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Collection dirigée par SAMANTHA BESSON et NICOLAS LEVRAT !2 !/,&1 "2/,-""+ Les principes en droit européen Principles in European Law Ouvrage édité par Samantha Besson et Pascal Pichonnaz Avec la collaboration de Marie-Louise Gächter-Alge Les principes en droit européen – Principles in European Law

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Collection dirigée par SAMANTHA BESSON et NICOLAS LEVRAT

La collection Fondements du droit européen dont le présent ouvrage est le deuxième volume est éditée par les Professeurs Samantha Besson (Université de Fribourg) et Nicolas Levrat (Université de Genève). Y sont publiés les ouvrages collectifs et

thèses de doctorat issus de l’Ecole doctorale Fondements du droit européen, soutenue dans le cadre du programme ProDoc du Fonds national suisse de la recherche scientifique depuis l’automne 2008 et qui regroupe les doctorants des Universités de Fribourg, Genève, Lausanne et Neuchâtel, mais aussi d’autres monographies portant sur les fondements philosophiques, politiques, économiques et historiques du droit européen.

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+ Les principes en droit européen

Principles in European Law

Ouvrage édité par Samantha Besson et Pascal Pichonnaz

Avec la collaboration de Marie-Louise Gächter-Alge

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LawA la fois source de droit européen et éléments de convergence des

systèmes juridiques nationaux en Europe, les principes généraux soulèvent de nombreuses questions en droit européen, questions qui appellent un débat théorique approfondi. Le présent ouvrage apporte des pistes de réflexion et esquisse quelques réponses dans les domaines du droit public et privé européen, mais aussi des rap-ports du droit européen avec le droit national et le droit internatio-nal. Fruit du quatrième colloque de l’Ecole doctorale « Fondements du droit européen », ce volume réunit des contributions en anglais et en français rédigées par des doctorants et post-doctorants des universités suisses romandes et alémaniques, ainsi que d’universités européennes partenaires. Il comprend aussi des contributions de spécialistes européens invités à participer au colloque.

Les principes en droit européen – Principles in European Law

Samantha Besson et Pascal Pichonnaz (éd.) Avec la collaboration de Marie-Louise Gächter-Alge

Les principes en droit européenPrinciples in European Law

Volume 2

Collection dirigée par Samantha Besson et Nicolas Levrat

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Collection dirigée par Samantha Besson et Nicolas Levrat

Les principes en droit européen

Principles in European Law

Ouvrage édité par Samantha Besson et Pascal Pichonnaz

Avec la collaboration de Marie-Louise Gächter-Alge

Création de la couverture: © Valérie Salvo

Information bibliographique de la Deutsche NationalbibliothekLa Deutsche Nationalbibliothek a répertorié cette publication dans la Deutsche Nationalbiblio-grafie; les données bibliographiques détaillées peuvent être consultées sur Internet à l’adresse http://dnb.d-nb.de.

Tous droits réservés. Toute traduction, reproduction, représentation ou adaptation intégrale ou partielle de cette publication, par quelque procédé que ce soit (graphique, électronique ou mécanique, y compris photocopie et microfilm), et toutes formes d’enregistrement sont stricte-ment interdites sans l’autorisation expresse et écrite de l’éditeur.

© Schulthess Médias Juridiques SA, Genève · Zurich · Bâle 2011

ISBN 978-3-7255-6350-0 Schulthess Médias Juridiques SA, Genève · Zurich · BâleDiffusion en France Editions Juridiques Associées / LGDJ, Paris

www.schulthess.comwww.lgdj.fr

V

Sommaire

Table des matières IX

Liste des contributeurs XVII

Avant-propos 1

Introduction 5

IRE PARTIE : NOTION ET FONCTIONS DES PRINCIPES EN DROIT EUROPÉEN ET INTERNATIONAL – THE NOTION AND FUNCTIONS OF PRINCIPLES IN EUROPEAN AND INTERNATIONAL LAW 17

Samantha Besson

General Principles in International Law - Whose Principles? 19

Joxerramon Bengoetxea

Principia and Teloi 65

Alain Zysset/Johan Rochel

Between Authority and Morality: Identifying Two Legitimatory Roles of Legal Principles 85

IIE PARTIE : LES PRINCIPES EN DROIT INTERNATIONAL PUBLIC –

PRINCIPLES IN PUBLIC INTERNATIONAL LAW 105

Pierre d’Argent

Les principes généraux à la Cour internationale de Justice 107

Sommaire

VI

Sévrine Knuchel

“General Principles”: the Surest Path for the Formation of Jus Cogens? 121

Marie-Louise Gächter-Alge

The Principle of Good Faith in Treaty Negotiations – Obligation to Choose Words in a Trustworthy Manner 139

IIIE PARTIE : LES PRINCIPES EN DROIT PUBLIC EUROPÉEN –

PRINCIPLES IN EUROPEAN PUBLIC LAW 161

Beata Jastrzebska

Le principe de respect de l’identité nationale des États membres – signification incertaine d’une disposition ambitieuse 163

Hanna Schröder

Principe de transparence, droit des marchés publics et bonne administration 185

Eleonor Kleber Gallego

Quelques réflexions sur la relation entre les principes d’égalité, de non- discrimination et de dignité 201

IVE PARTIE : LES PRINCIPES EN DROIT PRIVÉ EUROPÉEN –

PRINCIPLES IN EUROPEAN PRIVATE LAW 221

Jan M. Smits

On the Role of Principles in European Private Law 223

Sommaire

VII

Constanze Semmelmann

The General Principles of European Union Law in the Light of the Public-Private Distinction 233

Geneviève Michelet

L’incidence de la conception du contrat sur les contours des principes généraux contractuels 257

Pascal Pichonnaz

Les principes en droit européen des contrats : De règles communes à une compréhension partagée 281

VE PARTIE : LES PRINCIPES EN DROIT EUROPÉEN ET LE DROIT NATIONAL –

PRINCIPLES IN EUROPEAN LAW AND NATIONAL LAW 309

Fatimata Niang

La fonction fédérative du juge de l’Union de droit commun 311

Takis Tridimas

The CJEU and the Specificity of Preliminary Reference Rulings: Some Reflections 331

Lamprini Xenou

Les principes généraux du droit de l’Union européenne et le juge administratif français 355

PASCAL PICHONNAZ

281

PASCAL PICHONNAZ*

Les principes en droit européen des contrats : De règles communes à une compréhension partagée

Le droit des contrats européen, une notion en soi relativement récente, est un peu comme une fourmilière en pleine construction. Après une évolution sectorielle, voire ponctuelle, à travers des directives dans quelques domaines spécifiques, essentielle-ment liées à la protection des consommateurs en Europe, la matière a été marquée par l’apparition d’un ensemble de règles et de principes aussi divers que nombreux (I.). Ceux-ci n’ont pas réduit le travail relatif à une certaine refonte des directives, qui vient d’aboutir par l’adoption d’une nouvelle directive horizontale relative aux droits des consommateurs1. Afin de favoriser les contrats transfrontières et l’émergence d’un authentique marché unique en Europe, la Commission et le Parlement euro-péens semblent privilégier la voie de l’établissement de règles et de principes écrits qui devront s’appliquer dans l’ensemble de l’Europe.

Cette approche pose toutefois la question de savoir quel est le rôle effectif de ce mouvement vers des « principes écrits » en droit des contrats européens. La fonction des « principes » est à la fois de poser un état des lieux et d’essayer d’influencer l’évolution future du droit (II.) ; cela ne suffira toutefois pas à développer une com-préhension commune du droit des contrats en Europe (III.). Or, ce n’est qu’à travers une telle compréhension commune que nous pourrons véritablement garantir une certaine égalité de traitement et donc un marché unique plus homogène au sein de l’Union européenne. Notre présentation entend dès lors rappeler ces divers aspects et présenter les mesures à envisager. * Je tiens à remercier Me GENEVIÈVE MICHELET, assistante à la Faculté, de l’aide qu’elle m’a

apportée à la relecture du document et la mise au point des notes. Une partie des réflexions développées dans cet article est reprise d’une contribution publiée sous le titre « Codification of European Private Law: has Europe forgotten the old principle that rules cannot precede the law? » dans l’ouvrage publié sous les auspices de la Faculté de droit de Turin en l’honneur du prof. Aldo Frignani, à paraître en septembre 2011.

1 Directive du Parlement européen et du Conseil relative aux droits des consommateurs, COM(2008)0614 – C6-0349/2008 – 2008/0196(COD), adoptée par le Parlement européen le 23 juin 2011, cf. P7_TA-PROV(2011)0293, sur Internet consultable à la page : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P7-TA-2011-0293&language=FR&ring=A7-2011-0038 (tous les sites ont été vérifiés le 27 juillet 2011 pour la dernière fois) ; ) ; le Conseil doit toutefois encore se prononcer.

Les principes en droit européen des contrats

282

I. Des règles et des principes européens de droit des contrats en nombre

L’idée de développer des Principes en droit européen des contrats remonte probablement à une intervention du professeur danois Ole Lando qui, en 1976 déjà, s’élevait contre la fragmentation du droit privé et l’option envisagée par le législateur communautaire ;; il prônait alors la mise sur pied d’un projet plus ambitieux d’harmonisation et d’unification du droit commercial en Europe2.

Depuis lors, plusieurs vagues de « principes »3 ont déferlé sur l’Europe, en commençant par les Principes européens de droit des contrats (PECL), appelés aussi Principes Lando, publiés en trois étapes 1995, 2000 et 2003, pour leur version la plus exhaustive4. En outre, un groupe d’universitaires français, sous la direction de Bénédicte Fauvarque-Causson et Denis Mazeaud, a par la suite proposé des adaptations et des révisions de ces principes de droit des contrats, tout en y ajoutant des « principes directeurs »5.

En parallèle, l’Institut UNIDROIT à Rome, sous la direction de Joachim M. Bonell, a lui aussi développé des principes internationaux en matière de droit des contrats. Ainsi, les Principes UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international ont été adoptés en 1994, 2004 et dans la version la plus exhaustive, en 20106. Ils suivent une même approche que les Principes européens de droit des contrats, même si la teneur des principes varie partiellement.

2 Ole LANDO, « Unfair Contract Clauses and a European Uniform Commercial Code », in M.

CAPPELLETTI, dir., New Perspectives for a Common Law of Europe, Leyden/Stuttgart/Bruxelles/Florence, 1978, p. 267 ss, en part. 284 à 288 ; ég. pour ce rappel, Michael Joachim BONELL, « The CISG, European Contract Law and the Development of a World Contract Law », American Journal of Comparative Law, Vol. 56, 2008, p. 9.

3 Nous reviendrons ci-dessous sur la portée à donner à cette notion. 4 Ole LANDO, Eric CLIVE, André PRÜM, Reinhard ZIMMERMANN, dir., Principles of European

Contract Law, Vol. I-II (2000), Vol. III, La Haye/Londres/New York, 2003. 5 Bénédicte FAUVARQUE-COSSON, Denis MAZEAUD, Jean-Baptiste RACINE, Guillaume WICKER,

dir., Principes contractuels communs, coll. « Droit privé comparé et européen », Vol. 7, Société de législation comparée, Paris, 2008; également Bénédicte FAUVARQUE-COSSON, Denis MAZEAUD, Aline TENENBAUM, dir., Terminologie contractuelle commune, coll. « Droit privé comparé et européen », Vol. VI, Société de législation comparée, Paris, 2008; ASSOCIATION HENRI CAPITANT AND SOCIÉTÉ DE LÉGISLATION COMPARÉE, dir., Materials for a Common Frame of Reference : Terminology, Guiding Principles, Model Rules, Munich, 2008.

6 Cf. http://www.unidroit.org/french/principles/contracts/main.htm.

PASCAL PICHONNAZ

283

Plus récemment, le Research Group on EC Private Law (appelé aussi l’Acquis Group)7 a cherché à mettre en évidence des « principes communs » du droit des contrats en les dégageant de l’acquis communautaire. Ce groupe d’universitaires européens a ainsi publié deux volumes, l’un sur les obligations précontractuelles, la conclusion du contrat et les conditions générales abusives8, l’autre sur les règles générales relatives à la livraison des biens, le voyage à forfait et les services de paiement9. Ces principes ont influencé certaines règles-modèles du Draft Common Frame of Reference.

En parallèle, certains groupes ont résolument avancé sur la voie d’un véritable code de droit européen des contrats, à l’image de l’Académie des privatistes européens de Pavie sous la direction de Giuseppe Gandolfi, qui a proposé en 1991 un Code européen des Contrats (appelé « Projet Gandolfi »), fondé en partie sur le projet de Code des contrats de Harvey McGregor10 et le Code civil italien11. De même, le Study Group on a European Code12 a cherché à établir des règles en vue d’un Code civil européen. De nombreux ouvrages ont été publiés sous son égide, notamment sur l’intervention d’un tiers dans le contrat13, les contrats de service14, la représentation commerciale, les contrats de franchise et de distribution15, les sûretés personnelles16,

7 Le Research Group on EC Private Law (Acquis Group) a son propre site web :

http://www.acquis-group.org. 8 RESEARCH GROUP ON EC PRIVATE LAW (ACQUIS GROUP), dir., Contract I, Pre-contractual

Obligations, Conclusion of Contract, Unfair Terms, Munich, 2007. 9 RESEARCH GROUP ON THE EXISTING EC PRIVATE LAW (ACQUIS GROUP), dir., Contract II,

General Provisions, Delivery of Goods, Package Travel and Payment Services, Principles of the Existing EC Contract Law (Acquis Principles), Munich, 2009 (qui inclut une version revisée de “Contract I”).

10 Harvey MCGREGOR, Contract Code drawn up on behalf of the English Law Commission, Milan/Londres, 1993.

11 ACADÉMIE DES PRIVATISTES EUROPÉENS/Giuseppe GANDOLFI, dir., Code européen des contrats, Avant-projet, Livre premier, 2ème éd., Milan, 2004, p. LV et p. 89 ss ; ACADÉMIE DES PRIVATISTES EUROPÉENS/ Giuseppe GANDOLFI, dir., Code européen des contrats, Avant-projet, Livre deuxième, 1, Vente et contrats collatéraux, Milan, 2007.

12 Le Study Group on a European Code a son propre site web : http://www.sgecc.net. 13 Christian VON BAR, Benevolent Intervention in Another's Affairs, Principles of European Law,

Study Group on a European Civil Code, Munich, 2006. 14 Maurits BARENDRECHT, Chris JANSEN, Marco LOOS, Andrea PINNA, Rui CASCAO, Stéphanie

VAN GULIJK, Service Contracts, Principles of European Law, Study Group on a European Civil Code, Munich/Bruxelles/Oxford/Berne, 2006.

15 Martijn HESSELINK, Jacobien W. RUTGERS, Odavia BUENO DÍAZ, Manola SCOTTON, Muriel VELDMANN, Commercial Agency, Franchise and Distribution Contracts, Principles of European Law, Study Group on a European Civil Code, Munich/Bruxelles/Oxford/Berne, 2006.

16 Ulrich DROBNIG, Personal Security, Principles of European Law, Study Group on a European Civil Code, Munich, 2007.

Les principes en droit européen des contrats

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les contrats de bail17, de vente18, de même que sur l’enrichissement illégitime19 et l’acquisition et la perte de la propriété sur les meubles20. Plusieurs volumes vont encore paraître, notamment sur le trust21, le contrat de prêt22, de mandat23, de donation24, et sur les sûretés réelles mobilières25.

L’intérêt croissant de l’Union européenne pour une approche moins pointilliste du droit des contrats en Europe a conduit en outre la Commission à charger le Study Group on a European Code et l’Acquis Group de préparer un projet de cadre commun de référence (DCFR : Draft Common Frame of Reference). Celui-ci a été proposé à la Commission européenne en novembre 2007 dans une version provisoire26, puis dans une version définitive en février 200927. Les plus de 700 articles et près de 600 pages comportent des principes directeurs, des définitions et des règles-modèles28, portant tant sur une partie générale des obligations et des

17 Kare LILLEHOLT, Anders VICTORIN, Andreas FÖTSCHL, Berte-Elen R. KONOW, Andreas

MEIDELL, Amund BJORANGER TORUM, Lease of Goods, Principles of European Law, Study Group on a European Civil Code, Munich/Bruxelles/Oxford/Berne, 2007.

18 Ewoud HONDIUS, Viola HEUTGER, Christoph JELOSCHEK, Hanna SIVESAND, Aneta WIEWIOROWSKA, Sales, Principles of European Law, Study Group on a European Civil Code, Munich/Bruxelles/Oxford/Berne, 2008. 19 Stephen SWANN, Christian VON BAR, Unjustified Enrichment, Principles of European Law, Study Group on a European Civil Code, Munich/Bruxelles/Oxford/Berne, 2010.

20 Brigitta LURGER, Wolfgang FABER, Acquisition and Loss of Ownership of Goods, Principles of European Law, Study Group on a European Civil Code, Munich/Bruxelles/Oxford/Berne, 2011.

21 Stephen SWANN, Trusts, Principles of European Law, Study Group on a European Civil Code, Munich/Bruxelles (à paraître à fin 2011).

22 Denis PHILIPPE, Loan Contracts, Principles of European Law, Study Group on a European Civil Code, Munich/Bruxelles (à paraître en 2011).

23 Marco LOOS, Odavia BUENO DIAZ, Mandate Contracts, Principles of European Law, Study Group on a European Civil Code, Munich/Bruxelles (à paraître en 2012).

24 Martin SCHMIDT-KESSEL, Donation, Principles of European Law, Study Group on a European Civil Code, Munich/Bruxelles (à paraître en 2012).

25 ULRICH DROBNIG, Proprietary Security in Movable Assets, Principles of European Law, Study Group on a European Civil Code, Munich/Bruxelles (à paraître en 2012).

26 L’Interim Outline a été publié en février 2008 : STUDY GROUP ON A EUROPEAN CIVIL CODE/RESEARCH GROUP ON EC PRIVATE LAW (ACQUIS GROUP), Principles, Definitions and model Rules of European Private Law, Draft Common Frame of Reference, Munich, 2008 (DCFR Interim Outline).

27 STUDY GROUP on A EUROPEAN CIVIL CODE/RESEARCH GROUP ON EC PRIVATE LAW (ACQUIS GROUP), Principles, Definitions and model Rules of European Private Law, Draft Common Frame of Reference, Munich, 2009 (DCFR Outline).

28 DCFR Outline, op.cit., note 27, p. 18 n. 24.

PASCAL PICHONNAZ

285

contrats29, sur des contrats spécifiques30, que sur l’intervention bienveillante, la responsabilité extra-contractuelle, l’enrichissement illégitime, l’acquisition et la perte de la propriété de biens mobiliers, les sûretés réelles mobilières et le trust. En octobre 2009, six volumes de commentaires et de notes de plus de 6500 pages (« DCFR full edition ») ont été publiés31, complétant l’ensemble de l’œuvre d’un appareil critique, relatif aux règles nationales comparables ou divergentes et à quelques références à la doctrine ou à la jurisprudence. Ce travail gigantesque a provoqué des réactions contrastées32.

Le résultat est proche d’un code civil européen qui tairait son nom. L’entreprise est ainsi allée bien au-delà de ce qu’imaginait la Commission européenne en 2004. Celle-ci a dès lors chargé un groupe de dix-sept experts d’en apprécier la faisabilité33. 29 La partie générale (“general section”) traite de 283 articles sur 100 pages. 30 La section relative aux contrats spéciaux (“specific contracts section”) traite de 308 articles sur

114 pages. 31 STUDY GROUP ON A EUROPEAN CIVIL CODE /RESEARCH GROUP ON EC PRIVATE LAW (ACQUIS

GROUP), Principles, Definitions and Model Rules of European Private Law, Draft Common Frame of Reference (DCFR), Full Edition, Munich, 2009, 6 volumes comportant un total de 6563 pages !

32 Cf. notamment pour une critique assez virulente Horst EIDENMÜLLER, Florian FAUST, Hans Christoph GRIOLET, Nils JANSEN, Gerhard WAGNER, Reinhard ZIMMERMANN, « Der Gemeinsame Referenzrahmen für das Europäische Privatrecht, Wertungsfragen und Kodifikationsprobleme », JZ, 2008 p. 529 ss ;; pour des critiques plus favorables, parmi d’autres auteurs, Martijn HESSELINK, CFR & Social Justice, Munich, 2008 ; Martin SCHMIDT-KESSEL, dir., Der Gemeinsame Referenzrahmen: Entstehung, Inhalte, Anwendung, Munich, 2009, avec diverses contributions ; Reiner SCHULZE, Christian VON BAR, Hans SCHULTE-NÖLKE, dir., Der akademische Entwurf für einen Gemeinsamen Referenzrahmen, Kontroversen und Perspektiven, Tübingen, 2008, avec diverses contributions. Pour une analyse économique du DCFR, cf. Pierre LAROUCHE, Filomena CHIRICO, dir., Economic Analysis of the DCFR, The work of the Economic Impact Group within the CoPECL network of excellence, Munich, 2010 ; Gerhard WAGNER, dir., The Common Frame of Reference: A View from Law & Economics, Munich, 2009, avec diverses contributions ; Hugh BEALE, « European Contract Law: the Common Frame of Reference and beyond », in Ch. TWIGG-FLESNER, dir., European Union Private Law, Cambridge, 2010, p. 116 ss ; Hans SCHULTE-NÖLKE, « The way forward in European consumer contract law: optional instrument instead of further deconstruction of national private laws », in TWIGG-FLESNER, dir., European Union Private Law, Cambridge, 2010, p. 131 ss.

33 OJ L105, 27.4.2010, 109–111, cf. ég. : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ-/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2010:105:0109:01:EN:HTML: le but de cette Commission d’experts est ainsi d’ « aider la Commission à élaborer une proposition de cadre commun de référence dans le domaine du droit européen des contrats, y compris du droit des contrats à la consommation et du droit des contrats d’affaires, en prenant comme point de départ le projet de cadre commun de référence et en tenant compte des autres travaux de recherche menés dans ce domaine ainsi que de l’acquis de l’Union. Le groupe devrait, en particulier, aider la Commission à sélectionner les parties du projet de cadre commun de référence qui intéressent directement ou indirectement le droit des contrats, pour ensuite restructurer, réviser et compléter les contenus sélectionnés ».

Les principes en droit européen des contrats

286

Le 3 mai 2011, le groupe d’experts a publié son « rapport de faisabilité » pour un authentique Cadre commun de référence politique (CCR ou en anglais CFR)34 celui-ci contient lui aussi une approche revisitée des règles sur les obligations et les contrats. En revanche, l’idée d’un code civil plus large semble avoir été abandonnée. La commissaire européenne à la justice, Mme Viviane Reding, a soutenu les résultats du groupe d’experts indiquant qu’elle allait soumettre à brève échéance un projet “politique” de cadre commun de référence portant sur le droit des contrats au Parlement européen35. Le 8 juin 2011, le Parlement européen a lui aussi émis un avis favorable à l’idée d’un droit des contrats optionnel en Europe36, dans la droite ligne des résolutions prises depuis 198937.

Cette décision d’aller de l’avant va de pair avec la volonté exprimées par la Commission européenne le 1er juillet 2010 lors de la publication du livre vert « relatif aux actions envisageables en vue de la création d'un droit européen des

Pour une critique assez virulente de la composition du Groupe d’experts, cf. l’article de dix professeurs allemands paru dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung du 1er juillet 2010.

34 « A European contract law for consumers and businesses : Publication of the results of the feasibility study carried out by the Expert Group on European contract law for stakeholders’ and legal practitioners’ Feedback », IP/11/523 Bruxelles, 3 mai 2011, cf. le texte sous http://ec.europa.eu/justice/contract/files/feasibility-study_en.pdf et ég. le communiqué de presse sous http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/11/-523&format=HTML&aged=0&language=EN&guiLanguage=en. Pour la liste des dix-sept experts, cf. page 10 du document.

35 Cf. le discours de la vice-présidente de la Commission, Mme Viviane Reding à l’Université de Leyden le 3 juin 2011, intitulé : « The Next Steps Towards a European Contract Law for Businesses and Consumers », sous : http://ec.europa.eu/commission_2010-2014/-reding/pdf/speeches/speech_leuven_en.pdf.

36 Cf. IP/11/683 et le communiqué de presse, sous http://europa.eu/rapid/-pressReleasesAction.do?reference=IP/11/683&format=HTML&aged=0&language=EN&guiLanguage=en.

37 Cf. notamment les résolutions du Parlement européen : Résolution du 3 septembre 2008 sur le cadre commun de référence pour le droit européen des contrats, P6_TA(2008)0397 (Internet, p. : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=//EP//-TEXT+TA+P6-TA-2008-0397+0+DOC+XML+V0//FR et les références) ; Résolution du 12 décembre 2007 sur le droit européen des contrats, de même que du 7 septembre 2006 (JO C 305 F du 14.12.2006, p. 247) ; Résolution sur le droit européen des contrats du 2 septembre 2003 (JO C 76 E du 25.3.2004, p. 95), du 15 novembre 2001 (JO C 140 E du 13.6.2002, p. 538), du 6 mai 1994 (JO C 205 du 25.7.1994, p. 518) et du 26 mai 1989 (JO C 158 du 26.6.1989, p. 400).

PASCAL PICHONNAZ

287

contrats pour les consommateurs et les entreprises »38. Ce dernier a donné lieu à une large consultation qui s’est terminée à fin janvier 201139.

Cette brève évocation des développements de règles et de principes de droit des contrats omet bien entendu des développements comparables en droit de la responsabilité civile, et l’émergence d’analyses ciblées par exemple sur la terminologie, telles les propositions de 2008 de la Société de Législation Comparée et de l’Association Henri Capitant d’une terminologie commune en droit des contrats40 ou les nombreuses analyses comparatives du projet de Common Core de Trento et maintenant Turin, dirigé par les professeurs Ugo Mattei et Mauro Bussani41. Celui-ci prend le contre-pied de la préparation de principes pour procéder à un état des lieux des convergences et divergences (« a mapping ») du droit des contrats42, de la responsabilité civile et des droits réels à travers l’analyse de cas hypothétiques résolus à l’aune du droit national. Cette méthodologie a d’ailleurs été adoptée pour analyser le DCFR, apportant un regard intéressant et critique sur les règles-modèles proposées43.

Ce rapide survol montre que l’Union européenne a produit un nombre important de « Principes » ou de « règles-modèles » parfois convergents, souvent partiellement divergents, mais parfois aussi en coordination les uns avec les autres. Cet important travail académique a pour but d’amener l’Union européenne à arrêter un véritable régime commun de droit privé ou, à tout le moins, un régime de droit des contrats commun à l’Union européenne.

Actuellement, le Cadre commun de référence est envisagé comme un « 28e régime juridique » qui pourrait être choisi par les parties à titre de droit applicable pour leur contrat44. Quel pourrait alors le rôle de « Principes » et de « règles-modèles »

38 Livre vert de la Commission relatif aux actions envisageables en vue de la création d'un droit

européen des contrats pour les consommateurs et les entreprises, COM(2010) 348 final (http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:52010DC0348:FR:NOT).

39 La Commission européenne a reçu 320 réponses, cf. Feasibility study (note 34), p. 2. 40 Bénédicte FAUVARQUE-COSSON, Denis MAZEAUD, Jean-Baptiste RACINE, Guillaume WICKER,

dir., Principes contractuels communs, coll. « Droit privé comparé et européen », Vol. 7, Société de législation comparée, Paris, 2008 ; ainsi que Bénédicte FAUVARQUE-COSSON, Denis MAZEAUD, Aline TENENBAUM, dir., Terminologie contractuelle commune, coll. « Droit privé comparé et européen », Vol. VI, Société de législation comparée, Paris, 2008.

41 Cf. http://www.common-core.org/books.html. 42 Pour une présentation de la méthodologie, cf. not. U. MATTEI, M. BUSSANI, dir., Making

European Law: Essays on the « Common Core » Project, Trento, 2000. 43 Groupe d’évalutation du Common Core, cf. Luisa ANTONIOLLI, Francesca FIORENTINI, dir., A

Factual Assessment of the Draft Common Frame of Reference, Munich, 2010. 44 Cf. le communiqué de presse sous : http://europa.eu/rapid/pressReleases-

Action.do?reference=IP/10/872&format=HTML&aged=1&language=EN&guiLanguage=en.

Les principes en droit européen des contrats

288

librement choisis ? Ceux-ci apporteront-ils vraiment plus d’unité, plus d’harmonie juridique et de prévisibilité ? Ou s’agira-t-il tout simplement d’une nouvelle série de textes participant à la prise de conscience de la réapparition d’un droit commun pour l’Europe ? Pour répondre à ces interrogations, il faut donc examiner la fonction de tels principes.

II. La fonction des « principes » en Europe

Comme Samantha Besson l’a bien montré dans l’article qu’elle a publié dans le présent ouvrage45, la notion de « principes » a des contenus et des buts qui varient selon les domaines, le moment ou le résultat recherché. En droit privé européen, le niveau de généralisation des principes varie lui aussi. Ainsi, les Principes européens de droit des contrats (PECL) se présentent comme de véritables règles de droit, avec un niveau de généralisation plus ou moins important, alors que le DCFR qualifie de « règles-modèles » des règles dont le niveau de spécificité est un peu plus important que celui des PECL, alors qu’il désigne du terme de « principes » les idées-forces qui sous-tendent les règles-modèles, en particulier les principes de liberté (« freedom »), de sécurité ou prévisibilité (« security »), de justice (« justice ») et d’efficacité (« efficency »)46. Chacun de ces principes est à son tour concrétisé ou limité par des « sous-principes », dont les règles-modèles sont censées être l’expression.

En soi, l’idée d’expliciter les règles-modèles par les « principes » qui les sous-tendent nous paraît juste et bienvenue. Toutefois, la manière dont ces principes sont présentés et structurés pose plusieurs questions. En effet, comme le relèvent justement les auteurs des pages consacrées aux « underlying principles », ces principes peuvent se contredire et supposent le plus souvent leur pondération les uns par rapport aux autres (« It is characteristic of principles such as those discussed here that they conflict with each other »47). Cette pondération peut être le fruit d’une évolution ou d’une volonté de modifier le régime actuel, d’une politique juridique marquée par un interventionnisme important ou au contraire frappée par la volonté d’assurer une liberté maximale aux parties contractantes. Dans leur brève analyse des « underlying principles », les auteurs se limitent à se référer aux règles-modèles elles-mêmes pour appuyer leurs affirmations ; ils ne font aucune référence économique, historique, ou à la jurisprudence de la CJUE par exemple pour fonder 45 Cf. Samantha BESSON, « General Principles in International Law - Whose Principles? », ce

volume, p. 21 ss. 46 Voir DCFR, full edition, op.cit., note 31, p. 37 à 63 pour la présentation des principes rédigée par

Christian VON BAR, Hugh BEALE, Eric CLIVE et Hans SCHULTE-NÖLKE. 47 DCFR, full edition, op.cit., note 31, p. 37.

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leur conception. Cette présentation des principes qui sous-tendent les règles-modèles du DCFR donne ainsi l’impression que la pondération de ces principes est détachée des droits nationaux dont ils émanent, sans prise en compte d’aspects sociologiques, économiques, voire politiques. C’est dommage puisque ces règles-modèles, ou « principes » au sens des PECL, doivent en quelque sorte être la concrétisation de la pondération respective des principes. La question intéressante eût été dès lors de savoir sur quelle base les règles-modèles ont tranché les conflits entre ces principes dans chaque cas : Entre une solution plus juste et le respect de la liberté contractuelle, comment les règles sur le contrôle des conditions générales ont-elles été définies48 ? Est-ce par référence au seul droit européen existant, même s’il ne porte que sur les contrats entre fournisseurs et consommateurs ou est-ce sur la base d’autres considérations ? Quel est dans cette pondération le rôle de la jurisprudence nationale ou de la CJUE ? Le lecteur ne trouve pas de réponse dans les pages consacrées à l’analyse des underlying principles. Dans le commentaire des dispositions de la full edition, les solutions choisies sont commentées, mais on ne trouve pas d’analyse véritable de la pondération des solutions nationales ou des principes sous-jacents. C’est dommage, puisque c’eût été le rôle des principes que de donner des pistes d’interprétation future.

Il est vrai que notamment la partie générale du droit des contrats est largement inspirée des travaux de la Commission Lando, et partiellement des Principes UNIDROIT49. A tout le moins pour ces règles, il est juste que les auteurs de la présentation des principes se soient explicitement fondés sur l’analyse détaillée menée par Bénédicte Fauvarque-Cosson et Denis Mazeaud au titre de « Principes directeurs »50. Les principes dégagés par l’Acquis Group dans les directives de droit de la consommation ont évidemment aussi pesé de tout leur poids, du moins dans la rédaction des règles-modèles, apparemment moins dans l’analyse des principes.

Toutefois, ces règles-modèles ne sont pas la mise sur papier d’un droit commun européen des contrats qui préexisterait en Europe, encore moins de principes reconnus comme communs par les systèmes juridiques. A l’image des Principes

48 Les pages consacrées aux « Principles » en parlent en lien avec l’autonomie de la volonté,

DCFR, full edition, op.cit., note 31, p. 41 s. 49 Cf. la mise en parallèle des dispositions faites par Michael Joachim BONELL, Roberta PELEGGI,

« UNIDROIT Principles of International Commercial Contracts and Draft Common Frame of Reference: a Synoptical Table », Uniform Law Review/Revue de droit uniforme, Vol. 14, 2009, p. 437-554.

50 Bénédicte FAUVARQUE-COSSON, Denis MAZEAUD, Jean-Baptiste RACINE, Guillaume WICKER, dir., Principes contractuels communs, coll. « Droit privé comparé et européen », Vol. 7, Société de législation comparée, Paris, 2008, p. 23 à 198.

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UNIDROIT qui indiquent être des « principes généraux »51 sans l’être nécessairement52, ils s’affirment comme des principes communs, mais sont en fait le résultat de deux approches conjuguées : d’une part, ils sont dégagés de certains systèmes juridiques de l’Union européenne, voire d’autres régimes, et, d’autre part, ils entendent favoriser, soutenir ou infléchir l’évolution dans certaines directions.

La véritable fonction d’un « principe » ou d’une règle-modèle est ainsi un peu celle du dieu Janus. Le principe a deux têtes, l’une tournée vers le passé afin de dégager un certain nombre de lignes d’évolution, l’autre dirigée vers le futur afin d’avoir une influence sur l’évolution dans un sens ou un autre. Comme l’affirme le prof. Stephen Waddams, « past law has been used both as a source of principle and as evidence of it »53.

C’est cette même dualité que l’on retrouve dans l’affirmation d’un « principe » en droit privé européen. En effet, l’affirmation de « principes » en droit privé européen procède d’une double volonté :

1° Une volonté de “rationalisation” de ce qui existe. L’émergence d’un principe est le résultat d’une prise de conscience, suite à un processus de rationalisation, d’une pratique spécifique de la communauté juridique ou d’une interprétation particulière de la jurisprudence. Cette méthode a été suivie au Moyen-âge54, puis s’est développée dans les systèmes modernes. C’est d’ailleurs ce qui justifie pour certains de considérer le droit comme une science (sociale)55.

2° Une volonté d’augmenter la normativité de certaines solutions. Dans le même temps, l’affirmation de l’existence d’un « principe » est souvent liée à la volonté d’augmenter la force normative d’une solution consacrée, ou à consacrer dans le futur.

51 Préambule 1ère phrase des Principes UNIDROIT : « Les Principes qui suivent énoncent des

règles générales propres à régir les contrats du commerce international ». 52 Pour tous les autres, voir R. MICHAELS, « Commentaire du Préambule », in VOGENAUER,

KLEINHEISTERKAMP, dir., Commentary on the UNIDROIT Principles of International Commercial Contracts, Oxford/New York, 2009, p. 31 s.

53 Stephen WADDAMS, Principles and Policy in Contract Law: Competing or Complementary Perspectives?, Cambridge, 2011 (à paraître).

54 Voir notamment Paul J. DU PLESSIS, « The Creation of Legal Principle », Roman Legal Tradition, Vol. 4, 2008, p. 46 ss.

55 Voir notamment Geoffrey SAMUEL, « Is Law Really a Social Science? A View from Comparative Law », Cambridge Law Journal, Vol. 67, 2008, p. 288-321, qui répond positivement à la question, notamment en s’opposant à l’opinion de Jean-Marie BERTHELOT, dir., Epistémologie des sciences sociales, Paris, 2001.

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Ainsi, la CJUE a renforcé l’impact du contrôle des conditions générales en droit de l’Union européenne en affirmant dans l’affaire Asturcom qu’en vertu de « la nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection que la directive 93/13/CE assure aux consommateurs, il y a lieu de constater que l’article 6 de celle-ci doit être considéré comme une norme équivalente aux règles nationales qui occupent, au sein de l’ordre juridique interne, le rang de normes d’ordre public »56. Cette affirmation a ainsi permis de réduire le « principe de l’autorité de la chose jugée » qui relève de l’ordre juridique interne des Etats membres, afin d’assurer la mise en œuvre plus forte du « principe d’effectivité » du droit européen57. En discutant cette question du pouvoir du juge d’intervenir ex officio dans le contrat pour constater le caractère abusif d’une clause contractuelle non négociée, et cela même au stade de l’exécution forcée d’une sentence arbitrale, la CJUE n’a pas évoqué le « principe de la liberté contractuelle » qu’elle a toutefois également atténué de facto dans cette affaire.

Dans l’affaire Landkreis Bad Dürkheim du 14 octobre 2010, elle avait toutefois fondé sur ce même principe sa solution relative à la question de savoir si certaines superficies devaient être prises en compte pour l’attribution de droits au paiement dans le cadre du régime de paiement unique de la politique agricole58. Ainsi, l’affirmation d’un principe et sa mise en œuvre dans le cas concret sont le résultat d’une pondération qui dépend largement du cas particulier.

En accord avec Stephen Waddams, on peut dire qu’il y a une interaction complexe entre les précédents judiciaires et les principes. Les deux concepts sont interconnectés en ce sens qu’une proposition n’est que rarement désignée comme étant un « principe », sans qu’elle ne soit soutenue par un appel au passé ; de même, rarement une décision passée n’est reconnue comme « faisant jurisprudence », si elle n’est pas perçue comme étant soutenue par un principe plus large59.

Dès lors, si aucun principe n’a de valeur absolue et si le principe de la liberté contractuelle continue à jouer un rôle important en matière de droit des contrats, cela signifie que les parties continueront à pouvoir déterminer les règles (contractuelles) auxquelles elles entendent se soumettre. Ces règles peuvent

56 CJUE, 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones SL c. Cristina Rodríguez Nogueira, C-

40/08, Rec. 2009, 9579, pt. 52; pour un commentaire, cf. PICHONNAZ, WERRO, HURNI, « Un reflet de la jurisprudence récente en droit privé européen », Annuaire suisse de droit européen, 2011, p. 1 ss, en part. p. 34 ss.

57 Aff. Asturcom, note 56, pt. 38. 58 CJUE, 14 octobre 2010, Landkreis Bad Dürkheim c. Aufsichts- und Dienstleistungsdirektion, C-

61/09, Rec. 2010, I-0000, pt. 55. 59 Voir St. WADDAMS, Principles and Policy in Contract Law : Competing or Complementary

Perspectives?, Cambridge, 2011 (à paraître).

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évidemment varier largement d’un contrat à l’autre. On peut dès lors se demander quelle est l’utilité ou le besoin de rédiger des principes européens de droit des contrats.

Le but affirmé par la Commission et Mme Viviane Reding en soutenant l’établissement d’un certain nombre de principes ou règles-modèles est double :

1° L’établissement et l’achèvement d’un marché intérieur efficace. Sur la base de l’art. 26 TFUE (ex-art. 14 para. 1 TCE)60 et de l’art. 114 TFUE (ex-art. 95 para. 1 TCE)61, ainsi qu’en vertu du principe de subsidiarité (ex-art. 5 para. 2 TCE62), l’Union européenne peut « arrête[r] les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur »63. Néanmoins, la CJUE a considéré que ces dispositions ne donnaient pas à l’Union européenne et en particulier à l’organe législatif « une compétence générale pour réglementer le marché intérieur »64. En effet, « la simple constatation de disparités entre les réglementations nationales ainsi que [le] risque abstrait d'entraves aux libertés

60 L’art. 26 du Traité sur l'Union européenne et du Traité sur le fonctionnement de l'Union

européenne [TFUE] (2008/C 115/01; OJ C 115, 9 mai 2008, p. 0001 – 0388, en vigueur depuis le 1er décembre 2009), ex-art. 14 para. 1 Traité CE prévoit que : « [l']Union adopte les mesures destinées à établir ou assurer le fonctionnement du marché intérieur, conformément aux dispositions pertinentes des traités. ».

61 L’art. 114 du Traité sur l'Union européenne et du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne [TFUE] (2008/C 115/01; OJ C 115, 9 mai 2008, p. 0001 – 0388, en vigueur depuis le 1er décembre 2009), ex-art. 95 para. 1 Traité CE prévoit ce qui suit : « Sauf si les traités en disposent autrement, les dispositions suivantes s'appliquent pour la réalisation des objectifs énoncés à l'article 26. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, arrêtent les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur. ».

62 Cf. ex-art. 5 para. 2 Traité CE, qui prévoyait que : « Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire. » (mis en évidence par nous).

63 Cf. art. 114 TFUE (ex-art. 95 para. 1 Traité CE). 64 CJUE, 5 octobre 2000, République fédérale d’Allemagne c. Parlement Européen et Conseil de

l’Union européenne (Publicité et parrainage en faveur des produits du tabac), C-376/98, Rec. 2000, n. 83, p. I-8419.

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fondamentales ou de distorsions de concurrence susceptibles d'en découler »65 n’est pas suffisant pour recourir à l’art. 114 TFUE (ex-art. 95 TCE); une directive doit être en mesure d’éliminer des distorsions de concurrence sensibles66, ce qui doit être démontré dans chaque cas67.

C’est la position qu’a également adoptée l’avocat général, Mme Verica Trstenjak, dans ses conclusions sur l’affaire Quelle (C-404/06). Elle a en effet indiqué qu’ « il ressort de la jurisprudence et de la doctrine que l’article 95 CE ne peut constituer la base juridique d’une réglementation communautaire que si cette réglementation a pour objectif de contribuer effectivement à l’institution et à l’amélioration des conditions de fonctionnement du marché intérieur et qu’elle contribue à l’élimination d’entraves à la libre circulation des marchandises ou des services ou encore à la suppression de distorsions de concurrence »68.

2° La promotion d’un haut degré de protection pour les consommateurs (TFUE 169, ex-TEC 153). On atteint le second but principalement en établissant des règles impératives. Ces règles impératives peuvent alors être uniformisées sur le plan européen, pour autant que la conception du niveau de protection recherché soit partagée par tous les Etats membres. Cela ne paraît pas encore être le cas, comme en témoignent les discussions liées au projet de Directive relative aux droits des

65 CJUE, 5 octobre 2000, République fédérale d’Allemagne c. Parlement Européen et Conseil de

l’Union européenne (Publicité et parrainage en faveur des produits du tabac), C-376/98, Rec. 2000, n. 84, p. I-8419.

66 CJUE, 5 octobre 2000, République fédérale d’Allemagne c. Parlement Européen et Conseil de l’Union européenne (Publicité et parrainage en faveur des produits du tabac), C-376/98, Rec. 2000, p. I-8419, n. 108.

67 Sur l’ex-article 95 Traité CE (nouvel art. 114 TFUE) comme base légale, cf. entre autres arrêts CJUE, 10 décembre 2002, British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco, C-491/01, Rec. 2002, p. I-11453, para. 59 et 60 ; CJUE, 14 décembre 2004, Swedish Match, C-210/03, Rec. 2004, p. I-11893, para. 29 ; CJUE, 12 décembre 2006, Allemagne c. Parlement et Conseil, C-380/03, Rec. 2006, p. I-11573, para. 37. – En doctrine, cf. ég. J. C. WICHARD, in Christian CALLIESS, Matthias RUFFERT, dir., EUV/EGV. Das Verfassungsrecht der Europäischen Union mit Europäischer Grundrechtecharta. Kommentar, 3ème éd., Munich, 2007, p. 1702 ; ainsi, les mesures qui harmonisent ces conditions simplement par un effet lié ne peuvent pas être promulguées sur la base de l’art. 95 Traité CE, cf. CJUE, 22 mai 1990, Parlement c. Conseil, C-70/88, Rec. 1990, p. I-4529, para. 17; CJUE, 5 octobre 2000, République fédérale d’Allemagne c. Parlement Européen et Conseil de l’Union européenne, C-376/98, (Publicité et parrainage en faveur des produits du tabac), Rec. 1998, p. I-8419, para. 33; et CJUE, 6 décembre 2005, Royaume-Uni c. Parlement et Conseil, C-66/04, Rec. 2005, p. I-10553, para. 59 et 64.

68 Conclusions de l’avocat général, Mme Verica Trstenjak, Quelle AG v Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraucherverbände, C-404/06, n. 54.

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consommateurs, dont la volonté d’harmonisation totale sur quatre domaines69 a été largement atténuée par le Parlement européen lors de l’adoption de la Directive le 23 juin 201170.

Dans les domaines qui ne concernent pas la protection du consommateur et qui n’exigent dès lors pas nécessairement des règles impératives en droit des contrats, l’établissement d’un code optionnel constitué de principes plus ou moins spécifiques peut servir à atteindre trois buts :

1° Exprimer certaines valeurs. Les principes doivent guider le juge, l’arbitre ou les parties dans l’interprétation des contrats et leur complètement éventuel. En percevant plus précisément les valeurs d’un système donné, les acteurs pourront adapter leur comportement aux conséquences potentielles.

Ainsi, le contrat est-il l’expression juridique du monde des affaires, où chacun doit pourvoir à sa propre protection (bargaining principle), ou est-il d’abord l’expression de la parole donnée, qui s’inscrit dans une relation de confiance et de bonne foi, et dont la violation porte atteinte à des aspects autant moraux que juridiques ?71 De même, faut-il considérer que les règles relatives à l’erreur ne doivent permettre la mise à néant d’un contrat que dans des situations extrêmes, lorsque la nature même du contrat a changé et uniquement si les parties n’ont rien prévu en terme d’allocation du risque contractuel72 ou faut-il plutôt admettre que le consentement d’une partie contractante ne doit pas être vicié par une erreur essentielle, quelle que soit la manière dont les risques ont été répartis entre les parties ?

69 Il s’agissait des quatre directives suivantes : Directive 85/577/CEE du Conseil du 20 décembre

1985 concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux ; Directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 1997 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats a distance ; Directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ; Directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation ; seules les deux dernières ont été totalement abrogées par la nouvelle directive relative aux droits des consommateurs (cf. note suivante).

70 Directive du Parlement européen et du Conseil relative aux droits des consommateurs (COM(2008)0614 – C6-0349/2008 – 2008/0196(COD))Adoptée par le Parlement européen le 23 juin 2011, cf. P7_TA-PROV(2011)0293, p. http://www.europarl.europa.eu/sides-/getDoc.do?type=TA&reference=P7-TA-2011-0293&language=FR&ring=A7-2011-0038.

71 Pour une analyse, cf. G. MICHELET, « L’incidence de la conception du contrat sur les contours des principes généraux contractuels », dans ce volume », p. 271 ff.

72 Cette approche est proche de celle qui découle de l’opinion de Lord Phillips, MR, dans l’arrêt de la Court of Appeal anglaise Great Peace Shipping Ltd c. Tsavliris (International) Ltd, 14.10.2002, [2003] QB 679 ; [2002] EWCA Civ. No. 1407 (CA, Civil division).

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Evidemment, les règles de droit ne créent pas de valeurs en tant que telles. Toutefois, elles peuvent en être l’expression, du moins partiellement. Dans un système homogène, ces conceptions et ces valeurs sont véhiculées par la jurisprudence et peuvent être déterminées relativement facilement, dès lors que tous les acteurs ont une compréhension comparable du régime juridique. En effet, les legal formants, les critères décisifs pour la prise de décision, sont identiques ou du moins très proches. La situation est autre dans une Union composée de vingt-sept systèmes juridiques nationaux, lesquels contiennent autant d’expressions nuancées de certaines valeurs. Partant, il faut une concrétisation de principes dans des règles dispositives afin d’augmenter la visibilité de conceptions spécifiques.

Dans ce sens, on ne peut que saluer l’effort consenti par les rédacteurs du DCFR de chercher à expliciter les principes sous-jacents aux règles présentées73. Il n’est toutefois pas certain que les auteurs des différentes règles-modèles aient commencé par réfléchir aux principes sous-jacents avant d’établir leurs règles.

2° Limiter l’autonomie de la volonté dans certains cas. La limitation de la liberté contractuelle ne peut se faire que par l’établissement de règles impératives, exprimées aussi clairement que possible. Parmi celles-ci, les règles relatives au contrôle des conditions générales ou des clauses non négociées jouent un rôle important. Toutefois, l’application de ces règles suppose un cadre de référence, un régime « ordinaire » qui permette au juge ou aux parties de percevoir la disproportion entre ce qui a été fixé contractuellement et ce régime de référence. Un code optionnel composé de principes ou de règles-modèles peut ainsi jouer ce rôle de référent pour décider notamment si des règles non négociées doivent ou non être considérées comme abusives. Elles ne peuvent toutefois jouer ce rôle que si elles sont véritablement l’expression de conceptions partagées.

73 Voir p. ex. DCFR, full edition, op.cit., note 31, p. 40 n. 6 : « 6. Interventions when consent

defective. Even classical contract law recognises that it may not be just to enforce a contract if one party to it was in a weaker position, typically because when giving consent the party was not free or was misinformed. For example, a contract concluded as the result of mistake or fraud, or which was the result of duress or unfair exploitation, can be set aside by the aggrieved party. These grounds for invalidity are often explained in terms of justice but equally it can be said that they are designed to ensure that contractual freedom was genuine freedom; and in the DCFR, as in the laws of the Member States, they are grounds for the invalidity of a contract. Moreover, at least where the contract has been made only as the result of deliberate conduct by one party that infringed the other party's freedom or misled the other party, the right to set it aside should be inalienable, i.e. mandatory. The remedies given by the DCFR in cases of fraud and duress cannot be excluded or restricted. In contrast, remedies provided in cases of mistake and similar cases which do not involve deliberate wrongdoing may be excluded or restricted ».

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3° Clarifier la taxonomie. Pour augmenter la prévisibilité des résultats, ou du moins la qualité de cette prévisibilité, il faut aussi pouvoir comprendre la taxonomie fondamentale d’un régime juridique74. Percevoir les catégories principales qui sous-tendent les décisions juridiques est essentiel pour pouvoir en partie anticiper les décisions futures. Toutefois, une telle taxonomie ne peut se comprendre dans une approche purement déductive ;; elle est bien plus le résultat de l’interaction des divers acteurs juridiques. Elle est souvent induite des comportements et des décisions, plutôt que déduite de règles préétablies.

Ainsi, pour dégager les valeurs communes et la taxonomie du système, il ne faut pas nécessairement multiplier les règles très précises, mais plutôt comprendre les interactions entre les acteurs juridiques et développer des méthodologies communes. A cet égard, l’appréhension des formants juridiques (legal formants75) est au moins aussi importante que l’établissement des règles communes. Or, pour pouvoir développer un droit commun, il faut favoriser le rapprochement des formants juridiques ;; ce n’est qu’ainsi que l’on pourra tendre vers une compréhension commune du droit des contrats en Europe.

III. Pour une compréhension commune du droit des contrats en Europe

Un célèbre passage du Digeste de Justinien de 533 ap. J.-C. rapporte un texte du juriste Paul du 3e siècle ap. J.-C., il indique ceci : « Le droit ne se résume pas à la règle, mais c’est du droit que la règle est dégagée » (Paul. D. 50.17.1 : « Non ex regula ius sumatur, sed ex iure quod est regula fiat »). Extrait d’un passage plus long76, l’auteur nous dit – déjà à cette époque – que le droit ne se résume pas à la 74 Sur la question d’une taxonomie rigoureuse, cf. p. ex. Geoffrey SAMUEL, « Can Gaius Really be

Compared to Darwin? », International & Comparative Law Quaterly, Vol. 49, 2000, p. 297 ss ; Geoffrey SAMUEL, « English Private Law: Old and New Thinking in the Taxonomy Debate », Oxford Journal of Legal Studies, Vol. 24, 2004, p. 335 ss.

75 Rodolfo SACCO, « Legal Formants : A Dynamic Approach to Comparative law », (Part I) Am. J. Comp. Law, Vol. 39, 1991, p. 1-34 ; (Part II) Am. J. Comp. Law, Vol. 39, 1991, p. 343-401 ; sur d’autres formants, voir ég. Ugo MATTEI, « Three Patterns of Law : Taxonomy and Change in the World's Legal System » Am. J. Comp. Law, Vol. 45, 1997, p. 5 ss, en part. 13 ss.

76 D. 50,17.1 : « Regula est, quae rem quae est breviter enarrat. Non ex regula ius sumatur, sed ex iure quod est regula fiat. Per regulam igitur brevis rerum narratio traditur, et, ut ait Sabinus, quasi causae coniectio est, quae simul cum in aliquo vitiata est, perdit officium suum. » (La règle est quelque affaire qui est brièvement racontée. Le droit ne se résume pas à la règle, mais c’est du droit que la règle est dégagée. Donc à travers la règle est transmise une brève narration de l’affaire et, comme le dit Sabin, c’est pour ainsi dire une interprétation des faits qui, aussitôt que

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règle, mais que c’est bien la règle qui a été forgée et qui doit l’être à partir du droit. Au-delà de l’expression d’une sorte de jusnaturalisme, cette mise en garde du juriste romain doit nous interpeller aujourd’hui, avec une acuité toute particulière en lien avec le droit privé européen et l’unification éventuelle du droit des contrats en Europe.

En effet, il souligne que les principes ne sont pas immuables, qu’ils évoluent. Leur évolution dépend de divers facteurs, factuels, économiques, sociologiques, mais aussi liés à la méthode de formation des juristes. C’est tout l’enjeu d’une compréhension commune du droit privé européen et singulièrement du droit des contrats qui se retrouve dans cette affirmation de Paul.

Or, l’évolution des mentalités juridiques, en particulier celles divergentes de droit civil et de common law, peut dépendre à notre avis de trois facteurs : (1.) La méthodologie comme langage commun et (2.) le rôle des académiques comme structurant la conception juridique. Enfin, nous évoquerons encore le rôle de la formation juridique (3.).

A. Le rôle d’une méthodologie comme langage commun

Traiter du droit des contrats, c’est avant tout traiter de textes. Que ce soit en se fondant sur des règles formelles, sur des cas déjà jugés ou sur l’analyse de textes des contrats, le juge (et avant lui les parties) doit passer par un processus d’interprétation et d’argumentation pour dégager des conclusions sur un cas particulier. Ce processus méthodologique est parfois très raffiné. Mon but n’est pas de le définir77, mais de

les faits sont modifiés de quelque manière, perd son rôle) ; pour des analyses de ce passage, cf. notamment Peter STEIN, Regulae iuris: from juristic rules to legal maxims, Edimbourg, 1966 passim ; Bruno SCHMIDLIN, Die römischen Rechtsregeln: Versuch einer Typologie, Cologne/Vienne, 1970, en particulier p. 29 ss ; André MAGDELAIN, De la Royauté et du droit de Romulus à Sabinus, Paris, 1995, p. 202 ss.

77 Cf. not. Geoffrey SAMUEL, Epistemology and Method in Law, Ashgate, 2003 ; Geoffrey SAMUEL, « Taking Methods Seriously » (Part One), Journal of Comparative Law, Vol. 2, 2007, p. 94 ss et « Taking Methods Seriously » (Part Two), Journal of Comparative Law, Vol. 2, 2007, p. 210 ss ; ainsi que Marc AMSTUTZ, Marcel Alexander NIGGLI, « Recht und Wittgenstein II, Über Parallelen zur Wittgensteinschen Philosophie in der rechtswissenschaftlichen Methodenlehre », in Pierre TERCIER, Marc AMSTUTZ, Alfred KOLLER, Jörg SCHMID, Hubert STÖCKLI, dir., Gauchs Welt, Festschrift für Peter Gauch zum 65. Geburtstag, Zurich, 2004, p. 161 ss ; Marc AMSTUTZ, Marcel Alexander NIGGLI, « Recht und Wittgenstein III. Vom Gesetzeswortlaut und seiner Rolle in der rechtswissenschaftlichen Methodenlehre », in Peter FORSTMOSER, Heinrich HONSELL, Wolfgang WIEGAND, dir., Richterliche Rechtsfortbildung in Theorie und Praxis, Methodenlehre und Privatrecht, Zivilprozess- und Wettbewerbsrecht, Festschrift für Hans Peter Walter, Berne, 2005, p. 9 ss.

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souligner qu’il existe aujourd’hui d’importantes divergences méthodologiques entre les systèmes juridiques, que ce soit dans l’interprétation de la loi, dans celle des contrats ou encore dans le poids donné dans chaque système à la jurisprudence antérieure.

On peut bien sûr dégager un certain nombre de points communs dans l’approche méthodologique, et en faire des « principes ». Les outils d’interprétation sont souvent comparables, mais le poids respectif de ceux-ci varie d’un régime juridique à l’autre. Il suffit de se souvenir de l’interdiction du recours aux travaux préparatoires du droit anglais dans l’interprétation des statutes, jusqu’au fameux cas Pepper v Hart qui mit un terme en 1993 à cette interdiction78. Celle-ci était d’ailleurs déjà tombée pour les conventions internationales79. A l’opposé, on a l’approche du Tribunal fédéral suisse qui a développé un « pluralisme méthodologique pragmatique »80, ouvrant par là même le recours à toutes sortes de moyens pour interpréter une norme juridique. De même, la doctrine du “plain meaning rule” dans l’interprétation des contrats en Angleterre s’oppose à l’interprétation fondée sur la volonté interne (approche subjective) des parties81.

La science juridique ou une méthode spécifique ne produisent pas du droit en tant que tel, mais elles aident les acteurs à communiquer leurs idées, leurs arguments en tendant à un langage commun par la réduction des idées à des modèles simplifiés. Ce langage commun est transmis à travers les générations par les universitaires, les praticiens et les juges. C’est la raison pour laquelle les juges prennent au sérieux la méthode. Ils ne peuvent pas simplement se « reposer » sur les précédents, mais doivent communiquer leurs décisions dans une forme qui puisse être comprise et 78 Pepper v Hart AC 593 HL. Pour des détails, cf. parmi d’autres, Stefan VOGENAUER, « What is

the Proper Role of Legislative Intention in Judicial Interpretation? », Statute Law Review, Vol. 18, 1997, p. 235-243 ; Stefan VOGENAUER, in Mathias SCHMOECKEL, Joachim RÜCKERT, Reinhard ZIMMERMANN, dir., Historisch-kritischer Kommentar zum BGB, Vol. I, Tübingen, 2003, « §§ 133, 157 : Auslegung », n. 44 ss.

79 Cf. en particulier Fothergill v Monarch Airlines Ltd., [1981] AC 251 par Lord Wilberforce, ad 278.

80 Cf. récemment P. PICHONNAZ, « Le centenaire du code des obligations, Un code toujours plus hors du code », RDS, 2011, II, p. 117 ss, en part. p. 205 ss ; ATF 136 III 283 consid. 2.3.1 p. 284; ATF 136 III 23 consid. 6.6.2.1 p. 37; ATF 136 II 187 consid. 7.3 p. 194 ; ATF 121 III 219 consid. 1/d/aa ; ATF 123 III 24 consid. 2a et encore, pour un regard critique, cf. Pascal PICHONNAZ, Stefan VOGENAUER, « Le ‘pluralisme pragmatique’ du Tribunal fédéral : une méthode sans méthode ? » (Réflexions sur l'ATF 123 III 292), Aktuelle Juristische Praxis/Pratique juridique actuelle [AJP/PJA], 1999, p. 417 ss ; Marc AMSTUTZ, « Ouroboros - Nachbemerkungen zum pragmatischen Methodenpluralismus », in Peter GAUCH, Franz WERRO, Pascal PICHONNAZ, dir., Festschrift für Pierre Tercier, Zürich et al., 2008, p. 19 ss.

81 Pour un compte-rendu sur la controverse en common Law, cf. C. MITCHELL, Interpretation of contracts, Londres/New York, 2007.

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intégrée par les destinataires. Il y a donc toujours un souci d’intégration des arrêts, de cohérence ou de mise en perspective d’un arrêt par rapport à d’autres. Ce travail de mise en perspective, d’équilibre des arrêts les uns par rapport aux autres est fondamental, car lui seul permettra de réappliquer la règle casuistique qui s’en dégage. C’est un peu la méthode envisagée déjà par le juriste Paul82. De même, l’expression de « principes » favorise la communication et la reproduction de certains raisonnements, même si elle ne les fixe pas une fois pour toutes.

Il ne peut donc y avoir de droit européen des contrats communs tant qu’il n’y a pas un discours commun, une méthodologie qui permettent aux acteurs de percevoir la portée des divers arrêts dans leur contexte plus large83.

La Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises84 nous donne ainsi un bon exemple. Plusieurs centaines de décisions85 ont été rendues par des tribunaux de dizaines de pays86 aux systèmes différents. Pourtant, la Convention aspire à une interprétation autonome, conformément à son art. 787. Cela est possible pour la Convention, même sans tribunal suprême commun, mais uniquement en raison d’un travail de « scientifisation » de la matière à travers des manuels et des commentaires, en anglais88 ou dans d’autres langues89, qui donnent aux divers arrêts leur portée par rapport à l’ensemble. Ainsi, la décentralisation est peut-être le facteur-clé pour résoudre ce système complexe qu’est le droit des contrats en Europe.

82 Cf. supra note 76. 83 On peut trouver des similitudes avec des aspects méthodologiques de droit comparé, cf. Pierre

LEGRAND, Le droit comparé, 2ème éd, Paris, 2006, p. 50 ss (« entendre l’altérité »). 84 Convention des Nations Unies du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de

marchandises, RS 0.221.211.1. 85 Voir la base de données notamment sous la page Internet de la Pace University (USA) :

http://cisgw3.law.pace.edu/#treaty. 86 Il y a en effet actuellement 77 Etats qui ont ratifiés la CVIM, cf. pour la liste :

http://www.uncitral.org/uncitral/fr/uncitral_texts/sale_goods/1980CISG_status.html. 87 Voir maintenant l’ouvrage collectif de André JANSSEN, Olaf MEYER, dir., CISG Methodology,

Munich, 2009. 88 Peter SCHLECHTRIEM, Ingeborg SCHWENZER, Commentary on the UN Convention on the

International Sale of Goods (CISG), 3ème éd., Oxford et al., 2010 ; John O. HONNOLD, Uniform Law For international Sales, 3ème éd., La Haye, 1999.

89 Ulrich MAGNUS, « Wiener UN-Kaufrecht (CISG) », in Julius VON STAUDINGER, dir., Kommentar zum Bürgerlichen Gesetzbuch mit Einführungsgesetz und Nebengesetzen, 15ème éd., Berlin, 2005 ; Karl H. NEUMAYER, Catherine MING, Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises, Commentaire, Lausanne, 1993 ; Peter SCHLECHTRIEM, Ingeborg SCHWENZER, Komentar zum Einheitlichen UN-Kaufrecht, 5ème éd., Bâle, 2008 ; Christoph BRUNNER, UN-Kaufrecht – CISG, Kommentar zum Ubereinkommen der Vereinten Nationen über Verträge über den internationalen Warenkauf von 1980, Unter Berücksichtigung der Schnittstellen zum internen Schweizer Recht, Berne, 2004.

Les principes en droit européen des contrats

300

B. L’impact des académiques sur l’évolution du droit

Un aspect important du travail des académiques est de structurer de façon rationnelle l’ensemble des règles et de la jurisprudence pour en faciliter la compréhension contemporaine90. L’idée de réduire la complexité pratique pour en favoriser la digestion et la reproduction est au centre du travail académique en droit. Comprendre ce qui s’est passé et ce qui se passe. Pour cela, les éléments juridiques doivent souvent être nommés, baptisés, pour être fixés. C’est là l’une des sources des « principes ».

Cette caractéristique au cœur du droit civil se retrouve toutefois aussi en common law, du moins aujourd’hui. Le besoin de systématisation et de « scientifisation » y est aussi présent. Les « doctrines » et les « tests » nomment et rationnalisent la jurisprudence. Il en va ainsi du principe de « Hadley v Baxendale »91 sur la prévisibilité du dommage ou de la « mailbox rule »92 sur le moment déterminant pour la conclusion d’un contrat. Les manuels modernes systématisent, simplifient et ordonnent la jurisprudence et la réalité juridique à l’attention du praticien93.

Il y a des nuances évidemment entre le niveau d’abstraction scientifique dans les divers systèmes.

En droit civil, les auteurs sont confrontés depuis le Moyen Âge déjà à une analyse détaillée du Digeste (le droit romain tel qu’il a été figé par Justinien en 533 ap. J.-C.). Des gloses du 13e siècle94, en passant par les commentaires du 14e95 et les travaux

90 Wolfgang ERNST, « Gelehrtes Recht – Die Jurisprudenz aus der Sicht des Zivilrechtslehrers », in

Christoph ENGEL, Wolfgang SCHÖN, dir., Das Proprium der Rechtswissenschaft, Tübingen, 2007, p. 7.

91 Hadley v Baxendale, (1854) 9 Exch 341. 92 Adams v Lindsell (1818) 1 B&B Ald 681. 93 Le premier John J. POWELL, Essay upon the Law of Contracts and Agreements, Londres, 1790,

suivi par bien d’autres, cf. sur ce point David J. IBBETSON, A Historical Introduction to the Law of Obligations, Oxford, 1999, p. 220 s. et A. W. Brian SIMPSON, « The Rise and Fall of the Legal Treatise », Univ. Chic. L. R., Vol. 48, 1981, p. 632 ss, en part. p. 665; cf. ég. des auteurs fondamentaux tels que Chitty on Contracts ou TREITEL, PEEL, On the Law of Contracts, 12ème éd., Londres, 2007 et bien d’autres.

94 On songe également à la Glose d’Accurse, qui était utilisée de 1250 après J.-C. jusqu’au XVIIe siècle. Sa dernière version mise à jour date de 1627 seulement !

95 Les plus célèbres sont certainement celles d’Azo AZONIS (†1220), Summa Aurea, in quartum librum codicis, p. ex. dans son édition de Lyon 1557 (réédition Francfort-sur-le-Main 1968) et de Bartolus DE SAXOFERRATO (1313-1357), Commentaria, cum additionibus Thomae Diplovatatii aliorumque excellentissimorum doctorum, una cum amplissimo repertorio noviter elucubrato per dictum clarissimum doctorem dominum Thomam Diplovatiatium, p. ex. dans son édition de

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301

monographiques ultérieurs, le droit civil a fait l’objet d’un travail de structuration et d’analyse scientifique en profondeur. L’humaniste Hugues Doneau (1527-1591) est peut-être celui qui a joué le rôle structurant le plus important pour le droit moderne96. C’est toutefois l’approche des pandectistes allemands de l’école historique du 19e siècle, avec les figures de proue que sont Friedrich Carl von Savigny97, Bernhard Windscheid ou encore Heinrich Dernburg, que le niveau d’abstraction théorique a été le plus important98. Dans un tel système, le droit est un phénomène véritablement scientifique « Wissenschaftsrecht »99, appelé parfois aussi « Professorenrecht », afin de souligner la distance qu’il peut y avoir entre cette structure et la réalité juridique pratique.

Comme le droit allemand, d’autres systèmes juridiques de droit civil ont suivi une telle évolution, sans aboutir peut-être au même degré de « scientifisation » de la matière. On peut penser p. ex. aux travaux du prof. Meijers aux Pays-Bas. Il a en effet procédé à une analyse comparative très approfondie pour donner une base moderne au nouveau code civil néerlandais de 1992. De même, les quatre volumes d’analyse scrupuleuse des droits cantonaux d’Eugen Huber100 lui ont permis de rédiger son projet de code civil suisse, adopté à l’unanimité par le Parlement suisse en 1907.

Manifestement, le poids des académiques sur les juges est important. La prolifération des commentaires en Allemagne et leur prise en compte par les juges témoignent de cela. Il en va largement de même en Suisse ou en Autriche. Par leurs références aux commentaires et les développements qu’ils font en lien avec un cas spécifique, les juges structurent à nouveau le droit et leurs décisions à travers la grille de lecture des ouvrages académiques, qui prendront à leur tour position. Cet aller-retour constant permet au droit de s’adapter à l’évolution de la réalité et de rester suffisamment flexible101.

Venise 1526 (rééditée par G. Polara, Rome 1996-1998) qui ont toutes été reproduites pendant des centaines d’années.

96 Cf. pour un exemple, Robert FEENSTRA, « Hugues Doneau et les juristes néerlandais du XVIIe siècle : L’influence de son ‘système’ sur l’évolution du droit privé avant le Pandectisme », in Bruno SCHMIDLIN, Alfred DUFOUR, dir, Jacques Godefroy (1587–1652) et l’Humanisme juridique à Genève, 231–243 (également publié in R. FEENSTRA, Legal Scholarship and Doctrines of Private Law, 13th –18th Centuries, Aldershot, 1996).

97 Friedrich Carl VON SAVIGNY, System des heutigen römischen Rechts, 8 vol., Berlin, 1840 ss. 98 Cf. ég. ERNST, « Gelehrtes Recht », op.cit., note 90, p. 6. 99 Eugen BUCHER, Schweizerisches Obligationenrecht, 2ème éd, Zurich, 1988, p. 13, également cité

par ERNST, « Gelehrtes Recht », op.cit., note 90, p. 4 s. 100 Eugen HUBER, System und Geschichte des schweizerischen Privatrechtes, 4 vol., Bâle, 1886-

1894. 101 Sur la méthode, cf. notamment M. AMSTUTZ, « Ouroboros », op.cit., note 80.

Les principes en droit européen des contrats

302

Ainsi, toute présentation systématique ou structurelle a une importance normative102. En cela, elle participe à l’établissement de principes.

En Common Law, les juristes paraissent au premier abord plus intéressés à des faits spécifiques, à leur identification pour voir comment ces faits mènent à une décision. Ce poids de la « facticité »103 ne signifie toutefois pas qu’il n’y a pas de systématisation scientifique, puisqu’au contraire les faits identifiés doivent permettre de comprendre le poids d’un cas par rapport à un autre dans son contexte structurel. Il y a donc là aussi une reconstruction du système en permanence.

Cette approche utilise elle aussi une méthodologie et un discours commun. Toutefois, comme les faits sont en mains des juges et non des académiques ou, plus largement, de la doctrine, le poids de cette dernière est moindre dans un régime de common law qu’en droit civil. Toute présentation a d’abord une fonction de mise en perspective, plutôt qu’une fonction normative. Toutefois, on ne doit pas exagérer cette aspect factuel du droit anglais et du droit de common law en général104, dès lors que l’importance de la doctrine a augmenté ces dernières années, comme le montre notamment le rôle que des auteurs comme Gareth Jones et Lord Robert Goff, puis Peter Birks ont joué dans la reconnaissance par la House of Lords (aujourd’hui la Cour suprême anglaise) d’une véritable institution de l’enrichissement illégitime, indépendante des autres sources105. Cela a ouvert la voie aux célèbres décisions Lipkin Gorman v. Karpnale Ltd de 1991106 ou Woolwich Equitable Building Society v Inland Revenue Commissioners de 1992107, et d’autres arrêts ultérieurs108.

102 Sur ce point cf. ég. Gilles-Gaston GRANGER, La science et les sciences, 2ème éd., Paris, 1995, p.

70. 103 Cf. Pierre LEGRAND, Geoffrey SAMUEL, Introduction au common law, Paris, 2008, p. 64 ss. 104 Ibid. 105 Gareth JONES, Robert GOFF, The Law of Restitution, Londres, 1966, également Peter BIRKS, An

Introduction to the Law of Restitution, Oxford, 1985 ; Peter BIRKS, Unjust Enrichment, Oxford, Clarendon Series, 2003 (p. xiii : « Unjust enrichment does exist. It is knowable be reason and not by faith alone ») ; Graham VIRGO, « Principles of the Law of Restitution », Western Australia Law Review, Vol. 28, 1999, p. 13.

106 Lipkin Gorman v. Karpnale Ltd, [1991] A.C. 348. 107 Woolwich Equitable Building Society v. Inland Revenue Commissioners, [1992] 2 WLR 1996. 108 Westdeutsche Landesbank Girozentrale v. Islington LBC [1996] UKHL 12 (22 mai 1996);

Kleinwort Benson Limited v Lincoln City Council, [1999] 2 AC 349 (29 octobre 1998) ; sur la question de l’erreur de droit en cas de répétition de l’indu : Fashion Gossip Ltd v Esprit Telecoms UK Ltd & Ors [2000] EWCA Civ 233 (27 juillet 2000).

PASCAL PICHONNAZ

303

C. Le rôle du « droit dans les livres » pour former les juristes en Europe

Dans les régimes de droit civil, mais aussi de plus en plus dans celui de common law109, la formation juridique se fonde sur un discours en grande partie théorique, une présentation plus ou moins critique du régime juridique, des bases jusqu’à une compréhension affinée du fonctionnement de celui-ci. Cette présentation du droit dans les livres (« law in books ») est bien sûr fortement liée à la jurisprudence, qui est de plus en plus centrale aussi en droit civil. Les stages pratiques qui suivent cette formation universitaire doivent fournir une maîtrise du fonctionnement pratique du « système », précédemment appréhendé en théorie.

Pourtant, il n’y a pas d’opposition fondamentale entre ces deux perspectives. Elles s’enrichissent mutuellement110. Un stage pratique ne pourrait pas porter les mêmes fruits s’il n’était précédé d’une présentation théorique suffisante sur la structure et la dynamique du régime juridique spécifique, que ce soit en droit civil ou en droit du common law. Il y a donc un échange permanent entre le droit dans les livres et le droit en pratique111, l’un dessine l’autre et vice-versa. Cela n’est toutefois possible que parce qu’il y a un langage scientifique partagé par les divers acteurs. Ce discours partagé permet aussi d’avoir ainsi un droit flexible, capable de s’adapter.

Ce langage commun permet de déconstruire des décisions pour les réutiliser dans des affaires ultérieures. L’exemple le plus flagrant est probablement le « commentaire d’arrêts » à la française des arrêts de la Cour de cassation112. Un arrêt d’une page suscite des commentaires nombreux, qui suivent une structure et une méthode éprouvée et entraînée dès la première année d’université. La plupart des étudiants pratiquant le commentaire d’arrêts pour leurs cours n’en rédigeront jamais pour les revues françaises ;; pourtant, cet apprentissage d’une méthode d’analyse est essentiel à la compréhension future des commentaires rédigés à l’attention des avocats. Cela garantit en quelque sorte un lien permanent entre théorie et pratique.

109 Cf. Pierre LEGRAND, Geoffrey SAMUEL, Introduction au Common Law, p. 17 et réf. ; William

TWINING, David MIERS, How to Do Things with Rules, 4ème éd., Londres et al., 1999, p. 207 ss. 110 Pour une présentation de cette idée, cf. déjà mon article dans les Scritti in onore di Aldo

Frignani, op.cit., note *. 111 Wolfgang ERNST, « Gelehrtes Recht », op.cit., note 90, p. 6. 112 Cf. Roger MENDEGRIS, Georges VERMELLE, Le commentaire d’arrêt en droit privé, Méthodes et

exemples, 7ème éd., Paris, 2004, p. 1 : « Parmi les exercices proposés aux étudiants en droit comme moyen d’assurer leur formation, d’évaluer leurs aptitudes et de vérifier leurs connaissances, le commentaire d’une décision de justice occupe une place de choix. […] Pratiqué le plus souvent au sein de travaux dirigés, le commentaire d’arrêt tend à éveiller puis à développer le sens du raisonnement juridique. ».

Les principes en droit européen des contrats

304

En droit privé européen, il en va de même. Les stratégies d’apprentissage diffèrent non seulement entre droit civil et common law, mais également au sein des pays de tradition civiliste. Ainsi, pour promouvoir un droit commun européen, il importe de développer une compréhension commune. Cela passe par un double constat :

1° L’absence de fossé infranchissable. Contrairement à ce qu’affirment encore certains auteurs113, il faut admettre qu’il n’y a pas de fossé infranchissable entre les mentalités juridiques de droit civil et de common law, qui serait fondé sur des stratégies totalement différentes. Le common law est certes encore plus marqué par la facticité et l’analyse des cas particuliers que le droit civil, attaché à une logique plus abstraite114, mais les conceptions et les stratégies tendent à se rapprocher.

Ainsi, lorsque des règles ou des principes écrits, issus d’une systématisation partagée des cas concrets importants, deviendront un élément du discours académique et de la formation juridique, une compréhension plus homogène va se développer (et se développe déjà aujourd’hui à travers les Principes Lando, et demain peut-être à travers le DCFR ou son successeur « politique »). La mise en balance de ces cas sur le plan européen permettra ainsi d’augmenter la prévisibilité d’un résultat non pas dans un régime juridique national, mais de manière analogue dans un régime de droit privé européen.

La « scientifisation » du droit a un but : Elle doit permettre aux acteurs juridiques (praticiens, juges et académiques) de discuter ensemble sur des arguments pour leur donner un poids spécifique au système juridique dans lequel ils évoluent. Cela ne signifie pas qu’un régime juridique soit par définition cohérent, en dépit de ce que pensaient peut-être les auteurs du Moyen âge115 ; toutefois, cela implique au moins un rééquilibrage constant des cas et des arguments les uns par rapport aux autres. Cela doit permettre d’augmenter la prévisibilité des résultats, dès lors que les acteurs ont une appréciation plus précise des arguments qui ont du poids dans un régime donné et de ceux qui en ont moins.

113 Cf. toutefois, parmi d’autres Pierre LEGRAND, « Chapter 14 A diabolical idea », in Arthur

HARTKAMP et al., dir., Towards a European Civil Code, 3ème éd., Nijmegen, 2004, p. 245 ss, p. 249 : « The depth of the fundamental differentiation between the civil-law and common-law mentalités is possibly best captured if we approach them as two moralités ». Cf. ég. P. LEGRAND, G. SAMUEL, Introduction au Common Law, Paris, 2008, p. 4.

114 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, 1987, p. 102 ; Pierre LEGRAND, Geoffrey SAMUEL, Introduction au Common Law, p. 11 (« la discordance irréductible, ou l’incommensurabilité, entre les approches idéographique et nomothétique qui est en cause ») ; ég. Pierre BOURDIEU, « The Force of Law : Toward A Sociology of the Juridical Field », Hastings L.J., Vol. 38, 1987, p. 805, trad. Richard Terdiman.

115 Pascal PICHONNAZ, Les fondements romains du droit privé, Genève/Zurich et al., 2008, n. 271 ss.

PASCAL PICHONNAZ

305

Pour cela, les règles doivent être suffisamment générales et abstraites pour pouvoir être modelées par la jurisprudence ; des règles trop spécifiques pourraient en effet devenir inutilisables si elles ne reflètent plus l’équilibre issu du discours entre les divers acteurs juridiques. Le caractère transnational, et donc la diversité des mentalités, imposent ce degré suffisant de généralité. Il faut donc en quelque sorte demeurer au niveau des « principes », dans la conception des « principes Lando » ou des « Principes UNIDROIT ».

2° Le développement de méthodologies comparables. La méthodologie reflète la manière dont le droit est systématisé et comment il est réduit à des structures compréhensibles et reproductibles. Partant, en développant une méthodologie commune ou des méthodologies comparables, il sera possible de dépasser le fossé entre droit civil et common law. La création d’une méthodologie commune ne peut se faire toutefois qu’à travers une meilleure compréhension de divers systèmes juridiques; partant, elle ne pourra être totalement liée à un régime de common law ni à un régime de droit civil. Il faut une approche nouvelle, fondée sur de nouvelles méthodes d’enseignement et de réflexion.

En outre, il s’agit de garantir la possibilité de reproduire les analyses pour d’autres cas. Lorsqu’une analyse est reproductible, elle peut être transmise aux étudiants et devient une partie de leur compréhension implicite d’un système donné. Certes, des règles écrites peuvent augmenter cette reproductibilité des analyses et la compréhension implicite qu’elles impliquent. Elles ne sont toutefois que la compréhension à un moment donné, alors que le droit continue souvent d’évoluer. Les adaptations législatives ultérieures « rattrapent » ensuite ce fossé de compréhension, pour un temps du moins.

Rédiger un droit européen des contrats commun en Europe ne peut dès lors se fonder sur des règles communes uniquement, même détaillées. En effet, un droit partagé en commun suppose un discours similaire, ce qui veut dire une méthodologie commune, et à travers elle, une taxonomie propre. Un tel projet ne peut s’établir que sur la durée. Le fait d’avoir mis sur pied un régime d’information sur la jurisprudence nationale, avec un identifiant européen, va dans ce même sens116.

Il faut donc des règles suffisamment larges – des principes – pour qu’elles puissent être acceptées par un large nombre. Représentant les idées fondamentales et la structure d’un régime à définir, elles marquent le début de la construction. Evidemment, si elles sont conçues de façon large, alors elles ne seront pas

116 Cf. Conclusions du Conseil préconisant l’introduction d’un identifiant européen de la

jurisprudence et un ensemble minimal de métadonnées uniformes pour la jurisprudence, 29 avril 2011 (JO 2011/C 127/01).

Les principes en droit européen des contrats

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suffisamment précises pour être appliquées telles quelles. Comme tous principes, ces règles larges devront être concrétisées par une méthodologie et des instances communes. Ce sont finalement les cas et l’enseignement dégagé par ces cas qui développeront un régime commun.

Les Principes UNIDROIT (PICC), et dans une certaine mesure les Principes européens du droit des contrats (PECL), présentent des règles communes (« des principes ») qui peuvent fournir la base d’un travail d’assimilation par la pratique et l’enseignement, ce qui permettra la reproductibilité des résultats.

L’utilisation de certains casebooks, ouvrages fondés sur des cas concrets, peut permettre d’atteindre l’objectif, pour autant toutefois que l’enseignement les utilise dans une perspective transnationale, sans se focaliser d’abord sur les structures du droit national117. Cela ne suffira toutefois pas, puisque pour « balancer » les cas, les uns par rapport aux autres, il faut pouvoir tenir compte du contexte. Cela peut se faire en partie par des ouvrages de doctrine, tels les commentaires ou des analyses spécifiques. L’existence d’un commentaire académique des Principes UNIDROIT118 devrait assurer une meilleure diffusion de ceux-ci.

En revanche, une taxonomie imposée, de laquelle on déduirait le droit dans les faits, est une approche qui ne permettra pas d’atteindre le but recherché, à savoir un droit plus commun.

Conclusion : Moins de règles pour un droit plus uniforme

Notre conclusion pourrait se résumer ainsi : En faire moins, pour plus de résultat. Moins de règles très spécifiques pour plus d’uniformité. Une telle conclusion ne répondrait pas pleinement aux réalités que nous avons essayé de décrire et aux enseignements que nous pouvons dégager.

117 Nous pensons à la série des Ius Commune Casebook, publiée aux éditions Hart, Oxford

(www.casebook.eu) avec des volumes sur le Tort Law (édit. Walter VAN GERVEN, Pierre LAROUCHE and Jeremy LEVER, 2000), Contract Law (édit. Hugh BEALE, Hein KÖTZ, Arthur HARTKAMP and Dennis TALLON, 2002; 2ème éd., avec Hugh BEALE, Bénédicte FAUVARQUE-COSSON, Jacobien RUTGERS, Denis TALLON et Stefan VOGENAUER, 2010), Unjustified Enrichment (édit. Jack BEATSON, Eltjo SCHRAGE), Non-Discrimination (édit. Dagmar SCHIEK, Lisa WADDINGTON, Mark BELL, 2007), Consumer Law (édit. Hans-W. MICKLITZ, Jules STUYCK, Evelyne TERRYN, 2010), avec des volumes subséquents et une édition en préparation.

118 Cf. Stefan VOGENAUER, Jan KLEINHEISTERKAMP, dir., Commentary on the Unidroit Principles of International Commercial Contracts (PICC), Oxford/New York, 2009.

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1° Une certaine uniformisation est en route. L’Union européenne a adopté de nombreuses directives et règlements pour favoriser deux aspects du droit des contrats : une protection semblable des consommateurs en Europe et le développement d’un marché intérieur efficace. Le besoin de prévisibilité des acteurs juridiques est aussi en partie couvert par des règles communes de droit international privé comme le Règlement Bruxelles I119.

Cela n’est toutefois pas suffisant. Afin de dépasser le fossé des mentalités entre droit civil et droit de common law, il ne suffit pas de former des règles uniformes et de laisser une Cour unique trancher les litiges. Le rôle de la doctrine et des juges reste essentiel pour appréhender et surtout concrétiser l’ensemble des règles générales qui constituent les fondements du droit européen des contrats. Pour cela, il faut une formation spécifique qui permette de comprendre les mentalités diverses. Comprendre l’autre va augmenter les similitudes.

2° La méthodologie commune qui découlera de ce processus conduira finalement à un droit des contrats plus commun, voire à un droit européen des contrats. Le droit des contrats devra toutefois rester flexible afin de pouvoir garder l’équilibre entre ses racines historiques et les spécificités des divers systèmes juridiques. En effet, comme le relevait déjà le juriste Paul au 3e s. ap. J.-C., si le droit change les règles deviendront inutiles à moins d’être modifiées. La phrase de Paul manque probablement de nuance. En effet, les règles n’expriment pas tout le droit et, comme nous avons essayé de le montrer, la structure apportée par la doctrine permet à chaque fois de mettre les règles dans une autre lumière, qui leur redonne vie différemment.

3° Un cadre commun de référence, même soutenu par une décision politique ne répondra pas totalement à notre souci. En prévoyant un système rigide de règles, soumises à une taxonomie marquée par le droit allemand, les rédacteurs oublient peut-être qu’ils ne pourront imposer cette taxonomie sans un important travail de mise en perspective. Celle-ci passe nécessairement par un enseignement similaire en Europe ; cela suppose non seulement des ouvrages semblables, mais aussi une méthode d’analyse comparable. Est-ce possible ? Là est probablement l’essentiel de l’enjeu.

4° Reflet du passé et perspective sur l’avenir, les « principes » dans leur généralité plus ou moins importante permettent d’avancer tout en favorisant le dialogue entre les acteurs juridiques et la souplesse du régime. Développer une méthodologie commune, une compréhension commune de principes fondamentaux

119 Règlement (CE) n°44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence

judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Les principes en droit européen des contrats

308

suppose un travail scientifique de fond, un enseignement où les règles nationales sont comprises comme une variation d’un thème transnational et où les différences de mentalités sont respectées, mais intégrées.

Collection dirigée par SAMANTHA BESSON et NICOLAS LEVRAT

La collection Fondements du droit européen dont le présent ouvrage est le deuxième volume est éditée par les Professeurs Samantha Besson (Université de Fribourg) et Nicolas Levrat (Université de Genève). Y sont publiés les ouvrages collectifs et

thèses de doctorat issus de l’Ecole doctorale Fondements du droit européen, soutenue dans le cadre du programme ProDoc du Fonds national suisse de la recherche scientifique depuis l’automne 2008 et qui regroupe les doctorants des Universités de Fribourg, Genève, Lausanne et Neuchâtel, mais aussi d’autres monographies portant sur les fondements philosophiques, politiques, économiques et historiques du droit européen.

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Les principes en droit européen

Principles in European Law

Ouvrage édité par Samantha Besson et Pascal Pichonnaz

Avec la collaboration de Marie-Louise Gächter-Alge

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LawA la fois source de droit européen et éléments de convergence des

systèmes juridiques nationaux en Europe, les principes généraux soulèvent de nombreuses questions en droit européen, questions qui appellent un débat théorique approfondi. Le présent ouvrage apporte des pistes de réflexion et esquisse quelques réponses dans les domaines du droit public et privé européen, mais aussi des rap-ports du droit européen avec le droit national et le droit internatio-nal. Fruit du quatrième colloque de l’Ecole doctorale « Fondements du droit européen », ce volume réunit des contributions en anglais et en français rédigées par des doctorants et post-doctorants des universités suisses romandes et alémaniques, ainsi que d’universités européennes partenaires. Il comprend aussi des contributions de spécialistes européens invités à participer au colloque.

Les principes en droit européen – Principles in European Law