fente labiomandibulaire et sternale. À propos d'un cas et revue de la littérature
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CAS CLINIQUE
Fente labiomandibulaire et sternale.À propos d’un cas et revue de la littérature
Cleft of the lower lip, mandible and sternum.A case report and review of the literatureI. Turki-Mehri a,*, C. Adamsboum c, C.H. Andre c, G. Moriette d,D. Ginisty a,b
a Service de chirurgie maxillofaciale et stomatologie pédiatrique, groupe hospitalierCochin−Saint-Vincent-de-Paul−La-Roche Guyon, 86, avenue Denfert-Rochereau, Paris 75014, Franceb Faculté de médecine Cochin−Port-Royal, 24, rue du Faubourg-Saint-Jacques, Paris cedex 14, Francec Service de radiologie, groupe hospitalier Cochin−Saint-Vincent de Paul−La-Roche-Guyon, Franced Service de médecine néonatale, groupe hospitalier Cochin−Saint-Vincent de Paul−La-Roche-Guyon,France
Reçu le 18 septembre 2004 ; accepté le 4 janvier 2005
MOTS CLÉSFentelabiomandibulaire ;Étiopathogénie ;Traitement chirurgical
KEYWORDSCleft lip and mandible;Etiopathogeny;surgery
Résumé Les auteurs rapportent un cas de fente labiomandibulaire associée à une fentesternale ; cette association est exceptionnelle puisque rapportée dans trois cas mondiauxà ce jour. À cette occasion, une revue de la littérature est réalisée, en particulierconcernant les anomalies malformatives associées et la prise en charge thérapeutique. Laprécocité de la reconstruction, y compris osseuse et la présence d’une équipe multidis-ciplinaire paraissent indispensables au bon résultat et donc à une parfaite intégrationsociale de l’enfant.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract The Authors report a case of cleft interesting the lower lip and mandible with asternal cleft. This association is exceptional, it was described in three world cases to thisday. At this occasion, a review of the literature is realized, in particular concerning theassociated malformatives anomalies and the therapeutic behaviour. It seems to usindispensable to realize an early reconstruction, specially bone correction, and tocollaborate with a multidisciplinary team to obtain a good result and a better socialincorporation of the child.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Introduction
Les fentes labiomandibulaires, contrairement auxfentes labiopalatines, sont décrites dans un nombre
restreint de publications du fait de la rareté decette anomalie embryologique dont le mécanismereste mal connu.
Il nous a semblé intéressant de rapporter la priseen charge thérapeutique et les résultats avec unrecul de dix ans d’un cas exceptionnel d’une fentelabiomandibulaire associée à une fente sternale.
* Auteur correspondant. 20, avenue du Docteur-Calmette,92140 Clamart, France.Adresse e-mail : [email protected] (I. Turki-Mehri).
Annales de chirurgie plastique esthétique 50 (2005) 228–232
http://france.elsevier.com/direct/ANNPLA/
0294-1260/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi: 10.1016/j.anplas.2005.01.001
Observation
L’enfant Lucie. M est issue d’une fécondation invitro réalisée chez une femme de 44 ans tabagique.La grossesse s’est déroulée sans fait pathologique.Vers dix semaines d’aménorrhées (SA), un traite-ment à base de benzodiazépines a été prescrit dufait d’une anxiété. L’échographie faite à deux SAn’avait montré qu’une hypotrophie harmonieuse.L’enfant est née par césarienne à 39 SA, pesant
1 kg 850 avec un apgar à quatre à une minute. Elleest restée intubée pendant 48 heures.La fente labiomandibulaire médiane est associée
à une langue bifide dont les apex sont fixés surchaque hémimandidule. L’extension du cou est li-mitée par la présence d’une bride médiane larges’étendant de la région sous-mentale au sternum. Ilexiste également une fente sternale (Figs. 1 et 2).L’examen tomodensitométrique précise son impor-tance : elle concerne les deux tiers supérieurs du
manubrium sternal avec une hernie thymique. Enrevanche la fente n’intéresse pas l’os hyoïde, ce quiexplique que l’alimentation au biberon ait pu êtreproposée. Par ailleurs, il n’existe pas d’anomalie dela glande thyroïde ni d’anomalie du caryotype.Le premier temps opératoire est mené à l’âge
d’un mois, l’enfant pesait 3 kg et a bénéficié dansle même temps anesthésique de la fermeture de lafente sternale (P. Helardot) et de la reconstructionlabiomentonnière par excision en « V » des bergesde la fente et suture plan par plan avec reconstruc-tion de l’apex lingual.Les suites opératoires sont simples avec un syn-
drome cave supérieur rapidement résolutif.Le suivi s’est fait parallèlement en chirurgie
pédiatrique pour surveillance de la symétrie duthorax, et au niveau maxillofacial. Le développe-ment staturopondéral et psychomoteur s’est faitnormalement.À l’âge de 15 mois, une reconstruction mandibu-
laire est réalisée, par voie cutanée. Une greffecostale monocorticale (7e côte) est mise en place etfixée par fils d’acier. Elle solidarise les deux hémi-mandibules en comblant l’espace de 15 mm entreles deux berges, au niveau du bord basilaire. Uneplastie linguale d’allongement est réalisée dans lemême temps. La consolidation s’est faite de façonsimple avec le port d’un casque de protection type« casque intégral ».Une IRM cérébrale, demandée dans le cadre d’un
bilan étiologique de convulsion hyperpyrétique, àl’âge de 16 mois, a objectivé des anomalies ducorps du sphénoïde : la selle turcique n’est pasvisualisée ; il existe une fente osseuse verticale ducorps du sphénoïde pouvant correspondre à la per-sistance du canal pharyngohypophysaire. Il n’y aaucun déficit en hormone de croissance ni en hor-mone antidiurétique.À partir de l’âge de trois ans, plusieurs plasties
en Z cervicomentonnières sont réalisées avec unremodelage osseux mentonnier au niveau d’un calhypertrophique. Une rééducation orthophoniqueest débutée dès l’âge de trois ans et demi pouraméliorer l’articulation phonétique.Des cures thermales ont été bénéfiques pour
assouplir les cicatrices cervicales et thoraciques.Une tomodensitométrie faite à l’âge de neuf ansmontre une parfaite intégration de la greffe os-seuse (Figs. 3 et 4). L’extension cervicale n’est pasencore parfaite mais l’angle cervicomentonnier estesthétiquement satisfaisant (Fig. 5).
Discussion et littérature
La fente labiomandibulaire constitue une entitéexceptionnelle puisque 68 cas de forme anatomo-
Figs. 1 et 2 Aspect préopératoire ; fente labiale inférieure,mandibulaire et sternale associée à une bride cervicale médianeantérieure.
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clinique variable ont été rapportés dans la littéra-ture de 1819 à nos jours, sans prédominance desexe [1]. Elle correspond à la fente no 30 de laclassification de Tessier [2] (Fig. 6).
Étiopathogénie
L’étiopathogénie est discutée. Certes c’est uneanomalie de fusion des premiers arcs branchiauxqui dépasse ce simple territoire dans notre obser-vation. Il s’agit, dans notre cas d’une dysraphiecomplète du premier arc associée à une bride men-tosternale et à une dysraphie ventrale thoraciquedont l’étiologie reste obscure.Van der Meulen et Oostrom évoquent une hypo-
plasie des bourgeons mandibulaires qui n’existe pas
dans notre observation. En revanche, la bride men-tosternale correspond à une extrême hypoplasie del’ectoderme des arcs branchiaux cervicaux. Millardmentionne le défaut de mésodermisation de cesbourgeons. Smitsvan et Verneij-Keers évoquentl’absence d’apoptose des cellules épithéliale auniveau de la fente, à l’origine du défaut de méso-dermisation [3–5].Aucun modèle animal de cette malformation
n’est répertorié. Chai a pu identifier chez la sourisune migration des cellules épithéliales au niveau del’épithélium oral sans stigmate d’apoptose ni dedifférenciation mésenchymateuse [6].Quant au développement du menton osseux, il
débute au 5e mois in utéro. L’ossification de lasymphyse est très particulière du fait de la pré-
Figure 3 TDM en coupe axiale ; fente osseuse plus large auniveau basilaire.
Figure 4 TDM en coupe axiale ; greffe osseuse en place, bienintégrée.
Figure 5 Résultat satisfaisant à trois ans.
Figure 6 Classification de Tessier.
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sence de cartilages secondaires où les sollicitationsbiomécaniques à type de pression et de tractionsintermittentes, obtenues par la séquence de suc-cion — déglutition, semblent cruciales pour l’ossifi-cation [7]. Cela explique le diastème toujours im-portant entre les bords de la fente mandibulairequand celle–ci est complète, comme dans notreobservation.Les équivalents de gravité croissante sont nom-
breux, de la simple fistule du vermillon jusqu’à lafente glossolabiomandibulaire et sternale, le cas denotre patiente. La présence d’une fente sternale aété décrite seulement dans trois cas sur 68, lesanomalies de l’os hyoïde à type d’agénésie et defissure sont également rares (trois sur 68 et ne sontpas associés aux fentes sternales). La bifidité lin-guale est présente dans 50 % des cas décrits [8].Certains auteurs recommandent une classifica-
tion de ces fentes selon qu’elles intéressent lestissus mous uniquement ou en association avec lesstructures osseuses. Certaines malformations asso-ciées ont été décrites : cardiaque [9], oculaire,auriculaire, fente palatine et des aberrations chro-mosomiques. Notre patiente présente une anoma-lie du sphénoïde et une ectopie de la post-hypophyse, ce qui n’avait pas été décrit jusque là.Compte tenu du petit nombre de publications, on
ne peut retrouver un protocole thérapeutique dé-fini. La fermeture de la fente cutanéomuqueuse etla libération de l’ankyloglossie sont effectuées dansles premiers mois de vie (1–6 mois) [10,11].Quant à la mobilité des hémimandibules, elle ne
semble pas gêner ces enfants. Ce qui a amenéplusieurs auteurs à intervenir assez tard, vers l’âgede huit ans parfois même 15 ans pour poser ungreffon iliaque ou costale au niveau de la fentemandibulaire [12,4]. Sheerman et Goulian ont dé-crit avec succès une réparation en un seul temps àl’âge de 20 mois [13].Il nous semble important de rétablir la continuité
osseuse mandibulaire précocement pour permettredans des délais normaux une meilleure mastication,qui constitue la principale stimulation pour la crois-sance mandibulaire. La stratégie opératoire dé-pend bien sûr de l’importance de la fente et desmalformations associées.Concernant les brides mentosternales, certains
auteurs recommandent l’excision du tissu patholo-gique jusqu’au fascia prétrachéal [14], d’autresréalisent des plasties en « Z » opposées au niveaude la peau et du platysma [15].L’excision de la bride et la réalisation de plasties
cutanées ont suffit pour permettre l’extension cer-vicale avec l’obtention d’un angle cervicomenton-nier satisfaisant. L’examen anatomopatologique de
la bride cervicale a révélé la présence d’un tissuconjonctif fibreux dans notre cas.Nous insistons sur la prise en charge multidisci-
plinaire, notamment la collaboration des orthopho-nistes, des orthodontistes, des kinésithérapeutes etdes psychologues.
Conclusion
Cette dysraphie cervicofaciale et thoracique, évi-dente à la naissance, est due à un défaut de fusiondes premiers arcs branchiaux et peut intéresseraussi les arcs sous-jacents. Ce qui explique lesassociations à une fente hyoïdienne.La prise en charge thérapeutique dépend de la
forme anatomopathologique de la fente, des mal-formations associées et de l’état général du nour-risson. Les auteurs s’accordent pour une recons-truction première des parties molles, une greffeosseuse secondaire suivie de plasties cervicales.Nous rappelons l’importance d’une prise en
charge multidisciplinaire avec :• l’orthophonie ;• l’orthodontie pour harmonisation de l’arcadeinférieure ;
• et la kinésithérapie cervicale.Au terme du traitement, le résultat est satisfai-
sant tant sur le plan esthétique que sur le planfonctionnel, ce qui permet une intégration socialenormale de ces enfants et minimise le retentisse-ment psychologique de cette malformation com-plexe.
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