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  • Extrait de la publication

  • LE VIVANT DCOD

    Quelle nouvelle dfinition donner la vie ?

    Jean-Nicolas Tournier

    IEY SCIENCES 17, avenue du Hoggar

    Parc dActivits de Courtabuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France

    Extrait de la publication

    numilog

  • ISBN : 2-86883-814-6

    Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous procds, rservs pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les " copies ou reproductions strictement rserves l'usage priv du copiste et non destines une utilisation collective ", et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, " toute repr- sentation intgrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite " (alina 1-de l'article 40). Cette reprsentation ou reproduction, par quelque procd que ce soit, constituerait donc une contrefaon sanctionne par les articles 425 et suivants du code pnal. 0 EDP Sciences 2005

    Extrait de la publication

  • ma mre, in memoriam. mon pre, Claire-Lise et mes enfants,

    ma famille. Ils forment les traits dunionfragiles au sein

    desquels ma vie sinsre et sillumine.

    cc La connaissance isole qui est obtenue par un groupe de spcialistes dans un champ troit na en elle-mme aucune valeur daucune sorte ; elle na de valeur que dans la synthse

    qui la runit tout le reste de la connaissance et seulement dans la mesure o elle contribue rellement, dans cette synthse rpondre la question : Qui sommes-nous ? .

    Erwin Schrodinger

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  • SOMMAIRE

    Introduction .................................................................................................................................. 9

    Chapitre I. La vie : une nouvelle dfinition pour quelle bio-Zogique .................................................................................................. 17

    Pourquoi une dfinition de la vie ? ...................................................... 17

    tat thermodynamique de la structure ......................................... 21 La vie : dualit structure cellulaire/

    Chapitre 2. La notion de systme cellulaire ...................................... 25 Les constituants fondamentaux du systme .............................. 26 Les diflrents types cellulaires .............................................................. 31

    Chapitre 3. Quelques notions de thermodynamique ............. 41 Les principes de la thermodynamique classique : la thermostatique ................................................................................................. 42 les principes de la thermodynamique non linaire : la notion de systme dissipatifs .............................................................. 47

    Chapitre 4. Le vivant paradigme des systmes dissipatifs ......... 55 58 La vie a 1 etat unicellulaire ..........................................................................

    Quelle vie pour un virus ? ............................................................................ 60 La vie sociale : les multicellulaires ...................................................... 63

    . , 1

    Chapitre 5. Le temps et sa flche : un lment fondateur du sens en biologie .............................................................................................................. 69

    Chapitre 6. Le temps, quatrime dimension du vivant : la thorie de lvolution ou linteraction du temps et du vivant ........................................................................................................................................ 79

    Les pripties de la gense dune thorie : du transformisme la thorie synthtique de lvolution .... 81

    Extrait de la publication

  • 8 Le vivant dcod

    Quelques aspects modernes de lvolution : une theorze revisztee ? 93 De la thorie de lvolution la pratique ................................... io1

    , . . . , ...................................................................................

    Chapitre 7. Lorigine de la vie : quelle problmatique ................................................................................ 109

    hasard ou par ncessit physique > ? ............................................................... mergence de la vie : u n phnomne unique ou une ontogense par tapes ? ....... ......................................... 116 Hasard ou ncessit de lmergence de la complexit : le modle de la sexualit ?

    111

    ........................................................................ 124

    Chapitre 8. La vie est-elle rductible aux biotechnologies ? 137 Chapitre 9. La proprit du vivant : un concept rnov par les biotechnologies 149

    La bataille de la brevetabilit Lpouvantail des OGM 153

    .................................................................

    .......................................................... .............................................................. 149

    ......................

    Chapitre io. Les biotechnologies et lthique : 159

    Le clonage reproductif humain : 159

    Le tranfert nuclaire quelfutur en mdecine humaine ? .................................................... 181 Les cellules souches humaines

    ........ ..................... une limite de plus en plus imprcise

    lpope de Dolly ve ..........................................

    7 a . d origine embryonnaire ............................................................

    ............................................................... 197

    199 ...................................................................................................... . . Bibliographie ...................................................................

  • Introduction

    En ce dbut de XXI~ sicle, quel regard lhomme peut-il porter sur la vie ? La question peut sembler cule tant les progrs de la biologie moderne exposs grand renfort de publicits abondent et saturent la rflexion dans une surenchre constante. Pourtant, laube du troisime millnaire, une clbre rflexion de John Locke na jamais paru aussi moderne : N (...) Il ny a point de terme plus commun que celui de vie, et il se trouveraitpeu de gens qui ne prissent pour un affront quon leur demande ce quils entendent par ce mot. Cependant, (...) il est ais de voir quune ide claire, distincte et dtermine naccompagne pas toujours lusage dun mot aussi connu que celui de vie. n Alors que le sicle qui se dessine semble tre celui des biotech- nologies, que le conflit ouvert entre la puissance envahissante de la biologie et les limitations de lthique devient irrmdiable, la notion mme de vie semble stre extirpe du champ de la biologie. N On ninterroge plus la vie dans les laboratoires D scriait Franois Jacob. Cette exclamation projette une vrit crue : le scientifique a pour objet de travail du matriel vivant, mais lobjet de son travail nest pas la vie. La technique envahit le champ du biologiste, prenant le pas sur une rflexion plus large. La technicit lcrase et il ny chappe plus que rarement pour tenter dapercevoir quels sont les contours et les singularits de lobjet quil examine quotidiennement. Cette volution est dailleurs trs marque smantiquement, puisque de la biologie, le glissement sest effectu vers les bio-techno-logies.

    I1 merge enfin une problmatique nouvelle, lie lexplosion du progrs technologique, qui permet une matrise chaque jour plus grande du vivant. Des possibilits indites souvrent quotidiennement, offrant des perspectives fascinantes. Elles peuvent aussi se rvler plus inquitantes. Cest la ranon du progrs avec sa double facette, sa dualit, son ambivalence lancinante. Lavance scientifique nest plus associe mcaniquement une augmentation du bien-tre. De ce fait, le progrs doit-il susciter merveillement ou suspicion ? Par ailleurs, comment ne pas tre admiratif devant les prouesses

    Extrait de la publication

  • 10 Le vivant dcod

    techniques et lingniosit dbordante dont font preuve les biologistes pour dcrypter le vivant ? Matriser mieux le vivant, cest aussi pouvoir plus, cest donc augmenter ses capacits enfreindre des lois tablies par la nature. Or, toucher la vie nest pas sans risque. Le risque est la ranon du savoir. Mais d u n autre ct, refuser dogmatiquement laventure du progrs est potentiel- lement aussi dommageable. La connaissance ne peut progresser ex nihilo. Le progrs est indissociable de lexprimentation sur le vivant. Anatomie, biologie cellulaire, puis molculaire sont apparentes, frappes du mme sceau, chacune marquant un progrs pour lhumanit dans la dissection de la grande machinerie du vivant. Dans ces conditions, quels risques les explorateurs de la biologie nous exposent-ils ? Ils sont multiples et flous. Pourtant, objective- ment les dangers tiennent davantage lambigut des rapports que lhomme entretient avec la nature, qu un risque rel inhrent au progrs. Ainsi, fustiger demble et sans discernement le progrs parat un peu trivial. La gntique moderne nous fournit un exemple des dangers des mlanges et malentendus propos de cette science honnie par certains et vnre par dautres. Sans le savoir, lhomme utilise cette science depuis des millnaires, et le Monsieur Jourdain de la gntique a eu du succs : les milliers despces, de races utilises couramment dans lagriculture (mas, bl, colza, ...) sont issues de croisements dirigs par une main humaine. Le meilleur (c ami de lhomme >> est aussi le plus ancien animal dexprimentation gntique. Les races canines, qui nous entourent et nous paraissent si naturelles, sont un pur produit de lartifice humain. Elles rsultent de la slection par lhomme de critres physiques ou purement esthtiques qui sont ensuite amplifis jusqu former des

  • Introduction 11

    merg dont les applications dpassent lentendement, ou plutt brouillent le message dune biologie raisonne. Ainsi, certaines informations nouvelles au sens angoissant proviennent de domaines de la biologie lis ce qui singularise ltre, comme peut ltre lexploration du gnome et la toute nouvelle a gnomique . Le gnome est lidentit propre de ltre, le soi le plus intime, lhritage parental par excellence qui est transmis aux gnrations futures. Autant dire que tout ce qui touche de prs ou de loin au gnome est peru comme hautement risque.

    Ce gnome peut maintenant tre manipul facilement pour les bactries, ou de manire plus lourde pour les tres vivants eucaryotes, dont lhomme. Le dmantlement et le dcryptage de lensemble du message par squenage sont maintenant termins chez de nombreuses espces modles ou dintrt industriel : des bactries de plus en plus nombreuses, des unicellulaires (la levure et, depuis peu, lagent du paludisme) et quelques animaux multicellulaires comme un petit ver nomm savamment Caenorhabitis elegans, lhomme, une mouche clbre nomme drosophile, le moustique vecteur du paludisme et mme rcemment la souris, le rat et la poule ! Le premier gnome de plante (Arabidopsis thaliana) a t mis jour, celui du riz est dsormais achev et ceux dautres plantes dintrt agronomique comme le bl devraient rapide- ment suivre. Cette exploration a t largement mdiatise par les scientifiques eux-mmes parce quils avaient des besoins normes de financement : ainsi ont-ils d promettre de changer le monde par la seule connaissance du squenage. Laccs la connaissance du gnome humain a t associ de trs nombreuses promesses dont la notion mythique de gne-mdicament en est un des paradigmes. I1 a aussi probablement rvl dautres angoisses profondes lies la qute dune connaissance dessence presque divine : la recherche du code, du secret, du principe de ce qui singularise lhomme. Dans cette pope, pour la premire fois dans lhistoire, le scientifique se laissait clairement aller au fantasme du dmiurge. Pourtant, lexaminer objectivement avec un peu de recul, laccs au gnome na pas tenu ces promesses. Mme si cette aventure reprsente une prouesse en soi, celle-ci ne rsulte que dune application lchelle du gigantisme industriel de techniques dcouvertes plus de vingt-cinq ans auparavant. Si la lecture de ce gnome na t accompagne daucune vritable rvolution conceptuelle, ni de retombe immdiate, cest que la prouesse est plus industrielle que scientifique. Aussi, les polmiques cres par le squenage touchent toutes des problmes de proprit industrielle de squence, ce qui est rvlateur du dplacement de la problmatique : il ne sagit pas de retombes thiques dune avance nouvelle mais dun problme de concurrence industrielle. Le gnome de nombreuses espces, dont la ntre, a t dcrypt, explos, miett, fragment, recompos, industrialis, voire mme r-appropri. Le gnome-instrument de la connaissance a progressivement gliss vers le gnome-instrument de la concurrence pour le

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    pouvoir et largent. Le gnome est devenu un produit financier sur lequel des paris normes ont t effectus, mais qui est au fond davantage le reflet des problmes de nos socits que des problmes inhrents aux progrs de la bio- logie.

    Simultanment, de nombreuses applications de lutilisation des gnes apparaissent dans lenvironnement immdiat de lhomme. Bactries, plantes et animaux sont amliors par la main humaine. Les critres de slection sont choisis subjectivement en fonction dintrts court terme : plus rsistant, plus rentable, produisant des protines slectionnes ou purifies. Le vivant devient exploitable, vritable usine microscopique haut rendement.

    ct de techniques rudimentaires de gntique bactrienne, mthodes routinires, dautres techniques initient leurs applications industrielles et agronomiques comme la transgnse chez les mammifres ou les plantes. Dans ce cas, lhomme greffe un gne tranger, nomm alors

  • Introduction 13

    humaine et interpelle notre conscience. I1 est vident que cette technique touche un problme li lessence mme de la vie et son corollaire, fantasme le plus profond : la recherche de lternit. Quel sens biologique ou thique donner une reproduction asexue chez lhomme ? Ou encore, quel sens donner la porte ouverte sur limmortalit que nous offre la perspective du clonage humain ? Enfin, quelles consquences en dcouleront pour lhumanit et pour la richesse de son patrimoine gntique lie au succs de la repro- duction sexue ?

    I1 devient donc de plus en plus difficile de diffrencier au sein de ce que le savoir autorise, ce qui est thiquement possible de ce qui est clairement interdit. Une difficult supplmentaire provient de limpossibilit de prvoir ce que la science autorisera demain. Un ditorialiste dune revue scientifique proposait rcemment une recherche dont lthique serait volontairement non limitative, sauf pour les travaux mettant en danger la vie dun tre humain3. Les limites de la science touchent donc bien aux limites de la dfinition du vivant, puisque la seule limite pose lexploration en biologie est donne par latteinte irrversible porte une vie humaine. Mais alors qui est protg par ce dogme ? Quel sens donner au mot vie ? Lembryon est-il > ds sa conception ? Le clone, lautre soi, peut-il tre rifi pour rpondre au simple besoin de cellules souches dune personne dont la vie est elle-mme mise en pril ? Ces questions nouvelles ne sont quune formulation moderne de ques- tions prennes. La biologie ne peut se dpartir de la rflexion thique sur le sens du mot dont elle semble dsesprment nier lexistence, mais qui la hante constamment : la vie. La vie est bien lombre de la biologie. Le biolo- gique se dfinit par le corpus de connaissances que lhomme a pu extraire dans le domaine de ltude du vivant. La biologie, somme de connaissances, reprsente la face claire dun objet vivant, alors que la vie nest que la vision projete, la face sombre, lombre de la biologie. Les contours de la vie sont donc forms par des projections gomtriques de ltat de la connaissance un instant donn. La vie, objet non dfini, fluctuant dans le temps comme lombre du cadran solaire, prend alors des formes diffrentes selon lhistoire. La biologie, comme les mains peuvent animer un thtre dombres chinoises, comme les ombres animent la caverne de Platon, laisse paratre des images de la vie. La vie grandit ou diminue, saplatit ou grossit selon la puissance et lorientation de lclairage, mais elle est toujours prsente, irrductible aux problmes de la biologie.

    Dans ce flot dinformations dstabilisantes, comment fonder une rflexion dhonnte homme sur le sens de la vie ? Ces questions ne peuvent rester sans rponse trop longtemps. La vacuit de la rflexion concernant lthique de la biologie moderne laisse la technique matresse du terrain. Pousse par les intrts conomiques, la machine technologique peut alors draper, lhomme ne contrlant plus ce qui aurait d rester cantonn ltat

  • 14 Le vivant dcod

    doutil. Mais la drive est dangereuse, car les consquences dune telle perte de contrle ne sont pas anodines. Trs souvent, les biologistes refusent de prendre part au dbat et se retranchent dans leur rle de a techniciens du progrs scientifique >>. Cette drive participe dun processus plus gnral dclatement et de parcellisation des savoirs qui, de plus en plus pointus, demeurent aussi beaucoup plus restreints. Le travail de lacteur de la science semble alors se limiter la mise la disposition de la socit de connaissances et de moyens nouveaux. Une telle conception est dangereuse :

  • Introduction 15

    moins celle dun physicien, sera plutt la marge, linterface de ces trois domaines de la science profondment imbriqus. Je passerai successivement dun domaine lautre afin de pouvoir montrer comment chaque domaine claire des aspects diffrents et donne du relief au monde de la vie qui nous entoure. Chacun de ces diffrents modes de pense pntrent les problmes du vivant sous un angle oppos mais complmentaire, permettant de mieux cerner la forme de cet objet curieux et insondable quest la vie. Cest en effet des proprits physiques de la matire que dcoulent les principes guidant lorganisation macromolculaire du monde vivant. Comprendre la logique de construction de la biologie, cest intgrer larticulation de ces diffrentes proprits dans un modle cohrent. Cette dmarche permet de pressentir de manire intuitive, une Logique du vivant pour paraphraser Franois Jacob. Cet essai tente de dfinir dans le mme esprit, les fondements de la vie. Dfinir la vie, cest--dire apprhender une vritable bio-logique. Ce nolo- gisme souligne la profonde ambivalence du mot biologie, terme analogue forg par Lamarck sur les racines grecs bios (PEOO) qui dsigne la manire de vivre et logos (hoyoo) qui dsigne ce qui concerne la raison. La biologie est donc une science dont lobjet tymologique originel tait dexplorer la logique de la vie. Le mot forg au dbut du XIX sicle a donc largement diverg de son origine tymologique. La biologie, science gnrale des tres vivants, est en pleine expansion et son objet dtude est trs large, mais elle est devenue incapable de donner un sens logique au mot vie. partir des dfinitions qui ont t proposes pour le vivant, nous allons en btir une nouvelle et la confronter aux donnes et aux problmes induits par les bio-techno-sciences. Actuellement, de nombreux contresens aboutissent imposer la biologie une acception purement technologiste. Le vivant est alors rifi pour devenir lobjet de manipulations techniques. De la biologie, un glissement imperceptible seffectue vers les bio-techno-logies. Or ce glissement terminologique est rvlateur dun tat de fait. Dcomposer le terme biologie pour en retrouver finalement sa racine tymologique, la comprhension de la vie, permet de mesurer combien le chemin de la connaissance de la vie a pu sgarer. Partis la recherche de la logique de la vie (raison des origines), les biologistes modernes se sont arrts en chemin ; flatts, jouissant dun plaisir narcis- sique, attirs irrsistiblement par la technologie drive du vivant, miroir qui les renvoie leur puissance et un discours strile.

  • 16 Le vivant dcod

    recherches et des progrs de la science. Non, il sagit plutt de tenter de prcder les problmes par une rflexion plus profonde et plus large sur le sens du mot vie afin de mieux accompagner les surprises que livre pudiquement et difficilement la nature. Cette rflexion permettra peut-tre de mieux reprer les limites de la tentation dmiurgique de lhomme et dviter que des techniques mal utilises attentent la vie humaine, seules limites couramment reconnues lutilisation dun savoir.

    Extrait de la publication

  • Chapitre I. LA VIE : UNE NOUVELLE DFINITION

    POUR QUELLE BIO-LOGIQUE ?

    Pourquoi une dfinition de la vie ?

    Est-il rellement pertinent de vouloir dfinir la vie ? La question est loin de faire lunanimit. Futilit pour certains, ineptie pour dautres, la question est hors sujet pour beaucoup dont la majorit des biologistes. La vie et le vivant sont toujours rests dans une sorte de nappe de brouillard, de flou indfini, qui inhibe leur caractrisation patente. Est-ce par paresse intellectuelle, ou par volont dlibre de laisser le champ libre la mtaphysique, ou la mystique ? La rponse nest pas claire. Le vivant fut exclu ds le dpart, du fait de sa complexit trop importante, du champ de lexprimentation. I1 na pas encore t rintgr lissue dun processus qui tient plus dune parcellisation des savoirs que dune molcularisation des centres dintrts. Un homme singulier avait tent de dfinir la vie. Cet homme ntait pas du srail, ni biologiste, ni chimiste, ni naturaliste, ni gnticien, ni physiologiste : rien ne le prdisposait sexprimer sur le sujet. Erwin Schrodinger tait tout simple- ment physicien, fondateur de la mcanique quantique au dbut du sicle et rcompens en 1933 par le prix Nobel de physique. I1 publia en 1944, au plus fort de la guerre, un petit opuscule intitul Quest ce que la vie ?. Ce texte prcurseur a permis dexclure le dmon vitaliste des sciences de la vie, sans permettre une synthse par dfaut des connaissances de lpoque en biologie qui taient plus que rudimentaires.

    Pourtant, bien que les connaissances dans le domaine du vivant aient progress vertigineusement, la vie continue de nous faire dfaut de sa dfinition. Nous lobservons dans de nombreux domaines de plus en plus proches du quotidien. Le questionnement sur la dfinition et le sens de la vie est de plus

    Extrait de la publication

  • 18 Le vivant dcod

    en plus prgnant. Aujourdhui, il ne se passe plus un seul mois sans que ne soient annonces les dcouvertes les plus surprenantes des confins du vivant : ractivation despces disparues, clonage de mammifres, manipulation de cellules souches, thrapie gnique, cration ex nihilo de nouvelles formes de vie. Toutes nont pas la mme porte, les mmes consquences, mais en chacune rsonne un questionnement profond sur linteraction entre les outils que lhomme forge jour aprs jour et lthique de leur utilisation dans le quotidien. I1 nest pas besoin de se tourner bien loin dans notre pass pour comprendre combien ces questions sont cruciales. Le xxe sicle a souffert avec leugnisme et le lyssenkisme de deux formes dutilisation des connaissances biologiques par des systmes totalitaires.

    Donner une explication formelle dune notion intuitive nest pas chose aise. La vie a-t-elle une dfinition autre que surnaturelle ? I1 sagit l dune conviction intime, cest pourquoi nous allons tenter de montrer que la vie peut trs bien se concevoir dans le champ de la science moderne par un modle rationnel. De nombreuses tentatives dexplication de la vie maillent lhistoire de la biologie ; il suffit, pour sen persuader, de lire la volumineuse Histoire de la notion de vie dAndr Pichot. Pour certains, la logique de la vie se situe en dehors de la science car au-del du monde des molcules. Claude Bernard, dj, rfutait toute entre de la notion de vie dans le domaine des sciences : > Plus proche de nous, une conception tranche se rsume dans le titre dun ouvrage, maintenant ancien, dErnest Kahane mais aux concepts cisels dans le manichisme : La Vie nexiste pas !4. Le matrialisme exprim sous la forme de ce titre provocateur sexplique historiquement par la volont de faire entrer la biologie de la deuxime moiti du lop sicle dans le carcan marxiste. La biologie dalors, et notamment la gntique, taient en prise avec des luttes pres issues de laffrontement des deux grands systmes de lpoque : capitalisme et marxisme. Du ct sovitique, un idologue dlirant lhabillage scientifique dingnieur agronome dnomm Trofim Lyssenko ravit les faveurs de Staline, il fit dporter ou liminer les quelques biologistes sovitiques qui sopposaient lui, critiqua la a gntique bourgeoise >> et tenta de montrer que la biologie est une

  • La vie : une nouvelle dfinition pour quelle bio-logique ? 19

    dogmes politiques furent alors trs nombreuses et minemment puissantes, avant que celles-ci ne sestompent dans le temps o les grands antagonismes conomico-politiques seffondraient avec la fin du rgime sovitique.

    De nombreux biologistes modernes restent tout autant radicaux, mais pour des raisons entirement diffrentes : pour Henri Atlan la vie nest pas un concept oprant. La logique du vivant svanouit dans le fatras des lois molculaires :

  • 20 Le vivant dcod

    la proccupation de certains biologistes pour cette question longtemps mprise car trop littraire, trop mtaphysique, trop lie aux risques dune rflexion complexe vient donc des sciences (< dures . La physique a donc insmin un champ entirement nouveau du savoir, parallle la biologie. Comme souvent, le loup chass par la fentre revient par la porte, mais ici il ne sagit pas dune porte de service mais de la porte dhonneur. Pousss par des physiciens, des biologistes se sont enfin mis se risquer exposer un certain nombre de dfinitions de la vie dans des revues scientifiques prestigieuse^'.^. Le deuxime type darguments est li aux relations quentretient la science avec la socit moderne. Il nest plus en effet tenable dobserver que les problmes de biothiques modernes fassent tous rfrence la vie, alors que les scientifiques noncent premptoirement que celle-ci nexiste pas. La science en tant que structure sociale au fonctionnement et au dessein impermables aux problmes de la socit engendre une rupture profonde entre citoyens et scientifiques. Cet isolement ne peut que favoriser des comportements irrationnels, des prjugs anti-scientifiques htifs et aveugles, voire des actions violentes comme les arrachages de plantations exprimentales transgniques par des commandos mdiatiss. I1 est donc devenu un devoir de citoyen de ten- ter dexpliquer comment la science comprend le sens du mot vie, afin de pouvoir rpondre avec plus de discernement dautres questions plus larges touchant la gntique, aux OGM, aux cellules souches, au clonage, ou encore la fin de vie. La vie doit donc tre un concept descriptible e en la science , avec des termes propres ce champ de connaissance. Ce point de vue nest pas isol. Michel Morange dans un ouvrage paru pour le cinquante-naire de la dcouverte de la structure de lacide dsoxyribonuclique (ADN) portait le titre : La Vie expli- que ?O. I1 tentait alors de rapprocher les concepts de la biologie et ceux de la tra- dition philosophique. Sinterrogeant sur le refus de la majorit des biologistes daborder le problme de la vie, il regrette : a Une telle absence apparente de curiosit de la part de la majorit des biologistes (...> est la marque dune cer- taine pauprisation intellectuelle du milieu scientifique, prjudiciable sa cra- tivit. Elle signij-le une coupure entre la connaissance scient3que et la culture. Sans vouloir porter de jugement sur la volont de la communaut scientifique de vouloir rallier les problmes philosophiques poss par lavance du savoir, je voudrais poser le problme dans des termes proches de ceux de Michel Morange. Mon ambition est de donner une dfinition la vie qui puisse faire sens dans le champ de la science, et dvaluer ensuite sa porte dans le champ de lthique. La vie est un concept (< dinterface D au sein de la science, lintersection entre les domaines de la physique et de la biologie. En effet, le vivant comme objet dtude de la biologie, nchappe pas un autre champ de la physique des changes dnergie quest la thermodynamique. Ce modle fait donc appel des notions simples de biologie et de physique thermodynamique sur lesquelles nous reviendrons ultrieurement. Cette conception originale et

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  • La vie : une nouvelle dfinition pour quelle bio-logique ? 21

    moderne de la vie se dtermine totalement par des lois physiques simples et universelles. Elle radique donc dfinitivement toute tentation vitaliste et permet par ailleurs de comprendre certaines proprits de la vie et dappr- hender son mergence.

    Lapproche propose nest pas exprimentale au sens de la biologie classique qui est produite par analyse dexprience pratique sur le vivant. En ce sens, elle diffre compltement de la conception classique de la biologie et des biotechnologies. I1 ne sagit ni de rsultats exprimentaux, ni dune dcouverte de mcanismes nouveaux. I1 sagira, pour certains, dun handicap rdhibitoire ; cest l une critique que nous admettons demble et facilement. En effet, la dfinition de la vie est indispensable pour le plein panouisse- ment de sa face complmentaire : la biologie. La biologie moderne (( a t essentiellement - sinon exclusivement - analytique P rappelle Franois Jacob. Jai choisi dlibrment une approche complmentaire synthtique. I1 ne sagit donc pas de la dcouverte matrielle dun nouveau constituant mol- culaire du vivant mais plus modestement dune tentative dintgration des mcanismes biologiques fondamentaux dans un cadre conceptuel plus large. Lobjectif final est de donner la vie un cadre, une dfinition, dans laquelle puissent se reconnatre les lois la fois de la biologie et de la physique, notam- ment un des dveloppements rcents de la physique thermodynamique.

    La vie : dualit structure cellulaire/tat thermodynamique de la structure

    La vie nest pas dfinissable en ltat, nous lavons dj dit. Le modle du vivant propos entrane une nouvelle dfinition. La vie se conoit comme une entit duale : un systme biologique et son tat thermodynamique.

    La vie est donc une dualit ! Cest la fois un systme, au sens physico- chimique, qui doit prsenter certaines strictes caractristiques structurales et la caractrisation de son tat thermodynamique qui doit remplir dautres conditions non moins strictes. Concernant le systme, il sagit dune structure strotype reprsente par la cellule formant la base de tous les systmes biologiques vivants. Concernant ltat thermodynamique, le systme cellulaire doit tre ouvert et auto-entretenu en dehors de lquilibre thermodynamique. En dautres termes, il sagit thermodynamiquement d u n systme dissipatif selon lexpression clbre forge par Prigogine.

    Cette dualit nest pas virtuelle, elle est la base du paradigme. La vie est la fois lun et lautre terme de cette quation du vivant : cellule et tat dissipatif auto-entretenu du systme cellule.

    En effet, dune part sans cellule, la notion de vie na pas de sens, puisque les systmes dissipatifs ne sont pas lapanage de la biologie, bien au

  • 22 Le vivant dcod

    contraire. I1 existe de trs nombreux modles de systmes dissipatifs des plus simples aux plus complexes. Dautre part, la cellule bien que physiquement objectivable nest pas suffisante puisque celle-ci peut tre conserve bien longtemps aprs larrt de tout change thermodynamique (donc aprs sa mort). Les anatomopathologistes fixent et examinent des cellules bien aprs leur mort. I1 est possible de conserver des cellules mortes, pendant de nom- breuses annes. Ainsi les deux facettes de la dfinition sont indissociables : sans la cellule, pas plus de vie que sans le maintien de celle-ci dans un tat dissipatif. Pour autant, les deux versants du paradigme ne sont pas deux entits indpendantes. Les deux lments sont mme profondment intriqus. Par exemple, lintgrit physique de la cellule est ncessaire pour maintenir sa capacit contrler son mtabolisme, et donc son tat thermodynamique hors de lquilibre.

    Cette notion princeps na rien dune tautologie. Nous allons maintenant illustrer notre paradigme par un exemple ncessairement un peu simplificateur, mais dont lanalogie est forte : comprendre si une cellule (ou un organisme) est en vie, revient tenter de comprendre si une voiture se dplace une certaine vitesse (Figure 1). Lanalogie peut paratre surprenante. Mais la voiture forme un systme (relativement) facile apprhender et modliser pour lesprit.

    Figure I : Le paradigme du vivant et lanalogie avec la vitesse dune voiture. La vie peut tre d5niepar lexistence dune cellule dont tat thermodynamique est caractrispar la dissipation dunj7ux dnergie (tat hors de lquilibre), comme une voiture qui roule est caractrise par un systme physique (roue + carrosserie + moteur) dont ltatphysique est caractris par un vecteur vitesse.

    I / - \

    Extrait de la publication

  • Achev d'imprimer les presses de France Quercy - Cahors

    No d'impression : 51573 Dpt lgal : septembre 2005

    Imprim en France

    Extrait de la publication

  • Jean- N i co las Tou r n i e r

    En ce dbut de XXle sicle, quel regard l'homme porte-t-il sur la vie ? Alors que le sicle qui se dessine semble tre celui des biotechnologies, que le conflit ouvert entre la puissance envahissante de la biologie et les limites de l'thique devient irrmdiable, la notion mme de vie semble s'tre extirpe du champ de la biologie. Or, les frontires de la science touchent pourtant bien celles de la dfinition du vivant.

    Mais alors quel sens donner au mot vie ? L'embryon est-il en vie ds sa conception ? Le clone, l'autre soi peut-il tre rifi pour rpondre au simple besoin de cellules souches d'une personne, dont la vie est elle-mme mise en pril ? Ces questions nouvelles, ne sont qu'une formulation moderne de questions prennes. Elles permettent aussi de comprendre que la biologie ne peut se dpartir d'une rflexion thique.

    Le prsent ouvrage propose une dfinition nouvelle, simple et oprante de la vie qui exclut l'appel au vitalisme, et qui permet ensuite de revisiter certaines nigmes de la biologie moderne comme les origines de la vie et son volution, e t de s'interroger sur les problmes thiques de la biologie contemporaine : Quid des OGM, du clonage reproductif e t thrapeutique, des cellules souches au regard de la vie ?

    II ne s'agit ici ni de vouer les techno-sciences aux ghennes, ni de dplorer les progrs de la science. L'objectif est plutt d'anticiper l'mergence des problmes thiques futurs par une rflexion plus profonde et plus large sur le sens du mot vie, afin de mieux accompagner les surprises que livre pudiquement la nature aux tres curieux de savoir.

    JEAN-NICOLAS TOURNIER est docteur en mdecine et docteur s sciences, chercheur au Centre de Recherches du Service de Sant des Armes (CRSSA) Grenoble. II travaille dans le domaine de l'immunologie et s'intresse notamment aux interactions hte-pathognes.

    Graphisme : Batrice Coudel

    19 euros ISBN : 2-86883-814-6

    Extrait de la publication

    SOMMAIREIntroductionChapitre 1 La vie : une nouvelle dfinituion pour quelle bio-logique ?Pourquoi une dfinition de la vie ?La vie : dualit structure cellulaire/tat thermodynamique de la structure