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1 Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis Cours de droit des personnes Madame le Professeur Parance Licence1 Fiche TD 1, 2 et 3 METHODOLOGIE - Le cas pratique - Le commentaire d’arrêt - La dissertation juridique THÈME 1 : PERSONNE ET CORPS HUMAIN DANS TOUS LEURS ETATS I/ La protection du corps humain - Les fondements constitutionnels de la protection du corps humain : Document n°1 : Conseil Constit. 27 juillet 1994 (extraits) - Protection du corps humain et autonomie personnelle : Document n°2 : CEDH K.A. c/ France 17 février 2005, RTDciv. 2005 p. 341 note Marguénaud - La dignité comme outil de la protection du corps humain : Sans le consentement de la victime, Document n°3 : CEDH, gd. Ch. Bouyid c/ Belgique, D. 2015 obs. Sadoun-Jarin Malgré le consentement des personnes concernées, Document n°4 : CE 27 octobre 1995, Commune de Morsang sur Orge II/ La protection de la vie humaine - Le début de la vie : Document n°5 : CEDH, gd ch. 8 juillet 2004 Vo c/ France (extraits) - La fin de vie : Document n°6 : QPC 2 juin 2017, n° 2017-632 Document n°7 : CE, 24 juin 2014 n°375081, affaire Vincent Lambert Documents n° 8 : CE 5 janvier 2018, n° 416689 Document n° 9 : CEDH 25 janvier 2018, extraits III/ Le corps humain sans la personne - Le corps avant la naissance : Sur la définition et le statut de l’embryon : Document n°8 : CJUE 18 décembre 2014, JCP E 2015, 1209 note Mendoza-Caminade et Document n°9 : CEDH 27 août 2015 ; Parrillo C/ Italie (extraits) Document n°10 : CEDH 11 octobre 2016, n° 81277/12, Sayan c/ Turquie (extraits) - Le corps après le décès : Document n°11 : Civ. 1, 16 septembre 2010 n°09-67456, aff. Our Body

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UniversitéParis8VincennesSaint-DenisCoursdedroitdespersonnesMadameleProfesseurParanceLicence1

FicheTD1,2et3

METHODOLOGIE-Lecaspratique-Lecommentaired’arrêt-Ladissertationjuridique

THÈME1:PERSONNEETCORPSHUMAINDANSTOUSLEURSETATS

I/Laprotectionducorpshumain-Lesfondementsconstitutionnelsdelaprotectionducorpshumain:Documentn°1:ConseilConstit.27juillet1994(extraits)-Protectionducorpshumainetautonomiepersonnelle:Documentn°2:CEDHK.A.c/France17février2005,RTDciv.2005p.341noteMarguénaud-Ladignitécommeoutildelaprotectionducorpshumain:Sansleconsentementdelavictime,Documentn°3:CEDH,gd.Ch.Bouyidc/Belgique,D.2015obs.Sadoun-JarinMalgré le consentement des personnes concernées, Document n°4 : CE 27 octobre 1995,CommunedeMorsangsurOrgeII/Laprotectiondelaviehumaine-Ledébutdelavie:Documentn°5:CEDH,gdch.8juillet2004Voc/France(extraits)-Lafindevie:Documentn°6:QPC2juin2017,n°2017-632Documentn°7:CE,24juin2014n°375081,affaireVincentLambertDocumentsn°8:CE5janvier2018,n°416689Documentn°9:CEDH25janvier2018,extraitsIII/Lecorpshumainsanslapersonne-Lecorpsavantlanaissance:Surladéfinitionetlestatutdel’embryon:Documentn°8:CJUE18décembre2014,JCPE2015,1209noteMendoza-CaminadeetDocumentn°9:CEDH27août2015;ParrilloC/Italie(extraits)Documentn°10:CEDH11octobre2016,n°81277/12,Sayanc/Turquie(extraits)-Lecorpsaprèsledécès:Documentn°11:Civ.1,16septembre2010n°09-67456,aff.OurBody

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METHODOLOGIELe cas pratique : Cet exercice juridique vous soumet une situation de fait et vous demande d’apporter à la question qui en résulte une réponse motivée. Il vous permet de vous exercer à l’application pratique de connaissances dont vous pouvez ainsi vérifier la solidité. Sont appréciées vos capacités à mener un raisonnement et à émettre une opinion justifiée. Vous ne pouvez pas vous contenter d’exposer les solutions possibles sans prendre position, même si vous devez être nuancé dans votre réponse. Vous devez dans un premier temps analyser les faits et reconstituer la chronologie des évènements : un contresens à ce stade serait fatal. Parmi les faits, il est important de sélectionner les faits pertinents, ceux qui auront un impact sur la solution, et de laisser de coté les faits indifférents. Vous devez ensuite qualifier juridiquement les situations : par exemple, un tel a commis un abus de droit ou a fait une promesse de contrat. Vous devez ensuite qualifier juridiquement les prétentions : par exemple, un tel prétend obtenir le divorce car il pense remplir les conditions pour cela. Il faut formuler la réponse sur un mode dialectique, c’est à dire anticiper les contre argumentations qui pourraient être formulées contre votre réponse et y répondre d’avance. Le plus souvent, le cas vous oblige à élaborer un raisonnement en cascade où une réponse à une question va vous mener vers une autre question, et ainsi de suite. C’est alors que vous pourrez formuler une réponse définitive qui doit être assez nuancée. Le commentaire d’arrêt : Il s’agit du commentaire d’une décision de jurisprudence, ce qui explique que cet exercice soit spécifique à la science juridique et n’existe pas dans les autres sciences humaines. Avant de pouvoir commenter véritablement l’arrêt, il va être nécessaire de l’analyser pour le comprendre. Cette première étape est absolument essentielle puisqu’une mauvaise compréhension de l’arrêt serait un obstacle absolu à son commentaire. Les séances de TD ont justement pour but de vous apprendre à décortiquer correctement un arrêt. L’analyse de l’arrêt suit la méthode suivante : - Faits : il convient de relever dans l’ordre chronologique les faits qui ont donné lieu au litige. Les faits sont souvent essentiels car ils conditionnent la solution juridique donnée par l’arrêt. On commence l’exposé des faits dans l’introduction par les expressions « en l’espèce », ou « en l’occurrence ». - Procédure : Il s’agit de retracer « l’histoire judiciaire » de l’affaire. Il convient de mentionner les demandeurs et défendeurs, la solution donnée en première instance si elle est connue, et la solution rendue par la cour d’appel lorsque vous commentez un arrêt de la Cour de cassation. Si vous voulez être plus léger et que la cour d’appel a adopté la même solution que les juges de première instance, vous pouvez en venir directement à l’arrêt de la cour d’appel en précisant qu’il est « confirmatif », ce qui s’oppose à un arrêt « infirmatif » lorsqu’il adopte une solution différente des juges de première instance. Attention à être très rigoureux dans l’emploi du vocabulaire de la procédure : un tribunal rend un jugement, une cour rend un arrêt et le Conseil constitutionnel rend des décisions. On interjette appel mais on forme un pourvoi en cassation. - Prétentions des parties : Il s’agit d’exposer les différents raisonnements juridiques qui ont été soutenus par les différents acteurs au procès juridique. Attention à ne pas mélanger les discours, et à ne pas confondre pas exemple ce que soutient le pourvoi en cassation avec ce que va

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énoncer l’arrêt rendu par la Cour de cassation. Il faut absolument éviter les contresens, ce qui nécessite une lecture très minutieuse de l’arrêt. Si vous commentez un arrêt de la Cour de cassation, vous devez terminer cette phase par l’exposé du raisonnement développé par le pourvoi en cassation. - Question de droit : Si vous avez correctement analysé le raisonnement de la décision critiqué et le raisonnement du pourvoi, vous pourrez dégager la question de droit qui est la question des faits de l’espèce posée en termes abstraits, que le pourvoi demande à la Cour de cassation de résoudre. - Solution de la Cour : il faut dégager la réponse donnée par la Cour de cassation en exposant soigneusement le raisonnement par lequel elle y parvient. Une fois que vous avez ainsi décortiqué l’arrêt, il faut rassembler les éléments de connaissance dont vous disposez pour apprécier la solution dégagée par la Cour de cassation. Vous devrez notamment la mettre en perspective avec les raisonnements juridiques, les normes juridiques, la jurisprudence, les opinions doctrinales, ce qui vous permettra de construire une argumentation. Il est notamment important d’apprécier la portée de la solution, c ‘est à dire son importance. Il peut s’agir d’un arrêt de principe qui pose une solution générale qui est appelée à être respecter dans la temps, les indices en seront notamment qu’il s’agit d’un arrêt de cassation, que la solution est rendue par une formation spéciale de la Cour de cassation (assemblée plénière, chambre mixte, formation plénière de chambre), que l’arrêt est largement diffusé (notation P+B+R+I). Ou alors, ce peut être un simple arrêt d’espèce qui vient répéter une solution largement posée. Vous devrez alors construire le plan de votre commentaire, qui reprend comme la dissertation deux parties et deux sous parties. En général, il faut être très proche de l’arrêt dans le 1B et le II A . Vous pouvez vous éloigner un peu plus de l’arrêt et notamment développer une réflexion prospective dans le II B. La dissertation juridique : Il s’agit d’un exercice où vous allez démontrer vos talents de synthèse, en organisant vos connaissances afin d’exposer de manière réfléchie et logique, et éventuellement critique, l’état du droit sur une question. Il est impératif de respecter une méthodologie rigoureuse, sous peine de passer à coté du sujet. Dans un premier temps, vous devez étudier les termes du sujet mot à mot afin de comprendre la problématique du sujet, c’est à dire la question qui vous est posée. Il peut s’agir par exemple de réfléchir sur une notion, ou de mener une comparaison entre deux institutions juridiques. Une fois la problématique dégagée, il convient de rassembler tous les éléments nécessaires à la construction de votre raisonnement. Vos connaissances doivent venir comme des supports à la démonstration que vous organisez. Il faut bien avoir conscience que le seul exposé des connaissances ne vaut rien et qu’elles doivent intervenir comme des arguments au service d’un raisonnement. A partir de là, vous devez construire votre plan. C’est une étape essentielle. Il doit être clair dans son déroulement et dans ses intitulés qui doivent être en parfaite adéquation avec ce qui sera développé dans les parties. Attention à ne pas avoir des intitulés qui sont très éloignés de ce que vous allez traiter.

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Il n’existe pas de plan type qui s’adapte à toutes les situations, mais il existe des armatures classiques : I Conditions II Effets I Notion II Régime juridique I Principe II Exceptions I Notion textuelle II Interprétation jurisprudentielle Lors de l’examen, vous n’aurez pas le temps de rédiger tous vos développements au brouillon, seuls l’introduction et le plan doivent être travaillés au brouillon. L’introduction est un moment clé, elle doit séduire votre correcteur qui aura par ailleurs 30 copies à corriger, donc il faut lui donner envie de découvrir votre devoir. L’introduction doit respecter ce que l’on dénomme la technique des trois entonnoirs : - le premier entonnoir amène le sujet, le resitue dans son contexte juridique, donne les définitions ; - le deuxième entonnoir resitue le sujet dans son contexte méta-juridique, c’est à dire qu’il convient de donner la dimension historique, sociologique, économique ou philosophique ; - le troisième entonnoir est l’annonce de plan qui expose la problématique à laquelle le plan doit répondre de manière très logique.

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THÈME1:PERSONNEETCORPSHUMAINDANSTOUSLEURSETATS

DOCUMENTN°1:Décisionn°94-343/344DCdu27juillet1994(extraits)

Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal

Le Conseil constitutionnel, Vu la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ; Vu le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ; Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ; Vu le code civil ; Vu le code de la santé publique ; Vu la loi du 16 novembre 1912 ;

1. SUR LES NORMES DE CONSTITUTIONNALITE APPLICABLES AU CONTROLE DES LOIS DEFEREES : 2. Considérant que le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé et proclamé des droits, libertés et principes constitutionnels en soulignant d'emblée que : "Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés" ; qu'il en ressort que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ; 3. Considérant que la liberté individuelle est proclamée par les articles 1, 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; qu'elle doit toutefois être conciliée avec les autres principes de valeur constitutionnelle ; 4. Considérant qu'aux termes du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : "La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement" et qu'aux termes de son onzième alinéa : "Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère..., la protection de la santé" (….)

- SUR L'ENSEMBLE DES DISPOSITIONS DES LOIS SOUMISES A L'EXAMEN DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL : 18. Considérant que lesdites lois énoncent un ensemble de principes au nombre desquels figurent la primauté de la personne humaine, le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie, l'inviolabilité, l'intégrité et l'absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que l'intégrité de l'espèce humaine ; que les principes ainsi affirmés tendent à assurer le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ; 19. Considérant que l'ensemble des dispositions de ces lois mettent en œuvre, en les conciliant et sans en méconnaître la portée, les normes à valeur constitutionnelle applicables ;

Décide : Article premier : La loi relative au respect du corps humain et la loi relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, sont déclarées conformes à la Constitution. Article 2 : La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française. Délibéré par le Conseil constitutionnel dans ses séances des 26 et 27 juillet 1994. Le président, Robert BADINTER DOCUMENT 2 : CEDH K.A. c/ France 17 février 2005, RTDciv. 2005 p. 341 noteMarguénaud

Les faits qui ont conduit la Cour de Strasbourg à se prononcer, par un arrêt, encore exposé à un renvoi en Grande Chambre, dans une affaire peu flatteuse pour la magistrature belge, sont d'une gravité inhabituelle. Aussi le chroniqueur soussigné croit-il de son devoir d'alerter le lecteur de cette Revue plus que centenaire qu'ils ne seront présentés que dans une quinzaine de lignes. Chacun pourra donc choisir en toute connaissance de cause de les éviter ou de s'y reporter directement...

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La Cour européenne des droits de l'homme avait déjà eu l'occasion de confronter la répression de pratiques sadomasochistes aux exigences de la Convention européenne des droits de l'homme dans la célèbre affaire Laskey, Jaggard et Brown c/ Royaume-Uni. Par un arrêt du 19 février 1997 qui n'avait pas convaincu tout le monde (cf. J.-M. Larralde, D. 1998.97. V. aussi RTD civ. 1997.1013), elle avait alors estimé que des condamnations pénales pour coups et blessures infligés lors de telles activités sexuelles entre adultes consentants n'avaient pas enfreint le droit au respect de la vie privée parce qu'elles étaient nécessaires dans une société démocratique à la protection de la santé. Le plus inquiétant venait de ce que la Cour qui n'avait pas recherché si l'ingérence pouvait également se justifier par la protection de la morale, avait néanmoins cru devoir réserver « le droit de l'Etat de chercher à détourner de l'accomplissement de tels actes au nom de la morale ». La découverte, quelques années plus tard, par le retentissant arrêt Pretty c/ Royaume-Uni du 29 avril 2002 (RTD civ. 2002.858) de la notion d'autonomie personnelle, reflétant un principe important qui sous-tend l'interprétation de l'ensemble des garanties de l'article 8, semblait néanmoins inviter à une reconsidération de la question du sadomasochisme aussi radicale que celle ayant déclenché un spectaculaire revirement en matière de transsexualisme (cf. les arrêts I et Christine Goodwin du 11 juill. 2002, RTD civ. 2002.862). L'occasion de la confrontation du sadomasochisme à la notion nouvelle d'autonomie personnelle a été fournie à la Cour de Strasbourg par deux belges qui étaient l'un médecin l'autre magistrat au moment où ils avaient commis les faits ci-après relatés, néanmoins expurgés de certains détails et notamment des plus scatologiques d'entre eux. Lassés de respecter le règlement des clubs sadomasochistes qu'ils fréquentaient avec assiduité, ils s'étaient repliés dans des locaux spécialement loués et aménagés pour pouvoir y donner libre cours à leur imagination au détriment de l'épouse de l'un d'entre eux. Certaines scènes enregistrées en vidéo montraient la victime hurlant de douleur pendant que le médecin et le magistrat continuaient de la hisser par les seins au moyen d'une poulie ; perdant connaissance après avoir subi des chocs électriques par le relais de pinces attachées en de certains endroits érogènes, criant vainement « pitié » quand on lui administrait des coups de fouet, quand on plantait des aiguilles ou quand on faisait couler de la cire brûlante en des points ingénieusement sélectionnés. Ces pratiques valurent à nos deux comparses lubriques, qui, de surcroît, buvaient toujours de grandes quantités d'alcool pour se donner plus de coeur à l'ouvrage, des condamnations à des peines d'emprisonnement pour coups et blessures volontaires et, à l'un d'entre eux, la destitution. Devant la Cour de Strasbourg, leur cas été abordé au regard de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, proclamant le principe « pas de peine sans loi », parce qu'ils auraient été, selon toute vraisemblance, les premiers belges de l'histoire à avoir été condamnés pour sadomasochisme. A cet égard, la Cour a estimé que l'absence de précédents jurisprudentiels n'était pas de nature à laisser croire aux intéressés que la société « permissive, libérale et individualiste » avait instauré une tolérance faisant échapper les pratiques sadomasochistes à la qualification de coups et blessures volontaires. Ils n'ont pas eu plus de succès sur le terrain de l'article 8 puisque la Cour, unanime, a également jugé que leurs condamnations n'avaient pas constitué d'ingérence injustifiable dans le droit au respect de leur vie privée. Pourtant, l'arrêt KA. et AD. c/ Belgique du 17 février 2005 marque, en matière de sadomasochisme, un changement de cap aussi radical que celui réalisé par les arrêts du 11 juillet 2002 dans le domaine du transsexualisme. Sans doute la Cour n'a-t-elle pas pu dire explicitement qu'elle opérait un revirement de jurisprudence puisqu'elle n'était pas constituée en Grande Chambre. Il n'en reste pas moins que les conclusions, provisoires dans l'attente d'un éventuel renvoi, qu'elle a tirées de la notion d'autonomie personnelle l'ont conduite à saper toutes les conséquences de l'arrêt Laskey, Jaggard et Brown auxquelles les juridictions belges s'étaient sagement tenues. Il est d'ailleurs tout à fait significatif d'observer que, dans son propre raisonnement, la Cour ne fait jamais référence à son célèbre arrêt du 19 février 1997. C'est à l'arrêt Pretty qu'elle se reporte exclusivement pour affirmer que « le droit d'entretenir des relations sexuelles découle du droit de disposer de son corps, partie intégrante de la notion d'autonomie personnelle » ; pour redire, dans un contexte sexuel, que « la faculté pour chacun de mener sa vie comme il l'entend peut également inclure la possibilité de s'adonner à des activités perçues comme étant d'une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne » ; pour en tirer la conclusion « que le droit pénal ne peut, en principe, intervenir dans le domaine des pratiques sexuelles consenties qui relèvent du libre arbitre des individus » et qu'il faut « des raisons particulièrement graves pour que soit justifiée, aux fins de l'article 8 § 2 de la Convention, une ingérence des pouvoirs publics dans le domaine de la sexualité ». Dans ces conditions entièrement renouvelées et précisées avec force, il faut se réjouir de (ou se résigner à) constater que la

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question du sadomasochisme a été libérée de l'emprise de la morale à laquelle l'arrêt Laskey, Jaggard et Brown l'avait finalement rattachée, pour être placée sous l'influence inédite du droit de disposer de son corps dont la reconnaissance explicite appellera sûrement des commentaires plus détaillés sous la plume d'autres chroniqueurs plus qualifiés pour en apprécier les considérables prolongements. Il faut remarquer aussi qu'elle est désormais dégagée des considérations de protection de la santé qui avaient joué le rôle principal aussi bien dans l'affaire de 1997 que dans la phase belge de la présente affaire dans la mesure où dans les deux cas les actes litigieux avaient fait couler du sang et laissé des cicatrices. Il faut observer enfin qu'elle est, à première vue, encore plus éloignée que par le passé de la notion de dignité à laquelle certains commentateurs de l'arrêt Laskey, Jaggard et Brown avaient proposé de la relier (cf. M. Levinet, RTDH 1997.738). Après avoir proclamé ces grands principes de l'autonomie personnelle sexuelle, les juges de Strasbourg ont néanmoins découvert dans l'affaire KA. et AD. des « raisons particulièrement graves » de nature à justifier, au regard de l'article 8 § 2, les condamnations qui avaient frappé les requérants en raison de leur comportement sexuel librement consenti. Ces raisons tiennent à l'ignorance de la volonté de la victime des actes sadomasochistes. Selon la Cour, en effet, « si une personne peut revendiquer le droit d'exercer des pratiques sexuelles le plus librement possible, une limite qui doit trouver application est celle du respect de la volonté de la « victime » de ces pratiques, dont le propre droit au libre choix quant aux modalités d'exercice de sa sexualité doit aussi être garanti ». Or, tel n'avait pas été le cas en l'espèce puisque l'épouse du magistrat n'avait pas obtenu l'interruption des actes de sadomasochisme quant elle avait crié « pitié » et « stop ». Autrement dit, la condamnation du magistrat et du médecin était justifiée au regard de l'article 8 § 2 parce qu'ils n'avaient pas respecté « les règles normalement reconnues pour ce genre de pratiques » (§ 36). Voilà peut-être une nouvelle source du droit un peu inattendue qu'il est bien pénible d'avoir à signaler dans une chronique de sources internationales. Elle aide néanmoins à mieux prendre conscience de la densité de la notion d'autonomie personnelle qui, dans le domaine de la sexualité, doit être, rigoureusement, l'autonomie de tous les participants et qui, d'une manière plus générale, érige la volonté individuelle en ultime rempart contre les dérives des autres. Finalement, l'arrêt KA. et AD. c/ Belgique du 17 février 2005, rendu à l'initiative d'un médecin et d'un magistrat indignes, aura contribué à révéler les liens étroits qui unissent les notions de dignité et d'autonomie personnelle. C'est pourquoi il devrait être rangé, aux côtés de l'arrêt Pretty, qui a abordé les mêmes sujets dans un contexte si radicalement différent et sans aller jusqu'à relier explicitement le droit de disposer de son corps à la notion d'autonomie personnelle, parmi les grands, peut-être même les beaux arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme.

DOCUMENT3:CEDH,gd.Ch.Bouyidc/Belgique,D.2015obs.Sadoun-Jarin

Résumé Par un arrêt de Grande Chambre du 28 septembre 2015, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré que la gifle portée aux deux requérants par des agents des forces de l'ordre, alors qu'ils se trouvaient sous leur contrôle, était constitutive d'une violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme sur l'interdiction des traitements inhumains et dégradants.

Le 8 décembre 2003 et le 23 février 2004, deux frères, S. et M. B… ont affirmé avoir reçu des gifles alors qu'ils se trouvaient au commissariat. En 2003, S. B… aurait refusé de se soumettre à un contrôle d'identité et a été conduit au commissariat de Saint-Josse-ten-Noode en Belgique. Alors placé dans une salle du commissariat, il aurait été giflé par un agent des forces de l'ordre. Le requérant avait alors fait établir un certificat médical le jour même, constatant un « état de choc » et un érythème à la joue gauche, au niveau du conduit auditif. En 2004, alors qu'il était entendu par la police dans ce même commissariat, M. B… aurait reçu une gifle infligée par un policier. Le requérant avait également fait établir un certificat médical qui constatait une contusion à la joue gauche.

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Après avoir tous deux déposé plainte auprès du comité permanent de contrôle des services de police, ils se constituèrent partie civile le 17 juin 2004. Le juge d'instruction transmit le dossier au parquet. Le procureur du Roi requit un non-lieu et la chambre du conseil une ordonnance de non-lieu à poursuivre. Le procureur général requit la confirmation de cette ordonnance. Par un arrêt du 9 avril 2008, la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Bruxelles confirma cette ordonnance, considérant qu'il n'existait aucune charge à l'égard des policiers. S. et M. B… formèrent un pourvoi en cassation qui fut rejeté le 29 octobre 2008. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a alors été saisie par les deux requérants sur le fondement des articles 3 (interdiction de la torture et traitements inhumains et dégradants), 6, § 1 (droit au procès équitable), et 13 (droit à un recours effectif) de la Convention européenne des droits de l'homme. Les requérants estimaient que la gifle, infligée dans un commissariat de police, par des officiers de police, relevait d'un traitement inhumain et dégradant. Le 29 avril 2009, la requête a été introduite devant la Cour qui a rendu un arrêt de chambre le 21 novembre 2013 en jugeant à l'unanimité à la non-violation de la Convention en considérant que les faits, à les supposer réels, ne constituaient pas des traitements inhumains et dégradants (V. CEDH 21 nov. 2013, n° 23380/09, Dalloz actualité 16 déc. 2013, obs. A. Portman ; D. 2013. 2774, obs. F. Laffaille ). Les requérants ont alors sollicité le renvoi de leur affaire devant la Grande Chambre. L'arrêt a été rendu le 28 septembre 2015. La Cour considère que les requérants avaient fourni des certificats médicaux décrivant leur blessure immédiatement après leur sortie du commissariat et qu'il n'était pas démenti qu'ils ne présentaient pas ces marques préalablement à leur entrée au commissariat. Dès lors, elle a considéré que ce fait était avéré. La cour juge également que, lorsqu'un individu est privé de sa liberté, il en devient particulièrement vulnérable et que la force physique ne doit être utilisée que lorsqu'elle est rendue strictement nécessaire. Ainsi, lorsque les forces de l'ordre portent atteinte à la dignité humaine, cela constitue une violation de l'article 3 de la Convention européenne. Une gifle portée sur le visage par un représentant des forces de l'ordre à un individu se trouvant sous son contrôle constitue effectivement une atteinte à la dignité de ce dernier. La CEDH explique par là même que le visage est la partie du corps qui exprime une individualité, « marque son identité sociale et constitue le support des sens qui servent à communiquer avec autrui » (V. CEDH 27 janv. 2009, n° 16999/04, Samüt Karabulut c. Turquie). Ainsi, dès lors que la victime a le sentiment d'être humiliée « à ses propres yeux », cela suffit à constituer à traitement inhumain et dégradant (V. CEDH 7 janv. 2010, n° 32130/03, Petyo Petkov c. Bulgarie). En outre, la Cour ajoute que la violence ne doit jamais être une réponse dans une société démocratique, quand bien même l'agent aurait été « excédé » par l'historique des deux requérants. Il faut ajouter à cet égard que S. était mineur à l'époque des faits. Ainsi, ce mauvais traitement aurait pu avoir un impact psychologique sur son développement futur, dans la mesure où celui-ci était plus particulièrement vulnérable. État de vulnérabilité que la cour a déjà rappelé à de nombreuses reprises (V. CEDH 19 févr. 2013, n° 1285/03, Roumanie, Dalloz actualité, 11 mars 2013, obs. J. Gaté ; AJ fam. 2013. 232, obs. G. Vial ; 1er avr. 2004, n° 59584/00, AJ pénal 2004. 206, obs. J. Coste ; RSC 2005. 630, obs. F. Massias ; CEDH 4 nov. 2010, Darraj c. France, n° 34588/07, Dalloz actualité, 10 nov. 2010, obs. S. Lavric ). Ainsi dans l'arrêt Davydov et autres c. Ukraine (1er juill. 2010, nos 17674/02 et 39081/02), la Cour avait déjà jugé que l'article 3 mettait à la charge des États l'obligation de former les agents de la force publique de manière à ce qu'ils aient un haut niveau de compétence dans leur conduite professionnelle, afin que personne ne soit exposé de leur part à des traitements contraires à cette disposition. À titre plus subsidiaire, l'arrêt de la Grande Chambre traite également de la procédure qui a été suivie dans cette affaire. Les requérants considéraient que la procédure en droit belge n'avait pas été respectée. La Cour constate alors que le juge d'instruction n'a pas procédé ou fait procéder à une confrontation entre les policiers et les deux frères ni même fait auditionner les médecins qui ont établi les certificats

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médicaux. Toute l'attention requise au bon déroulement d'un procès équitable n'a pas été accordée aux deux requérants par les juridictions d'instruction belge, instruction qui a d'ailleurs duré particulièrement longtemps. DOCUMENTN°4:CE,27octobre1995,MorsangsurOrge

Vu la requête enregistrée le 24 avril 1992 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la commune de Morsang-sur-Orge, représentée par son maire en exercice domicilié en cette qualité en l'hôtel de ville ; la commune de Morsang-sur-Orge demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler le jugement du 25 février 1992 par lequel le tribunal administratif de Versailles a, à la demande de la société Fun Production et de M. X..., d'une part, annulé l'arrêté du 25 octobre 1991 par lequel son maire a interdit le spectacle de "lancer de nains" prévu le 25 octobre 1991 à la discothèque de l'Embassy Club, d'autre part, l'a condamnée à verser à ladite société et à M. X... la somme de 10 000 F en réparation du préjudice résultant dudit arrêté ; 2°) de condamner la société Fun Production et M. X... à lui verser la somme de 10 000 F au titre de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu le code des communes et notamment son article L. 131-2 ; Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ; Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ; Après avoir entendu en audience publique : - le rapport de Mlle Laigneau, Maître des Requêtes, - les observations de Me Baraduc-Bénabent, avocat de la commune de Morsang-sur-Orge et de Me Bertrand, avocat de M. X..., - les conclusions de M. Frydman, Commissaire du gouvernement ; Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête : Considérant qu'aux termes de l'article L. 131-2 du code des communes : "La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique" ; Considérant qu'il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police municipale de prendre toute mesure pour prévenir une atteinte à l'ordre public ; que le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l'ordre public ; que l'autorité investie du pouvoir de police municipale peut, même en l'absence de circonstances locales particulières, interdire une attraction qui porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine ; Considérant que l'attraction de "lancer de nain" consistant à faire lancer un nain par des spectateurs conduit à utiliser comme un projectile une personne affectée d'un handicap physique et présentée comme telle ; que, par son objet même, une telle attraction porte atteinte à la dignité de la personne humaine ; que l'autorité investie du pouvoir de police municipale pouvait, dès lors, l'interdire même en l'absence de circonstances locales particulières et alors même que des mesures de protection avaient été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prêtait librement à cette exhibition, contre rémunération ; Considérant que, pour annuler l'arrêté du 25 octobre 1991 du maire de Morsang-sur-Orge interdisant le spectacle de "lancer de nains" prévu le même jour dans une discothèque de la ville, le tribunal administratif de Versailles s'est fondé sur le fait qu'à supposer même que le spectacle ait porté atteinte à la dignité de la personne humaine, son interdiction ne pouvait être légalement prononcée en l'absence de circonstances locales particulières ; qu'il résulte de ce qui précède qu'un tel motif est erroné en droit ; Considérant que le respect du principe de la liberté du travail et de celui de la liberté du commerce et de l'industrie ne fait pas obstacle à ce que l'autorité investie du pouvoir de police municipale interdise une activité même licite si une telle mesure est seule de nature à prévenir ou faire cesser un trouble à l'ordre public ; que tel est le cas en l'espèce, eu égard à la nature de l'attraction en cause ;

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Considérant que le maire de Morsang-sur-Orge ayant fondé sa décision sur les dispositions précitées de l'article L. 131-2 du code des communes qui justifiaient, à elles seules, une mesure d'interdiction du spectacle, le moyen tiré de ce que cette décision ne pouvait trouver sa base légale ni dans l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni dans une circulaire du ministre de l'intérieur, du 27 novembre 1991, est inopérant ; Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a prononcé l'annulation de l'arrêté du maire de Morsang-sur-Orge. DOCUMENT5:CEDHVOc.France8juillet2004 La Cour européenne des Droits de l’Homme a prononcé aujourd’hui en audience publique son arrêt[1] de Grande Chambre dans l’affaire Vo c. France (requête no 53924/00). La Cour conclut, par 14 voix contre trois, à la non-violation de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des Droits de l’Homme. 1. Principaux faits La requérante, Thi-Nho Vo, est une ressortissante française née en 1967 et résidant à Bourg-en-Bresse (France). Le 27 novembre 1991, elle se présenta à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu de Lyon pour y subir la visite médicale du sixième mois de sa grossesse. Le même jour, une autre femme nommée Thi Thanh Van Vo devait se faire enlever un stérilet dans le même établissement. A la suite d’une confusion résultant de l’homonymie entre les deux patientes, le médecin procéda à un examen de la requérante et provoqua une rupture de la poche des eaux, rendant nécessaire un avortement thérapeutique. Suite à la plainte déposée par la requérante et son époux en 1991, le médecin fut mis en examen pour blessures involontaires et la poursuite fut élargie au chef d’homicide involontaire. Par un jugement du 3 juin 1996, le tribunal correctionnel de Lyon relaxa le médecin. La requérante interjeta appel du jugement. Le 13 mars 1997, la cour d’appel de Lyon infirma le jugement du tribunal correctionnel, déclara le médecin coupable d’homicide involontaire et le condamna à six mois d’emprisonnement avec sursis et 10 000 francs (soit environ 1 500 euros) d’amende. Le 30 juin 1999, la Cour de cassation cassa l’arrêt de la cour d’appel au motif que les faits litigieux ne relevaient pas des dispositions relatives à l’homicide involontaire, refusant ainsi de considérer le fœtus comme une personne humaine pénalement protégée. 3. Résumé de l’arrêt[3] Invoquant l’article 2 de la Convention, la requérante dénonçait le refus des autorités de qualifier d’homicide involontaire l’atteinte à la vie de l’enfant à naître qu’elle portait. Elle soutenait que la France a l’obligation de mettre en place une législation pénale visant à réprimer et sanctionner une telle atteinte. Décision de la Cour De l’avis de la Cour, le point de départ du droit à la vie relève de l’appréciation des Etats. Cela tient, d’une part, au fait que la majorité des pays ayant ratifié la Convention n’ont pas arrêté la solution à donner à cette question, et en particulier en France où elle donne lieu à un débat et, d’autre part, à l’absence de consensus européen sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie. Il ressort de la jurisprudence française et d’un récent débat législatif sur l’opportunité de créer un délit d’interruption involontaire de grossesse que la nature et le statut juridique de l’embryon et/ou du foetus ne sont pas définis actuellement en France et que la façon d’assurer sa protection dépend de positions fort variées au sein de la société française. Quant au plan européen, il n’y a pas de consensus sur la nature et le statut de l’embryon et/ou du foetus ; tout au plus peut-on trouver comme dénominateur commun l’appartenance à l’espèce humaine. C’est la potentialité de cet être et sa capacité à devenir une personne qui doivent être protégés au nom de la dignité humaine sans pour autant en faire une personne qui aurait un droit à la vie au sens de l’article 2. Eu égard à ces considérations, la Cour est convaincue qu’il n’est ni souhaitable, ni même possible actuellement de répondre dans l’abstrait à la question de savoir si l’enfant à naître est une « personne » au sens de l’article 2 de la Convention.

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Quant à la présente requête, la Cour considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le point de savoir si la fin brutale de la grossesse de Mme Vo entre ou non dans le champ d’application de l’article 2, dans la mesure où, à supposer même que celui-ci s’appliquerait, les exigences liées à la préservation de la vie dans le domaine de la santé publique n’ont pas été méconnues par la France. La Cour constate en effet que l’enfant à naître n’est pas privé de toute protection en droit français. Contrairement à ce que soutient Mme Vo, l’obligation positive des Etats - consistant dans le domaine de la santé publique à adopter des mesures propres à assurer la protection de la vie des malades et à mener une enquête sur les circonstances du décès – n’exige pas nécessairement un recours de nature pénale. En l’espèce, en plus des poursuites pénales contre le médecin pour blessures involontaires sur sa personne, la requérante avait la possibilité d’engager un recours administratif qui avait de sérieuses chances de succès. Ce recours aurait permis d’établir la faute médicale et de garantir dans l’ensemble la réparation du dommage causé par la faute du médecin. Des poursuites pénales ne s’imposaient donc pas en l’espèce. Par conséquent, à supposer même que l’article 2 de la Convention trouve à s’appliquer en l’espèce, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition. DOCUMENT 6 : Conseil constitutionnel QPC 2 juin 2017, n° 2017-632

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 mars 2017 par le Conseil d'État (décision n° 403944 du 3 mars 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-632 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 1110-5-1, L. 1110-5-2 et L. 1111-4 du code de la santé publique, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.

Au vu des textes suivants :

• la Constitution ; • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil

constitutionnel ; • le code de la santé publique ; • la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des

personnes en fin de vie ; • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les

questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

• les observations présentées pour l'association requérante par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées les 28 mars 2017 et 12 avril 2017 ;

• les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28 mars 2017 ; • les pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me François Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'association requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 23 mai 2017 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

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1. L'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi du 2 février 2016 mentionnée ci-dessus prévoit : « Les actes mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu'ils résultent d'une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire. « La nutrition et l'hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés conformément au premier alinéa du présent article. « Lorsque les actes mentionnés aux deux premiers alinéas du présent article sont suspendus ou ne sont pas entrepris, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l'article L. 1110-10 ».

2. L'article L. 1110-5-2 du même code dans sa rédaction issue de la même loi prévoit : « À la demande du patient d'éviter toute souffrance et de ne pas subir d'obstination déraisonnable, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie et à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie, est mise en œuvre dans les cas suivants : « 1° Lorsque le patient atteint d'une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements ; « 2° Lorsque la décision du patient atteint d'une affection grave et incurable d'arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d'entraîner une souffrance insupportable. « Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et, au titre du refus de l'obstination déraisonnable mentionnée à l'article L. 1110-5-1, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, celui-ci applique une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie. « La sédation profonde et continue associée à une analgésie prévue au présent article est mise en œuvre selon la procédure collégiale définie par voie réglementaire qui permet à l'équipe soignante de vérifier préalablement que les conditions d'application prévues aux alinéas précédents sont remplies. « À la demande du patient, la sédation profonde et continue peut être mise en œuvre à son domicile, dans un établissement de santé ou un établissement mentionné au 6° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles. « L'ensemble de la procédure suivie est inscrite au dossier médical du patient ».

3. L'article L. 1111-4 du même code dans sa rédaction résultant de la même loi prévoit : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. « Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. Le suivi du malade reste cependant assuré par le médecin, notamment son accompagnement palliatif. « Le médecin a l'obligation de respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Si, par sa volonté de refuser ou d'interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable. Elle peut faire appel à un autre membre du corps médical. L'ensemble de la procédure est inscrite dans le dossier médical du patient. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l'article L. 1110-10. « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. « Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté. « Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible d'entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne

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de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. « Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le cas où le refus d'un traitement par la personne titulaire de l'autorité parentale ou par le tuteur risque d'entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables. « L'examen d'une personne malade dans le cadre d'un enseignement clinique requiert son consentement préalable. Les étudiants qui reçoivent cet enseignement doivent être au préalable informés de la nécessité de respecter les droits des malades énoncés au présent titre. « Les dispositions du présent article s'appliquent sans préjudice des dispositions particulières relatives au consentement de la personne pour certaines catégories de soins ou d'interventions ».

4. Selon l'association requérante, ces dispositions méconnaîtraient l'article 34 de la Constitution en ce qu'elles priveraient de garanties légales, d'une part, le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine dont découlerait le droit à la vie et, d'autre part, la liberté personnelle, protégée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Ces dispositions ne garantiraient pas le respect de la volonté du patient, lorsque ce dernier est hors d'état de l'exprimer, dans la mesure où, à l'issue d'une procédure collégiale dont la définition est renvoyée au pouvoir réglementaire, le médecin décide seul de l'arrêt des traitements sans être lié par le sens des avis recueillis. L'association requérante reproche aussi à ces mêmes dispositions de méconnaître le droit à un recours juridictionnel effectif, découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789, en l'absence de caractère suspensif des recours formés à l'encontre de la décision d'arrêter les soins de maintien en vie.

5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire » figurant au premier alinéa de l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique, sur le cinquième alinéa de l'article L. 1110-5-2 du même code et sur les mots « la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et » figurant au sixième alinéa de l'article L. 1111-4 du même code.

- Sur les griefs tirés de la méconnaissance du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et de la liberté personnelle et l'incompétence négative du législateur :

6. Le Préambule de la Constitution de 1946 réaffirme que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. La sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d'asservissement et de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur constitutionnelle.

7. La liberté personnelle est proclamée par les articles 1er, 2 et 4 de la Déclaration de 1789. 8. Il appartient, dès lors, au législateur, compétent en application de l'article 34 de la Constitution

pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, notamment en matière médicale, de déterminer les conditions dans lesquelles une décision d'arrêt des traitements de maintien en vie peut être prise, dans le respect de la dignité de la personne.

9. Les dispositions contestées habilitent le médecin en charge d'un patient hors d'état d'exprimer sa volonté à arrêter ou à ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. Dans ce cas, le médecin applique une sédation profonde et continue jusqu'au décès, associée à une analgésie.

10. Toutefois, en premier lieu, le médecin doit préalablement s'enquérir de la volonté présumée du patient. Il est à cet égard tenu, en vertu de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique, de respecter les directives anticipées formulées par ce dernier, sauf à les écarter si elles apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient. En leur

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absence, il doit consulter la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, sa famille ou ses proches.

11. En deuxième lieu, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conditions dans lesquelles, en l'absence de volonté connue du patient, le médecin peut prendre, dans une situation d'obstination thérapeutique déraisonnable, une décision d'arrêt ou de poursuite des traitements. Lorsque la volonté du patient demeure incertaine ou inconnue, le médecin ne peut cependant se fonder sur cette seule circonstance, dont il ne peut déduire aucune présomption, pour décider de l'arrêt des traitements.

12. En troisième lieu, la décision du médecin ne peut être prise qu'à l'issue d'une procédure collégiale destinée à l'éclairer. Cette procédure permet à l'équipe soignante en charge du patient de vérifier le respect des conditions légales et médicales d'arrêt des soins et de mise en œuvre, dans ce cas, d'une sédation profonde et continue, associée à une analgésie.

13. En dernier lieu, la décision du médecin et son appréciation de la volonté du patient sont soumises, le cas échéant, au contrôle du juge dans les conditions prévues aux paragraphes 16 et 17.

14. Il résulte de tout ce qui précède qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur, qui a assorti de garanties suffisantes la procédure qu'il a mise en place, n'a pas porté d'atteinte inconstitutionnelle au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et à la liberté personnelle. Les griefs tirés de leur méconnaissance et de celle de l'article 34 de la Constitution doivent donc être écartés.

- Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif :

15. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Est garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif.

16. En l'absence de dispositions particulières, le recours contre la décision du médecin relative à l'arrêt ou à la limitation des soins de maintien en vie d'une personne hors d'état d'exprimer sa volonté s'exerce dans les conditions du droit commun.

17. S'agissant d'une décision d'arrêt ou de limitation de traitements de maintien en vie conduisant au décès d'une personne hors d'état d'exprimer sa volonté, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que cette décision soit notifiée aux personnes auprès desquelles le médecin s'est enquis de la volonté du patient, dans des conditions leur permettant d'exercer un recours en temps utile. Ce recours doit par ailleurs pouvoir être examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente aux fins d'obtenir la suspension éventuelle de la décision contestée. Sous ces réserves, le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif doit être écarté.

18. Il résulte de tout ce qui précède que, sous les réserves énoncées au paragraphe 17, les mots « et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire » figurant au premier alinéa de l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique, le cinquième alinéa de l'article L. 1110-5-2 du même code et les mots « la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et » figurant au sixième alinéa de l'article L. 1111-4 du même code, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Sous les réserves énoncées au paragraphe 17, les mots « et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire » figurant au premier alinéa de l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique, le cinquième alinéa de l'article L. 1110-5-2 du même code, et les mots « la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et » figurant au sixième alinéa de l'article L. 1111-4 du même code, dans leur rédaction résultant de la loi n°

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2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, sont conformes à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 1er juin 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT. Rendu public le 2 juin 2017.

DOCUMENT7:CE,24juin2014,V.Lambert Résumé : 26-055 Eu égard à l'office particulier qui est celui du juge des référés lorsqu'il est saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une décision prise par un médecin en application du code de la santé publique et conduisant à interrompre ou à ne pas entreprendre un traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination déraisonnable et que l'exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie, il lui appartient, dans ce cadre, d'examiner un moyen tiré de l'incompatibilité des dispositions législatives dont il a été fait application avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. 26-055-01-02 Les dispositions des articles L. 1110-5, L. 1111-4 et R. 4127-37 du code de la santé publique ont défini un cadre juridique réaffirmant le droit de toute personne de recevoir les soins les plus appropriés, le droit de voir respectée sa volonté de refuser tout traitement et le droit de ne pas subir un traitement médical qui traduirait une obstination déraisonnable. Ces dispositions ne permettent à un médecin de prendre, à l'égard d'une personne hors d'état d'exprimer sa volonté, une décision de limitation ou d'arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger que sous la double et stricte condition que la poursuite de ce traitement traduise une obstination déraisonnable et que soient respectées les garanties tenant à la prise en compte des souhaits éventuellement exprimés par le patient, à la consultation d'au moins un autre médecin et de l'équipe soignante et à la consultation de la personne de confiance, de la famille ou d'un proche. Une telle décision du médecin est susceptible de faire l'objet d'un recours devant une juridiction pour s'assurer que les conditions fixées par la loi ont été remplies.,,,Prises dans leur ensemble, eu égard à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles doivent être mises en oeuvre, les dispositions contestées du code de la santé publique ne peuvent être regardées comme incompatibles avec les stipulations de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aux termes desquelles le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement (…) . 26-055-01-08-02 Les dispositions des articles L. 1110-5, L. 1111-4 et R. 4127-37 du code de la santé publique ont défini un cadre juridique réaffirmant le droit de toute personne de recevoir les soins les plus appropriés, le droit de voir respectée sa volonté de refuser tout traitement et le droit de ne pas subir un traitement médical qui traduirait une obstination déraisonnable. Ces dispositions ne permettent à un médecin de prendre, à l'égard d'une personne hors d'état d'exprimer sa volonté, une décision de limitation ou d'arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger que sous la double et stricte condition que la poursuite de ce traitement traduise une obstination déraisonnable et que soient respectées les garanties tenant à la prise en compte des souhaits éventuellement exprimés par le patient, à la consultation d'au moins un autre médecin et de l'équipe soignante et à la consultation de la personne de confiance, de la famille ou d'un proche. Une telle décision du médecin est susceptible de faire l'objet d'un recours devant une juridiction pour s'assurer que les conditions fixées par la loi ont été remplies.,,,Prises dans leur ensemble, eu égard à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles doivent être mises en oeuvre, les dispositions contestées du code de la santé publique ne peuvent être regardées comme incompatibles avec les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale. 54-035-03-04 Eu égard à l'office particulier qui est celui du juge des référés lorsqu'il est saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une décision prise par un médecin

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en application du code de la santé publique et conduisant à interrompre ou à ne pas entreprendre un traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination déraisonnable et que l'exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie, il lui appartient, dans ce cadre, d'examiner un moyen tiré de l'incompatibilité des dispositions législatives dont il a été fait application avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH). 61 1) a) Si l'alimentation et l'hydratation artificielles sont au nombre des traitements susceptibles d'être arrêtés lorsque leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable, la seule circonstance qu'une personne soit dans un état irréversible d'inconscience ou, à plus forte raison, de perte d'autonomie la rendant tributaire d'un tel mode d'alimentation et d'hydratation ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite de ce traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l'obstination déraisonnable.,,,b) Pour apprécier si les conditions d'un arrêt d'alimentation et d'hydratation artificielles sont réunies s'agissant d'un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu'en soit l'origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d'état d'exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend de ce mode d'alimentation et d'hydratation, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité.,,,Outre i) les éléments médicaux, qui doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l'état actuel du patient, sur l'évolution de son état depuis la survenance de l'accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique, le médecin doit ii) accorder une importance toute particulière à la volonté que le patient peut avoir, le cas échéant, antérieurement exprimée, quels qu'en soient la forme et le sens. A cet égard, dans l'hypothèse où cette volonté demeurerait inconnue, elle ne peut être présumée comme consistant en un refus du patient d'être maintenu en vie dans les conditions présentes. Le médecin doit également prendre en compte les avis de la personne de confiance, dans le cas où elle a été désignée par le patient, des membres de sa famille ou, à défaut, de l'un de ses proches, en s'efforçant de dégager une position consensuelle. Il doit, dans l'examen de la situation propre de son patient, être avant tout guidé par le souci de la plus grande bienfaisance à son égard.,,,2) Si le médecin décide de prendre une telle décision en fonction de son appréciation de la situation, il lui appartient de sauvegarder en tout état de cause la dignité du patient et de lui dispenser des soins palliatifs. 61-05 1) a) Si l'alimentation et l'hydratation artificielles sont au nombre des traitements susceptibles d'être arrêtés lorsque leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable, la seule circonstance qu'une personne soit dans un état irréversible d'inconscience ou, à plus forte raison, de perte d'autonomie la rendant tributaire d'un tel mode d'alimentation et d'hydratation ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite de ce traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l'obstination déraisonnable.,,,b) Pour apprécier si les conditions d'un arrêt d'alimentation et d'hydratation artificielles sont réunies s'agissant d'un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu'en soit l'origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d'état d'exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend de ce mode d'alimentation et d'hydratation, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité.,,,Outre i) les éléments médicaux, qui doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l'état actuel du patient, sur l'évolution de son état depuis la survenance de l'accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique, le médecin doit ii) accorder une importance toute particulière à la volonté que le patient peut avoir, le cas échéant, antérieurement exprimée, quels qu'en soient la forme et le sens. A cet égard, dans l'hypothèse où cette volonté demeurerait inconnue, elle ne peut être présumée comme consistant en un refus du patient d'être maintenu en vie dans les conditions présentes. Le médecin doit également prendre en compte les avis de la personne de confiance, dans le cas où elle a été désignée par le patient, des membres de sa famille ou, à défaut, de l'un de ses proches, en s'efforçant de dégager une position consensuelle. Il doit, dans l'examen de la situation propre de son patient, être avant tout guidé par le souci de la plus grande bienfaisance à son égard.,,,2) Si le médecin décide de prendre une telle décision en fonction de son appréciation de la situation, il lui appartient de sauvegarder en tout état de cause la dignité du patient et de lui dispenser des soins palliatifs.

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DOCUMENT8:Conseil d'État 5 janvier 2018 N° 416689 Publié au recueil Lebon Juge des référés, formation collégiale M. le Pdt. Bernard Stirn, rapporteur Vu la procédure suivante : Mme D...B...et M. E...F...ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nancy, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à titre principal, d'ordonner au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy de suspendre l'exécution de la décision du 21 juillet 2017 prévoyant de mettre fin aux traitements prodigués à leur fille, A...F..., et, à titre subsidiaire, d'une part, de suspendre à titre conservatoire l'exécution de cette décision et, d'autre part, de prescrire une expertise médicale, confiée à un collège de trois médecins ayant pour mission de décrire l'état clinique actuel d'A... F...et son évolution depuis son hospitalisation et de se prononcer sur le caractère irréversible des lésions neurologiques, sur le pronostic clinique et sur l'intérêt de maintenir ou non les traitements en cause. Par une ordonnance n° 1702368 du 14 septembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy, statuant dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, a, avant de statuer sur la requête, d'une part, ordonné qu'il soit procédé, dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative, à une expertise confiée à un collège composé d'un médecin-réanimateur et de deux neuropédiatres, désignés par la présidente du tribunal administratif de Nancy, avec pour mission, dans un délai de deux mois à compter de la constitution du collège, en premier lieu, de décrire l'état clinique actuel d'A... F...et son évolution depuis son hospitalisation au CHRU de Nancy et, en particulier, d'indiquer son niveau de souffrance, en deuxième lieu, de déterminer si la patiente est en mesure de communiquer, de quelque manière que ce soit, avec son entourage, en troisième lieu, de se prononcer sur le caractère irréversible des lésions neurologiques de l'enfant, sur le pronostic clinique et sur le caractère raisonnable ou non du maintien de l'assistance respiratoire par voie mécanique ou au moyen d'interventions qui seront précisées et, en quatrième lieu, si la poursuite de cette assistance s'avère nécessaire, de préciser si des interventions complémentaires doivent être mises en oeuvre et, auquel cas, d'indiquer lesquelles et, d'autre part, suspendu l'exécution de la décision du 21 juillet 2017 dans l'attente de la décision du juge des référés qui interviendrait au vu des conclusions du rapport d'expertise. Par une ordonnance n° 1702368 du 7 décembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a, au vu du rapport d'expertise remis le 17 novembre 2017, rejeté la demande de Mme B...et M.F.... Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 et 28 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B...et M. F...demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : 1°) d'annuler cette ordonnance ; 2°) de suspendre l'exécution de la décision d'arrêt des soins prise par le docteur Boussard du 21 juillet 2017 et notifiée le 3 août 2017 ; 3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Nancy la somme de 3 000 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative. Ils soutiennent que : - la condition d'urgence est remplie au regard du caractère irréversible qui s'attacherait à l'exécution de la décision d'arrêt de la ventilation mécanique et à l'atteinte irrémédiable qui serait portée à la vie d'A...F... ; - il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie d'A... F...et au droit au respect du consentement dès lors que la décision d'arrêter les traitements méconnaît, d'une part, les dispositions de l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique et, d'autre part, celles de l'article R. 4127-42 du même code en ce qu'elle intervient en désaccord avec l'avis des parents de la patiente ;

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- l'état de leur fille, que l'ordonnance du juge des référés a caractérisé comme un état irréversible de perte d'autonomie la rendant tributaire des moyens de suppléance de ses fonctions vitales, ne constitue pas une situation dans laquelle la poursuite du traitement en cause serait injustifiée au nom du refus de l'obstination déraisonnable ; - l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique, s'il permet qu'il puisse être passé outre au refus des parents de voir cesser les traitements de leur enfant, méconnaît les dispositions de l'article 371-1 du code civil ainsi que celles des articles L. 1111-2 et L. 1111-4 du code de la santé publique, auxquels la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie n'a pas entendu déroger ; - l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique, s'il permet qu'il puisse être passé outre au refus des parents de voir cesser les traitements de leur enfant, méconnaît la convention du Conseil de l'Europe pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine signée à Oviedo le 4 avril 1997, dont la ratification a été autorisée par la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, en particulier son article 6 qui garantit aux seuls titulaires de l'autorité parentale le droit de consentir aux soins d'un enfant mineur. Par un mémoire en défense, enregistré le 26 décembre 2017, le centre hospitalier régional universitaire de Nancy conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés. Vu les autres pièces du dossier ; Vu : - la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; - la convention européenne pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine signée à Oviedo le 4 avril 1997 ; - le code civil ; - le code de la santé publique ; - la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017 ; - le code de justice administrative ; Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme B...et M. F..., d'autre part, le centre hospitalier régional universitaire de Nancy et la ministre des solidarités et de la santé ; Vu le procès-verbal de l'audience publique du jeudi 28 décembre 2017 à 16 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus : - Me Bouzidi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... et M. F...; - Mme B...et M.F... ; - Me Boutet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du centre hospitalier régional universitaire de Nancy ; - les représentants du centre hospitalier régional universitaire de Nancy ; et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ; Considérant ce qui suit : 1. Il résulte de l'instruction que la jeune A...F..., née le 11 janvier 2003, qui souffrait d'une myasthénie auto-immune sévère, a été trouvée inanimée à son domicile, dans la matinée du 22 juin 2017 à la suite d'un arrêt cardio-respiratoire. Elle a été prise en charge en urgence et transférée au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy, où la ventilation mécanique a été poursuivie et où il a été procédé à la pose d'une voie veineuse centrale, d'une sonde gastrique et d'une sonde urinaire ainsi qu'à une sédation analgésique. Après avoir réalisé des électroencéphalogrammes, les 23 juin, 25 juin, 28 juin

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et 3 juillet 2017 ainsi qu'une imagerie par résonance magnétique (IRM) le 28 juin 2017, l'équipe médicale a constaté une évolution neurologique très défavorable avec absence de réveil, myoclonies sous corticales, absence de réactivité et d'organisation des tracés électroencéphalographiques et lésions ischémiques diffuses sur l'IRM, impliquant le tronc cérébral et le noyau gris. Dans ces conditions, le médecin responsable du service d'anesthésie-réanimation pédiatrique du CHRU de Nancy, après avoir recherché vainement un consensus avec les parents sur l'arrêt des soins, a décidé d'engager la procédure collégiale prévue à l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique. Une réunion collégiale s'est tenue le 21 juillet 2017, en présence notamment d'un consultant extérieur, professeur honoraire de pédiatrie, à l'issue de laquelle a été décidé l'arrêt de la ventilation mécanique et l'extubation d'A..., en raison du caractère sévère des lésions neurologiques constatées, de possibilités d'amélioration ou de guérison quasi-nulles selon les données actuelles de la science et d'un état pauci-relationnel avec persistance d'un coma aréflexique et disparition des réflexes du tronc cérébral. Afin de préserver le droit au recours effectif, il a toutefois été prévu que la décision ne serait pas appliquée dans l'hypothèse d'un recours des parents d'A.... La décision a été notifiée aux parents de la jeune A...par un courrier du 3 août 2017. 2. M. F...et Mme B...ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nancy, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le 11 septembre 2017, afin que soit ordonnée la suspension de l'exécution de la décision du 21 juillet 2017. Le juge des référés du tribunal administratif de Nancy, statuant dans les conditions prévues à l'article L. 511-2 du code de justice administrative, a, par une première ordonnance en date du 14 septembre 2017, ordonné une expertise, qu'il a confiée à un collège de trois experts, et suspendu, dans l'attente de leur rapport, l'exécution de la décision en cause puis, après la remise du rapport des experts, par une seconde ordonnance rendue le 7 décembre 2017, a rejeté la demande de M. F...et MmeB.... Ces derniers font appel de cette ordonnance. Sur l'office du juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : 3. Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative : " Lorsque la nature de l'affaire le justifie, le président du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel ou, au Conseil d'Etat, le président de la section du contentieux peut décider qu'elle sera jugée, dans les conditions prévues au présent livre, par une formation composée de trois juges des référés, sans préjudice du renvoi de l'affaire à une autre formation de jugement dans les conditions de droit commun ". 4. L'article L. 521-2 du code de justice administrative dispose que : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". 5. En vertu de ce dernier article, le juge administratif des référés, saisi d'une demande en ce sens justifiée par une urgence particulière, peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale. Ces dispositions législatives confèrent au juge des référés, qui se prononce en principe seul et qui statue, en vertu de l'article L. 511-1 du code de justice administrative, par des mesures qui présentent un caractère provisoire, le pouvoir de prendre, dans les délais les plus brefs et au regard de critères d'évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à la protection des libertés fondamentales. 6. Toutefois, il appartient au juge des référés d'exercer ses pouvoirs de manière particulière, lorsqu'il est saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une décision, prise par un médecin, dans le cadre défini par le code de la santé publique, et conduisant à arrêter ou ne pas mettre en oeuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, un traitement qui apparaît inutile ou disproportionné ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, dans la mesure où l'exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie. Il doit alors, le cas échéant en

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formation collégiale conformément à ce que prévoit le troisième alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à son exécution lorsque cette décision pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en procédant à la conciliation des libertés fondamentales en cause, que sont le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d'une obstination déraisonnable. Sur le cadre juridique applicable au litige : 7. Le cadre juridique applicable au litige est défini par les dispositions législatives du code de la santé publique, modifiées en dernier lieu par la loi du 2 février 2016. Aux termes de l'article L. 1110-1 du code la santé publique : " Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. ". L'article L. 1110-2 de ce code dispose que : " La personne malade a droit au respect de sa dignité ". Aux termes de l'article L. 1110-5 du même code : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. (...) ". Aux termes de l'article L. 1110-5-1 du même code : " Les actes mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en oeuvre ou poursuivis lorsqu'ils résultent d'une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire. (...) ". Aux termes de l'article L. 1110-5-2 du même code : " (...) Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et, au titre du refus de l'obstination déraisonnable mentionnée à l'article L. 1110-5-1, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, celui-ci applique une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie. / La sédation profonde et continue associée à une analgésie prévue au présent article est mise en oeuvre selon la procédure collégiale définie par voie réglementaire qui permet à l'équipe soignante de vérifier préalablement que les conditions d'application prévues aux alinéas précédents sont remplies. (...) ". Aux termes de l'article L. 1111-4 du même code : " (...) Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible d'entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. (...) / Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision (...) ". Le III de l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique précise enfin que : " La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient à l'issue de la procédure collégiale. Cette procédure collégiale prend la forme d'une concertation avec les membres présents de l'équipe de soins, si elle existe, et de l'avis motivé d'au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L'avis motivé d'un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l'un d'eux l'estime utile. / Lorsque la décision de limitation ou d'arrêt de traitement concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille en outre l'avis des titulaires de l'autorité parentale ou du tuteur, selon les cas, hormis les situations où l'urgence rend impossible cette consultation. (...) ". 8. Il résulte des dispositions législatives citées au point 7, ainsi que de l'interprétation que le Conseil constitutionnel en a donnée dans sa décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, qu'il appartient au médecin en charge d'un patient hors d'état d'exprimer sa volonté d'arrêter ou de ne pas mettre en oeuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. Dans pareille hypothèse, le médecin ne peut prendre une telle décision qu'à l'issue d'une procédure collégiale, destinée à l'éclairer sur le respect des

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conditions légales et médicales d'un arrêt du traitement, et, sauf dans les cas mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique, dans le respect des directives anticipées du patient, ou, à défaut de telles directives, après consultation de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches. 9. Quand le patient hors d'état d'exprimer sa volonté est un mineur, il incombe au médecin, non seulement de rechercher, en consultant sa famille et ses proches et en tenant compte de l'âge du patient, si sa volonté a pu trouver à s'exprimer antérieurement, mais également, ainsi que le rappelle l'article R. 4127-42 du code de la santé publique, de s'efforcer, en y attachant une attention particulière, de parvenir à un accord sur la décision à prendre avec ses parents ou son représentant légal, titulaires, en vertu de l'article 371-1 du code civil, de l'autorité parentale. Dans l'hypothèse où le médecin n'est pas parvenu à un tel accord, il lui appartient, s'il estime que la poursuite du traitement traduirait une obstination déraisonnable, après avoir mis en oeuvre la procédure collégiale, de prendre la décision de limitation ou d'arrêt de traitement. Ces règles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'article 6 § 2 de la convention européenne pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997, qui prévoient que, lorsqu'un mineur n'a pas la capacité de consentir à une intervention, " celle-ci ne peut être effectuée sans l'autorisation de son représentant, d'une autorité ou d'une personne ou instance désignée par la loi ". Les prescriptions réglementaires du code de la santé publique ne méconnaissent pas davantage les dispositions de l'article 371-1 du code civil relatives à l'autorité parentale. 10. La décision du médecin de limitation ou d'arrêt des traitements d'un patient mineur hors d'état d'exprimer sa volonté doit être notifiée à ses parents ou à son représentant légal afin notamment de leur permettre d'exercer un recours en temps utile, ce qui implique en particulier que le médecin ne peut mettre en oeuvre cette décision avant que les parents ou le représentant légal du jeune patient, qui pourraient vouloir saisir la juridiction compétente d'un recours, n'aient pu le faire et obtenir une décision de sa part. Sur le litige en référé : 11. Pour apprécier si les conditions d'un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies s'agissant d'un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu'en soit l'origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d'état d'exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend d'un mode artificiel d'alimentation et d'hydratation, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. Les éléments médicaux doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l'état actuel du patient, sur l'évolution de son état depuis la survenance de l'accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique. Une attention particulière doit être accordée à la volonté que le patient peut avoir exprimée, par des directives anticipées ou sous une autre forme. Dans le cas d'un patient mineur, il incombe en outre au médecin de rechercher l'accord des parents ou du représentant légal de celui-ci, d'agir dans le souci de la plus grande bienfaisance à l'égard de l'enfant et de faire de son intérêt supérieur une considération primordiale. 12. En l'espèce, il résulte, en premier lieu de l'instruction et, en particulier, du rapport des trois médecins experts commis par le tribunal administratif, qui ont réalisé un examen de l'enfant le 31 octobre 2017, que la jeune A...est placée en permanence en état de décubitus dorsal, intubée, ventilée artificiellement et porteuse d'une sonde naso-gastrique et d'une sonde oro-pharyngée en aspiration continue afin d'aspirer les abondantes sécrétions salivaires, étant dans l'incapacité de déglutir de manière autonome. Elle ne présente aucune mobilité, spontanée, volontaire ou en réponse à la douleur, et aucun réflexe cornéen n'est visible. Si quelques mouvements respiratoires ponctuels capables de déclencher le respirateur ont été observés, de même que l'occurrence d'ouverture spontanée des yeux, il est relevé que ces mouvements sont de plus en plus rares et sont qualifiés de réflexes. Les experts soulignent dans leur rapport que, plus de quatre mois après la survenue de l'arrêt cardio-respiratoire, le pronostic

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neurologique est " catastrophique " et qu'A... se trouve dans un état végétatif persistant, incapable de communiquer, de quelque manière que ce soit, avec son entourage, le caractère irréversible des lésions neurologiques étant certain dans l'état actuel de la science. Ils concluent expressément au caractère déraisonnable du maintien de l'assistance respiratoire par voie mécanique et du maintien de la nutrition artificielle par une sonde chez cette enfant, en état végétatif persistant. 13. En second lieu, si, compte tenu de son âge, il était envisageable de s'interroger sur les souhaits d'A..., les informations contradictoires relevées dans le dossier sur les avis émis par la jeune fille ne permettent pas de déterminer quelle aurait été sa volonté. L'avis des parents de la jeune patiente, titulaires de l'autorité parentale en vertu de l'article 371-1 du code civil, revêt dès lors une importance particulière. Il résulte de l'instruction ainsi que des échanges au cours de l'audience publique, que les parents de la jeuneA..., M. F...et Mme B..., s'opposent à l'arrêt des traitements, de manière ferme et constante. Au-delà du caractère prématuré qu'a pu revêtir, à leurs yeux, la décision du 21 juillet 2017, qui est intervenue moins d'un mois après l'hospitalisation de leur fille, leur refus de tout arrêt des traitements repose notamment sur des motifs religieux ainsi que sur le projet de Mme B...d'une hospitalisation à son domicile dans l'espoir d'une amélioration de l'état d'A.... Le médecin en charge de la jeune patiente a fait valoir, lors de l'audience publique, qu'un tel projet ne lui apparaissait pas réaliste compte tenu de la gravité de l'état de la patiente, de son caractère irréversible et de la lourdeur des soins qu'il impliquerait de délivrer en permanence. Par ailleurs, s'il a été indiqué lors de l'audience publique que les parents ne s'opposaient plus, désormais, à ce que soit réalisées sur leur fille une trachéotomie et une gastrostomie, opérations que l'équipe médicale souhaitait pratiquer depuis plusieurs mois afin de rendre le dispositif de traitement moins lourd et de limiter les risques d'infection qu'il génère, ces opérations, prévues au cours de la première semaine de janvier, resteront, selon le médecin compétent, sans incidence sur l'état cérébral de la jeuneA.... 14. Dans ces conditions, au vu de l'état irréversible de perte d'autonomie de la jeune A...qui la rend tributaire de moyens de suppléance de ses fonctions vitales et en l'absence de contestation sérieuse tant de l'analyse médicale des services du CHRU de Nancy que des conclusions du rapport du collège d'experts mandaté par le tribunal administratif, il résulte de l'instruction, nonobstant l'opposition des parents qui ont toujours été associés à la prise de décision, qu'en l'état de la science médicale, la poursuite des traitements est susceptible de caractériser une obstination déraisonnable, au sens des dispositions de l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique. Il s'ensuit que la décision du 21 juillet 2017 d'interrompre la ventilation mécanique et de procéder à l'extubation de la jeune A...F...répond aux exigences fixées par la loi et ne porte donc pas une atteinte grave et manifestement illégale au respect d'une liberté fondamentale. 15. Il appartiendra au médecin compétent d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, si et dans quel délai la décision d'arrêt de traitement doit être exécutée. En tout état de cause, sa mise en oeuvre impose à l'hôpital de sauvegarder la dignité de la patiente et de lui dispenser les soins palliatifs nécessaires. 16. Il résulte de tout ce qui précède, que M. F...et Mme B...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande. Leur requête d'appel doit dès lors être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. O R D O N N E : ------------------ Article 1er : La requête de Mme B...et M. F...est rejetée. Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme D...B..., à M. E...F..., au centre hospitalier régional universitaire de Nancy et à la ministre des solidarités et de la santé.

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DOCUMENT9: CEDH 25 Janvier 2018, Requête no 1828/18 Djamila AFIRI et Mohamed BIDDARRI contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 23 janvier 2018 en un comité composé de : Erik Møse, président, André Potocki, Síofra O’Leary, juges, et de Anne-Marie Dougin, greffière adjointe de section f.f.,

Vu la requête susmentionnée introduite le 9 janvier 2018, Vu la demande de mesures provisoires en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour présentée le

9 janvier 2018 et la décision du juge de permanence de la rejeter le 23 janvier 2018, Après en avoir délibéré, rend la décision suivante : EN FAIT 1. Les requérants, Mme Djamila Afiri et M. Mohamed Biddarri, sont des ressortissants français nés

en 1966 et résidant à Longlaville et à Joeuf. Ils ont été représentés devant la Cour par Me A. Bouzidi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

A. Les circonstances de l’espèce

2. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

3. Les requérants, divorcés, sont les parents d’Inès, âgée de 14 ans et souffrant d’une myasthénie auto-immune sévère (maladie neuromusculaire). Le 22 juin 2017, Inès fut retrouvée inanimée après un arrêt cardio-respiratoire. Prise en charge par le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy, elle fut placée en service de réanimation sous ventilation mécanique et il fut procédé à une sédation analgésique. Le jour même, les requérants furent informés par un médecin de la gravité de la situation clinique de leur fille. Le 28 juin 2017, les sédations furent arrêtées. Quatre électroencéphalogrammes et une imagerie par résonance magnétique (IRM) furent réalisés entre le 23 juin et le 3 juillet. L’équipe médicale constata une évolution neurologique très défavorable avec de nombreuses et graves lésions cérébrales. Les requérants furent de nouveau informés de la gravité de la situation et de la tenue prochaine d’une réunion éthique visant à discuter de la poursuite des traitements.

4. Le 7 juillet 2017, une réunion de concertation pluridisciplinaire eut lieu en présence de toute l’équipe médicale, paramédicale et administrative. L’ensemble des personnes présentes se prononça en faveur d’un arrêt de la ventilation mécanique, sa poursuite étant considérée comme une obstination déraisonnable, et de la mise en place de traitements de confort. Immédiatement après la réunion, les requérants furent informés de cette proposition. Le médecin proposa aux requérants de réfléchir le temps d’un week-end avant de rediscuter de la situation. Le 10 juillet 2017, le Dr B., chef du service de réanimation pédiatrique, rencontra les requérants. Ceux-ci ayant demandé à réfléchir, le médecin les informa que leur décision serait respectée et qu’Inès bénéficierait, quoi qu’il en soit, de soins de confort et du respect de sa dignité. Les requérants furent informés de l’engagement de la procédure collégiale prévue par l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique lorsque le patient dont l’arrêt des traitements est envisagé est hors d’état de manifester sa volonté (paragraphe 16 ci-dessous). Dans une lettre datée du 11 juillet 2017, le Dr B. assura de nouveau à la requérante que l’équipe soignante agirait dans le respect des décisions des parents, en préservant l’intérêt de leur fille. Le 12 juillet 2017, le Dr B. rencontra les requérants et les informa de l’impossibilité qu’Inès reste en réanimation et de la nécessité d’envisager une trachéotomie et une gastrostomie pour limiter les risques infectieux. Il

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rencontra de nouveau la requérante le 18 juillet 2017 puis les deux requérants ensemble le 20 juillet 2017.

5. Le 21 juillet 2017, en raison de l’absence de consensus avec les parents sur l’arrêt des traitements, la procédure collégiale prévue par l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique eut lieu avec l’ensemble de l’équipe médicale, paramédicale et administrative. Le professeur M., professeur honoraire de pédiatrie très impliqué dans les problèmes d’éthique et de handicap, y participa en tant que consultant extérieur. Les participants parvinrent aux mêmes conclusions en faveur de l’arrêt des traitements que lors de la réunion du 7 juillet 2017 en raison du caractère sévère des lésions neurologiques constatées, de possibilités d’amélioration ou de guérison quasi-nulles selon les données actuelles de la science et d’un état pauci-relationnel avec persistance d’un coma aréflexique et disparition des réflexes du tronc cérébral. Ils estimèrent ces conclusions « raisonnées et raisonnables, conformes à l’éthique, aux bonnes pratiques médicales et à la loi Leonetti-Claeys no 2016-87 du 2 février 2016 ». Le compte-rendu de la réunion fait état du fait que, dans le cas où les requérants souhaiteraient le maintien artificiel de la vie de leur fille, un projet de vie décent et adapté serait recherché. Ce compte-rendu fut adressé aux requérants par courrier recommandé du 3 août 2017 leur indiquant qu’ils pouvaient exercer un recours contentieux devant le tribunal administratif (TA) dans un délai de deux mois et que la décision ne serait pas appliquée s’ils s’y opposaient, conformément à la décision no 2017-632 QPC du 2 juin 2017 du Conseil constitutionnel (paragraphe 19 ci-dessous).

6. Entre le 28 juillet et le 23 août 2017, les requérants rencontrèrent à quatre reprises des médecins de l’hôpital pour évoquer la situation de leur fille, notamment l’éventualité d’une trachéotomie et d’une gastrostomie, toujours en suspens.

7. Le 11 septembre 2017, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (paragraphe 18 ci-dessous), les requérants saisirent le TA d’une requête en référé visant la suspension de l’exécution de la décision d’arrêt des traitements du 21 juillet 2017 et, à titre subsidiaire, la prescription d’une expertise médicale. Par ordonnance du 14 septembre 2017, le TA, statuant exceptionnellement en formation collégiale de trois juges, ordonna une expertise confiée à un collège de trois experts avec pour mission :

- de décrire l’état clinique de la fille des requérants et son évolution depuis son hospitalisation, en particulier de déterminer son niveau de souffrance ;

- de déterminer si la patiente est en mesure de communiquer, de quelque manière que ce soit, avec son entourage ;

- de se prononcer sur le caractère irréversible des lésions neurologiques, sur le pronostic clinique et sur le caractère raisonnable ou non du maintien de l’assistance respiratoire par voie mécanique ou au moyen d’interventions qui seront précisées ;

- si la poursuite de cette assistance s’avère nécessaire, de préciser si des interventions complémentaires doivent être mises en œuvre et, si oui, d’indiquer lesquelles.

8. Entre le 15 septembre et le 26 octobre 2017, les requérants rencontrèrent les médecins de l’hôpital à trois reprises. Au cours de l’un de ces entretiens, le Dr B. précisa encore aux requérants qu’aucune décision d’arrêt des traitements ne serait jamais appliquée sans leur accord. Lors du dernier entretien, les requérants donnèrent leur accord pour la réalisation d’une trachéotomie et d’une gastrostomie.

9. Les experts procédèrent à un examen clinique d’Inès, à une revue des examens complémentaires et rencontrèrent les différents personnels concernés ainsi que les requérants. Ils déposèrent leur rapport le 17 novembre 2017.

10. En réponse aux questions posées par le TA, les experts répondirent que l’état clinique d’Inès était celui d’un « état végétatif persistant » avec un « pronostic neurologique catastrophique », en accord avec les conclusions de l’équipe du CHRU. Ils ajoutèrent qu’en l’état actuel des connaissances scientifiques, il n’existait pas de perception de la douleur en cas d’état végétatif. Les experts affirmèrent qu’Inès était incapable de communiquer, de quelque manière que ce soit, avec son entourage. Ils constatèrent le caractère irréversible certain des lésions neurologiques et une aggravation du diagnostic depuis l’hospitalisation, Inès étant passée de l’état pauci-relationnel à l’état végétatif persistant. Ils conclurent au caractère déraisonnable du maintien de l’assistance respiratoire par voie mécanique et du maintien de la nutrition artificielle par une sonde. En cas de poursuite des traitements, les experts recommandèrent la réalisation d’une trachéotomie et d’une gastrostomie, puis l’élaboration d’un projet de prise en charge dans un centre acceptant des enfants dépendant d’une ventilation artificielle.

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11. Les experts relevèrent que les requérants étaient peu investis dans les soins de leur fille, que leurs relations avec le personnel paramédical étaient globalement très difficiles et qu’ils étaient dans une attitude d’opposition aux propositions des médecins. Ils indiquèrent que la seule justification à maintenir Inès en survie artificielle était le refus des parents d’arrêter les traitements. Les experts relevèrent qu’Inès avait exprimé son souhait « de ne pas vivre dans la situation qui était la sienne en mai-juin 2017 à domicile ».

12. La conclusion du rapport est ainsi rédigée :

« L’expérience a montré que dans ce type de situation conflictuelle, les professionnels ne procèdent pas à un arrêt des traitements de suppléance vitale contre l’avis des parents, au nom du principe de bienveillance vis-à-vis des parents, déjà durement éprouvés par la situation. Les professionnels s’efforcent de laisser du temps aux parents, qui souvent finissent par abandonner leur attitude de dénégation et se résignent à accepter l’inacceptable : laisser mourir leur enfant.

C’est l’attitude adoptée par le Dr B. et son équipe, mais les multiples entretiens avec [les requérants] pendant plus de quatre mois n’ont pas permis de débloquer la situation. [...]

Le temps passé, les multiples explications données, l’incapacité des parents à sortir de leur attitude de refus et de passivité pour s’engager dans un projet de soins dans lequel ils s’impliquent vraiment, la prise en compte des souhaits d’Inès conduisent les experts à considérer que l’intérêt d’Inès n’est pas celui des parents et à proposer de façon très exceptionnelle de ne pas poursuivre les traitements de suppléance vitale et à laisser mourir Inès en lui assurant des soins palliatifs de qualité. »

13. Par ordonnance du 7 décembre 2017, le TA, en formation collégiale de trois juges, rejeta la demande des requérants. Concernant les dispositions du code de la santé publique, le TA fit application des principes établis par le Conseil d’État dans l’affaire Lambert et autres (Lambert et autres c. France [GC], no 46043/14, § 48, CEDH 2015 (extraits)). Les juges se fondèrent sur les conclusions du rapport d’expertise et relevèrent l’absence de volonté clairement déterminée d’Inès. Ils précisèrent que l’avis des parents, en tant que titulaires de l’autorité parentale, revêtait une importance particulière, mais que ceux-ci avaient progressivement évolué vers une opposition de principe à tout arrêt des soins, manifestant une défiance à l’égard des médecins sans avoir de projet construit pour leur fille. Dans ces circonstances, le TA estima que, malgré l’opposition des requérants, la poursuite des traitements caractérisait une obstination déraisonnable et que la décision du 21 juillet 2017 ne portait pas, en l’espèce, une atteinte grave et manifestement illégale au respect d’une liberté fondamentale.

14. Le 20 décembre 2017, les requérants firent appel devant le Conseil d’État. Le 28 décembre 2017, lors d’une audience publique, les requérants, les représentants du CHRU et le Dr B. furent entendus. Par ordonnance du 5 janvier 2018, le Conseil d’État, siégeant exceptionnellement en formation collégiale de trois membres, rejeta leur demande. Les passages pertinents sont ainsi rédigés :

« Quand le patient hors d’état d’exprimer sa volonté est un mineur, il incombe au médecin, non seulement de rechercher, en consultant sa famille et ses proches et en tenant compte de l’âge du patient, si sa volonté a pu trouver à s’exprimer antérieurement, mais également, ainsi que le rappelle l’article R. 4127-42 du code de la santé publique, de s’efforcer, en y attachant une attention particulière, de parvenir à un accord sur la décision à prendre avec ses parents ou son représentant légal, titulaires, en vertu de l’article 371-1 du code civil, de l’autorité parentale. Dans l’hypothèse où le médecin n’est pas parvenu à un tel accord, il lui appartient, s’il estime que la poursuite du traitement traduirait une obstination déraisonnable, après avoir mis en œuvre la procédure collégiale, de prendre la décision de limitation ou d’arrêt des traitements. [...]

La décision du médecin de limitation ou d’arrêt des traitements d’un patient mineur hors d’état d’exprimer sa volonté doit être notifiée à ses parents ou à son représentant légal afin notamment de leur permettre d’exercer un recours en temps utile, ce qui implique en particulier que le médecin ne peut mettre en œuvre cette décision avant que les parents ou le représentant légal du jeune patient, qui pourraient vouloir saisir la juridiction compétente d’un recours, n’aient pu le faire et obtenir une décision de sa part.

[...]

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Pour apprécier si les conditions d’un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies s’agissant d’un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu’en soit l’origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d’état d’exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend d’un mode artificiel d’alimentation et d’hydratation, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d’éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. Les éléments médicaux doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter sur l’état actuel du patient, sur l’évolution de son état depuis la survenance de l’accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique. Une attention particulière doit être accordée à la volonté que le patient peut avoir exprimée, par des directives anticipées ou sous une autre forme. Dans le cas d’un patient mineur, il incombe en outre au médecin de rechercher l’accord des parents ou du représentant légal de celui-ci, d’agir dans le souci de la plus grande bienfaisance à l’égard de l’enfant et de faire de son intérêt supérieur une considération primordiale.

En l’espèce, il résulte, en premier lieu de l’instruction et, en particulier, du rapport des trois médecins experts commis par le tribunal administratif, qui ont réalisé un examen de l’enfant le 31 octobre 2017, que la jeune Inès est placée en permanence dans un état de décubitus dorsal, intubée, ventilée artificiellement et porteuse d’une sonde nasogastrique et d’une sonde oro-pharyngée en aspiration continue afin d’aspirer les importantes sécrétions salivaires, étant dans l’incapacité de déglutir de façon autonome. Elle ne présente aucune mobilité, spontanée, volontaire ou en réponse à la douleur, et aucun réflexe cornéen n’est visible. Si quelques mouvements respiratoires ponctuels capables de déclencher le respirateur ont été observés, de même que l’occurrence d’ouverture spontanée des yeux, il est relevé que ces mouvements sont de plus en plus rares et sont qualifiés de réflexes. Les experts soulignent dans leur rapport que, plus de quatre mois après la survenue de l’arrêt cardio-respiratoire, le pronostic neurologique est « catastrophique » et qu’Inès se trouve dans un état végétatif persistant, incapable de communiquer, de quelque manière que ce soit, avec son entourage, le caractère irréversible des lésions neurologiques étant certain dans l’état actuel de la science. Ils concluent expressément au caractère déraisonnable du maintien de l’assistance respiratoire par voie mécanique et du maintien de la nutrition artificielle par une sonde chez cette enfant, en état végétatif persistant.

En second lieu, si, compte tenu de son âge, il était envisageable de s’interroger sur les souhaits d’Inès, les informations contradictoires relevées dans le dossier sur les avis émis par la jeune fille ne permettent pas de déterminer quelle aurait été sa volonté. L’avis des parents de la jeune patiente, titulaires de l’autorité parentale [...] revêt dès lors une importance particulière. Il résulte de l’instruction ainsi que des échanges au cours de l’audience publique que les parents de la jeune Inès [...] s’opposent à l’arrêt des traitements, de manière ferme et constante. Au-delà du caractère prématuré qu’a pu revêtir, à leurs yeux, la décision du 21 juillet 2017, qui est intervenue moins d’un mois après l’hospitalisation de leur fille, leur refus de tout arrêt des traitements repose notamment sur des motifs religieux ainsi que sur le projet de [la mère] d’une hospitalisation à son domicile dans l’espoir d’une amélioration de l’état d’Inès. Le médecin en charge de la jeune patiente a fait valoir, lors de l’audience publique, qu’un tel projet ne lui apparaissait pas réaliste compte tenu de la gravité de l’état de la patiente, de son caractère irréversible et de la lourdeur des soins qu’il impliquerait de délivrer en permanence. Par ailleurs, s’il a été indiqué lors de l’audience publique que les parents ne s’opposaient plus, désormais, à ce que soient réalisées sur leur fille une trachéotomie et une gastrostomie, opérations que l’équipe médicale souhaitait pratiquer depuis plusieurs mois afin de rendre le dispositif de traitement moins lourd et de limiter les risques d’infection qu’il génère, ces opérations, prévues au cours de la première semaine de janvier, resteront, selon le médecin compétent, sans incidence sur l’état cérébral de la jeune Inès.

Dans ces conditions, au vu de l’état irréversible de perte d’autonomie de la jeune Inès qui la rend tributaire de moyens de suppléance de ses fonctions vitales et en l’absence de contestation sérieuse tant de l’analyse médicale des services du CHRU de Nancy que des conclusions du rapport du collège d’experts mandaté par le tribunal administratif, il résulte de l’instruction, nonobstant l’opposition des parents qui ont toujours été associés à la prise de décision, qu’en l’état de la science

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médicale, la poursuite des traitements est susceptible de caractériser une obstination déraisonnable, au sens des dispositions de l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique. Il s’ensuit que la décision du 21 juillet 2017 d’interrompre la ventilation mécanique et de procéder à l’extubation de la jeune Inès répond aux exigences fixées par la loi et ne porte donc pas une atteinte grave et manifestement illégale au respect d’une liberté fondamentale.

Il appartiendra au médecin compétent d’apprécier, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, si et dans quel délai la décision d’arrêt de traitement doit être exécutée. En tout état de cause, sa mise en œuvre impose à l’hôpital de sauvegarder la dignité de la patiente et de lui dispenser les soins palliatifs nécessaires. »

15. Par lettre télécopiée du 12 janvier 2018, l’avocat des requérants a informé la Cour que les opérations de trachéotomie et gastrostomie préconisées par les médecins avaient été pratiquées sur Inès le 9 janvier 2018.

B. Le droit et la pratique internes pertinents

1. Le code de la santé publique

16. Les dispositions pertinentes du code de la santé publique, telles que modifiées par la loi no 2016-87 du 2 février 2016 sont les suivantes :

Article L. 1110-5

« Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces dispositions s’appliquent sans préjudice ni de l’obligation de sécurité à laquelle est tenu tout fournisseur de produits de santé ni de l’application du titre II du présent livre.

Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. »

Article L. 1110-5-1

« Les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire.

La nutrition et l’hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés conformément au premier alinéa du présent article.

Lorsque les actes mentionnés aux deux premiers alinéas du présent article sont suspendus ou ne sont pas entrepris, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l’article L. 1110-10. »

Article L. 1111-4

« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. (...)

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Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.

Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté.

Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible d’entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l’article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical.

Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le cas où le refus d’un traitement par la personne titulaire de l’autorité parentale ou par le tuteur risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables. (...) »

Article R. 4127-36

« Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. (...)

Si le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que la personne de confiance, à défaut, la famille ou un de ses proches ait été prévenu et informé, sauf urgence ou impossibilité.

Les obligations du médecin à l’égard du patient lorsque celui-ci est un mineur ou un majeur protégé sont définies à l’article R. 4127-42. »

Article R. 4127-37-2

« I. - La décision de limitation ou d’arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement exprimée dans des directives anticipées. Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, la décision de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d’une obstination déraisonnable, ne peut être prise qu’à l’issue de la procédure collégiale prévue à l’article L. 1110-5-1 et dans le respect des directives anticipées et, en leur absence, après qu’a été recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l’un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient.

II. - Le médecin en charge du patient peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. Il est tenu de le faire à la demande de la personne de confiance, ou, à défaut, de la famille ou de l’un des proches. La personne de confiance ou, à défaut, la famille ou l’un des proches est informé, dès qu’elle a été prise, de la décision de mettre en œuvre la procédure collégiale.

III. - La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient à l’issue de la procédure collégiale. Cette procédure collégiale prend la forme d’une concertation avec les membres présents de l’équipe de soins, si elle existe, et de l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l’un d’eux l’estime utile.

Lorsque la décision de limitation ou d’arrêt de traitement concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille en outre l’avis des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur, selon les cas, hormis les situations où l’urgence rend impossible cette consultation.

IV. - La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est motivée. La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l’un des proches du patient est informé de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d’arrêt de traitement. La volonté de limitation ou d’arrêt de traitement exprimée dans les directives anticipées ou, à défaut, le témoignage de la personne de confiance, ou

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de la famille ou de l’un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. »

Article R. 4127-42

« Sous réserve des dispositions de l’article L. 1111-5, un médecin appelé à donner des soins à un mineur ou à un majeur protégé doit s’efforcer de prévenir ses parents ou son représentant légal et d’obtenir leur consentement.

En cas d’urgence, même si ceux-ci ne peuvent être joints, le médecin doit donner les soins nécessaires.

Si l’avis de l’intéressé peut être recueilli, le médecin doit en tenir compte dans toute la mesure du possible. »

2. Le code civil

17. Les dispositions du code civil relatives à l’autorité parentale sont ainsi rédigées :

Article 371-1

« L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant.

Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. (...) »

3. Le code de justice administrative

18. L’article L. 521-2 du code de justice administrative, relatif au référé liberté, est ainsi rédigé :

« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

4. La décision no 2017-632 QPC du 2 juin 2017 du Conseil constitutionnel

19. Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 1110-5-1, L. 1110-5-2 et L. 1111-4 du code de la santé publique dans leur rédaction issue de la loi no 2016-87 du 2 février 2016. Il a déclaré les dispositions en cause conformes à la Constitution sous deux réserves. Il a considéré que « s’agissant d’une décision d’arrêt ou de limitation de traitements de maintien en vie conduisant au décès d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que cette décision soit notifiée aux personnes auprès desquelles le médecin s’est enquis de la volonté du patient, dans des conditions leur permettant d’exercer un recours en temps utile. Ce recours doit par ailleurs pouvoir être examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente aux fins d’obtenir la suspension éventuelle de la décision contestée. »

C. Textes internationaux

20. Il est renvoyé aux textes internationaux recensés dans l’arrêt Lambert et autres (précité, §§ 59-71) et dans la décision Gard et autres c. Royaume-Uni (no 39793/17, §§ 51-54, 27 juin 2017).

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GRIEFS

21. Invoquant les articles 2 et 8 de la Convention, les requérants se plaignent du fait que la décision d’arrêt des traitements de leur fille mineure soit in fine prise par le médecin alors qu’ils s’y opposent. Ils estiment qu’ils devraient avoir un pouvoir de codécision dans la procédure collégiale, en tant que parents et titulaires de l’autorité parentale. Ils font valoir que le droit interne n’encadre pas suffisamment ces situations conflictuelles.

22. Invoquant l’article 13 de la Convention, ils considèrent que le droit interne n’institue aucun recours effectif pour des parents qui s’opposent à la décision d’arrêt des traitements de leur enfant mineur. Ils se plaignent notamment de l’absence de caractère suspensif automatique du recours devant les juridictions administratives.

23. Ils invoquent également l’article 6 § 2 de la Convention européenne pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (la Convention d’Oviedo) en ce qu’il prévoit que, lorsqu’un mineur n’a pas la capacité de consentir à une intervention, celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant.

EN DROIT

A. Sur la violation alléguée des articles 2, 8 et 13 de la Convention

24. Les requérants invoquent les articles 2, 8 et 13 de la Convention, qui se lisent ainsi :

Article 2

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (...) »

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

25. Les griefs des requérants concernent l’arrêt de traitements qui maintiennent artificiellement la vie. En ce sens, ils entrent dans le champ d’application de l’article 2 (Lambert et autres, précité, et Gard, précité). La Cour examinera donc l’ensemble des questions de fond soulevées par la présente affaire sous l’angle de l’article 2 de la Convention.

1. Principes applicables

26. La Cour a examiné, dans les affaires Lambert et Gard précitées, la question de l’arrêt des traitements qui maintiennent artificiellement en vie sous l’angle des obligations positives de l’État (Lambert et autres, précité, § 124, Gard, précité, § 79).

27. Saisie de la question de l’administration ou du retrait de traitements médicaux, la Cour doit prendre en compte les éléments suivants :

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- l’existence dans le droit et la pratique internes d’un cadre législatif conforme aux exigences de l’article 2 ;

- la prise en compte des souhaits précédemment exprimés par le patient et par ses proches, ainsi que l’avis d’autres membres du personnel médical ;

- la possibilité d’un recours juridictionnel en cas de doute sur la meilleure décision à prendre dans l’intérêt du patient (Lambert et autres, précité, § 143).

28. La Cour a constaté, dans ces affaires, qu’il n’existe pas de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe pour permettre l’arrêt d’un traitement maintenant artificiellement la vie, même si une majorité d’États semblent l’autoriser. Bien que les modalités qui encadrent l’arrêt du traitement soient variables d’un État à l’autre, il existe toutefois un consensus sur le rôle primordial de la volonté du patient dans la prise de décision, quel qu’en soit le mode d’expression (Lambert et autres, précité, § 147, Gard, précité, § 83).

29. En conséquence, la Cour rappelle que, dans ce domaine qui touche à la fin de la vie, comme dans celui qui touche au début de la vie, il y a lieu d’accorder une marge d’appréciation aux États, non seulement quant à la possibilité de permettre ou pas l’arrêt d’un traitement maintenant artificiellement la vie et à ses modalités de mise en œuvre, mais aussi quant à la façon de ménager un équilibre entre la protection du droit à la vie du patient et celle du droit au respect de sa vie privée et de son autonomie personnelle. Cette marge d’appréciation n’est toutefois pas illimitée, la Cour se réservant de contrôler le respect par l’État de ses obligations découlant de l’article 2 (Lambert et autres, précité, § 148, Gard, précité, § 84).

2. Application des principes au cas d’espèce

a) Le cadre législatif

30. Les requérants considèrent que le droit interne n’encadre pas suffisamment les situations dans lesquelles les parents s’opposent à une décision d’arrêt des traitements concernant leur enfant mineur.

31. La Cour rappelle avoir considéré que le cadre législatif en vigueur avant la loi du no 2016-87 du 2 février 2016 était suffisamment clair, aux fins de l’article 2 de la Convention, pour encadrer de façon précise la décision du médecin d’arrêter des traitements lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable (Lambert et autres, précité, § 160). Or, la Cour constate que la nouvelle loi n’a pas substantiellement modifié le cadre législatif prévu par le code de la santé publique. La Cour relève à cet égard que les requérants ne critiquent pas les modifications apportées par la nouvelle loi.

32. S’agissant de la situation particulière d’un patient mineur, l’article R. 4127-42 du code de la santé publique prévoit que lorsqu’un médecin est appelé à donner des soins à un mineur, il doit non seulement consulter les parents mais aussi s’efforcer d’obtenir leur consentement (paragraphe 16 ci-dessus). Dans la présente affaire, le Conseil d’État a précisé que dans le cas d’un patient mineur, il incombait au médecin « de rechercher l’accord des parents [...], d’agir dans le souci de la plus grande bienfaisance à l’égard de l’enfant et de faire de son intérêt supérieur une considération primordiale » (paragraphe 14 ci-dessus).

33. En conséquence, la Cour arrive à la conclusion que la façon dont le droit interne, tel qu’interprété par le Conseil d’État, encadre les situations dans lesquelles les parents s’opposent à une décision d’arrêt des traitements concernant leur enfant mineur est conforme aux exigences de l’article 2 de la Convention.

b) Le cadre décisionnel

34. Les requérants contestent le processus décisionnel en ce qu’il ne prévoit qu’une consultation des parents du patient mineur et ne leur octroie pas un pouvoir de codécision.

35. La Cour rappelle tout d’abord que ni l’article 2, ni sa jurisprudence ne peuvent se lire comme imposant des obligations quant à la procédure à suivre pour arriver à un éventuel accord en matière d’arrêt des traitements (Lambert et autres, précité, § 162).

36. La Cour rappelle également que, si la procédure en droit français est appelée « collégiale » et qu’elle comporte plusieurs phases de consultation (de l’équipe soignante, d’au moins un autre médecin, de la personne de confiance, de la famille ou des proches), c’est au seul médecin en charge du patient que revient la décision (Lambert et autres, précité, § 163). La volonté du patient doit être prise en compte

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et, lorsque la décision concerne un mineur, le médecin doit recueillir l’avis des titulaires de l’autorité parentale et tenter de parvenir à un accord avec eux. La décision elle-même doit être motivée et elle est versée au dossier du patient.

37. En l’espèce, la procédure collégiale a été menée conformément au cadre législatif. Après une première réunion de concertation pluridisciplinaire, le médecin en charge d’Inès a organisé la procédure collégiale (paragraphe 4 ci-dessus). Un consultant extérieur, professeur honoraire de pédiatrie très impliqué dans les problèmes d’éthique et de handicap, sans aucun lien de hiérarchie avec le médecin en charge de la patiente, y a participé. Les avis de tous les membres de l’équipe soignante ont été recueillis (paragraphe 5 ci-dessus). Les requérants, en tant que titulaires de l’autorité parentale, ont été consultés au cours d’au moins six entretiens formels entre le 7 et le 21 juillet 2017. Le Conseil d’État a également recherché si la volonté d’Inès avait été prise en compte mais a considéré qu’en présence d’informations contradictoires, elle ne pouvait être déterminée avec certitude. Le Conseil d’État a alors relevé que, dans ces circonstances, l’avis des parents, en tant que titulaires de l’autorité parentale, devait revêtir une importance particulière. Il a considéré à cet égard que les requérants, malgré leur opposition à la décision, avaient « toujours été associés à la prise de décision » (paragraphe 14 ci-dessus).

38. En l’absence de consensus entre les États membres quant à la façon dont est prise la décision finale d’arrêt des traitements, la Cour a considéré que l’organisation du processus décisionnel, y compris la désignation de la personne qui prend la décision finale d’arrêt des traitements et les modalités de la prise de décision, s’inscrivaient dans la marge d’appréciation de l’État (Lambert et autres, précité, § 168).

39. En l’espèce, les médecins et l’équipe soignante se sont efforcés de parvenir à un accord avec les requérants au cours de nombreux entretiens. La Cour constate que la volonté des parents de ne pas mettre fin aux traitements de leur fille a été, faute d’accord, effectivement respectée par les médecins. En effet, avant même la procédure collégiale, le médecin en charge d’Inès leur a précisé que leur décision serait respectée (paragraphe 4 ci-dessus). La décision prise à l’issue de la procédure collégiale mentionne que, dans le cas d’une opposition des parents à l’arrêt des traitements, il sera recherché, avec l’équipe médicale, un projet de vie décent et adapté (paragraphe 5 ci-dessus). Lors d’un entretien postérieur à la décision d’arrêt des traitements, le Dr B. a encore indiqué aux requérants qu’une telle décision ne serait jamais appliquée sans leur accord (paragraphe 8 ci-dessus). Dans le même sens, le rapport d’expertise précise que dans de tels cas de situation conflictuelle, les médecins ne procèdent pas à un arrêt des traitements contre l’avis des parents (paragraphe 12 ci-dessus). Enfin, le Conseil d’État a précisé qu’il appartenait désormais au médecin de déterminer si et dans quelles conditions la décision d’arrêt des traitements devait être appliquée (paragraphe 14 ci-dessus).

40. La Cour estime donc que, même si les requérants sont en désaccord avec son aboutissement, le processus décisionnel mis en œuvre a respecté les exigences découlant de l’article 2 de la Convention

c) Les recours juridictionnels

41. Les requérants se plaignent de l’absence de recours effectif en droit interne contre la décision d’arrêt des traitements de leur enfant mineur.

42. Dans sa décision no 2017-632 QPC du 2 juin 2017 (paragraphe 19 ci-dessus), le Conseil constitutionnel a estimé, d’une part, qu’une décision d’arrêt ou de limitation de traitements de maintien en vie conduisant au décès d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté devait être notifiée aux personnes consultées par le médecin en vue de connaitre la volonté du patient, dans des conditions leur permettant d’exercer un recours en temps utile et, d’autre part, qu’une telle décision devait pouvoir faire l’objet d’un recours aux fins d’obtenir sa suspension, examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente.

43. La Cour relève que cette décision a été respectée en l’espèce, la décision d’arrêt des traitements du 21 juillet 2017 y faisant explicitement référence et indiquant que l’arrêt des traitements ne serait pas mis en œuvre dans l’hypothèse d’un recours (paragraphe 5 ci-dessus).

44. Les requérants ont saisi le TA d’une requête en référé liberté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Lorsqu’il est saisi sur ce fondement, le juge administratif des référés statue en principe seul et dans l’urgence. Il peut prendre des mesures provisoires sur un critère d’évidence (l’illégalité manifeste) et notamment suspendre la décision attaquée. Tel que son office a été défini par le Conseil d’État dans l’affaire Lambert et autres, le juge des référés se trouve investi, non

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seulement du pouvoir de suspendre la décision du médecin, mais encore de procéder à un contrôle de légalité complet de cette décision (et non pas sur le seul critère de son illégalité manifeste), si nécessaire en formation collégiale, et au besoin après avoir ordonné une expertise médicale et demandé des avis au titre d’amicus curiae. Le Conseil d’État a également précisé qu’eu égard à l’office particulier qui était le sien dans un tel cas, le juge devait – outre les moyens tirés de la non-conformité de la décision à la loi – examiner les moyens tirés de l’incompatibilité des dispositions législatives dont il était fait application avec la Convention (Lambert et autres, précité, §§ 171-172).

45. En l’espèce, le juge des référés a non seulement examiné l’éventuelle nécessité de suspendre la décision du médecin mais a aussi procédé à un contrôle de légalité complet de cette décision après avoir ordonné une expertise médicale. Les experts désignés ont procédé à un examen approfondi de la situation (paragraphes 9-12 ci-dessus). Tant devant le TA que devant le Conseil d’État, les décisions, particulièrement motivées, ont été exceptionnellement prises en formation collégiale.

46. En conclusion, la Cour est d’avis que, considéré dans son ensemble, le droit français a permis un recours juridictionnel conforme aux exigences de l’article 2.

d) Conclusion

47. Au regard de ce qui précède, la Cour arrive à la conclusion qu’en l’espèce, les autorités internes se sont conformées à leurs obligations positives découlant de l’article 2 de la Convention, compte tenu de la marge d’appréciation dont elles disposaient en l’espèce. Il s’ensuit que les griefs des requérants sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

B. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 2 de la Convention d’Oviedo

48. Les requérants considèrent qu’une intervention sur un mineur dans l’incapacité d’y consentir ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant.

49. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 19 de la Convention elle a pour tâche d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties contractantes et n’est pas compétente pour examiner des griefs tirés d’autres instruments internationaux (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I). Il s’ensuit que le grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

50. En tout état de cause, la Cour souligne que le grief des requérants présenté sur le fondement de cette disposition a été pris en compte dans l’examen par la Cour du processus décisionnel ayant abouti à la décision d’arrêt des traitements (paragraphes 34-40 ci-dessus).

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité

Déclare la requête irrecevable.

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DOCUMENT10:CJUE18décembre2014,JCPE2015,1209noteMendoza-CaminadeLaCourdejusticedel'Unioneuropéennearendule18décembre2014unarrêtfondamentalsurlabrevetabilité du vivant dans le domaine de la protection juridique des inventionsbiotechnologiques.TroisansaprèssadécisionBrüstle,elleintervientencorepourseprononcersurlabrevetabilitédu corpshumainetpourànouveaudéfinir l'embryonhumain. Il en résulteuneévolutioncertaineenfaveurdelabrevetabilitéduvivanthumain.CJUE,18déc.2014,aff.C-364/13,InternationalStemCellCorporationc/ComptrollerGeneralofPatents,DesignsandTradeMarks:JurisDatan°2014-032858LACOUR(...)Surlaquestionpréjudicielle21Parsaquestion,lajuridictionderenvoidemande,ensubstance,sil'article6,paragraphe2,sousc),deladirective 98/44 doit être interprété en ce sens qu'un ovule humain non fécondé qui, par voie departhénogenèse,aétéinduitàsediviseretàsedévelopperjusqu'àuncertainstadeconstitueun«embryonhumain»ausensdecettedisposition.22 À titre liminaire, il convient de rappeler que la directive 98/44 n'a pas pour objet de réglementerl'utilisationd'embryonshumainsdanslecadrederecherchesscientifiquesetquesonobjetselimiteàlabrevetabilitédesinventionsbiotechnologiques(voirarrêtBrüstle,EU:C:2011:669,point40).23Parailleurs,l'«embryonhumain»,ausensdel'article6,paragraphe2,sousc),decettedirective,doitêtre considéré commedésignantunenotion autonomedudroit de l'Union, qui doit être interprétéedemanièreuniformesurleterritoiredecettedernière(voirarrêtBrüstle,EU:C:2011:669,point26).24S'agissantdecetteinterprétation,laCourarelevé,aupoint34del'arrêtBrüstle(EU:C:2011:669),que,telqu'ildécouleducontexteetdubutdeladirective98/44,lelégislateurdel'Unionaentenduexcluretoutepossibilitédebrevetabilitédèslorsquelerespectdûàladignitéhumainepourraitenêtreaffectéetqu'ilen résulte que la notion d'«embryon humain», au sens de l'article 6, paragraphe 2, sous c), de laditedirective,doitêtrecompriselargement.25Aupoint35decetarrêt,laCouraindiquéque,danscesens,toutovulehumaindoit,dèslestadedesafécondation, être considéré comme un «embryon humain» au sens et pour l'application de l'article 6,paragraphe2,sousc),delamêmedirective,dèslorsquecettefécondationestdenatureàdéclencherleprocessusdedéveloppementd'unêtrehumain.26 La Cour a précisé, au point 36 du même arrêt, que doivent également se voir reconnaître cettequalificationl'ovulehumainnonfécondé,danslequellenoyaud'unecellulehumainematureaétéimplanté,etl'ovulehumainnonfécondéinduitàsediviseretàsedévelopperparvoiedeparthénogenèse.LaCouraajoutéque,mêmesicesorganismesn'ontpasfaitl'objet,àproprementparler,d'unefécondation,ilssont,ainsiqu'ilressortdesobservationsécritesdéposéesdevant laCourdansl'affaireayantdonnélieuauditarrêtBrüstle(EU:C:2011:669),parl'effetdelatechniqueutiliséepourlesobtenir,denatureàdéclencherleprocessusdedéveloppementd'unêtrehumaincommel'embryoncrééparfécondationd'unovule.27 Il résulteainside l'arrêtBrüstle (EU:C:2011:669)qu'unovulehumainnon fécondédoitêtrequalifiéd'«embryonhumain»,ausensdel'article6,paragraphe2,sousc),deladirective98/44,pourautantquecetorganismeest«denatureàdéclencherleprocessusdedéveloppementd'unêtrehumain».28Comme l'a relevé, en substance,M. l'avocat général aupoint73de ses conclusionsdans laprésenteaffaire,cetteexpressiondoitêtreentendueencesensque,pourpouvoirêtrequalifiéd'«embryonhumain»,unovulehumainnonfécondédoitnécessairementdisposerdelacapacitéintrinsèquedesedévelopperenunêtrehumain.29Parconséquent,dansl'hypothèseoùunovulehumainnonfécondéneremplitpascettecondition,leseulfaitpourcetorganismedecommencerunprocessusdedéveloppementn'estpassuffisantpourqu'ilsoitconsidérécommeun«embryonhumain»,ausensetpourl'applicationdeladirective98/44.30Enrevanche,dansl'hypothèseoùuntelovuledisposeraitdelacapacitéintrinsèquedesedévelopperenunêtrehumain,ildevrait,auregarddel'article6,paragraphe2,sousc),decettedirective,êtretraitédelamêmefaçonqu'unovulehumainfécondé,àtouslesstadesdesondéveloppement.31Dansl'affaireayantdonnélieuàl'arrêtBrüstle(EU:C:2011:669),ilressortaitdesobservationsécritesdéposéesdevantlaCourqu'unovulehumainnonfécondéqui,parvoiedeparthénogenèse,aétéinduitàsediviseretàsedévelopperdisposaitdelacapacitédesedévelopperenunêtrehumain.32C'estprécisémentlaraisonpourlaquelle,surlabasedecesobservations,laCouraconsidéré,dansleditarrêt,que,pourdéfinirlanotiond'«embryonhumain»,ausensdel'article6,paragraphe2,sousc),deladirective98/44,unovulehumainnonfécondéquiaétéinduitàsediviseretàsedévelopperparvoiedeparthénogenèsedevaitêtreassimiléàunovulefécondéet,parconséquent,êtrequalifiéd'«embryon».

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33Cependant,danslaprésenteaffaire,lajuridictionderenvoi,ainsiqu'ilressortdupoint17duprésentarrêt,asoulignéensubstanceque,selonlesconnaissancesscientifiquesdontelledispose,unparthénotehumain,parl'effetdelatechniqueutiliséepourl'obtenir,n'estpassusceptible,entantquetel,dedéclencherleprocessusdedéveloppementquiaboutitàunêtrehumain.Cetteappréciationestpartagéeparl'ensembledesintéressésayantdéposédesobservationsécritesdevantlaCour.34Parailleurs,ainsiqu'ilaétérelevéaupoint18duprésentarrêt,dansl'affaireauprincipal,ISCOamodifiéses demandes d'enregistrement afin d'exclure l'éventualité de l'utilisation d'interventions génétiquesadditionnelles.35Danscesconditions,l'affaireauprincipalporteuniquementsurlaqualification,auregarddel'article6,paragraphe2,sousc),deladirective98/44,d'unparthénotehumainentantquetel,etnond'unparthénotequiferaitl'objetd'interventionsadditionnellesrelevantdugéniegénétique.36C'estàlajuridictionderenvoiqu'ilappartientdevérifiersi,àlalumièredesconnaissancessuffisammentéprouvéesetvalidéesparlasciencemédicaleinternationale(voir,paranalogie,arrêtSmitsetPeerbooms,C157/99,EU:C:2001:404,point94),desparthénoteshumains,telsqueceuxfaisantl'objetdesdemandesd'enregistrementdansl'affaireauprincipal,disposentounondelacapacitéintrinsèquedesedévelopperenunêtrehumain.37Dansl'hypothèseoùlajuridictionderenvoiconstateraitquecesparthénotesnedisposentpasd'unetellecapacité, elle devrait en conclure que ceux-ci ne constituent pas des «embryons humains», au sens del'article6,paragraphe2,sousc),deladirective98/44.38Au vudes considérations qui précèdent, il convient de répondre à la questionposée que l'article 6,paragraphe2,sousc),deladirective98/44doitêtreinterprétéencesensqu'unovulehumainnonfécondéqui,parvoiedeparthénogenèse,aétéinduitàsediviseretàsedévelopperneconstituepasun«embryonhumain»,ausensdecettedisposition,si,àlalumièredesconnaissancesactuellesdelascience,ilnedisposepas,entantquetel,delacapacitéintrinsèquedesedévelopperenunêtrehumain,cequ'ilappartientàlajuridictionnationaledevérifier.(...)Parcesmotifs,laCour(grandechambre)ditpourdroit:L'article6,paragraphe2,sousc),deladirective98/44/CEduParlementeuropéenetduConseil,du6juillet1998,relativeà laprotectionjuridiquedesinventionsbiotechnologiques,doitêtreinterprétéencesensqu'unovulehumainnonfécondéqui,parvoiedeparthénogenèse,aétéinduitàsediviseretàsedévelopperneconstituepasun«embryonhumain»,ausensdecettedisposition,si,à la lumièredesconnaissancesactuellesdelascience,ilnedisposepas,entantquetel,delacapacitéintrinsèquedesedévelopperenunêtrehumain,cequ'ilappartientàlajuridictionnationaledevérifier.Note:La Cour de justice de l'Union européenne a rendu le18 décembre 2014 un arrêt fondamental sur labrevetabilitéduvivantdansledomainedelaprotectionjuridiquedesinventionsbiotechnologiques.TroisansaprèssadécisionBrüstle,elleintervientencorepourseprononcersurlabrevetabilitéducorpshumainetpour,ànouveau,définirl'embryonhumainauregarddeladirective98/44/CEdu6juillet1998relativeà la protection des inventions biotechnologiques (JOCE n° L 213, 30 juill. 1998, p. 13). Il en résulte uneévolutioncertaineenfaveurdelabrevetabilitéduvivanthumain.Danscettenouvelleaffaire,l'entrepriseISCOavaitprésentédeuxdemandesd'enregistrementdebrevetsnationauxauprèsdel'UnitedKingdomIntellectualPropertyOffice(OfficedelapropriétéintellectuelleduRoyaume-Uni). Ces demandes d'enregistrement étaient relatives à l'activation d'ovocytes par voie departhénogenèse.Pardécisiondu16août2012,cesdemandesdebrevetontétérefuséesaumotifquelesinventionsconstituaientdesutilisationsd'embryonshumainsàdesfinsindustriellesoucommercialesetqu'ellesétaientenconséquenceexcluesdelabrevetabilitéausensdudroitduRoyaume-Unimettantenoeuvrel'article6,paragraphe2c)deladirective98/44.UnrecoursaétéexercéparlasociétéISCOcontreladécisiondel'OfficedevantlaHighCourtofJusticeetcettedernière,parunedécisiondu17avril2013,ademandéàlaCourdejusticedel'Unioneuropéenne(CJUE)si l'article6,paragraphe2c)deladirective98/44doitêtreinterprétéencesensqu'unovulehumainnonfécondéqui,parvoiedeparthénogenèse,aétéinduitàsediviseretàsedévelopperjusqu'àuncertainstadeconstitueunembryonhumainausensdecettedisposition.Pourrépondreàcettequestion,laCourdevaitprécisercequ'elleentendparunélément«denatureàdéclencherleprocessusdedéveloppementd'unêtrehumain»etrelève,parconséquent,delanotiond'embryonhumain.Par une importante décision, la Cour décide qu'« un ovule humain non fécondé qui, par voie departhénogenèse,aétéinduitàsediviseretàsedévelopperneconstituepasun"embryonhumain",ausensdecettedisposition,si,àlalumièredesconnaissancesactuellesdelascience,ilnedisposepas,entantquetel, de la capacité intrinsèque de se développer en un être humain, ce qu'il appartient à la juridictionnationaledevérifier».Enconséquence,laCourautoriselabrevetabilitédel'ovulehumainactivéparvoie

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departhénogenèse,carl'ovulen'estpasenmesure,danscetteconfiguration,desedévelopperenunêtrehumain;aussil'ovulenepeut-ilêtreconsidéré,danscecas,commeunembryonhumain.Cettesolutionmet en avant le critère de la capacité intrinsèque de se développer en un être humain pour qualifierl'embryon humain. En retenant la brevetabilité de l'ovule humain non-fécondé, la Cour rompt avec sasolutionantérieurequi faisait, sansnuance,de l'ovulehumainunélémentexclude labrevetabilité : lesparthénotes,cesorganismesrésultantdeladivisionparparthénogénèsed'ovuleshumainsnonfécondés,sont donc écartés de l'interdiction visant les embryons et accèdent à la qualification d'élémentsbrevetables.Ledomainedelabrevetabilitéduvivanthumainvientdoncd'êtremodifiéparlaCJUEquienaccroit le périmètre. Cette décision constitue une évolution notable en matière de recherchebiotechnologiquedontlateneurseraexaminée(1)avantd'analysersaportée(2).1.LafragmentationdustatutjuridiqueduvivanthumainAlorsquelaquestionétaitjusqu'àprésentenvisagéedemanièreglobaleauregarddustatutd'exceptiondel'embryon(A),l'arrêtadopteuneorientationnovatriceennuançantleprincipedel'interdictiondebrevet(B).A.-Uneexclusionjusqu'àprésentlargedelabrevetabilitéLabrevetabilitéduvivanthumaindel'embryonhumainetdescellulessouchesembryonnairesatoujoursétéexclueendroiteuropéenetendroitfrançais.Lestatuttrèsprotecteurdel'embryon(V.C.civ.,art.16ets.)militeenfaveurd'uneexclusiondubrevets'agissantdel'êtrehumain.LaCourrappelled'ailleursdansl'arrêtcommentél'existencedeprincipesfondamentauxgarantissantladignitéetl'intégritédel'Homme,ainsi que l'exclusion générale de la brevetabilité du corps humain (consid. 16) et des inventions dontl'exploitationcommercialeseraitcontraireàl'ordrepublicouauxbonnesmoeursquidoiventêtreexcluesdelabrevetabilité(consid.37).Untelrefusdelabrevetabilitéduvivanthumainestfondénotammentsurl'article6,§2c)deladirective98/44/CEdu6juillet1998relativeàlaprotectionjuridiquedesinventionsbiotechnologiquesquiprévoitque«(...)nesontnotammentpasbrevetables:c)lesutilisationsd'embryonshumainsàdesfinsindustriellesoucommerciales»(V.danslesmêmestermesCPI,art.L.611-18issudeL.n°2004-800,6août2004relativeàlabioéthique).Silestextesposentclairementl'exclusionàl'égarddel'embryon,ladifficultérésidedansl'absencededéfinitiondel'embryon.Ladirectiveneledéfinitpasetnecomporteaucunrenvoiexprèsaudroit des États membres pour en déterminer le sens et la portée : il s'agit donc d'une notion dontl'interprétationdoitêtreréaliséedemanièreautonomeetuniformedanstoutel'Union.Ceconceptdenotionautonomedel'embryonpermetdejustifierlacompétencedelaCJUEetderappelerlerôledegardiendel'applicationuniformedudroitdel'UniondelaCour(encesensnotamment,V.CJCE,16juill.2009,aff.C-5/08, Infopaq international). Ce rôle est d'autant plus crucial concernant la notion d'embryon qued'importantesdivergencesexistent entre les législationsdesÉtatsmembresquant à cettenotion (B.deMalherbeetJ-C.Galloux,L'arrêtBrüstle:delarégulationdumarchéàl'expressiondesvaleurs:Prop.industr.2012,étude15;S.Roset,Protectiondesinventionsbiotechnologiques:Europe2011,comm.482).DanssonarrêtBrüstledu18octobre2011(CJUE,18oct.2011,aff.C-34/10.-V.surcetarrêt,M.-C.ChemtobConcé,Lanon-brevetabilitédesprocédésderecherchedestructifsd'embryonshumains:Prop.industr.2012,comm.2;B.deMalherbeetJ.-C.Galloux,L'arrêtBrüstle:delarégulationdumarchéàl'expressiondesvaleurs,préc.;D.2011,p.410,J.Daleau;C.Byk,JDIn°1,janv.2013,5;L.Marino,Chronique,Gaz.Pal.16févr.2012,n°47,p.14;B.Bévière-Boyer,Lecoupd'arrêtdelabrevetabilitédelarechercheportantsurl'utilisationdesembryonsetdescellulessouchesenEurope:LPA5avr.2012,p.3;D.2012,p.520,chron.J.Raynard),laCJUEa défini l'embryon demanière très large comme constitué par « tout ovule humain dès le stade de lafécondation, tout ovule humain non fécondé dans lequel le noyau d'une cellule humainemature a étéimplantéettoutovulehumainnonfécondéqui,parvoiedeparthénogenèse,aétéinduitàsediviseretàsedévelopper».EtlaCouraconsidéréalorsque«mêmesicesorganismesn'ontpasfaitl'objet,àproprementparler,d'unefécondation,ilssont,ainsiqu'ilressortdesobservationsécritesdéposéesdevantlaCour,parl'effetdelatechniqueutiliséepourlesobtenir,denatureàdéclencherleprocessusdedéveloppementd'unêtrehumaincommel'embryoncrééparfécondationd'unovule»(pt36).Or,celaconduisaitàinclurelesparthénotesquisont«denatureàdéclencherleprocessusdedéveloppementd'unêtrehumain»danslechampdel'exclusiondebrevetabilité.Enl'espèce,laquestionpréjudiciellequasi-identiqueconduitlaCouràseprononcerànouveausurcettebrevetabilitéduvivanthumainetellesaisitl'occasionpourfaireévoluersaposition.B.-UneinterdictionàprésentdélimitéeEnaffinantledomainedelabrevetabilité,laCourestamenéeàécarterdelacatégoriedel'embryondeshypothèsespourlesquelleslabrevetabilitéresurgitfaisantainsivolerenéclatsl'unitédustatutjuridiquedelavieembryonnaire.Conformémentàl'arrêtBrüstledelaCJUE,l'Officeanglaisarejetélesdemandesdebrevetsdel'entrepriseISCOenretenantquelesovuleshumainsnonfécondés«(...)étaientdenatureàdéclencherleprocessusde

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développementd'unêtrehumaincommel'embryoncrééparfécondationd'unovuleausensdupoint36del'arrêtBrüstle».Ilenconclutquecesinventionsconstituaientdesutilisationsd'embryonshumainsàdesfinsindustriellesoucommercialesexcluesdelabrevetabilité(UKIntellectualPropertyOffice,16août2012).Mais la juridiction de renvoi considère que « (...) selon les connaissances scientifiques actuelles, lesparthénotesmammaliens ne pourraient jamais se développer jusqu'à terme en raison du fait que, à ladifférence d'un ovule fécondé, ils ne contiennent pas d'ADN paternel, lequel est nécessaire audéveloppementdutissuextraembryonnaire».Aussi,detelsparthénotes,nonsusceptiblesdesedévelopperenunêtrehumain,nedevraientpasêtrequalifiésd'embryonshumains.C'estbiencequel'avocatgénéraldelaCJUEaretenuenconsidérantquelecritèredécisifconsisteàvérifier«sicetovulenonfécondéalacapacitéintrinsèquedesedévelopperenunêtrehumain,c'est-à-dires'ilconstitueréellementl'équivalentfonctionneld'unovulefécondé»(Conclusions,17juill.2014,aff.C-364/13,pt73).Suivantlesconclusionsdeson avocat général, la CJUE affine le critère de définition de l'embryon en privilégiant la capacitéintrinsèque de l'organisme de se développer en un être humain (pt 28). Or c'est bien le critère dudéclenchementduprocessusdel'êtrehumainquifaitdéfaut(pt33).Parconséquent,lefaitpourunovulehumain non fécondé de débuter un processus de développement n'est plus suffisant pour qu'il soitconsidérécommeunembryonhumainausensdeladirective98/44.Dèslors,cetovulen'estplusexcludela brevetabilité et ses utilisations à des fins industrielles ou commerciales sont susceptibles d'êtrebrevetées.LaCJUEinnoveenopérantunesubdivisionnouvelleauregarddelaqualificationd'embryonhumain.Lasolutionconstituedoncunprolongementdel'arrêtBrüstlequipréciseparlanégativelanotiond'embryonetconduitàenréduirelepérimètre.2.L'accroissementdudomainedelabrevetabilitéduvivantIls'agiticid'expliciterleslimitesapportéesauprinciped'exclusiondelabrevetabilité(A),avantd'envisagerlesconséquencespourlarechercheenbiotechnologies(B).A.-UnenouvellepositionmesuréedelaCJUEC'estaunomdel'évolutiondelaconnaissancescientifiquequelaCourfaitévoluersaposition.Depuis2011s'est produit un changement scientifique qui conduit à considérer que les parthénotes ne sont pas desembryonshumains.C'estcequelerequérantavaitdémontrédanssapositionpartagéeparlajuridictionde renvoi. De même, l'avocat général a relevé qu'en l'état actuel des connaissances scientifiques, lesparthénotes humains ne peuvent pas dans cette configuration se développer jusqu'à terme et que cetélémentn'étaitpasconnudelaCourdansl'affaireBrüstle(conclusions,pt30).Enoutre,desintéressés,àsavoirlaFrance,laSuède,leRoyaume-UnietlaCommission,ontdéposédesobservationsécritesdevantlaCour,etontémislamêmeappréciationsurl'étatdesconnaissancesscientifiques.Ainsi,laréponseapportéeàlaquestiondelacapacitédedéveloppementenunêtrehumainen2011n'estpluspertinenteen2014.Lesconnaissances scientifiques ont rapidement évolué en trois ans depuis l'arrêt Brüstle, ce qui justifieparfaitementcettenouvelleinterprétationparlaCourdel'article6,paragraphe2c)deladirective.LaCourassureicil'adaptabilitédudroitfaceàunescienceenperpétuelleévolution,particulièrementenmatièredebiotechnologiesoùlarechercheévoluerapidementàunniveauinternational.LaCJUErenvoieenoutrel'appréciationdecettecapacitédedéveloppementdesparthénoteshumainsenun être humain à la juridiction de renvoi « à la lumière des connaissances suffisamment éprouvées etvalidéesparlasciencemédicaleinternationale».Cesontdonclesjuridictionsnationalesquiapprécierontla capacité intrinsèquededéveloppementdesovulespour s'opposerà leurbrevetabilité.Ce renvoi auxjuridictions nationales est sans doute critiquable (en ce sens, S. Roset, Protection des inventionsbiotechnologiques:Europe2015,comm.83),carlesinterprétationsrisquentd'êtredivergentes.Enl'espèce,ils'agissaituniquementdelaqualificationd'unparthénotehumainentantquetel:l'hypothèsed'un parthénote qui ferait l'objet d'interventions additionnelles relevant du génie génétique n'était pasviséeetn'estpasenvisageableàcejourd'unpointdevuescientifique.Toutefois,devantlajuridictionderenvoi, la société ISCO a fait preuve de prudence en procédant à la modification de ses demandesd'enregistrementpourécartertoutepossibilitéd'utilisationd'interventionsgénétiquesadditionnelles(pt18).Cettedifficultéabienétésoulevéeparl'avocatgénéral(conclusions,pts76à79),maisellen'apasétéévoquéeparlaCJUE;onpeuts'interrogersurlesilencedelaCour,silencequiapuêtrequalifiéd'éloquent(V.encesens,JCPG2015,135,C.Byk).Malgré cette zone d'ombre, la solution de la Cour constitue une avancée pour le développement de larecherchebiotechnologiqued'autantplusquelaCourrejettel'assimilationentrelafinalitéscientifiqueetla finalité industrielle et commerciale qu'elle avait réalisée dans l'affaire Brüstle (aff. C-34/10, pt 44).L'exclusion de la brevetabilité de l'embryon concernait l'exploitation à des fins industrielles etcommercialesmaisaussiàdesfinsderecherchescientifique:seulel'utilisationàdesfinsthérapeutiquesoudediagnosticapplicableàl'embryonhumainpouvaitfairel'objetd'unbrevet.LaCourconsidéraiten

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effet que l'emploi des embryons humains à des fins de recherche scientifique était indissociable del'exploitationindustrielleetcommerciale.Àl'inverse,laCouraffirmeicique«ladirective98/44n'apaspourobjetderéglementerl'utilisationd'embryonshumainsdanslecadrederecherchesscientifiquesetquesonobjetselimiteàlabrevetabilitédesinventionsbiotechnologiques»(aff.C-364/13,pt22).LaCourlèvedoncl'interdictiondebrevetabilitépourunefinalitéscientifiqueetrevientsurl'interprétationqu'elleavaitelle-mêmedonnéepourdéfinirl'embryonauregarddutexteinchangédeladirective,cequiouvredenouvellesperspectivespourlarechercheenbiotechnologies.B.-DenouvellesperspectivespourlarechercheenbiotechnologiesGrâceàl'évolutiondelarecherchescientifique,l'opportunitéfutainsiofferteàlaCourd'adopterunmeilleuréquilibreentrelesintérêtsencausequesontd'unepartlerespectdesprincipesfondamentauxgarantissantladignitéetl'intégritédel'Hommeetd'autrepartlesintérêtsscientifiquesetéconomiquesdelarechercheenbiotechnologies.Parsoncaractèreabsolumentprotecteurduvivanthumain,etparlerefusdetoutmonopoledansunsecteurdelarecherche,l'arrêtBrüstleacherchéàpréserverladignitéhumaine.Onapulequalifieràcetitred'arrêtcourageux(encesens,L.Marino,Chronique:Gaz.Pal.16févr.2012,n°47,p.14;M.-C.ChemtobConcé,Lanon-brevetabilitédesprocédésderecherchedestructifsd'embryonshumains:Prop.industr.2012,comm.2;V.aussi,J-C.Galloux,Nonàl'embryonindustriel:ledroitdesbrevetsausecoursdelabioéthique?:D.2009,p.578).Laconséquencedecettesolutionestlefreinquienrésultepourledéveloppementdesrecherchesnotammentdans lesecteurpharmaceutique.Ordiminuer l'attractivitéde larecherchedanscedomaineinduit automatiquement une diminution des avancées de lamédecine. Les entreprises européennes nepeuventlutteràarmesjuridiqueségalesavecdesconcurrentesétrangèresquibénéficientdenormesplusavantageuses,commec'estnotammentlecaspourlalégislationaméricaine.Aussi, l'arrêt commenté marque un pas vers un meilleur équilibre entre les intérêts en présence quisemblenttotalementantagonistes:ilapporteuntempéramentàcettesolutionenprenantencomptelesintérêtsdelarechercheetapuêtrequalifiéde«déclinaisonraisonnabledel'arrêtBrüstle»(Gaz.Pal.5mars2015,n°64,p.17,L.Marino).Certainsconsidèrerontpeut-êtrequelesscrupuleshumanistesviennentdecéder face aux progrès de la recherche industrielle, mais pour nous, cet arrêt permet une meilleureconciliationdel'éthiqueetdelarecherchesansrenonceràladéfensed'unecertainevisionhumaniste.Pourautant, cette décision pose plus largement la question de droits sur l'humain avant l'apparition de lapersonnalité et elle conduit à redéfinir demanière négative le périmètre de l'embryon. La conceptiondésormais réduitede l'embryon en référenceà la seulequalitéd'êtreendevenir complexifie le régimejuridique et réifie certainement l'être humain.Dans l'arrêtBrüstle, l'avocat général avait rappelé que «l'Unionn'estpasqu'unmarchéàréguler,maisqu'elleaaussidesvaleursàexprimer».Resteàvoirsicettenouvelleexpressiondesvaleursdel'Unionauravocationàperdurer...DOCUMENT9:CEDH27août2015;ParrilloC/Italie(extraits)Sur l'applicabilitéenl'espècedel'article8de laConventionetsur larecevabilitédugriefsoulevépar larequérante•149.Parlaprésenteaffaire,laCourestappeléepourlapremièrefoisàseprononcersurlaquestiondesavoirsile«droitaurespectdelavieprivée»garantiparl'article8delaConventionpeutengloberledroitquelarequéranteinvoquedevantelle,celuidedisposerd'embryonsissusd'unefécondationinvitrodanslebutd'enfairedonàlarecherchescientifique(…)•153.Àl'instardelarequérante,laCourrappelled'embléeque,selonsajurisprudence,lanotionde«vieprivée»ausensde l'article8de laConventionestunenotionlargequineseprêtepasàunedéfinitionexhaustiveetquienglobenotammentundroitàl'autodétermination(Pretty,précité,§61).Enoutre,cettenotionrecouvreledroitaurespectdesdécisionsdedeveniroudenepasdevenirparent(Evans,précité,§71,etA,BetCc.Irlande[GC],n°25579/05,§212,CEDH2010)(…)•157.Surleplandudroitnational,laCourobserveque,commeleGouvernementl'asoulignéàl'audience,l'arrêtn°162du10juin2014parlequellaCourconstitutionnelleadéclaréinconstitutionnellel'interdictionde la fécondation hétérologue (voir les § 34 à 39 ci-dessus) devrait permettre l'« adoption pour lanaissance»,pratiquequiconsistepouruncoupleouunefemmeàadopterdesembryonssurnumérairesàdesfinsd'implantationetquiavaitétéenvisagéeparleComiténationalpourlabioéthiqueen2005.Deplus,laCournoteque,dansl'arrêtenquestion,laCourconstitutionnelleaconsidéréquelechoixdesdemandeursdedevenirparentsetdefonderunefamilleavecdesenfantsrelevaitde«leurlibertéd'autodéterminationconcernant la sphère de leur vie privée et familiale » (voir le § 37 ci-dessus). Il en résulte que l'ordrejuridiqueitalienaccordeaussidupoidsàlalibertédechoixdespartiesàuntraitementparfécondationinvitroencequiconcernelesortdesembryonsnondestinésàl'implantation.•158.Enl'espèce,laCourdoitaussiavoirégardaulienexistantentrelapersonnequiaeurecoursàune

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fécondationinvitroetlesembryonsainsiconçus,etquitientaufaitqueceux-cirenfermentlepatrimoinegénétiquedelapersonneenquestionetreprésententàcetitreunepartieconstitutivedecelle-cietdesonidentitébiologique.•159.LaCourenconclutquelapossibilitépourlarequéranted'exercerunchoixconscientetréfléchiquantausortàréserveràsesembryonstoucheunaspectintimedesaviepersonnelleetrelèveàcetitredesondroitàl'autodétermination.L'article8delaConvention,sousl'angledudroitaurespectdelavieprivée,trouvedoncàs'appliquerenl'espèce(…)Surlefonddugriefsoulevéparlarequérantea)Surl'existenced'une«ingérence»«prévueparlaloi»•161.Àl'instardesparties,laCourestimequel'interdictionfaiteparl'article13delaloin°40/2004dedonner à la recherche scientifique des embryons issus d'une fécondation in vitro non destinés àl'implantation constitue une ingérence dans le droit de la requérante au respect de sa vie privée. Ellerappelleàcetégardque,àl'époqueoùlarequéranteaeurecoursàunefécondationinvitro,laquestiondudondesembryonsnonimplantésissusdecettetechniquen'étaitpasréglementée.Parconséquent,jusqu'àl'entréeenvigueurdelaloilitigieuse,iln'étaitnullementinterditàlarequérantededonnersesembryonsàlarecherchescientifique.b)Surlalégitimitédubutpoursuivi(…)•167.LaCouradmetquela«protectiondelapotentialitédeviedontl'embryonestporteur»peutêtrerattachéeaubutdeprotectiondelamoraleetdesdroitset libertésd'autrui,ausensoùcettenotionestentendueparleGouvernement,(voiraussiCostaetPavan,précité,§§45et59).Toutefois,celan'impliqueaucunjugementdelaCoursurlepointdesavoirsilemot«autrui»englobel'embryonhumain(A,BetCc.Irlande,précité,§228)(…)c)Surlanécessitédelamesuredansunesociétédémocratique(…)•174.LaCourrappelled'embléequelaprésenteespèceneconcernepasunprojetparental,àladifférencedesaffairescitéesci-dessus.Danscesconditions,s'iln'estassurémentpasdénuéd'importance,ledroitdedonnerdesembryonsàlarecherchescientifiqueinvoquéparlarequérantenefaitpaspartiedunoyaudurdesdroitsprotégésparl'article8delaConventionencequ'ilneportepassurunaspectparticulièrementimportantdel'existenceetdel'identitédel'intéressée.•175.Enconséquence,eteuégardauxprincipesdégagésparsajurisprudence,laCourestimequ'ilyalieud'accorderàl'Étatdéfendeuruneamplemarged'appréciationenl'espèce.•176.Deplus,elleobservequelaquestiondudond'embryonsnondestinésàl'implantationsuscitedetouteévidence«desinterrogationsdélicatesd'ordremoraletéthique»(voirEvans,précité,S.H.etautresc.Autriche,précité,etKnecht,précité)etquelesélémentsdedroitcomparédontelledispose(voirles§69à 76 ci-dessus) montrent qu'il n'existe en la matière aucun consensus européen, contrairement à cequ'affirmelarequérante(voirle§137ci-dessus).•177.Certes,certainsÉtatsmembresontadoptéuneapprochepermissivedanscedomaine:dix-septdesquaranteÉtatsmembrespourlesquelslaCourdisposed'informationsenlamatièreautorisentlarecherchesur les lignées cellulaires embryonnaires humaines. S'y ajoutent les états où ce domaine n'est pasrèglementé,maisdontlespratiquessontpermissivesenlamatière.•178.Toutefois, certainsétats (Andorre, laLettonie, laCroatieetMalte)sesontdotésd'une législationinterdisant expressément toute recherche sur les cellules embryonnaires. D'autres n'autorisent lesrecherches de ce genre que sous certaines conditions strictes, exigeant par exemple qu'elles visent àprotégerlasantédel'embryonouqu'ellesutilisentdeslignéescellulairesimportéesdel'étranger(c'estlecasdelaSlovaquie,del'Allemagneetdel'Autriche,toutcommedel'Italie).•179.L'Italien'estdoncpasleseulÉtatmembreduConseildel'Europeàproscrireledond'embryonshumainsàdesfinsderecherchescientifique(…)•196.Enfin,laCourconstateque,danslaprésenteaffaire,lechoixdedonnerlesembryonslitigieuxàlarecherchescientifiquerésultedelaseulevolontédelarequérante,soncompagnonétantdécédé.OrlaCournedisposed'aucunélémentattestantquecedernier,quiétaitconcernéparlesembryonsencauseaumêmetitrequelarequéranteàl'époquedelafécondation,auraitfaitlemêmechoix.Parailleurs,cettesituationnefaitpasnonplusl'objetd'uneréglementationsurleplaninterne.•197.Pourlesraisonsexposéesci-dessus,laCourestimequeleGouvernementn'apasexcédéenl'espècel'amplemarged'appréciationdontiljouitenlamatièreetquel'interdictionlitigieuseétait«nécessairedansunesociétédémocratique»ausensdel'article8§2delaConvention(…)V.Surlaviolationalléguéedel'article1duprotocolen°1àlaconvention(…)B.AppréciationdelaCourLesprincipesdégagésparlajurisprudencedelaCour• 211. LaCour rappelle que la notionde « bien » au sensde l'article 1 duProtocole n° 1 a uneportéeautonomequineselimitepasàlapropriétédebienscorporelsetquiestindépendantedesqualifications

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formellesdudroit interne :certainsautresdroitset intérêtsconstituantdesactifspeuventaussipasserpourdes«droitspatrimoniaux»etdoncdes«biens»auxfinsdecettedisposition.Danschaqueaffaire,ilimported'examinersilescirconstances,considéréesdansleurensemble,ontrendulerequéranttitulaired'unintérêtsubstantielprotégéparl'article1duProtocolen°1(Iatridisc.Grèce[GC],n°31107/96,§54,CEDH1999II,Beyelerc. Italie[GC],n°33202/96,§100,CEDH2000I,etBroniowskic.Pologne[GC],no31443/96,§129,CEDH2004-V)(…)Applicationenl'espècedesprincipessusmentionnés•214.LaCourrelèvequelaprésenteaffairesoulèvelaquestionpréalabledel'applicabilitédel'article1duProtocolen°1à laConventionauxfaitsencause.Elleprendactedecequelespartiesontdespositionsdiamétralement opposées sur cette question, tout particulièrement en ce qui concerne le statut del'embryonhumaininvitro.• 215. Elle estime toutefois qu'il n'est pas nécessaire de se pencher ici sur la question, délicate etcontroversée,dudébutdelaviehumaine,l'article2delaConventionn'étantpasencauseenl'espèce.Quantàl'article1duProtocolen°1,laCourestd'avisqu'ilnes'appliquepasdanslecasprésent.Eneffet,euégardàlaportéeéconomiqueetpatrimonialequis'attacheàcetarticle,lesembryonshumainsnesauraientêtreréduitsàdes«biens»ausensdecettedisposition(…)Document10:CEDH11octobre2016,n°81277/12,Sayanc/TurquieENFAIT

I.LESCIRCONSTANCESDEL’ESPÈCE

6.Lesrequérantssontnésrespectivementen1970,1996,1998et1999etrésidentàİzmir.7.Le27décembre2001,à8h55,LeylaKarataş,enceintedeneufmois,compagnedurequérantetmère

d’Eylem,deDevrimetdeBaharSayan,décédaàl’âgede21ansàl’hôpitald’enseignementetderechercheYeşilyurtAtatürkd’İzmir(«l’hôpitalYeşilyurtAtatürk»),oùelles’étaitrenduepourêtresoignée.

A.LescirconstancesdudécèsdeLeylaKarataş

8.D’aprèsundocumenthospitalierétablile27décembre2001à7h15décrivantlerésultatdel’examenobstétriquedeMmeKarataş,sescontractionsavaientdébutélejourmême,à6h30,demanièrespontanée.Cedocumentportenotamment lamention«ÇKS1(+)»et indiquequelapatienteétaitvenueà l’hôpitalparcequ’elleressentaitdelégèrescontractionsirrégulières.

9. À8h30, un formulaired’hospitalisationde lapatiente au serviced’obstétriquedesurgencesdel’hôpitalfutétabli.Ceformulaireportelamention«avecengagementécrit».

10.Lejourmême,lerequérantsignaundocumentparlequelils’engageaitàpayerlesfraismédicauxafférentsauxsoinsprodiguésàsacompagne.Cetengagementécritn’indiquenilenomdel’hôpitaloùilaétéétablinilemontantd’unesommequelconque.Ilcomportecependantuncachetmentionnant«chefdegardeduservicedesurgences»assortid’unesignature.Cetengagementseprésentesous la formed’unformulairepréétablipouvantnotammentselirecommesuit:

«J’aiétéacceptéàvotrehôpitalle...Jen’aiaucunecouverturesociale[ni]...au-delàde...TL2jen’aipas les moyens matériels de faire face aux frais d’hôpital. Je [demande] à ce que tous mes fraismédicaux,autermedesvérificationsdelapréfecture/dugouvernorat,soientprisenchargeparlesystème d’avance fait auministère de la Santé du fonds d’aide sociale et de solidarité du Premierministre.Àdéfaut,j’accepteetm’engageàrapporteràvotre[service]demédecineenchef,auplustarddansles15jours,ledocumentquiseraétabliparlefondspourlerecouvrementdetouslesfraisrelatifsauxsoins(...)»

11.Aucoursdelamêmejournée,unefiched’admissionàl’hôpitalfutétablieaunomdeLeylaKarataş.Cetteficheportelamentionmanuscrite«qu’unengagementsoitprispourlereste»(«kalanataahhütnameyapılsın»)suividunometdelasignaturedudocteurM.S.,ainsiqu’untamponindiquant«quelecoûtfassel’objetd’unsuivi»etunesériedechiffresmanuscrits.

12.Lemêmejour,l’anesthésisteH.İ.écrivitcequisuitsurunefichedeconsultation:

1ÇocukKalpSesleri:battementsdecœurdel’enfant.2Livresturques.

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«8h35,Anesthésie

Lapatienteaétéexaminéedanslasalled’accouchement(...)[elle]aétéintubée,laCPR3adébuté.4mgd’adrénalineluiontétéadministrés.Lebébéaétéretiréparcésarienne(battementsdecœurø,respirationspontanéeø(...)lebébéaétéintubé,laCPRadébuté,del’Aminocardolluiaétéadministré,et,fautederéponseàlaCPR,ilaétéconsidérécommeex.à8h55.Lamèreaégalementétéconsidéréecommeex.à8h55.»

13.Toujourslemêmejour,troismédecinsétablirentunprocès-verbaldedécèsauxtermesduquelLeylaKarataşavaitétéadmisedansleurserviceà7heures,avaitfaitunarrêtcardiopulmonaireà8h30et,fautederéactionàlaréanimationpratiquée,avaitétédéclaréemorteà8h55.

14.Ledossierdesuividesnaissancesétabliàlacliniquedegynécologieetd’obstétriqueindiquequel’intéresséeétaitarrivéeà7h05etqu’unecésariennepostmortemavaitétépratiquéesurelleà8h40.Letableaudessoinsprodiguésàlapatientementionneégalementquecelle-ciavaitfaitl’objetd’unecésariennepostmortemetqu’elleétaitdécédée.Surce tableau, lacase«catégoriepayante», relativeaucaractèrepayantounondel’hospitalisation,avaitétécochée.

15.Parmilesdocumentshospitaliersversésaudossiersetrouveunenotepouvantnotammentselirecommesuit:

«Le27décembre2001,à7heures,[l’étatde]lapatienteaétéévalué(...)ÇKS(+),deuxcontractionstoutes les dix minutes (...), une consultation en médecine interne d’urgence a été demandée (...)L’internistedegardearrivéà7h15aapprécié[l’étatde]lapatiente.Ilaestiméqu’ilpouvaits’agird’unepneumonieoud’uneattaqued’asthmeetaordonnélesexamensetsoinsrequis(...)à8h15,lorsdel’auscultationobstétrique,ÇKS(+)(...)à8h25,parcequelesÇKSn’étaientplusdétectables(...)onavouluemmenerlapatientefaireuneéchographieet,lorsqu’elleaétéplacéesurunecivière,elleafaitun arrêt cardiopulmonaire (...) [passage illisible]. [Le service] d’anesthésie et de réanimation a étéprévenu.À8h35,l’équiped’anesthésieaintubélapatienteetacommencélaCPR.Danscesconditions,unecésarienned’urgenceaétépratiquéesurlamère[pour]fairenaîtrelebébéà8h40avecunAPGAR0(zéro)4.Lepédiatreapratiquéuneréanimationsurlebébé.FautederéactiondelamèreetdubébéàlaCPR,ilsonttouslesdeuxétéconsidéréscommeex.à8h55.»

B.Lespoursuitespénalesdiligentéescontrelepersonnelhospitalier

16.Le27décembre2001,lerequérantdéposaplainteauprèsdeladirectiondépartementaledelasantéd’İzmir et du procureur de la République d’İzmir (« le procureur de la République »). Dans les deuxformulaires de plainte qu’il déposa devant ces instances, il dénonçait les conditions de prise en chargemédicaledesacompagne.Ilaffirmaitqu’onluiavaitréclaméunesommede50millionsdelivresturques(TRL,-environ30euros(EUR),selonletauxd’échanged’époque),dontilnedisposaitpas,desortequesacompagne avait attendu sans recevoir de soins pendant plusieurs heures. Il alléguait que lesmédecinsétaientresponsablesdesamortparcequ’ilsl’avaientlaisséeattendresanslasoigner,qu’ilsavaientcommisuneerreurdediagnostic,qu’ilsluiavaientadministréunmauvaismédicamentetunedosedenarcotiquetroppuissantecomptetenudesonétat.Ilarguaenoutrequelesmédecinsavaientméconnuleursermentd’Hippocrateetavaienttraitésacompagnenoncommeunêtrehumainmaiscommeunesourcederevenus.

(Aprèsuneprocéduretrèslonguemettantencauselaresponsabilitédesmédecinsdansledécèsdela

jeunefemmeetdesonbébé).17. Le1eroctobre2007, leprocureurgénéralprès laCourdecassationdemandaà cette juridiction

d’infirmerlejugementdepremièreinstanceauxmotifs,d’unepart,qu’ilavaitétéprononcéautermed’uneenquête insuffisantealorsqu’ilaurait fallu,selonlui,apprécier lecasdesaccusésaprèsavoirobtenuunrapportdelacommissionsupérieuredelaSantéportantsurlescausesdelamortdeLeylaKarataşetsurlaresponsabilitédesmédecinset,d’autrepart,enraisondel’absenced’auditiondedeuxdesaccusés.

18.Le11juin2008,laCourdecassationinfirmalejugementattaquéaprèsavoirrelevéquedeuxdesaccusésn’avaientpasétéinterrogésetn’avaientpasprésentéleurdéfense.

19. Le 23 juillet 2009, le tribunal correctionnelmit un terme à la procédure pénale pour cause deprescription,envertudesarticles102/4et104/2delaloipénaleno765.

20.Le2septembre2009,lerequérantsepourvutencassationcontrecejugement,alléguantquecettedécisionétaitcontraireàlaprocédureetàl’équité.Faisantvaloirquelajuridictiondepremièreinstance

3CPR:réanimationcardio-pulmonaire.4Étatdemortapparente:lescored’Apgarpermetdemesurerl’étatdesfonctionsvitalesd’unnouveau-né.

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avaitagicommes’iln’yavaiteuqu’unseulmort,enignorantledécèsdel’enfant,ilcontestalaprescription.Selonlui,enapplicationdel’article455/2delaloipénale,lapeineàinfligerenl’occurrencepouvaitêtredecinqans,maislorsqu’étaitencauselamortdeplusieurspersonnes,cettepeinepouvaitêtreportéeàdixans.Enapplicationdesarticles102/3et104/2delaloipénale,laprescriptiondevraitêtreportéeàquinzeans. Il réitéra en outre les arguments qu’il avait soumis dans son précédent mémoire en pourvoi(paragraphe51ci-dessus).

21.Le10février2011,danssonavissurlepourvoi,leprocureurgénéralprèslaCourdecassationinvitacettedernièreàconfirmerlejugementdepremièreinstanceestimantqueledélaideprescriptionétaitéchu.

22.Le30mai2012,laCourdecassationconfirmalejugementdepremièreinstanceaprèsrectificationd’uneerreurmatérielle,remplaçantl’expression«levéedel’actionpénale»par«findel’actionpénale»puisque,envertudel’article223/8delaloisurlaprocédurepénaleno5271,ledélaideprescriptionétaitécoulé.

ENDROIT

I.SURLAVIOLATIONALLÉGUÉEDEL’ARTICLE2DELACONVENTION

23. Les requérants soutiennent que Leyla Karataş et son bébé sont morts en raison d’un défautd’attentiondesmédecinsaumomentdel’auscultation,d’uneerreurdediagnostic,del’administrationd’unmauvaismédicamentpuisd’undéfautdesoinsfautedepaiementcomptantdesfraismédicaux.Ilsarguentàcetégardquel’Étatn’apassatisfaitàsonobligationpositivedeprotégerledroitàlavie.

IlsallèguentquelaraisonpourlaquelleLeylaKarataşn’apasreçudesoinspendantplusieursheureslorsqu’elle était à l’hôpital estque lepersonnelhospitalier avaitposé commeconditionpréalable à sonexamenlepaiementdefraismédicaux.IlsrenvoientàcetégardàlacirculaireduministèredelaSantédu15décembre2011(2011/62)(paragraphe68ci-dessus)quidémontre,seloneux, l’existenced’unetellepratique.

Ilsarguentégalementquel’Étatamanquéàsonobligationpositived’instaurerunsystèmejudiciaireefficace permettant d’établir la cause d’un décès survenu en milieu hospitalier et éventuellement laresponsabilitédesmédecinstraitants.Ilsinvoquentàcetégardl’article2delaConvention.

24. De plus, les requérants se plaignent du défaut d’équité de la procédure devant les instances nationales. Ils contestent à ce sujet la prise en compte comme fondement unique à la décision des juridictions internes du rapport de l’institut médicolégal d’Istanbul et se plaignent que leur demande d’expertise par la commission supérieure de la Santé ait été ignorée. Ils arguent que les instances nationales ont manqué d’impartialité en entravant l’obtention d’une telle expertise. Ils dénoncent en outre la durée excessive de la procédure pénale qui, ayant duré plus de dix ans et cinq mois, a abouti à la prescription de l’action. Ils estiment contraire à l’équité que la procédure ait pu prendre fin par prescription. Ils reprochent enfin aux autorités internes d’avoir perdu l’une des preuves les plus importantes relatives à la procédure, à savoir la carte rose établie aux urgences. Ils invoquent l’article 6 de la Convention à l’appui de leurs dires.

25. Se fondant sur l’article 13 de la Convention, les requérants allèguent par ailleurs ne pas avoir bénéficié d’une voie de recours effective pour faire valoir leurs demandes compte tenu de la disparition de certains éléments de preuve, du refus des instances nationales de demander une expertise à la commission supérieure de la Santé et de la prescription de l’infraction. Enfin, ils se plaignent de l’attitude du procureur de la République qui, dès l’acte d’accusation, s’est prononcé contre les poursuites et a fait preuve, selon eux, de préjugés et de contradictions qui ont rendu la procédure ineffective.

26.LeGouvernementrejettecesallégations.27.La Cour rappelle que, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, elle ne se considère pas

comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements. Eu égard aux circonstances dénoncées par la requérante et à la formulation de ses griefs, la Cour examinera ces derniers sous l’angle de l’article 2 de la Convention sous ses aspects substantiel et procédural. Cet article énonce en ses passages pertinents en l’espèce que :

«1.Ledroitdetoutepersonneàlavieestprotégéparlaloi.(...)»

43

B.Surlefond

1.Argumentsdesrequérants

28. Les requérants contestent la version des faits exposée par le Gouvernement (paragraphes 88-99 ci-après), lui reprochant en outre d’avoir tenté de dissimuler la réalité de ceux-ci. Ils affirment à cet égard que le Gouvernement ne peut prétendre que toutes les interventions que requéraient les circonstances avaient été menées ni qu’il avait satisfait à ses obligations positives. Ils ajoutent qu’ils ne font pas grief d’une mort causée de manière intentionnelle.

29. Les requérants affirment qu’on leur a demandé le paiement d’une somme d’argent. Se référant au règlement cité par le Gouvernement (paragraphe 90 ci-après), ils soutiennent que les patients se trouvant dans le même état que Leyla Karataş devraient être soignés sans frais. Ils arguent que le Gouvernement a admis que les autorités internes leur avaient réclamé de l’argent et un engagement écrit. Parce qu’il n’avait pas les moyens de payer, le requérant aurait été contraint de signer cet engagement, en violation des dispositions réglementaires applicables.

30. Les requérants exposent en outre qu’au cours de la procédure pénale, seul fut pris en compte le cas de la mère décédée et non celui de l’enfant ; circonstance qui aurait eu une incidence sur la prescription. Ils affirment que si la mort de l’enfant avait été prise en compte dans le cadre des poursuites pénales, la prescription aurait été de 15 ans et non de 10 ans. Les requérants reprochent l’absence de poursuites du fait du décès de l’enfant.

31. Ils affirment qu’au regard du droit en vigueur à l’époque des faits (article 75 de la loi no 1219relative aux modalités d’exercice de l’art médical et de ses branches), tout acte criminel résultant d’une pratique professionnelle des médecins devait être sujet à l’avis de la commission supérieure de la Santé. Les requérants citent à cet égard des décisions de la Cour de cassation qui auraient conclu en ce sens. Ils affirment, au regard des arguments du Gouvernement quant à l’abrogation de cette obligation par la Cour constitutionnelle (paragraphe 97 ci-après), que jusqu’à cette date, les juridictions internes étaient tenues de requérir l’avis de cette commission. Le non-respect de cette obligation était, selon les requérants, contraire au droit interne.

32. Ils réitèrentque laprocédure relativeaudécèsdeLeylaKarataşetde sonenfant constitueuneviolationdel’article2delaConvention.

2.ArgumentsduGouvernement

33. Citant certainspassagesdesaffaires Powell c. Royaume-Uni ((déc.), no 45305/99, CEDH 2000-V), Calvelli et Ciglio (précité, § 49), Byrzykowski c. Pologne (no 11562/05, § 117, 27 juin 2006), Šilih c. Slovénie ([GC], no 71463/01, § 195, 9 avril 2009) et Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk (précité § 80), le Gouvernement soutient que, en l’espèce, n’est pas en cause une mort provoquée intentionnellement et que toutes les interventions nécessaires ont été menées dès le moment où Leyla Karataş a été admise en consultation à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk. À cet égard, il affirme qu’elle n’a pas été privée de soins au motif qu’elle n’aurait pas pu payer les frais médicaux mais que, au contraire, elle avait bénéficié des soins requis après un diagnostic qui avait établi qu’elle souffrait d’asthme.

34. Le Gouvernement argue que l’état de la patiente s’était détérioré après son départ volontaire de l’hôpital, sans prévenir personne, et que, lors de sa seconde admission à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, le traitement médical que son état nécessitait lui aurait été administré en vain.

35. Quantaux critères relatifs aux conditionsd’initiationd’un traitementmédical, leGouvernementrenvoieaurèglementrelatifaufonctionnementdesétablissementsdesoinsalités,publiéaujournalofficiel(« le JO ») le13 janvier1983, envigueur à l’époquedes faits. Il se réfère également auxamendementsapportésàcerèglementpardécisionduConseildesministresno2005/8720du1eravril2005,publiéauJOle5mai2005.Enfin,ilrenvoieaurèglementrelatifauxservicesd’urgencepubliéle11mai2000auJO.

36. SelonleGouvernement, lapatienteaétéexaminéeauservicedesurgencesdel’hôpitalYeşilyurtAtatürketabénéficiédessoinsrequis, lesdeux foisoùelles’yestrendue,conformémentaurèglementrelatifauxservicesd’urgence.

37.LeGouvernementexposeque,lorsqu’ilfutétabliquelapatienteavaitbesoind’êtrehospitalisée,lorsdesasecondeconsultationàl’hôpital,onluidemandadepayerpourlesfraismédicaux.Lesprochesdelapatientedéposèrentainsi50000000TRLetsignèrentunereconnaissancepour lerestedesfrais.Àcetégard, leGouvernementsouligneque,dès lorsqu’uncertificatdepauvretén’avaitpasétéremis lorsdel’hospitalisationdelapatiente,telquel’exigeaitlerèglementsusmentionné,unengagementavaitétésignéauxtermesduquelcecertificatseraitsoumisultérieurement.Ils’agissaitd’unmoyendes’assurerquetouslesfraismédicauxseraientpayéssiuncertificatdepauvretén’étaitpasdélivréparlasuite.

38. En conséquence, tout en indiquant être désolé pour le décès ainsi survenu, le Gouvernementconsidèrequ’iln’yapaseuviolationdel’article2delaConventionsoussonvoletsubstantiel.

39.Quantaustatutdel’enfantànaître,leGouvernementciteledroitinterneainsiquelajurisprudencedelaCour(Vo,précité§82etA,BetCc.Irlande[GC],no25579/05,§237,CEDH2010).Ilexposenotammentque,envertudel’article28ducodecivil,lapersonnalitéjuridiqueestattribuéeàl’enfantnévivantetviable.

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40. S’agissant de l’aspect procédural de l’article 2 de la Convention, le Gouvernement argue quel’enquêterelativeaudécèsdeLeylaKarataşaétémenéeparleprocureurdelaRépubliqued’İzmirquiestuneautoritéindépendanteetimpartiale.L’enquêtepénaleauraitenoutreétémenéedefaçontransparente:lesrequérantsauraientétéenmesured’accéderaudossieretilsauraientpuformulerdiversesdemandes.Danslecadredelaprocédurepénale,lesétapessuivantesauraienteulieu:unexamenpost-mortemetuneautopsieauraientétéeffectués,lacauseexactedelamortdeLeylaKarataşauraitétéétablieetilauraitétédémontréquel’enfantétaitàtermeetmort-né.Denombreusesdépositionsauraientenoutreétérecueillieset les requérants auraient activement participé à la procédure, de sorte qu’une enquête adéquatesusceptibledeconduireàladéterminationetlapunitiondesresponsables,s’ilyenavait,auraitétéconduiteparlesautoritésinternes.

41. De plus, eu égard aux informations dont il disposait, aux documents du dossier et au rapport de l’institut médicolégal du 19 mars 2003 (paragraphe 39 ci-dessus), le tribunal administratif d’İzmir a estimé qu’il était établi que l’administration n’avait pas commis de négligences dans ses devoirs et a rejeté la demande d’indemnité des requérants. Néanmoins, le Gouvernement souligne être conscient de la longueur de la procédure et laisse à la discrétion de la Cour l’appréciation du grief des requérants à cet égard.

42. Enfin, le Gouvernement transmet les informations relatives aux conditions de saisine de lacommissionsupérieuredelaSanté.Àcetégard,ilprécisequecesconditionsontétéétabliesparladécisionno9628decettemêmecommission,datéedes25et26décembre1997,auregarddelaquelleilfutconsidéréqueleprocureurdelaRépubliquen’avaitpaslapossibilitédesolliciterunavis.Ilsouligneenoutreque,parunedécisiondu3juin2010,laCourconstitutionnellearévoquél’article75delaloino1219quiimposaitlaconsultationdelacommissionlorsqu’étaitencauseladéterminationdelaresponsabilitédansledomainemédical. Il expose à cet égard que la Cour constitutionnelle, tenant compte des différentes possibilitésd’obtenir une expertise, avait estimé qu’exiger en sus l’avis de la commission, sans qu’un délai pourl’obtentiondecelui-cinesoitdéfini,entraînaitdesretardsinutilesdansledéroulementdesprocédures.

43. Le Gouvernement soutient par ailleurs qu’il n’appartient pas à la Cour de se substituer aux juridictions internes. Il argue que les erreurs de qualification des faits prétendument commises par les autorités internes seraient exclues du champ d’examen de la Cour. Dès lors, dans le cas d’espèce, selon le Gouvernement, la décision des juridictions internes de n’avoir recours qu’à un seul rapport d’expertise doit être appréciée comme relevant de la seule discrétion des juridictions nationales. Au demeurant, au regard de l’ensemble de la procédure, les décisions des juridictions internes n’auraient rien d’arbitraire. Citant les affaires Tysiącc.Pologne (no5410/03,§119,CEDH2007-I)etYardımcıc.Turquie, (no25266/05,§59,5 janvier2010), leGouvernementsoutientenoutrequ’il n’appartient aucunement à la Cour de spéculer sur la base des documents médicaux dont elle dispose quant aux conclusions auxquelles les experts parviennent.

44. Enfin, le Gouvernement argue que les procédures pénale et administrative étaient en mesure de permettre l’établissement de la responsabilité des autorités dans le décès litigieux.

3.AppréciationdelaCour

a)QuantàlaprotectiondudroitàlaviedeLeylaKarataş

45. La Cour rappelle tout d’abord les principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence en ce qui concerne les obligations des États au regard de l’article 2 de la Convention lorsque sont en cause des cas de négligences médicale (Calvelli et Ciglio, précité, §§ 48-53, Byrzykowski précité § 117, et Powell, décision précitée). Elle examinera la présente affaire à la lumière de ces principes.

46. La Cour souligne ensuite que les requérants n’allèguent pas que la mort de Leyla Karataş a étéprovoquéeintentionnellement.Ilssoutiennenttoutefois,sousl’angleduvoletmatérieldel’article2,qu’elleaétévictimeà la foisd’uneerreurdediagnosticetd’uneerreurdans l’administrationd’unmédicamentainsiqued’undéfautdesoins,fauted’avoirétéenmesurederéglerrapidementlesfraisauxquelssapriseenchargemédicaleétaitsubordonnée.

47.Àcetégard,laCourrappellequ’unequestionpeutseposersousl’angledel’article2delaConventionlorsqu’ilestprouvéquelesautoritésd’unÉtatcontractantontmislavied’unepersonneendangerenluirefusant les soinsmédicauxqu’elles sesontengagéesà fournirà l’ensemblede lapopulation (Chyprec.Turquie[GC],no25781/94,§219,CEDH2001-IV,etNiteckic.Pologne(déc.),no65653/01,21mars2002).

48. De même, un dysfonctionnement flagrant des services hospitaliers privant un patient de lapossibilitéd’avoiraccèsàdessoinsd’urgenceappropriéspeutconstituerunmanquementdel’Étatàsonobligationdeprotégerl’intégritéphysiquedelapersonne(MehmetŞentürketBekirŞentürk,précité,§97).

49.Danslescirconstancesdelaprésenteaffaire,ilincombedoncàlaCourderecherchersilesautoritésnationalesontfaitcequ’onpouvaitraisonnablementattendred’ellesetenparticuliersiellesontsatisfait,de manière générale, à leur obligation de protéger l’intégrité physique de la patiente, notamment parl’administration de soins médicaux appropriés. Pour ce faire, la Cour accorde de l’importance à la

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chronologie,tellequ’elleressortdesélémentsdudossier,desévénementsquiontconduitàlamorttragiquedelapatiente,ainsiqu’auxdonnéesmédicalesconcernantcettedernière.Elleestimeenoutrenécessaire,euégardàlaformulationdugriefparlesrequérants,des’intéresseraussibienauxévénementssurvenuslaveilledesondécèsqu’àceuxquisesontdérouléslejourdesamort.

50. À cet égard, laCour constateque, la veillede sondécès, LeylaKarataş s’était rendueà l’hôpitalYeşilyurtAtatürk,seplaignantdedifficultésrespiratoires(paragraphes17,27-28ci-dessus).Elleavaitétéprise en charge au service des urgences où un traitement médical lui avait été administré. Elle avaitcependantquitté cethôpital vers4h,d’elle-même, sansque les examens complémentairesprescritsnefussentpratiqués,fautedemoyensfinanciers(paragraphes27et34ci-dessus).

51.Le27décembre2001,prisedecontractions,elleseprésentatoutd’abordàl’hôpitalDr.EkremHayriÜstündağmaisdufaitqu’iln’yavaitpasdespécialistesenmédecineinterneetd’anesthésisteprésentsàl’hôpital, elle fut envoyée à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk (paragraphe 37 ci-dessus). À cet égard, la Courconstatequelesversionsdespartiesdiffèrentquantauxconditionsdepriseenchargedelarequérantedanscethôpital.Eneffet,alorsquelesrequérantsaffirmentqueladéfunten’abénéficiéd’aucunsoinavantquelesfraisafférentsàsonadmissionàl’hôpitaln’aientétépayésetquelasignatured’unengagementécritn’aitétéobtenue,cequiauraitduréplusieursheures,leGouvernementniequantàluitoutdélaid’attenteetaffirmequeLeylaKarataşaétépriseenchargedèssonarrivéeàl’hôpital.

52.LaCourobservetoutd’abordque,euégardauxpiècesdudossier,lestémoignagesdesmédecinsetlesdocumentshospitalierssituentl’arrivéedelapatienteàl’hôpitalYeşilyurtAtatürk,le27décembre2001,entre7heureset7h30(paragraphes15et27ci-dessus).Leprocès-verbalétabliaprèslamortdeLeylaKarataşfixequantàluil’arrivéedecettedernièreàl’hôpitalà6h30etfaitmentiond’unpremierexamenparunmédecindegardeà7h15(paragraphe19ci-dessus).Lesdifférentsdocumentsversésaudossierétablissentquel’étatdelapatientes’estdétérioréàcompterde8heuresetque,àpartirdecemoment,plusieursmédecinssontintervenus.

53. La Cour relève ensuite les disparités existant entre les différents témoignages des proches desrequérantsayantaccompagnéLeylaKarataşàl’hôpitallejourdesondécèsquantautempsd’attenteavantquecelle-cin’aitétépriseencharge(paragraphe48ci-dessus).

54.Enl’espèce,lachronologiedesfaits,tellequ’ellerésultedesdocumentsversésaudossierdel’affaire,permetcependantàlaCourdeconstaterquelapatiente,fautedemoyensfinancierssuffisants,arenoncéàdesexamensmédicauxcomplémentaireslorsdesonpremierdéplacementàl’hôpitalYeşilyurtAtatürk,le26décembre2001(paragraphes17,27et34ci-dessus).L’hôpitalDr.EkremHayriÜstündağ,oùelleseprésenta le matin du 27 décembre 2001, vers 5 h 55 (paragraphe 27 ci-dessus), ne disposant pasd’internistes ni d’anesthésistes présents sur place, lui demanda d’aller à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk(paragraphe29ci-dessus),desortequesapriseenchargemédicalefutdifférée.Lapatienteserenditdanscethôpitalparsespropresmoyens,sansaccompagnementmédical(paragraphe17ci-dessus).Sapriseenchargedanscethôpital,sansavoirétéretardéedeplusieursheurescommelesoutiennentlesrequérants,apparaîtentoutétatdecauseavoirconnuuntempsdelatenceetavoirétésoumiseàlasatisfactiond’uneexigence financièrepréalable (voir, encesens, lesobservationsduGouvernementauparagraphe92ci-dessus).

55. Eu égard à ce constat, la Cour souligne toutefois qu’elle ne peut aucunement spéculer quant àl’incidencedel’enchaînementdescirconstancessusdécritessurlaviedeLeylaKarataşniaboutiràaucuneconclusion à cet égard sous l’angle du voletmatériel de l’article 2 (comparer avec les circonstances del’affaireMehmetŞentürketBekirŞentürk,précité,§§96-97).

56.Deplus,silesrequérantssoutiennentque,danslescirconstancesdelaprésenteaffaire,uneerreurmédicaleetdesmanquementsimputablesauservicehospitaliersontsusceptiblesdefonderdirectementlaresponsabilitédel’Étatsurleterraindel’article2,laCourconstateque,quellequesoitlaréponseàapporteràcettequestion,lesconclusionsdel’institutmédicolégald’Istanbul(paragraphe39ci-dessus)ainsiquelesconclusionsdesjuridictionsinternesnevontpasdanscesens.

57.Ellerappellequ’ellenepeutapprécierlescirconstancessoumisesàsonexamenqu’auregarddesinformationsetdesmoyensdontelledispose.Ilneluiappartientpasderemettreencauselesconclusionsdes expertises établies en droit interne ni de se livrer à des conjectures à partir des renseignementsmédicauxdontelledispose,surlecaractèrecorrectdesconclusionsauxquellessontparvenuslesexperts(Tysiąc,précité,§119).Demême,enl’espèce,ellenepeutseprononcernisuruneéventuelleerreurdediagnostic desmédecins ni sur l’adéquation de la prescriptionmédicamenteuse à l’état de santé de lapatiente,cescirconstancesn’ayantpasétéétabliesendroitinterne.

58.Parconséquent,laCourconclut,auvudesélémentsdontelledispose,àlanon-violationdel’article2delaConventionsoussonvoletmatériel.

59.Quantàl’aspectprocéduraldel’article2delaConvention,commeilaétéprécédemmentobservé,outrelaprocéduredevantlesinstancesdisciplinaires,lesrequérantsontfaitusagededeuxvoiesderecours

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différentesafinquefussentétablieslescirconstancesdelamortdeleurprocheetlesresponsabilitésencause(paragraphe81ci-dessus).Ilconvientdèslorsd’examinerledéroulementdecesprocéduresdansleur ensemble afin de déterminer si l’État a satisfait à son obligation d’instaurer un système judiciaireefficaceetindépendantpermettantd’établirlacausedudécèsdeLeylaKarataş,quisetrouvaitalorssouslaresponsabilitédeprofessionnelsdelasanté,et,lecaséchéantd’obligerceux-ciàrépondredeleursactes(voirnotammentCalvellietCiglio,précité,§49).

60.Àcetégard,laCourconstatequelerequérantdéposaplaintedevantleprocureurdelaRépubliquele 27 décembre 2001. Sur ce, afin de déterminer si le personnel médical mis en cause pouvait êtrepénalementpoursuivi,leprocureursaisitlepréfetd’Izmir,quiàsontoursaisitleministèredelaSanté.Uninspecteurenchefdeceministèrediligentauneenquêtequantauxcirconstanceslitigieuses.Aucoursdecetteenquête,l’inspecteurenchefrecueillitlestémoignagesdupersonnelmédicaldesdeuxhôpitauxoùLeyla Karataş s’était rendue et demanda qu’un rapport d’expertise fût établi (paragraphes 30 et 31 ci-dessus). Le 26 mars 2002, le rapport d’enquête préliminaire du ministère de la Santé conclut àl’impossibilité de déterminer les causes de la mort de la patiente et indiqua qu’il fallait attendre lesconclusionsdurapportdel’institutmédicolégald’Istanbul(paragraphe32ci-dessus).Estimantqueladuréelégaledel’enquêtepréliminairearriveraitàexpirationavantl’obtentionduditrapport,l’inspecteurenchefjugeanécessaire d’autoriser l’engagement de poursuites pénales contre le personnel hospitaliermis encause,cequifutfaitle9avril2002(paragraphe33ci-dessus).

61.Pourautant,laCourobservequeparlasuite,laprocédurepénalefutlimitéeàlaseulerecherchedela responsabilité des médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, faute d’autorisation administrative depoursuites contre le personnel hospitalier de l’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ. Dès lors, aucunerecherchen’apparaîtavoirétémenéequantàl’étatdanslequelsetrouvaitlapatienteàsonarrivéedanscethôpital,auxraisonspourlesquellesl’internisteetl’anesthésisted’astreinten’avaientpasétécontactés,àl’incidencedesanon-admissiondanscethôpitaletdesondépart,sansaccompagnementmédical,versunautrehôpital,etnotammentsicescirconstancesavaientpuêtredenatureàmettresavieendanger.

62.LaCourrelèveenoutrequelesrequérantsseplaignentdeladuréeexcessivedelaprocédurepénalequi fut telleque les faits reprochésaupersonnelmédical tombèrentsous lecoupde laprescription.Enl’espèce,elleconstatequeletribunalcorrectionnelmituntermeàlaprocédurele23juillet2009,soitplusdehuitansaprèslaplaintedurequérant,parunedécisionconfirméeparlaCourdecassationle30mai2012.

63.OrlaCourrappelleque,s’ilpeutarriverquedesobstaclesoudesdifficultésempêchentuneenquêtedeprogresserdansunesituationparticulière, il resteque laprompteréactiondesautoritésestcapitalepourmaintenirlaconfiancedupublicetsonadhésionàl’étatdedroit,etpourprévenirtouteapparencedetoléranced’actesillégauxoudecollusiondansleurperpétration(Silih,précité,§196).Enl’occurrence,laCournepeutqueconstaterqueladuréedelaprocédurelitigieusenesatisfaitaucunementàl’exigenced’unexamenpromptet sansretard inutilede l’affaire (voir,pouruneapprochesimilaire,MehmetŞentürketBekirŞentürk,§101).

64. Quant à la procédure administrative, la Cour observe que le tribunal administratif a rejeté lademandeenindemnisationdesrequérantsensefondantsurlerapportdel’institutmédicolégald’Istanbuld’aprèslequellamortdeLeylaKarataşétaitdueàunemaladiepulmonairepréexistante(paragraphe39ci-dessus).Certes,ellereconnaît l’importancequepeutrevêtiruneexpertisedanslecadredurégimedelaresponsabilitémédicalelorsqu’unpatientestdécédéetqueseposelaquestiondelacausalitéentrecedécèsetsapriseenchargemédicale.Elleestimeessentielque les jugespuissentseréférerauxavisd’expertsmédicauxafinderecherchers’ilexisteunerelationdecauseàeffetentreuneéventuellenégligenceoufautemédicaleetundommage.

65. Cela étant, laCourobservequedans les circonstancesde laprésenteaffaire, les conclusionsdel’institutmédicolégald’Istanbulonteuuneinfluencedéterminantesurlesinstancesadministratives.Or,sil’existenced’uneprédispositionpathologiquerevêtaituneimportancecertainepourl’appréciationduliendecausalité,resteque,danssesconclusions,l’institutmédicolégalnesemblepasavoirappréciél’incidencedesconditionsdepriseenchargedelapatientesurcetteprédispositionnicherchéàévaluersonétatdesantéaumomentdesapremièreadmissionàl’hôpitalYeşilyurtAtatürk.

66. À cet égard, la Cour observe que les juridictions administratives n’ont pas cherché à éclaircirl’enchaînementdescirconstanceslitigieusesnileursincidenceséventuellessurladégradationdel’étatdesantédeLeylaKarataşentresapremièreadmissionàl’hôpitalYeşilyurtAtatürk,oùelleprésentaitdéjàdesdifficultésrespiratoires,etlaseconde.Demême,ellesnesesontpasprononcéessurlescirconstancesayantpuconduireladéfunteàrenonceràdesexamenscomplémentaireslorsdesapremièreadmissionnisurl’incidenced’untelrenoncementauxsoinssursonétatdesanté.

67.Auvudetoutcequiprécède,laCourconclutàlaviolationdel’article2delaConventionsoussonvoletprocédural.

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b)Quantàlaprotectiondudroitàlaviedel’enfantmort-né

68.LaCourrappellequedanssonarrêtVoc.France(précité,§82),laGrandeChambreaconsidéréque,enl’absenced’unconsensuseuropéensurladéfinitionscientifiqueetjuridiquedesdébutsdelavie,lepointdedépartdudroitàlavierelevaitdelamarged’appréciationquelaCourestimegénéralementdevoirêtrereconnueauxÉtatsdanscedomaine.LaGrandeChambreaainsiestiméqu’«iln’estnisouhaitable,nimêmepossible actuellement de répondre dans l’abstrait à la question de savoir si l’enfant à naître est une«personne»ausensdel’article2delaConvention(idem,§85).

69. Depuis lors, la Grande Chambre a eu l’occasion de réaffirmer l’importance de ce principe dansl’affaireA,BetCprécité§237danslaquelleellearappeléquelesdroitsrevendiquésaunomdufœtusetceuxdelafuturemèresontinextricablementliés(voir,encesens,l’analysedelajurisprudenceissuedelaConventionexposéeauxparagraphes75-80del’arrêtVo,précité).

70.Danslescirconstancesdel’espèce,laCournevoitaucuneraisondes’éloignerdel’approcheainsiadoptéeetestimequ’iln’estpasnécessaired’examinerlepointdesavoirsilegriefdesrequérantsformuléencequiconcernelefœtusentreounondanslechampd’applicationdel’article2delaConvention(voir,pouruneapprochesimilaire,MehmetŞentürketBekirŞentürk,précité,§109).ElleestimeeneffetquelaviedufœtusenquestionétaitintimementliéeàcelledeMmeLeylaKarataşetdépendaitdessoinsprodiguésàcelle-ci.Orcettecirconstanceaétéexaminéesousl’angledel’atteinteaudroitàlaviedecettedernière.Partant,laCourestimequelegriefdesrequérantsàcetégardn’appellepasunexamenséparé.

Document11:Civ.1,16septembre2010n°09-67456,aff.OurBodyAttenduquelasociétéEncoreEvents(lasociété)avaitorganisé,dansunlocalparisienetàpartirdu12février 2009, une exposition de cadavres humains " plastinés ", ouverts ou disséqués, installés, pourcertains,dansdesattitudesévoquantlapratiquededifférentssports,etmontrantainsilefonctionnementdesmusclesselonl'effortphysiquefourni;quelesassociations"Ensemblecontrelapeinedemort"et"SolidaritéChine",alléguantuntroublemanifestementilliciteauregarddesarticles16etsuivantsducodecivil,L.1232-1ducodedelasantépubliqueet225-17ducodepénal,etsoupçonnantparailleursaumêmetitreun traficde cadavresde ressortissants chinoisprisonniersoucondamnésàmort,ontdemandéenréférélacessationdel'exposition,ainsiquelaconstitutiondelasociétéenséquestredescorpsetpiècesanatomiquesprésentés,etlaproductionparelledediversdocumentsluipermettantdejustifiertantleurintroductionsurleterritoirefrançaisqueleurcessionparlafondationoulasociétécommercialedontelleprétendaitlestenir;Attenduquelasociétéfaitgriefàl'arrêtattaqué(Paris,30avril2009)d'avoirdityavoirlieuàréféréetdeluiavoirfaitinterdictiondepoursuivrel'expositiondescorpsetpiècesanatomiqueslitigieuse,alors,selonlemoyen:1°/quelaformationdesréférésn'estcompétentepourprescrirelesmesuresconservatoiresouderemiseenétatqui s'imposentpour fairecesserun troublequesi celui-ciestmanifestement illicite, c'est-à-dired'unetotaleévidence,consistantenunnon-respectcaractérisédelarèglededroit;quesacompétencedoit,dèslors,êtreexclueencasdedoutesérieuxsurlecaractèreillicitedutroubleinvoqué;qu'enl'espèce,lacourd'appel,qui,d'unepart,aprocédéàunvéritabledébatdefondsurlesensqu'ilconvenaitdedonneràl'article16-1-1ducodeciviletsursonéventuelleapplicabilitéaucasd'espèceetqui,d'autrepart,arappelélestermesdesfortesdivergencesquiopposaientlespartiessurl'origineliciteounondescorpslitigieux,n'apastirélesconclusionsquis'évinçaientdesespropresconstationsenestimantqu'elleétaitenprésence,nond'undoutesérieuxsurlecaractèreilliciteduprétendutroubleinvoqué,maisd'uneviolationmanifestedecemêmearticle16-1-1,justifiantqu'ilyaitlieuàréféré,etaviolé,decefait, l'article809ducodedeprocédurecivile;2°/quelerespectdûaucorpshumainnecessepasaveclamortetlesrestesdespersonnesdécédées,ycompris les cendresde celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect,dignitéetdécence;qu'enl'espèce,pourdéterminersilescorpsexposésavaientététraitésavecrespect,dignitéetdécence,lacourd'appelarecherchés'ilsavaientuneorigineliciteet,plusparticulièrement,silespersonnes intéresséesavaientdonné leurconsentementde leurvivantà l'utilisationde leurscadavres ;qu'ensefondantsurcesmotifs inopérants, toutenrefusant,commeil luiétaitdemandé,d'examiner lesconditionsdanslesquelleslescorpsétaientprésentésaupublic,lacourd'appelaprivésadécisiondebase

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légaleauregarddel'article16-1-1ducodecivil;3°/que,parailleurs,lacourd'appel,aexpressémentrelevéque«lerespectducorpsn'interdisaitpasleregarddelasociétésurlamortetsurlesritesreligieuxounonquil'entourentdanslesdifférentescultures,cequipermettaitdedonneràvoirauxvisiteursd'unmuséedesmomiesextraitesdeleursépulture,voired'exposer des reliques, sans entraîner d'indignation ni de trouble à l'ordre public » ; que la juridictiond'appelaprivésadécisiondebaselégaleauregarddel'article16-1-1ducodecivilennerecherchantpas,commesapropremotivationauraitdûl'yconduire,si,précisément,l'expositionlitigieusen'avaitpaspourobjet d'élargir le champde la connaissance, notamment grâce aux techniquesmodernes, en la rendantaccessibleaugrandpublicdeplusenplus curieuxet soucieuxd'accroître sonniveaudeconnaissances,aucune différence objective ne pouvant être faite entre l'exposition de la momie d'un homme qui, enconsidération de l'essence même du rite de la momification, n'a jamais donné son consentement àl'utilisation de son cadavre et celle, comme en l'espèce, d'un corps donné à voir au public a des finsartistiques,scientifiquesetéducatives;4°/qu'enfinceluiquiréclamel'exécutiond'uneobligationdoitlaprouver;qu'enl'espèce,enayantaffirméqu'ilappartenaitàlasociétéEncoreEvents,défenderesseàl'instanceenréféré,derapporterlapreuvedel'origineliciteetnonfrauduleusedescorpslitigieuxetdel'existencedeconsentementsautorisés,lacourd'appelainversélachargedelapreuveetaviolé,decefait,l'article1315ducodecivil;Maisattenduqu'auxtermesdel'article16-1-1,alinéa2,ducodecivil, lesrestesdespersonnesdécédéesdoiventêtretraitésavecrespect,dignitéetdécence;quel'expositiondecadavresàdesfinscommercialesméconnaîtcetteexigence;Qu'ayantconstaté,parmotifsadoptésnoncritiqués,quel'expositionlitigieusepoursuivaitdetellesfins,lesjuges du second degré n'ont fait qu'user des pouvoirs qu'ils tiennent de l'article 16-2 du code civil eninterdisantlapoursuitedecelle-ci;quelemoyenn'estpasfondé;Et sur lemoyenuniquedupourvoi incident, tel qu'il figure aumémoire endéfense et est reproduit enannexe:Attenduqu'ensestroisbrancheslemoyennetendqu'àcontesterl'appréciationsouveraineportéeparlacourd'appelsurl'opportunitéd'ordonnerlesmesuressollicitées;qu'ilnepeutdoncêtreaccueilli;PARCESMOTIFS:REJETTElespourvoisprincipaletincident;