erikson vieornementation

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EHESS "Comme à toi jadis on l'a fait, fais-le moi à présent..." Cycle de vie et ornementation corporelle chez les Matis (Amazonas, Brésil) Author(s): Philippe Erikson Source: L'Homme, No. 167/168, PASSAGES À L'ÂGE D'HOMME (juillet/décembre 2003), pp. 129- 152 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40590256 . Accessed: 01/08/2011 19:27 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of JSTOR's Terms and Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp. JSTOR's Terms and Conditions of Use provides, in part, that unless you have obtained prior permission, you may not download an entire issue of a journal or multiple copies of articles, and you may use content in the JSTOR archive only for your personal, non-commercial use. Please contact the publisher regarding any further use of this work. Publisher contact information may be obtained at . http://www.jstor.org/action/showPublisher?publisherCode=ehess. . Each copy of any part of a JSTOR transmission must contain the same copyright notice that appears on the screen or printed page of such transmission. JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to L'Homme. http://www.jstor.org

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"Comme à toi jadis on l'a fait, fais-le moi à présent..." Cycle de vie et ornementation corporelle chez les Matis (Amazonas, Brésil)Author(s): Philippe EriksonSource: L'Homme, No. 167/168, PASSAGES À L'ÂGE D'HOMME (juillet/décembre 2003), pp. 129- 152Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/40590256 .Accessed: 01/08/2011 19:27

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  • EHESS

    "Comme toi jadis on l'a fait, fais-le moi prsent..." Cycle de vie et ornementationcorporelle chez les Matis (Amazonas, Brsil)Author(s): Philippe EriksonSource: L'Homme, No. 167/168, PASSAGES L'GE D'HOMME (juillet/dcembre 2003), pp. 129-152Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/40590256 .Accessed: 01/08/2011 19:27

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    http://www.jstor.org

  • "Comme toi jadis on Ta fait, fais-le moi prsent. .."

    Cycle de vie et ornementation corporelle chez les Matis

    (Amazonas, Brsil)

    Philippe Erikson

    Esta es la nacin con barbas y bastante branca [...] Se agujeran la cara alrededor de la boca, con mas de veinte agujralos, en donde ponen palitos y plumas,

    que parecen erizos, o diablos pintados.1

    I OUR l'immense majorit des Amrindiens d'Amazonie (lato sensu), la naissance biologique ne saurait elle seule assurer la reproduction sociale. Pour produire un tre pleinement humain partir de cette virtualit existentielle que reprsente le nourrisson, leurs thories ontologiques exigent en effet un vritable travail de parachvement du corps, qui se poursuit tout au long de l'existence et dont les temps forts prennent frquemment une tournure solennelle au cours d'importants rituels col- lectifs. Dans un texte qui fait dsormais figure de classique, Anthony Seeger, Roberto Da Matta et Eduardo Viveiros de Castro (1979) ont pro- pos d'envisager cette insistance sur l'idiome corporel comme le principal ciment des difices sociaux des basses terres d'Amrique du Sud. La pro- position a t accepte avec d'autant plus d'enthousiasme qu'elle offrait une alternative cette accumulation de ngativits par laquelle l'an- thropologie rgionale dfinissait jusque-l son objet (Taylor 1996 : 622). Socits sans tat, ni histoire, ni chefferie, ni protines en quantit suffi- sante, sans animaux domestiques, ni armature sociologique rigide... peut- tre, mais certainement pas dpourvues de pratiques concrtes centres sur le corps. Les rituels de formation de la personne offraient enfin l'ethno-

    1. Uriarte 1986 [1771] : 174 : Voici une nation barbue, et passablement blanche [...] Tout autour de la bouche, ils se perforent le visage de plus de vingt orifices, o ils insrent des btonnets et des plumes, qui leur donnent l'apparence de hrissons, ou de diables peinturlurs.

    _- - . Ce texte doit une partie de son impulsion initiale Patrick Menget, organisateur du col- loque Physiologie et cosmologie dans les socits indignes d'Amrique (Azay-le-Ferron, mai 1987). Une version prliminaire de ce travail y avait t prsente devant une assemble de collgues franais et bri- tanniques, en particulier Peter Gow, Stephen Hugh Jones, Cecilia McCallum et Graham Townsley, que je remercie rtrospectivement pour leurs commentaires stimulants. Je suis galement reconnaissant Anne-Marie Peatrik, qui m'a encourag reprendre la rflexion avec une demi-gnration de recul, et Jacques Galinier, pour sa relecture attentive.

    I 2 Q

    L'HOMME 167-168/ 2003, pp. 129 152

  • logie rgionale son institution structurante, susceptible de jouer un rle comparable celui tenu par les grands cycles d'changes crmoniels pour la Mlansie, par le rgime des castes pour l'Inde, la structure lignagre pour l'Afrique, ou encore la transmission du patrimoine pour l'Europe.

    L'Amazonie indigne semble caractrise par son refus d'envisager les identits tant individuelles que collectives sous l'angle de la fixit et de la prennit. Les barrires interethniques (voire interspcifiques) semblent particulirement permables - voire floues -, les changements de statut tant possibles et mme frquents (surtout dans l'imaginaire), dans le cadre d'adoptions, d'enlvements, d'apprivoisements, d'itinraires thrapeu- tiques, de danses et de mascarades, d'escapades oniriques, de voyages cha- maniques, pour ne rien dire des destines post mortem. Les relations de parent semblent elles aussi largement ouvertes la ngociation, les rela- tions de commensalit ou d'homonymie, selon les rgions, s'avrant sou- vent tout aussi importantes que celles dcoulant de la gnalogie. Les liens intergnrationnels paraissent galement fort distendus dans cette rgion o dominent l'amnsie gnalogique et la volont rcurrente d'effacer toute trace des dfunts. La notion d'hritage se rduit ici sa plus simple expres- sion. Quel que soit l'angle sous lequel on les envisage, les units sociales amazoniennes paraissent bel et bien condamnes se reconstituer chaque gnration, voire chaque fois qu'un village se dplace. Dans cette optique, les pratiques de formation du corps jouent un rle d'autant plus crucial que les diffrences interspcifiques et interethniques semblent globalement per- ues comme relevant du somatique plutt que du spirituel . En attes- tent les dbats rcents sur le perspectivisme amrindien , notion selon laquelle la pense amrindienne substituerait une forme de relativisme naturel au relativisme culturel qui nous est familier, postulant que tous les tres partagent une culture commune mais que celle-ci se traduit par des ralits corporelles distinctes (Viveiros de Castro 1996).

    Il est incontestable que les thories ontologiques amazoniennes se situent aux antipodes de celles, ancres dans la biologie, auxquelles nous sommes habitus. Loin de mettre l'accent sur la filiation, la transmission, la fixit, l'hrdit, l'atavisme et autres soubassements idologiques de la notion de race, les thories amrindiennes font la part belle aux circons- tances et la mallabilit. On est ici d'autant moins obnubil par la ques- tion des origines et la recherche en paternit que celle-ci est gnralement postule comme multiple et collective (Beckerman & Valentine 2002). En Amazonie, la notion de destin pr-trac n'existe pas plus au niveau indivi- duel que la notion de ligne au niveau sociologique. On a affaire des systmes ontologiques caractriss par leur ouverture, o rgne ce que j'ai propos d'appeler l'altrit constituante qui minimise l'inn au profit

    Philippe Erikson

  • de l'acquis (Erikson 1986). En forant peine le trait, un animal appri- vois devient un humain, un ennemi captur une ethnie voisine devient membre part entire du groupe de ses ravisseurs, et ces incorporations sont penses comme indispensables la perptuation des identits collec- tives. Inversement, le risque est grand de devenir autre . Faute de tenir compte de cette labilit inhrente aux reprsentations amazoniennes de l'existence individuelle et sociale, on comprendrait bien mal l'importance non seulement idologique mais encore politique des ornements dans cette partie du monde.

    Labrets, pendants d'oreille, coiffes de plumes, peintures corporelles sont autant de blasons qui dfinissent la personne, qui la constituent autant qu'elles l'ornent. Loin de connoter le superficiel et le futile par opposition ce qui serait essentiel et profond, les parures ressortent au contraire comme la condition sine qua non de l'accs au pouvoir, et les ornements comme sa manifestation concrte. Les Matis affirment que leurs voisins marubo les craignent cause de leurs ornements, ce que confirme un eth- nologue ayant rcemment travaill chez ces derniers (Ruedas 2001). On pourrait aisment multiplier les tmoignages ethnographiques allant dans le mme sens. Laraia (1967 : 145) rapporte le cas d'un homme surui dont les ambitions politiques ont toutes chou pour la raison principale que sa lvre infrieure tait dpourvue d'un labret. Dans le Haut-Xingu, la manire dont les oreilles des jeunes gens sont perces leur ouvre ou non l'accs certains rles cls (Basso 1973 : 65-71), tandis qu'un leader cashi- nahua n'obtient de vritable lgitimit qu' travers le port d'une coiffe faite des plumes d'aigle harpie amasses, en signe d'allgeance, par l'en- semble de ses partisans (Kensinger 1975 : 196). Dans le nord-ouest ama- zonien, la possession de certaines parures de plume aurait mme reprsent un enjeu suffisant pour motiver des affrontements guerriers2.

    Rien d'tonnant, ds lors, ce qu'en Amazonie, l'ornementation corpo- relle soit avant tout une proccupation masculine, l'ornementation des hommes tant systmatiquement beaucoup plus sophistique que celle des femmes3. Les graphismes tatous ne sont pas diffrencis en fonction du sexe. Cependant, il est plus courant d'en voir sur des visages masculins que sur des visages fminins ; en outre, les motifs les plus labors sont ordinai- rement rservs aux hommes , crit Anne-Christine Taylor (2003 : 225) propos de l'ornementation des Achuar, et sans doute la remarque pourrait-

    2. Dominique Buchillet, communication personnelle (1991). 3. Les donnes matis, soit dit en passant, apportent un dmenti au moins partiel l'ide, gnralement accepte chez les psychologues, selon laquelle among Homo sapiens, at least through most of civiliza- tion, the female has had this decorative role [...] [a study of] 190 tribal societies [...] found that the physical attractiveness of the female receives more explicit consideration than does the physical attributes of the male (Falln 1990 : 81).

    131

    JO

    I Cycle de vie chez les Matis

  • elle tre gnralise l'chelle du sous-continent. Lorsque les premiers miroirs ont t introduits chez les Matis, ils ont rapidement t accapars par les hommes. Voyons prsent ce qui s'y refltait.

    Les ornements "piqus" des Matis

    Les Matis, Amrindiens de langue pano de l'ouest du Brsil, utilisent leurs ornements corporels dans le cadre de ces processus de constitution de la personne, c'est--dire l'ensemble des pratiques mises en uvre pour socialiser les corps individuels perus comme incomplets la naissance. On dit d'ailleurs du nouveau-n qu'il est maru marupa ( invisible comme les esprits maru ) tant qu'on ne lui a pas confr ses premiers colliers, ce qui s'accomplit gnralement dans les toutes premires heures qui suivent la naissance, juste avant sa premire coupe de cheveux. Penss comme quivalents symboliques des poils et concrtisation physique d'une forme de pouvoir mystique, les atours matis font en effet partie du corps, mme s'il leur manque la dimension sensorielle de ceux, par exemple, des Suya, dont les ornements d'oreille, de bouche, de nez, etc., serviraient respecti- vement mieux entendre, parler, sentir, etc. (Seeger 1979).

    Chez les Matis, d'innombrables manipulations corporelles sont censes parfaire la formation de la personne et aboutir la constitution d'un tre socialement dfini comme complet. Il serait fastidieux d'numrer toutes ces pratiques et on nous excusera donc de renvoyer l'ouvrage que nous avons consacr la question (Erikson 1996). Ici, nous nous concentrerons essentiellement sur une catgorie plus restreinte, celle des ornements piqus dans la face, autrement dit ceux dont les Matis ne se sparent pratiquement plus ds lors que leur corps a t prpar les recevoir : pendants d'oreille, labrets, pines nasales, tatouages indlbiles...

    S'il est vrai que les massages, coupes de cheveux, bains rituels, peintures, remises des premiers colliers, etc., relvent galement de la formation continue de l'individu - et peuvent tre penss comme ayant une inci- dence durable, voire dfinitive, sur ceux qui en bnficient (cf. Keifenheim 2000) -, la distinction entre ornements permanents et ornements transitoires semble toutefois essentielle en raison du carac- tre pratiquement irrvocable des premiers. Le port des ornements perma- nents exige toujours le perage pralable d'une des parties du corps : oreilles, ailes puis cloison du nez, lvre infrieure, joues masculines. Or, une telle dcoupe du corps cre un vide qu'il devient ncessaire de com- bler en permanence, entranant, pour reprendre une distinction faite par Aurore Monod Becquelin (1982), une vritable mtamorphose (irrver- sible) plutt qu'une simple transformation. L'effet recherch s'inscrit net-

    Philippe Erikson

  • tement dans l'ordre du dfinitif. Les peintures au rocou (Bixa orellana) ou au genipa (Genipa americana) s'effacent, les colliers s'enlvent, mais les trous, pass un certain stade, ne se referment plus. la diffrence des pra- tiques temporaires , remarquablement dcrites dans l'ouvrage collectif sur le graphisme amazonien dirig par Lux Vidal (1992), les ornements faciaux auxquels nous avons affaire ne marquent pas un tat passager, mais une modification ontologique irrversible, rsultant d'une chirurgie esthtique prparatoire qui les rend indissociables de leurs porteurs.

    Prolongements quasi biologiques de l'individu, les parures relvent donc clairement de l'idiome corporel et, pour encombrants qu'ils soient, ces appendices n'en sont pas moins ports de manire constante, mme pour dormir. Les hommes ne s'en sparent momentanment qu' l'occa- sion d'activits (chasse l'arc, guerre, mascarade) au cours desquelles ils sont prcisment supposs abandonner leur statut d'tres pleinement sociaux pour endosser temporairement des qualits propres certaines catgories d'esprits (entre autres celles des maru et des mariwin dont il sera question ci-dessous). En somme, l'on ne se dpare de ses ornements qu'en des circonstances o l'on affirme s'tre simultanment dparti d'une par- tie de son statut d'humain, acte d'autant plus grave qu'on estime risquer d'y laisser sa vie4. la diffrence de ses autres possessions - qui sont dtruites ou brles -, les ornements corporels d'un dfunt sont obliga- toirement enterrs avec lui (Montagner Melatti 1980: 102), ce qui n'a rien de surprenant au regard de l'troite relation qu'ils entretiennent avec le cycle de vie et la destine eschatologique de chacun. Les ornements se voient en effet imposs suivant un ordre bien prcis, qui dtermine une squence clairement perue comme telle par les Matis.

    Squence d'imposition Premire tape

    La toute premire perforation se fait au lobe de l'oreille, ds l'ge de 4 ou 5 ans5. Dans ce premier trou (un des rares dont on m'ait dit qu'il pou- vait parfois tre perc par une femme), on introduit d'abord un btonnet trs fin, appel paut. Progressivement, au fil des annes, le diamtre de ce

    4. Les hommes n'enlevaient traditionnellement leurs ornements qu'en des occasions supposes leur faire subir des altrations ontologiques certes rversibles et temporaires, mais non moins srieuses et profondes, puisqu'elles les rendaient particulirement vulnrables, un simple regard fminin pouvant alors, dans cer- tains cas, les exposer la mort. Sans doute n'est-ce pas l'effet du hasard si l'expression tsusin impak-, deve- nir/incarner un esprit , s'utilise tant pour se rfrer au port d'un masque que pour dcrire ce qui advient aprs la mort. Pour une description plus dtaille de ces transformations rituelles, on peut se reporter Erikson 2000 et 2001a. 5. Les estimations d'ge proposes ici sont bien entendu approximatives et ne sont donnes qu' titre indicatif. Les Matis ne comptent gure au-del de vingt et s'ils attachent une grande importance .../...

    133

    Cycle de vie chez les Matis

  • bout de bois augmente, jusqu' ce qu'on puisse le remplacer par un cylindre de canne flche d'environ cinq centimtres de long pour les femmes, et prs du double pour les hommes qui y collent avec de la rsine un morceau de coquille de gastropode lacustre (paut au sens littral) taill en forme de lentille concave. 1 Cet ornement constitue,

    yt - symboliquement, un dou-

    yf f ^' blet de l'il plutt qu'une jr ' ( ! '' extension de l'oreille. Cela

    (It J J H explique peut-tre pourquoi l ; J rtsl^J) ^es hommes ont des Pen" ' ' ^V ' y f dants d'oreille plus impor- ' ^'/N| b tants que ceux de leurs

    '^s *f^0^) pouses, alors qu'on admet / ^[ y gnralement l'inverse, l'or-

    y y^ nement d'oreille tant le

    ^s ^*^**^mm_^^ plus souvent prsent comme s ^^ une spcialit fminine,

    cens symboliser certaines Fig. I Pendant d'oreille. La partie sombre reprsente

    la rsine attachant l'ornement sa tige des qualits principales que le machisme amazonien exige-

    rait des femmes, telles l'coute, la soumission et l'obissance (Rival 1993 ; Turner 1980). Le cas matis relve d'une logique tout autre, d'autant que leur thorie de l'entendement fait la part belle l'audition : comme dans bon nombre de langues amrindiennes, un seul et mme lexeme (kwak-) dsigne la fois savoir/comprendre d'une part, et couter/entendre de l'autre6.

    Deuxime tape

    Quelques annes plus tard, vers 8 ans, arrive le moment de percer la narine, afin d'y introduire des demush, aiguilles tires du stipe des palmiers isan (Jessenia batana). Comme pour le percement des oreilles, il s'agit d'un processus qui se poursuivra pendant plusieurs annes puisque le nombre de demush va croissant jusqu' recouvrir totalement l'aile du nez.

    Demush signifie littralement pine de nez (< de-, nez + musha, pine ), terme qui s'applique non seulement l'ornement humain, mais aussi aux antennes des sauterelles et surtout aux moustaches (vibrisses)

    la connaissance des ges relatifs (puisque la majorit des termes de parent tient compte de la distinc- tion an-cadet), la comptabilisation des ges absolus ne les intresse en revanche aucunement. 6. Entre autres exemples de collusion smantique entre entendre et savoir dans les langues am- rindiennes, on peut citer Kidd (2000: 116) pour les Enxet du Chaco paraguayen, ou encore Passes (1998 : 51) pour les Palikur de Guyane franaise.

    Philippe Erikson

  • des flins, ce qui conforte naturellement l'hypothse d'une forte conti- nuit entre les excroissances naturelles et celles induites par acupuncture. Il est videmment tentant de penser que les vibrisses des Matis seraient destines accentuer (voire infrer mystiquement) leur ressemblance avec les jaguars. L'ide n'est pas totalement absurde, un humain pourvu de ses ornements tant effectivement cens receler des qualits flines qu'il perd en les tant (Erikson 2001a). Le caractre vgtal des demush (en par- ticulier le fait qu'ils soient tirs de palmiers) n'en demeure pas moins essentiel, comme nous le verrons ultrieurement. Le clich prfr des reporters, unanimement convaincus que les Matis utilisent leurs orne- ments pour mimer le jaguar qu'il vnrent , ne rend videmment compte que d'une infime partie de la ralit ethnographique7.

    Troisime tape

    L'tape suivante, qui intervient vers l'ge de 10 ans, consiste percer le septum afin d'y introduire le pendant nasal appel detashkete, qui, l'ori- gine, n'est qu'un petit bout de bois qui traverse la cloison nasale. Le prin- cipe de l'agrandissement progressif se maintient, mais, comme pour les paut, seuls les hommes franchissent l'tape ultime en insrant la place des btonnets ports jusque-l un detashkete taill dans le pristome d'un gas- tropode terrestre (Ampullaria sp., en portugais arua), autrement dit dans la partie la plus dure de la coquille. Cet ornement est un de ceux qui s'en- lve le plus facilement, d'une part car ils ne tiennent pas toujours bien en place, d'autre part car ils sont peu commodes lorsqu'on est enrhum.

    Dans l'ouest amazonien, les pendants de nez sont gnralement faits en mtal plutt qu'en coquille, laquelle est rgulirement remplace par le mtal dans / ' la production non seule- I ^ ^J __r~ ... ment d'ornements (Myers ^^ ^' /m , ., ^ S' 1991) mais encore d'arte- *(f ^ ^^Jfc

    , .,

    facts (ciseaux, cuillres, etc.) " 'n*

  • Quatrime tape

    136 Vient, l'approche de la pubert et des premiers rapports sexuels, le moment de percer la lvre infrieure pour y introduire un kwiot, fine charde de palmier isan pour les hommes, morceau de bois blanc plus volumineux pour les femmes. Les kwiot fminins reoivent une attention la mesure de l'rotisme qui s'en dgage, puisqu'il s'agit d'un ornement particulirement sexy , volontiers utilis dans des jeux de sduction. Il s'agit d'ailleurs du seul ornement qui soit plus important chez les femmes que chez les hommes, qui y attachent beaucoup moins de soins que leurs pouses, ne s'empressant pas comme elles le remplacer immdiatement s'il vient tomber.

    partir de donnes de terrain autres, des auteurs comme Roheim (1950), Viveiros de Castro (1993:152), Seeger (1979), Turner (1980), Rival (1993 : 640), dcrivent le labret comme un ornement essentielle- ment viril, li des valeurs guerrires (en particulier la manducation anthropophage) ou aux qualits de leadership ( travers Yars oratorio). Ici encore, les donnes matis interdisent de gnraliser, sauf considrer que les hommes ngligent leurs ornements de la lvre infrieure parce qu'ils disposent par ailleurs de labrets de la lvre suprieure (cf. infra), qui n'ont pas d'quivalent fminin.

    Cinquime tape Deux ou trois annes aprs l'imposition du labret, viennent les premiers

    tatouages (musha, littralement pines ) consistant en deux traits paral- lles sur les tempes et le front, dessins l'occasion d'un rite constituant le temps fort de la vie crmonielle matis. Le rituel concerne aussi bien les deux sexes, qui se font tatouer en mme temps, les garons se tenant dans le ct droit et les filles dans le ct gauche de la grande maison commune (regardant vers l'amont). Relevons que cette mixit (la remarque vaut en gnral pour la similitude entre les ornements des hommes et des femmes) renforce l'ide qu'on a affaire des pratiques qui relvent plus de la fabri- cation de la personne que du marquage statutaire. On est ici loin du schma de l'initiation comme acte d'institution (Bourdieu 1982), mme s'il existe de rarissimes cas d'enfants que l'on se refuse d'orner en raison de leur vidente dficience intellectuelle.

    L'opration du tatouage s'effectue au moyen de pigments vgtaux et de suie introduits par une multitude d'pines de palmier Bactris, en pr- sence de personnages masqus, les mariwin, qui, sans tre rellement des anctres, n'en connotent pas moins les valeurs associes aux gnrations passes (Erikson 2001b). Ces esprits entretiennent des liens privilgis avec

    Philippe Erikson

  • les aras, dont les marques faciales prsentent une ressemblance vidente (et d'ailleurs souligne par les Matis) avec celles dessines par le tatouage.

    Sixime tape Entre 17 et 19 ans, les hommes (et eux seuls) peuvent se faire trouer le

    visage des deux cts du nez, ce qui permet l'introduction des mananukit, btons relativement pais et longs, faits en bois de palmier. Dans un pre- mier temps, les mananukit sont plus courts et taills dans du wani (Bactris gasipas). Ensuite, ils seront progressivement agrandis jusqu' mesurer 6 ou 7 centimtres, provenant alors d'un autre palmier, Visan (Jessenia bataua). L'opration est rpute trs douloureuse, les infections fr- quentes, et la cicatrisation longue s'effectuer.

    Les mananukit s'enfoncent souvent dans leur orifice et recouvrent alors partiellement les dents, donnant l'impression, quand le porteur sourit, qu'il dispose de deux canines supplmentaires, noires au demeurant. Or la dent est le symbole, sinon le sige, de la puissance et de l'nergie vitale dans cette partie du monde.

    Le mananukit est un ornement en voie de disparition, trs rares tant les jeunes qui acceptent aujourd'hui de les porter, mme s'ils ont consenti se faire tatouer. Cette rgression du labret de la joue suprieure, que je propose d'appeler jottereau , ne fait d'ailleurs qu'achever un processus en cours depuis plusieurs dizaines d'annes (voire plus), puisque rares taient dj les hommes en arborer plus d'une paire l'poque des pre- miers contacts, alors que les gravures anciennes montrent leurs ascendants pourvus de plusieurs dizaines de jottereaux et labrets.

    Septime tape

    Enfin, au cours d'une seconde crmonie de tatouage, hommes et femmes se font tracer une srie de traits parallles des deux cts du visage (en commenant toujours par la gauche), mettant un terme la squence des perforations que doit subir tout individu dsirant jouir du statut d'adulte matis. On peut noter que le nombre de traits, qui varie entre six et huit, n'est pas forcment identique sur les deux joues, peut-tre parce que chaque joue peut tre tatoue par un individu diffrent. Si la symtrie n'est donc pas systmatiquement recherche, la nettet et la rectitude du trait sont en revanche des critres importants pour valuer la russite de 5 l'opration. Le tatouage des joues est rput plus douloureux que celui des S3 tempes et du front, et ensanglante bien plus le visage. Comme pour les JJ mananukit, on insiste cependant sur le stocisme des candidats, qui doi- q vent idalement supporter l'preuve sans broncher. h-

    Cycle de vie chez les Matis

  • la diffrence des autres ornements, les tatouages n'appartiennent pas la catgorie du chu ( possessions ) et ne sont pas censs contenir de sho (nergie mystique). Ils relvent cependant comme eux d'une mme catgorie : celle dfinie par la perforation. Si les tatouages apparaissent comme le point culminant de la squence ornementale, c'est parce que, s'effectuant au moyen d'innombrables piqres, ils reprsentent le degr superlatif de l'acupuncture indigne, et sont de ce fait particulirement aptes couronner la srie des ornements piqus.

    Si les atours sont piqus , ils sont galement piquants comme l'in- dique par exemple clairement la similitude des vocables musha (qui signi- fie littralement pine ) et demush (litt. pine nasale ). Les tatouages sont musha l'tat pur, mais on verra que chacun des atours est sembla- blement une pine , ce dernier terme ayant une acception mystique sur laquelle nous reviendrons aprs un dveloppement sur la nature pro- gressive de l'imposition des ornements.

    L'initiation inchoative

    L'ordre d'imposition des ornements est essentiel pour les Matis, qui atta- chent systmatiquement une immense importance tout ce qui concerne les processus de maturation, les questions d'ge relatif et la notion d'a- nesse. Les Matis ont une conception trs linaire de l'existence. Pour eux, la vie est une succession d'tapes pr-ordonnes, une volution progressive vers une vieillesse hautement idalise. Chaque chose doit venir en son temps : tout aliment, toute activit, tout savoir tant galement l'objet d'un agencement squentiel. Il faut avoir mang du pcari avant de passer au tapir, il faut bien savoir chasser la sarbacane avant de chasser l'arc, il faut savoir faire des hamacs avant d'apprendre la poterie, de mme que les oreilles doivent tre perces avant les narines. Or, il est vident que ces squences ne dcoulent pas uniquement de la difficult inhrente aux dif- frentes activits, mais sont culturellement induites. Il n'y a aucune raison objective, par exemple, pour que seules les vieilles femmes sachent faire des passoires pour la bire. On pourrait mme penser que cette activit techni- quement simple mais symboliquement essentielle leur est arbitrairement rserve afin de mnager aux anes une tche valorise leur permettant de convertir en prestige ce qui rsulte en ralit d'une baisse de leur acuit visuelle. Tresser un ventail feu, par exemple, prsente au moins autant de difficults, mais s'apprend beaucoup plus tt. Et lorsque les adolescents se disent trop jeunes pour connatre les paroles d'un rite de chasse o l'on avance croupetons en rptant eobi kashoko, eobi kashoko, ce n'est certes pas l'acuit de leur mmoire qui est en cause. . .

    Philippe Erikson

  • Comme dans bien d'autres groupes amazoniens, des Guyanes au Mato Grosso, l'acquisition graduelle des ornements, formant de fait des cat- gories d'ge, vient donc ponctuer les tapes de la maturation indivi- duelle, conformment cette vision linaire du cycle vital. L'accession la plnitude sociale, comme le notait dj Peter Rivire (1969 : 157), se concrtise par l'ornementation, mais de faon tellement diffuse et pro- gressive qu'il est toutefois difficile d'y voir une srie de rites de passage. Bien au contraire - hormis le cas des tatouages -, la dramatisation semble vite tout prix, comme si on voulait faire durer le processus. Aucun atour n'est vraiment impos en une seule fois, chacun connaissant une progression en nombre et en taille longtemps aprs la premire perfora- tion de l'endroit o il est pos. Certains sont par ailleurs remis de manire trs discrte, sans gure de formalit, dans un obscur recoin de la maison ou de la fort.

    Les pratiques matis se situent donc aux antipodes de ce que Edmund Leach (1976: 62), se rfrant aux travaux de Mary Douglas, prsente comme une vision classique des mutilations ethniques caractristiques des rites d'initiation : When we draw a social distinction between an infant and an adult, the boundary is artificial, there is no biological point of discontinuity, so we must make one. The act of violences marks [...] a point of entry. L'auteur poursuit en affirmant que l'acte de couper signifie l'limination d'une partie du corps dcrte impure , dont l'initi se dbarrasse conjointement avec l'immaturit qu'elle reprsente. Les Matis, prenant ce schma contre-pied, ne retirent rien avec leurs pratiques. Ils rajoutent au contraire des pines , et semblent en outre viter la discontinuit. L'ordre chronologique d'imposition des atours fait donc cho une conception typiquement amazonienne de formation continue de l'tre, qui dissout les rites de transition dans une multitude de micro-pisodes qui interdisent de rellement parler d'initiation, sauf la qualifier d'inchoative. En effet, l'accent n'est pas mis sur le passage d'un tat un autre (avec une rupture forte entre un avant et un aprs), mais plutt sur le caractre fil d'un processus dans lequel l'imposition de chaque lment de parure relve plutt de l'initial que de l'initiatique, chaque tape constituant plutt une amorce qu'un vritable aboutisse- ment8. L'ornementation corporelle de chacun progresse tout au long de l'existence, et trouve mme des prolongements putatifs dans l'au-del, comme nous le verrons ci-dessous. 8. Sans doute cette caractristique qu'ont les ornements matis d'induire des changements ontologiques dans la progressivit et la dilution plutt que dans l'clat fait-elle cho la logique durative qui semble prsider la conception amazonienne de la mort. En effet, les Amrindiens des basses terres envisagent volontiers le trpas comme l'aboutissement d'un processus d'aggravation de la maladie, plutt que comme une rupture brutale et soudaine entre les tats de mort et de vif (Queixalos 1993 : 101, n. 11). .../...

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    ! Si4

    Cycle de vie chez les Matis

  • Physiologie et cosmologie 1 40 Si l'accumulation progressive des atours prend fin, en pratique, avec les

    tatouages, le systme ornemental connat cependant un chelon suprieur dans l'imaginaire, puisqu'il existe une tape supplmentaire - celle consis- tant porter des kwiashak - que seuls atteignent les mariwiny esprits carac- triss par leur anesse absolue. Les mariwin sont en effet qualifis de darasibo kimo ( ans vritables ), incarnations de la sniorit parfaite, parangons de la maturit, ce qui n'empche d'ailleurs pas la hirarchie de se maintenir galement dans leur monde puisqu'ils passent pour mortels eux-mmes et que certains sont rputs plus anciens, et partant plus noirs, que leurs cadets (rouges). Les mariwin, dots de toutes les vertus (on insiste en particulier sur leur absence de paresse), sont systmatiquement prsents comme le modle par excellence. On s'orne pour leur ressem- bler, ce qui permet dans la foule de ressembler aux membres des gnra- tions passes9. Ce n'est par consquent qu'en incarnant les mariwin qu'on accde, grce au port d'un masque, au nec plus ultra de la squence orne- mentale : la possession des kwiashak, ornements faits de touffes de kapok cernant le pourtour des lvres et couronnant si bien la formation orne- mentale qu'ils semblent mme en subsumer toute la srie. En effet, aux dires des Matis, les superbes jottereaux de plume et surtout les innom- brables kwiashak dont s'ornent les esprits les dispensent de tatouages et de pendants d'oreille.

    Le statut des ornements du mariwin illustre bien l'inutilit d'une dis- tinction culture/nature pour analyser l'ornementation des Matis, qui sem- blent au contraire s'vertuer nier la diffrence entre artefact et anatomie dans leurs discours concernant les masques. En effet, les kwiashak s'appa- rentent aux autres atours, les Matis rptant souvent que leurs anctres avaient beaucoup de labrets et de jottereaux afin de ressembler aux mari-

    En tunebo et en cubeo, tre malade et mourir se disent avec la mme racine lexicale, la diffrence tant marque par les aspects imperfectif/perfectif (ibid.). Un phnomne comparable s'observe en yaruro (Mitrani 1976: 374). En chacobo, nati, le nom gnrique des maladies du genre grippe, signifie littralement ce qui tue , et l'on pourrait multiplier les exemples de langues o s'vanouir et mourir se nomment de la mme manire. Dans le mme ordre d'ides, relevons qu'en matis, un mme terme, tsusi, dsigne aussi bien les personnes ges que les esprits des morts (et les mariwin), comme pour mieux souligner la proximit entre les ides de vieillesse et de mort, voire pour mnager une transition conceptuelle plus souple entre ces deux tats. L'absence quasi totale des rites de mariage, la longueur des rclusions pubertaires et l'apparent dsintrt qui entoure la notion de virginit dans le monde amazo- nien dcoulent sans doute galement de cette propension envisager les transitions dans le long cours plutt que dans la ponctualit. 9. Plus prcisment, on dit qu'on s'orne de manire globale pour ressembler aux mariwin, mais chaque ornement particulier est cens vous faire ressembler tel ou tel ascendant de la gnration +2 (en gn- ral l'un de vos homonymes), que l'initiateur s'efforce d'imiter-reproduire (tanek) sur le visage de l'initi. L'importance ainsi accorde aux gnrations alternes n'a rien pour surprendre, sachant que la nomencla- ture de parent des Matis relve du type kariera (Erikson 1996 : chap. 6).

    Philippe Erikson

  • win. De plus, on constate qu'ils sont piqus dans le masque la manire des autres ornements (ils le sont mme tellement qu'on dirait des rpliques de dard de sarbacane, point important sur lequel nous reviendrons). Mais en contrepartie, loin de se surajouter leur corps , les kwiashak consti- tuent le cur mme de l'anatomie des mariwin : d'une part, ils leurs tiennent lieu de dents, d'autre part, leur nom mme, kwiashak est videmment une variante de kwishakete, shakete signifiant poil ou plume . Les kwiashak sont donc simultanment une barbe blanche (marque de sniorit), une dentition et des flchettes au curare, tout en tant assimils une hypertrophie de labrets et de jottereaux. Comment ne pas voir l une conjonction remarquable entre la maturation physiolo- gique et le dveloppement ornemental ?

    Peut-tre faut-il ds lors considrer que les ornements seraient en quelque sorte comme les hallucinognes pour les chamanes yagua: un adjuvant artificiel utile pour les premires annes, mais dont on finit par se passer lorsqu'on atteint un degr de matrise suffisant pour savoir s'en dispenser (Chaumeil 1983). Un chamane expriment peut avoir des visions sans prendre d'hallucinognes, de mme qu'un homme (ou un esprit) la barbe fournie peut exhiber la puissance de son visage sans recourir des atours extrieurs .

    L'quivalence entre poils et ornements

    De mme que les ornements des mariwin sont comparables des poils, symtriquement, la barbe et la moustache (les kwishakete, poils du tour de bouche) semblent recevoir une attention quivalente celle porte aux ornements artificiels . Les Matis considrent l'apparition des uns comme des autres de la mme manire : comme des marqueurs de statut. Quitte surprendre, on serait donc tent d'inclure les poils parmi les orne- ments piqus permanents, et d'invoquer l'tymologie commune kwia- shak et kwishakete pour attester de la pertinence de cette assimilation. Les poils semblent tre considrs comme le prolongement sinon l'intriorisa- tion des atours, l'assimilation parfaite des pines et il est frappant, cet gard, de constater que les kwiot (labrets) et les mananukit (jottereaux) sont situs exactement l o naissent, chez la plupart des hommes matis, les premiers poils. ^

    Le lien entre ornements et pilosit se dduit galement de la croyance 55 selon laquelle l'homme qui se rase ou s'pile risque de mourir cras par J*J un arbre. Les Matis attribuent en effet la chute des arbres en fort l'ac- o tion des maru, esprits des chablis, tres asociaux, destructeurs et prompts garer les gens en fort. Or, une des caractristiques principales de ces JS

    Cycle de vie chez les Matis

  • esprits est leur invisibilit, due justement leur refus des parures. Par asso- ciation d'ides, l'absence d'ornements voque immanquablement le maru. S'arracher les poils de la barbe, geste minemment asocial, quivalent un rejet de l'ornement, entrane donc une sanction svre dont l'excution est logiquement exerce par ces esprits. Derrire l'arbre qui abat celui qui aurait eu l'imprudence de s'piler, se profile certainement le maru, occup se mnager une nouvelle clairire en plus d'une nouvelle victime10.

    Les rites funraires matis fournissent une autre indication de la conver- gence symbolique entre le pelage et les atours. En effet, en cas de deuil, demushy kwiot, detashkete, etc., sont raccourcis tout comme les cheveux sont tondus. On trouvera enfin, de manire trs anecdotique il est vrai, une curieuse confirmation de ce parallle tonnant entre systme pileux (processus physiologique) et ornementation faciale dans les premiers crits concernant les anctres probables des Matis. Les Pano septentrionaux, plus connus sous le nom de Mayoruna , taient en effet appels bar- budos par les premiers chroniqueurs espagnols. Or, pour justifier cette appellation, les auteurs invoquaient tantt la pilosit remarquable de ces Indiens (Maroni 1889 : 422), tantt les innombrables aiguilles dont leur menton tait hriss (Mtraux in Steward 1948 : 553), tantt les deux, l'ornement tant prsent comme un substitut de barbe utilis seulement par les plus imberbes.

    En fin de compte, on peut donc considrer les ornements comme autant de shakete (poils, plumes) mtaphoriques. La barbe des esprits (kwiashak), la moustache des jaguars (demush), les plumes (shakete) de har- pie ou d'ara qui servent de mananukit lors de certains rites, les pines de palmier (musha), en somme tout ce qui pousse sur les lments naturels les plus valoriss, voil ce que sont les ornements matis. En assimilant ainsi les parures des plumes et surtout des poils, les Matis semblent entri- ner, par une mtaphore physiologique, la vracit des thories amazo- niennes concernant la formation annexe de la personne. Pour eux, les ornements sont donc aussi vrais que des poils et, d'ailleurs, quand ils ont fini de pousser et d'augmenter en nombre, ils peuvent continuer vieillir . Tel est le cas par exemple des kwiot masculins qui, faute de devenir plus volumineux, noircissent lorsque leur porteur atteint un cer- tain ge. On les appelle alors isan katso (comme les jottereaux), terme qui sert galement dsigner certains dards de sarbacane.

    10. Notons, dans le mme ordre d'ides, que ceux des enfants que l'on estime indignes d'tre orns en raison de leur dficience intellectuelle finissent gnralement par disparatre en fort. On dit alors qu'ils ont t enlevs par l'un de ces esprits maru auxquels on s'vertuait de les faire ressembler en refusant de leur confrer une ornementation adquate.

    Philippe Erikson

  • Valeur nergtique de l'ornement

    Dans un premier temps, on a choisi de s'en tenir aux ornements '43 piqus en raison de leur caractre permanent. On a galement constat l'amalgame entre cette indlbilit et le dveloppement naturel de la personne - les Matis se comportant comme si les ornements faciaux pous- saient comme des poils, surtout chez les hommes. Cependant l'ornemen- tation faciale fait plus qu'accompagner la croissance, l'accumulation du savoir, etc. Elle est plus qu'une simple srie de marqueurs de statut sym- boliquement associs au dveloppement organique. En ralit, pour les Matis, les ornements induisent la maturit tout autant qu'ils l'expriment. L'ornement est certes l'insigne et l'indice de la maturit, mais il en est sur- tout le vecteur. En perant une oreille ou une joue, on fait plus que souli- gner ou consacrer un dveloppement. On contribue l'instaurer.

    Si la notion d'acupuncture est tellement importante pour comprendre la signification des ornements, c'est non seulement parce qu elle produit des marques indlbiles et permet l'insertion de vibrisses sociales , mais plus gnralement parce que tout ce qui a trait au poinonnage est synonyme, chez les Pano, de transmission d'nergie. On sait en effet que dans l'ouest amazonien, le geste mme de piquer constitue un moyen privilgi de trans- frer de l'nergie. Par ailleurs, l'instrument de ce transfert, l'pine, y est en soi synonyme de puissance : qu'on songe par exemple au rle fondamental jou par l'accumulation de dards mystiques et autres minuscules projectiles dans la constitution du pouvoir chamanique. Or les ornements cumulent ces deux aspects : transmis au moyen d'pines, ils sont aussi, trivialement et/ou symboliquement, des musha, des pines, et partant, de l'nergie. La lexicographie pano en tmoigne, puisqu'au vocable matis mushay tatouages, correspond l'amahuaca muka (Tessmann 1930), terme minemment poly- smique dsignant, outre les tatouages, l'amertume, la douleur et, plus gn- ralement, tout ce qui allie les puissances vitales et ltales (le chamane est muka-ya, dtenteur de muka ).

    Que les ornements soient des musha est vident pour les tatouages (musha) et les demush, mais non moins vrai pour les autres atours. On a vu que pour reprsenter tout la fois les dents, la barbe, les mananukit, et les kwiot des marituin, les Matis transperaient le pourtour de la bouche de son masque avec de courts btonnets de couleur claire cercls d'une ^ mche de kapok : autant dire de flchettes (katso) armes de leur bourre. g Quant aux mananukit eux-mmes, s'ils sont en isan, c'est peut-tre (entre autres) parce que ce palmier sert aussi confectionner les dards noirs (isan ^ katso) destins aux mammifres terrestres. Le plus gros des ornements vo- Q querait ainsi, par sa couleur et le matriau dont il est fait, le plus gros des

    Cycle de vie chez les Matis

  • projectiles de sarbacane. Les boucles d'oreille, enfin, sont certes tenues par de la canne flche (encore un projectile... ), mais comme on y enfonce trs souvent une aiguille servant s'extirper les chardes du pied, on peut dire que mme cet ornement l est support de musha.

    Les atours peuvent donc tre considrs comme un ensemble d'pines matrialises. Mais sans doute l'nergie de l'pine compte-elle moins que celle de la piqre mme. En effet, piquer (tuskay), transpercer (sek), frapper (kwisek) constituent des actes tonifiants par excellence chez les Pano. Correctement applique, toute perforation est cense stimuler la croissance et la fertilit {a fortiori quand il s'agit d'une perforation ornementale). Piquer fortifie et dveloppe, comme le met en vidence la rationalisation invoque pour justifier l'limination - au moyen d'aiguilles, bien sr - des kystes pidermodes (appels perles d'Epstein ) sur les gencives des nour- rissons : on dit qu'il s'agit de favoriser la pousse des dents. Ayant dj abord ce thme de la valorisation des coups dans des travaux antrieurs (Erikson 1986), je me contenterai ici d'voquer l'exemple du kampo, injec- tion de venin de crapaud (Phyllomedusa bicolor) que s'appliquent les Indiens de la rgion (Piro, Pano, Kulina, Kanamari, Tikuna). Cet exemple est intressant car s'il confirme bien que la piqre est une transmission d'nergie, il nous renseigne galement sur la provenance de celle-ci.

    Le kampo est considr comme un remde, et les Matis l'utilisent pour soigner les maux de tte, d'estomac, etc. Il s'agit galement d'un rite de chasse et plus gnralement, d'un stimulant utilis pour fortifier celui qui le reoit. L'amertume (chimu, correspondant au terme muka des autres langues pano) est le principe actif du kampo, mais son efficacit dpend essentielle- ment du contexte d'application, ce qui revient dire que son pouvoir pro- vient pour une bonne part du donneur. Steven Romanoff (1984 : 239-241), propos des Matses, est trs explicite ce sujet : l'onde maternel ou tout autre an qui perce (c'est le terme employ) un cadet lui transmet ainsi un peu de sa propre nergie, le venin ne jouant gure qu'un rle instrumental.

    Plus gnralement, on peut dire que pour que la violence ait une vertu tonifiante, thrapeutique, fertilisante, etc., il faut qu'elle soit convenable- ment oriente : les adultes piquent les enfants, les hommes percent les femmes et, lors du sacrifice d'un pcari apprivois, les plus prestigieux des ans frappent les avant-bras de toute la communaut pour viter la mal- chance la chasse11. La violence a beau tre indispensable, elle n'en reste pas moins dangereuse et, utiliss mauvais escient, les coups sont au

    1 1 . Les fouets qu'ils utilisent alors sont, comme ceux dont se servent les mariwin, des tiges de palmier daratsintuk censes agir moins en vertu de leur caractre cinglant - incontestable au vu des marques qu'elles laissent sur la peau - qu'en vertu des innombrables (et minuscules) pines dont elles sont pour- vues. Cette multitude de piquants permet aux esprits (ou aux hommes gs) d'injecter, au sens le plus littral du terme, une partie de leur nergie (sho) aux rcipiendaires de leurs coups. Avant de les .../...

    Philippe Erikson

  • Fig. I &. 2 Visages fminin et masculin d'adultes matis pleinement orns (cl. P. Erikson)

  • Fig. 3 & 4 Les marques faciales des Matis voquent celles des aras, dont les plumes ornent les masques des mariwin (ci-contre) et parfois les visages masculins (ci-dessus) (cl. P. Erikson)

  • /';-=09 )(8* =-0/']

  • Fig. 5 & 6 Contraste entre l'allure d'une jeune fille et de sa grand-mre, toutes deux occupes filtrer la bire

    (cl. P. Erikson)

  • mieux inefficaces, au pire mortels. Ainsi, l'nergie de la piqre doit tre canalise, contrle : l'acupuncture est une dcoupe socialise du corps, mais qui doit imprativement tre matrise. Aussi, les Matis disent-ils avoir abandonn les tatouages cause de l'arrive des Blancs, certes, mais aussi en raison de la mort de tous les vieux qui savaient le faire. En leur absence, il semblait trop dangereux de poursuivre.

    En remodelant la face, il s'agit bien, pour reprendre l'expression de Terence Turner (1980), de donner chacun une social skin , de rendre visible le processus de socialisation. Mais chez les Matis, l'enjeu dpasse lar- gement les simples apparences. Les piqres agissent certes sur la partie visible de la personne, contribuant ainsi la former , mais elles agissent galement un niveau plus abstrait et essentiel. L'ornement pntre le corps au plus profond : les tatouages n'endolorissent pas la peau, ils font surtout mal aux dents me disait trs significativement un informateur, ritrant en somme le discours des femmes sur les perles d'Epstein. Plutt que de piqres, il vaudrait peut-tre mieux parler d'injections, car en ornant, on use certes de violence, mais surtout, on transmet quelque chose (d'o la funeste passion des Matis pour les antibiotiques injectables). Plus que de l'nergie abstraite , ce qu'on fait pntrer avec l'ornement c'est avant tout l'nergie de quelqu'un, point essentiel mis en vidence propos du kampoy sur lequel nous allons prsent nous pencher plus systmatiquement.

    Sociologie de l'ornementation

    Si chacun de leurs ornements contribue faonner l'tre social et indi- viduel des Matis, l'essentiel rside toutefois dans ce qui tourne autour de l'acte d'imposition - la manire et le moment - plutt que dans l'atour mme. Les ornements comptent bien plus en tant qu'indices d'une trans- mission d'nergie qu'en tant que petits morceaux de bois ou de coquille introduits dans diverses parties de la face ; et ils valent moins en tant que tels qu'en tant que trace d'une insertion dans la socit, car, plus que d'une chose possde, il s'agit d'une chose reue et l'origine sociale du donateur compte largement autant que le don lui mme.

    L'antithse de la socit est incarne par le maru solitaire et invisible dont on a vu qu'il se caractrisait par son absence d'ornementation. Cette transparence inquitante du maru s'oppose videmment l'opacit des Matis, dont chaque atour confirme le lien de parent auquel il correspond.

    utiliser, les mariwin enduisent parfois les baguettes d'un peu de leur sueur, matrialisation concrte de l'nergie qu'ils cherchent transmettre.

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    S hu Cycle de vie chez les Matis

  • Car si avoir des ornements est globalement synonyme d'avoir des parents, une analyse dtaille permet d'tablir une correspondance plus prcise entre catgories de parents et types d'ornements. L'exemple des colliers de daratsintuk (Astrocaryum murumura), le confirme : si Dani (alias Macho), unique reprsentante du troisime ge chez les Matis contemporains n'en portait plus la fin de sa vie, c'est parce que sa seule fille survivante tait encore trop jeune pour lui en faire. Sa belle-fille, avec qui elle cohabitait et s'entendait merveille, n'aurait jamais envisag de lui donner ceux qu'elle avait en excdent : bien qu'elle dplort la nudit de sa belle- mre, ce n'tait pas son rle d'y remdier.

    Chaque ornement reprsente un morceau du socius, et le message des ornements est clairement celui de la complmentarit. Devenir une per- sonne, un Matis, requiert l'intervention de membres de plusieurs catgories sociales aussi distinctes que prcises. Le tatouage, par exemple, indique l'al- liance, puisqu'il est du ressort exclusif des croiss : l'oncle maternel ou, plus rarement, le cousin crois. En ce sens, il s'oppose aux mananukity obligatoi- rement transmis par le pre ou, le cas chant, par le frre an (et eux seuls, sous peine de mort surnaturelle). On voit ainsi se profiler une division sociale du travail ornemental. Les ornements largissent la sphre des reproduc- teurs , concrtisant par un marquage physique l'insertion dans une parentle qui dborde largement du cadre de la seule famille biologique.

    C'est donc vritablement le rapport au monde qu'expriment les orne- ments matis, et on comprend ainsi que la sant sociale de chacun puisse se lire travers son ornementation. Les orphelins ont trs peu de colliers et se font percer plus tardivement. Les captifs peuvent n'avoir que des tatouages. Les survivants peuvent perdre des ornements conjointement leur famille : l'panouissement de la personne physique n'est pensable que dans son contexte social, comme le montrent a contrario les rares cas de perte ornementale dont nous ayons eu connaissance.

    En effet, en dpit d'un idal de prennit et d'amlioration constante de l'ornementation, on constate parfois une rgression paradoxale de celle-ci en cas de deuil extraordinaire. Gnralement, la mort de proches n'entrane qu'un simple raccourcissement temporaire des atours et des cheveux. Toutefois, une perte massive, faisant suite des pidmies par exemple, peut amener l'abandon dfinitif d'un atour. C'est ainsi que Dama, le der- nier Matis ayant eu quatre mananukit (ornement de la ligne paternelle) a renonc deux d'entre eux aprs la mort de tous ses frres au cours des annes 1970. La source nergtique tant trop tarie, rien ne semblait justifier le port de tant de mananukit. Reprsentation mtonymique des disparus, ces ornements devaient disparatre avec eux. Voil sans doute pourquoi les Matis ont si peu d'ornements alors que leurs anctres en

    Philippe Erikson

  • avaient normment, comme l'attestent la tradition orale et les chroniques anciennes. cet gard, la comparaison avec leurs voisins Matses est rvla- trice de l'volution parallle et asymtrique de ces deux fractions des Pano septentrionaux. Les Matses ont les cheveux, les demush et les kwiot dme- surment longs, leur allure montrant bien qu'il s'agit d'un peuple agressif et en pleine expansion dmographique. Chez les Matis, tout semble au contraire raccourci, mme en l'absence de deuil particulier.

    En somme, les ornements matis permettent de faire intervenir un maxi- mum de personnes dans le processus de fabrication d'un tre, de permettre toutes sortes de parents de participer ostensiblement la formation d'une personne. Ils sont prtextes une transmission d'nergie et concr- tisent le besoin logique de la complmentarit dans la fabrication nces- sairement composite des tres selon l'pistm pano12.

    L'avenir des ornements

    II existe en langue matis un verbe, matisek, que l'on peut traduire en premire approximation par modeler/augmenter le corps , ou contri- buer au dveloppement d'un individu . Le terme s'emploie essentielle- ment pour parler des traitements appliqus aux trs jeunes enfants afin de favoriser leur croissance (on dit aussi nami wek, litt. accrotre la chair ). Nul doute, cependant, que l'ensemble du processus d'ornemen- tation corporelle dcrit ci-dessus s'inscrive dans la mme logique. Matisek drive bien entendu de matis, personne , et c'est nettement dans cette perspective de construction de la personne que les Matis des gnrations passes envisageaient leurs pratiques d'ornementation corporelle. En 1985, lorsque la vieille Dani, doyenne des Matis, reprochait aux jeunes de n'tre pas encore tatous ou de ne pas encore porter de pendants d'oreille, elle invoquait toujours l'incongruit de leur allure l'gard de leur ge. Une dizaine d'annes plus tard, commentant la rsurgence des tatouages aprs une longue mise en veilleuse, le fils an de Dani, dc- de entre-temps, invoquait comme principale motivation la volont de se dmarquer des Nawa, des Blancs . Nawa pime, Matis nuki ( Nous ne sommes pas des Blancs, mais des Matis ), s' exclama- t-il mon inten- tion. Il s'agissait toujours, en se tatouant, de devenir Matis , mais en vertu de l'acception nologique du terme, dsormais accept comme eth-

    12. On trouve ce mme souci de diversification dans la provenance des matires premires constitutives des ornements. Les Matis insistent par exemple normment sur la diffrence entre les mollusques four- nissant les paut et les detashkete, qui viennent respectivement des lacs et de la terre ferme. De mme y a- t-il complmentarit entre les divers palmiers (isan et want) utiliss pour les autres ornements, comme si le perfectionnement de la personne ncessitait l'incorporation d'nergies puises dans divers biotopes. Montagner Melatti (1985) utilise, cet gard, la belle formule de bricolage ontologique .

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    Cycle de vie chez les Matis

  • nonyme13. La revendication d'une identit collective prenait le pas sur la volont de marquer la maturation individuelle.

    Le contact rgulier instaur avec la socit dominante brsilienne par- tir du milieu des annes 1970 a considrablement boulevers le rapport des Matis leurs ornements. Les pratiques sont certes loin d'tre tombes en dsutude, puisque pas moins de quarante-cinq jeunes - soit environ un sixime de la population totale -, ont encore t tatous au dbut de l'an- ne 200214. Cependant, l'importance mme du nombre de jeunes concer- ns par la crmonie indique l'vidence qu'on avait beaucoup tard avant de la raliser. Cela s'explique entre autre parce que d'assez vifs dbats oppo- sent depuis une vingtaine d'annes les partisans de cette tradition ceux qui prnent son abolition15. Certains adolescents se montrent dsormais rticents tre orns et tatous, ou refusent de porter tel ou tel lment de parure qu'ils jugent incommode ou inesthtique. Se faire tatouer est donc loin d'aller de soi. Paradoxalement, il faut aujourd'hui exercer une certaine pression pour que les jeunes acceptent de se laisser faire, alors qu'il fallait anciennement rfrner leur ardeur lorsqu'ils sollicitaient le privilge de se faire tatouer avant qu'on ne les en estime dignes16. Pour le plus grand dsar- roi de leurs ans, beaucoup d'adolescent(e)s prfrent mme adopter une allure calque sur celle de leurs voisins marubo : cheveux longs, vtements manufacturs, maquillage criard, perles de plastique...

    Par ailleurs, l'on constate que les ornements s'enlvent aujourd'hui beau- coup plus facilement, en particulier l'occasion de sjours en ville au cours desquels on prfre viter les regards trop insistants, voire dsapprobateurs, des Blancs. Autrefois, les atours n'taient dlaisss que pour de trs brves priodes et dans des contextes fortement ritualiss, qui impliquaient comme on sait une transformation ontologique perue comme potentiel- lement lourde de consquences. Aujourd'hui, la gestion des apparences dcoule de considrations nettement plus prosaques, qu'il s'agisse d'enle-

    13. Il faut cependant prciser que certains des jeunes Matis prfreraient, en guise d'ethnonyme, voir le terme deshan mikitbo, gens de l'amont , se substituer celui de Matis, auquel ils reprochent son carac- tre trop peu distinctif. 14. Hilton Kiko Silva do Nascimento, communication personnelle. 15. Les crmonies de tatouage prcdentes avaient eu lieu en 1987 (aprs une douzaine d'annes d'in- terruption conscutive au contact avec les Blancs), puis en 1995. L'un des hommes les plus influents chez les Matis est dcd (d'une piqre de serpent) peu aprs la seconde crmonie. Certains pensent mme qu'il serait mort cause d'un tatouage qu'il aurait alors rat. La priode de deuil exceptionnellement longue qui s'ensuivit a sans doute contribu rallonger encore l'intervalle entre la crmonie de 1995 et celle de 2002. Relevons galement que l'une comme l'autre se sont droules dans des villages relative- ment neufs, ce qui n'est sans doute pas l'effet du hasard (cf. Erikson 1996 : 182). 16. Comme toi jadis on l'a fait, fais-le moi prsent... (mibi paren shebondash, eobi akta, nebi) est une formule que les jeunes doivent adresser ceux qui se chargeront de les tatouer, comme pour mieux souligner qu'il ne s'agit pas d'une preuve initiatique qui leur est inflige, mais bel et bien d'un service qu'ils demandent expressment qu'on leur rende.

    Philippe Erikson

  • ver ses parures pour aller en ville ou, au contraire, de les remettre de retour au village, dans l'espoir d'obtenir de l'argent de la part des quipes de tour- nage des tlvisions du monde entier. cet gard, il est intressant de noter que ceux des Matis qui se sont le plus investis dans les relations extrieures avec le monde des Blancs ont commenc, dans les annes 1980, par prner l'abandon des ornements (pour mieux s'intgrer ), mais sont aujourd'hui les plus farouches zlateurs du maintien de ce qu'ils ont rcemment appris appeler la cultura . Sans doute ce revirement est-il pour beaucoup dans la rsurgence rcente des tatouages, favorise par ce paradoxal rapproche- ment entre ceux qui prconisent le maintien des ornements pour leur valeur propre et ceux qui y semblent plutt attachs pour l'image exotique qu'ils peuvent monnayer.

    Cette tonnante conjonction de facteurs intrinsques et extrinsques, de motivations tantt mystiques , tantt matrialistes , tantt pas- sistes tantt au contraire tournes vers l'avenir, offre ainsi un sursis aux ornements matis. Force est cependant de reconnatre qu'ils sont sur la sel- lette depuis bientt un quart de sicle, et qu'ils sont plus aujourd'hui un objet de controverses que de consensus. une poque o l'apparence est de plus en plus tributaire des inclinaisons et des fantaisies individuelles, l'allure de chacun ne rflchit plus aussi clairement qu'avant son ge et son statut social, ou du moins ne les rflchit plus de manire aussi mca- nique. Les distorsions induites par les pratiques ornementales dissi- dentes d'une fraction non ngligeable de la jeunesse constituent sans aucun doute le principal facteur d'rosion smantique auquel les orne- ments matis sont dsormais soumis. Ils n'en demeurent pas moins, fidles ce qu'ils ont toujours t, le mode privilgi de gestion du rapport l'al- trit, qu'elle s'incarne dans les mariwin et les gnrations passes, ou dans ceux qui voient des diables-hrissons ou des hommes-jaguars l o n'exis- tent pourtant que des Matis, des gens .

    MOTS CLS/KEYWORDS : Amazonie/ Amazonia - Amrindiens/ Amerindians - ornements corpo- rels/ body ornaments - cycle de Viel life cycle - cosmologie/ cosmology.

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    Cycle de vie chez les Mats

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    RSUM/ABSTRACT

    Philippe Erikson, "Comme toi jadis on l'a fait, fais-le moi prsent. .." Cycle de vie et ornemen- tation corporelle chez les Matis (Amazonas, Brsil). - Les Matis peroivent leurs ornements cor- porels comme de vritables constituants de la personne, voire des parties du corps compa- rables des poils. Indices, mais aussi vecteurs de maturit, ils sont censs confrer de l'ner- gie leurs porteurs et sont transmis de manire graduelle, par petits -coups, tout au long de l'existence. Outre ce rle essentiel dans le modelage des destines individuelles, les orne- ments matis servent redfinir les contours des groupes sociaux, en largissant la base ethno-physiologique sur laquelle reposent les prenteles et en assurant la continuit avec les gnrations passes. Ils jouent un rle emi- nent dans la politique trangre, aidant grer les relations avec les populations voisines, tant occidentales qu'amrindiennes. Enfin, ils refl- tent de manire complexe la cosmologie et l'ontologie locales, en tant que supports de dis- cours sur l'au-del et l'univers des esprits.

    Philippe Erikson, From Physiology to Cosmology : The Life Cycle and Body Ornaments among the Matis (Amazonas, Brazil). - The Matis (Amazonas, Brazil) consider their body orna- ments to be actual constituents of the person, or even body parts like hair. As evidence and vectors of maturity, such ornaments suppo- sedly give energy to those who wear them and are transmitted gradually, little by little, throughout life. Besides this essential func- tion in shaping individual destinies, these ornaments are used to redefine social group boundaries by broadening the ethno-phys- iological foundations of kin groups and ensuring the continuity with past genera- tions. They have a leading role in foreign policy by helping to manage relations with neighboring populations, whether Western or Native American. As the basis of talk about the beyond and the world of spirits, they reflect, in a complex way, the local cos- mology and ontology.

    Article Contentsp. [129]p. 130p. 131p. 132p. 133p. 134p. 135p. 136p. 137p. 138p. 139p. 140p. 141p. 142p. 143p. 144[unnumbered][unnumbered][unnumbered][unnumbered]p. 145p. 146p. 147p. 148p. 149p. 150p. 151p. 152

    Issue Table of ContentsL'Homme, No. 167/168, PASSAGES L'GE D'HOMME (juillet/dcembre 2003), pp. 1-408, I-XIXFront MatterPRSENTATIONL'ocan des ges [pp. 7-23]

    TUDES ET ESSAISLes politiques de l'ge [pp. 25-48]Enfance, ge et dveloppement chez les Wolof du Sngal [pp. 49-65]Aux files des ges Classes d'ge et gnrations dans cinq rgions dogon (Mali) [pp. 67-104]ges de la vie et accomplissement individuel chez les Gouro (Nord) de Cte-d'lvoire [pp. 105-127]"Comme toi jadis on l'a fait, fais-le moi prsent..." Cycle de vie et ornementation corporelle chez les Matis (Amazonas, Brsil) [pp. 129-152]Seul ou tous ensemble ? Dynamique des classes d'ge dans les cits de l'le de Ngazidja, Comores [pp. 153-186]Cisungu nouveau Initiation des femmes et structure sociale dans le Nord de la Zambie [pp. 187-207]Arrangements gnrationnels Le cas inattendu des Gusii (Kenya) [pp. 209-234]Dynamiques gnrationnelles et expansion des Oromo en Ethiopie au XVIe sicle [pp. 235-251]

    NOTES ET DOCUMENTSLes classards de la valle d'Abondance (Haute-Savoie) [pp. 253-269]

    PROPOSUn paradigme africain [pp. 271-284]L'thique des dclasss [pp. 285-295]Le structuralisme et ses transformations. Des Mythologiques aux logiques du rite [pp. 297-306]La nouvelle philanthropie capitaliste [pp. 307-313]

    DBATRponse Claude Lvi-Strauss [pp. 315-318]

    COMPTES RENDUSDE L'GE D'HOMME ET DE FEMMEReview: untitled [pp. 319-320]Review: untitled [pp. 320-322]Review: untitled [pp. 322-325]Review: untitled [pp. 325-326]Review: untitled [pp. 326-329]Review: untitled [pp. 329-329]Review: untitled [pp. 330-331]Review: untitled [pp. 332-333]Review: untitled [pp. 334-337]Review: untitled [pp. 337-339]Review: untitled [pp. 339-341]Review: untitled [pp. 342-344]

    HISTOIRE ET PISTMOLOGIEReview: untitled [pp. 345-347]Review: untitled [pp. 347-350]Review: untitled [pp. 350-352]Review: untitled [pp. 352-355]Review: untitled [pp. 355-357]

    AFRIQUEReview: untitled [pp. 359-361]Review: untitled [pp. 362-364]

    AMRIQUESReview: untitled [pp. 365-367]Review: untitled [pp. 368-370]Review: untitled [pp. 370-371]

    ASIEReview: untitled [pp. 373-378]Review: untitled [pp. 378-380]Review: untitled [pp. 380-382]Review: untitled [pp. 383-387]

    EUROPEReview: untitled [pp. 389-390]Review: untitled [pp. 391-395]

    ANTIQUITReview: untitled [pp. 397-399]

    LIVRES REUS [pp. 401-405]Back Matter