glissant discours

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  • 5/13/2018 Glissant discours

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    EdouardGlissant

    Le discoursantillais

    Gallimard

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    ___ __ ~_---I

    Ne ~ Bezaudin (Martinique), i1vit en Martini~ue et aUXEtats-Unis, oU ilenseigne a l'Universite de Ia Cite de NewYork. nest l'auteut d'une ceuvre en quatre volets ; roman,poesie, thefitre et throne poetique.Prix Renaudot 1958 pour La [Azarde.

    f 20SIGts3

    Les enonces qui suivent ont ete pro~ ou publiessur une periode d'a peu pres dix annees, durant laquelleI'intention de ce travail n'a cesse de multiplier. Ten indiqueen fin de volume les occasions (colloques universitaires,rencontres internationales, action culturelle en Martini-que, publications, etc.) qui s'inscriventdans un projet glo-bal toujours maintenu.

    Editions Gallimard; 1997.

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    Decrire, c'est transformer.Alors Chaka leur crla : Vous m'assassinezdans l'espoir de prendre rna place quand jsemi mort; vous vous trornpez, iln'en serpas ainsi, car Oum'loungou (l'hommeblanc). est en marche et c'est lui qui dominera suItlOUS, et vous deviendrez ses sujets.

    Thomas MofoloChaka, epopee bantoue.Entre l'Europe et l'Amerique, je ne vois qudes poussieres,

    Attribue a Charles de Gaulle,a I'occasion d'un voyage en Martinique,Mais Ic Iangage Ie plus energique est celui oIe signe a tout dit avant qu'onpade.

    Jean-Jacques Rousseau.Essai sur l'origine des langues,

    Acoma tonbe, toutt moun di se boi pouri,Proverbe martiniquais.

    An neg se an siec, Dicton martiniquais.Une tache colossale que rmventaire du reNous arnassons des faits, nous les commetons, mais a chaque ligne ecrite, a chaqproposition enoncee, nous ressentons uimpression d'inachevement.

    Frantz Fanon,Peau noire, Masques blancs:

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    INTRODUCTIONS

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    i! '

    L A partir d'une situation bloquee

    LaMartinique n'est pas une ile de la Polynsie, Tant de gens le croient qui, au temoignagde sa reputation, desireraient yfaire un sejod'agrement, J'y connais quelqu'un, voue deputoujours a la cause antillaise, qui affirmaitplaisantant que les Antillais (il voulait dire,langue francaise) sont parvenus a un stade!E!~~_ges2us-huIIl~!~,. Un tesponSa.bie'poli~que martiniquais imaginait par amere raillerqu'en ran 2100 les touristes seraient convi.par satellopublicite a visiter cette tIe et aconnaitre sur le vif ,Ge.-qllS1l!it!ID..~_~Qlolllsiecles p~.es , Ces rires acres deguisent'a6sartoi generalise: une impuissaIlce a sort, d e l'impasse actuelle.'Plutdt que de lious emporter conm C es,ITssertions. il vaut de savocomment leur formulation a ete rendue posble. Mettons-les en parallele avec l'episode su

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    vant. A un psychiatre francais qui s'inquietaitaupres de lui des ravages du desequilibre men-

    : tal en Martinique, un prefet non moins francaisi ,0 yrepondit avec complaisance: Ceci n'est pas- v . . . ;essentiel ..!-'iJPmrtant est que la misere mate-; i ; ; ~ ~eIle _~~ ~ ~ l i r ! t e n r - r e g r e s s e .On ne voit plusj 0SJ2"t a enfants 'raehitiques sur le bord des routes._ : )u t i , : ; Les problemes que vousposez 13 sont presque

    s; < Insaisissables.De teUes anecdotes, qui semblent toumer auteur du reel, delimitent pourtruifl'o'bjet de.mon travail. Ils'agissait de plstefa forceIespr6CesslIsinultiplies, les vecteurs enchevetresqui ont 3 la fin tisse pour un peuple, lequel dis-posait de tant de cadres et d'individus for-mes ,Ia toile de neant dans laquelle ils'englueaujourd'hui,

    Effort intellectuel, avec ses poussees derepetition (la repetition est un rythme), ses mo-ments contradictoires, ses imperfections neces-saires, ses exigences d'une formulation 3 Ia li-mite schematisee, tres souvent obscurcie parson objet rneme. Car la tentative d'approcherune realitetant de fois occultee ne s'ordonnepas tout de suite autour d'une serie de clartes.Nous reclamons le droit 3 l'opacite, Par quoinotre tension pour tout dru exister rejoint ledrame planetaire de la Relation: l'elan des peu-ples neantises qui opposent aujourd'hui 3 l'uni-versel de la transparence, impose par l'Occi-dent I,une multiplicite sourde du Divers. Un tel

    14 Introductions

    1.L'?ccident n'est pas A"ouest. Ce ~'est pas un. lieu, c'estun projet,

    Introductions 1travail est spectaculaire partout dans le mondou les tueries, les genocides impavides, les asauts d'epouvante tachent de liquider la p r ecieuse resistance des peuples. Ilest inapercuquand il s'agit de communautes vouees 3unplus ou moins confortable disparition en tanque telles.Le discours de semblables communautes (...-:'L----~--------.---~------~-.,,.

    trame ooscure OU leur silence se dit) doit etrewci-ie---qttaII'd---on--veutTompre)rdre-t(-Jond-1dfame -Dicla Relatlon m o n d f a I e < se1Oue~

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    16 Introductionsayons bruit. Nous devinons qu'au mondecombien de peuples en meme temps alertes parle rnerne emoi sont Iivres a cette communecondition.Void done O U tout discours concourt. N'im-porte si nous ne nous epuisons ici dans des rna-tieres premieres, si les multinationalesne nousfonctionnent tout cru, si la pollution nous estencore legere, si nos foules ne sont mitrailleesa tout va, et si nous n'imaginons meme pas Ieseffarantes techniques ca et Ia mises en ceuvrepour le profit et la mort - nous partageonspourtant le deboussolement du monde, L'irra-tionnel morbide et la necessite vivace nous ega.lisent au projet global. La merne bombe Hestpourtous ..Le discours des peuples mesure et rythme celancinement ; Ia Relation est d' abord cons-cience insue du relate. L'irrationnel peut etrevivace, et la necessite morbide. On nous de-montre par exemple l'interet des grands ens em-

    bles ; et je crois a l'avenir des petits pays. Dansde telles communautes, les schemes de la Rela-tion s'epurent en dereglements reperables, sestructurent en tentatives lisibles de liberation.L'analyse du discours souligne ce qui. de I'im-rnense broiement planetaire, peu a peu se dega- .ge parevidences obscures, pennet de tenir en- .core, L'exemple qu'on donne iei ne fournitaucune anne concrete dans la guerre economi-que, guerre totale, O U Ies peuples sont aujour-d'hui impliques. Mais chaque approche cri-tique du mode de contact entre peuples etcultures fait deviner qu'un jour les hommes

    IntroductionssOarreteront peut-etre, bouleverses de l'inointelligence de la Relation qui sera en eux -qu'alors Us salueront nos balbutiantes pclences.)

    2~'A partir de ce discourssur un discoursL'intention en ce travail fut d'accumu1eto~-:-ratcmnutafion est la tecq l i . ~ 'l~ 121lli",f!PmupneeAk,=g~,Y~t drealite 'q_ui elle-meme s'eparpille, Son ders'apparente au ressassement de quelquessessions qui enracinent, liees a des evide

    qui VOY , agent. Le trajet intellectuel en esta un itineraire geographique, par quoi la j(see du Discours explore son espace etresse,Les Antilles, l'autre Amerique. Tambousans relache les idees-forces ,qui menepeut-etre a deliter leur espace en nous. Leie deces idees ne fait pas la parole plus cau contraire Il l 'opacifie peut-etre. Nous abesoin de ces epaisseurs tetues ou les retrament pour nous un continu recel, parnous nous opposons.Resumed'une course, recit d'unvoyagel'univers americain, ce discours multipliela marque deI'expose oral, s'accordant aiun de ses plus denoues tounnents. Quand

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    7)\ ) 0 2 - 18r . . . \J.\.~V",".~/lonfronte enfin r e c u t , les rniseres accumuleesiecretes soudain parlent ; l'individu sort du cer-( ' " } ; !e etroit, IIrejoint, par-dela toute derision ve-\ .: cue, un sens collectif, une poetique de l'univers,

    au chaque voix compte, O U chaque vecu ex-plique.(Ainsi Ie discours antiliais ne s'offre pas d'un

    coup. Mais le monde, dans son unite eclatee,ne requiert-il pas que chacun s'efforce versI'opacite reconnue de l'autre? Void un pan denotre opacite.)

    Introductions

    Courir au risque Terre, oser l'exploration deses elans interdits, ou meconnus. Etayant parla notre demeure propre. Les histoires des peu-ples sont Ie cornble de notre poetique.

    3. A partir de l'IntentionpoetiqueNous accordant a l'elan qui porte aujour-

    d'hui de l'Un au Divers, certes mediter le elit(l'edit) de ceux qui nouerent le cri du monde :les poetes, L'Occident nous les procura, peut-etre apres qu'il eut tente de tarir Ia parole desgriots et des conteurs. Mais Ie poeme, dans sonintention realisee au non, provoque s'il setrouve un detour par quoi les chemins dumonde ~ pourraient etre a nouveau barres. Ilfaut applaudir a l'Intention quand elle est exal-

    Introductionstee (depassee) par Ia lettre dupoeme : ilfaudebusquer quandelle autorise ce detour O Upoeme o~sque ~ ~ ? X : 4 ~ a t e ~ ~ JPourquoile vceu ~hqlle.g\J, Ip,(lude.?,,Qquol paD'iiitime.i Au 'cowb~t duJv1;eme et"Divers, h i pr6sence eil'acte des peuples virient aujourd'hui accuser Ie role irremediabde l'Autre.La Relation. complexe,ardue,pre~e, est le feu majeur des poetiques anir. Le cri du monde devient parole.Pour tel qui y songe, et va cet elan (ce psage), il n'est voie que dans sa terre, obscurelourde. L'universel abstrait nous defigure. Ecette terre, ce lieu, sont la menaces, aIOI'Smteler la parole volontaire. D'ou les obscuritles troubles du lang age. Mais le monde esclair? Et n'est-il pas, dans son ineditecontestee totalite, notre souffle?

    Aussi, devrai-je quitter l'edit, pour trouvrna parole? Y a-t-il manque et vide, de l'unl'autre? La litterat~:. lle ce leurre,nous fumes bien pris ~L~()~~!'!s.~!~tes_~_eture, avons-nous perdu"'h' VOlX.?. _~" . - ,- - - ._CT f t. , _, '~ ~_ _ ~~ ~ __ ._

    4. A partir de MalemortCe livre en grande ambition tachait de.s

    prendre quelques-espects-de-neere-usure collf i v e -etpeut-etre par la de contribuer a ralencette usure, a contester le renoncement,

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    2 0 IntroductionsJe voulais y dire les turbulences comme fi-gees du deracinernent antillais. Supputer cedeperissement imperceptible: l'en-aller d'unpeuple qui ne disparait certes pas mais a me-sure s'effrite dans le soleil, ombre aigrie etcontentee, .Chanter l'histoire : impenetrable lncomprise.Tenter aussi la facon d'un langage: derision

    soufferte et lieu difficile, - .(Car il n'est pas de peuple qu'on puisse desor-mais reputer hors du temps deshomrnes, etl'histoire dumonde 0 poetes se lit partout.)Mais l'ecriture s'emince, a marquer de loince qui la (ici) se defait sans repit, Il semble quede jour en jour le tour de I'effacement pournous Martiniquais s'accelere, Nous n'en finis-sons pas de disparaitre, vlctimesd'un frotte-ment de mondes. Tasses sur la ligne d' emer-gence des volcans. Exemple banal deliquidation par l'absurde, dans l'horrible sanshorreurs d'une colonisation reussie, Qu'y pentI'ecriture ? I3;~~e_e rattrape jamais, .~..- ....Hormis pourtant l'action necessaire (Ie bou-leversement sans reserve de cette banalite demort), ilreste a crier le pays dans son histoirevraie: hommes et sables, ravines, cyclones ettremblements, vegetations taries, betes arm-chees, enfants beants,

    Introductions 2

    5. A partir d'une presentationfaitc de loin. ily a quelquetemps

    ~!llYthe persis~t g~!E!~aqili~L~-que.s f"Ia ta:'usSe-~mblance des D~~ts(foutre-:Nler. ilsemblait que Ie destin des Antilles"ae~fangue~ francaise flit de se trouver toujou~ ~~~~~.fu~~~wCommes'il n etait jarnais donne a ces pays de rejoindreleur nature vraie, paralyses qu'ils etaientparleur eparpillement geographique et aussi paune des formes les plus pernicieuses de colonisation : cemq)aYqUofOn asszmzleune commu-I!~ ..-._-En la matiere, les occasions sont nombreusesqui furent perdues par les Antillais eux-rnemes

    La donnee brutale est que la Guadeloupe et lMartinique ont supporte une longue suite drepressions. consecutives de revoltes incessan-tes depuis le XVII" siecle ou a peu pres, et qu'n'en est resulte chaque fois qu'une demissionde plus en plus tracee de l'elan collectii, devolonte commune qui seuls permettent a upeuple de survivre en tant que peuple,Done, la conformation geographique. Il semblerait quecereparprll-eme11t-desiles dans .mer Caraibe, qui en effet constitua une barriere naturelle a la penetration entre elle(quoiqu'on ait pu etablir que les Arawaks etleCaralbes sillonnaient cette mer avant l'arrive

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    1 1'i;. !;

    Introductions2 Introductionstes Antilles francophones dans le champ stede l'economie tertiaire etait inevitable.n y a manque une assise nation ale quipennis la resistance concertee a.1~2~~.~?_nnlis

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    24 Introductionsmartiniquaise, tornbe avec ses compagnonsguadelouens au Fort Matouba en Guade-loupe, et dont l'exemple etait si cher au coeurde Dessalines, .le lieutenant de Toussaint.Hartl libre mais coupee du monde (l'assis-tance Intemationale n'existaitpas, nt les pays~alistes, ni les Etats du Tiers Mende, ni10NU). le mouvement d'echanges qui eut puc r e e r les Antilles tarit . La revolte des esclavesecrasee dans les petites iles, est reduite a unesuite de jacqueries sans soutien ni possibilitesd:implantation ni d'expansion; sans expressionrn prolongement. Apres la q: liberation de1848,la lutte pour la Iiberte fait place dans lesAntilles francaises a la revendication de la ci-toyennete. Les colons Iancent leurs creaturesdans la vie politique, La dasse rnoyenne, avided'honneurs et de respectabilite, se prete volon-tiers a ce jeu qui lui procure postes et titres.Jusqu'a la loi de departementalisation de 1946qui .co~stitue en la matiere une apotheose, IesAntillais sont ainsi conduits a se nier en tant.que collectivite, afin de conquerir une illusoireegalite individuelle, L'assimilation paracheve Iabalkanisation. ' '; ' _ V w L'observateur effare repere alors chez les eli-

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    "> ~J '" ' L'idee de_runge antillaise est une reconqueteculturelle.Elle n ( ; u s r e i i l s f a l l e - a a n s l a v e - a t e de~ ,~~~, ellemilite pour notre emancipation.~' ~" Cest une idee qui ne ~.!1...!~pas~ _ t r e prise encompte pour noUS, par d'autTii:: l'unite antil:. ".~r a i s e - l i e peut pas etre teleguidee,

    26 Introductionsde Valeur. n conceit que la synthese n'est pasl'operation d'abatardissement qu'on lui disait,mais pratique feconde parquoi les compos an-tes s'enrichissent, Il est devenu . antillais.

    ",_::-,,_, .. .. ' .. ,_ - , . - - '." .. " _ , .

    6. A partir des traces d'hieret d'aujourd'hui, meleesCe peuple, vous Ie savez maintenant, fut d e -

    porte d'Afrique dans ces iles pour le travail ser-vile de la terre. Libere ~en 1848. i1se retrouva.en Martinique pnsonmerd'urfcIouble carcan:l'i~poss!_b~.d:'J:~l_1ire par et ~ur l~-meme, IlmpUlssance qllt"en-deGowa--d'affii'ill.eF-.c",~~-propre. Les Martj!!i!l1J,aisb a r n , ,t,te,n,ta,illS,i,le"u",exl~eITceentre, ~guPUfe\i~~t~,j~versib,,~, _~,"vee,"l",at,e,rre,ongfITeUe'''''d'Afrique) et unt?,rtassurri_)c!()l!!Q!l~se, neces-saire et improb~abllt"(avee Ia terre revee deFrance).

    Sur les cotes de senegal, Goree, rile au-de-vant des eaux, premier pas de la deraison,La mer ensuite, jamais vue de ces fonds de

    Introductionscale, ponctuee de noyes qui semerent dansfonds les boulets de l'invisible,

    L'usine ou tu debarques, plus rapiqu'une harde, plus sterilequ'un razie, Elecde la rapine.Les UITleS, ou te prend le ventre a ranEconomie de frustration. Caverne ou enfmendicite,

    Vaval, geant de carnaval, promene cominstinct : tout en haut. Nous le brOlonscette mer.Behanzin, roi d'Afrique , miroir des esur qui nous nous reniames. n erre danssemblants.Les mangroves a crabes, les plantatioras, les usines mangees d'herbes : contracde terre, cactus, sables vend us.Le coutelas, plus noue qu'une lianetraille,

    7. A partir du eriVois les pays. Entends les pays, der

    l'ilet. Du point fixe d'ici, trame cettegraphie.Du cri fixe d'ici, deroule une parole adifficile. Accorde ta voix a la duree du moSors de la peau de ton cri. Entre' en peaumonde par tes pores. Soleil avlf Nous esons des salines oil tant de mots miroit

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    28 IntroductionsNous tombons aux falaises par les c1ameurs demer.Parole non garante. Un peuple ne souffre pasla gehenne de son transbord tout simplementpour que ta voix s'accorde. Le souffle du rnon-de ne se resume pas a l'accent des poetes, Lesahg et Ies as etouffes dans la terre ne crientpas par ta gorge.Parole menacee. Car nous nous sommes ha-bitues au detour, ou la chose dite se love. Nouseffilons Ie sens comme coutelas sur la rochevolcanique, Nous I'etirons jusqu'a ce menufiletd'eau qui lace nos songes, Quand vous IlOUSecoutez, vous croyez la mangouste qui sous lescannes cherche la traverse. ,Mais parole necessaire. Raide et cassee, Sor-tie du gouffre, avec les as. Et qui se cherchedans tant de semblants au nous nous sornmescomplu, Et qui s'accorde malgre tout a cetteenorme melopee du monde.(Quitter le cri, forger la parole. Ce n' est pas

    renoncer a 1'imaginaire ni aux puissances sou.terraines, c'est armer nne duree nouvelle. an-cree aux emergences des peuples.) .

    8. A partir dJ1comaLa volonte d'approfondissement n'est fruc-tueuse que quand elle se garde en Iucidite dese donner pour totalite suffisante, d'erigerpar

    Introductions 2consequent en ideologic ce qu'on pourrait aloappeler 1 ' t < attentisme culturel ,Un tel approfondissement est pourtant inluctable. Les convergences historiques, dontfaut debrouiller Ie nceud, expliquent - parderacinement initial, l'absence de referencecollectives, la meconnaissance de notre passsubi, la mise entre parentheses des couches ppulaires, l'isolement paralysant dans I'entoucaralbeet americain, Ie manque de confiancen nons-memes et le desequilibre qui en result..;....que notre situation dans le monde en tanque collectivite ait ete abatardie de nos irresolutions. de notre errance Mais que l'abatardissement decoule de ces convergences historquest negatives tant qu' elles ne sont pat( debrouillees . et non pas d'une nature dimnuee par osmose, c'est ce que nons tacheronsaussi de rnontrer en nous faisant les defenseurs, et peut-etre les illustrateurs, d'unconception precisement metissee des culturesLe champ de ce metissage ne recouvre pas uvague humanisme mais le defrichage ardu dpeuples qui solidairement naissent a leur libeteoLes Antilles participent d'un tel mouvementEt si l'approfondissement ne se realise qudans l'aigu d'une action, voila qui ne rend painutile notre entreprise, une fois gardee deslusions de prophetisme ou d'avant-garde.

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    "9.A partir du travail solidaireNous semmes quelques-uns qui considerons

    la creation. dans notre contexte, comme la re -sultante au fur et a mesure perfectible de plu-sieurs QY.anctes.# non comme le fruitsoudaind'un beau et secret detour. Nous pratiquonstous le detour

    10.Iipartir du paysageParce qu'il est rarnasse surIui-meme et s'eta-

    ge en dimensions lisibles. D'un seul tenant,l'ouverture de chaleur barree de pluie; plus afond. ces brisures qu'on percoit quand Ia terres'ouvre,

    Au nord du pays, l'enlacement de verts som-bres que Ies routes n'entament pas encore. Lesmarrons y toufferent leurs refuges. Ce que tuopposes a l'evidence de l'Histoire. La nuit enplein soleil et Ie tamis des ombres. La souche,"sa fleur violette. Le lads des fougeres. La bouedes premiers temps, l'impenetrable originelle.Sous les acomas disparus Ia rectitude des ma-hoganys que des anses bleues supportent ahauteur d'homme. Le Nord et le Mont se ma-rient. On y echoua ces populations de l'Inde quifurent trafiquees au XIX" siecle (comme pour

    Introductionsparfaire la totalite de la Relation) et que noappelons Coolies, en Guadeloupe MalabaAujourd'hui les plantations rases d'ananas ovrent des breches d'aridite dans ces aplombMais leur plat reche est domine de l'ombre dgrands bois. Les grevistes du Lorrain, coolet negres, tous martiniquais, y furent prispiege en 1976 : Us houerent du coutelas le pde [euilles damees de sang.Au Centre, l'ondule Iitteral des cannes.Lmont s'apprivoise en mornes. Les carcassd'usines s'y tapissent, portant temoignagel'ancien ordre des Plantations. A l'embouchudu soleil couchant, faisant limite entreHauts du Nord et ces plats du Mitan, les mindu Chateau Dubuc ou debarquerent les trai(c'est l'echo de Goree d'ou Us partirent) etdes geoles d'esclaves dessinent encore lesouterrains. Ce que nous appelons la Plaine,degorgeaitla Lezarde et d'ou Ies crabes ont dparu. On y a mastique Ie delta de sembland'entreprises, d'un aerodrome. A la main tObante, I'echelonnement des bananes, rided'ecume verte epaisse entre la terre et noSur les murs d'une maison du Lamentin les tces de balles posees la en etoiles depuis ce jode nous ne savons plus quelle annee ou trgrevistes de la canne furent abattus par la gdannerie.Le Sud enfin, ou les cabris s'egaillent, L'emdes sables, oublieux de tant qui chevauchereIes troncs de coco, essayant jadis de rejoindToussaint Louverture dans le pays d'Haiti.moururent au sel de mer. Leurs yeux chavir

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    32 Introductions Introductions 33dans notre solei1. Nous nous arretons, ne devi-nant pas ce qui nous alourdit la d'une gene in-l 'nombrable, Ces_l)lf!g~~_.~~nta l'encan, Les tou--~~}61eke . sn~~~ :~ t~~~ ;~ t~~~~ :1 :=!d'aujourd'hui,II y a ainsi des temps qui s'echelonnent sousnos apparences, des Hauts a la mer, du Nord.au Sud. dela foret aux sables. Le marronnageet Ie refus, l'anerage et l'endurance, l'Ailleurs etle reve,

    /,! (Notre paysage est son propre monument:*1 1a trace qu'il signifie estreperable par-dessous,J j C'est tout histoire.)

    11.A partir du manque oralet du creole

    nome d'acquisition de techniques appropriees,le delire de l'elite se fond dans une banalisa-lion elk aussi ~ etendue , par quoi toute lacommunaute vaincue consent passivement a sedemettre de sa nature, de ses fonctions possi-bles, de sa culture necessaire.Et siune telle operation s'exerce a l'encontred'une communaute dont la langue orale portela marque secrete. impossible et in'eperable. del'ecrit (c'est le cas, nous le verrons, de la languecreole en Martinique), la depossession risqued'etre mortelle. Scruter cette depossession.c'est contribuer a lutter centre Ia deperditioncollective.L'entreprise est d'autant necessaire qu'enMartinique (pays oil l'apparence a constam-ment pris le pas sur Ie reel) nous naviguons surle s musio, ns re,nouvelees ,du progre , s social eteconomique. n semblerait que le discours du'discours (le retour sur 50i) vienne trap tard etque nous ayons en tant que communaute per-du le sens de notre voix. .Aussi, qu'il parait derisoire de decrire en li-vres, d'approcher par ecrits. ce qui ainsi s'eva-pore tout alentour.

    , 'reveil oral et 1~clat du. . . ,. qui les fecondera, ' ? Le pays qui les, ' '. est-ilia auteur de nous 1 "

    Quand l'apprentissage de Ia lecture puis de

    ~

    ~ connaissance est accorde a une fractiondune cox;nmunaute a tradition orale (et ceci~ enSelg?e,ment elitaire), les desequilibresU en provtennent ne sont pas generalises. Unepartie de cette elite delire,. sur sa sciencetoute neuve ;le reste de la communaute preser-ve pour un temps, eta c6M, de ce delire sonequilibre, Si cet~e in.s~ction s'etend, sans pour au-tant qu elle 5 articule sur une pratique auto-

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    LIVRE I

    LESU, L'INCERTAIN

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    La depossession

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    REPERESLe leurre chronologique

    n est possible de reduire notre chronologie ~ un squelettde " faits ,., n'importe lequel. Par exemple :Decouverte ~ de Ia Martinique par Colomb.Occupation par les premiers colons francais.Debut de l'exterminationdes Caralbes.Debut de la Traite des Africains.Etabllssement du Code noir par Colbert.Louis XV cede Ie Canada aux Anglais, et gardla Guadeloupe,la Martinique et Saint-Domingue(Harti).

    1 7 8 9 - 1 7 9 7 Occupation de la Martinique par les Anglais.1 8 4 8 Abolit ion de l'esdavage .. 1902 Eruption de la Pelee, Destruction de SaintPierre.

    Departementalisation,Doctrine de l'assimilation " economlque It.

    15021 6 3 5

    16851 7 6 3

    1 9 4 61 9 7 5

    Une {ois ce tableau chronologique dresse, complete, toud debrouiller de Ihistoire martiniquaise. Tout rested

    :y~.;aeCO!1vrlr de Thistoire antillaise de la Martinique.

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    12.Leretour et le detour

    n y a difference entre le deplacement (parexil ou dispersion) d'un peuple qui se continueailleurs et le transbord (la traite) d'une popula-tion qui ailleurs se change en autre chose, enune nouvelle donnee du monde, C 'est en cechangement qu'i~faut essa~er de surpre~dre undes secrets Ies rmeux gardes de laRelation, Parlui nous comprenons que deshistoires entre-croisees sonta l'eeuvre, proposees a notreconnaissance et qui produisent de l'etant. Nous! renoncons a l'Etre. C e que Iapensee ethno-graphique iengendre de plus terrifiant, c'estla volonte d'inclurel'objet de son etude dansun clos de temps oil Ies enchevetrements duvecu .s'effacent, au profit d'un purdemeurer..P ar Itt s'affirment des series notionnelles gene-ralisantes qui offusquent le lads des relais

    La depossession 41reels'. L'histofre d'une population transbordeemais qui devient ailleurs un autre peuple per ..met de contredire Ia notion generale et lesneutralisations qu'elle impose. Le rapport (enmeme temps relation et relate, acte et dis-cours) prend le pas sur ce qui d'apparencepourrait en constituer Ie principe, Ie mo-. teur soi-disant universe],L'operation de la Traite (sur laquelle 1a pen-

    see occidentale, l'etudiant pourtant commephenomene historique, fera si constamment si-lence en tant que signe de relation) oblige lapopulation ainsi traitee a mettre en questiontouteambition d'un universe! generalis ant Etcela de plusieurs manieres,D'abord parce que d'avoir a se changer entine inedite proportion contraint cette popula-tion transbordes a critiquer (a desacraliser)sous les parages de la derision ou de rap-proxirnation ce qui. dans l'ancien ordre deschoses, etait Ie permanent, le rituel, la verite deson etre, Vne population qui change dans un

    ailleurs est tente~ d' abandonner la purecroyance collective. Ensuite parce que Ie modedu changement (Ia domination d'un Autre) fa-vorise quelquefois la pratique d'approximationQU la tendance a la derision, en introduisantdans Ies rapports nouveaux l'insidieuse pro-messe de se constituer en l'Autre, l'illusion.d'une mimesis reussie, Par quoi Ia seule pul-I , Bien entendu, la generalisation a perrnls de systematisen.renlSel11blees Ioisscientifiques, dont il n'est pas indifferent de

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    42 Le SUi l'incertain La d epossessionsion d'universel prevaudra de rnaniere vide.Enfin parce que la domination (favorisee parIa dispersion et Ietransbord) enfante le pire desavatars. qui est qu'elle fournit elle-merne desrnodeles de resistance a la mainmise qu' elle-merne met en ceuvre, court-circuitant ainsi laresistance tout en la favorisant. Par quoi destechniques evidees entretiendront I'illusiond'un universel depassant, Le peuple transbordelutte contre tout cela.Je crois que ce qui fait cette difference entreun peuple qui se continue ailleurs, qui main-tient l'Etre, et une population qui se change ail-leurs en uri autre peuple (sans pourtant qu'ellesuccombe aux reductions de l'Autre) et qui en-tre ainsi dans la variance toujours recommen-de de la Relation (du relais, du relatif), c'estque cette population-ci n'a pas emporte avece~le-lnicontinue coll~tiveme~1f les tech~~quesd existence ou de survie materielles et spirituel-les qu'elle avait pratiquees avant son transbord.

    , Ces techniques ne subsistent qu'en traces, ousous forme de pulsions ou, d'elans, C'est ce quidifferencie, outre la persecution d'une part et,l'esclavage de l'autre, la Diaspora juive de laTraite des Negres. Et, pour peu que la popula-tion ainsi transbordee ne se trouve pas, au lieude son arrivage et de son ancrage, dans desconditions qui favoriseraient l'invention oul'adoption - libre de nouvelles techniques ap-propriees, cette population entre pour untemps plus ou moins long dans Ie marasmesouvent imperceptible de l'irresponsabilite glo-bale. C'est probablementce qui. distinguerait

    en general (et non individu par individu)Martiniquais d'un autre transborde commeBresilien par exernple. Vne telle disposition ed'autant plus determinante que la violentechnique (I'ecart grandissant entre Ies niveaude manipulation et de controle du reel) devieun facteur primordial de la Relation mondialLes deux attitudes probablement Ie plus infondees en la circonstance seraient de considerea l'extreme Iesupport technique comme le sustrat de toute activite humaine et a l'oppose drabaisser toute systematique technique au rand'une ideologie alienee ou degradante, La dmunition techniquepousse le colonise aces etremites. Quoi qu'on pense de telles options,faut quant a nous prendre le mot techniqueau sens de la mediation concertee d'une colletivite a son entour. La Traite, qui a peuple epartie les Ameriques, a discrimine panni les a~vants; le_!tsig_t._!:e5se_mentechniqu~_~JY_

    .__g~~ti~~~_~ii~illes-:rn.ncQ~li9n.es" pl!que partollt-.alneurs-danS_l~ diaspora negref~!>,:!~~de la mirn.:~~iset la'iendancea 1 '~prg_){ ' 1_I ! l a ! !__1?~_{~~~~ t : .~~ i f e , -n-faie-au d~riigrement Oesvaleurs d'origiiie), ---- ,'~--,-,,-" IfIiY"a:-pas Ia seulement agonie et perditionmais l'occasion aussi d'affirmer un ensemblestimable de proprietes, Celie par exemple dfrequenter les valeurs non plus comme absolu de reference mais cornme modes agissantd'une Relation. (Le renoncement aux pures valeurs d'origine ouvre sur unsens inedit de lmise en rapports.) CelIe aussi de critiquer plunaturellement une conception de l'universe

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    44 Le su, l'incertaintransparent et de renvoyer cette illusion a l'ar-senal des elites mimetisees.

    n~ia premiere pulsion d'une population trans-, plantee, qui n'est pas sure de maintenir au Iieude son transbord l'ancien ordre de ses valeurs,est le Retour. Le Retour est robsession de l'Un :il ne faut pas changer l'etre, Revenir, c' estconsacrer la permanence, la non-relation. LeRetour sera prone ~par les sectateurs de l'Un,(Mais Ie retour des Palestiniens dans leur paysn'est pas un recours strategique, c'est uncombat Immediat. La contemporaneite de I 'ex-pulsion et du retour est totale. Celui-ci n'est paspulsion compensatoire mais urgence vitale.)Les Americains blancs auront cru au siecle der-nier exorciser Ie probleme nair par le finance-ment du retour des Negres en Afrique et par lacreation de I'Etat du Liberia. Etrange barbarie.Si meme on s'estime heureux ou satisfait, qu'une partie de la population noire des Etats-Unis ait par la echappe au sort terrible des es-claves au des nouveaux. affranchis, on ne peutmeconnaitre ce qu'une telle operation compor-te de frustration, dans la mise en scene de laRelation. La caracteristique premiere de celle-d, forme contemporaine du rapport entre peu-pies, est en effet la consciencememe obscureque ces peuples en ant. Les rapports antece-dents n' etaient pas ainsi accompagnes d'uneconscience de la conscience. Dans les condi-

    La depossession 45tions actuelles, une population qui mettrait enacte la pulsion de Retour, et cela sans qu'ellese rut constituee en peuple, serait vouee aux" amers ressouvenirs d'un possible (par exemple,l'emancipation des Noirs aux Etats-Unis m e -mes) a jamais perdu. La fuite des Juifs horsde la terre d'Egypte fut collective; ils avaientmaintenu leur judeite, ils ne s'etaient pas chan-ges en autre chose. Que penser du sort de cesgens qui reviennent en Afrique, aides et pous-ses par la philanthropie calculatrice de leursmaitres, et qui ne sont plus des Africains ? Larealisation de la pulsion a ce moment (ilestdeja trop tard pour elle) n'est pas satisfaisante,Il est possible que l'Etat qui en resultera(commode palliatif) ne devienne pas nation.Hasarderait-on a l'oppose .l'hypothese quel'existence d'un Etat-nation d'Israel a la fin tan-mit la judeite, en epuisant au fur et a rnesurela pulsion de Retour (1 'exigence de rUn) 1?1. L'analyse de n'lmporte quel discours global rend Inevita-b},el'expose systematique de Iieux cornmuns (ces evidences qui

    Sirnposent a tous), comme par exemple du tableau des situa-tions signifiantes dans les relations de peuples a peuples,Une population transbordee qui devient peuple (Haiti). qui~ fon~ en un a.utre peuple (Perou), qu} entre dans la composi-tion dun multi-ensemble (Bresil), qUI rnaintient son identitesal!s pouvoir se , realis.er ~ (Noirs americains), qui est peuplecoince dans L1nimpossible (Martinique), qui revientparcellai-rement a son lieu d'origine (Liberia), qui maintient son identiteen participant de rnaniere conflictuelle a I'emergence d'un peu-ple (Hindous des Antilles).':inpeuple disperse qui se cree nne pulsion de retour (Israel),qUIest expulse de sa terre (Palestine). dont l'expulsion est I< in-terieure (Noirs d'Afrique du Sud),Un peul?le qui rec~nquiert ;;a terre (Algerie), qui disparattpar genocide (Armeniens), qUI agonise (Melanesiens) qui estartificialise (Micronesiens). ' ,Les Infinies varietes des indcpcndances africaines (oiL les

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    46 Le su, l'incertainMais, nous l'avons vu, les populations trans-

    bordees par la Traite n'etaient pas en mesurede maintenir longtemps la pulsion de Retour.Cette pulsion cedera done, amesure que le sou-venir de la terre ancestrale s'estompera. Par-tout (dans les Ameriques) ou la mesure techni-que se sera maintenue ou renouvelee pour unepopulation transbordee, qu'elle soit opprirneefrontieres officielles separent des peuples reels), les soubre-sauts des minorites d'Europe (Bretons OIl Catalans, Corses ouUkrainiensj.La mort lente des aborigenes d 'Australie .De s peuples a tradition millenaire et a technique conque-rante (Ies Anglais), a volonte universalisante (les Francais), enproie au deni (I1rlande) , a Iemigration (Ia Sidle) , a la division(Chypre), a la richesse factice (pays arabes),De s peuples qui ont abandonne tres t6t leur expansion ~ Ottne l'ont soutenue que faiblement (pcuples nordiques, Italie),qui ont subi sur place les invasions (Polcgne, Europe centrale).Les emigres eux-mernes (Algeriens, Portugais, AntilIais deFrance ou d'Angleterre),De s peuples envahis et extermines (Indiens des Etats-Unis) ,neutralises (Indiens des Andes), traques et massacres (Indiensd'Amazonie). Traques et er rants (Tziganes et Gi tans ).De s populations ernigrees qui const ituent nation doininante(Etats-Unis), qui se preservent dans un ensemble (Quebec), quise maintiennent par force (Blancs d'Afrique du Sud).Des migrants systernatiques et parcellises (Syriens, Libanais,Chinois).Des migrants periodiques, nes du mouvement meme de laRelation (missionnaires, ~ P eace Corps ~, cooperants) et dontl'impact est reel.Des nations divisees par la langue OIl la religion (peuple ir-Iandais, nations belge et Iibanaise), c'est-a-dire par l'affronte-ment economique entre communautes,De s equilibres federatifs (Suisse) .Des desequilibres enderniques (peuples de la peninsule indo-chi noise).De vieil les civilisa tions qui se transforment par acculturationavec l'Occident (Chine, Japon, Inde). Qui se maintiennent parinsularite (Malgaches). .Des peuples composites mais hors relation ~ (Australiens)et d 'autant plus heterophobes,D e s peuples eparpilles, en proie a "radaptat ion ~ (Lapons,Polynesiens),

    La depossession 47ou dominante, la pulsion de Retour s'eteindrapeu a peu dans la prise en compte de la terrenouvelle. La ou cette prise en compte sera nonpas seulement difficile mais obscurcie (la popu-lation devenue peuple, mais Ie peuple dernuni)apparattra l'obsession de l'imitation. Cette obsession ne va pas de soi, Sans dire qu'elle n'espas naturelle (c'est une violence), on peut e t ablir qu'elle est impossible. Non pas seulementque I'imitation elle-meme est impraticablemais que son obsession bien reelle est insup-portable. La pulsion rnimetique est une violence insidieuse. Un peuple qui y est soumis mebeaucoup de temps a en concevoir de manierecollective et critique le poids, mais en supportetout de suite Ie traumatisme. En Martinique,ou la population transbordee s'est constitueeen peuple, sans que pourtant la prise en compte de la terre nouvelle ait pu etre effective, lcommunaute a tente d'exorciser Ie Retour impossible par ce que j'appelle une pratiqueduDetour.

    C es tableaux situationnels sont rendus inextricables par leenchev(l; trements des ideologies qui s'y superposent, par leconflits diglossiques, par les guerres de religion, par les affron-tements economiques, par les revolutions techniques. L 'ensern-ble.de la Relation change plus vite que l'idee qu'on peut s'enfa i re . Aucune theorie de la Relation ne conduit a generaliser,.Sonjeu est suractive par l'apparition de mlnorites qui sedecla-rent en tant que telles et dont la plus determinante est sandoute ceIle du mouvement ferniniste,

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    IIILe Detour n'est pas un refus systematique devoir. Non, ce n' est pas un mode de 1acecite vo-lontaire ni une pratique deliberee de fuite de-vant Ies realites, Nous dirions plutot qu'il re-suite. comme coutume, d'un enchevetrementde negativites assumees comme telles. n n'y a

    pas detour quand la nation a ete possible, c'est-a-dire chaque fois que la responsabilite globale,meme alienee au profit d'une partie de la col-lectivite, a mis en acte les resolutions, provisoi-res rnais autonomes, des conflits internes ou declasses. 11n'y a pas detour quand la comrnu-naute affronte un ennemi connu comme tel. Ledetour est le recours ultirne d'une populationdont la domination par un Autre est occultee :il faut aller chercher ailleurs le principe de do-mination, qui n'est pas evident dans le paysrneme : parce que le mode de domination (l'as-sirnilation) est Ie meilleur des camouflages,parce que la materialite de la domination (quin'est pas l'exploitation seulement, qui nest pasla misere seulement, qui n'est pas Ie sous-deve-loppement seulement, mais bien I'eradicationglobale de l'entite economique) n'est pas direc-tement visible. Le Detour est la parallaxe decette recherche.Sa ruse n'est donc pas toujours concertee,tout comme l'ailleurs qu'il frequente peut etre interieur . C'est une attitude d'echappe-ment Jt (Marcuse) collectivisee,La langue creole est la premiere geographie

    La depossession 49du Detour. et qui seulement en Haiti a echappea cette finalite originelle. J'avoue que les dispu-tes sur l'origine et la constitution de la langue(est-ce une langue. est-ce un avatar des parlersfran~ais, etc) m'ennuient; en quoi sans douteai-je tort. Je vois surtout dans la poetique ducreole un exercice permanent de detournementde la transcendance qui y est impliquee: celIe.de Ia source francaise, Michel Benamou sugge-rait l'hypothese (reprise en Martinique dans unarticle de M. Roland Suvelor) d'une derisionsystematisee : l'esclave confisque Ie langageque Ie maitre lui a impose, langage simplifie,approprie aux exigences du travail (un petit-ne-gre) et pousse a .l'extreme de la simplification.Tu veux me reduire au begaiernent, je vais sys-tematiser Ie begaiement, nous verrons si tu 1'yretrouveras. Le creole serait ainsi la langue qui.dans ses structures et sa poetique, aurait as-sume a fond Ie derisoire de sa genese. C'est Ieparvenu de tous les pidgins, I'empereur des

    co : patois , qui s'est Iui-meme couronne. Leslinguistes ont remarque que la syntaxe creoletraditionnelleimite volontiers Ie langage deI'enfant (emploi du redoublement, par exemplebel bel iche pour tres be l enfant). Poussee a cepoint. une pratique d'enfantillage n'est pas in-nocente. J'y retrouve, au niveau des structuresque la langue se donne (et sans doute est-it peucommun de parler ainsi d'une languecommed'une entite volontaire qui s'etablirait d'elle-meme), cequ'on dit que les Noirs americains.adoptaient comme attitude linguistique chaquefois qu'ils etaient en presence de Blancs : Ie ze-

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    50 Le su, l'incertainzaiement, la traine, l'idiotie. Le camouflage.C'est 13une mise en-scene du Detour. La languecreole s'est constituee autour d'une telle ruse.Aujourd'hui plus aucun Noir americain n'a be-soin d'avoir recours 3 une telle mise en scene:je suppose que rares seraient les Blancs qui s'ylaisseraient encore prendre; et de .meme la Ian,gue creole en Martinique a depasse Ie stade dela structuration par le Detour. Mais elle en estmarquee. Elle roule de calembour en calern,hour, d'assonance en assonance, dequiproquoen double sens, etc. C'est sans doute pourquoile trait d'esprit, en ce qu'il est patience et sur-prise menagee, est rare dans la langue, et tou-jours assez gros. La pointe finale du discourscreole ne declenche pas Ie sourire appreciateurmais le rire participant : elle se souligne elle-merne ; rejoignant par la une pratique constan-te des conteurs de presque tous les pays : jou-teurs poetiques, griots, etc. Le creole hartien aplus vite depasse Ie Detour, Pour la raison his-tori que simple qu'il est devenu tres t6t la lan-gue de responsabilite productive de la nationhartienne,

    Je trouve dans la Vie des mots, d'Arsene Dar-mesteter ', ouvrage de philosophie linguisti-que It consacre a I'evolution du sens des motsdans la langue francaise, et a certains egards pre-sausstrrien l'}, l'observation suivante c Onsaisit encore sur Ie fait 1'action de l'esprit popu-Iaire quand ildeforme Ie sens de mots recus et1. 1886; seconde edit ion a la Iibrairic Dclagrave, Paris,1918.

    La depossessionconsacres dans certains usages. On voit avsurprise des mots de formation savante, aydans la langue scientifique leur pleineettiere valeur, descendre dans l'usage populairedes emplois ridicules ou degradants ... Une inie grossiere semble prendre plaisir a degradces mots mal compris eta venger, sur la langdes lettres, l'ignorance populaire. La surpride l'auteur se rut certes toumee en horreurvant les pratiques du joual des Quebecois,on voit aussi a 1'reuvre la derision systematiquportee au cceur d'une langue (le francais) qu'revendique pourtant. Il n'est pas etonnant qIe joual ait symbolise un moment de la restance quebecoise 3 la domination du Canaanglophone, ni d'ailleurs que ce symboletendu a s'effacer en tant que tel au fur et 3 msure que le Quebec se concevait et existcomme nation a batir,Le Detour mene done quelque part, qua

    I'impossible qu'il contourne tend a . se resouden positivites l'} concretes '.

    Je crois que le syncretisme religieux est auun avatar ostensible du Detour. II y a quelqchose d'excessif dans la mise en scene desyncretisme, que ce soitdans les rites bre1. Dans ret ouvrage, positif ou positivite est pris au sensce qui fait qu'une situation se dynamise, sur un mode contou non, econornique ou non, sous la poussee d'une resotion collective, soit pulsionnelle soit concertee, D e s lars legatif (ou negativite) n'est pas un moment dialectique de cresolution mais le manque, l 'absence par quai une collectivdenature (c'est-a-dire dont les conditions d'existence sont dnees) ne devient pas collectivite de fait (c'est-a-dire dontmodes d'existence se renforcent OIl s'avouent),

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    52 Le St4 l ' incertainliens. dans le Vaudou, dans les pratiques descampagnes martiniquaises. La difference estqu'encore ce qui etait ruse s'est constitue la (auBresil. en Hartl] en croyance collective a conte-nu positif I '>~ et continue ici (en Martinique)comme trace negative 1'>, qui a done toujoursbesoin de s'actualiser en detour. Le discours dela croyance populaire appelle encore en Marti-nique l'oreille de l'Autre 1.L'une des manifestations les plus spectacu-Iaires de cette necessite du Detour pour unecornmunaute ainsi rnenacee, nous la trouvonsen toute logique dans le mouvement d'emigra-tion des populations antillaises vers la France(dont on a assez dit qu'il constituait, encouragepar les pouvoirs publics, une traite a rebours)et dans les retentissements psychiques qu'il de-clenche, C'est en France le plus souvent que lesAntillais emigres se decouvrent differents. pren-nentconscience de leurantillanite ; conscience

    d'autant plus dramatique et insupportable queI'individu ainsi envahi par le .sentiment de sonidentite ne pourra quand rneme pas reussir lareinsertion dans son milieu d'origine (il trouve-ra la situation intolerable. ses compatriotes ir-responsables ~on le trouvera assimile, devenublanc de manieres, etc.) et qu'il repartira. Extra-ordinaire vecu du Detour. Void bien une illus-tration de l'occultation, en Martinique meme,de I'alienation : il faut aller la chercher ailleurspour en prendre conscience. L'individu entrea , Voir a ce propos (~14. Sur une pre-enquete , ~. 660) Jesobservations faites sur le discours de M. E1/I 'ard Suffrin, fonda-teur au Lamentin du Dogme de Cham.

    La depossess ion Salors dans l'univers taraudant, non deconscience malheureuse mais, be l et bien, deconscience torturee,(IIy a certes une splendeur du retour, pouceux qui sont alles en Ouest (vers l'Est)quitichent de se reenraciner, Ce n'est pas l'arlvee desesperee de jadis, apres l'arrachementa la terre-mere africaine et Ie voyage de traiteC'est, pour cette fois, comme si on decouvrai

    enfin Ie vrai pays ou se reenraciner, On ditMartinique terre des revenants. Mais ce n' epas la un retour. c' est la fin d'un detour.) De npouvoir alDI'Ssupporter de vivre dans son payvoila ou perce Ie tounnent.Le Detour ne mene nulle part. quand sa rusoriginelle .ne rencontre pas les conditionsconcretes d'un depassement,. (Nous ne mesestimons pas le mal-etre unversel qui pousse des Europeens, insatisfaits dleur entour, vers ces pays chauds que desetent ceux qui, en proie au ch6mage mais soumis aussi a une intolerable pression d'inexisrenee, cherchent dans l'Autre-Ailleurs urecours provisoire.] .Enfin.Ies intellectuels antillais ont mis a profit cette necessite du Detour pour aller quelqupart, c'est-a-dire Her en la circonstance la solution possible de l'insoluble a des resolutionspratiquees par d'autres peuples. La premierela plus magnifique peut-etre deces formes dDetour est Ie reve africain de Marcus Garve(Jamaique), mis en scene dans un premier rlais qui l'incita aux Etats-Unis a prendre echarge la passion des Noirs americains, L'a

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    54 1 s u o l'incertairtsomption universelle de 1a souffrance negredans la theorie (00 1a poetique) antillaise de IaNegritude represente aussi un aspect sublimed~tour. La ne

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    S6 Le SU, Tincertainavenue de Fort-de-France porte son nom. C'esta peu p r e s tout. -II est difficile pour un Antillais d'etre Ie frere,rami, ou tout simplement Ie compagnon ou le compatriote ~de Fanon, Parce que de tous lesintellectuels antillais francophones i1est Ie seula etre veritablement p as se a l'a cte , a travers sonadhesion a la cause algerienne ; et cela memesi, apres les episodes tragiques et conc1uantsde ce qu'on est en droit d'appelersa passionalgerienne, Ie probleme martiniquais (dont enl'occurrence il n' tait pas responsable mais 'qu'il eut sans doute affronte s'il avait vecu)reste- entier dans son ambigurte. II est clairqu'ici passer a l'acte ne signifie pas seulementse battre, revendiquer, deployer la parolecontestante, mais assumer a fond la coupureradicale. ~~~,ili.cal~ ~_ ~ t la pointe ex -treme du Detour. --- ,- '--~'La parole #tique de Cesaire, l'acte politi-que de Fanon nous ont menes q ue lq ue p a rt, au-torisant par, detour que nous revenions au seullieu ou nos problemes nous guettent. Ce lieuest decrit dans le Cahi er aussi bien que dansPeau no ire , M asques b lane s : je veux dire par 1 3 0que ni Cesaire ni Fanon ne sont des abstrac-teurs. Le_BI:aG4_de;;tNgritude et de la theorie~volutfonnaire-desj)y11tn&-sonf po~neralisants, TIssuivent Ie c6n.IQG1ilstorique Oela dec61oiiiSafioi1"finissarite- dans le monde.ItS-- -------------------~----.-~i~lls~~L~L-L n~~_t Ie ays~~ d'un Ail-le.u~_partage~_ 1.ireve~, li~ii~';reDefourn est rose cprofitaoteq_Ue SI e e our Ie fe -conde: non pas retour au reve d'origine, . a I'Un

    La d epossess ion 5immobile de l'Etre, mais retour au point d'in-trication. dont on s'etait detoume par force;c'est 1 3 0qu'il faut a la fin m e t t r e e n ceuvre l e scomposantes de la Relation. ou perir 1.

    !.Pour nous Martln!quals, ce lieu est deja les Antilles ~rnanous ne Ie savons pas, Du molns, de maniere collective. Lpratique du Detour est la mesure de cette existence-sans-savoir. Voici delimite un des objectifs de notre discours : rejoindre a fond ce que nous sommes, de tel le sorte que le Detour nse maintienne plus comme technique indispensable d'existencmais se realise peut-etre en modcd'exprcssion.La tangence du Detour devient , au stade de l'expressionconquetesur le non-ditou sur l'edit (c 'est-a-dire sur Ies deumodes prlnclpaux de la repression), a partir du moment oilDetour, non plus impose dans le reel, se continue en finesse dprehension, d'analyse et de creation. L'insertion convergentdans la Caratbe ~aire ce processus et l'autorise. ..