figures d’espace : l’incarnation du vent dans les images du cinéma

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"Le Vent" de Victor Sjöström"Une histoire de vent" de Joris Ivens et Marceline Loridan

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Figures d’espace : l’incarnation du vent dans les images du cinéma

Ana Grgic

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Introduction

Vent n.m. - fin XI siècle du latin ventus. Mouvement naturel de l'air.

Déplacements naturels de l'atmosphère.

Que veut dire une « image de vent »? Le vent s'entend surtout mais il ne se voit pas, il s’agit d’un

mouvement de l'air. L’air est en soi invisible, une matière immatérielle de l'espace. D’où vient

donc le vent et comment devient-il « visible »? Avant tout le vent est un mouvement de l'air,

scientifiquement il se forme grâce à la pression des gaz dans l’atmosphère. Sa caractéristique

intrinsèque découlant de son invisibilité est d’être partout et nulle part quand il souffle. Pour 

s’apercevoir de la présence de vent, il faut regarder les choses affectées par lui ; les arbres, les

cheveux, la pluie, la sable. Comment penser la matière du vent ?

La figure du vent et son imaginaire sont extrêmement fertiles, sujet traité d’abord dans les

mythologies, il a été présent souvent présent ensuite dans la littérature, la poésie et l’art. Dans la

mythologie grecque, le vent est personnifié, je dirais plutôt incarné par les Anemoi (en grec Ἄ νεμοι 

signifient les vents), les divinités du vent. A chaque Anemoi était attribuée une direction cardinale

de laquelle provenaient leurs vents et chacun était associé à des saisons et conditions

météorologiques particulières. Les Anemoi étaient représentés parfois simplement comme des

coups de vent, quelquefois personnifiés en hommes ailés et d’autres fois apparaissaient comme des

chevaux gardés dans l’écurie du dieu de la tempête Aeolus. Dans son livre L’Air et les songes, le

philosophe Gaston Bachelard effectue une recherche sur l’imagination du mouvement en analysant

la représentation poétique de l’élément créateur : l’air. Sous l’appellation « imagination

matérielle », il a étudié les quatre imaginations, leur attribuant l’un des quatre éléments : feu, terre,

air et eau. Pour lui, « la physiologie de l’imagination obéit à la loi des quatre éléments », quelles

que soient les images, elles désignent une matière première, un élément fondamental.1 L’air, donc,

est un élément fondamental qui désigne une imagination du mouvement. Dans l’espace,

l’imaginaire du vent, mouvement naturel de l’air, est matérialisé par les images.

Avant d’être matérialisé par les images du cinéma, l’imaginaire du vent est incarné dans la

 peinture. Comment l’art a-t-il représenté l’imaginaire du vent et ensuite comment le cinéma l’a-t-il

repris en l’incarnant dans ses images? L'espace est visible mais le vent est invisible. Les figures de

l’espace sont très maniables, extensibles et compressibles à volonté. Je propose ici de traiter le

vent en tant que figure de l'espace d'image qui pose certainement des problématiques non

1 Bachelard, Gaston, L’air et les songes : essai sur l’imagination du mouvement , Librairie José Corti, Paris, 1943, p.15.

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dépourvues d’intérêt. D’abord, j’analyserai des représentations de la figure du vent par la peinture,

notamment au XVIIIème siècle, dans la sublimation de la nature. Dans cette partie nous ferons une

analyse des artistes de l’école anglaise romantique tels que J.M.W. Turner et John Constable ou de

l’école française réaliste, Camille Corot ou Jean-François Millet, ensuite le peintre américain John

Singer Sargent. Comment cette figure du vent est-elle traitée au cinéma ? Comment représenter

une matière invisible par les images cinématographiques ? Plutôt que d’être présent seulement

comme un élément secondaire de la nature ou symboliquement, sa constante et forte présence dans

quelques films l’a rendu essentiel et le vent a joué un rôle principal en devenant le sujet même du

film. Le vent devient ici la force guide du film, il est impliqué psychologiquement et

métaphysiquement dans l’histoire. Dès maintenant je voudrais explorer comment cette figure a été

représentée au cinéma, notamment à travers l'analyse de deux films:  Le Vent (1928) de Victor

Sjöström et Une histoire de vent  (1988) de Joris Ivens et Marceline Loridan.

I.  La figure du vent dans la peinture

Figure 1 

«Tu croiras peut-être pouvoir me reprocher d'avoir représenté le chemin que fait dans l'air le

mouvement du vent, puisque le vent en soi ne peut être vu dans l'air. A quoi je réponds que ce qui se

voit dans l'air n'est pas le mouvement du vent, mais seulement des choses emportées par lui. »

-  Leonard De Vinci2 

2 De Vinci, Léonard, Traité de la peinture, Editions Berger-Levrault, Paris, 1987, p.138 – 139.

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Dans son Traité de la peinture, Leonard de Vinci décrit comment représenter le déluge en peinture

en détaillant tous ses effets sur les hommes et la nature. Il se concentre particulièrement sur la

représentation du vent dans la peinture. Leonard de Vinci affirme que la seule façon de faire

figurer le vent dans un tableau est de montrer ses effets. Suite à l'apologie  rapportée ci-dessous ,

Leonard de Vinci  donne une liste des divisions des représentations différentes pour les vents: les

tempêtes, les cyclones, le vent furieux etc. Durant la même période, à savoir entre 1517 – 1518, il

 produit une série d’œuvres énigmatiques et visionnaires de déluges. Ce sont de petits dessins

travaillés et très denses qui montrent un paysage submergé par une grande tempête. Dans la

reproduction du dessin « Le Déluge » (c.1517-18, 16.3 x 21.0 cm, collection de la Bibliothèque

royale de Windsor) un orage éclate sur la ville, détruisant une montagne et envoyant de grands

blocs de pierre qui tombent sur les maisons. Les multiples spirales et boucles qui occupent la

majeure partie du dessin semblent être la représentation de la furie du vent pendant la tempête. Cesspirales sont renforcées par les blocs de pierre qui sont emportés par le mouvement du vent et de

l’orage. 

Figure 2

Tout la force de la tempête guidée par la puissance du vent furieux est a à la base de ce tableau de

J.M.W Turner Waves breaking against the wind  (Figure 2). Curieusement, la traduction du titre en

français est « les vagues qui s’écrasent contre le vent ». Le conseil de Leonard De Vinci selon

lequel, pour figurer le vent, il faut en montrer les effets, se trouve parfaitement représenté par

l’œuvre de Turner. Grâce à la malléabilité de la matière qu’est l’eau, la mer démontée devient le

sujet privilégié des peintres romantiques, qui y trouvent la sublimation de la nature. L’imaginaire

matérialisé de Bachelard est l’union de la force déchaînée de la nature, le vent, avec les formes du

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réel. Mieux que les autres matières, le vent matérialisé en image exprime d’une manière forte

divers états psychologiques : la turbulence, la colère, la furie, la puissance, tout est en mouvement

dans cette espace. Le vent s’incarne dans les images: incarnation veut dire donner de la chair aux

choses. Donc pour être visible, le vent reçoit de la chair des choses visibles dans la nature. Il est

investi dans ces matières.

Figure 3Mais le vent ne s’incarne pas seulement dans l’eau, mais aussi bien dans un paysage de la terre, les

arbres, les nuages, la pelouse. Dans ce tableau intitulé  Le Coup de vent  de Camille Corot, nous

voyons une scène de la vie quotidienne, un paysage, affecté par le mouvement du vent (Figure 3),

donc un coup de vent qui soudain fait ployer les arbres et les fait céder sous sa force. Corot met

l’accent aussi sur le vent en peignant les nuages en mouvement vers l’horizon gauche de l’espace.

Dans la peinture, l’on entrevoit un paysan qui semble être poussé en avant par le vent dans la

même direction. Le vent, invisible et immatériel, mais présent dans les choses figurées, devient

palpable et matériel.

Et l’incarnation même du vent par excellence, sa raison d’être, le « moulin à vent », apparaissent

aussi dans cette gravure de John Constable et David Lucas (Figure 4) intitulée  A Mill near 

 Brighton . Ici, le vent joue un rôle fonctionnel, on l’aperçoit dans les a iles du moulin qui tournent.

Dans le ciel, sont visibles quelques oiseaux éparpillés portés par le vent. Le léger mouvement du

moulin suggère le vent qui souffle doucement. Le vent peut être figuré autrement qu’une vue sur un

 paysage. Contrairement à d’autres tableaux ici cités, dans celui intitulé  A Gust of Wind  du peintreaméricain John Singer Sargent, c’est la figure humaine qui est utilisée pour représenter un coup de

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vent (Figure 5). Une femme vêtue d’une large robe légère et portant un chapeau descend la dune de

sable. En ayant recours à ces deux détails, le peintre suggère une rafale de vent : elle tient le

chapeau d’une main pour qu’il ne s’envole pas, son foulard flotte dans le vent. Le motif est très

simple mais en même temps très efficace.

Figure 4 Figure 5

II.  La figure du vent au cinéma

La figure du vent au cinéma pose des problématiques qui ne sont pas très différentes de celles de

la peinture. Dans la  peinture, l’on parle d’images immobiles, de moments privilégiés, d’instants

coupés et immortalisés de la vie représentés dans les tableaux. L'image au cinéma n'est pas quelque

chose d'immobile, c'est une coupe elle-même mobile, une image-mouvement, chargée en tant que

telle d'une tension dynamique. Si comme le dit Jean Epstein, le cinéma possède une manière

nouvelle de représenter l'univers dans sa mobilité, la figure du vent, l’air en mouvement doit y

trouver sa propre place. En reprenant cette définition, dans le cinéma le vent est photogénique,

parce que sa valeur morale est accentuée par la reproduction cinématographique. « Tout à l'heure,

 je disais: est photogénique tout aspect dont la valeur morale se trouve augmentée par la

reproduction cinégraphique. Je dis maintenant: seuls les aspects mobiles du monde, des choses et

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des âmes, peuvent voir leur valeur morale accrue par la reproduction cinégraphique. Cette mobilité

ne doit s'entendre que dans le sens le plus général, selon toutes les directions perceptibles a

l'esprit. »3

La valeur dynamique du vent trouve son explication dans les images du cinéma. Le mot

cinéma vient du cinématographe inventé en 1892, le terme vient du grec kinema, kinematos 

signifiant « mouvement ». Il y aura donc deux mouvements : le mouvement et l’écriture du

cinéma ainsi que le mouvement de l'air –  le vent. Si l’on considère que l'existence de l'image est une

matière en mouvement elle-même, la matérialité de l'image reste au fond de la problématique de

l'existence des images.

 Néanmoins, le conseil de Leonard De Vinci reste d’actualité pour le cinéma, pour figurer le vent

dans les images il faut montrer ses effets. Le cinéma offre la possibilité de montrer les effets du

vent dans l’espace et dans le temps – le mouvement reste toujours visible à travers l’incarnation du

vent dans une autre matière. L’invisibilité du vent est donc visible gr âce au mouvement des

matières affectées dans l’espace de l’image. La figure du vent peut servir symboliquement

d’élément porteur de film, ou de renforcement psychologique des personnages. Toutes les phases du

vent ont leur psychologie : « Le vent s’excite et se décourage. Il crie et il se plaint. Il passe de la

violence à la détresse. »4

Dans le cinéma parlant, on sent le cri déchirant de vent. Entendre devient

 plus dramatique que voir. L’absence de visibilité de la matière trouble l’âme plus que sa présence

 parce qu’il fait partie de l’imaginaire. Il y a un mouvement du vent entre l’intérieur et l’extérieur. Je

 propose d’analyser comment la figure du vent est représentée dans un film muet de fiction ;  Le

Vent de Victor Sjöström et puis un film sonore documentaire ; Une histoire de vent de Joris Ivens.

III. Les états psychologiques du vent : Le Vent de Victor Sjöström

 Le Vent de 1928 est un chef d’œuvre et le dernier film du cinéaste Victor Sjöström tourné aux Etats-Unis. Il raconte la lutte quotidienne que doit affronter une jeune femme, Letty, venue de la riche

prairie de la Virginie, interprétée par la superbe Lilian Gish, à son arrivée sur un nouveau territoire

quelque part au Far West pour vivre auprès d’un parent. Pour échapper à la méchante femme de

son parent, elle consent à se marier avec Lige, un fruste cow-boy. La force destructrice du vent,

au niveau physique et psychologique, est associée aux avances sexuelles vers l’héroïne pleine

d’incompréhension tout au long de l’histoire. La plus étonnante réussite de Sjöström est d’être

3 Epstein, Jean, Ecrits sur le cinéma 1921 – 1953, Editions Seghers, Paris, 1974. p.138.4 Bachelard, Gaston, L’air et les songes : essai sur l’imagination du mouvement , Librairie Jose José Corti, Paris, 1943,

p.262.

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parvenu à maintenir la présence omniprésente et toute-puissante du vent qui se fait sentir partout, et

ceci sans devoir recourir à la répétition. Le film s’ouvre sur l’épigraphe du petit homme face à la

puissance de la nature et puis un autre : « Ceci est l’histoire d’une femme qui entra dans le domaine

des vents », désignant déjà le cours de narratif. Letty, fragile, arrive sur une terre inconnue où

l’élément déchaîné de la Nature, le vent, souligne aussi ses états psychologiques. L’image extrême

du vent furieux est le symbole de la colère pure où volonté et imagination s'unissent. Dans

quelques scènes du film, l'extrême image dynamique de l'air violent est représentée. L’imaginaire

de l'air violent montre la furie élémentaire, qui est pur mouvement.

Figure 6 Figure 7

La première occurrence où Sjöström introduit le motif du vent, est la scène dans le train au début

du film. Le vent et le sable entrent à travers la fenêtre ouverte à l’intérieur du train dans lequel

voyage Letty pour aller retrouver son cousin. Wirt Roddy, un vendeur de bétail profite de la

situation en fermant la fenêtre pour s’asseoir et parler avec Letty. Pendant qu’ils parlent, les longs

 plans du train perdu dans l’immensité du désert sont intercalés avec les plans de sable porté par la

force du vent se fracassant contre les fenêtres (Figure 6 et 7). Cette scène souligne la confusion et

la désorientation subies par Letty dans cette nouvelle ambiance. L’intensité du vent assume une

forme visible sur l’écran en se matérialisant en mouvement de sable. « Le vent dans son excès, est

la colère qui est partout et nulle part, qui naît et renaît d'elle-même, qui tourne et se renverse. Le

vent menace et hurle, mais ne prend une forme que s'il rencontre de la poussière visible... »5. Donc

le vent ne prend pas de forme, ne devient visible que s’il rencontre de la poussière visible, le

sable. Pour figurer la force du vent, Sjöström a choisi de situer cette histoire dans le désert, s’aidant

du sable pour que le vent se matérialise dans l’espace de l’image. Selon Georges Sadoul,

« l’efficacité des images est telle que le spectateur croit entendre sans cesse le sifflement du vent

secouant la maison, faisant vibrer les fenêtres. Et même il sent sur sa peau le contact du sable

5 Bachelard, Gaston, L’air et les songes : essai sur l’imagination du mouvement , Librairie José Corti, Paris, 1943, p.257.

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 partout en suspension dans l’air. »6

Pour renforcer cette omniprésence du vent, tout au long du

film les personnages secouent le sable de leurs vêtements. Les spectateurs ont le sentiment que le

vent poursuit l’héroïne du film. Mais il y a un mouvement de vent de l’extérieur vers l’intérieur,

 bousculant l’état psychologique de la femme. Un critique de l’époque, Robert Herring, a écrit un

article intitulé « Film imagery : Seastrom » dans le journal anglais Close-Up (Janvier 1919)

soulignant l’usage du paysage mental dans le film de Sjöström : « Il y avait Lilian Gish contre  Le

Vent . Contre une force destructrice. Contre le type de vie que le vent produisait, le type d’homme

que la vie produisait, et la femme qu’elle serait si elle restait se marier avec l’un de ces hommes.

La tempête dans sa tête est produite par la tempête du vent. Le conflit intérieur et extérieur,

l’extérieur dans ce cas sert à créer l’intérieur. Comme une corde ou une couleur subsidiaire, une

image. Le vent est une image… (ma traduction et italiques) »7

Curieusement, la traduction du titre

du film de Sjöström en anglais est Seastrom, évoquant l’idée de « storm » la tempête. Dans le filmde Sjöström, le vent est une image, il acquiert un pouvoir visible à travers la matière du sable en

devenant « palpable ».

Après le mariage avec Lige, Letty refuse tout contact physique et sexuel avec son mari, une scène

de dispute est accompagnée par des plans de vent tourbillonnant en dehors de la cabine qui

peuvent suggérer la perte de contrôle de Letty et sa lutte personnelle dans cet environnement. Plusavant, Letty est seule dans la cabine, dehors la tempête se renforce . Petit à petit elle perd le

contrôle et devient frénétique, une fenêtre, qui jusqu'à maintenant faisait office de quatrième mur

au cours du film, la protégeait du sable, se casse, faisant entrer le sable apporté par le vent. A ce

moment, Wirt arrive et essaie de l’embrasser, elle s’échappe hors de la cabine, où elle est basculée

par la force du vent. Elle voit le légendaire cheval fantasmagorique marcher dans le ciel. Le vent

6 Sadoul, Georges, Histoire Générale du Cinéma. 6 - L’Art Muet 1919 - 1929, Editions Denoël, Paris, 1975, p.453.7 Forslund, Bengt, Victor Sjöström.  His Life and His Work , Zoetrope, New York, 1988, p. 218 . “There was Lilian Gish

against The Wind. Against a destructive force. Against the type of life it produced, the type of men the life produced,

and the woman she would be if she stayed, married to one of the men. The storm in her mind is produced by the storm

of the wind. Inner and outer conflict, the outer in this case serving to throw up the inner. Like a chord or a subsidiary

color, an image. The wind is an image…” 

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la pousse de nouveau à l’intérieur de la cabine et Wirt la met sur le lit. A travers la violence

physique du vent et le symbolisme traditionnel du cheval, la violence sexuelle est suggérée. A la

fin de la tempête, Letty menace Wirt avec le pistolet, cela amuse celui-ci et elle tire une fois. Letty

est prise de panique, mais le sable porté par le vent à l’intérieur, lui inspire une idée pour se

débarrasser du corps. Après l’avoir enterré, elle regarde dehors à travers la fenêtre, graduellement

le vent enlève le sable qui couvrait le corps de Wirt, dévoilant ses vêtements, une main, le visage.

Le cheval blanc, dans la mythologie grecque, est l’une des incarnations du vent, ici il prend cette

forme symbolique pour suggérer cette puissance de la sexualité associée au vent furieux. Mais le

vent a aussi le pouvoir de découvrir, le corps enterré de Wirt, vient à la lumière grâce au vent qui

le dévoile. De ce fait, on peut dire que le vent apporte et emmène aussi la vie et la mort.

IV. Le rôle métaphysique du vent : Une histoire de vent de Joris Ivens et Marceline

Loridan

Une histoire de vent date de 1988, c’est le dernier film de Joris Ivens et de sa femme Marceline

Loridan. Il mêle structure de documentaire et fiction, mettant en abyme un film dans le film où le

cinéaste devient aussi le protagoniste. Au début du film, une épigraphe présente aux spectateurs la

clé de lecture : « Le Vieil Homme qui est le héros de cette histoire est né à la fin du siècle dernier

dans un pays où les hommes se sont toujours efforcés de dompter la mer et de maîtriser le vent. Il a

traversé le XXe siècle, une caméra à la main, au milieu des tempêtes de l’histoire de notre temps.

Au soir de sa vie, à 90 ans, ayant survécu aux guerres et aux luttes qu’il a filmées, le vieux cinéaste

part pour la Chine. Il a mûri un projet insensé : capturer l’image invisible du vent. » Le films’ouvre symboliquement sur les plans des ailes du moulin à vent contre le ciel et un garçon dans

un aéroplane de bois, le jeune Joris Ivens « hollandais volant », comme le surnomme Georges

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Sadoul. L’image qui suit est celle de Joris Ivens, vieil homme assis sur une chaise dans le désert

face au bleu du ciel, et qui attend le vent. C’est un film entre fiction et documentaire avec des

citations autobiographiques, mixant des extraits de ses films précédents, une séquence de Voyage

dans la Lune (1902) de Georges Méliès, et des images de tournage du film lui-même ; la troupe qui

transporte les appareils cinématographiques dans le désert de Takla-Makan etc. Le projet du film

est donc de capturer l’image invisible du vent, et comme Sjöström avant lui Ivens est parti dans le

désert certainement dans le but de représenter le vent. Dans le film d’Ivens, le son joue un rôle

important dans la représentation du vent, en effet, déjà au début, la troupe place des microphones

boom en ligne sur la dune du désert. A travers quelques épisodes du film, Ivens explore le côté

métaphysique du vent : « Dans ma très longue vie, j’ai découvert que la métaphysique et le rêve

sont formés de la réalité, que la métaphysique est le pont entre le passé et le futur…il y aura

toujours d’autres horizons (…) il y a toujours un après l’autre (…) les chinois disent comme ca. Sivous entrez dans ce sujet, le vent devient métaphysique » (ma traduction).

8Son premier film

s’intitulait  La Pluie et explorait l’imaginaire de l’eau dans la grande ville. Il terminera sa vie en

tournant un film portant sur l’imaginaire d’un élément invisible : l’air.

Dans la scène qui se déroule à l'école de Kung Fu, quand Ivens rend visite à un vieux « taijiquan » -

maître- tous deux discutent du secret de la respiration. Cet art martial se base sur les mouvements

rythmiques et aussi asymétriques du corps. Ivens évoque ses problèmes d'asthme et sa peur

d'expirer. Cette scène introduit l’idée de soupir, le besoin d’air pour vivre, le souffle léger, un petit

« vent ». Plus tard dans le film, le microphone enregistrera les multiples voix du vent permettant

de discerner un épilogue hébreu : « Je suis le soupir qui planait sur les eaux au premier jour de la

création ». L'esprit est le soupir de la création de vie, le mouvement de soupir sur la terre. Le vent

sera incarné aussi dans le masque mythique du vent du sculpteur Chinois Guangzhong. En

soufflant par la bouche, le vent est créé. Dans une scène, Ivens ouvre la boîte contenant le masque,

ce qui conduit à f aire échapper le vent, fuite que l’on perçoit dans le plan rapproché suivant du

cinéaste, car  l’on peut voir des chevaux gris en mouvement.

Finalement, le vent sera évoqué par une magicienne chinoise qui offre son aide en échange de deux

ventilateurs portables (!) pendant que la troupe attend dans le désert. Après avoir désigné un

symbole magique dans le sable, le vent se lève doucement. Dans les images de désert qui suivent,

nous voyons le sable se soulever et se déplacer dans l’espace de l’image. La matière semble

prendre vie, comme si le désert était en mouvement permanent et fluide. Le ventilateur commence

8 De Bleeckere S., « A Key to the Metaphysics of the Wind » Bakker Kees (éd.) Joris Ivens and the documentary context ,

Amsterdam University Press, Amsterdam, 1999, p. 210. « In my very long life, I discovered that metaphysics and

dreaming are a form of reality, that metaphysics is a bridge between the past and the future (...) There will always be

other horizons (...) there is always one after the other...so the Chinese say. If you get into that theme, wind becomes

metaphysical. »

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à tourner, les cheveux du cinéaste s’agitent par le mouvement du vent. Une image de la petite fille

qui fait face au vent toujours plus puissant avec les bras tendus renforce l’imaginaire. Le vent est

désormais incarné dans le sable, qui bouge de droite à gauche et inversement. Dans un mouvement

continu, fluide, le désert devient la mer grâce à la force du vent. Dans cette imagination dynamique,

tout s’anime, rien ne s’arrête. Le vent, c’est l’acte commençant de l’univers.

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Conclusion

L’incarnation du vent en image d’abor d par la peinture et ensuite par le cinéma a été si

caractéristique que nous pouvons parler d’une vraie image de vent . Si la peinture est capable de

faire figurer le vent en montrant ses effets, le cinéma ajoute à cette dimension visuelle le son du

vent. Plus le vent demeure invisible, plus le son renforce sa présence. Néanmoins, déjà dans les

images de  Le Vent de Victor Sjöström, l’on peut dire que l’on a « entendu » hurler le vent et l’on a

pu sentir la sensation du sable sur la peau. Dans le film d’Ivens Une histoire de vent, nous

entendons les voix du vent avant de voir ses effets, les mouvements du sable dans le désert. Il est

annoncé. C’est une figure immatérielle de l’espace réel, sa valeur est augmentée dans le cinéma, il

est photogénique. Dans les films analysés, la figure du vent, n’est seulement pas et jamais

simplement un mouvement de l’air. Elle assume une dimension métaphysique, vitale ou bien

capable d’exprimer les états psychologiques, les émotions du personnage ou du cinéaste.

A la fin des deux films, les deux protagonistes respectifs, Lilian Gish interprétant Letty et Joris

Ivens soi-même, font face au vent, triomphants, ils embrassent la force vitale de cet élément. Est-ce

qu’ils ont maîtrisé le vent ou bien est-ce le vent qui les a maîtrisés? La figure du vent reste sûrement

invincible et indomptable ; le cinéma ne peut rien faire d’autre qu’attendre son incarnation dans la

matière. En conclusion, il serait intéressant d’analyser la figure du sable ou bien de l’eau dans le

cinéma, d’élargir le champ de la recherche des figures de l’espace d’images pour analyser le

traitement de la matière des images cinématographiques.

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Bibliographie

BACHELARD, Gaston, L’air et les songes : essai sur l’imagination du mouvement , Librairie José

Corti, Paris, 1943.

BAKKER, Kees (éd.),  Joris Ivens and the documentary context , Amsterdam University Press,

Amsterdam, 1999.

DE VINCI, Leonard, Traité de la peinture (traduction par André Chastel), Editions Berger-Levrault,

Paris, 1987.

EPSTEIN, Jean, Ecrits sur le cinéma 1921 – 1953, Editions Seghers, Paris, 1974.

FORSLUND, Bengt, Victor Sjöström.  His Life and His Work , Zoetrope, New York, 1988.

PETRIE, Graham, Hollywood Destinies: European Directors in America 1922 – 1931, Routledge &

Kegan Paul, London, 1985.

SADOUL, Georges,  Histoire Générale du Cinéma. 6 -  L’Art Muet 1919 - 1929, Editions Denoël,

Paris, 1975.

TOSI, Virgilio, Joris Ivens : Cinema e utopia, Bulzoni Editore, Rome, 2002.

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Tableaux

DE VINCI, Leonard,  Le Déluge, dessin, c.1517-18, 16.3 x 21.0 cm, collection de la Bibliothèque

royale de Windsor.

CONSTABLE, John et LUCAS, David, A Mill near Brighton, 1829, mezzotinto, dry point, roulette.

SARGENT SINGER, John,  A Gust of Wind , huile sur toile, 1886-87, 61.6 x 38.1 cm, Collection

privé.

TURNER, J.M.W, Waves breaking against the wind , c.1835, huile sur toile, 60.4 x 95.0 cm,

Collection Tate.

Filmographie

SJOSTROM, Victor, Le vent , 1928, Etats-Unis.

IVENS, Joris et LORIDAN, Marceline, Une histoire de vent , 1989, France.