du lien familial au lien social

83
L’Espace Parent-Enfant : DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL Journée d’études Espace Parent-Enfant 26 novembre 2009 à Issy-les-Moulineaux À l’occasion du 20 e anniversaire de la ratification de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant et du 10 e anniversaire de l’Espace Parent-Enfant Avec le soutien de :

Upload: foniadakis-constantin

Post on 30-Mar-2016

236 views

Category:

Documents


1 download

DESCRIPTION

Contre rendu de la journée d'étude effectué à l'espace parent enfant d'Issy-les-Moulineaux

TRANSCRIPT

Page 1: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

L’Espace Parent-Enfant :

DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Journée d’études Espace Parent-Enfant26 novembre 2009 à Issy-les-Moulineaux

À l’occasion du 20e anniversaire de la ratificationde la Convention Internationale des Droits de l’Enfant

et du 10e anniversaire de l’Espace Parent-Enfant

Avec le soutien de :

Page 2: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Portraits de famille d ’ I s s y - l e s - M o u l i n e a u x

Qui sont les familles aujourd’hui ?

Voyageons un peu dans le temps : il y a encore 60 ans, lorsque l’on parlaitde la famille, venait l’image du père (chef de famille et responsable légaldes enfants), de la mère (au foyer et en charge de l’intendance de la mai-son et de l’éducation des enfants), et des enfants.

Au fur et à mesure du temps et des évènements mondiaux, la société achangé, donnant aux femmes l’accès au travail et à l’autonomie, permet-tant l’accès à la culture et aux savoirs à tous les enfants, filles et garçons. Leuréducation, dès le plus jeune âge, sort de la sphère familiale et devient l’af-faire du collectif (accueil en crèches, en accueil de loisirs, …). La responsabi-lité parentale est partagée de façon égale entre le père et la mère.

Tout doucement, la famille évolue. Le temps de la maternité et de la pater-nité est choisi, les familles se constituent en dehors du strict lien du mariage,dans des structurations nouvelles (monoparentales, recomposées, adop-tantes …).

L’Espace Parent-Enfant, qui rencontre et accompagne au quotidien les famil-les isséennes, a souhaité faire un arrêt sur images sur ce que ces dernièreslivrent et déposent sur leurs histoires, leur vie, et les a donc invitées à par-ticiper à cette odyssée familiale.

L’association isséenne de photographes amateurs, Zoom92130, s’est asso-ciée à cette pause en images et a ainsi rencontré des familles intéresséespour se raconter en photos.

2

Page 3: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

S o m m a i r eP ré a m b u l epar André SANTINI, Ancien Ministre, Député des Hauts-de-Seine,Maire d’Issy-les-Moulineaux, et Thierry LEFEVRE, Maire-Adjoint délé-gué à la Jeunesse, à l’Animation et à la Prévention

O u v e r t u repar Bruno JARRY, Directeur de l’Espace Parent-Enfant

C o n f é rence : Le dialogue familial : un idéal pré c a i re ?par Gérard NEYRAND, sociologue, professeur à l’Université deToulouse, membre de l’équipe d’accueil Sports, Organisations,Indentités (SOI), directeur du Centre Interdisciplinaire Méditerranéend’Études et de Recherches en Sciences sociales

L’ e n t retien : à la re n c o n t re de l’autre dansl ’ é p rouvé familialLe lieu d’accueil et d’écoute : retravailler le filage du lien à l’autredans le creuset familial, par Annie CARO, psychologue clinicienne,thérapeute familiale à l’Espace Parent-Enfant

De la médiation à la médiation familiale... dulien à l’autre dans le processus de séparationDe la médiation à la médiation familiale, par Véronique ROUSSEAU,conseillère conjugale et familiale, intervenante d’action sociale àl’Espace Parent-Enfant Du lien à l’autre dans le processus de séparation, par ClotildeROBERT, médiatrice familiale à l’Espace Parent-Enfant

L’espace groupal : du dialogue familial à lare n c o n t re du socialLe groupe de parole entre parents : fonctions socialisante et d’inté-r i o r i s a t i o n, par Christel DENOLLE, psychologue clinicien, psychana-lyste à l’Espace Parent-Enfant, et Gérard DELLUC, psychologue clini-cien, psychanalyste à l’Espace Parent-EnfantAu vendredi des pères, un espace collectif pour élaborer ?, par GérardLUROL, psychopédagogue, psychanalyste, philosophe de l’éducationà l’Espace Parent-Enfant

3

5

6

1 1

2 2

2 3

3 4

3 5

4 0

4 6

4 7

6 0

Page 4: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

A m é l i o rer la qualité de la relation avec nos enfants, une conditionpour le dialogue familial ?, par Véronique ANDRES, formatrice encommunication à l’Espace Parent-Enfant

C o n f é rence : Adolescences et pare n t a l i t épar Philippe JEAMMET, professeur de psychiatrie de l’enfant et del’adolescent, psychanalyste, ancien chef du service de psychiatrie del’adolescent et du jeune adulte à l’Institut Mutualiste Montsouris,président de l’EPE Paris-Île de France, membre du conseil scientifiquede l’EPE Issy-les-Moulineaux

I n t e r v e n a n t s

B i b l i o g r a p h i e

4

6 9

7 3

7 7

7 9

Page 5: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

P r é a m b u l eL’Espace Parent-Enfant d’Issy-les-Moulineaux a souhaité, en novembre der-nier, témoigner et rendre compte de sa posture et de sa pratique dans lesoutien parental à l’occasion de son dixième anniversaire en organisant uncolloque intitulé « Du lien familial au lien social » à destination de l’ensem-ble des acteurs des Hauts-de-Seine. Il nous a semblé opportun et pertinentde restituer aux participants les interventions des conférenciers et des mem-bres de l’équipe.

Cette structure associative propose une « première réponse » innovantedans le soutien des parents à partir d’approches rigoureuses et multiples enveillant à les accompagner, dans un esprit convivial, avec exigence et sansculpabilité. Nous concevons cette structure comme une véritable prise encompte de l’Autre. De notre point de vue, elle participe de la fraternité, cetélément indissociable de notre triptyque républicain : Egalité, Liberté,Fraternité.

Le lien social se nourrit du lien familial comme le lien familial se nourrit éga-lement du lien social. Le dialogue et l’échange favorisent le mieux vivreensemble, en famille comme dans la Cité. Le travail sur la parentalité nepourrait se réduire, voire être subordonné, à des approches strictement édu-catives, sociales, culturelles, psychologiques, préventives et sécuritaires. Illes transcende pour inviter les professionnels à rénover leurs pratiques etainsi à co-construire avec les parents les réponses aux préoccupations quiles concernent.

Issy-les-Moulineaux a choisi de suivre le chemin modeste mais ambitieux del’écoute, du dialogue et de la solidarité. Notre démarche autour de la paren-talité est, aujourd’hui, non seulement menée avec l’ensemble des équipe-ments municipaux : la Médiathèque, la Ludothèque, l’Espace Jeunes, lesMaisons de Quartier, mais également développée dans les crèches, les éco-les et les centres de loisirs.

Ainsi, l’Espace Parent-Enfant contribue fortement à impulser, animer etcoordonner des réponses en direction des familles. L’équipe propose, pourleur résolution, d’articuler une écoute « contenante » et une présence dequalité, ouvertes sur une promesse du possible et d’un advenir plus harmo-nieux.

Bonne lecture !

5

Thierry LEFEVREMaire-Adjoint délégué à la Jeunesse,à l’Animation et à la Prévention

André SANTINIAncien Ministre

Député des Hauts-de-SeineMaire d’Issy-les-Moulineaux

Page 6: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

O u v e r t u r eBruno Jarry

J’ai le plaisir de vous accueillir pour ce dixième anniversaire de l’EspaceParent-Enfant d’Issy-les-Moulineaux à l’Espace Icare. Je vous remercie devotre présence pour cet événement qui marque une nouvelle étape de notrestructure. Je me propose en quelques mots de vous situer les enjeux de notrecolloque « Du lien familial au lien social » après avoir rappelé en préam-bule les missions et objectifs de notre Espace Parent-Enfant.

P résentation de l’Espace Pare n t - E n f a n t

L’Espace Parent-Enfant s’est créé dans la continuité d’un diagnostic territo-rial élaboré, je le rappelle, avec Véronique Rousseau, alors coordinatrice duConseil Communal de Prévention de la Délinquance, et Annie Caro, psycho-logue clinicienne. Ce diagnostic relatait les préoccupations rencontrées parles parents et les initiatives que nous pourrions concevoir avec les différentspartenaires rencontrés (Directeurs des écoles maternelles et élémentaires,Principaux de Collèges, Proviseurs de Lycée, Circonscription de la Vie Sociale,Protection maternelle Infantile, Aide sociale à l’Enfance, Centre MédicoPsychologique, Hôpital de jour, le Centre Chimène, les Maisons de Quartiers,l’Espace Jeunes, les centres de Loisirs, la Médiathèque, la Ludothèque, lesassociations locales dont notamment l’ASTI et l’Espace Icare, mais égale-ment les structures départementales comme la CAF des Hauts-de-Seine etnationales comme la Fédération Nationale des Ecoles de Parents etd’Educateurs).

Rappelons-nous très brièvement le contexte de l’époque : • la mise en œuvre des réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement

des parents (REAPP), • la volonté de partir de la compétence des parents pour les aider,• l’invitation des parents à prendre toute leur place dans la sphère publi-

que, • les corrélations souvent supposées entre la délinquance des mineurs

e t l e s carences des familles dans l’éducation de leurs enfants.

Nous avons très rapidement imaginé des initiatives dans les interstices de laclinique, du social, du culturel, du droit et de l’éducatif. Notre travail d’ac-compagnement des parents ne résulterait pas de notre point de vue d’unedidactique de la parentalité, ne reposerait pas sur des normes sociales, cul-turelles ou familiales, sur des représentations « i m a g i n a i r e s », « i d é a l e s »ou « f a n t a s m é e s » des familles. Il se développerait au contraire à partir desréalités concrètes des parents dans l’ici-maintenant de leur éprouvé.

6

Page 7: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

L’Espace Parent-Enfant se définit comme un dispositif articulé en trois pôles :• les instances de supervision éthique et financière avec la mise en œuvre

d’un Conseil Scientifique1 composé de personnalités représentatives desapproches disciplinaires et d’un Comité de pilotage : la CAF des Hauts-de-Seine, la Préfecture des Hauts-de-Seine, le pôle Solidarité du ConseilGénéral des Hauts-de-Seine

• les instances de travail en partenariat et en réseau avec la labellisation denotre structure par la Fédération Nationale des Ecoles des Parents et desEducateurs, l’adhésion à la Fédération Internationale pour l’Educationdes Parents. Je souligne la mise en œuvre de groupes d’appui rassem-blant des professionnels de notre commune et permettant de co-construire des réponses adaptés aux besoins, attentes et demandes desfamilles. Ces groupes d’appui nous ont permis d’organiser des colloquesà l’instar de celui d’aujourd’hui. Pour mémoire : « Regard sur la parenta-l i t é » en 2000, « Lieux d’écoute et médiation familiale » en 2004, «Lorsque l’enfant paraît… à l’aube de la parentalité » en 2005.

• les actions de l’Espace Parent-Enfant s’adressent principalement auxparents et proposent un lieu d’accueil et d’écoute, des services de conseilconjugal et de médiation familiale, des groupes de paroles et des ate-liers, un Café de l’éducation et des expositions sur les familles, des confé-rences-débats et des animations culturelles. Retenons aussi nos interven-tions dans les écoles, les collèges et lycées, mais également dans le libreservice social auprès des publics rencontrant des difficultés d’insertionsociale et professionnelle avec le Centre Communal d’Action Sociale.

Ces actions présentées aujourd’hui ont été mises en œuvre progressivementdans une logique de petit pas et avec le soutien constant, exigeant et pré-cieux de nos différents partenaires et de notre Conseil Scientifique. Ces différentes initiatives s’enracinent et s’inscrivent dans le respect de qua-tre principes fondateurs de notre action :• la confidentialité : respecter la stricte confidentialité des propos échan-

gés en invitant les participants à la discrétion, principe de sécurité onto -l o g i q u e ;

• la co-éducation : promouvoir le dialogue, les échanges invitant les parentsà imaginer, concevoir des réponses à leurs préoccupations, principe del ’ a l t é r i t é ;

• la pluri-réferentialité : la proposition de corpus théoriques, philosophie,psychologies, sociologies, psychanalyse ; principe de pluridisciplinarité ;

• la complémentarité : orientation sur d’autres partenaires du champ dusocial, médical, culturel, sportif, éducatif, principe de l’intermédiation.

7

1 Le Conseil scientifique de l’Espace Parent-Enfant d’Issy-les-Moulineaux est composé d e :Jean-Pierre Chartier, psychologue clinicien, Pierre Coret, pédopsychiatre, AnneDufourmantelle, pilosophe, psychanalyste, Caroline Eliacheff, pédopsychiatre, psychana-lyste, Daniel Gayet, sociologue, Philippe Jeammet, psychiatre, psychanalyste, Serge Tisseron,psychiatre, psychanalyste.

Page 8: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Enfin, l’Espace Parent-Enfant participe depuis sa création aux réflexions etopérations organisées dans le cadre du Contrat Local de Sécurité et duComité Local de Prévention et de Médiation comme en témoigne actuelle-ment la conception du nouveau guide « Etre Parent Aujourd’hui ». Nous avons souhaité inscrire cette journée dans le cadre de la Quinzaineisséenne des Droits de l’Enfant organisée sous le haut parrainage de l’UNICEFet de la Défenseure des Enfants. Celui-ci ne manquera pas de renforcer etd’optimiser le soutien à la parentalité sur notre Cité dans une dynamiqued’ouverture et de respect de la singularité des situations parentales.

Le colloque « Du lien familial au lien social »

Depuis son ouverture, l’Espace Parent-Enfant se questionne, réfléchit, éla-bore de manière continue et réactualisée à partir de ses théories de réfé-rence, de ses pratiques professionnelles et des situations rencontrées avecles parents.

Il nous est apparu nécessaire de mettre en question, en tension, le travaileffectué en précisant les contours, périmètres et incidences de ces actionsdans les versants de l’intrapsychique, de l’intersubjectivité, de la groupalitéet du social.

Aussi, quelles sont les finalités de l’accompagnement des parents ? Commentles parents peuvent-ils devenir, ou si besoin, redevenir des acteurs-sujetsface aux comportements de leurs enfants. En quoi, l’Espace Parent-Enfantconstitue-t-il un espace de déconfusionnement dans les relations intrafa-miliales ? Est-il ou peut-il être un espace tiers facilitateur de socialisation ?Un espace de distanciation par rapport aux normes sociales porteuses denormalisations réductrices ? Le lien familial est-il préalable au lien social ?Dans quelle mesure, le lien familial contribue-t-il au lien social ?

Autant de problématiques que les intervenants de cette journée vont s’ap-pliquer à travailler avec leurs spécificités, leurs modèles théoriques, leurscultures professionnelles et d’appartenance mais également avec leurs dou-tes, incertitudes et interrogations, propices aux échanges et aux débats.

Pour ma part, je tenais à esquisser deux premières considérations sur l’en-semble de ces questionnements concernant le schéma éducatif et le travailen réseau de l’Espace Parent-Enfant.

P re m i è re considération : le paradigme éducatif

Notre dispositif d’accompagnement des familles repose, me semble-t-il, surun paradigme éducatif dont la matrice est largement empruntée à PhilippeMeirieu ; cette figure est articulée autour de trois pôles :

8

Page 9: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

9

• un pôle axiologique : les valeurs de liberté, de responsabilité, de paix, et d’humanismeconstituent les fondements de notre action. C’est notre attention, nous pourrions mêmedire notre centration à l’Autre, à Autrui. Comme le souligne avec force Emmanuel LEVI-NAS : « Le visage, c’est l’identité même de l’être. Le visage qui me regarde m’affirme.Reconnaître autrui, c’est croire en lui ». Cette dimension assure une chorégraphie, unearticulation harmonieuse entre le politique et l’éthique. De la démocratie peut émer-ger l’altérité, la réciprocité et la fraternité.

• un pôle méthode : il s’agit de prendre en compte l’apparaître de la situation parentaleou familiale pour ajuster une possible réponse dans l’être-là de la situation éprouvée.Il est proposé dans les actions de notre structure, un espace transférentiel individuel,familial, groupal où les fragilités et vulnérabilités peuvent apparaître sans crainte eten toute sécurité. Ainsi, les parents peuvent faire preuve d’expérimentation et d’inno-vation leur permettant de se créer sans risquer de se perdre. La phénoménologie consti-tue une approche précieuse dans la rencontre entre la personne en situation sensibleet l’écoute contenante, soutenante des autres parents et/ou des professionnels.

• un pôle théorique : nous ancrons nos interventions à partir des sciences humaines etdes sciences sociales : psychologies, sociologies, philosophies et pédagogies. La diver-sité des modèles favorise la compréhension des phénomènes observés dans les situa-tions familiales et assure ainsi une lecture plurielle respectueuse de la singularité desdisciplines mais riche de leur entrecroisement. L’épistémologie de la complexité pro-pose des clés de compréhension des situations rencontrées sans pour cela les épuiser.

Seconde considération : le travail en ré s e a u

Le quotidien du travail avec les parents, notamment les plus vulnérables et les plus fragi-les, démontre la nécessité de substituer aux logiques d’interventions juxtaposées des dif-férents partenaires une logique d’interventions plus coordonnées. Seul l’accueil du parentdans son ici-maintenant peut l’amener à rencontrer d’autres professionnels pour mieuxconstruire et consolider sa fonction parentale. Pour ce faire, il est indispensable de pouvoir définir plus précisément les effets d’un accueilpar l’Espace Parent-Enfant et de redonner toute leur place aux interventions éducatives,sociales et thérapeutiques. Le parent peut ainsi s’appuyer sur une personne identifiéepour construire avec l’intéressé des réponses singulières correspondant à ses attentes,besoins et possibilités. Nous avons pu expérimenter tout l’intérêt des logiques croisées demutualisation entre différentes institutions, par exemple l’articulation entre l’accueil d’unparent à l’Espace Parent-Enfant et de l’enfant au Centre Médico-psychologique…

Cette logique de travail en réseau vise à repositionner le sujet-parent au cœur de l’actionpublique en transformant un paysage morcelé et traversé par des dispositifs séquencés,en des espaces de création et d’expérimentation afin de redonner légitimité aux parentsgrâce à des approches plus concertées. Les défaillances parentales signent des situationsoù les parents ne savent ou ne peuvent plus reprendre la main dans le cadre de l’éduca-tion de leurs jeunes. Ils attendent de rencontrer des partenaires susceptibles de les accom-pagner, de les soutenir et si besoin de les remobiliser dans une parentalité en mouvement

Page 10: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

d’ouverture et promesse du possible. Il me semble que cela est notre défi etque chacun peut contribuer de sa place et de toute sa place.

1 0

Page 11: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

C o n f é r e n c e

Le dialogue familial, un idéal précaire ?

I n t e r v e n a n t : Gérard NEYRANDM o d é r a t e u r : Daniel GAYET

1 1

Journal d’un psychanalyste de Serge Tisseron© Calmann-Lévy, 2003

Page 12: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

I n t ro d u c t i o n

Je suis très heureux d’intervenir au cours de la journée anniversaire del’Espace Parent-Enfant d’Issy-les-Moulineaux, et ce pour plusieurs raisons.D’abord, parce que j’ai déjà eu l’occasion d’intervenir ici, et que j’ai pu appré-cier la qualité de l’organisation et de l’accueil qui est dispensé à tous. C’esttoujours un plaisir d’intervenir à nouveau dans un tel contexte. Ensuite, parce que les organisateurs me font la gentillesse de réaliser un peude publicité pour mon dernier ouvrage, en me demandant d’intervenir surle même thème que le titre qu’il porte : « Le dialogue familial, un idéal pré-caire ? ». Seule différence, ils ont rajouté un point d’interrogation à la fin,ce qui est la marque de leur optimisme, alors que moi, en mettant un pointà la fin de « idéal précaire », je faisais plutôt le constat de la difficulté à main-tenir cet idéal…Je vais donc aujourd’hui avoir le plaisir de reprendre quelques passages dece travail, en essayant de vous rendre l’exposé le plus agréable possible, sansqu’il ne soit trop compliqué. Ceci dit, l’exercice est difficile, car si cet idéal dedialogue dans la famille se révèle si précaire c’est bien du fait de la grandecomplexité du donné familial aujourd’hui, et de la multiplicité des contra-dictions et des paradoxes qui le traverse.

Ce travail part d’un constat, qu’il est bon de rappeler : notre époque est por-teuse d’un idéal relationnel qui s’est progressivement affirmé dans tous lesmilieux sociaux, bien qu’avec des bonheurs différents, celui d’une commu-nication généralisée entre tous les membres de la famille, en deux mots : ledialogue familial. Cet idéal ne vient pas de nulle part, il est le produit d’une transformationde la forme et du sens des rapports familiaux, qui s’est réalisée d’une façonrelativement lente depuis le XVIIIè m e siècle, mais a connu dans les momentshistoriques de crise et de reconfiguration sociale des étapes où se sont cris-tallisées les évolutions sous-jacentes en cours. En France, la Révolution de1789 est sans doute le premier temps fort de cette évolution. Au travers desvaleurs affirmées alors par la République, elle est fondatrice de nouveauxpositionnements à l’intérieur de la famille, même si demeure l’emprise dupater familias sur celle-ci. Après une longue période de retournements his-toriques, qui ont mis en évidence l’avance sur leur temps de bien des idéesrévolutionnaires et qui ont vu se succéder empires et monarchie restaurée,la Troisième République vient inaugurer le basculement dans un ordre répu-blicain dorénavant stable. Elle promeut alors un ensemble de réformes socia-les qui vont avoir un impact déterminant sur les fonctionnements familiaux :l’obligation et la gratuité de l’enseignement primaire, l’ouverture de l’en-seignement secondaire aux jeunes filles (lois Jules Ferry de 1880-1881), laréintroduction du divorce en 1884 (bien que sous la seule forme du divorcepour faute), la séparation des Églises et de l’État en 1905... Tout un ensem-ble de mesures qui vont dans le sens d’une affirmation du droit des indivi-dus et de l’accession progressive à la « société des individus » (Elias, 1991).

1 2

Page 13: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

S’y traduisent l’émancipation des femmes de l’ordre patriarcal (Thébaud,1992), mais aussi celle des enfants (Renaut, 2002), et enfin celle des hom-mes eux-mêmes (Castelain-Meunier, 2002).Cette évolution se réalise en interaction avec ce que certains ont appelé la« révolution du sentiment » (Shorter, 1977), et son expression la plus mani-feste la reconfiguration des rapports de couple. On est passés en moins d’unsiècle, de la fin du XIXè m e à la fin du XXè m e siècle, du modèle du couple chaî-non entre deux lignages à celui qui organise le rapport entre deux indivi-dualités autonomisées : le « couple duo » (selon l’expression d’Irène Théry,2000). Pour organiser ce passage entre deux modalités aussi éloignées quele couple soumis à la logique des intérêts et investissements familiaux etcelui qui ne dépend plus que de lui-même, un autre modèle a trouvé sapériode de gloire du premier au deuxième tiers du XXè m e siècle : le couplefusionnel (ou couple unité organique selon Irène Théry). Or, ce qui a per-mis la réorganisation des relations internes au couple fut l’introduction ausein de l’échange conjugal de la mise en paroles de cet échange, avec l’im-portance nouvelle prise par la conversation entre époux.

Dans ce modèle, la conversation alimente la constitution du couple en uneunité indissoluble de deux parties complémentaires et fusionnelles où cha-cune se doit d’être, selon l’expression bien connue, la « moitié » de l’autre.Le couple en devient une affaire plus interpersonnelle que familiale. C’estalors l’époque où la famille se nucléarise, et où règne sans partage le modèlefamilial dit traditionnel, celui de la femme au foyer, s’occupant de son inté-rieur et de ses enfants, alors que son mari veille à subvenir aux besoins de lafamille, à gérer le rapport à l’espace public et à exercer une autorité decontrôle à distance sur l’éducation des enfants (Parsons, Bales, 1955). Avecla conversation conjugale, il ne s’agit pas encore véritablement de dialo-gue. Celui-ci suppose pour fonctionner une égalité de positions qui, la plu-part du temps, n’existe pas. C’est le mouvement porteur de l’émancipationdes femmes et des enfants qui assurera la promotion du dialogue commevaleur absolue dans le fonctionnement non seulement conjugal mais fami-lial (Céroux, 2006).

Ce mouvement social tout le monde le connaît, il s’est cristallisé autour desannées 1968-1970 pour mettre en actes la difficile sortie d’un ordre patriar-cal qui n’était plus en phase avec la nouvelle société qui se mettait en place,et inaugurait ainsi l’entrée dans la deuxième phase de la modernité. Cettenouvelle société participait alors de la massification non seulement de laconsommation, mais aussi de l’enseignement, venant parachever l’affirma-tion de l’individu, de son autonomie, son libre-arbitre, son plaisir et l’expres-sion de ses potentialités. Convergent en cette période, exemplairementpour les couches moyennes, tous les éléments qui vont promouvoir le dia-logue comme instrument privilégié et nécessaire pour la régulation des rela-tions familiales, et plus globalement privées : l’entrée dans une société deprofusion ouverte par le développement sans précédent des trente glorieu-

1 3

Page 14: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

ses (1945-1975), la libération des contraintes d’une sexualité non maîtriséeavec les techniques modernes de contraception (Mossuz-Lavau, 1991), lamise en discussion des normes relationnelles conjugales (Bruckner,Finkielkraut, 1977) et éducatives (Dolto, 1985) portée par l’accession descouches moyennes aux études supérieures, le développement de moyensde communication de masse, qui vont mettre en discours et propager lesnouvelles valeurs.Conséquence, l’avènement d’un nouvel individualisme généralisé, où estmis en avant un objectif général de réalisation de soi applicable à tous lesacteurs du jeu social : hommes, femmes, enfants. Le couple et la familleconstituent des espaces privilégiés pour l’affirmation de ce paradoxe de l’in-dividualisme relationnel, où à travers la prégnance de l’affectif doit s’affir-mer l’individualité. Le couple et la parentalité sont bien devenus les deuxespaces premiers de mise en œuvre de ce paradoxe, où il s’agit de se réali-ser soi-même, voire de se révéler (De Singly, 1996), par le biais du supportde l’investissement amoureux au conjoint et aux enfants. L’enfant y prendune importance centrale. Il convient alors de l’accueillir au mieux dans unefamille qui se limite à deux enfants – en même temps que les femmes inves-tissent pleinement l’espace professionnel.

Le nouveau modèle démocratique de la famille

Certes, le dialogue conjugal se révèle la condition nécessaire à tous les autresdialogues au sein de la famille, mais une deuxième condition est tout aussinécessaire : la reconnaissance d’une égalité des positions subjectives des dif-férents membres de la famille, constitués ainsi en partenaires au sein d’unefamille assimilée à une « démocratie ». Ainsi, pour qu’advienne un vérita-ble dialogue parents-enfant, nécessité se fait jour de considérer l’enfantcomme un sujet, acteur familial à part entière, par delà sa place génération-nelle qui le positionne comme objet de l’autorité parentale. Ce n’est quedans la deuxième moitié du XXè m e siècle que les conditions sociales d’unetelle promotion de l’enfant ont été réunies, jusqu’à aboutir à ce que cer-tains appeleront le règne de « l’enfant-roi » (« sa majesté, le bébé » disaitdéjà Freud). A la sortie de l’enfance, plus que toute autre dimension, ce quise constitue en enjeu pour la famille et peut la bouleverser est bien l’irrup-tion de l’enfant dans l’adolescence. La nouvelle place prise par cet obscurobjet de tourment que représente la sexualité adolescente se trouve enlarge part exclue du dialogue familial, tant le sexuel constitutif de la familley est positionné comme un tabou fondateur.

Dans un ordre familial où le sexuel est nécessairement euphémisé, la vio-lence de la métamorphose adolescente vient produire de multiples remousdans la famille, jusqu’à parfois aboutir à des crises de la communicationintrafamiliale. Pourtant, de toutes les crises du dialogue, celle là est loind’être la plus fondamentale et la plus irrémédiable. L’ordre des relations

1 4

Page 15: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

parents-enfant est suffisamment institué et suffisamment incorporé pourque les crises ne débouchent pas souvent sur des ruptures. Ce n’est plus lecas désormais pour cet autre dialogue, fondateur du familial moderne, ledialogue conjugal. En effet, dans le couple l’absence ou la difficile instau-ration de ce dispositif de paroles nécessaire à la mise en commun des repré-sentations et à la confrontation des points de vue a aujourd'hui toutes leschances d’aboutir au conflit, et à la remise en cause du cadre relationnelconjugal. Car, à la différence du rapport parental, le rapport conjugal estlargement désinstitué. Si la conjugalité se désinstitue c’est que la loi a perdule pouvoir d’imposition que soutenait le cadre formel du mariage-contrainte: désormais on peut divorcer par simple consentement mutuel, on peut aussidécider de vivre ensemble sans jamais se marier… Le mariage n’est plus l’ins-titution rigide d’autrefois.

La nouvelle norme qui redéfinit le cadre désormais considéré comme légi-time de la pratique sexuelle, c’est celle du consentement des partenaires àl’union. « Notre société a progressivement remplacé le régime statutairedes normes sexuelles par un régime procédural : c’est le consentement àl’acte qui est désormais le critère majeur de partition entre le permis et l’in-t e r d i t . » (Théry, 2066, 35) Mais en même temps ce consentement porte enlui le renouvellement des problèmes que l’émancipation voulait dépasser.Comme le rappelle Théry à propos de la dimension d’incertitude et de trou-ble en jeu dans l’érotisme, qui est loin d’être réglée par l’injonction auconsentement : « Comment édicter du droit avec cela, sans tomber sur l’èredu soupçon permanent ? » Ce sur quoi surenchérit Geneviève Fraisse, qui,à l’issue de son interrogation sur la norme contemporaine du consente-ment, conclut : « si le consentement est un indice, un indice de la vérité dusujet, sans doute une référence pour l’agir, il n’est certainement pas un prin-cipe politique. » (2007, 135) Le consentement est ainsi constitué en condi-tion nécessaire à l’échange, mais il faut pour cela qu’il soit clairement éta-bli. Comme le montre notre recherche récente sur les mariages forcés(Neyrand et alii., 2008), pour être efficient il nécessite d’être « libre eté c l a i r é ». Or, ce sont des critères externes à l’expression du consentementqui permettent d’établir ces caractères, c’est-à-dire une logique de laconscience de soi qui passe par l’explicitation, la parole, le dialogue… A i n s i ,ce dont nous parle aujourd’hui la problématique conjugale c’est du primatdu sentiment et de son échange, de la prépondérance prise par l’amour (etl’expression de soi) comme principe de constitution et de maintien du cou-ple à travers le dialogue amoureux.

Du conjoint aux enfants, l’espace de la concur-rence amoure u s eHistoriquement, cette survalorisation de la relation affective dans l’espaceprivilégié du couple fut le fruit d’un long processus, avec comme premièremanifestation discursive forte un archétype de l’amour romantique : celui

1 5

Page 16: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

du prince charmant. L’analyse du courrier du cœur de la revue Elle que Jean-Claude Kaufmann réalise montre bien à quel point la référence à la passionamoureuse s’affirme de plus en plus comme justification et principe de légi-timité du rapport de couple, particulièrement pour les femmes. Elle vientconfirmer ce que montrent les analyses de « la première fois » réalisées parDidier Le Gall et Charlotte Le Van (2007), où le scénario idéal exige une rela-tion amoureuse réciproque pour que l’acte s’accomplisse dans la plus par-faite harmonie. Tant et si bien que si la passion s’estompe ou disparaît lecouple a toutes les chances d’être remis en question. Le dialogue conjugalcomme ciment du couple s’avère alors absolument nécessaire à sa perpé-tuation, et, si celui-ci vient à manquer, la crise conjugale reste difficile à sur-monter. Autre conséquence centrale de cette évolution : la montée desséparations conjugales, et par voie de conséquence des situations monopa-rentales et des recompositions familiales. Ce qui est loin d’être sans effet surle rapport à l’enfant…

La mère

En effet, depuis la (ré)introduction du divorce par consentement mutuel en1975, la montée des situations monoparentales a permis de mettre en évi-dence les effets d’un phénomène qui s’était développé en parallèle à celuide l’affirmation progressive de l’amour romantique, et d’une certaine façonl’a concurrencé : la valorisation de l’amour maternel, et la prégnance pro-gressive prise par la mère dans la relation à l’enfant à l’intérieur de la familleet dans la société. Cet exhaussement du lien mère-enfant (Robin, 2007) avaittrouvé son héraut dans Jean-Jacques Rousseau (1762) et son support chezles médecins et philanthropes du XIXè m e siècle (Knibiehler, Fouquet, 1977),jusqu’à son plein épanouissement au début du XXè m e siècle. La mère est alorsconsidérée comme la spécialiste du soin et de l’éducation des enfants. Etcette assignation sociale se trouve suffisamment incorporée par les hom-mes et les femmes pour apparaître naturelle. Dès lors, élément constitutifdes mentalités, elle sera très difficile à remettre en question. Si bien qu’avecla croissance des séparations conjugales, s’affirme une monoparentalisa-tion essentiellement maternelle du vécu de plus en plus d’enfants.

Le fait que les enfants se retrouvent à près de 90 % gardés par leur mère n’apas posé vraiment question, même si depuis les années 70 un double mou-vement social aurait pu augurer du contraire : la valorisation de l’enfance(dont Françoise Dolto fut le porte-parole en France) et la requalificationéducative du père (Neyrand, 2000a). Ce mouvement a contribué à reposi-tionner la relation triangulaire caractéristique de la famille nucléaire occi-dentale dans un sens à la fois plus égalitaire et pédocentré, mais n’a guèreentamé l’idée de la prépondérance éducative maternelle, étayée sur un« dialogue tonique » mère-enfant initial (Ajuriaguerra, 1962).

1 6

Page 17: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

L’ e n f a n t

De fait, si l’évolution s’est manifestée par une plus grande proximitépère/bébé, c’est sans doute la centralité nouvelle accordée à l’enfant qui enconstitue le noyau, à tel point que l’on peut aller jusqu’à désigneraujourd'hui, selon la formule de Marcelli (2003), L’enfant chef de la famille.Que celui-ci fasse aujourd’hui famille, illustre à quel point le couple s’estdésinstitutionnalisé (Roussel, 1989) avec la montée des divorces et des unionslibres, permettant à la mise en discours de l’enfance (Neyrand, 2005a) deplacer l’enfant en charge d’instituer la famille. Il a gagné dans ce processusle statut d’interlocuteur à part entière, en même temps qu’étaient fragili-sés ses liens à ses géniteurs (exemplairement son père) et affirmés ses droits.La Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 vient symboli-ser cette nouvelle place ambiguë dans le discours social, à la fois égale enhumanité à celle de ses parents et dépendante de ceux-ci, ouvrant ainsi l’au-torité parentale à la nécessité d’un dialogue explicatif.

Mais avec les difficultés conjugales inhérentes à l’idéalisation du partenaire,l’enfant risque de se voir promu au rang de partenaire substitutif par rap-port au décevant conjoint. Combien de familles aujourd’hui où la centra-lité de l’enfant s’est établie au détriment de la conjugalité, et son noyau ladimension sexuelle ? Les cliniciens témoignent de ce risque, débouchantparfois sur des séparations précoces, et valorisent alors le maintien d’uneintimité amoureuse comme garant d’un équilibre familial préservé. La redéfinition de la place de l’enfant au sein des familles contemporainesparticipe ainsi d’un processus complexe, où la possible survalorisation deson statut peut contribuer à la remise en cause du couple parental, ou toutle moins à une difficulté pour les parents à tenir leur place généalogique,autrement dit à assumer l’autorité parentale qui découle de cet investisse-ment de leur place… parfois difficile à mettre en œuvre (des parents copainsaux parents culturellement délégitimés).

La redéfinition des rapports hommes-femmes

Si certains se réfèrent au biologique comme à un donné, tout naturellementappelé à définir une place d’homme ou de femme, qui serait déterminéepar la présence de tel ou tel organe et les fonctions sexuelles et procréatri-ces qui en découlent ; d’autres, au contraire, n’acceptent plus d’être assi-gnés à des rôles, qui découleraient de cette différence anatomique dontl’importance à été considérablement relativisée, que ce soit sous l’effet dela technicisation de la société ou de la raréfaction des grossesses. Ce quiamène à ne plus considérer comme allant de soi l’ordre des différences, etoblige à repenser l’enracinement des places sociales (les genres) dans unsubstrat biologique (la nature) relativisé, bien qu’incontournable. Pourautant, les choses ne sont pas égales par ailleurs, car les prises de position

1 7

Page 18: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

sur cette épineuse question ne sont pas sans lien avec la stratification sociale.Les représentants de certains milieux (les couches moyennes cultivées) oud’un sexe (les femmes) se trouvent plus facilement du côté de la critique del’ordre « naturel » - ordre dès lors historicisé - et dans la revendication d’unerenégociation des places qui nécessite plus que jamais le recours au dialo-gue. Mais ce dialogue, qu’il se situe au niveau socio-politique ou au niveauinterindividuel, ne s’effectue pas sans difficultés, si on en croit la violencedes mouvements sociaux ou la fréquence des séparations conjugales… Lesoppositions entre milieux se marquent à la fois sur le registre des modèlesfamiliaux de référence (plus traditionnel et asymétrique pour les couchespopulaires et la haute bourgeoisie, plus novateur et égalitariste pour lescouches moyennes), sur celui des rapports entre les sexes (machisme etmaternalisme, versus égalitarisme et coparentalité), et sur celui des rapportsentre les générations (dans le clivage ou la continuité). Chacun de ces modes de gestion de l’ordre familial n’est, de surcroît, ni défi-nitif, ni constant, l’individu hypermoderne étant de plus en plus somméd’élaborer son positionnement relationnel au regard des situations évolu-tives dans lesquelles il se trouve plongé (Goffman, 1973) et des difficultésqu’il peut rencontrer à mettre en phase sa position avec celles de ses pro-ches. Il se tourne alors dans sa recherche de solutions vers les pratiques socia-les de soutien (Bastard et alii, 1996), plus ou moins renouvelées, que lui offrela société civile et ses réponses, associatives et institutionnelles.

G é rer le paradoxe modern e : conseil conjugal,médiation familiale, travail social, REAAP…L’affirmation du paradoxe individualiste privé, celui d’avoir à se réaliser soi-même à travers les relations privilégiées au cercle restreint de ses proches,n’a pu s’effectuer qu’avec la mise en place parallèle de procédures d’accom-pagnement et de soutien aux individus déstabilisés, toujours susceptiblesde ne pas trouver dans le dialogue familial les ressources suffisantes à leurrégulation relationnelle. Se sont ainsi multipliées les formules de conseil, desoutien, de suivi des couples en crise ou des familles désunies. De nouveaux dispositifs de soutien et de nouvelles catégories profession-nelles ont vu le jour, voués au traitement des difficultés conjugales, que cetraitement vise à la résolution des conflits par le soin ou la thérapie (Dupré-Latour, 2005), ou par une meilleure gestion des séparations (Bastard, 2002).La figure du tiers médiateur va progressivement devenir l’emblême de cettevolonté sociale de permettre au couple de renouer le dialogue (Lefeuvre,2008), pour y trouver l’occasion de s’y resourcer, ou, de plus en plus fréquem-ment, pour y trouver la possibilité du maintien du double lien parental auxenfants. Se développe alors la deuxième vague des dispositifs sociaux d’aide,qui, par delà les conjoints, visent d’abord le soutien à la parentalité (Sellenet,2007), et notamment à la parentalité post-séparation, sans conteste la plusfréquemment menacée.

1 8

Page 19: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

L’aboutissement de ce transfert des préoccupations sociales d’un conjugal,qu’il s’agit de moins en moins de sauver à tout prix, vers un parental devenule lieu de tous les dangers, se traduit non seulement par le recentrage dudiscours juridique sur la préservation du lien parental (la problématique dela coparentalité), mais aussi par l’apparition à la fin des années 90 d’unemise en réseau institutionnalisée des procédures de soutien à la parentalité(Ribes, 2003), révélatrice de la constitution sociale d’un véritable dispositifde parentalité (Neyrand, 2007).

Dans ce nouvel ordonnancement de la sphère privée, le parental est ainsidevenu pour les institutions et la société civile ce qu’il s’agit de défendre etde préserver, abandonnant aux individus adultes le soin de réguler eux-mêmes leurs relations et leur laissant la responsabilité de leurs dysfonction-nements. Ainsi, lorsque parfois cette régulation interindividuelle n’est paseffectuée par les adultes concernés, comme le montrent aussi bien les vio-lences conjugales qu’un certain nombre de situations monoparentales pré-caires, voire de mariages non consentis ou bien de désaffiliations familialesdramatiques, c’est presque toujours au regard de l’attention accordée àl’enfant que le traitement social de ces situations se met en place.

L’utilisation de la médiation familiale le montre de façon exemplaire(Dahan, 1997 ; Sassier, 2001 ; Ganancia, 2007), elle qui est essentiellementconsidérée comme un moyen de gestion du rapport aux enfants et commetentative d’assurer une coparentalité menacée… Il est vrai que de tous lesacteurs, c’est sans doute l’enfant qui se trouve le plus directement concernépar cette évolution. En effet, c'est l’enfant qui peut être susceptible d’êtreconçu par le biais de procédures médicales faisant parfois appel à la parti-cipation d’un tiers fournisseur de gamètes, ou qui peut voir s’adjoindre àses autruis les plus significatifs un, voire deux, beau-parent(s) et la(es)lignée(s) familiale(s) afférente(s) (Le Gall, 1994 ; Blöss, 1996 ; Cadolle, 2000; Martial, 2003g), ou, plus généralement, être élevé par des parents qui nesont pas ses géniteurs, et parfois partagent la même appartenance sexuelle(Dubreuil, 1998 ; Gross, 2005 ; Gratton, 2008).Nécessité se fait alors d’autant plus sentir que soient parlées toutes ces situa-tions nouvelles, l’instauration d’un dialogue sur le sujet dans la famille per-mettant aux acteurs, et en premier lieu aux enfants, de produire du sens.Aujourd'hui, le dialogue familial se trouve constitué, encore plus qu’il nel’était hier, comme le moyen privilégié pour que se construisent - ou sereconstruisent - au mieux les identités composites d’un ordre familial renou-v e l é .

C o n c l u s i o n : de la légéreté de l’idéal au poids dela ré a l i t éLe dialogue familial constitue à la fois un idéal et un principe de régulation,c'est-à-dire qu’au sein du cercle familial il représente un modèle relation-

1 9

Page 20: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

2 0

nel vers lequel tendent nos contemporains et une façon de se comporter. Cet idéal estdésormais profondément enraciné tant il participe de la diffusion dans la sphère privéedes valeurs qui sont constitutives de notre système social républicain et démocratique,aussi bien que de la logique d’individualisation de la sphère marchande. Mais prôner l’éga-lité entre les sexes et entre les générations à l’intérieur de la famille, en même temps quela liberté d’action et l’autonomie des individus, ne va pas sans générer quelques contra-dictions du fait des différences de situation entre homme et femme, parents et enfants.Pour un tel modèle relationnel, le dialogue est une nécessité structurelle dont certains nemaîtrisent pas les clés, tant celui-ci demande une acculturation à son principe mêmed’échange verbal interpersonnel et dépend de ressources culturelles inégalement répar-ties selon les milieux et les origines. Les dispositions au dialogue ne sont donc pas les mêmespour tous, et s’y retrouvent peu à l’aise les personnes précarisées, celles dont l’origine cul-turelle reste encore marquée par une tradition patriarcale ou celles dont la socialisationfamiliale et scolaire les a peu portées à une utilisation active du langage. Ce qui servira,dans certains discours sociaux et politiques, à alimenter leur stigmatisation.

Pour autant, il ne suffit pas de disposer de ressources adéquates à une utilisation activedu dialogue pour que celui-ci constitue un principe de régulation suffisant à régler tousles problèmes relationnels dans la famille, et peut-être avant tout dans le couple. Lorsqueles dynamiques individuelles ne sont plus en phase, il devient parfois très difficile de main-tenir en vie un couple qui voit se désunir les trajectoires de ses membres, s’orienter diffé-remment l’épouse et son conjoint, le concubin et la concubine, ou bien les deux pacsés… A l’heure où - suivant la logique de démocratisation du Privé - le droit s’est désengagé dela gestion et du contrôle de la vie privée des adultes, le devenir de la relation et ses consé-quences pourrait ne concerner que les individus engagés dans celle-ci, mais la présencefréquente d’enfants vient faire éclater au grand jour les conséquences de la divergencedes positionnements conjugaux et mettre en évidence en quoi le dialogue entre parte-naires constitue encore un idéal souvent inaccessible.

Ce à quoi le conseil conjugal, la médiation et la thérapie familiales (Lemaire et al. 2007)essaient - imparfaitement - de répondre, en proposant des solutions, là encore diverse-ment investies, et sans doute par ceux qui sont le plus imprégnés de cet idéal précaire. Laquestion de la différence de positionnement des places parentales du père et de la mèreen devient alors centrale, et la difficulté de sa régulation vient rappeler qu’aujourd’hui sil’égalité entre les sexes est socialement affirmée, les façons de la mettre en œuvre (ou derefuser de le faire) sont loin de faire consensus. Les implications de l’articulation de l’éga-lité, de la différence et de la liberté restent loin d’être véritablement maîtrisées, entraî-nant - par delà les difficultés des couples - des affrontements entre des représentants dedifférentes façons de concevoir cette articulation, voire de la refuser…

Face à cela, les dysfonctionnements du dialogue qui concernent les relations parents-enfants apparaissent beaucoup moins préoccupants, peut-être parce que, pour les plusgraves d’entre eux aboutissant à des ruptures, ils sont beaucoup moins fréquents. Il estclair que le dialogue générationnel voit se modifier sa logique avec l’entrée de l’enfantdans l’adolescence, et la prise d’autonomie que celle-ci suppose, notamment au regardde la sexualité et sa mise en pratique. Pour autant, lorsqu’il fonctionne, il n’est générale-

Page 21: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

ment pas remis en question, se recentrant sur la gestion de la vie quotidienneet les grandes orientations de la vie des adolescents.

2 1

Page 22: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

L’entretien : à la rencontre de l’autredans l’éprouvé familial

2 2

Page 23: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Le lieu d’accueil et d’écoute : re t r a v a i l l e rle filage du lien à l’autre dans le cre u s e tfamilial I n t e r v e n a n t e : Annie CARO,M o d é r a t r i c e : Christine LEPRINCE

Au Lieu d’Accueil et d’Ecoute sont proposés des entretiens individuels oufamiliaux par des psychologues. Les parents prennent rendez-vous parcequ’ils se questionnent, sont inquiets, sont en conflit, en souffrance par rap-port à leur(s) enfant(s), leur vie familiale ou leurs relations parentales.Dans les différentes configurations d’entretiens, l’abord des questions aprincipalement lieu d’un point de vue familial : dans quel contexte, dansquelle histoire familiale un symptôme, une difficulté s’installent. C’est pourcette raison que j’ai choisi d’aborder cet aspect du travail avec les familles :« Le filage du lien à l’autre dans le creuset familial » .Pourquoi filage ? Les métaphores concernant le travail du fil sont souventutilisées : le filage, le tissage, le tricotage, le maillage, la tapisserie.

Ici, je m’en réfère à la constitution des liens premiers ou du moins à ce quel’on peut imaginer comme base de formation de ces liens. Formation desliens au début de la vie d’un individu, mais aussi modèle de base qui per-dure tout au long de la vie. Le filage est l’opération de transformation d’unematière telle que du coton, de la laine, pour en faire un fil ; fil qui va ensuiteêtre associé à d’autres fils, croisé, tissé, jusqu’à former une étoffe, une toile,un tapis. On trouve dans certains mythes, dans certaines histoires ou tradi-tions comment les événements se racontent par un tissage, une tapisseriequi deviennent des mises en images de moments de vie.

Le travail sur le lien est d’un autre ordre que celui sur la communication, ilest en rapport avec un processus de structuration, de maturation. Prenonsl’expression couramment entendue : « il (ou elle) a pété les plombs ». Cetteexpression prise au premier degré c’est : l’installation électrique n’a pas tenupar rapport à l’intensité électrique sollicitée. Pour la personne dont il estquestion c’est un moment où elle n’arrive plus à se relier à elle même et àson environnement, « elle craque » . Le lien est de l’ordre de l’installationélectrique, la communication c’est le courant qui passe ou ne passe pas.

Pour les métaphores, par goût, j’en reviendrais plutôt au filage qui peutaussi transmettre la sensibilité entre les doigts, la finesse, les nuances, le tra-vail dans la continuité et la cohérence de toute cette formation du lien àl ’ a u t r e .

2 3

Page 24: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Le filage dans le creuset familial :La famille est le premier contenant où se forme progressivement le lien àl’autre. J’expliciterai la notion de contenance, la mise en dialogue de cellede la famille avec celle qui se travaille au sein des entretiens familiaux. Dans les entretiens familiaux la contenance est une expression du cadre quise crée, s’expérimente, s’utilise en donnant une occasion de filer ou repren-dre la nature du lien à l’autre.

Sous quelle forme ferons-nous cette approche ? Ce moment de rencontreest un atelier. Nous pouvons entendre par là une mise au travail d’uneréflexion. Je vous propose de vous transmettre certains axes de pensée, uneexpérience mais aussi d’utiliser ce moment de rencontre pour expérimen-ter une situation de groupe où il y a mise en mouvement de vos proprespensées, associations d’idées et au bout du processus, en restant modeste,émergence d’une créativité ; c’est à dire que chacun, à sa mesure, aura unnouvel éclairage , éventuellement de nouvelles idées dans des domainespersonnels d’expériences (professionnels ou affectifs).

Le filage des liens et la contenance

Les premiers liens

Pour avoir une représentation des façons dont se constituent les liens dèsles premiers temps après la naissance, je m’appuierai ici, sur les travaux dupédopsychiatre Daniel Stern, clinicien et chercheur, qui se situent au carre-four de sa pratique thérapeutique, de ses connaissances théoriques et desrésultats d’observation de nourrissons. Parmi les différents modèles théoriques concernant les premiers liens, celui-ci me semble adapté à notre angle d’approche.D. Stern (4) nous dit que, très précocement, « les nourrissons entreprennentactivement la tâche de relier diverses expériences. Leurs aptitudes socialessont particulièrement orientées vers la réalisation d’interactions sociales.Celles-ci sont à l’origine d’affects, de perceptions, d’événements sensori-moteurs, de souvenirs et d’autres processus cognitifs. ». Un peu plus avantnous trouvons : « La période qui va de 2 à 6 mois environ est peut-être lapériode la plus exclusivement sociale de la vie. Dès 2 à 3 mois, le sourire socialest en place, les vocalisations qui s’adressent aux autres sont apparues, leregard mutuel est recherché avec plus d’avidité, les préférences pré-struc-turées pour la voix et le visage humains sont pleinement agissantes. » Lorsque D. Stern parle d’interactions sociales pour un tout jeune bébé, ilévoque cet élan vers l’autre, vers l’autre humain que très tôt le petit enfantmanifeste et dans cet intérêt pour la rencontre on peut percevoir les ger-mes du lien social.Le bébé est aussi très sensible à la cohérence des réponses de l’environne-ment. S’il y a des incohérences ou un trop grand décalage entre l’élan oul’attente du bébé et la réponse de la personne proche il a été mis en évi-

2 4

Page 25: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

dence que très tôt, il développe des mécanismes de défense. D’emblée s’ins-talle un jeu d’interactions entre le bébé et son environnement proche. Uneforme perceptible du jeu est, par exemple, à partir du neuvième mois envi-ron ce que D. Stern appelle l’accordage affectif, cette sorte de mise en échoréciproque entre un bébé et une personne proche, de gestes, de mouve-ments, de sons, d’attitudes. L’accordage, c’est, du point de vue du bébé, l’ex-périmentation que l’autre a accès à une partie de ce qu’il ressent ou signi-fie, et réciproquement. Cela appartient donc aux fondements des relationsi n t e r s u b j e c t i v e s .

Dans ces interactions, nous pouvons imaginer comment des séquences sejouent. Un geste, une attitude du bébé vont être ressentis, interprétés parla mère (ou une personne proche) peut-être au plus près de ce qu’a été l’in-tention du bébé mais peut être aussi, et sans doute de toute façon, en fonc-tion des multiples expériences qu’elle a eu, elle, dans sa vie, dans les rela-tions avec ses propres parents, des frères et sœurs, le père du bébé …

Par exemple, la mère d’un petit garçon de 3 ans 1/2 prend rendez-vous pourparler des situations conflictuelles avec son fils et lorsque je l’invite à reve-nir sur les tout premiers temps autour de la naissance elle me dit : « q u a n dil est né, dès qu’il m’a vu il s’est mis à pleurer, son père l’a pris il n’a plus riend i t ». Par ailleurs, cette dame a pu évoquer les relations conflictuelles avecsa propre mère, celle-ci étant toujours très critique par rapport à elle. Sesparents s’étaient séparés lorsqu’elle était très jeune et elle n’avait revu sonpère qu’à la pré-adolescence. Elle ne se sentait pas soutenue par son com-pagnon, le père de l’enfant. La grossesse et l’accouchement avaient été trèsmédicalisés et la façon dont elle en parlait m’évoquait un combat, combatqu’elle a mené essentiellement seule. Et c’était comme si ce combat conti-n u a i t .Elle décrivait un rapport de force entre son fils et elle : elle disait être obli-gée de le « contraindre par la force » pour qu’il fasse certaines choses et ellene voulait pas de ces situations qui lui rappelaient celles de sa propreenfance. Ces quelques fragments de vie évoqués permettent d’imaginer uncontexte dans lequel cette dame a interprété les pleurs de son bébé : « d è squ’il m’a vu il s’est mis à pleurer » .

Nous pouvons nous représenter comment dans la suite de tous les momentsvécus, de tous les temps d’interaction, les liens se façonnent progressive-ment. Nous pouvons également entrevoir la complexité de l’entrecroise-ment des liens caractérisant l’environnement d’un enfant, un tissage fabri-qué au fil de l’histoire individuelle de ses parents et des relations avec lesgénérations précédentes. Moment de vertige lorsqu’on envisage cette com-plexité comme à la lecture de J.Cl. Ameisen (1), médecin, chercheur, lorsqu’ildécrit dans La sculpture du vivant : « Ainsi est sculpté notre cerveau, forméd‘une centaine de milliards de neurones spécialisés, chacun câblé, directe-ment et indirectement à près d’une dizaine de milliers d’autres neurones

2 5

Page 26: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

en moyenne, réalisant un réseau inextricable de près d’un million de mil-liards de connexions, où circule, s’interrompt, bifurque l’information ner-veuse et où s’incarnent en nous les toutes premières représentations denotre corps à mesure qu’il se construit » . Si je fais cette incursion dans le domaine de la biologie c’est d’une partcomme métaphore, d’autre part pour imaginer les correspondances entreles divers modes d’approches de l’humain et enfin, dans un processus d’ana-logie, pour concevoir les multiples combinaisons possibles et ainsi éviter lesvisions simplistes des relations de cause à effet.

La complexité du réseau décrit par J.Cl. Ameisen participe à la formationd’un individu, et le tissage complexe que j’évoquais forme un milieu de vie,un environnement et une enveloppe psychique à l’intérieur de laquelle unenfant grandit, se construit, établit des liens. Avec cette notion d’enveloppepsychique nous arrivons au concept de contenance familiale.

La contenance familiale

La contenance est une capacité à soutenir, entourer, accompagner l’indi-vidu dans son processus de vie en adéquation avec les étapes de sa matura-tion physique et psychique. Nous trouvons chez des auteurs qui se sont inté-ressés aux premiers temps des relations d’un enfant avec sa mère et son envi-ronnement proche, les bases de cette notion de contenance. J’en citerai icijuste quelques unes. D.W. Winnicott (5) a mis en valeur les concepts de hol-ding (la façon dont l’enfant est porté), de handling (la façon dont il esttraité, manipulé, c’est à dire les gestes, le toucher, les mouvements).W.R.Bion (2) a introduit la notion de capacité de rêverie maternelle qui a lafonction d’adapter, de transformer, de donner du sens à des ressentis et desperceptions intérieures ou extérieures du bébé afin qu’elles soient intégra-bles par lui (ce qu’il a appelé la fonction alpha). D.W. Winnicott parlant, lui,pour les tout premiers temps après la naissance, de l’identification mater-nelle primaire au bébé et ensuite de la façon de présenter les objets ; la mèreayant un rôle d’interface entre le bébé et l’environnement extérieur ; tou-tes ces fonctions ayant pour effet d’assurer une sécurité de base et un étatde confiance.

C’est un berceau à la fois physique et psychique où l’enfant peut se déve-lopper, ouvrir un espace transitionnel de créativité c’est à dire un espaceintermédiaire entre son monde intérieur et le monde extérieur pour y faireémerger ce qui petit à petit constituera son expression de vie. Ce qui vientd’être dit concernant l’entourage du tout petit enfant peut se transposerpour les années suivantes : le berceau devient le creuset ou le contenantfamilial. Les caractéristiques de la contenance familiale vont être en rap-port avec la façon de soutenir, accompagner, donner des repères et des limi-tes mais aussi d’entrer en relation par l’écoute, la parole, les attitudes.L’ouverture, le partage d’un espace transitionnel devient un terrain pour

2 6

Page 27: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

le déploiement des relations intersubjectives et des processus de subjecti-vation. La conceptualisation, le langage, la symbolisation prennent formesdans le jeu d’interactions entre l’enfant et son environnement.L’ enveloppe psychique familiale peut avoir des zones de fragilité, des trousen relation avec l’histoire individuelle et la transmission entre générations,elle peut avoir des accrocs en lien avec des accidents de la vie, maladies, chô-mage, deuils… A certains moments, dans certaines circonstances, desparents se sentent dépassés, ils n’arrivent plus à faire face aux situations quise présentent avec leurs enfants et dans la famille. Lorsqu’ils s’adressent àl’Espace Parent-Enfant, même si c’est un symptôme concernant l’enfant quiest présenté, les références au contexte familial font d’emblée partie de latoile de fond. Cette toile de fond est faite du tissage des liens et est en cor-respondance avec l’enveloppe psychique.

Les entretiens au lieu d’Accueil et d’Ecoute

Une partie du travail qui s’effectue au sein des entretiens est un travail surla contenance familiale. Pour illustrer, j’évoquerai quelques séquences d’ac-compagnement. Ce sera juste quelques petites touches. La discrétion et lerespect de la confidentialité sont des caractéristiques essentielles pour queles personnes aient un sentiment de confiance dans le cadre proposé.

L’accompagnement dans la formation des liens précoces

Vignette clinique n°1

Mme B. est venue en entretien dans la dernière phase de sa grossesse (3mois avant son accouchement). Elle exprimait un fort sentiment de solitudeet de manque de soutien : elle ne voyait le père de l’enfant à venir qu’épi-sodiquement et sa famille, apparemment, n’appréciait pas cette grossessesurvenue dans ce contexte. Mme B. disait que sa grossesse ne lui transmet-tait pas de joie alors qu’elle l’avait désirée. Au cours de quelques entretiensavant l’accouchement elle a évoqué ce qui avait sous-tendu son désir d’en-fant mais aussi les traumatismes dans son histoire familiale. Avant la nais-sance de son bébé, j’avais déjà perçu l’inflation de l’imaginaire qui portaitcet événement. Après la naissance, il y a eu tout un travail pour, progressi-vement, aider Mme B. à passer de son rêve au petit enfant présent, là, avece l l e .Lors de ces entretiens, elle venait avec son bébé et elle parlait beaucoup deses questionnements, des difficultés relationnelles avec le père ou avec desmembres de sa famille. C’était important qu’elle ait ce lieu d’écoute etqu’elle puisse élaborer des repérages sur sa vie personnelle, mais j’interve-nais, lorsque le moment s’y prêtait, pour ramener son attention à son bébé; par exemple, je parlais au bébé en reprenant certaines des choses évoquéespar sa mère ou en lui disant : « tu as peut-être envie de … » ou « tu préfère-rais peut-être que ta maman te porte comme ça… » ; (je me permettais ce

2 7

Page 28: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

genre de remarque quand je voyais le bébé, corps pendant entre les mainsde sa mère le tenant sous les bras). Au fil des séances, je percevais le déve-loppement de l’attention de Mme B. envers son bébé et une meilleure adap-tation à ses besoins.

Elle allait également à la Protection Maternelle et Infantile (PMI). Les per-sonnes de la PMI savaient qu’elle venait en entretien avec son bébé ; nousavions des contacts de loin en loin, ayant une confiance réciproque dansl’apport de chaque cadre professionnel. A l’âge de 5 mois le bébé a pu ren-trer en crèche et au cours d’un entretien Mme B. m’a raconté, un peu dépi-tée, que souvent quand elle le laissait le matin il ne la regardait pas et quequelques fois quand elle allait le chercher il pleurait. Un peu plus tard dansla séance, Mme B. ayant son bébé sur les genoux et celui-ci me regardant,je lui dis : « ta maman m’a raconté que tu commences à aller à la crèche, çadoit te changer, tu étais habitué à être uniquement avec ta maman… ». Ace moment le bébé a basculé la tête vers sa mère et s’est mis à pleurer, assezfort. Ça a duré quelques secondes et il a repris sa position. Mme B. était éton-née de cette réaction. Je lui ai dit : « c’est sans doute sa façon de vous direque la transition est un peu dure pour lui ». Mais il est vrai que cette possi-bilité de communication était assez stupéfiante.

Avec cette dame, les entretiens ont permis un accompagnement dans unprocessus de désillusionnement par rapport à certains rêves et idéaux ayantémergé d’une histoire personnelle et familiale ; un processus menant à unemeilleure prise en compte de la réalité et notamment de son bébé, là, pré-sent, dans son individualité, avec qui elle pouvait commencer à entrer danstout un jeu de communication.

Le cadre des entre t i e n s

J’ai pris cet exemple d’accompagnement mère-bébé afin de me glisser dansles axes de réflexion exposés dans la première partie et pour illustrer com-ment, dans les entretiens, il y a à s’adapter pour être au plus près de la situa-tion, en déclinant sur des modes différents selon les âges des enfants et lescontextes familiaux. Je vais aborder maintenant une analyse plus précisedes fonctions du cadre, en quoi ce cadre est l’expression et l’expérimenta-tion d’une contenance qui va permettre aux parents de renforcer leur pro-pre contenance.

Qu’est ce que le cadre ?C’est déjà la structure, l’institution globale, puis le lieu, sa dénomination, saconfiguration, son fonctionnement et son ambiance, et bien sûr, l’interve-nant avec les bases, les objectifs auxquels il se réfère et son mode d’être etd’agir. Nous avons vu qu’une bonne contenance ou « suffisamment bonne» ,(par analogie avec le concept de la mère « suffisamment bonne » deWinnicott) est associée à la transmission d’un sentiment de sécurité et de

2 8

Page 29: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

confiance notamment par ses façons de tenir et faire. Nous pouvons trans-poser ces caractéristiques au cadre des entretiens. Autant c’est un lieu d’ac-cueil qui doit être ouvert et avoir une souplesse de fonctionnement face àla multiplicité et à la diversité des demandes et des situations ; autant lesbases du cadre doivent être solides au niveau théorique et clinique. L’approche clinique a pour objectif de percevoir, d’imaginer ce qu’il y a dansle récit et au delà du récit, d’entendre l’implicite derrière l’explicite, de selaisser traverser par des ressentis afin d’ébaucher une représentation desproblématiques. Dans le déroulement des entretiens, généralement, aprèsl’exposé du pourquoi de la demande de rendez-vous, les parents sont ame-nés à évoquer soit spontanément, soit après les y avoir invités, des momentsplus ou moins éloignés dans le passé et progressivement, d’une façon plusou moins fournie, il y a une reprise de l’histoire de l’enfant, de la famille, ducouple. Pour les parents, c’est une possibilité de re-vision sous d’autres éclai-rages, de re-connaissance, et, lorsque les enfants sont présents, c’est sou-vent pour eux l’occasion d’une découverte. Des paroles sont mises sur lesfaits, des moments qui ont été perçus, éprouvés, mais n’ont pas toujourstrouvé de formulation jusqu’alors. Cela participe d’une reconnaissance desoi. On peut l’apparenter à une expérience de miroir : ce que tu as éprouvé,c’est bien toi qui l’a éprouvé et on peut le parler de cette façon. C’est aussipour chacun, l’inscription dans une temporalité.En résumé, nous pourrions dire que le cadre est un contenant assurant unesécurité de base et une confiance, où, de ce fait, un processus va s’effectuerpresque de lui-même par des phénomènes d’expérimentation voire d’iden-tification ; où, d’autre part, dans le jeu des interactions entre les personneset l’intervenant, peut s’ouvrir un espace transitionnel, lieu potentiel d’émer-gence de créativité, de relations intersubjectives facilitant la transforma-tion de la perception de moments de vie (fonction alpha), afin que ceux-cipuissent s’intégrer et se penser. Une autre fonction du cadre, que nous ver-rons notamment dans le prochain exemple, est celle d’intervenir commetiers. Et enfin, je souhaiterais parler de la notion d’utilisation du cadre. Nousavons déjà vu que les personnes, en expérimentant la contenance lors desentretiens, pouvaient renforcer leur propre contenance. Une nuance sup-plémentaire est la notion d’utilisation du cadre qui s’apparente à ce queD.W. Winnicott a développé en terme d’«utilisation de l’objet » .Il s’agit là d’un type de relation où il y a une mise à l’épreuve du cadre ; parexemple par les retards, les oublis de rendez-vous, les changements nonprévus dans la configuration des entretiens quant à la présence des uns oudes autres, les attitudes provocatrices de certains, les conflits qui se mettenten scène au cours des séances… Expérimenter que le cadre tient et conti-nue d’exister c’est une façon de percevoir une réalité solide, extérieure àsoi, processus qui participe à la reconnaissance de l’autre, différent de soi,l’autre comme sujet.Je vais vous présenter deux brèves vignettes cliniques afin de donner vie àcette description du cadre.

2 9

Page 30: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Vignette clinique n°2

M et Mme M. et leur fils Louis âgé de 14 ans sont venus en entretien suite àdes problèmes de scolarité : une baisse très importante des résultats, descomportements qualifiés d’insolents par différents professeurs et des aver-tissements tout au long de l’année précédente. Au premier entretien je res-sentais que tous les trois faisaient bloc et que le travail à faire consisteraitpeut-être à faciliter une ouverture sur l’extérieur, un travail à l’interface dufamilial et du social. M. et Mme M. avaient eu, chacun de leur côté, dans descontextes différents, des relations difficiles avec l’école et ils « c o m p r e n a i e n t» certaines critiques de leur fils à l’encontre de professeurs, tout en lui repro-chant son manque de travail scolaire. Ils étaient très attentifs à leurs enfants(Louis a un frère et une sœur plus âgés que lui). Eux même ayant eu desenfances difficiles, ils avaient à cœur d’assurer les meilleures conditions pos-sibles tant matérielles que relationnelles et affectives pour le développe-ment de leurs enfants. Et malgré cette attention, il y avait là des comporte-ments et des résultats qu’ils ne pouvaient accepter. En terme de contenancefamiliale, celle-ci était peut-être en excès ; les histoires familiales complexeset parfois douloureuses pour l’un et l’autre parent avaient sans doute contri-bué à forger le désir de former un bon cocon pour leurs enfants. J’ai eu l’im-pression, au cours de la dizaine d’entretiens, que nous allions ensemble, ene x p l o r a t i o n .

Nous sommes partis sur plusieurs pistes : la scolarité abrégée du père, le han-dicap du frère de Louis, la pression que Louis pouvait ressentir quant auxestimations et espoirs en ses capacités et réalisations de la part de sesparents… chaque piste pouvait déboucher sur une hypothèse qui éventuel-lement sous-tendait la situation mais j’ai eu le sentiment que c’était davan-tage l’exploration qui comptait, plus que les hypothèses formées.Durant les entretiens, Louis s’exprimait peu mais était bien présent, faisant,selon les moments, quelques commentaires.Une fois, le percevant particulièrement attentif et réfléchi je lui dis : « tu par-les peu mais les entretiens ici te permettent peut-être de réfléchir ». Ilacquiesça et à la dernière séance que nous avons eu, il dit à propos du che-minement effectué : « ça permet de mieux comprendre pourquoi on faitdes choses ». Une séance importante a été celle de la description et du récitde l’histoire des lignées paternelles et maternelles en remontant jusqu’auxarrières grands parents de Louis ; M. M. remarquant : « dans la famille, àchaque génération on fait un peu plus ». Durant cette séance Louis partici-pait beaucoup plus spontanément aux échanges. Tous les trois semblaientvenir aux entretiens avec de la motivation et j’ai ressenti une grandeconfiance de leur part. En cours d’année scolaire, les bulletins ne contenaientplus de remarques sur le comportement de Louis et ses résultats s’amélio-raient progressivement. Dans cet accompagnement, l’essentiel a sans douteété mon rôle de tiers. Ils ont accepté de me faire entrer dans l’espace pro-tégé de leur famille et de ce fait s’ouvraient des passages entre l’intérieur

3 0

Page 31: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

et l’extérieur (je parle du niveau psychique bien sûr car socialement ces per-sonnes étaient tout à fait intégrées). Je pouvais connaître et reconnaîtrecertains pans de leur histoire, nous cheminions ensemble dans les réflexionset à certains moments ils réaffirmaient des points auxquels ils tenaient ; parexemple, même s’il était dit que Louis, pour le travail scolaire, devait main-tenant « prendre la balle qui est dans (son) c a m p», son père maintenait qu’ilpréférait « continuer à le pousser, après ce sera trop tard». Il restait en cohé-rence avec lui même et ses valeurs de référence. Leur contenance familialeétait moins orientée uniquement vers l’intérieur familial mais dans une posi-tion d’interface non défensive entre intérieur et extérieur et Louis n’avaitplus besoin de provoquer ou de se mesurer aux professeurs ; à l’avant der-nier entretien il dit : « je ne me souviens plus pourquoi on a commencé àvenir ici… » .

Vignette clinique n°3

Mme J. est venue en entretien avec son fils Arthur âgé de 12 ans. Elle s’étaitdit : « il faut qu’on fasse quelque chose on ne peut plus continuer commeç a». Un peu plus d’un an auparavant, son mari, le père d’Arthur est décédé,suite à l’évolution d’une maladie qu’il avait depuis plusieurs années. Depuis,ils n’avaient pu retrouver une forme de vie satisfaisante. « On est coincé » ,«on n’arrive pas à parler». Les deux grands frères d’Arthur se barricadaientchacun dans un mode de protection personnel face au traumatisme quiavait secoué la famille, l’aîné prenant un peu le rôle du père.Mme J. était inquiète pour Arthur qui se repliait sur lui même ; au début del’année scolaire il ne s’était pas réinscrit à son activité sportive, c’était unepassion qu’il partageait avec son père et il pensait même à l’époque à uneorientation professionnelle dans ce domaine. Quand il en a été questionen entretien, il avait des larmes pleins les yeux. Arthur parlait peu, il ponc-tuait souvent les phrases de sa mère de petites remarques.Par ailleurs, elle ne pouvait accepter, pour elle-même, cet état de blocagepsychique dans lequel elle se trouvait. C’était une femme qui avait eu unparcours original, dynamique, elle avait élevé, jusque là, ses 3 enfants enétant au plus près d’eux, dans une interrelation, et ces derniers mois, c’étaitcomme si tout était gelé.Les entretiens ont permis de, progressivement, remettre la pensée en mou-vement. Et il était important pour elle, pour eux, que cette pensée puisse separtager avec son fils. Dans le jeu des relations intersubjectives, des momentsvécus dans le passé ont pu être repris, des bons souvenirs comme desmoments traumatisants contemporains de la mort de M. J. Ce qui s’étaitvécu et se vivait pouvait devenir pensable, se penser et être parlé. Mme J.disait par exemple qu’après l’entretien précédent, son fils et elle étaientallés dans le parc et avaient pu parler ensemble, ou encore, qu’elle avait puparler de façon naturelle de son mari à son deuxième fils sans être submer-gée par le flot des émotions et « sans se forcer » .

3 1

Page 32: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Nous retrouvons, dans ce qui s’est produit au sein des entretiens, une ana-logie avec d’une part ce qu’a développé W.R Bion, la fonction de transfor-mation maternelle afin que des perceptions, des phénomènes vécus devien-nent intégrables et d’autre part ce qu’a étudié R. Roussillon (3), le proces-sus de subjectivation qui s’opère en présence de l’objet: une pensée peuts’élaborer à travers ce qui est renvoyé par l’autre dans le jeu des relationsintersubjectives ; des mots sont mis sur des ressentis, des liaisons sont faiteset révèlent un sens ; le processus se fait à travers du co-pensé, du co-éprouvé,avec un écart suffisant pour être dans la différentiation, que chacun sereconnaisse en soi et reconnaisse l’autre.

C o n c l u s i o n

J’espère vous avoir donné un aperçu de la richesse des possibles au sein desentretiens familiaux et leur potentiel dans le filage et le tissage des liens.J’ai choisi de mettre l’accent sur l’importance du cadre et son rôle dans laconstitution ou la reconstitution du lien à l’autre.

En faisant le détour pour entrevoir que, dès les premières relations du petitenfant avec son environnement, la nature des liens se façonne, qu’avec lesentiment de confiance communiqué le processus de maturation peut sedévelopper et la créativité émerger, que l’ « a c c o r d a g e » et la « r ê v e r i em a t e r n e l l e » participent à l’installation des relations intersubjectives.Nous avons pu envisager comment le creuset familial est le contenant de laformation du lien à l’autre et nous avons fait quelques correspondancesavec ce qui peut se mettre en œuvre au sein des entretiens familiaux envoyant que l’expérimentation et l’utilisation du cadre peut ouvrir un espaceaux relations intersubjectives et à la créativité. Ils ne remplacent pas unethérapie familiale lorsque l’indication en a été donnée et s’avèrerait néces-saire pour le soin de la famille.Les entretiens familiaux offrent un cadre qui donne de la souplesse et quipeut s’adapter à une grande diversité de situations actuelles.

Pour terminer, j’aimerais vous faire partager une petite séquence d’entre-tien qui résonne bien dans cette journée :J’ai suivi pendant presque deux ans, au cours d’une quinzaine d’entretiens,une mère et son fils, âgé actuellement de 19 ans. Mère et fils ont toujoursvécu uniquement à deux et lorsque les entretiens ont commencé la situa-tion était très tendue entre eux. La mère faisait part de toutes ses inquiétu-des et exprimait constamment des critiques et des reproches par rapport àson fils ; lui, tentait de respirer et d’échapper comme il pouvait. Je passe toutle déroulement de l’accompagnement. Ils tenaient tous les deux à venirpour un dernier entretien (6 mois s’étaient écoulés depuis le précédent). Lefils m’annonce qu’il a « d é m é n a g é » pour habiter dans un foyer de jeunest r a v a i l l e u r s , d’abord en chambre individuelle puis en chambre à deux mais« on s’entend bien » me dit- il et « on pense chercher un appartement en

3 2

Page 33: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

c o l o c a t i o n». En expliquant comment ce changement a eu lieu, il me dit qu’ilavait eu « besoin de se sentir libre et responsable de ( l u i ) -m ê m e ». Sa mèrereconnaît que « ça l’a boosté », il a trouvé du travail, pour le moment unpetit boulot mais il s’assume et a des projets. Elle regrette juste que « ça sesoit fait un peu vite ». Lui, reprend, en disant à sa mère combien il reconnaîtce qu’elle a pu lui transmettre, (jusqu’alors, ce n’était pas possible de lui direet c’était sans doute important pour lui que je sois témoin de ces paroles),et qu’il a l’impression « d’avoir grandi en quelques mois ». A un autremoment, parlant des relations avec ses copains il dit : « mes copains, mêmeceux qui ont 5 ans de plus que moi, ils m’appellent l’Ancien ! » .

Référence bibliographiques :

(1) AMEISEN J. Cl. , La sculpture du vivant , Ed. du Seuil, 2003.

(2) BION W. R. , Aux sources de l’expérience, Ed. PUF, 1979.

(3) ROUSSILLON R. , « Pluralité de l’appropriation subjective » , dans l’ou-vrage collectif : La Subjectivation , Ed. Dunod, 2006.

(4) STERN D. N. , Le monde interpersonnel de nourrisson , Ed. PUF, 4ème édi-tion 2003.

(5) WINNICOTT D. W. , Jeu et réalité, Ed. Gallimard 1975.

3 3

Page 34: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

De la médiation à la média-tion familiale... Du lien àl’autre dans le processus des é p a r a t i o nI n t e r v e n a n t e s : Véronique ROUSSEAU et Clotilde ROBERT,M o d é r a t r i c e : Marthe MARANDOLA

3 4

Journal d’un psychanalyste de Serge Tisseron© Calmann-Lévy, 2003

Page 35: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

« De la médiation à la médiation fami-liale… »Véronique ROUSSEAU

Mon intervention porte sur la partie « de la médiation à la médiation fami-liale » et je vais plus particulièrement aborder quelques points de repèressur la médiation, la médiation familiale et l’origine de l’accueil de la média-tion familiale à l’Espace Parent-Enfant. Je m’appuie sur un double travailportant sur la médiation familiale et le soutien à la parentalité réalisé pourune recherche-action menée à l’Espace Parent-Enfant et un mémoire uni-versitaire à l’Université Paris Ouest.

Aujourd’hui la médiation est partout et concerne tous les domaines de lavie : transports, institutions publiques, commerce, culture, travail, thérapies,voisinage, action éducative, couple, travail social, protection de l’enfance,famille, justice, monde scolaire, politique de la Ville, etc… A Issy-les-Moulineaux sont représentés dix types de médiateurs et huit domaines demédiation. La liste n’est pas exhaustive et ne comprend pas les profession-nels qui auraient des pratiques de médiation sans porter le vocable demédiateurs.

Ainsi nous disposons sur le territoire isséen de la médiation institutionnellereprésentée par le Médiateur de la République (Etat) et le Médiateur de laVille (Ville d’Issy les Moulineaux), la médiation généraliste avec l’associationClimas médiation, la médiation culturelle assurée par l’assistante de média-tion du pôle médiation du Cube, les médiations en milieu scolaire dans descollèges isséens avec les médiateurs éducatifs du Conseil Général et les élè-ves-médiateurs, la médiation sociale de la Politique de la Ville avec la média-trice socioculturelle de l’association ASTI et les médiateurs urbains de la Ville,la médiation pénale représentée par l’Association Départementale d’Aideaux Victimes d’Infractions Pénales (ADAVIP), la médiation citoyenne por-tée par le biais d’une personnalité locale et la médiation familiale représen-tée avec l’association Climas Médiation et l’Espace Parent-Enfant du CLA-V I M .

Si nous nous intéressons à l’étymologie des mots médiation et médiateur(du latin m é d i a t i o n e met m e d i a r e ), nous constatons que la médiation dési-gne « l’action de celui qui est médiateur », nous pourrions dire, de celui quiest désigné médiateur. C’est aussi « l’entremise pour mettre d’accord deuxpersonnes, deux partis ». Le médiateur est ainsi « la personne qui s’entre-met entre deux ou plusieurs personnes en vue de les concilier ». Cette per-sonne sert « d’intermédiaire, se tient au milieu, s’interpose ». A partir de là,la médiation se décompose en pratiques très diverses au risque d’incompré-hensions voire de confusions. Au point que nous pouvons voir désormaisdénommés « médiateurs » des métiers intitulés autrefois surveillants, gar-

3 5

Page 36: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

diens, chargés de contentieux ou de relations avec les usagers, éducateurs,animateurs…sur des fonctions qui peuvent associer surveillance, contrôle,relations clientèle, actions socioéducatives… Nous pouvons égalementconstater que les fiches de fonctions des travailleurs sociaux comportent ladénomination « m é d i a t i o n » là où figuraient autrefois les termes « l i e na v e c » ou « en relation avec ». Par ailleurs, la médiation peut aussi consti-tuer une nouvelle approche, un nouvel outil d’intervention s’intégrant auxpratiques professionnelles déjà existantes, comme d’autres avant elle ensei-gnées en formation continue. La médiation donne également lieu à la créa-tion de nouveaux métiers. Cinq ont été reconnus officiellement par laPolitique de la Ville : médiateur social et culturel, agent de prévention etde médiation des espaces publics, agents d’ambiance dans les transports,correspondants de nuit, coordonnateur d’équipes de médiation. D’autresse développent indépendamment de celle-ci : médiateurs professionnels,médiateurs familiaux…

L’un des domaines particulièrement concerné par le développement de lamédiation est le champ social. D’une part avec l’expansion de la « m é d i a-tion sociale», définie officiellement par la Politique de la Ville en 2000. Visantla création ou la réparation du lien social, le règlement des conflits dans lavie quotidienne, elle s’appuie sur un processus conduit par un tiers impar-tial et indépendant au moyen d’échanges entre les personnes ou les insti-tutions. Son objectif est d’aider à améliorer une relation ou régler un conflitqui les oppose. D’autre part à la médiation sociale s’ajoute la démultiplica-tion de médiations ou de pratiques médiatrices faisant « l i e n s » ou « e n t r ed e u x » véhiculées sous différentes dénominations. Les médiations dans lesmondes scolaire et socioéducatif en constituent des exemples parmi d’au-tres. Nous pouvons mettre trouver des offres d’emploi d’« animateur-média-teur familial » …

Nous observons que les termes de médiation et de médiateurs se générali-sent de plus en plus dans le langage courant. Ainsi plusieurs acteurs isséensont interrogé l’Espace Parent-Enfant. Proposait-il d e s « m é d i a t i o n sp a r e n t s / a d o l e s c e n t s », des « médiations/jeunes adultes», de la « m é d i a t i o nsociale et familiale » ou de la « médiation sociale et éducative» ? Toutes cesmédiations peuvent être entendues en langage courant sous la terminolo-gie générale de médiation familiale. Aussi cela nous invite à quelques ques-tions. Quelles attentes précises se cachent derrière ces mots ? Les réponsesà ces attentes sont-elles ou peuvent-elles être du ressort de missions ou depratiques déjà prévues ou exercées par différents acteurs présents sur le ter-ritoire ? En effet des professionnels comme les psychologues ou les travail-leurs sociaux interviennent depuis longtemps dans les conflits familiaux.D’autres comme les assistants de service social, les techniciens d’interven-tion sociale et familiale (TISF), les conseillers en économie sociale et fami-liale (CESF), les éducateurs… assurent des liens entre les institutions et lesfamilles y compris en allant au domicile. Ce qui nous renvoie à la nécessité

3 6

Page 37: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

de bien connaître sur un territoire donné, local et départemental, les mis-sions et les interventions des acteurs institutionnels et associatifs déjà enplace, ainsi que leurs évolutions en cours.

Toutefois il convient de distinguer la médiation familiale parmi d’autresinterventions déjà existantes. Elle n’est pas une intervention d’autorité ouune injonction morale ou juridique à s’entendre, ni une « simple » résolu-tion de conflits ou un arrangement ponctuel, ni une relation d’aide ou d’as-sistance entre parents/enfants ou entre parents assurée par des travailleurssociaux. Elle n’est pas non plus un entretien familial de type psychologiqueou thérapeutique, ni un entretien de conseil conjugal. Par exemple, l’EspaceParent-Enfant propose deux autres types d’entretiens confidentiels qui peu-vent accueillir les conflits interpersonnels. Ce sont le Lieu d’accueil etd’écoute mis en place en 1999 avec des psychologues cliniciens, et le Conseilconjugal ouvert en 2007 avec une conseillère conjugale et familiale. Cesinterventions professionnelles ne constituent pas des médiations. Aussi dansla mesure où les médiations et les médiateurs sont présents partout et demanière massive, il s’avère particulièrement important de distinguer lamédiation familiale en tant que réelle pratique nouvelle au service des famil-l e s .

En effet la médiation familiale comme intervention professionnelle spéci-fique dans le domaine de la communication et la gestion des conflits fami-liaux s’appuie sur plusieurs conditions. Des entretiens confidentiels (et nondes échanges), un positionnement professionnel particulier, deux interlo-cuteurs au moins acteurs de la démarche, un processus, un cadre spatial etmatériel aménagé. Le professionnel médiateur est un tiers impartial, indé-pendant, garant du cadre de médiation et de l’accompagnement desmédieurs dans le processus. Les médieurs, au minimum à deux, sont libres,autonomes, responsables, volontaires dans la démarche, égaux entre euxet acteurs dans le processus.

Il y a tout d’abord un entretien proposé en individuel ou à deux pour expli-citer ce qu’est la médiation familiale et permettre à chacun(e) de s’engageren connaissance de cause. Suit un temps de réflexion ou un délai avant l’en-gagement dans la démarche qui sera plus ou moins long. En effet, une tropgrande souffrance liée à la séparation, une maladie ou une situation diffi-cile handicapant les capacités psychiques des personnes… ne sont pas desmoments favorables à l’entrée en médiation. Lorsque les deux personnesy entrent, le processus démarre pour une durée variable avec le nombre depoints à traiter et les difficultés rencontrées. L’objectif est de construire oude reconstruire un lien familial pour des personnes concernées par des situa-tions de rupture ou de séparations dans le domaine familial entendu danssa diversité et dans son évolution. La médiation familiale a une définitionofficielle française validée en 2003/2004 par le Conseil National Consultatifde la Médiation Familiale (CNCMF). En effet, la médiation familiale peut

3 7

Page 38: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

être définie différemment selon les pays où elle s’exerce.

La médiation familiale est entrée en France en 1987/1988 à l’initiative d’as-sociations de pères en rupture de liens avec leurs enfants par suite des sépa-rations conjugales ou des divorces auxquelles se sont associés des profes-sionnels directement en lien avec ces situations (juristes, psychologues,conseillers conjugaux et familiaux, travailleurs sociaux…). Aujourd’hui elleest une médiation reconnue et encouragée en France comme en Europedepuis 1998. En sus de sa définition, elle s’appuie sur un Diplôme d’Etat deMédiateur Familial (DEMF) créé en 2003/2004, sans titre professionnel pro-t é g é .

Il peut être obtenu après une formation composée de 490 h théoriques aux-quelles s’ajoutent des stages pratiques. Une Validation des Acquis del’Expérience (VAE) a également été mise en place permettant d’intégrer lesmédiateurs familiaux déjà en exercice avant 2004. Depuis 2006, la média-tion familiale, pour certaines de ses applications, fait l’objet d’une politiquenationale de développement, déclinée à l’échelle départementale, soute-nue financièrement par une prestation de service délivrée par les Caissesd’Allocations Familiales (CAF) à laquelle peuvent s’adjoindre d’autres sou-tiens des Collectivités publiques, de l’Etat ou d’autres acteurs. La médiationfamiliale peut être pratiquée en libéral.

Il convient de repérer que la médiation familiale en France peut se déclineren diverses applications sur le terrain. De manière non exhaustive, nous pou-vons en citer quelques unes : les recompositions familiales pour construireune nouvelle famille autour des valeurs et des pratiques éducatives, lesconflits parentaux générant l’appel à des prestations CAF, les personnesâgées dépendantes ou sous tutelles (fratries adultes), les obligations alimen-taires (parents/jeunes adultes), le maintien des liens entre grands-parentset petits-enfants par suite des séparations conjugales, de décès parentauxou de conflits avec les parents…

D’autres situations peuvent appeler à des médiations familiales. Ainsi, etsans exclusivité de la médiation socioculturelle, nous pouvons inscrire la pré-vention des mariages forcés et les conflits familiaux interculturels. Nous pou-vons également identifier le domaine de la prévention d’infractions péna-les comme l’abandon de famille (non paiement de la pension alimentaire)ou le non respect du droit de visite (non présentation d’enfant). Lorsquecelles-ci sont déjà commises, elles donneront lieu à des médiations pénalesà caractère familial.

Nous évoquerons aussi spécifiquement la Protection de l’Enfance (PE) admi-nistrative et judiciaire qui peut faire appel soit à titre préventif à la média-tion familiale, soit spécifiquement au dispositif de Médiation Familiale enProtection de l’Enfance (MFPE) développé en France à l’initiative de profes-

3 8

Page 39: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

sionnels exerçant à l’origine dans les services de PE. En effet, ils ont souventconstaté combien les conflits parentaux persistants, que les parents viventensemble ou soient séparés/divorcés, peuvent mettre en échec les mesuresde Protection de l’Enfance proposées dans l’intérêt de l’enfant. La MFPEconstitue également une ressource pour les ruptures de liensparents/enfants, générées ou favorisées par des placements d’enfants pro-longés. La médiation familiale peut être également un moyen de renouerles liens familiaux dans le cadre des personnes Sans Domicile Fixe (SDF) qu’el-les soient jeunes ou adultes.

Enfin la médiation familiale, et c’est la plus connue, intervient dans le cadredes séparations conjugales ou des divorces. Elle dispose d’un cadre légalavec la loi sur l’autorité parentale et la généralisation de la coparentalité.Ouverte aux couples mariés ou non, nationale ou internationale (préven-tion des enlèvements d’enfants), elle peut être enclenchée avant, pendantou après la séparation, même plusieurs années après, notamment dans lecadre de la révision des conditions d’exercice de l’autorité parentale. Lamédiation familiale accueillie à l’Espace Parent-Enfant est celle-ci ce qui s’ex-plique de par l’historique local. En effet, en 2000, des parents séparés oudivorcés toujours en conflits se disputent à la sortie des centres de loisirs oudes écoles. Ils le font devant les enfants ou prennent à partie ou à témoinles responsables des structures qui se sentent démunis et inquiets pour lesenfants. Un partenariat avec l’association Climas Médiation, qui proposaitalors déjà la médiation généraliste (conflits de voisinage) et la médiationfamiliale (séparations conjugales/divorces) sur la commune, a permis d’ac-cueillir cette seconde à l’Espace Parent-Enfant dès 2003. Quelques annéesplus tard, l’Espace Parent-Enfant a pleinement intégré ce service au sein deses activités régulières tout en restant limité, à ce jour, aux situations deséparations conjugales ou divorces.

Et pour entrer pleinement dans le cœur de la pratique de la médiation fami-liale à l’Espace Parent-Enfant et « du lien à l’autre dans le processus de sépa-ration », je laisse la place à Clotilde Robert, Médiatrice familiale.

3 9

Page 40: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Du lien à l’autre dans le processus des é p a r a t i o nClotilde ROBERT

Actuellement en France :• un couple sur trois divorce ou se sépare, un sur deux dans les grandes vil-

l e s• 40 % des enfants de parents séparés ne voient plus ou peu le parent avec

lequel ils ne vivent pas au quotidien en l’occurrence, le plus souvent, leurp è r e .

C’est une réalité de notre société : la famille s’est profondément et durable-ment transformée (pour en comprendre l’évolution, on pourra se reporterà l’intervention et à l’ouvrage de Gérard Neyrand, « Le dialogue familial,un idéal précaire »). Face à la complexité des nouvelles configurations fami-liales, les spécialistes de l’enfance réaffirment qu’un enfant, pour seconstruire a besoin et de sa mère et de son père. Par ailleurs, de plus en plusde pères séparés sont dans une revendication très forte de partager du quo-tidien avec leur enfant. Dans un tel contexte, une nouvelle norme sociales’est progressivement dégagée que l’on pourrait résumer par ces mots : «

4 0

Journal d’un psychanalyste de Serge Tisseron© Calmann-Lévy, 2003

Page 41: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

même séparés, on ne divorce pas de ses enfants ».

Cette nouvelle norme sociale est elle-même encadrée, depuis le 4 mars 2002,par une nouvelle loi, la Loi sur l’Autorité Parentale. Que dit cette loi ?« L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pourfinalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient au père et mère jusqu’à la majo-rité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santéet sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement,dans le respect dû à sa personne » (Art. 371-1 du Code civil). Autrement dit,les deux parents ont très exactement les mêmes droits, mais aussi les mêmesdevoirs, vis-à-vis de leur enfant. Ils assument ensemble les responsabilitésp a r e n t a l e s (nourrir, protéger, guider, contrôler). Cette égalité des parentsface à leur enfant est ce que l’on désigne en termes juridiques par l’auto-rité parentale conjointe.

Que se passe-t-il en cas de séparation ou de divorce des parents ? Là aussi laloi est très claire : « Chacun des père et mère doit maintenir des relationspersonnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autrep a r e n t» (Art. 373-2). Autrement dit, les parents séparés ont l’obligation demaintenir un lien avec leur enfant et de favoriser le lien de l’enfant avec sonautre parent. L’autorité parentale reste conjointe, les parents doivent conti-nuer à assumer ensemble les responsabilités parentales.

Mais cet idéal de coparentalité au-delà de la séparation, cette nouvellenorme sociale sont terriblement exigeants et mettent les parents dans unesituation paradoxale. Ils sont pris dans une double contrainte…• d’un côté, c’est la fin de leur histoire conjugale, ils sont dans la rupture

d’un lien, ils n’ont plus forcément envie d’être en contact avec l’autre, cepeut même leur être insupportable ;

• d’un autre côté, au nom de l’intérêt de leur enfant, la société, la normesociale, la justice leur demande, leur impose de rester en lien avec l’au-tre parent. Ils sont dans la construction d’un nouveau lien, celui de parentss é p a r é s .

C’est cette difficile articulation, « fin du lien conjugal/construction d’un nou-veau lien, d’une nouvelle façon d’être parents » que le médiateur familialpropose aux parents de venir travailler dans l’espace de médiation.

Entrons dans la salle de médiation…Ce qui suit est un essai de modélisation de ma pratique qui n’induit enaucune manière que tous les médiateurs familiaux procèdent de la mêmef a ç o n .

Je travaille avec :• trois fauteuils disposés en triangle, à égale distance les uns des autres,

mettant les acteurs à égalité

4 1

Page 42: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

• un paper-board, où vont s’écrire les différentes phases de la médiationAu fur et à mesure des séances, le chemin parcouru par les parents s’affichedevant leurs yeux, sur les murs de la salle de médiation.

Une séparation, un divorce, c’est beaucoup de souffrance et, en situationde crise, les parents ont beaucoup de mal à identifier dans ce qui les opposeà l’autre ce qui relève du conjugal (leur histoire de couple) de ce qui relèvedu parental (leurs responsabilités de parents). Du coup ils vont utiliser, plusou moins consciemment, tout ce qui touche à leur enfant pour faire pres-sion sur l’autre parent : les comptes du conjugal vont se régler sur ce quicontinue à faire lien entre eux, leur enfant, la face la plus visible de ces det-tes conjugales se matérialisant par des procédures à répétition à propos dumode de « garde de l’enfant » et de « la pension alimentaire ».

Pour détricoter cette pelote, je m’appuie sur un processus en trois temps :• une première phase qui est une phase de séparation, de dés-emmêle-

ment du conjugal et du parental• une deuxième phase qui est une phase de construction d’un socle paren-

tal minium fait d’intérêts communs et de valeurs partagées,• une troisième phase qui est une phase de recherche, d’élaboration en

commun par les parents eux-mêmes de solutions mutuellement accep-t a b l e s .

Ces trois phases se déroulant, non pas de façon linéaire, mais dans un mou-vement d’allers-et-retours permanents entre « séparation » et « construc-tion ».

La pre m i è re phase : dés-emmêlement du conjugal et du pare n t a l

Tout en faisant connaissance, tout en clarifiant et en listant les attentes desparents par rapport à cette médiation « De quoi auraient-ils besoin de par-ler avec l’autre parent », je dessine sur le paper-board une représentationvisuelle de leur famille (appelée dans notre jargon professionnel un géno-gramme). L’objectif est de : • recueillir des informations (âge, profession, lieux de vie, mariés/pas mariés,

où en sont-ils de la séparation, en procédure ou non… âge des enfants,scolarité, suivi…)

• donner à voir, en les distinguant, le lien conjugal qui est officiellementterminé (en rouge) et le lien de filiation qui est indestructible (en vert),en soulignant que cet enfant qui continue à les rassembler, et à proposduquel ils sont là aujourd’hui, est aussi fait de leurs deux lignées familia-les (en vert)

• rechercher quelles sont les personnes ressources autour d’eux sur qui ilsvont pouvoir compter (pour les vacances scolaires par exemple). C’estaussi un support aux commentaires sur les belles-familles réciproques,parfois très impliquées dans ce qui fait conflit « comment ont-ils étéaccueillis lors de leur rencontre et comment ça se passe aujourd’hui ? »

4 2

Page 43: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

• dérouler « le fil rouge de leur histoire conjugale », depuis leur rencontrejusqu’à leur séparation. C’est une proposition dont ils se saisissent ou non,un support à la parole pour se dire comment chacun a vécu les grandsévénements de cette vie à deux : comment ils se sont rencontrés ? qu’est-ce qui leur a plu chez l’autre (qualités qui sont sans doute encore làaujourd’hui et sur lesquelles ils vont pouvoir se ré-appuyer) ? l’installa-tion ensemble ? la grossesse ? l’accouchement ? le retour à la maison ?un déménagement ? le chômage ? la maladie ? un décès ?… qui a pris ladécision de la séparation ? comment ça s’est concrétisé ? etc. Parce quele médiateur familial pose un cadre, avec des règles au niveau de la prisede parole, du respect de l’autre, de la non-violence, les choses vont pou-voir se dire autrement et s’écouter, s’entendre autrement.

Ainsi progressivement chacun va s’exprimer sur ce qu’il a ressenti, se sentirécouté, entendu mais aussi faire l’expérience du vécu et du ressenti de l’au-tre, de sa différence et regarder la situation sous un autre éclairage.

La deuxième phase : construction d’un socle parental minimum fait d’in-t é rêts communs et de valeurs partagées

Au fur et à mesure que les parents déroulent le fil de leur histoire conjugaledes ressentiments, des blessures s’expriment. Pas à pas, je décode les repro-ches, les peurs et les reformulent en termes de besoins. Par exemple :« quand vous dites qu’il ne s’est jamais occupé de son fils, est-ce que celaveut dire que ça vous rassurerez de savoir comment il s’y prend quand il al’enfant chez lui ? », tout en veillant chaque fois que c’est possible à clarifierdans ce qu’ils expriment ce qui relève de leurs besoins de père et de mèrede ce qui relève de leurs besoins d’homme et de femme, complètementemmêlés dans la revendication « ce n’est pas pour moi que je le veux, c’estpour mon enfant » .

Petit à petit, dans les besoins exprimés se retrouvent des intérêts communsaux deux parents : être rassurés, être respectés, pouvoir s’organiser, êtreacceptés dans leurs choix, communiquer sur leur enfant, être tenus au cou-rant… Questionnés sur leur enfant les parents sont intarissables. Ils se rejoi-gnent dans la description qu’ils en font : son physique, ses traits de carac-tère, ses habitudes… Et de quoi pensent-ils que leur enfant aurait besoinpour l’aider à grandir ?

De leurs commentaires, je fais ressortir les valeurs auxquelles ils sont atta-chés et qui, la plupart du temps, leur sont communes. Puis je les invite àdécrire comment ils s’y prennent chacun de leur côté pour transmettre cesvaleurs à leur enfant, par quelles règles de vie ça passe, quels sont les rituelsquotidiens, etc. Cela donne à voir à chacun comment ça se passe chez l’au-tre et ça les rassure.

4 3

Page 44: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Je les questionne sur ce qu’ils ont dit de leur séparation à leur enfant et leurdemande s’ils auraient envie de réfléchir ensemble à ce qu’ils pourraientdire à leur enfant de leur rencontre, de sa venue au monde et de leur sépa-ration ?

L’objectif est de mettre en valeur ce qui, au-delà de la séparation, continueà les rassembler et qui va permettre de rechercher des solutions prenant encompte les intérêts partagés.

La troisième phase : élaboration par les parents eux-mêmes de solu-tions mutuellement acceptables

Les deux grands sujets qui font débat entre les parents sont les questionsqui tournent autour :- du mode de résidence de l’enfant, du partage de son temps chez chacund ’ e u x- du financement de ses dépenses

« La garde de l’enfant », aujourd’hui appelée « mode de résidence de l’en-f a n t ». Je commence par donner de l’information : le terme de « g a r d e » aété rayé du vocabulaire juridique au motif qu’il sous-entendait que le parentgardien était meilleur parent que l’autre. Il a été remplacé par « mode derésidence de l’enfant ». Et je recadre : aujourd’hui vous êtes séparés, vousvivez dans deux domiciles différents et votre enfant passe du temps dans lamaison de maman et dans la maison de papa : il alterne entre vos deux domi-ciles. Cette alternance peut être paritaire (50/50), mais aussi suivre un toutautre pourcentage de répartition (30/70 ; 20/80 ; 40/60…). Quelque soit lepourcentage, désormais votre enfant alterne. Maintenant c’est à vous, sesparents, de trouver la meilleure alternance possible.

Chacun fait des propositions et on les examine ensemble, au regard desbesoins qui ont été exprimés… avantages/ inconvénients ? pour votree n f a n t ? pour vous ? pour l’autre parent ?

« La pension alimentaire », aujourd’hui appelée « contribution financièreà l’entretien et à l’éducation de l’enfant». Là aussi je commence par de l’in-formation et un recadrage : Les mots « pension alimentaire » (concernantl’enfant) ont été eux-aussi supprimés du vocabulaire juridique et rempla-cés par l‘expression « contribution financière à l’entretien et à l’éducationde l’enfant » : les deux parents contribuent financièrement aux dépensesde l’enfant. La plupart du temps, celui qui a les revenus les plus importantset/ou ne vit pas au quotidien avec l’enfant, contribue davantage.S’ils souhaitent faire ce calcul, je leur propose de faire ensemble :• le budget de leur enfant (prise de conscience de ce que coûte un enfant)• leur budget à eux (revenus – charges incompressibles = ressources dispo-

n i b l e s )

4 4

Page 45: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

• et avec ce « reste à vivre» pour chacun, « qu’est-ce qui leur paraitrait justede mettre en place et pour eux et pour leur enfant ? »

L’idée est de bien recentrer cette « contribution financière » sur l’enfant,sur ce qu’ils souhaitent maintenir comme niveau de vie pour leur enfant au-delà de la séparation et de dégager cette somme de l’idée qu’elle pourraitservir davantage à Madame (ou à Monsieur) qu’à l’enfant. L‘autre idée estque leur enfant va grandir, qu’il va coûter de plus en plus cher et qu’ils nevont pas saisir le Juge aux Affaires Familiales (JAF) chaque fois qu’ils vou-dront ajuster cette contribution.

Si des accords sont trouvés par les parents, je leur propose de les mettre parécrit dans un Protocole d’entente. Cela se fait sur papier à entête de L’EspaceParent-Enfant. C’est un document qu’ils signent tout les deux (le nom dumédiateur n’apparaît pas). C’est un contrat sous seing-privé. Si les parentsle souhaitent, ils pourront saisir le Juge aux Affaires Familiales pour le faireh o m o l o g u e r .

C o n c l u s i o n

La médiation familiale accompagne les parents dans un temps de difficiletransition familiale où ils ont tout à la fois à se séparer et à construire uneautre façon d’être parents : elle sépare, elle désemmêle, elle clarifie pourrelier autrement.

La médiation familiale est au carrefour de l’intimité et de la citoyenneté :elle accompagne les parents de cet enfant qui lui-même sera l’adulte, leparent de demain. Elle a une fonction de prévention, de socialisation.

4 5

Page 46: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

L’espace groupal : du dialogue familial

à la rencontre du social

4 6

Page 47: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Le groupe de parole entre parents : fonc-tions socialisantes et d’intériorisation I n t e r v e n a n t s : Gérard DELLUC et Christel DENOLLE,M o d é r a t r i c e : Chantal DIAMANTE

4 7

Journal d’un psychanalyste de Serge Tisseron© Calmann-Lévy, 2003

Page 48: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Ce groupe est une des activités fondatrices de l’Espace Parent Enfant, aumême titre que l’Accueil Ecoute (donc une analyse issue de ces dix ans d’exis-tence, et du travail de supervision avec Ch. Leprince). Il a été mis en placedans le cadre d'un partenariat avec le centre Chimène, représenté parGérard Delluc, et le Centre Médico-Psychologique pour enfants de la com-mune, représenté par Christel Denolle.

Le groupe est composé de parents, beaux-parents ou de grands parentsd'enfants ou d'adolescents. Il propose le partage d’une expérience com-mune : « être et devenir parent », une confrontation avec leurs difficultéset leurs errements respectifs, sans thèmes préalablement définis. Nousaccueillons tout parent, quelle que soit sa problématique, mais ce disposi-tif est particulièrement favorable aux parents dont l’abord de leurs difficul-tés avec leurs enfants passe par un étayage social favorisant ainsi une res-tauration de leur place de parent.

Le groupe, composé d’une dizaine de personnes, se réunit toutes les deuxou trois semaines, de 20h30 à 22h30, sur neuf séances. Il fonctionne selonle mode d'un groupe dit « fermé » : les mêmes parents se retrouvant toutau long de l'année assurent ainsi une continuité d'écoute et de partage.

Proposé au sein de l’institution Espace Parent-Enfant, le groupe se situecomme un espace social et non de soin et propose un engagement de laparole et de l’écoute à ce titre là. Dans ce contexte, les parents sont enten-dus non seulement comme sujets d'une histoire singulière et subjective maisaussi et surtout comme sujets pris dans le lien social.

Alors, qu’est-ce qu’on écoute ?

Bien que les demandes et questions initiales se situent sur un registre édu-catif (les parents espérant un conseil ou une interprétation salvatrice), nousécoutons à partir de notre position clinique et analytique. Les parents parlent de leur(s) enfant(s), en dehors de leur présence physi-que. En fait, on pourrait dire qu'ils viennent avec leur enfant « dans leurtête », pour y aborder dans ce cheminement progressif, en groupe, la ques-tion de la symbolisation des rapports affectifs, ce qui les amène à se déta-cher de « l'objet enfant », lieu d'emprise et d'angoisse. Le discours est uneparole de l’après coup, une reconstruction, frappées de la dimension ima-ginaire et fantasmatique. L’enfant, présenté au groupe est sous cet effetde langage, pris dans l’inconscient parental. Ce discours porté au groupeempreint de la matière psychique, des liens psycho-affectifs est l’objet prin-cipal de notre attention. De fait, les parents sont amenés à un double détachement de leur enfant :• celui-ci n'est pas présent, alors qu'il est en partie question de lui.• le but de ce travail en groupe n'est pas de résoudre le problème précis de

leur enfant mais la mise en commun d'une problématique intéressant

4 8

Page 49: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

chacun et sujette à réflexion voire à réaménagement interne.

Aborder la question des relations parents-enfants est l’objet manifeste dugroupe mais l’enjeu en est bien plus complexe. C’est pourquoi notreréflexion ne s’attarde pas sur le contenu des échanges du groupe, sur lesliens parents-enfants, mais traite de la fonction socialisante et la fonctiond’organisation de la psyche qui s’y opère.

Un préalable : le cadre, support de la création d’un « Moi-Peau »

Le cadre fait loi et régulation, constituant un espace de sécurité interne. Lecadre opère comme une enveloppe « Moi-Peau » qui délimite l’intérieur etl’extérieur, protège et assure une fonction pare-excitante.La mise en place de cette instance est la condition primordiale pour que legroupe soit un réceptacle, une scène pouvant accueillir « la dramatisationdes espaces internes ».

Ainsi, le groupe s’instaure progressivement comme un espace psychiquegroupal, espace de représentations des affects et de la pensée, d’intégra-tion, de transformation et d’élaboration. Le rythme des neuf séances annon-cées crée une permanence et assure une continuité psychique favorable àla constitution de cette enveloppe groupale temporaire. Le groupe estannoncé comme ayant un début, un cours et une fin.

Notre place aux côtés des parents indique que tout en « faisant corps » avecle groupe, nous occupons une place asymétrique, nous offrons une écoutedifférenciée, métaphore de leur propre place de parents au sein du « corpsfamilial ».

Passer d’un ensemble d’individus à un groupe, créer une enveloppe grou-pale permet de transformer la multiplicité des regards à possibilités intru-sives ou persécutives en une enveloppe contenante assurant une sécuritéinterne. Ceci installe le groupe comme une réalité psychique commune àlaquelle les membres du groupe peuvent se repérer (s’y référer, s’en diffé-r e n c i e r ) .

Régulièrement, des parents marquent leur étonnement sur la différencedes effets de la parole dans le cadre du groupe par rapport à un cadre ami-cal ou familial : « Pourtant, avec une amie, on parle régulièrement de cesproblèmes, et ce n’est pas pareil ! ». En effet.

Alors, qu’est ce que la parole en ce groupe permet ? Qu’est-ce qu’écouteren groupe crée pour chacun ?

4 9

Page 50: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Le « groupe » : une fonction socialisante et d'intériorisation

Une fonction socialisanteNommer le groupe « Entre parents » vient spécifier le terme plus génériqueet banalisé de « Groupe de paroles » dont les cadres et les objectifs sont sivariés, en énonçant que les participants sont reçus, écoutés et prennent laparole à partir de leur place et fonction de parent, et en pointant que l’ins-tauration ou la restauration de la fonction parentale s’étayent sur la fonc-tion sociale. En situant ce dispositif non du côté du soin mais du social, nousdéjouons les réticences défensives de ce qui s’annoncerait d’emblée comme« Thérapeutique » ! Une porte d’entrée plus accessible à un public large per-mettant que des difficultés relationnelles puissent être traitées sur un planpsychique ; une porte d’entrée plus indiquée car tous ces participants n’ontpas véritablement besoin de soins. (A certains égards, c’est la même ported’entrée que pour la Maison Verte).

Depuis Freud, on a repéré comment l’organisation de la psyché d’un sujetse constitue à partir des premiers objets du groupe familial (mère/père) etdu groupe social dans lequel il se développe. En effet, la famille, lieu d’expérimentations des premières relations socia-les, oriente et organise les capacités de l’enfant à se saisir des organisationssociales. Aussi, la façon dont les parents peuvent eux-mêmes s’y inscrire estde première importance. Dans cette perspective, le groupe est pensé à par-tir des mêmes termes structurants et organisateurs de la famille (définis parD. Houzel, dans « les enjeux de la parentalité »).

Un lieu d’inscription dans une généalogie, une filiation, une placeLes participants s’inscrivent en qualité de parent, futur parent, beau-parent,grand parent… Venir au groupe crée de fait un acte de reconnaissancesociale mutuelle de cette place (généalogique/familial) et de cette fonction(sociale/ au regard de la loi). Les liens de parenté sont non seulement régispar un ensemble généalogique auquel appartient chaque membre maisaussi par des règles de transmission. Celles-ci incarnent la dimension sym-bolique et vivante du lien familial.

Un temps de constitution de l’ « identité », de la fonction de parentLe groupe est l’occasion de permettre à des hommes et des femmes d’ex-plorer leur rôle de parent ou de réaffirmer leur identité parentale mise àmal par la difficulté des parcours de vie (séparation, exil, deuil), par le symp-tôme ou le discours des enfants, les discours sur l’enfant tenus par l’école,la famille, les adultes au square... Il s'agit en quelque sorte d'un possible remaniement au niveau des identi-fications aux imagos parentales.

Un processus d’humanisation et de subjectivationLe groupe invite à faire l’expérience de la parole. « Prendre la parole », don-

5 0

Page 51: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

ner la sienne, recevoir celle de l’autre. Une expérience parfois complexe carelle exige d’être en mesure de transformer la sensorialité de l’émotion enexpression langagière. C’est pourquoi certains parents attendent plusieursséances avant de pouvoir se livrer réellement. Ce temps leur est nécessairepour s’assurer du cadre, pouvoir s’étayer sur certains parents, mais surtoutavoir internalisé une première ébauche de sécurité interne groupale.Se risquer à la parole et se laisser entendre dire quelque chose d’autre queprévu, effet de l’inconscient et des mouvements transférentiels qui opèrentdans le groupe, c’est faire l’expérience de cette humanité qui nous lie paret dans le langage. En tant que tel, le groupe est un lieu du travail de la civi-lisation de la pulsion et de la culture (Freud), dans lequel la parole rassem-ble et participe de la constitution de l’enveloppe groupale nécessaire autravail psychique interne.

Un lieu de confrontation à l’altéritéLe groupe confronte inéluctablement à la différence des sexes (des mèreset des pères, même si la parité n’est pas toujours de mise…) ; à la différencedes générations (parents/grands-parents, jeunes parents, parents d’adoles-cent ou d’adulte) ; à la très grande variété des problématiques, variété d’in-tensité des motivations (des plus légères aux plus angoissantes), variété d’in-vestissements pulsionnels, d’affects, de représentations. En effet, le groupe n’est pas « spécialisé en », il ne se rassemble ni autourd’un symptôme, ni autour d’un thème mais autour d’une place sociale iden-tifiée dans la sphère publique et privée : être parent chez soi et sous le regarddes autres à l’extérieur.La composition aléatoire du groupe présentant des figures éclectiques ducorps social allège la culpabilité liée aux représentations d'images parenta-les idéalisées.

Tout ceci sollicite d’emblée une excitation interne et produit des jeux deprojections ou d’identifications :« Comment cette mère d’un bébé pourra-t-elle m’aider pour mon ado ? » ,« Comme c’est angoissant d’entendre ce qu’ils vivent avec leur adolescent,cela me fait peur... ». Le premier tour de table peut susciter quelques craintes ou appréhensionsilencieuse que le temps et la mise en mots viendra apaiser.

Cette caractéristique de groupe non discriminant, et auquel nous tenonstout particulièrement vient soutenir le projet socialisant et indique demanière implicite que le sujet se construit dans la diversité et l’altérité.

En fixant un terme au groupe nous signifions qu’il y a d’autres relais, nousinvitons à ouvrir d’autres portes, à investir d’autres lieux externes, culturels,sociaux, thérapeutiques, humanisant. Les entretiens qui clôturent le cycleen sont notamment l’occasion.Par ailleurs, la dynamique du groupe amène à percevoir progressivement

5 1

Page 52: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

que l’objet-enfant ne nous appartient pas et à en reconnaître réellementla dimension de différenciation et d’altérité.

Fonction d’étayage du lien socialRené Kaës relève comment un groupe de « p a i r s », tel qu'un groupe deparents, a valeur « d’instrument de la socialisation», pour autant qu’il assurela continuité et le passage entre le groupe primaire (la famille) et le « c o r p s»social, là où le groupe familial, religieux, professionnel… a pu faire défautpour contenir les mouvements d’angoisse, d’effondrement ou de perted ’ i d e n t i t é .L’ensemble des parents forme rapidement « une petite communauté», ani-mée d’un caractère de fraternité et de solidarité permettant un point d’an-crage et d’étayage social.

L’étayage fonctionne par transmission et identificationDans Psychologie des foules et analyse du moi, Freud décrit comment toutce qui se transmet à l’intérieur d’un groupe se fait par les processus de régres-sion, de fantasmatisation et d’identification.

Le processus d’identification a une capacité intégrative plus structuranteque la prise de connaissance d’un savoir constitué/normé ou de conseils,d’autant qu’ils peuvent être pris dans une dimension surmoïque, défensiveou paranoïde. Tout un complexe réseau d’identifications et de contre-iden-tifications se met en action.

Des identifications à trois niveaux :• identification aux « i n t e r v e n a n t s », comme couple parental,• identification aux autres parents, comme parents moins mauvais que les

leurs dans leur identifications afin que se restaure et se réhabilite unehumanité psychique.

• identification aux enfants dont il est question : le jeune parent a la par-ticularité de s’identifier facilement à l’adolescent qui met en difficulté leparent plus âgé.

Des traits d’identification :• identification par l’âge mais aussi par le symptôme ou expérience trau-

m a t i q u e .

Vignettes cliniquesUn parent confronté à l’anorexie de son adolescente a été admirablementporté par la présence et par le récit d’une femme ayant traversé favorable-ment des difficultés semblables. Entendre de sa part, le récit dans l’après-coup de son expérience, de son cheminement psychique, de l’apport desdifférentes thérapeutiques, du temps nécessaire aux soins, a beaucoup aidéce père a être moins capté par les effets de violence immédiate de l’ano-rexie de sa fille, à renouer avec une capacité de pensée subjectivante à son

5 2

Page 53: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

égard. Des parents soupçonnant fortement que leur petite fille a fait l’ob-jet d’attouchements sexuels témoignent de leurs tourments au cours desdémarches nécessaires. Ainsi, ils font part au groupe de leur grande culpa-bilité qui se révèle sur deux aspects : n’avoir pas suffisamment protégé leurenfant et risquer d’avoir accusé à tort. D’autres parents livrent alors leurpropre histoire infantile d’enfants sexuellement abusés n’ayant pas été pro-tégés par leurs propres parents. Ils évoquent le silence auquel ils ont été sou-mis, leur culpabilité ravageuse et l’insécurité interne dans laquelle ils ontgrandi. Ces témoignages ont permis aux parents de la fillette de se sentir «suffisamment bons », c'est-à-dire ayant pris leurs responsabilités. Le poidsde culpabilité a pu se muer en responsabilité de parents envers leur enfant,ce qui est autrement plus dynamique et constructif pour leur enfant.

Et une contre-identification qui signale une blessure narcissique majeure :Un parent accapare l’attention en se situant systématiquement hors dugroupe : « mes enfants ne sont pas comme ça », en écho avec « je ne suispas comme vous ». Les interpellations aux accents dramatiques, l’angoissemassive ou mouvements projectifs font momentanément attaques pour legroupe le réduisant à l’état d’impuissance, à la hauteur de son propre sen-timent d’impuissance par rapport à ses propres enfants. « Vous, vos enfantsentendent ce que vous leur dites, moi jamais ». À partir de son sentimentde parent déchu de sa place, ce parent rejoue partout et y compris, dans lelien transférentiel au groupe, des scènes infantiles d’enfant exclu, jamaisreconnu. Le groupe lui permettra-t-il de prendre conscience de ce fonction-nement et de l’assouplir ?

Appel à des instances tierc e sLa participation au groupe reconnait le besoin pour les parents de s’appuyersur des lieux externes pour penser. Loin d’être un désaveu (si ce n’est le bien-venu désaveu de leur toute puissance), elle soulage la culpabilité, notam-ment lorsqu’il s’agit de faire appel éventuellement à d’autres institutionsayant pour mission d’aider, soutenir, médiatiser (Espace Jeunes et les édu-cateurs, l’Aide Sociale à l’Enfance et les mesures jeunes majeurs, AEAD…).Le groupe est là comme un premier temps (de cette fonction de tiers).En particulier lorsque les relations parents-enfants sont trop serrées et fontviolence, le groupe peut assurer une fonction tierce. La question de la placedu père est souvent reprise sous forme de plaintes (non dénuées d'ambiva-lence) de la part des mères pour qui la fonction paternelle fait défaut à leurenfant (père absent physiquement ou jugé trop immature).

Entre les séances, l’attention, l’écoute et la parole du groupe restent vivan-tes dans la tête des parents. Progressivement, elles s’intègrent durablementet font tiers dans la dualité parent-enfant, permettant un certain décolle-ment subjectif. La parole des parents se porte ailleurs qu’en prise direct avec leur enfant,crée un espace, une trouée dans la jouissance, une occasion que se détour-

5 3

Page 54: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

nent sur un lieu extérieur les angoisses, fantasmes… Au fond, le groupeoffre aux parents l’occasion d'éprouver une grande satisfaction dans leurlien à leur enfant ailleurs que dans le conflit ou le collage à leurs enfants.D’autre part, la participation des parents à ce groupe suscite parfois un effetde surprise aux enfants et surtout aux adolescents !La fonction socialisante du parent ne se cantonne pas aux aménagementsdes liens affectifs de nature libidinal/agressif avec ses enfants : elle indiqueégalement que le lien affectif ne vient pas à la place de la socialisation, maisqu’il soutient la dynamique progressive de l’enfant vers l’extérieur du seinf a m i l i a l .

Fonction socialisante de groupe, fonction socialisante du parent, oula question de la transmission envers les enfants

Recevoir les valeurs et les intégrer sont une condition d’échange et de miseen relation avec les autres et le monde. Elles sont essentielles aux représen-tations globales sur la fonction de la réalité sociale. Elles se réfèrent auxreprésentations des parents (idéal du moi), aux attentes et demandes socia-les dans lequel évolue l’enfant. Il est important que les parents introjectentcette fonction et qu’elle s’anime auprès de leurs enfants. Or peu de parentsque nous rencontrons ont pu en faire une bienfaisante expérience : « c h e znous on ne se parlait pas, on disait les choses de la vie courante, de ce qu’ilfallait faire ». Peu de parents racontent à leurs enfants, et ont même idéede son intérêt, comment cela se passait avec leurs propres parents, com-ment ils ont grandi, leurs éprouvés.

Le groupe est parfois le début d’une mise en récit de leur propre histoireinfantile et familiale, dont ils pourront faire part à leur enfant, la transmis-sion des valeurs en filigrane. Le travail sur les représentations étaye le liensocial de reconnaissance. Un père qui pensait avoir « tout assuré » pour sesenfants, se rend compte qu’il avait inconsciemment délégué cette missionà l’école, qui bien sur n’avait pu la tenir. C’est en reprenant les albums pho-tos retraçant les instants de vie de leur histoire familiale, qu’il réalise, dansl’après coup d’une séance, que ce qui lui paraissait aujourd’hui si fertile pourgrandir était resté silencieux. Le travail du groupe lui a permis d’échangeravec ses enfants à ce sujet.

La dimension de l’accueil de l’Espace parent-enfant participe à cette fonc-tion socialisante : Marie-Hélène Devienne nous accueille et a préparé unesalle où nous attendent café ou thé, petits gâteaux : invitation à l’oralité,au plaisir de l’échange…

Il est particulièrement signifiant que nous passions du social à la psyché, del’interpsychique à l’intrapsychique. Il nous semble en effet que l’accès aulien social, comme expérience universelle du social et de la culture, dégagele sujet du poids narcissique du lien et peut l’engager vers une évolutioninterne (vs soin/thérapie).

5 4

Page 55: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Une fonction d’intériorisation - Du travail de liaison psychique au plai-sir de penser en gro u p e

Du Je au groupe, du groupe au Je : une dynamique intersubjective,une fonction de dé-dramatisation

Le point de départ est la prise de parole spontanée d’un parent, le récit depréoccupations autour d’un enfant, avec sa spécificité. En effet, un évène-ment raconté et écouté, repris, parfois commenté par l’un où l’autre parent,questionné avec empathie par le groupe, pris dans ces allers retours entrel’interne et l’intersubjectif groupal, permet l’émergence de nouveaux pro-cessus de pensée restées précédemment gelées.Le passage dynamique du cas personnel à une pensée commune et grou-pale, comme passage par la socialisation, implique l’exercice d’une certainemobilité psychique, préalable à la cessation de la répétition.Cette circulation de la parole a une fonction de dédramatisation : elle par-ticipe à revisiter ce qui s’est passé autrement, à décentrer ce qui faisait symp-tôme, ouvrant la possibilité d’inscrire un nouveau chemin de liaison entreses états internes, émotionnels et le lien interpersonnel.Pour développer la capacité de parole et de pensée affective, il faut à la foisdes sensations, des perceptions mais aussi s’orienter vers un désir d’inter-subjectivité, passer par le travail psychique de l’autre. Ce détour par l’autre,on ne peut en faire l’économie, le groupe est lieu de cette expérience.Des parents en défaut de capacité de penser le lien à leur enfant s’appuientd’autant sur le travail psychique du groupe pour réamorcer une nouvellecapacité de penser ou d’interroger le lien familial.En prenant le temps de raconter et d’être entendu, soutenu, le parent sedégage de pensées mortifères au profit d’un réinvestissement pulsionnel,affectif du lien envers leur enfant.

Nos interventions : une fonction liante et transformatriceNotre place se distingue fortement de celle instituée par un cadre théra-peutique, et la qualité de nos interventions également (nous n’utilisons nila scansion, ni l’interprétation).En premier lieu, notre rôle consiste à instaurer une enveloppe d’écoute, pro-tectrice et pare-excitante vis-à-vis de l’envahissement anxiogène de récitsdouloureux. Nos interventions, au profit du groupe ont pour fonction decontenir et de métaboliser les angoisses archaïques qui ressurgissent lors demouvements de régression afin de permettre l’organisation d’un mondeinterne plus solide et cohérent. Cette fonction transformatrice des affectset des non-représentations, (référence à la fonction alpha de Bion) est toutà fait centrale pour l’activité de pensée et les liens affectifs du groupe. Elletempère les attaques de la crudité du réel ou des projections « je pense qu’unjour il pourrait me frapper », et sollicite des possibilités de secondarisationdes affects et pensées restées en suspens.Notre priorité est de laisser la parole aux parents mais nos interventions sontdes invitations à ouvrir le questionnement, à mettre en perspective le symp-

5 5

Page 56: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

tôme, (il s'agit de passer de la plainte répétitive à la pensée) mais égalementde repérer ce qui peut être repris dans un intérêt groupal, en restituer uneproblématique pour le groupe. Une pensée commune dans laquelle cha-cun puisera à sa façon et à son rythme ce qui pourra émerger par analogieou association. Aussi la mise en pensée collective implique-t-elle de suppor-ter et de renoncer à une relation duelle moi-le groupe, ou moi–les deuxintervenants ainsi qu’à la jouissance sous-jacente d’une exposition du drameindividuel, de la captation imaginaire de l’autre. Là encore, notre présencepeut venir fait césure et proposer une autre orientation du discours, miseau service de la dynamique du groupe.

De façon très spontanée et très attentionnée, la parole du groupe forma-lise et organise l’émotionnel, elle n’hésite pas à émettre des hypothèses làoù il y avait incompréhension ou blanc de pensée. Parfois, les parents ne seprivent pas d’interprétation sauvage ! Interprétation dont on aurait été àmille lieux d’«oser » poser…. Tant ce n’est ni le cadre, ni le moment psychi-q u e ! et curieusement, cela est communément bien supporté, ne fait pasde dégât. Au pire, cela tombe à côté (le participant ne la saisit pas). Le carac-tère juste ou non de ces interventions n’a aucune importance… Celles-ci ontprincipalement une valeur dynamique de mise en sens groupal, de relanced’une intentionnalité de pensée.

Créer « une capacité de rêverie individuelle » (Bion) et collective : le plaisir de penser en groupe !

Nous faisons régulièrement l’expérience que l’activité de penser en groupefavorise une meilleure perception pour chacun de sa réalité psychique etque cet accès à un espace de représentation élargi soutient une nouvellecapacité d’association et de souplesse de la vie interne personnelle (des mou-vements moins mortifères). En effet, le discours narratif ou associatif d’unparticipant permet à un autre la mise en représentation des affects doulou-reux restés en suspens ou lui crée une possibilité de nouvelles chaines asso-ciatives.

C’est donc bien moins le contenu, les évènements en tant que tels qui fontintérêt pour le groupe, mais l’effet de résonnance qu’ils produisent et pro-curent. Ainsi le disait très clairement un participant : « Ce n’est pas vos his-toires qui m’ont aidé, et pourtant en repensant à tout ce que vous disiez,cela a été terriblement riche, cela me faisait d’un seul coup penser à pleinde choses par rapport à mon fils » .

En associant spontanément, à différents niveaux, à partir de différentspoints de vue, comme parent d’un autre enfant, ou comme enfant de leurparent s’ébauche, sur fond de rêverie commune, l’intériorisation d’un bonobjet-parent. La permanence de cette intériorisation est précieuse tant ellesoulage du poids narcissique du lien par la distance instaurée avec le fan-tasme, particulièrement lors des moments de tensions.

5 6

Page 57: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Une conflictualisation interne collectiveEn prenant appui sur des faits concrets, des situations précises, le parentpeut s’interroger sur sa propre capacité à conflictualiser.Permettre aux parents d’exprimer leurs difficultés comme les plaisirs qu’ilspeuvent éprouver consiste à laisser la place à l’ambivalence, c'est-à-dire auxpossibilités de conflictualisation amour/haine, de signifier le plaisir et lacrainte conjointes de voir l’enfant grandir et s’éloigner.

Le travail de penser en groupe permet de déplacer le conflit interrelation-nel, ou parfois de façon plus primaire, la projection, en une conflictualisa-tion interne collective, ce qui est moins inquiétant (on en prend ce que l’onveut…). Cet effet de dégagement et de portage groupal que propose lapensée en groupe vient favoriser les processus de liaisons là où la blessurenarcissique provoque un sentiment de désintrication, le vide (ou empêche-ment) de la pensée. Travail de secondarisation. Par ailleurs, le groupe ouvreun espace potentiel de désaliénation des identifications, morales, idéolo-giques, surmoïques permettant la reprise d’une capacité subjective de juge-ment critique.Le plaisir de penser en groupe est tangible, il est parfois l’objet d’une véri-table découverte, la famille n’ayant pas toujours pu initier ou perpétuercette possibilité. De plus, nous constatons la très grande solitude des parti-cipants. Solitude des familles monoparentales, solitude face au deuil, à lamaladie, ou face à un conjoint « absent », au déracinement, à l’isolementsocial. Difficile de clôturer à l’heure et de mettre un terme à cette activitéde penser en groupe, de créer et de partager ! Quitter le groupe, c’est repartir seul mais habité de ce qui s’est échangé encontinuant à le maintenir vivant en soi.

D i fférenciation des espaces et acte de refoulementContrairement à l’idée reçue ou aux a priori avec lesquels arrivent lesparents, le groupe n’a pas pour but « de créer du lien » avec leurs enfants,un meilleur lien, supposant qu’ils seraient « meilleurs » parents... Au cours du déroulement des séances, le lien familial et social se questionneet se pense, en premier lieu, du côté de la séparation et de la différencia-tion de façon multiple : la séparation des espaces psychiques, avec l’explo-ration des limites entre le dedans et le dehors, le moi et le non moi ; la suc-cession des séparations avec les enfants, de la naissance à l’âge adulte ; laséparation avec le groupe vécu comme temps idéal.

Dans le cadre du groupe de parent, parler n’équivaut pas à tout dire de soiet pour l’autre (contrairement au cadre d’une thérapie individuelle). Celaimplique une différenciation des espaces publiques, privé et de l’intime,une différenciation entre ce qu’il en est de son histoire infantile, histoirefamiliale, conjugale, une reconnaissance de la différence des places de cha-cun dans la filiation. Ex : (parent ne se tenant qu’à l’évocation envahissante, répétitive et détail-

5 7

Page 58: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

lée des difficultés du couple, de l’incapacité du père - à la place des effetsde ce point de vue sur la relation aux enfants- venait, dans le discours, met-tre le père en place du mauvais enfant de la mère).Le groupe est l’occasion d’un travail de dé-confusion des cadres, et des pla-ces de chacun dans la filiation, en pointant l'aspect dissymétrique de la rela-tion parent-enfant. Il s’agit d’échapper de la confusion sur le plan imagi-naire pour se tenir aux places et fonctions symboliques.

Par ailleurs, tenir les principes éthiques, tels que confidentialité et « absti-nence de jugement », comme tenir compte des espaces différenciés exigel’exercice du refoulement de façon récurrente. C’est à ce titre que la propo-sition d’entretien individuel avant le démarrage du groupe et à l’issue decelui-ci s’est progressivement imposée. Cet entretien est l’occasion de par-tager, dans un cadre plus restreint, certains éléments personnels qui enva-hiraient la psyche du parent mais qui n’auraient pas pour autant leur placedans l’exposition au groupe. L’entretien donne parfois lieu à l’expressionde la violence du réel. Il est au minimum un sas de décompression, au mieuxl’occasion de nouvelles possibilités de narration et d’historisation. Ce dispo-sitif indique aux participants l’emboitement des espaces de paroles diffé-renciés et commence à les organiser.

Des mouvements de régression et de désidéalisationInterroger le lien à son enfant vient immanquablement faire resurgir l’in-fantile en chacun des parents mais également constater l’inévitable ratagepar rapport à l’idéal parental, les effets de violence qu’occasionnent les liensfamiliaux (contrastant avec l’idéologie de l’amour parental et familial) etcomment l’idéal de la famille repose sur la haine inconsciente infantile.Régression temporaire, désidéalisation, renoncement aux croyances ancien-nes -socles de l’image de la famille-, ne se font pas sans douleur, et senti-ment de perte inquiétant.

Notre rôle est de soutenir ces mouvements « dépressifs » transitoires ou decontenir les possibles mouvements d’attaque et de haine que peut traver-ser le groupe pour les rendre appréhendables par les participants afin quela haine ne vienne pas en place de l’idéalisation. (Exemple de deux mèresqui après avoir relaté leurs relations très conflictuelles depuis leur enfanceavec leurs parents, aux prises avec des sentiments de haine toujours intac-tes, s'étonnent de pouvoir le dire aujourd’hui sans se sentir coupables).Soutenir le narcissisme des parents vient alors alléger les effets d’une culpa-bilité impérieuse également à l’œuvre.Cette étape est un temps préalable à la reconstruction d’un parent « s u f f i-samment bon », à l’assouplissement des exigences surmoïques, à la restau-ration d’un autre savoir, latent.

5 8

Page 59: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

C o n c l u s i o n

Au regard de la dynamique du travail en groupe sur la vie psychique desparticipants et du maniement du lien transférentiel, il est sans conteste quele groupe « Entre parents » a des vertus thérapeutiques au sens d’allége-ment de l’angoisse et de la culpabilité, de réaménagement des capacités deliens internes et avec les autres, de dégagement. Il est un véritable plaisir dedémarrer chaque groupe et de l’accompagner dans ce cheminement tou-jours singulier. Nous avons la conviction que cette approche de « la psycha-nalyse mine de rien » permet un déploiement du sujet-parent au profit deleurs enfants ainsi qu’une réconciliation avec soi-même et le lien social.« La psychanalyse mine de rien » vient nourrir notre travail de consultationindividuelle et familiale dans nos pratiques plus quotidiennes.

La vocation de ce groupe est d’accueillir davantage de parents vivant desparentalités partielles, du fait de placement judiciaire en famille d’accueilou en internat, du fait de problématique sociale ou psychiatrique ; d’ac-cueillir des parents ayant des enfants avec des troubles majeurs de la rela-tion (dits troubles envahissants du développement). Leur trop faible pré-sence doit nous interroger sur les indications faites et sur les « a priori » desparents à avoir leur place dans un tel groupe. Des perspectives à venir pourpoursuivre notre travail.

5 9

Page 60: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Au vendredi des pères, un espacecollectif pour élaborer I n t e r v e n a n t : Gérard LUROLM o d é r a t e u r : Bruno JARRY

6 0

Journal d’un psychanalyste de Serge Tisseron© Calmann-Lévy, 2003

Page 61: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Il y a 5 ans m’avait été demandée une conférence en Haute-Loire, où monpère est enterré, sur Pères d’hier et pères d’aujourd’hui. J’ai du moi-mêmeapprendre à me situer en tant que fils, père, beau-père, grand-père. J’aiouvert, en co-animation avec des directrices de crèche, un atelier pour lesparents des enfants des crèches de l’Emblavez. Y sont venus des hommes etdes femmes. Et il y a 6 ans, j’ai animé à l’Espace Parent-Enfant, un atelierpour les parents, thématique celui-là, ou venaient pères et mères.

Par ailleurs, philosophe de l’éducation soucieux des psychologies de la per-sonne, et psychopédagogue formé à l’écoute analytique, j’enseignais enFaculté d’Education, créais et animais des groupes d’analyse des pratiquesde Conseillers d’Education, de formateurs, co-animais des groupes de recher-che « Penser ensemble avec… », intervenais dans des DESS de médiationfamille-école, ainsi que dans des groupes d’échanges…Je voyais émerger les problèmes parentaux dans les compositions et recom-positions familiales, percevais, cherchais à comprendre la souffrance desenfants, des adolescents, des adultes, en famille, à l’école, dans le corpssocial, écoutais des professionnels de l’enfance, de la petite enfance, desadolescents, des adultes, et cherchais à comprendre les positionnementsdes parents, des enseignants, etc…

Je suis, depuis longtemps, un convaincu de la nécessité d’une éducationparentale et d’une formation des enseignants à l’éducation et j’ai cherchéà comprendre ce qui s’est passé dans les champs sociaux ou familiaux pourque l’on soit passé d’une société patriarcale d’avant les années 60 à unesociété dite « sans pères ».

Pourquoi les pères ?Les pères qui venaient aux ateliers parents étaient aussi minoritaires que lesprofessionnels inscrits en Licence et Maîtrise de Sciences de l’Education (1/5).Sur 140 personnes venues en 6 ans à l’atelier parents, il y a eu 33 pères.

Ils s’exprimaient sur leurs positions éducatives diverses et variées en pré-sence des mères, mais ce sont elles qui s’exprimaient d’abord, qui amenaientdes situations, qui parlaient d’elles en tant que mères, qui faisaient les liensentre le vécu de leur maternité et leur vécu de petite fille par rapport à leurspropres parents. Les pères parlaient de leurs enfants dans les situations évo-quées par les mères, très peu semblaient oser vraiment leur parole de pèreet attendaient surtout que les mères parlent avant de prendre la parole. Ilsétaient globalement plus silencieux que les mères présentes.Concernant l’éducation des enfants, si les pères attendaient que les mèresparlent pour oser leur propre parole, cela les renvoyait-il, en présence desmères, aux comportements de leur propre mère quand elle leur parlait entant que fils ou qu’elle parlait d’eux aux autres mais devant eux, ou biencela les renvoyait-il au silence de leur père ?

6 1

Page 62: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Je me disais que l’un n’excluait pas l’autre et sans doute interagissait en eux.Mais lorsque je les sentais s’appuyer sur mon écoute ou mon regard lorsqu’ilsprenaient la parole, je ne pouvais pas ne pas me dire qu’ils en avaient besoinpour légitimer leur parole d’homme prise en tant que père dans un atelier.J’ai fini par me dire que les pères avaient peut-être besoin d’un lieu où separler entre eux en tant que tels et j’ai eu envie d’essayer.Par ailleurs, j’étais curieux de voir comment les pères parleraient entre euxde leurs enfants sans qu’il y ait des mères des enfants des autres (car dansl’atelier parents rares ont été ceux qui sont venus en couple parental, mêmes’il y en a eu) et surtout comment ils parleraient d’eux en tant que pères àd’autres pères. Je n’ai pas fermé aux pères les ateliers parents mais j’ai ouvert un atelierpour les pères sur le même mode : thématique. Ils étaient donc invitéscomme, par ailleurs, aux ateliers parents. Or, dès que l’atelier pères a étéouvert, ils ne sont pas venus à l’atelier parents qui s’est transformé de factoen atelier des mères. Par ailleurs, des pères qui n’avaient jamais fréquentél’atelier parents sont venus à l’atelier des pères.Cela correspondait donc bien à un besoin, d’autant plus que la fréquenta-tion de l’atelier a augmenté dès la première année, des pères amenant desamis, pères eux aussi bien sûr, mais également poussés par leur épouse ouleur compagne qui leur disait : « tu ferais bien d’aller aux ateliers pères, çate ferait du bien, à moi et à tes enfants aussi » (sic).En deux ans de fonctionnement d’atelier, 18 pères au total sont venus,d’âges différents (de 27 à 55 ans), de professions diverses, d’enfants d’âgesdifférents (de 0 à 25 ans), de situations différentes (mariés, divorcés, rema-riés, pacsés, concubins). 8 d’entre eux sont venus régulièrement.

Dans les ateliers, des pères sont en âge d’être les frères ou les fils des autres,et cela jouera beaucoup dans les échanges et les manières dont ils se situentles uns vis-à-vis des autres. C’est dans la relation que cela tisse entre eux quel’approche de leur paternité et de leur filiation se révèle et cela déplace ledialogue intérieur qu’ils continuent d’avoir avec leur père et leurs fils. Selonles âges, les cultures, les situations familiales, la manière dont ils ont vécu,enfant, leur relation à leur père et dont celui-ci a vécu la sienne avec sonpropre père, les pères sont dans des myriades d’attitudes liées à des vécuset des représentations différentes, de la paternité en général et de la leuren particulier. La fonction paternelle aujourd’hui semble s’assumer ou nondans des modes d’être très différents. Mais les modes de reconnaissanceentre eux se font par rapport aux âges des enfants. Ils sont curieux de savoircomment les autres s’y prennent avec des enfants du même âge (quels quesoient les âges des enfants, mais plus particulièrement par rapport des ado-lescents).

Ils sont par ailleurs inquiets de l’avenir de leurs enfants. Ce fut même unepremière découverte dès le premier atelier : c’est de cela dont ils ont discutétout le temps la première fois, comme si se retrouver entre pères (qui ne se

6 2

Page 63: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

connaissaient pas) ouvrait la vanne d’une inquiétude longtemps contenue,ou plutôt et en tout cas, comme si c’était leur premier terrain d’entente,d’écoute et de parole, de reconnaissance de leur responsabilité paternelle. C’est leur rôle social de père par rapport à l’avenir professionnel de leursenfants qui a constitué entre eux leur premier mode d’échanges et leur pre-mier canal de communication, là où ils se sont d’abord entre eux sentis àl ’ a i s e .

C’était frappant par rapport à ceux que je connaissais de l’atelier parentsoù, suite aux femmes qui s’exprimaient en tant que mères, ils avaientéchangé d’abord sur le mode éducatif familial quotidien, sur le comments’y prendre avec leurs enfants et écouter comme les autres s’y prenaient.Mais au fur et à mesure des ateliers pour les pères, l’intériorisation de leurregard et leur implication personnelle avaient lieu sur la manière dont ilséprouvaient leur paternité et la manière dont ils tentaient de la dire. J’yreviendrai dans un instant. En tout cas, une fois levée la soupape concer-nant leurs inquiétudes quant à l’avenir de leurs enfants, ils acceptaient devoir davantage leurs modes relationnels avec leurs enfants et avec ceux desautres.

La deuxième découverte fut pour moi leurs manières dont ils se rendaientattentifs entre eux à ce que les uns et les autres disaient de leurs enfants.C’est comme s’ils entraient dans un échange comparatif du genre : « ah, jen’aurais pas pensé à cela si j’avais été à votre place » ou au contraire « je m’yreconnais, c’est exactement la même chose chez moi». Il y a de leur part destentatives de reconnaissance de leur propre identité paternelle en miroirou en contrepoint par rapport à l’expérience des autres.Les avis des plus jeunes sont écoutés par les plus anciens autant que leursavis sont écoutés par les plus jeunes. Il y a là de l’engendrement identitaireréciproque à la fois dans leurs inquiétudes et leurs joies de père.

Les jeunes pères disent leurs joies et leurs découvertes, font part de leurimpression d’être alliés à la mère de leur(s) enfant(s), mais souvent en se sen-tant exclus de ce qui se passe d’intime et de fort entre leur enfant et leurfemme, et ils ouvrent grandes leurs oreilles par rapport à l’expérience despères plus anciens. Ceux-ci écoutent les plus jeunes et sont attentifs à leurspropos comme s’ils retrouvaient leurs souvenirs par rapport à leurs enfantslorsque ceux-ci et eux-mêmes étaient plus jeunes. Il y a en général dans cesateliers une forte densité d’écoute des situations et des positions des uns etdes autres par rapport aux uns et aux autres.

La troisième surprise fut, pour moi, de découvrir qu’ils entraient très vite,presque tout de suite, dans l’échange de situations. Je croyais au départ quelancer les échanges prendrait un peu de temps, qu’ils attendraient de mapart une exposition ou une sollicitation de la thématique pour laquelle ilsvenaient. Pas du tout : ils y entrent tout de suite avant que j’ai dit trois mots

6 3

Page 64: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

et cela a été le cas dès le premier atelier. Ils utilisent à fond ces ateliers pouréchanger leurs pratiques paternelles. Tout se passe comme si ces échangesleur permettaient, en se représentant ces pratiques, de s’identifier dans leurpaternité. Ce n’est pas l’inverse : ils échangent peu leurs représentations dela paternité, mais ils semblent se la représenter en échangeant leurs prati-ques. C’est moins ce qu’ils ressentent ou ce qu’ils se représentent que cequ’ils font ou ne font pas qu’ils disent.

Dans l’atelier parents, lorsque les mères s’identifient en tant que mères, c’esten échangeant leurs sensations et leurs sentiments. Les pratiques maternel-les décrites étaient affectives. Les pratiques paternelles, y compris lorsqueles sentiments éprouvés sont forts, semblent s’exprimer et s’échanger endes récits moins sensitifs. Là où l’émotion surgit, c’est lorsqu’ils vivent dessituations où ils se sentent exclus soit par la mère de leur(s) enfant(s), soitpar leur(s) enfant(s), ils éprouvent alors leur paternité dans le manque, sontdésemparés ou sont en colère.

Tous éprouvent et disent l’ingratitude du rôle de père, surtout lorsqu’ilssont dans des situations où ils ont l’impression que les mères veulent gar-der leur(s) enfant(s) pour elles seules et, en quelque sorte, ne le leur « don-nent » pas, y compris lorsqu’elles se plaignent qu’ils ne s’en occupent pasautant qu’elles le souhaiteraient.

4ème découverte : l’affirmation du rôle paternel dans le couple parentalsemble aller de pair avec l’affirmation du rôle d’homme par rapport à lafemme dans le couple conjugal (quel que soit le mode de la conjugalité). Ilserait possible de le décliner sous des aspects différents :- une masculinité timorée par rapport à une féminité puissante sembleinduire ou être le signe de paternités écrasées, de même qu’une masculi-nité puissante par rapport à une féminité inosée semble induire des pater-nités écrasantes.- une paternité puissante par rapport à une maternité timorée sembleinduire ou être le signe d’une féminité écrasée de même qu’une féminitépuissante par rapport à une masculinité inosée semble induire des mater-nités écrasantes. Mais il y a, semble-t-il, aussi d’après mes observations et mon écoute dansles ateliers des pères, des paternités compensatrices dans un sens ou dansun autre par rapport aux vécus heureux ou malheureux des masculinités. En clair, un homme malheureux dans sa masculinité peut être un hommeheureux dans sa paternité, mais à l’inverse, un homme heureux dans sa mas-culinité peut être un homme malheureux dans sa paternité. Ceci n’est bienentendu pas un automatisme ni une fatalité, mais cela existe, surtout chezles pères vivant dans des familles recomposées. C’est vrai aussi pour les femmes dans la relation qu’elles entretiennent entreleur féminité et leur maternité quand elles sont dans des familles recompo-sées, sauf qu’elles sont davantage dans des situations où les enfants sont

6 4

Page 65: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

avec elles. Le vécu des affects ne circule donc pas de la même façon.

5ème découverte : les pères entre eux sont aussi intarissables sur leur pater-nité que les mères entre elles sur leur maternité, à la différence près qu’ilsont besoin d’un espace sécurisé et fiable pour eux qu’ils semblent savoirmoins créer au quotidien que les mères entre elles. Tout se passe commes’ils avaient besoin que quelqu’un le crée pour eux. Quand ils l’ont repéréet qu’ils y viennent, ils l’utilisent à plein régime.

Voici un petit tour d’horizon de loin non exhaustif de ces ateliers depuisdeux ans. J’attends l’expérience de cette troisième année pour élargir lechamp de mes observations et voir quelle(s) tournure(s) ils vont prendre.Mais, dès à présent, je peux dire que non seulement je suis convaincu deleur utilité, tant les besoins sont immenses d’expression, d’échanges de cespratiques. Ils viennent un peu en curieux dans ces ateliers, mais jamais enspectateurs. De différentes manières, ils s’impliquent assez vite en fait, maispas forcément sur le thème proposé, qui leur sert d’accroche, mais où ils par-tent facilement sur tel ou tel autre, selon l’expérience qu’ils ont, ou leurssoucis du moment. Il est probable qu’il en sera de même pour les thèmesdes ateliers en cours.

La présentation globale des ateliers est, exprès, très générale sur la plaquettede présentation de l’Espace Parent-Enfant :Depuis 40 ans, la situation des familles en général, et des pères en particu-lier, a beaucoup changé. Comprendre la situation des pères aujourd’hui,quels que soient leurs âges, donne une idée sur la manière dont l’exercicede leur paternité est facilité ou empêché. Qu’est-ce donc qui fait qu’un pèreest un père ? Quelle est la fonction du père dans l’éducation d’un garçon etd’une fille ? Les pères sont conviés à échanger à partir de ces questions pourmieux comprendre leur paternité et leurs manières de l’exercer.La méthode est simple : lorsqu’un père parle, on l’écoute et on se branchesur la situation qu’il évoque, on ne se juge pas, ce qui est dit ici n’ira pas nomi-nativement à l’extérieur, chacun se sent libre dans son silence et sa parole.Et ça marche …Sept rencontres annuelles sont prévues cette année. Au cours de la premièreséance qui portait sur « qui fait la loi à la maison : le père, la mère, lese n f a n t s ? », le 3 octobre dernier, les 4 pères présents (deux de 50 ans, deuxde 40 ans) ce soir là ont beaucoup écouté l’un d’entre eux et échangé aveclui à partir de la souffrance paternelle qu’il décrivait de se sentir mis à l’écartpar ses enfants et par leur mère.

Les situations évoquées sont souvent souffrantes. Là où les pères se viventcomme démunis par rapport à l’éducation de leurs enfants c’est là où l’ex-périence de leur propre père, tout en constituant une référence, leur est demoindre utilité pour affronter les problèmes nouveaux auxquels leursenfants les confrontent et qui ne sont pas les mêmes du tout que ceux qu’ils

6 5

Page 66: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

ont connus étant enfants. Les pères en fait sont en recherche d’attitude etd’orientation dans l’ensemble des situations mouvantes qu’ils vivent : per-sonnelles, conjugales, familiales, professionnelles, économiques et socialesoù, depuis 20 ans, tous les repères ont bougé. Il convient donc de repérer àtous les sens du terme : inventer des horizons et des balises, générer et re-générer du père en ces pères.Ils en ont besoin en effet. Leur temps professionnel est important mais ilsconsidèrent que çà fait partie de leur rôle paternel et familial. De même, ilsconsidèrent le travail de leur compagne comme normal et ils se situentdavantage en termes de partage des tâches qu’aux époques précédentes,même si la répartition est encore de loin très inégalitaire. Et cela ne concernepas seulement les plus jeunes. La répartition des sexes et des âges des enfants dont ils parlent et dont ilsse sentent la responsabilité paternelle est, jusqu’à présent, la suivante :• 9 bébés (4 garçons, 5 filles)• 16 enfants de 2 à 11 enfants (16 garçons, 14 filles)• 24 adolescents de 1é à 18 ans (12 garçons, 12 filles)• 11 jeunes adultes de 18 à 24 ans (2 garçons, 9 filles)

soit au total : 34 garçons et 40 filles.

Nous pourrions le dire ainsi :Pour les pères venus jusque là aux ateliers, les problèmes qu’ils se posent,les soucis qu’ils ont, les responsabilités dont ils parlent concernent autantles garçons que les filles lorsqu’ils et elles sont bébés, sont enfants et sontadolescents. Les pères semblent avoir besoin de parler davantage de leursfilles que de leurs garçons lorsqu’ils et elles ont entre 18 et 24 ans, parcequ’ils se sentent exclus des échanges féminins que les filles ont avec leurmère à cette période là. C’est là où ils s’éprouvent exclus des confidences etoù ils sont comme obligés de considérer leur(s) fille(s) comme femme(s) quiont besoin de leur père sur un autre mode que celui de la proximité : c’estun autre homme en général soit qu’elles ont rencontré, soit dont ellesrêvent, qui leur donne une reconnaissance d’elles-mêmes en tant que fem-mes.

Lorsqu’ils parlent de leur bébé, ils ne savent pas bien exprimer les sensationsqu’ils éprouvent à devenir père et demandent à ceux qui ont des enfantsplus grands comment c’était pour eux lorsqu’ils étaient dans les premiersmouvements de leur paternité, comment « ça s’était passé» pour eux. Ceux-ci s’en souviennent un peu et leur disent de ne pas trop s’inquiéter, que lapaternité s’étoffe en se vivant, et cela semble conforter les uns et les autres.Autrement dit, ils se paternent ensemble en parlant bébé. Si je compare là avec les hommes qui participent aux ateliers des parentsdes enfants des crèches de l’Emblavez en Haute-Loire, ceux-ci demandentaux mères présentes parlant bébé ce qu’elles éprouvent et cela exerce sureux une fascination spéculaire, comme s’ils voulaient, à travers les parolesdes mères, retrouver leurs propres sensations de bébé avec leur propre mère.

6 6

Page 67: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Les jeunes pères parlant de ce qu’ils éprouvent à des pères un peu plus âgésqu’eux (les âges s’étalent entre 27 et 55 ans : 3 sont entre 27 et 35 ans, 9 sontentre 35 et 45 ans, 3 sont entre 45 et 50 ans, 4 sont entre 50 et 55 ans) sonttouchants comme de jeunes hommes timides mais décidés, prenantconscience de leurs responsabilités et ne sachant pas comment faire pouraider au mieux leur femme. Le contact qu’ils ont avec leurs bébés est tamisépar la relation qu’ils ont avec la mère de leurs enfants. La période d’enfancequi semble la plus facile pour eux est entre 3 et 12 ans, sauf pour ceux quisont séparés ou divorcés et qui ne vivent pas au quotidien avec leur(s)enfant(s) : c’est une période très pénible pour eux car ils ont l’impressionque tout leur échappe. Ce sont eux qui se posent le plus de questions sur la « gestion » de leur pater-nité. La période d’adolescence n’est facile pour aucun d’entre eux, mais elleest plus difficile à vivre avec les garçons qu’avec les filles et je crois avoirremarqué que si les garçons luttent avec leur père, les filles se rapprochentd’eux tout en s’éloignant de leur mère, sauf lorsqu’elles ne supportent pasleur belle-mère ; c’est-à-dire la seconde femme de leur père : le père alorsaussi tenu à l’écart que celle-ci.

Les pères semblent se sentir plus à l’aise avec leurs garçons lorsque ceux-cise tournent vers les études ou vers une profession, ils se mettent alors à lessoutenir et les encourager pour qu’ils réussissent, même lorsqu’ils conti-nuent d’être critiqués. Ils sont plus mal à l’aise avec leurs filles et, se mettantà l’écart par rapport à leur féminité, ils se sentent en même temps exclus deleurs univers confidentiels et ont du mal à faire le deuil de l’enfance de leursfilles. Mais le plus pénible pour eux, et cela concerne tous les âges des pèreset des enfants, c’est lorsque la mère de leurs enfants ne leur donne pas l’au-torisation d’être pères. D’après ce que j’entends, c’est un phénomène quine semble pas être rare.

Florilège de paroles de pères :« C’est comme si notre expérience ne servait à rien » dit un père de 46 ansen difficulté avec ses 3 adolescents. « On ne profite pas l’un de l’autre » ditun père de 45 ans de son adolescent de 14 ans. « l me met en quarantaine »(c’est joli d’entendre cela de sa bouche d’homme de 45 ans). « On est mal-heureux de se quitter » dit un père divorcé de 39 ans parlant de ses deuxadolescents de 15 et 11 ans et de sa fille de 9 ans, après un week-end passéavec eux (il les voit tous les quinze jours). Il n’y a pas de conclusion à cette petite présentation d’ensemble.L’expérience est en cours et je n’ai pas l’intention de la lâcher de sitôt. J’aiarrêté en 2008 l’atelier parents à Issy-les-Moulineaux. Il a duré 6 ans, du 5décembre 2002 au 29 mai 2008. Il y a eu 33 ateliers sur 33 thèmes différents,avec au total 140 participants dont 33 pères. Il y aurait beaucoup à en dire. Peut-être en ferai-je un jour un écrit un peuconséquent pour faire part de cette expérience, mais j’ai besoin de recul etaussi de temps pour l’écrire. Trois raisons ont présidé à ce choix indépen-

6 7

Page 68: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

damment du fait qu’il était moins fréquenté la dernière année :1/. Des ateliers nouveaux se sont mis en place à l’Espace Parent-Enfant d’Issy-les-Moulineaux après le déménagement des locaux et le ré-emménage-ment dans de nouveaux locaux. Il fallait en favoriser l’émergence.2/. L’atelier des pères émerge lui aussi et exigeait un investissement spécifi-q u e .3/. Je mets en place depuis octobre un Café de l’Education et la premièrerencontre a eu lieu avec 60 personnes. Parents et professionnels sont au ren-dez-vous. J’y retrouve quelques mères et pères ayant participé à l’atelierparents. Les autres rencontres ont lieu une fois par mois.

6 8

Page 69: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

A m é l i o rer la qualité de la relation avecnos enfants, une condition pour le dialo-gue familialI n t e r v e n a n t s : Véronique ANDRES et Christian VIDALM o d é r a t r i c e : Anne DUFOURMANTELLE

A m é l i o rer la qualité de la relation avec nos enfants, une condition pourle dialogue familial

Les objectifs et thèmes des ateliers portent sur la communication intrafa-miliale et non sur les choix éducatifs ou sur les pratiques pédagogiques desparents. On s’intéresse à « comment » ça communique entre les membresde la famille, et non au « pourquoi » chacun se comporte comme ci ou vittel problème… Accueillir les témoignages et les questionnements est incon-tournable, mais il n’est pas prévu d’y répondre dans ce cadre ou d’analyserles situations présentées.

6 9

Journal d’un psychanalyste de Serge Tisseron© Calmann-Lévy, 2003

Page 70: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Qu’est-ce qu’améliorer la qualité de la relation ?

Cet objectif d’amélioration implique, de façon implicite, que la relation peutêtre difficile, décevante, voire défectueuse, et que les parents viennent moti-vés à la faire progresser, au moyen d’un repérage des mécanismes de com-munication qui occasionnent ou renforcent les difficultés, puis d’un entrai-nement à développer de nouveaux comportements facilitateurs de la rela-t i o n . .Une représentation de la communication idéale en famille est au cœur desmotivations, et la première rencontre vise à la mettre à jour, pour démysti-fier le rôle des ateliers dans la quête du « parent parfait »… Il importe depointer d’emblée ce risque, et de redéfinir des objectifs modestes, person-nalisés, au service du respect mutuel et non d’un fantasme d’harmonie fami-liale… Les premiers échanges dans le groupe visent à relativiser : la rela-tion est complexe, nous ne pouvons pas tout mettre à plat, et les tensionset conflits sont inhérents à la vie collective, d’autant plus dans une celluleaffective comme le couple, la fratrie, la famille. Ce n’est pas facile de coha-biter, de s’accepter différent au sein du même foyer, même uni par l’amour! Il est hélas connu qu’on peut s’aimer beaucoup et mal communiquer.

Renforcer la compétence de communication des parents est un but à courtterme pour développer leur aisance dans les échanges, mais avec un enjeuéducatif à moyen et long terme : car la famille est le premier lieu d’appren-tissage des relations humaines pour nos enfants. C’est donc au quotidienchez lui que l’enfant s’initie au respect mutuel, et même avec des adoles-cents, il n’est pas trop tard pour s’exercer ensemble...Il s’agit donc de chercher ensemble des gestes et paroles qui apaisent lestensions au lieu de les exacerber, mais sans les nier. Le dialogue ne vise pasl’évitement des conflits mais leur dépassement respectueux et constructif :les divergences de désir peuvent être parlées, les valeurs peuvent être expli-citées pour donner du sens à ce qu’on traverse, et les confrontations sontdes occasions d’apprentissage de la coopération.

Ce qui se passe et qui fonctionne dans ces ateliers

L’intérêt de la parenthèse réflexive que représentent les ateliers, est expriméfréquemment par les parents participants : ils apprécient cette prise de reculpar rapport au quotidien. Cet espace d’échanges de pratiques est une occa-sion précieuse de distanciation : c’est justement ce qui manque dans la viede famille réduite par le temps de travail et accaparée par le domestique.Le premier intérêt des séances, et ce dès le démarrage, est donc d’amenerles parents à considérer d’une autre façon ce qui se vit à la maison. Sans seculpabiliser davantage, il s’agit juste de montrer plus de vigilance, avec unautre regard et une autre oreille, pour observer ses propres manières defaire, s’interroger sur l’impact des attitudes devenues automatiques, sur lesréponses spontanées faites aux enfants : est-ce vraiment ce que je veux leur

7 0

Page 71: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

communiquer ? Qu’est-ce qu’ils peuvent vraiment comprendre ?

Pour comprendre ce qui se passe, repérer les règles du jeu qui se mettenten place à l’insu de chacun et déjouer certains pièges, quelques éclairagessur le fonctionnement de la communication interpersonnel sont utiles, maisce sont ensuite des suggestions techniques dont les participants ont besoinpour reprendre confiance.L’objectif est d’occasionner des modifications même mineures dans les pra-tiques de communication lorsque, selon les dires des parents, ça coince, çatourne en rond, ça n’aboutit à rien d’autre qu’un sentiment d’incompré-hension, d’échec, d’impuissance… Un petit changement peut jouer un rôle déterminant dans l’évolution desrelations : oser une autre réaction que celles de l’habitude, s’autoriser àexprimer une émotion ou au contraire, réprimer une parole impulsive, pren-dre le temps de réfléchir à une réponse appropriée, s’offrir un moment pri-vilégié avec l’un des enfants pour se parler, etc... Autant d’initiatives, bana-les pour les uns, qui s’avèrent salvatrices pour d’autres.

Impact de l’apport technique « écoute active »

Conformément aux objectifs annoncés, les ateliers proposent une sensibi-lisation à un dialogue familial à la fois respectueux et constructif, par l’ap-prentissage de comportements facilitateurs tels que l’écoute. Il est connu que l’écoute est essentielle, et la plupart s’y efforcent sincère-ment. Pourtant, les enfants ne se sentent pas toujours écoutés. Parfois leparent écoute trop, et confond l’écoute avec l’acceptation ou l’approba-tion. À l’inverse, il arrive que son exigence, essentielle à l’éducation, se mani-feste avec excès, rigidité et sans plus aucune écoute. S’il y a une voie de pro-grès, elle se situe dans le renforcement des deux savoir-faire (savoir écou-ter pour comprendre et savoir s’affirmer pour se faire comprendre) et dansla capacité d’ajustement aux besoins de l’enfant selon la situation.

Alors que souvent, la motivation évoquée au démarrage se porte vers lesthèmes de l’autorité, de l’affirmation de soi, des règles et limites, c’est pour-tant le thème de l’écoute qui est retenu comme le plus interpellant, etreconnu par les participants comme le plus fructueux lors du bilan. S’il estrare que les parents annoncent leur difficulté à écouter comme raison deleur inscription, une prise de conscience lors des exercices de la premièreséance dissipe cette méconnaissance : les bonnes intentions ne suffisentp a s !

L’apprentissage de l’écoute est prépondérant car c’est cette compétencequi autorise et facilite les autres pratiques en instaurant un état d’esprit decompréhension, de vigilance bienveillante… Ecouter n’est pas accepter, ladifférence est de taille, mais la dimension empathique, donnée comme prio-ritaire, aide le parent à s’ajuster à l’enfant, justement lorsqu’il exerce sa fonc-

7 1

Page 72: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

tion normative. Se sentir plus apte à accueillir un chagrin, à comprendre unefrustration, à canaliser une colère, peut lui donner plus d’assurance pourposer un cadre et rester ferme face à une transgression. Pour ne pas confon-dre l’éducation et l’amour, mais les associer.

7 2

Page 73: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

C o n f é r e n c e

Adolescence et parentalitéIntervenant : Philippe JEAMMETModérateur : Caroline ELIACHEFF

7 3

Journal d’un psychanalyste de Serge Tisseron© Calmann-Lévy, 2003

Page 74: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Hier comme aujourd’hui, les adolescents sont nos miroirs. Les problèmesdes adolescents sont en rapport avec la société et avec les adultes de leurgénération. Dans la période actuelle, on observe une tendance à la dérision, au déni-grement, à la perte de valeurs sociales dominantes.

Dans notre société plus ouverte, les jeunes sont confrontés à moins d’inter-dits. Or ce sont les interdits qui protègent le jeune, lui donnant le temps demûrir. La maxime dans la société actuelle est : « Fais ce que tu veux, maisfais-le bien». Mais on veut souvent des choses contradictoires : on souhaiteacquérir la liberté, mais en même temps, conserver la sécurité familiale.

Il existe quelque chose de vampirique dans la course à la performance et lesadolescents sont très sollicités narcissiquement dans « le meilleur ». Cettesollicitation permanente peut entraîner une forme d’auto-persécution, lagrande valeur actuelle étant la performance. L’ouverture vers la liberté s’ac-compagne d’une mise à l’épreuve des ressources personnelles.

Les liens familiaux sont très forts mais épuisants. Autrefois, l’éducation sebasait sur des phrases telles que : « Parce que c’est comme ça ». C’était bête,mais reposant. Maintenant, chaque parent doit s’auto-justifier en posantles limites et les interdits (on peut remarquer comment des interdits peu-vent s’intégrer avec l’interdiction de fumer dans les lieux publics ou lesb u r e a u x ) .Cette fonctionnalité parentale personnalise le lien qui devient un lien dedésir et entraîne une proximité explosive, et une montée en puissance dela plainte et de l’insatisfaction, qui conduit au compromis. Il n’y a plus d’au-tomatisme dans l’éducation. Il faut désormais le remplacer par autre chose,réajuster en permanence la distance et nuancer les propos.

Ce qui m’inquiète c’est la dépression des adultes. La dépression c’est l’image,pour l’adolescent, de son vampirisme face aux parents. Trop de parents sonten désarroi, partant du principe qu’ils ne veulent pas s’opposer à l’enfant.La position d’autorité des parents est à reconstruire. Il est nécessaire que lesparents s’autorisent à poser des limites, sans que cela produise quelquechose d’irréparable. Si les parents disent qu’ils veulent être parfaits, c’estqu’ils subissent le contrecoup des difficultés extérieures, mais aussi de la dif-ficulté fusionnelle. Les parents doivent être porteurs d’intérêt, d’enthou-siasme et de confrontation. La problématique actuelle est centrée sur un paradoxe. L’adolescence faitvoir la fragilité humaine et révèle les deux lignes de force : d’une part l’ado-lescent doit se nourrir des autres, apprendre des autres et apprendre auxautres, mais en même temps, il doit être lui-même. Ceux qui ne sont pas sûrsd’eux-mêmes sont en attente vis-à-vis des adultes et des autres, ressentantparfois un sentiment d’aliénation. La force de ce besoin menace leur auto-nomie naissante. Cette contradiction peut alors être vécue comme quelque

7 4

Page 75: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

chose d’insupportable, générer des peurs et introduire une désorganisa-tion. L’adolescence est propre à l’être humain, qui passe par différentes éta-p e s .

La puberté introduit un changement, induit un sentiment de passivité. Dèsqu’apparaît la notion du « sexuel », c’est l’introduction à la notion « d’in-complet », la confrontation à la différence et à un « rapproché ».L’adolescent ressent une attirance, mais cette attirance devient gênante.L’adolescent prend de la distance vis-à-vis de ses parents, ce qui entraîneune interrogation sur ses propres ressources : « Suis-je à la hauteur ? ».

Dans toutes les sociétés il existe des rites initiatiques. Tous présentent quel-que chose de violent ; cependant une violence ou une rupture vis-à-vis desparents n’est pas nécessaire pour vivre une adolescence réussie. A proposde la distance, nous pouvons observer aussi ce qui se passe chez les animauxet l’importance de la défense du territoire.

La plupart des adolescents évoluent bien s’ils ont une bonne identité. Maiss’ils se sentent en position de faiblesse, il y a conflit, et tout à la fois une peuret une fascination de la pénétration (à double sens).L’attente de l’adolescent vis-à-vis de ses parents ou des autres se transformeen pouvoir donné sur lui-même. Si l’adolescent n’est pas bien, cette situa-tion est intolérable. « Tu me prends la tête », « Ça me prend la tête ». La têteest « prise » parce qu’elle est ouverte, qu’il y a une attente. Le pire ennemi est toujours à l’intérieur de nous. L’évolution vers la sexua-lité fait exploser les relations. Des angoisses nouvelles et fondamentales sefont jour comme la peur de ne pas être vu (je n’ai pas d’importance), ou lapeur d’être vu, de l’intrusion. Quoi que l’on fasse, cela ne convient pas àl’adolescent. Prenons le « syndrome corse » : « Tu ne regardes pas ma soeur,elle n’est pas belle ? », ou alors « Tu la regardes, qu’est-ce que tu lui veux ?» .Quoi que l’on fasse, ça ne va pas.

On retrouve là, condensées, les angoisses humaines fondamentales : si l’onne me regarde pas, je n’ai pas de valeur, mais si je ne me sens pas un mini-mum suffisamment valable, et que l’on commence à me regarder, on vavoir mes failles et mes trous, je prendrai peur et je le sentirai de manière per-sécutoire. Comment sort-on de cela ? C’est là le problème majeur de la ges-tion de la bonne distance. Il faut trouver un compromis. Ce ne peut être leplaisir partagé entre les parents et l’adolescent, car on revient sur le pro-blème de la gêne engendrée par la proximité, accompagnée d’une intolé-rance au plaisir partagé. Les adolescents éprouvent le besoin d’être pris encompte, mais en même temps ne le tolèrent pas. Ils ont la sensation de nepouvoir montrer que ce qu’il y a de négatif en eux. Si on se rapproche, onpourra voir leurs manques et leurs lacunes. D’où un sentiment d’insatisfac-tion d’une part, et d’autre part une plainte corporelle (ou autre). C’est leurmanière de préserver leur indépendance. La plainte devient régulateur de

7 5

Page 76: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

la relation aux autres et permet une maîtrise. Car, quand on a du plaisir, ondépend des autres mais également du plaisir lui-même. On est confronté àla notion de finitude (ça ne va pas durer). L’avantage de l’échec, du sabo-tage de soi-même, c’est que l’on domine, maîtrise la situation. J’ai été déçu,donc je ne vais réussir en rien. Lorsqu’un adolescent dit « rien ne m’intéresse», il veut dire exactement le contraire, mais ça lui permet de se protéger. Leressenti est le même lorsqu’il y a inversion de la situation : par exemple lorsd’examens, l’acceptation de l’échec « programmé » par l’adolescent anni-hile ses peurs.

Dès qu’un adolescent commence à saboter une partie de ses potentialités,il faut réagir, poser des limites, faire une évaluation, réaménager, et faireintervenir un tiers. L’échec est un moyen de créer, de s’auto-créer. « La des-truction est la création du pauvre ». Elle est la force de celui qui ne peut passe confronter aux autres et aux aléas de la réussite. L’exemple en est donnépar le suicide : je n’ai pas demandé à naître (je n’ai pas choisi de naître), jechoisis de me détruire. Le moi en insécurité retrouve un pouvoir hors de ladépendance des autres. En tout état de cause, l’aide doit passer par des tiers.Il ne faut pas accepter la situation destructrice, mais poser des limites, deforce si nécessaire parce que l’on croit que l’adolescent a de la valeur, et qu’ildoit acquérir les bases et les outils qui lui permettront de se réaliser.

La confiance dans l’attente, la notion de liberté, sont intimement liées à laqualité de la réponse de l’autre. La mise en commun, le partage de la mêmecroyance : c’est là le fond commun de la société. Il faut réapprendre auxparents à ne pas toujours critiquer, car les adolescents ont besoin d’être por-tés par l’enthousiasme. La co-création de valeurs, de limites qui sont néces-saires, changeantes, évolutives, permet de réajuster la distance. La fusion,c’est la mort, car tout système fermé se dégrade. Il ne faut pas trop ouvrirles espaces. « Il faut fermer la chambre des parents ». On ne partage pastout. Les adolescents ont un espace à construire. Il faut faire confiance àl’enfant tout en restant vigilant, sans quoi il ne peut pas se faire confianceà lui-même. Il faut prendre des risques et ne pas être suspicieux a priori.

Les parents qui ont pu se rassurer dans leur entourage investissent leurs res-sources internes. Il faut aussi être porteur d’une envie, d’une énergie.

7 6

Page 77: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

I N T E R V E N A N T S

Véronique ANDRES, formatrice en communication à l’Espace Parent-Enfant

Annie CARO, psychologue clinicienne, thérapeute familiale à l’EspaceP a r e n t - E n f a n t

Gérard DELLUC, psychologue clinicien, psychanalyste, à l’Espace Parent-E n f a n t

Christel DENOLLE, psychologue clinicien, psychanalyste à l’Espace Parent-E n f a n t

Chantal DIAMANTE, psychologue clinicienne, psychanalyste, membre de laSociété Pyschanalytique de Paris, thérapeute familiale

Anne DUFOURMANTELLE, philosophe, psychanalyste, membre du ConseilScientifique de l’Espace Parent-Enfant

Caroline ELIACHEFF, pédopsychiatre, psychanalyste, responsable du CentreMédico-Psychologique d’Issy-les-Moulineaux, membre du ConseilScientifique de l’Espace Parent-Enfant.

Daniel GAYET, sociologue, rédacteur en chef de la Revue Internationale del’éducation familiale, membre du conseil scientifique de l’Espace Parent-E n f a n t

Philippe JEAMMET, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent,psychanalyste, ancien chef du service de psychiatrie de l’adolescent et dujeune adulte à l’Institut Mutualiste Montsouris

Bruno JARRY, directeur de l’Espace Parent-Enfant

Christine LEPRINCE, psychologue clinicienne, psychanalyste, membre de laSociété Pyschanalytique de Paris, thérapeute familiale

Gérard LUROL, psychopédagogue, psychanaliste, philosophe de l’éduca-tion à l’Espace Parent-Enfant

Marthe MARANDOLA,thérapeuthe, médiatrice à l’Institut IFOMENE

Gérard NEYRAND, sociologue, professeur à l’Université de Toulouse, mem-bre de l’équipe d’accueil Sports, Organisations, Identités (SOI), directeur duCentre Interdisciplinaire Méditerranéen d’Etudes et de Recherches en

7 7

Page 78: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Sciences Sociales (CIMERSS)Clotilde ROBERT, médiatrice familiale à l’Espace Parent-Enfant

Véronique ROUSSEAU, conseillère conjugale et familiale, intervenante d’ac-tion sociale à l’Espace Parent-Enfant

Christian VIDAL, directeur pédagogique, formateur en communication àl’Espace Parent-Enfant

7 8

Page 79: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

B i b l i o g r a p h i e

Chantal DIAMANTEEtes-vous bien dans votre peau ?, ouvrage co-écrit avec Emmanuelle Billon- Ed. Flammarion – Septembre 2005

Anne DUFOURMANTELLEEn cas d’amour : psychopathologie de la vie amoureuse– Ed. Payot – Janvier2 0 0 9La femme et le sacrifice : d’Antigone à la femme d’à côté – Ed. Denoël –Février 2007American philo : entretiens avec Avita Ronell, ouvrage co-écrit avec AvitaRonell – Ed. Stock – Septembre 2006Blind Date : sexe et philosophie – Ed. Calman-Levy – Septembre 2003Une question d’enfant – Ed. Bayard – Février 2002De l’hospitalité, ouvrage co-écrit avec Jacques Derrida – Ed. Calman-Levy –Novembre 1997

C a roline ELIACHEFFPuis-je vous appeler Sigmund ? Et autres chroniques – Ed. Albin Michel –2 0 1 0Le temps des victimes, ouvrage co-écrit avec Daniel Soulez-Larivière – Ed.Albin Michel - 2007 La famille dans tous ses états – Ed. Albin Michel – 2004Le bébé et les ruptures : séparation et exclusion, ouvrage co-écrit avecMyriam Szjer et Louise L. Lambrichs – Ed. Albin Michel - 2003La fleur du mal : suivi de qui est criminelle ?, ouvrage co-écrit avec ClaudeChabrol – Ed. Albin Michel – 2003Mères-filles, une relation à trois, ouvrage co-écrit avec Nathalie Heinich –Ed. Albin Michel - 2002Vies privées : de l’enfant roi à l’enfant victime – Ed. Odile Jacob – 1996Les indomptables figures de l’anorexie, ouvrage co-écrit avec GinetteRaimbault – Ed. Odile Jacob – 1989A corps et à cris : être psychanalsyte avec les tout-petits – Ed. Odile Jacob –1 9 8 9Peut-on faire le bonheur de nos enfants ?, ouvrage co-écrit avec PaulineBebe, Caroline Eliacheff, Alain Houziaux, Pierre Lassus – Ed. De l’Atelier –2 0 0 3

Daniel GAY E TEthique ou morale de l’éducation – Ed. du Cygne – Octobre 2009Pédagogie et Education Familiale, concepts et perspectives en sciencesh u m a i n e s– Ed. Harmattan – Octobre 2006Les pratiques éducatives des familles – Ed. PUF – Novembre 2004

7 9

Page 80: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

L’élève, côté cour, côté classe – Ed. INRP – Mars 2003C’est la faute aux parents, les familles et l’école– Ed. Syros – Novembre 1999Ecole et Socialisation, le profil social des écoliers de 8 à 12 ans – Ed.Harmattan - 1999Les performances scolaires, comment on les explique ? – Ed. Harmattan –1 9 9 7Les relations Maître-Elève – Ed. Armand Colin – 1995

Philippe JEAMMETLettres aux parents d’aujourd’hui – Ed. Bayard Culture – Février 2010Anorexie boulimie : les paradoxes de l’adolescence – Ed. Hachette Pluriel– Janvier 2009Pour nos ados, soyons adultes – Ed. Odile Jacob – Janvier 2008La souffrance des adolescents, ouvrage co-écrit avec D. Bochereau – Ed. LaDécouverte – Février 2007L ’ a d o l e s c e n c e – Ed. Solar – Novembre 2006Psychanalyses à l’hôpital – Ed. Puf – Octobre 2006Evolution des problématiques à l’adolescence, ouvrage co-écrit avec M.Corcos – Ed. Doin – Août 2005L ’ a d o l e s c e n c e – Ed. J’ai lu – Octobre 2004Adolescences, repères pour les parents et les professionnels, ouvrage co-écrit avec A. Braconnier – Ed. La Découverte – Août 2004La psycho 100% ado, ouvrage co-écrit avec O Amblard Soledad – Ed. BayardJeunesse – Mai 2004L’adolescence, réponses à 100 questions – Ed. Solar – Février 2002La boulimie, comprendre et traiter, ouvrage co-écrit avec M Flament – Ed.Masson – Janvier 2002Que transmettre à nos enfants ?, ouvrage co-écrit avec M Ferro – Ed. Seuil– Septembre 2000La psychiatrie de l’adolescence aujourd’hui, ouvrage co-écrit avec F. Ladame– Ed. Puf – Octobre 1998Les dépressions à l’adolescence, ouvrage co-écrit avec M. Corcos – Ed. Dunod– Mai 2005Anorexie, boulimie, maladies du paradoxe – Ed. Hachette Littérature –Janvier 2005D i r e, ouvrage co-écrit avec P. Gutton – Ed. Georg – Avril 1999Psychologie médicale, ouvrage co-écrit avec M. Reynaud et S. Consoli – Ed.Masson – Décembre 1997

Christine LEPRINCE SOS Enfance en détresse, Soigner avec la psychanalyse, le groupe et l’écoutef a m i l i a l e, ouvrage co-écrit avec A.M. Blanchard – Ed. Decitre – Septembre2 0 0 5

La fête de famille, ouvrage co-écrit avec A. Eiguer et F. Baruch – Ed. In Press -1 9 9 8

8 0

Page 81: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

G é r a rd LUROLEMMANUEL MOUNIER, Genèse de la personne – Ed. L’Harmattan – Octobre2 0 0 0EMMANUEL MOUNIER, Le lieu de personne – Ed. L’Harmattan – Octobre2 0 0 0

Marthe MARANDOLACohabiter pour vivre ensemble, ouvrage co-écrit avec G. Lefèbvre – Ed. JCLattès – Octobre 2009Le déclic libérateur, ouvrage co-écrit avec G. Lefèbvre – Ed. JC Lattès – Avril2 0 0 7L'intimité ou comment être vrai avec soi-même, ouvrage co-écrit avec G.Lefèbvre – Ed. JC Lattès – Avril 2004

G é r a rd NEYRANDL’enfant face à la séparation des parents – Ed. La Découverte – Mai 2009Le dialogue familial, un idéal précaire – Ed. Erès – Janvier 2009Mariages forcés, conflits culturels et réponses sociales, ouvrage co-écrit avecA. Hammouche et .S Mekboul – Ed. La Découverte – Mai 2008Monoparentalité précaire et sujet femme, ouvrage co-écrit avec P. Rossi –Ed. Erès – Juillet 2007 Familles et petite enfance, mutations des savoirs et des pratiques, ouvrageco-écrit avec M. Dugnat et G. Revest – Ed. Erès – Mars 2006Maternité et parentalité, ouvrage co-écrit avec Y. Knibiehler – Ed. Erès –Janvier 2005Préserver le lien parental – Ed. Puf – Septembre 2004Femmes seules avec enfant face à la précarité – Ed. Erès – Février 2004La culture de vos ados – Ed. Fleurus – Mars 2002Mariages mixtes et nationalité française, ouvrage co-écrit avec M. M’sili –Ed. L’Harmattan – Mai 2000Entre clips et looks, ouvrage co-écrit avec G. Guilleot – Ed. L’Harmattan –Mai 2000Les couples mixtes et le divorce, ouvrage co-écrit avec M. M’sili – Ed.L’Harmattan – Mai 2000L’enfant, la mère et la question du père – Ed. Puf – Avril 2000

8 1

Page 82: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

8 2

Nous remercions tout particulièrement Serge Tisseron, psychiatre, psycha-nalyste et membre du conseil scientifique de l’Espace Parent-Enfant, ainsique la maison d’édition Calmann-Lévy pour nous avoir autorisés à repro-duire gracieusement des extraits de “Journal d’un psychanalyste”.

Page 83: DU LIEN FAMILIAL AU LIEN SOCIAL

Espace Pare n t - E n f a n tCLAVIM - Association loi 1901

10 rue Henri Mayer à Issy-les-MoulineauxTéL : 01 47 65 06 87

Courriel : [email protected]