à s’occuper de lui. Elle poursuit le même rituel en l’attendant le soir, mais elle jouit d’une certaine liberté en pouvant visiter ses deux filles mariées, et se rendre de temps à autres à une mosquée cairote particulièrement célèbre. Donc on assiste à une certaine lutte entre ce qui relève de l’ancien et du nouveau, l’auteur donne l’avantage au « nouveau » (al jadîd) qui commence petit à petit à s’imposer dans la société égyptienne, et qui est incarné d’une certaine façon par Kamâl qui devient le héros des romans. Kamâl, une fois qu’il a eu son bac, choisit d’entrer à l’Ecole Normale Supérieure du Caire car il voulait devenir professeur. D’après sa description dans le roman, Kamâl est quelqu’un de sensible, d’idéaliste, il est tiraillé entre le doute et la certitude, entre la réalité et l’imaginaire, entre l’engagement immédiat idéologiquement et politiquement, et l’attente (il n’a pas encore trouvé sa voie idéologique), et est tiraillé entre l’ancien (al qadîm représenté par le père qui n’approuve pas du tout les idées de son fils) et le nouveau. A partir du second volume, Kamâl commence à être influencé par le mode de vie des Anglais qu’il fréquentait en Egypte, il était séduit par une famille aristocratique égyptienne qui est la famille Shaddâd. Cette famille vit et se comporte à l’européenne, elle vit dans un palais et leur fille `A’ida sera pour lui le symbole de la culture, de l’ouverture et de la civilisation.

7. Cours n°8 : Initiation à la littérature arabe

Kamal a donc choisi la philosophie contrairement à ce qu’en pensait son père. Quand il était étudiant Kamal a écrit une thèse sur l’évolutionnisme de Darwin qui provoqua une terrible discussion avec son père : ainsi deux théories s’affrontent car la théorie de Darwin va à l’encontre des croyances religieuses.

Il rejoint le mouvement nationaliste « al Wafd » présidé par Saad Zaghlul, il découvre avec regrets les barrières qui séparent les classes sociales notamment à travers ses fréquentations, avec `A’ida il se rendu compte de la pauvreté intellectuelle de sa classe sociale où il n’y a aucune place pour la culture contrairement à la famille Shaddâd où la culture fait partie intégrante de leur maison.

Il y a une différence d’éducation entre ses deux sœurs analphabètes qui n’ont pas été à l’école, n’ont fait qu’attendre leur mari, et la fille `A’ida, très cultivée.

La troisième génération correspond aux deux petits enfants d’Ahmad Abduljawâd et particulièrement les deux enfants de Khadija qui incarnent deux courants politiques et intellectuels qui sont tout à fait distincts et différents l’un de l’autre : c’est ce qu’on trouve dans le troisième volume où il décrit un monde en mutation et en évolution.

Le premier enfant de Khadija s’appelle `Abd AT`im qui est un membre actif du mouvement des Frères Musulmans (créé par Hassan Al Banna- Que Dieu lui fasse Miséricorde) « qui refusent les valeurs occidentales pour la sharî`a islamique et le retour aux fondamentaux de l’Islam ».

Le deuxième enfant de Khadija est Ahmad (comme son grand père), il adhère quant à lui au parti communiste, tout à fait à l’opposé des Frères Musulmans.

Le message que l’auteur va véhiculer dans le troisième volume est que les deux enfants de Khadija n’ont pas suivi l’éducation de leur oncle Kamal, car l’éducation de ce-dernier prenait en considération plusieurs éléments, les deux enfants ont pris leur indépendance et choisit de s’engager dans la vie politique. Ils ont choisis deux voies

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divergentes pour promouvoir les réformes dans la société : comment réformer cette société, comment accompagner la modernité (chacun la voit de façon différente), etc.

Cette saga familiale de trois volumes représentent et symbolisent en même temps la transformation des êtres humains et par conséquent des sociétés. C’était pour montrer que la société égyptienne à la fin de la première moitié du XXème siècle (1945-1946) est différente de celle de l’Egypte du début du siècle, beaucoup d’événements se sont produits et ont influencé l’éducation et les choix de la jeunesse.

Cette trilogie, et particulièrement le personnage de Kamal reflète plusieurs éléments de la vie de Najîb MahfûDH. Il déclara dans une interview « la trilogie détient une grande part de biographie, la crise que Kamal a traversée, je l’ai aussi traversée. Une grande part des préoccupations qui ont obsédé Kamal m’ont hantées également, de là vient la place particulière de la trilogie dans mon cœur ».

3) troisième période dans son écriture : l’écriture symbolique et allégorique

Dans sa carrière d’écrivain, Najîb MahfûDH a aussi eu une interruption d’écriture pendant 7 ans, de 1952 à 1959 : coup d’Etat de Nasser en 1952 (peut être qu’il a espéré beaucoup de choses, il a préféré attendre, était un peu perplexe durant cette période). Il a publié en feuilleton en 1959 dans le quotidien Al-Ahrâm ce qui va devenir le livre « Les fils de la médina » (awlâd Hâratinâ). Il fut interdit de publication en tant que livre en Egypte, c’est pourquoi il sera publié en livre à Beyrouth en 1967.

Dans ce livre, il y a un personnage principal tout d’abord, un personnage patriarcal nommé Jabalâwî qui est un ancien futuwwa (caïd qui impose l’autorité dans un quartier, il est charismatique, a un statut physique et des valeurs morales qui le permettent) situé dans un quartier du Caire aux confins du désert. Jabalâwî institue un « waqf » (société) pour ses descendants ; ensuite le roman prend une structure tout à fait simple et répétitive. En effet, il sera divisé en cinq parties dont chacune d’elles porte le nom du personnage qui apparait à ce moment. Ces cinq personnages sont les suivants : Adham Jabal Rifâ`a Qâsim `arfa chacun d’eux correspond à un chapitre différent, la structure interne de ces chapitres est identique. Il y a une oppression qui donne naissance à l’apparition d’un chef, amélioration puis dégradation et retour à l’état initial et ainsi de suite.

A l’exception de `arfa (dernier personnage), le lecteur constate facilement que les premiers chapitres (les 4 premiers noms des chapitres) sont inspirés des 3 religions monothéistes. Jabalâwî représente le Créateur, Adham (Adam), Jabal (Moïse), Rifâ`a (Jésus), Qâsim (Muhammad saws).

`arfa sera accusé de dévoilé le secret de ce qu’il y a dans le local et tué le premier personnage, il symbolise le savoir, la science (`arafa).

Tout ce livre est allégorique. Le personnage de `arfa apparait comme l’accomplissement du personnage de Kamal dans la trilogie. La continuité de la voie de Kamal est donc perceptible par ce personnage de `arfa.

Ce livre a suscité beaucoup de critiques, disant que ce n’est pas une véritable allégorie mais une allégorie politique. La pensée fondamentale de ces livres c’est l’opposition entre la science et l’héritage générationnelle des croyances religieuses.

Najîb MahfûDH a écrit 70 romans ou recueils de nouvelles, il reste le meilleur représentant de l’écriture réaliste dans le roman arabe, il a réalisé des expérimentations qui ont conduit l’auteur à faire des ouvrages qui sortent de cette écriture romanesque réaliste vers une écriture symbolique, allégorique.

`alâ’ al’aswânî a écrit un livre très célèbre « `imâra ya`qûbiyân » : à ce propos, Gilles Kepel dit que c’est le plus bon roman écrit cette dernière décennie. D’autres critiques ont dit que c’était le plus mauvais ! On a un certain plaisir à le lire, il s’est vendu dans le monde entier, traduit dans toute les langues, c’est le roman arabe le plus vendu, toutes langues confondues ! On va étudier ce livre avec un esprit tout à fait objectif.

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`alâ’ al’aswânî est un auteur égyptien né au Caire en 1957, sa profession est la médecine dentaire (Tibb al ’Asnân), il est donc dentiste (Tabîb ‘Asnân) deux jours par semaine. Il est l’un des fondateurs du mouvement intellectuel à portée sociale « Kifâya » [ça suffit !]. Il n’a pas écrit beaucoup de livres, il a écrit `imâra ya`qûbiyân ; Chicago (traduit en français). Il y a un film qui est l’adaptation du roman `imâra ya`qûbiyân et qui est sorti en France en 2006. Le roman `imâra ya`qûbiyân est paru en 2002 en Egypte puis 2006 en France.

Le titre du livre nous renvoie à un espace, un lieu qui est l’immeuble ( `imâra en arabe) et en plus il nous renvoie à un référent réel c'est-à-dire un immeuble qui fut construit en 1934 par un homme d’affaires (riche égyptien arménien) nommé Ya`qûb. Cet immeuble nous renvoie à d’autres référents réels concernant l’environnement et l’emplacement, il se situe dans une rue qui prend son ancien nom dans le roman : cet immeuble se trouve rue « Souleymân Bâchâ », aujourd’hui il a un autre nom « Tal`a harb ». Cet immeuble moderne est construit dans un quartier fréquenté par les richesses du Caire (hommes d’affaires, industriels égyptiens entre autres). Le roman retrace l’historique de cet immeuble, une fois qu’une bonne partie de ses occupants l’ont quitté pour un autre endroit. On assiste dès le début du roman à cette mutation qui a touché l’immeuble, cette mutation est dans un sens négatif, ça marque le début d’une certaine dégradation de cet espace, moment où cet immeuble a commencé à perdre sa splendeur. On assiste comme à un certain déplacement : abandon de ses premiers occupants, puis installation de nouveaux habitants. On a l’impression à la lecture de ce roman, que l’auteur trace à la fois l’évolution de ce bâtiment et de ses habitants, et montrant l’évolution qu’a subi le centre ville du Caire. De ce point de vue, l’immeuble est présenté comme le microcosme de la société égyptienne actuelle. Le premier paysage qu’il montre de cet espace est le toit de l’immeuble, où se trouvent une vingtaine de petites pièces construites en taules, qui étaient destinées à l’origine à différents usages comme on le voit dans le livre à la page 18, pour le stockage des provisions par exemple « ces cabanes en fer avaient alors plusieurs usages comme d’emmagasiner les produits alimentaires, loger les chiens ou bien elles servaient pour essorer le linge avant que se répandent les machines à laver car cette tache était donnée à des personnes spécialisées ». Désormais, sur ce toit habite toute une société égyptienne. Cet immeuble, tel qu’il est présenté au début du roman, est un lieu où l’ancienne aristocratie est remplacée par une petite bourgeoisie, des officiers (il fait allusion à la révolution de 1952 quand « les juifs et étrangers commencèrent à quitter l’Egypte et tous les appartements devenus vacants par leurs départs ont été pris par les officiers, hommes forts de l’époque »). L’aristocratie a été remplacée par des officiers. C’est pour cela que l’auteur dit que la moitié de l’immeuble est désormais occupé par des officiers. Dans cet espace, cohabitent deux catégories sociales : il y a une partie qui correspond aux nouveaux riches ou quelques personnes issues de l’ancienne aristocratie qui sont restées et les employés de différentes sortes (très pauvres) qui occupent le lieu où logeaient les chiens sur le toit. Deux univers s’affrontent sur la même espace, d’où le symbole de cet immeuble qui est une métaphore désignant toute la société égyptienne.

8. Cours n°9 : Initiation à la littérature arabe L’espace : Cela correspond à l’Immeuble qui est une métonymie renvoyant à la société égyptienne. Ce petit espace qu’est l’immeuble nous renvoie à un sens plus général qui est la société égyptienne et plus particulièrement la société du Caire. Comme espace important dans le roman, il y a l’immeuble et la terrasse, et le bar Café « Chez nous » qui est situé entre le rez-de-chaussée et le sous-sol de l’immeuble. Cela symbolise la face cachée de la société égyptienne, le côté nocturne, d’une société qui s’adonne totalement à ses désirs et à ses plaisirs. D’ailleurs la description même de ce bar révèle le caractère de celui-ci comme étant intime, secret. De ce fait, on peut voir que tous les personnages principaux de ce roman vivent ou travaillent dans ou autour de l’immeuble Yacoubian et, on peut souligner que l’immeuble existe en réalité (référent réel) et l’auteur lui-même y tenait son cabinet de dentiste, emplacement qu’il avait hérité de son père qui était avocat.

L’Héros du texte, le centre du texte est l’immeuble Yacoubian, et tous les autres personnages gravitent autour.

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Le temps : Il faut distinguer dans ce domaine 2 éléments de temps qu’on appelle « le temps de l’histoire » (période dans laquelle les évènements et les actions se déroulent et où les personnages évoluent) et le « temps de la narration ou de l’écriture » (moment où l’auteur écrit son texte, ici il a été rédigé en 2002). Dans le texte, un repère clair est la Guerre du Golfe qui a lieu en 1991 et les évènements se déroulent autour de cet acte. On a d’autres indices dans le texte qui montrent aussi que les actions se déroulent dans la fin des années 80 : la montée de l’islamisme en Egypte, Zaki Ad-Dasûqî a fait des études en France dans les années 40 et là il a 65 ans dans l’histoire donc on en conclu que l’histoire se passe entre la fin des années 80 et début des années 90. Mais le temps de l’histoire ne veut pas du tout dire que le narrateur ne fait pas de retour « flashback ou analepses », en effet l’auteur se réfère à des périodes du passé qui sont importantes dans le déroulement des évènements. Par exemple, il revient par analapse en 1934 avec la construction de l’immeuble et puis il nous révèle également l’évolution historique, politique et sociale de l’Egypte au XXème siècle en mettant en évidence les évènements majeurs qui ont fortement contribué à la mutation de la société égyptienne. Au premier plan, apparait la Révolution de 1952 qui a mis fin à l’aristocratie qui tenait le pouvoir tout comme elle a mis fin à la royauté : p18 « en 1952 éclata la Révolution et tout changea ». L’auteur a insisté sur ce changement là pour nous montrer l’arrivée au pouvoir des militaires et par conséquent à la « militarisation » de l’Etat. Ce qui prouve dans le texte les changements dans l’immeuble de par le changement de pouvoir c’est par exemple la nouvelle population qui vient habiter l’immeuble, on a eu recours au général Dekrouri (qui est un résident de l’immeuble) pour répondre aux différentes plaintes déposées par les anciens habitants de l’immeuble, plaintes contre les femmes des officiers (anciennes campagnardes) qui élèvent des lapins, des canards, des poules sur la terrasse. Cela représente clairement cette passation de pouvoir entre l’ancien pouvoir et le pouvoir actuel des militaires. Ce général Dekrouri imposera l’interdiction de cet élevage sur la terrasse. De plus, l’auteur fait référence aux années de l’ouverture, par Anouar As-Sadate qui rompt avec l’Union Soviétique (qui était alliée avec le gouvernement de Nasser pendant 2 décennies) et qui signera les accords de paix avec Israël par l’entreprise des Etats-Unis à Camp David dans les années 70. Les riches commencèrent à quitter le centre ville pour habiter dans d’autres quartiers dupés du Caire à l’instar de « Medina Misr ». La communauté sociale qui habitait le toit de l’immeuble (qui était avant un domaine privé) va être touchée par ces changements, le toit deviendra un domaine public et il rompt les liens qui existaient entre les habitants de l’immeuble et les occupants du toit, désormais il n’y a plus aucun lien entre ces deux groupes. Cette population pauvre qui s’y est constituée et installée a apporté avec elle ses valeurs et ses traditions. Cette nouvelle société baptisée déjà dans ce roman « société de la terrasse » n’est pas différente de toutes les autres sociétés populaires de l’Egypte : « les femmes y passent la journée à préparer la cuisine et à commérer au soleil […] se disputent, se réconcilient, se couvrent de baisers chaleureux, quant aux hommes ils n’y font pas attention, y voient un signe d’insuffisance mentale… »

Le narrateur souligne aussi le changement qui a touché l’espace qui entoure l’immeuble (l’environnement) qui est parfaitement révélateur du sens que prend cette mutation sociale. Dans la rue Souleymane Pacha il y avait 10 petits bars au début du roman, et dans les années 80 ils furent fermés à l’exception de 2 après l’assassinat de Sadate par des « islamistes » : « une vague de religiosité dévastatrice submergea la société égyptienne » (p45).

D’autre part, pour comprendre un roman, il est important de savoir comment il est construit, quel est le squelette de cette construction complexe qu’on appelle « roman » ?

Pour cela, on va avoir une approche narratologique structurale et voir qu’effectivement dans l’ensemble, régulièrement, un roman ou les évènements à l’intérieur du roman évoluent à travers un schéma quinaire (cette évolution suit 5 étapes majeures dans la construction d’un roman) :

- 1) L’Etat initial : quand cette histoire a commencé, dans quel état était le héros ou les autres personnages ? Dans ce roman, il y a certes des personnages principaux et secondaires mais le personnage qui se démarque du texte n’est pas clair dans ce roman.

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Les personnages sont : Taha ash-Shadhibi (au début du roman on voit que c’est un étudiant brillant, il est le fils du concierge de l’immeuble Yacoubian, il habite sur le toit de l’immeuble, il est amoureux de Buthayna), Buthayna (au début, elle est amoureuse de Taha Ash-Shadhibi, elle habite le toit de l’immeuble, est diplômée de l’école de commerce, et elle travaille dans le magasin de prêt à porter après avoir travaillé dans plusieurs entreprises un an auparavant), Zaki ad-Dasûqî (c’est un ingénieur, un grand bourgeois, son personnage est parfaitement associé à la rue Souleymane Pacha, et son nom est associé aussi dès la première page à un rite qu’il fait chaque matin), Hatem (au début du roman il apparait comme un journaliste d’origine bourgeoise d’une mère française et père marocain, et homosexuel, et il est à la recherche d’un compagnon pour satisfaire ses désirs sexuels), Muhammad Azzam (c’est un nouveau riche, homme d’affaire, il a fait une fortune avec un commerce douteux et il était au départ cireur de chaussures).

- Les forces perturbatrices : pour qu’il y ait une histoire on a besoin d’un élément perturbateur qui coupe ce rituel calme qui peut durer éternellement et met fin à l’état initial. Par exemple, l’élément perturbateur pour le personnage de Taha ash-Shadhibi est l’échec au concours d’entrée à l’académie de police. Pour Buthayna, c’est la mort du père qui a mis la mère dans une situation très précaire ce qui l’obligera à travailler pour subvenir aux besoins de sa mère, mais aussi, en plus de faire un job non-désiré, ce qui perturbe son histoire est le harcèlement sexuel de ses patrons. Pour Zaki ad-dasûqî, c’est le vol de sa bague par une prostituée mais aussi par son expulsion de chez sa sœur qui le rend responsable de la perte de sa bague. Pour Hatem, ce sera la rencontre avec Abduh qui lui-même est marié, il se met dans une situation très périlleuse pour satisfaire ses désirs sexuels avec celui-ci. Pour Muhammad Azzam, ce sera son mariage clandestin avec Sou`ad et la grossesse de celle-ci.

- La dynamique : le personnage doit faire un effort pour surmonter et vaincre la force perturbatrice. Taha ash-Shadhibi, pour vaincre son échec, souhaite se venger à travers la voie de l’intégrisme religieux, et puis l’entrainement aux armes, etc. Buthayna, décide quant à elle de supporter (à cause de la nécessité matérielle) les harcèlements des employeurs, mais tout en gardant sa virginité qui est le seul passeport pour le mariage, elle œuvre aussi pour supporter sa situation en faisant un compromis avec Malek le chemisier pour séduire le vieil homme qu’est Zaki ad-Dasûqî, et récupérer ainsi l’appartement après. Zaki ad-Dasûqî, essaie de retrouver les plaisirs de la vie en s’éloignant loin de sa sœur, passant ses nuits dans l’immeuble Yacoubian. Hatem, a installé Abduh dans un kiosque ou plutôt séparé autant que faire son peu son amant Abduh de sa famille, car son intérêt est qu’Abduh soit loin de sa femme. Muhammad Azzam, qui voulait devenir député, a divorcé sa femme et l’a forcé à avorter.

- La force équilibrante : il s’agit de l’aboutissement du dynamisme du personnage, ce qui rétabli en quelque sorte la situation (un certain équilibre dans la situation de chacun).

L’équilibre de Taha ash-Shadhibi, c’est sa nouvelle situation dans un camp d’entrainement islamique, et marié avec une sœur car ils ont la même cause religieuse, mais il reste bien sûr obsédé par le désir profond de se venger. Buthayna se prend au jeu et renonce à trahir l’homme qui la traite avec beaucoup de délicatesse. Zaki ad-Dasûqî vit loin de sa sœur et se plait de sa rencontre avec Buthayna. Hatem pense surmonter ses problèmes d’homosexualité et pense mener une vie stable avec Abduh. Muhammad Azzam, reste obsédé par le pouvoir et la fortune.

- L’état final : c’est l’antipode de l’état initial. Par exemple, Taha ash-Shadhibi qui était un étudiant en quête de réussite, meurt à la fin après s’être vengé. Zaki ad-Dasûqî se remarie et part à l’étranger ; Muhammad Azzam est député et rentre totalement dans le système politique et financier corrompu, Hatem est tué par Abduh qui perd son fils suite à une maladie.

Parmi les 5 personnages principaux, deux meurent à la fin du roman.

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9. Cours n°10 : Initiation à la littérature arabe

Les personnages : notions théoriques sur l’étude des personnages d’un roman : les personnages ont un rôle essentiel dans l’organisation de l’histoire car toute histoire est une histoire de personnages parce que ce sont les personnages qui déterminent les actions et ce sont eux qui subissent en même temps les actions et qui les relient entre elles. Il y a des personnages principaux comme il y a des personnages secondaires dans un roman, mais ces personnages qu’ils soient principaux ou secondaires sont regroupés dans des catégories communes de forces agissantes : on les appelle « les actants » car ils illustrent la force agissante dans une histoire, les actants sont indispensables à toute intrigue, à toute structure romanesque. Il y a notamment 6 classes communes d’actants, on peut parler de « schéma actantiel » :

I- Les actants

Adjuvant

Destinateur sujet objet destinataire

≠Opposant

Chaque couple fonctionne sur un axe particulier :

- Le destinateur (1) et le destinataire (6) = axe du savoir

- Le sujet (2) et l’objet (3) = axe du vouloir faire

- L’adjuvant (4) et l’opposant (5) = axe du pouvoir faire

Il s’agit d’arriver à un objectif, et les autres actants participent, pour on contre, à la réalisation de cette quête.

Le destinateur c’est le personnage, ou les personnages, ou la situation, qui sait, et c’est cette autorité qui charge le sujet d’un objectif, d’une quête de quelque chose. Dans le roman L’immeuble Yacoubian il y a plusieurs sujets, et plusieurs objets. Le destinateur, en général, on ne le voit pas comme un personnage concret dans le texte, mais c’est lui qui donne une mission au sujet. Dans le cas du roman L’immeuble Yacoubian, le destinateur pour le personnage-sujet Taha ash-Shadhibi est sa condition sociale, qui le motive et lui précise des objectifs et lui donne la mission d’accomplir ces objectifs-là.

Le destinataire est celui qui récolte le fruit de l’objet, ainsi pour Taha ash-Shadhibi le destinataire est la société, le destinataire comme le destinateur sont rarement identifiables dans le texte, on les cerne qu’entre les lignes au cours du texte.

Le sujet a un objectif, une mission claire : ex : Taha ash-Shadhibi avait comme objectif d’être un officier dans la police nationale. C’est cet axe du vouloir qui crée le dynamisme dans le récit, mais pour qu’il y ait roman, on trouve des adjuvants (personnages ou situations) qui sont ceux qui ont la possibilité et la force d’aider le héros, le personnage principal, le sujet à réaliser son objet. Ainsi, Taha ash-Shadhibi a pour adjuvants Buthayna qui l’encourage, et le Sheikh islamiste qui l’encourage à se venger par la suite. L’opposant à Taha ash-Shadhibi est le jury qui s’oppose à la réalisation de sa quête (être officier de police).

Remarque : il ne faut pas penser qu’un personnage dans un roman soit toujours anthropomorphe (une personne fictive, imaginaire appelée personnage, créé de toute pièce par l’auteur) : ça peut être aussi une table, une chose ou un autre élément concret ou abstrait.

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II- La hiérarchisation des personnages

A l’intérieur de chaque roman, il y a une hiérarchisation des personnages, car les personnages ne sont pas tous sur le même pied d’égalité dans un roman. Cette hiérarchie se présente sous 3 formes :

- 1) la qualification différentielle : elle porte sur la quantité de qualifications attribuées à chaque personnage (qui diffère selon les personnages) et elle porte aussi sur les formes de leurs manifestations : on appelle cela « énoncés d’être ». Les énoncés d’être qui qualifient Taha ash-Shadhibi ou Buthayna ne sont pas égaux à ceux qui qualifient Christine (la propriétaire du restaurant Maxime), car l’auteur du roman veut nous dévoiler la personnalité de ces personnages, pour aboutir à la profondeur psychologique de ces personnages, ce qui n’est pas nécessaire pour les personnages secondaires.

- 2) la distribution différentielle : elle concerne l’aspect quantitatif dans un roman, c'est-à-dire, les personnages apparaissent plus ou moins souvent dans un texte, ou plus ou moins longtemps, ou à des moments stratégiques ou non dans le texte. Distribution quantitative du nombre de pages à un personnage montre son importance dans le roman ou pas.

- 3) l’autonomie différentielle : elle prend en considération les modes des combinaisons des personnages. Ainsi, + le personnage est important + il apparait autonome et seul. A l’inverse, - le personnage est important + il se retrouve dépendant d’autres personnages dans le texte.

Ex : Taha ash-Shadhibi apparait dans le texte comme individuel, on observe ses actions de façon indépendante et autonome, alors que d’autres personnages ne le sont pas comme Christine qui est toujours décrite avec un autre personnage, liée à Taha ash-Shadhibi.

Comment étudier et analyser un personnage dans un roman ?

Dans l’analyse d’un personnage dans un roman, on peut s’arrêter tout d’abord sur l’étude des noms propres attribués à ces personnages.

III- L’Etude des personnages

A- Les noms propres

L’auteur ne choisit pas les noms propres de ses personnages pas au hasard, car dans l’appellation de ces personnages il peut y avoir une signification. Par exemple, Taha, (premières lettres d’une sourate du Coran du même nom) renvoie à une source religieuse. Son nom de famille renvoie à une des écoles juridiques secondaires dans l’Islam. Buthayna, fait partie des femmes amoureuses de Jamîl et lui était amoureux d’elle. Par exemple, un auteur peut appeler son personnage « Karîm » pour montrer qu’il est généreux ou bien pour insister qu’il est tout sauf généreux, c'est-à-dire avare.

B- Les désignateurs

Le deuxième point dans l’étude des personnages s’agit de définir physiquement, moralement et socialement les personnages dans un roman. A cette fin, il faut suivre dans le roman ce qu’on appelle les désignateurs, à savoir tous les indices qui désignent les personnages.

Au début de chaque roman, le nom du personnage est insignifiant, car on ne connait pas encore qui est ce personnage, on compare ainsi le personnage au début du roman à une feuille blanche, car on n’a aucune connaissance à son sujet. Et au fur et à mesure qu’on avance dans le roman, cette feuille se remplie. Ca peut se

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faire directement : par exemple l’auteur dit que « Buthayna a un joli corps » (manière directe) ; ou bien ça peut se faire de manière indirecte, on peut savoir la personnalité d’un personnage à travers ses propos, sa façon d’agir. + le personnage a des qualifications + cette page est remplie + il a une profondeur psychologique dans le texte.

Les femmes dans le roman L’Immeuble Yacoubian : on voit des femmes différentes avec une tranche d’age différente, une disparité sociale entre elles.

- Buthayna (Boussaïna dans la traduction du roman) : c’est une belle femme qui veut réussir dans sa vie. C’est son corps que l’auteur a mis en avant, Buthayna découvre son corps, et cette découverte donnera l’occasion au narrateur de décrire son physique sensuel. Buthayna exploite sa beauté pour créer un espace dans lequel elle exerce tout son pouvoir. Page 58 « au cours de cette année Buthayna avait appris beaucoup de choses, par exemple qu’elle avait un beau corps attirant et que ses grands yeux couleur de miel, ses lèvres pulpeuses, sa poitrine abondante, son postérieur rond et frémissant, ses deux fesses tendres étaient des éléments importants dans sa relation avec les gens ». L’auteur met donc en relief ce qui attire chez elle, pour montrer que c’est une femme attirante et séduisante. Consciente de sa beauté, Buthayna va l’exploiter pour séduire, provoquer et aussi pour se venger de la société. Quand toutes les filles de son age rêvaient d’un avenir meilleur, susceptible de les faire sortir de leurs conditions sociales, son avenir est bien programmée dans sa tête : page 55 « à cette époque elle était élève en section commerciale, elle faisait des rêves pour le futur : type de travail, appartement, nombre d’enfants». Avec l’assentiment et la complicité de sa mère, elle se donne tout à fait au jeu du corps, mais on sait, dans le texte, qu’elle vit un conflit, un déchirement dont le résultat était connu d’avance. Ce déchirement concerne d’un côté les valeurs religieuses et les valeurs matérielles (apporter de l’argent à la famille) comment apporter cet argent en gardant ses vertus religieuses ? Et le texte met clairement en évidence ce conflit, ce qu’on peut appeler aussi cette « dichotomie ». « elle passait des journées dans la tristesse, recroquevillée sur elle-même et un jour où elle est allée rendre visite avec sa mère sur le tombeau de Hussein, dans la nuit noire qui apaise les cœurs elle fut prise d’une crise de larmes, mais elle ne pouvait revenir en arrière… » c’est un passage qui montre clairement son conflit intérieur. C’est en fonction de ce conflit qu’elle va décider de sa relation avec son amant et amoureux Taha car au fond d’elle-même elle voulait rompre avec lui mais était finalement incapable de le fuir complètement car elle l’aimait. Cet épisode de conflits finira par mettre fin à sa vertu, ce conflit ne dure donc pas éternellement dans le texte, elle a fait un choix, elle a mis de côté la vertu héritée de son éducation. Ce qui montre la transformation de Buthayna, c’est qu’elle se rend de plus en plus compte dans le texte de l’inutilité de la formation professionnelle, bien qu’elle a eu son diplôme de commerce, elle sera convaincue que la seule arme dont elle dispose est son corps, qui est sa seule fortune. Buthayna ne croit pas plus du tout en sa formation professionnelle, ni à son diplôme mais à la force de son corps, de sa beauté. Elle a un comportement provocateur envers les hommes. Le regard de Malek sur Buthayna est révélateur, la proposition de Malek ne s’appuie pas sur les diplômes de Buthayna mais souhaite signer le contrat uniquement parce qu’elle a un joli corps.

10.Cours n°11 : Initiation à la littérature arabe

Buthayna dit de Zaki Ad-Dasuqi que c’était qu’un vieillard qui cherchait que les filles et que ce qui lui est arrivé était mérité. Elle refuse de le trahir car elle retrouve en lui le père qu’elle a perdu, sa mort a fortement modelé son parcours. On remarque également que Buthayna commence à éprouver de l’amour pour Zaki Ad-Dasuqi, mais cet amour décrit dans le texte rappelle + l’amour paternel qu’un amour passionnel. Si on se réfère au texte, il y a quelques termes qui soulignent la spécificité de cet amour : p248 « elle se sentait soulagée quand elle lui parlait. Un amour mais un amour différent, calme et solide, plus proche du bien être, de la confiance et du respect ». Le

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mariage de Buthayna avec Zaki Ad-Dasuqi serait dans le roman un moyen pour qu’elle retrouve un certain équilibre après la force perturbatrice : tout d’abord avec le mariage elle fuit la société et les conditions sociales qui ont déterminé jusque là son parcours. Et le désir qu’elle exprime pour quitter l’Egypte et partir en Occident serait aussi vu comme une métaphore de cette fuite. Au départ, il s’agit d’un amour fondé sur l’intérêt, qui se transformera en un amour qui mènera au mariage, il la respectait en tant que femme.

Sou`ad Jaher : Selon les critères de hiérarchisation des personnages dans un roman, Sou`ad occupe une place moins importante que Buthayna par exemple que ce soit qualitativement ou quantitativement. En effet, elle n’est pas du tout indépendante car elle dépend d’un autre personnage qui est Azan. De plus, elle évolue dans un espace fermé, clos, qui est l’appartement d’Azan qu’il lui a acheté, mais elle n’a même pas le droit de sortir ou d’aller voir son fils. Le texte consacre une partie de la description de Sou`ad, l’auteur parle presque en détail du physique de celle-ci (p73), il y a des généralités néanmoins : « c’était une femme blanche, belle et voilée, grands yeux noirs ensorcelant… » il décrit une beauté qui pourrait attirée Haj Azan, qui voulait une femme plus jeune. Sur le plan moral et psychique (p114) « tout le monde avait fait l’éloge de sa moralité » puis on peut voir également que sur le plan social elle est plutôt pauvre, le travail est révélateur de la catégorie sociale, elle est vendeuse dans un magasin. Son mariage avec Azan était donc aussi un moyen pour fuir sa condition sociale, il y a de gros problèmes sociaux avec la femme considérée « veuve ». Elle est vue comme une seconde épouse clandestine d’Azan.

Dawlat Ad-Dasuqi (sœur de Zaki) : Rôle très secondaire dans le roman : dans le texte, elle représente la catégorie déchue qui a perdu sa situation et son pouvoir, et tous les désignateurs de Dawlat convergent vers cette idée là : elle est seule, n’a pas de mari (mort), et ses enfants sont à l’étranger, elle a donc perdu tout, et le symbole de cette grande perte et d’un passé révolu est la Bague en diamant qui a été volée, ce vol vient couronner toute une série de dépossession.

Christine Nicolas : Elle est propriétaire du restaurant « Maxime », elle a la soixantaine voire un peu plus (même génération que Zaki) et conserve de son ancien parfum car elle porte la trace de sa beauté révolue, elle d’origine grecque mais a vécu toute sa vie en Egypte. Son image dans le texte est liée à l’espace qu’elle gère, qu’elle domine, à savoir le restaurant. Pour faire un certain parallélisme entre le passé et le présent : le restaurant Maxime garde les traces de certaines habitudes, civilisations qui étaient en Egypte qui essayaient d’imiter l’Occident et notamment la France. « A Maxime tout porte l’emprunte d’un passé élégant ». Quant à Christine Nicolas symbolise le passé florissant de la bourgeoisie égyptienne, d’ailleurs son comportement illustre tout à fait ce sentiment de nostalgie pour ce passé. Il y a bien sûr un croisement entre elle et Zaki Ad-Dasuqi (ancienne amante, amie). Zaki Ad-Dasuqi vient voir Christine Nicolas quand il rencontre une difficulté car elle l’écoute et elle représente le passé aussi, c’est une génération du passé qui est un refuge pour Zaki Ad-Dasuqi. Tous les deux voyagent, s’évadent, une fois qu’ils sont dans ce restaurant Maxime, vers le passé. Et son rôle dans le roman contribue à découvrir la profondeur psychologique de Zaki Ad-Dasuqi, elle forme avec lui comme un tandem.

Pour les personnages hommes :

Zaki Ad-Dasuqi : c’est un architecte de 65 ans, son mode de vie et comportement manifestent une recherche d’un passé perdu et d’honneurs révolus. Il n’hésite pas à donner son opinion sur Abd al Nasser, il profite de cette occasion pour dévoiler sa pensée et pour évoquer son statut dans la société actuelle (après la Révolution). Il est marginalisé dans la société actuelle, quand il parle avec Buthayna, il évoque toujours le passé « j’ai vécu de beaux jours Buthayna… j’ai vécu une belle époque, l’Egypte ressemblait à l’Europe ». Ainsi, la recherche d’une femme ne serait qu’un paravent qui cache sa déception, et donc sa volonté et ambition d’un retour vers le passé. On peut percevoir dans le texte un projet de voyage en Europe, comme si sa vie, son objectif étaient orientés vers l’Europe. C’est un personnage qui vit dans le présent mais il représente parfaitement le passé.

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Taha Ash-Shadhibi : C’est le personnage le plus important dans le texte. Si on considère que le personnage de Taha Ash-Shadhibi est un champ vide à l’origine (espace vide de signifié au début car on sait rien de lui au début du roman), on peut tout d’abord constater que le premier signe évoqué dans la constitution du signifié (personnage) de Taha Ash-Shadhibi est un signe religieux. Il commence à évoquer les valeurs auxquelles croit ce personnage, le religieux est au premier plan : ex p23 : à la veille de son concours : « Taha Ash-Shadhibi a passé la nuit éveillé, en proie à l’anxiété, il a fait la prière de l’aube avec en plus les deux prières qui sont pour l’occasion, et puis quand le soleil du matin brille », et les marques qui révèlent l’élève brillant qui rêve depuis de son enfance de devenir officier de police viennent juste après les signes. Taha Ash-Shadhibi est le personnage le plus compliqué du texte, donc pour bien comprendre son évolution et sa profondeur psychologique on suit une méthode simple en notant tous les signifiés qui se rapportent à lui jusqu’à la fin du texte. L’auteur a commencé à dévoiler ce personnage par son aspect religieux, puis il dit qu’il est brillant. Nous savons quand on lit le texte que ses origines modestes et l’emploi de son père comme gardien d’immeuble lui ont valu le refus humiliant du jury lors de sa présentation au concours d’officier de police, ce qui est bien sûr tout à fait injuste. Taha Ash-Shadhibi a décidé de se venger, il a commencé à y réfléchir dès son échec à ce concours. Pour cela, il imagine deux scènes de vengeance. Le narrateur qui raconte l’histoire place en premier la scène qui est censée exprimer la première réaction du protagoniste (c'est-à-dire Taha Ash-Shadhibi), celle-ci révèle la première source qui nourrit son imaginaire, cette source est assurément religieuse dans le texte : ex p83 : « il se voyait adresser aux membres du jury des propos pathétiques sur l’égalité des chances, le droit, la justice que nous avaient prescrit Dieu et Son Prophète (saws), une arme religieuse qui a une efficacité telle que les membres du jury fondent de remords, et reviennent sur leur décision en le laissant devenir officier » donc il voit l’idéal de la justice, l’idéal de la gouvernante à travers une source religieuse.

La deuxième scène imaginée où la violence est physique vient en deuxième position. Une fois que cette réaction immédiate, instinctive, et émotionnelle est dépassée, Taha Ash-Shadhibi décide de rédiger une plainte à l’adresse du Président de la République. Cette lettre là est emprunte de la rhétorique religieuse qui est la seule source d’argumentation pour sa plainte. Il y a un hadith qualifié d’authentique considéré par Taha Ash-Shadhibi comme fondateur d’un système idéal de gouvernance qui introduit cette lettre, cela est conclu sur un ton péremptoire et irrévocable, il dit (p 92) « ainsi dit le prophète de Dieu » [saws]. Et la fin de la lettre, se termine par une formule d’imploration (ad-du`â) en disant « Que Dieu vous accorde une longue vie pour le bien de l’Islam et des musulmans », le protagoniste remplace définitivement le religieux à la place du séculier, l’Islam se substitue à l’Etat et les musulmans se substituent aux citoyens.

Donc le personnage de Taha Ash-Shadhibi acquiert au fil du texte des signifiés qui s’orientent uniquement dans un seul sens : p 123 : il dit « combien Taha aurait aimé prier avec la même ferveur que Khaled [qu’il a rencontré à l’université], avec le même amour de l’islam ». L’espace de la faculté est abandonné pour un autre espace qui est la mosquée. Dans le 1er cours, il n’a pas trouvé sa place parmi les étudiants, il s’est mis tout à l’arrière pour qu’il ne soit pas vu, ceci représente un clivage social, mais on remarque chez Taha Ash-Shadhibi que ce clivage social prend ses dimensions à travers la religion. Quand on voit son parcours à la faculté d’économie et des sciences politiques, l’itinéraire de Taha Ash-Shadhibi tracé par le narrateur prend une seule direction. La mosquée de la faculté (qui symbolise une culture séculière) sera abandonnée pour une autre mosquée où il y a des « islamistes » et avec la même dynamique et la même passion le personnage change d’objectif : il passe d’un objectif professionnel (être officier de police) à un objectif religieux. Certes, il avait d’abord un idéal islamique qui conditionnait sa vie, mais entre cet idéal islamique et l’idéal islamiste il n’y avait qu’un pas qu’il a franchi aisément. L’auteur décrit avec une ironie subtile les nouvelles valeurs auxquelles s’attache le nouveau personnage qu’est devenu Taha Ash-Shadhibi. Il le décrit comme un produit caricatural d’une culture unique, et d’une pensée unique : par exemple ses conceptions de l’humain, de l’amour qui sont largement décrites dans le roman, qui conduit Taha Ash-Shadhibi à admettre les nouvelles règles imposées par son milieu aux égards de la vie et de la mort. Il détestait les gens, aucune valeur humaine, toutes valeurs sont dévolues aux priants. Il emmena Buthayna dans cette mosquée pour écouter le sermon du Sheikh qui l’inspire, lui était séduit, alors qu’elle l’a trouvé

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ennuyeux ! Lui il l’a vu absolument éblouissant et elle l’a vu comme totalement ennuyeux. La fin du texte est parfaitement cohérente avec l’itinéraire tracé dans la narration, il souhaite à la fin devenir un shahid (martyr). L’évolution du personnage de Taha Ash-Shadhibi est révélatrice de la domination d’une culture qui est de plus en plus unique dans la société égyptienne, et, plus le champ de l’idéologie islamiste s’élargit plus le champ de la culture séculière se rétrécit ; ils ne peuvent pas se développer en même temps, il y en a toujours un qui se développe au dépend de l’autre, c’est notamment ce déséquilibre conduisant au dysfonctionnement de la société qui émane du roman et plus particulièrement du parcours du personnage de Taha Ash-Shadhibi. D’ailleurs le mariage entre Buthayna et Zaki Ad-Dasuqi est un signe d’un dysfonctionnement de la société qui a perdu tout critère.