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NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2010) 10, 274—278 CAS CLINIQUE Forme pseudoconfusionnelle d’un épisode maniaque chez un sujet âgé. À propos d’un cas et revue de la littérature Pseudodelirium form of the mania in elderly. One case report and review of the literature M. Wyart, H. Blain Service de médecine interne et soins aigus gériatrique, centre Antonin-Balmes, centre hospitalier universitaire de Montpellier, 39, avenue Charles-Flahault, 34295 Montpellier cedex 5, France Disponible sur Internet le 5 novembre 2010 MOTS CLÉS Confusion ; Manie ; Trouble bipolaire ; Sujet âgé Résumé La confusion aiguë est une situation clinique fréquente chez le sujet âgé. Elle est le plus souvent secondaire à l’action d’un ou plusieurs facteurs de décompensation aiguë, iatrogène, somatique ou de stress psychologique, sur un état de vulnérabilité cérébrale, liée au vieillissement et/ou à l’existence d’un processus neurodégénératif. Plus rarement, le syndrome confusionnel peut être l’expression d’une pathologie psychiatrique sous-jacente, en particu- lier d’un trouble de l’humeur. Nous rapportons le cas d’une patiente âgée aux antécédents de trouble dépressif récurrent qui a développé un état confusionnel en l’absence d’altération neu- rocognitive préexistante et de cause somatique évidente. Le diagnostic de manie à expression confusionnelle est suspecté et l’évolution est favorable après l’arrêt de l’antidépresseur en cours et l’introduction d’un traitement à visée antimaniaque. Cette observation est l’occasion de discuter de la forme pseudoconfusionnelle de la manie, cette entité étant probablement sous-diagnostiquée chez le sujet âgé. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Aging; Bipolar disorder; Summary Delirium is a common and serious condition encountered among older subjects. It is merely due to the effect of several coexisting stress factors (organic, psychosocial stressors or medication) on a predisposing state, characterized by a certain vulnerability linked to Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (H. Blain). 1627-4830/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.npg.2010.09.001

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PG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2010) 10, 274—278

AS CLINIQUE

orme pseudoconfusionnelle d’un épisode maniaquehez un sujet âgé. À propos d’un cas et revuee la littérature

seudodelirium form of the mania in elderly. One case report and review of theiterature

M. Wyart, H. Blain ∗

Service de médecine interne et soins aigus gériatrique, centre Antonin-Balmes, centrehospitalier universitaire de Montpellier, 39, avenue Charles-Flahault, 34295 Montpelliercedex 5, France

Disponible sur Internet le 5 novembre 2010

MOTS CLÉSConfusion ;Manie ;Trouble bipolaire ;Sujet âgé

Résumé La confusion aiguë est une situation clinique fréquente chez le sujet âgé. Elle estle plus souvent secondaire à l’action d’un ou plusieurs facteurs de décompensation aiguë,iatrogène, somatique ou de stress psychologique, sur un état de vulnérabilité cérébrale, liée auvieillissement et/ou à l’existence d’un processus neurodégénératif. Plus rarement, le syndromeconfusionnel peut être l’expression d’une pathologie psychiatrique sous-jacente, en particu-lier d’un trouble de l’humeur. Nous rapportons le cas d’une patiente âgée aux antécédents detrouble dépressif récurrent qui a développé un état confusionnel en l’absence d’altération neu-rocognitive préexistante et de cause somatique évidente. Le diagnostic de manie à expressionconfusionnelle est suspecté et l’évolution est favorable après l’arrêt de l’antidépresseur encours et l’introduction d’un traitement à visée antimaniaque. Cette observation est l’occasionde discuter de la forme pseudoconfusionnelle de la manie, cette entité étant probablementsous-diagnostiquée chez le sujet âgé.

© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSAging;Bipolar disorder;

Summary Delirium is a common and serious condition encountered among older subjects. Itis merely due to the effect of several coexisting stress factors (organic, psychosocial stressorsor medication) on a predisposing state, characterized by a certain vulnerability linked to

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (H. Blain).

627-4830/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.npg.2010.09.001

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Forme pseudoconfusionnelle d’un épisode maniaque chez un sujet âgé 275

Confusion;Delirium;Elderly;Mania

advanced age and/or to different neurodegenerative diseases. More seldom, confusion may bethe expression of a psychiatric disturbance, especially mood disorder. We report the story of awoman aged 83 suffering from unipolar disorder who developed acute delirium without any signof neurodegenerative nor somatic impairment. This led us to suspect an atypical mania. Afterwithdrawal of the antidepressant drug and introduction of an atypical antipsychotic drug, thepseudodelirium disappeared quickly. This case report illustrates the interest to suspect maniain patients with delirium and a history of depression or a bipolar disorder and to discuss thisentity that is probably underdiagnosed in older subjects.© 2010 Elsevier Masson SAS. All r

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Introduction

L’épisode confusionnel est l’expression clinique d’une per-turbation aiguë du fonctionnement cérébral qui se traduitpar une altération globale, fluctuante et réversible des fonc-tions cognitives [1]. On le désigne aussi sous les termesde confusion aiguë ou delirium. C’est une affection trèsfréquente en pratique gériatrique. Sa prévalence chez despatients admis en structure hospitalière est estimée entre15 et 30 % [2]. Avec l’avancée en âge, une origine plu-rifactorielle est très souvent de règle. Selon le modèlestress-diathèse, c’est l’impact d’un ou plusieurs facteursde stress aigus sur un terrain de vulnérabilité cérébrale quiprovoque l’apparition du syndrome confusionnel. Les fac-teurs de stress sont fréquemment nombreux et associés.Ils concernent toutes les affections organiques générales(infections, troubles métaboliques, cardiovasculaires ouneurologiques et la douleur). La consommation ou le sevrageen médicaments, en particulier les psychotropes [3], et lesperturbations psychosociales (comme les pertes affectives,matérielles et le changement d’environnement) peuventconstituer des facteurs de stress [1,4—6]. La vulnérabi-lité cérébrale peut être liée, d’une part, au vieillissementcérébral (qui réduit les réserves fonctionnelles et donc larésistance aux stress) et, d’autre part, à l’existence d’unepathologie cérébrale. Les affections cérébrales les plus fré-quemment rencontrées sont les processus démentiels, enparticulier la maladie d’Alzheimer, les démences d’originecérébrovasculaire, la maladie de Parkinson et la démence àcorps de Lewy [1,2,4,7].

Plus rarement, le syndrome confusionnel peut être lemode d’expression d’une pathologie psychiatrique sous-jacente. C’est le cas en particulier des troubles de l’humeuret de la dépression qui peuvent prendre le masque d’uneconfusion [8]. De facon plus rare encore, la confusion peutêtre l’expression d’un état maniaque [9]. Nous rapportonsl’observation clinique d’un épisode maniaque se présentantsur un mode confusionnel chez une patiente âgée aux anté-cédents de trouble dépressif récurrent (plusieurs épisodesdépressifs sans manie ou hypomanie). Nous discuterons lesdiagnostics différentiels de cette forme rare d’expressionde la manie. Nous ferons également une revue de la litté-rature des modes de révélation tardive du trouble affectifbipolaire. Enfin, nous traiterons des modalités évolutives dutrouble de l’humeur.

Observation

Une patiente âgée de 83 ans est adressée dans une unité demédecine interne et soins aigus gériatriques d’une clinique

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sychiatrique où elle était hospitalisée depuis quatreemaines pour récidive d’un épisode dépressif majeur, enaison de troubles du comportement considérés comme liésun état confusionnel.Titulaire du diplôme d’agrégation en sciences naturelles,

a patiente a exercé en tant que professeur jusqu’à l’âgee 60 ans. Divorcée, elle a une fille qui habite loin d’elle,vec qui elle entretient des relations conflictuelles depuis derès nombreuses années. Elle présente une bonne autonomieans les actes de la vie quotidienne mais également un étate dépendance affective qui requiert la présence constante’une tierce personne. L’isolement social et familial a ainsionduit à son accueil en établissement d’hébergement pourersonnes âgées dépendantes (EHPAD), il y a dix ans. Il existene histoire familiale de dépression (sa fille aurait déve-oppé plusieurs épisodes dépressifs). Ses antécédents per-onnels se résument à une cardiomyopathie ischémique avecnfarctus du myocarde traité médicalement et une colec-omie pour néoplasie colique il y a une dizaine d’annéest considérée comme guérie. Cette patiente présente unrouble dépressif majeur repéré il y a cinq ans, date àaquelle un suivi psychiatrique a été instauré. Il existe effec-ivement au moins cinq épisodes dépressifs majeurs dont leremier à l’âge de 40 ans au décours d’une situation de rup-ure (divorce). Ce suivi a permis de mettre à jour l’existence’un trouble de personnalité de type histrionique (traits’immaturité et de dépendance affective, labilité émotion-elle responsable de crises clastiques avec perturbation deselations interpersonnelles et isolement progressif). Aucunpisode maniaque ou hypomaniaque n’a été repéré.

L’histoire récente commence par une nouvelle hospita-isation dans une clinique psychiatrique pour une récidive’épisode dépressif majeur qui conduit à l’introduction’un traitement antidépresseur inhibiteur sélectif de laecapture de la sérotonine (paroxétine, à la posologie de0 mg/j). Deux semaines après, apparaissent une altératione la vigilance majeure et fluctuante associée à une per-lexité anxieuse et une dysarthrie qui font suspecter un étatonfusionnel. La patiente est adressée au service d’accueiles urgences où une pneumopathie aiguë infectieuse liéeossiblement à une fausse route est diagnostiquée etne antibiothérapie probabiliste (amoxicilline-acide clavu-anique à la posologie de 3 g/j) est débutée permettant leetour à la clinique. Alors que l’évolution de l’infectionulmonaire est favorable, l’état confusionnel persiste et

a même s’aggraver brutalement. La patiente est alorsdressée dans l’unité de médecine interne et soins aigusériatriques pour prise en charge.

À son admission, la saturation en oxygène est à 98 %ous 1 L d’oxygène et la capnie est normale. Il n’y a

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as d’hyperthermie ni de signe de choc. Il n’y a pason plus de signes de décompensation cardiovasculaire,e localisation neurologique ou de symptôme douloureux.’auscultation pulmonaire note la persistance de crépitantsrès modérés et limités à la base du champ pulmonaireroit. La numération formule sanguine, la C-réactive pro-éine (CRP) et la radiographie du thorax sont en cours deormalisation. Le reste du bilan biologique (bilan ionique,onction rénale, bilan hépatique, thyroïdien, en particu-ier) est normal et aucun signe infectieux (notammentrinaire) ni de récidive tumorale n’est observé. Un syn-rome coronarien aigu est éliminé par le dosage desnzymes cardiaques et l’électrocardiogramme. La tomo-ensitométrie cérébrale montre des signes de leucopathieasculaire ainsi qu’une atrophie cérébrale diffuse et modé-ée. L’électroencéphalogramme est normal.

Devant l’absence d’étiologie organique intercurrente,’histoire familiale et personnelle de trouble de l’humeurt l’introduction récente d’un antidépresseur, deux hypo-hèses sont discutées : confusion iatrogène et/ou virage de’humeur iatrogène à type de manie atypique. Dans un pre-ier temps, le traitement par antidépresseur est arrêté,ermettant de normaliser la vigilance. L’évolution est mar-uée par l’apparition rapide de troubles du comportementtype de désinhibition psychomotrice confortant davantage

’hypothèse d’une manie induite par un traitement antidé-resseur. Devant l’intensité des symptômes, un traitementntipsychotique atypique à visée antimaniaque (olanzapinela posologie de 10 mg/j) est introduit. La réponse théra-

eutique est rapide avec normalisation du comportementn quelques jours, permettant son retour vers l’EHPAD’accueil avec un suivi ambulatoire. Le traitement initialété maintenu pendant trois mois, permettant une relative

tabilité thymique. Un traitement de fond par régulateur de’humeur à visée préventive des épisodes thymiques de typeaniaque ou dépressif (divalproate de sodium à la posologie

nitiale de 250 mg/j avec adaptation progressive des doses)été ensuite introduit en remplacement du traitement par

ntipsychotique atypique (dix), permettant de normaliser leomportement avec un recul de six mois.

iscussion

a confusion du sujet âgé pose un problème diagnostiqueréquent et difficile de par la multiplicité des facteursouvant sous-tendre ce dysfonctionnement cognitif aigu.omme dans notre observation, la recherche des facteursrganiques, médicamenteux et psychosociaux doit êtreystématique. Certaines étiologies telles le fécalome, laétention vésicale d’urine, les pathologies infectieuses, lesroubles ioniques et métaboliques, une pathologie cérébraleiguë ou la décompensation aiguë d’une pathologie chro-ique sont fréquentes chez le sujet âgé et devront êtreystématiquement recherchées. Dans notre observation,a confusion a été attribuée initialement à une infectionulmonaire intercurrente, mais l’absence d’amélioration

eurologique malgré la régression de la pneumopathie aermis d’éliminer cette cause.

La recherche d’une pathologie sous-jacente sera aussiuidée par les antécédents. Ont été éliminées des patho-ogies cardiaque ischémique et néoplasique. L’existence

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M. Wyart, H. Blain

’une confusion iatrogène n’est pas totalement satisfaisanteuisque la symptomatologie persiste en partie à l’arrêt duraitement psychotrope et se modifie.

L’existence d’une histoire familiale et personnelle derouble thymique, l’introduction récente d’un traitementar antidépresseur et l’absence de pathologie neurodégéné-ative sous-jacente ou de cause organique spécifique doiventaire suspecter un virage de l’humeur de type maniaquenduit par l’antidépresseur et de présentation atypique.’évolution sous traitement tend à conforter cette hypo-hèse. De manière rétrospective, les épisodes de labilitémotionnelle, les fluctuations émotionnelles et les crisese colère inappropriée dans les antécédents, en partie res-onsables des conflits familiaux observés dans le passé,ourraient correspondre à de possibles épisodes hypoma-iaques passés inapercus.

Les épisodes hypomaniaques sont souvent difficiles àdentifier lors de l’interrogatoire, expliquant que leurrévalence demeure probablement sous-évaluée [6,9]. Laifficulté tient à la pauvreté d’insight caractéristique desatients atteints de trouble de l’humeur (qui sous-estimentonc les symptômes hypomaniaques) et aux biais de remé-oration lors d’un diagnostic rétrospectif. Le diagnostic estlus ardu s’il existe une comorbidité psychiatrique notam-ent, un trouble de la personnalité du groupe B (antisociale,orderline, histrionique et narcissique) [11]. Ces troublese la personnalité ont en commun l’existence d’une labilitémotionnelle, de traits d’impulsivité et des relations inter-ersonnelles instables, symptômes difficiles à différenciere véritables épisodes hypomaniaques. L’interrogatoire de’entourage, de même que l’utilisation d’échelles (comme laood Disorder Questionnaire) [12] et la réalisation d’un dia-ramme de l’humeur peuvent être des compléments utiles à’entretien psychiatrique dans ces cas ambigus. Dès lors, siertaines études montrent que la prévalence des épisodesépressifs majeurs chez le sujet de plus de 60 ans est deà 2 % (rejoignant ainsi les taux de prévalence des troublese l’humeur en population générale), l’estimation suggé-ant que la prévalence des troubles bipolaires représenteraità 10 % des épisodes dépressifs majeurs est peut-être sous-stimée [10,13].

Le tableau classique d’un épisode maniaque associene rupture vis-à-vis du fonctionnement antérieur du sujetarqué par une exaltation de l’humeur, une excitation psy-

homotrice, une diminution du besoin de sommeil, uneypersexualité et la présence éventuelle de signes psy-hotiques qui sont alors congruents à l’humeur [11]. Larésentation clinique chez le sujet âgé, très souvent aty-ique, ne rentre pas toujours dans les critères diagnostiquesommunément admis [4,8,13]. Cela complique le repéragees patients âgés bipolaires et explique l’hétérogénéité queonstitue ce trouble. Les sujets âgés présenteraient plus’irritabilité et d’agressivité, moins d’euphorie et davan-age d’éléments délirants de persécution non congruents

l’humeur. Par ailleurs, les troubles cognitifs seraientlus fréquents (trouble de la mémoire de fixation lié àes troubles attentionnels), de même que les manies àrésentation confuse et les états mixtes [14]. Dans ce der-

ier cas, l’association d’une excitation psychomotrice àes items dépressifs augmente fortement le risque de pas-age à l’acte suicidaire. Enfin, une autre difficulté tient à’existence d’une altération des fonctions cognitives préa-
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[mentaux. Guelfi J. M. Paris : Masson, 2004.

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lable à l’épisode thymique ou au trouble de l’humeur.Dans notre cas clinique, un bilan neurocognitif de dépis-tage (MMS, BREF et test de l’horloge) a été effectué troissemaines après l’instauration du traitement antimaniaque,montrant l’absence d’altération des fonctions cognitivesen dehors de troubles sur la mémoire de rappel (corrigéspar l’indicage) et l’attention (Mini Mental Status Examina-tion [MMS] à 27/30, batterie rapide d’évaluation frontale[BREF] à 16/18). Ces résultats doivent être fortement rela-tivisés du fait de la non-rémission des symptômes thymiquesau moment de l’évaluation et des effets indésirables liésau Zyprexa® (trouble de la vigilance). Un suivi neurocog-nitif doit être réalisé systématiquement pour vérifier quece tableau ne s’intègre pas dans le cadre d’une pathologieneurodégénérative débutante.

La synthèse des travaux actuels tendrait à considérerl’existence de trois sous-types de tableaux cliniques depathologies bipolaires, selon l’âge de début (en particulierd’un épisode de type maniaque) et la polarité des épisodesthymiques antérieurs, ces sous-types présentant une phy-siopathologie et une approche thérapeutique différentes[9,15]. Le premier groupe correspond aux patients présen-tant un trouble de l’humeur apparu à l’âge adulte sous laforme d’un trouble dépressif récurrent et qui se bipolarisetardivement (7 à 30 % des cas). L’épisode maniaque apparaîtalors après une latence de plusieurs années. Le deuxièmegroupe concerne les sujets ayant développé un trouble del’humeur à l’âge adulte jeune marqué par une alternanced’épisodes dépressifs et de manies ou hypomanies (13 à60 % des cas). Enfin, le troisième groupe de patients (20 à26 % des cas) correspond à la manie d’apparition tardiveaprès 60 ans en l’absence d’histoire de trouble de l’humeur(absence d’antécédent maniaque, hypomaniaque et dépres-sif). Les deux premiers groupes doivent faire considérerl’existence d’un trouble affectif bipolaire tandis que letroisième doit faire suspecter une étiologie organique à lamanie qui est le plus souvent de type neurodégénératif,ischémique, néoplasique, ou traumatique. L’imputabilitéde l’épisode maniaque à un facteur organique ou iatro-gène est souvent difficile à établir. De plus, le conceptde manie secondaire à l’usage de substances toxiques estactuellement remis en questions par plusieurs auteurs quiconsidèrent la manie pharmaco-induite comme l’expressiond’un trouble bipolaire primaire ou comme un facteur pré-dictif de la bipolarisation d’un trouble dépressif récurrent[9].

Le trouble bipolaire est une affection psychiatriquesévère du fait de l’évolution possible vers la récurrencedes épisodes, d’une morbimortalité supérieure aux troublesdépressifs récurrents (facteur de risque de développementde pathologies cardiovasculaires, cérébrovasculaires et neu-rodégénératives) [4,10]. Ces modalités évolutives soulignentl’importance d’un diagnostic et d’une stratégie thérapeu-tique précoces et adaptés au type de trouble.

Comme le souligne cette observation, l’établissement dudiagnostic d’épisode maniaque devant un tableau de confu-sion est important car il guide la stratégie thérapeutique. Ilnécessite en priorité d’arrêter tout traitement antidépres-

seur puis de traiter les symptômes maniaques à la phaseaiguë par un antipsychotique atypique à visée antimaniaque.Une fois les symptômes stabilisés, il conviendra de rempla-cer l’antipsychotique atypique par un traitement régulateur

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et âgé 277

e l’humeur, mieux toléré, et adapté pour une stratégie derévention des récidives au long cours [10,16].

onclusion

a confusion est fréquente chez le sujet âgé. Elle est secon-aire à l’action de plusieurs facteurs de décompensationiguë sur un état de vulnérabilité cérébrale lié au processuse vieillissement et éventuellement à l’existence de patho-ogies neurodégénératives sous-jacentes.

Quand l’épisode confusionnel apparaît dans un contextee normalité des fonctions cognitives, de l’examen cliniquet des bilans paracliniques et dans un contexte d’histoireépressive, même en l’absence d’épisode maniaque ouypomaniaque, il convient d’évoquer la possibilité d’unrouble dépressif ou d’un épisode maniaque à présentationtypique. Dans ce dernier cas, la prise en charge spécifiqueomporte l’arrêt immédiat d’un éventuel traitement anti-épresseur et l’introduction d’un traitement antimaniaqueantipsychotique atypique par exemple) puis d’un régula-eur de l’humeur.

onflit d’intérêt

es auteurs n’ont pas transmis de conflit d’intérêt.

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