Transcript

Peludet

à la recherche du soleil

du soleil texte : Lise Gros

illustrations : Francine Perseval - Fan

ww

w.m

aju

scri

t.fr

Un matin de printemps, Peludet1, le jeune lapin de garenne, bondit hors du terrier où il est né, au cœur du pays de Camargue, entre les deux bras du Rhône.

Il a dormi si profondément, bien au chaud sous la terre salée, qu’il en a

oublié de sortir durant la nuit pour se régaler d’herbe tendre.

Maintenant, son estomac crie famine et le pousse à braver la lumière

du jour. Le renard risque fort de le repérer. Tant pis, Peludet est bien

obligé d’aller dehors s’il veut manger !

- Peludeta2, Peludeta ! crie-t-il à sa petite sœur, encore engourdie de sommeil, viens vite ! Viens manger avec moi !

Peludeta s’étire, frotte énergiquement le bout de son petit museau avec ses pattes et daigne passer une, puis deux oreilles hors du terrier. A peine a-t-elle jeté un regard à l’extérieur qu’elle s’écrie :

- Oh, comme il fait froid ! Le soleil n’est même pas là ce matin et tu veux que je vienne ! Non, non, non ! Je ne sortirai que lorsque le soleil se montrera, voilà tout!

- Mais, voyons, Peludeta, sois raisonnable, il te faut manger pour avoir des forces ! - Non, non ! Je ne sortirai que lorsque je verrai le soleil ! - Oh là là ! Tu vas tomber malade ! Et puis, tu vas peut-être en mourir ! Tu dois manger pour vivre, tu le sais bien ! - Tant pis, je ne sortirai que lorsque tu auras retrouvé le soleil, voilà tout ! Va-t-en le chercher et quand tu auras réussi, alors tu m’appelleras ! Sur ces mots, la petite lapine repart se coucher, bien au chaud au fond du terrier.

Peludet, très ennuyé, bondit jusqu’au grand clos où paissent les taureaux sauvages de la

manade3 Pastron. Ce clos est un immense espace entouré de fil de fer barbelé.

Un regard à droite, un regard à gauche et hop ! Voilà mon

petit lapin qui saute. Il se faufile parmi les salicornes, ces

belles plantes aux tiges salées et encore rougies par

l’hiver.

De touffes de joncs en touffes de salicornes, il s’approche d’un vieux taureau tout noir aux cornes pointues. Celui-ci

porte au cou un large collier de cuir garni d’une grosse cloche. C’est le vieux simbèu4, Garbin, celui qui guide les

autres taureaux lorsqu’on veut les changer de "pays" ou les faire monter dans le char.

Ce grand camion les conduit parfois aux arènes5 où ils courent en piste avec les

raseteurs6 durant un quart d’heure avant de revenir au calme du marais. Garbin est très

occupé à brouter les pointes fines de la sagne7 nouvelle et bien tendre qui pousse au

bord de la roubine8.

- Simbèu, simbèu, mon ami, dis-moi, est-ce que tu sais où se trouve le soleil ce matin ? demande Peludet. - Quelle question ! Pourquoi le cherches-tu ? répond la grosse bête noire en posant sur le petit lapin son regard de nuit. - Eh bien, je veux le trouver car ma petite sœur Peludeta ne viendra manger que lorsqu’il sera là ! Sinon, elle ne sortira pas du terrier et j’ai très peur qu’elle ne tombe malade !

- Ah ! Ecoute Peludet, je crois bien que ce matin, le soleil était trop fatigué pour venir jusqu’ici. Il a décidé de rester caché derrière les montagnes des Alpilles ! Vas-y toi, sur ces belles montagnes de pierre blanche, et appelle le soleil. Peut-être se décidera-t-il à te suivre ! - Hou là là ! Mais elles sont bien trop loin pour moi, les Alpilles ! J’ai de si petites pattes que je n’y arriverai jamais à temps ! - Alors, tant pis pour toi, Peludet, je ne peux rien te dire de plus ! brame le vieux taureau en s’éloignant.

Le petit lapin fait trois grands bonds et s’élance vers Poderós, le beau cheval Camargue à la longue crinière et à la queue toute blanche. Celui-ci est très occupé à brouter l’herbe du talus. - Cheval, cheval, mon ami, dis-moi, est-ce que tu sais où je pourrais trouver le soleil ce matin ? Ma petite sœur Peludeta boude au fond du terrier et ne viendra manger que si le soleil est là, alors je le cherche…

- Ecoute, Peludet, répond Poderós, le soleil, c’est hier en fin d’après midi que je l’ai vu pour la dernière fois. Il avait l’air d’être très en colère. Il était rouge, tout rouge ! Pour se calmer, il a plongé dans la mer et… Il n’en est pas ressorti. Je crois bien qu’il s’y est noyé, vois-tu ! Si tu veux le trouver, il va falloir que tu ailles le repêcher au fond de l’eau ! - Hou là là ! Mais la mer Méditerranée est bien trop grande, trop profonde et trop salée pour moi ! Je n’arriverai jamais à ramener le soleil tout seul, il est bien trop lourd !

- Alors tant pis pour toi, Peludet, je ne peux rien te dire de plus ! hennit le cheval Camargue en s’éloignant au triple galop.

Le petit lapin, découragé, s’assied près d’un gros

trou creusé par un ragondin derrière une touffe

de joncs. Il rabat ses douces oreilles sur ses yeux

pour mieux réfléchir. Il commence à désespérer,

lorsqu’il entend une pie qui jacasse tout près de

lui, perchée sur un vieux tamaris.

- Cac, cac, cac ! caquète Madame l’Agace9. Mais voyez-vous ce petit nigaud ! Je t’ai entendu ! Petit lapin, n’as-tu donc pas compris que le soleil était seulement entrain de dormir, là-haut, derrière les nuages ? Il a décidé de se reposer aujourd’hui. Il en a tellement assez de courir après la lune sans pouvoir la rattraper ! Attends, Peludet ! Ne t’en fais pas ! Je vais aller le réveiller, moi, ce gros paresseux ! - Oh ! Crois-tu que tu réussiras à voler si haut ? - Allons, je peux bien faire cela pour toi, mais en échange, je te demanderai de me faire cadeau d’un peu de ta bourre si douce. Je la placerai au fond de mon nid de branchettes et mes petits "agaçons" seront mieux protégés de ce terrible vent glacé qu’est le Mistral. - Qu’à cela ne tienne, c’est bien facile, répond

Péludet en arrachant de trois coups de griffes une

belle pelote de poils douillets. Voilà, aide-moi

maintenant !

La pie s’empresse d’aller garnir son nid,

puis elle vole, vole, comme une flèche,

tout droit vers le ciel.

D’un coup de son bec pointu, elle fait un petit trou, tout là-haut, dans le grand nuage rond sur lequel se prélasse le soleil. Il a soigneusement étalé tous ses rayons pour ne pas les chiffonner et il dort comme un gros bébé. Madame l’Agace crie : - Zou ! Réveille-toi paresseux ! Il est grand temps d’aller réchauffer la Camargue ! Ne vois-tu pas

que tout le monde a besoin de toi ! Les rizières frissonnent, les marais salants ne sèchent pas, le

sel ne peut plus se déposer sur leurs bords et même les petits lapins ont perdu l’appétit ! Allons,

regarde un peu par le trou que je viens de percer !

Comme le soleil ne bouge toujours pas, Agace saisit rapidement l’extrémité de l’un des rayons et le fait passer par le trou qu’elle a percé. - Ouille ! Comme c’est chaud ! crie-t-elle.

C’est brûlant en effet et la chaleur du rayon a vite fait

d’agrandir le petit trou percé dans le nuage. Ce trou

s’élargit de plus en plus et les autres rayons de soleil s’y

engouffrent à toute vitesse.

Sur la terre, tout le monde peut maintenant voir Maître Soleil et les animaux se mettent à crier tous ensemble : - Le soleil, le soleil !

Ils crient si fort que Peludeta, tapie tout au fond de son terrier les entend. Elle se frotte énergiquement le bout du museau et bondit hors du trou. Ouf ! Il était temps, elle commençait à devenir toute ramollie et se sentait épuisée !

Elle aperçoit Peludet qui vient vers elle. - J’ai réussi Peludeta ! J’ai réussi ! Le soleil est là ! Viens vite ! Rassemblant ses dernières forces, la petite lapine le suit au galop jusqu’au grand champ de luzerne de Monsieur Pastron.

Au pays de Camargue, il y en a qui disent que ce matin-là,

Peludet et Peludeta ont avalé tellement de luzerne, qu’ils

en ont eu le ventre tout rond. Ils sont vite retournés se

coucher au fond de leur terrier, à l’abri sous la terre. Ils

ont bien failli ne plus arriver à passer par le trou de

l’entrée, à cause de leur gros ventre !

Depuis ce jour-là, Peludet sait comment faire pour retrouver le soleil, quand il se cache trop longtemps : il appelle Madame l’Agace.

C’est grâce à Peludet, figurez-vous, qu’au pays de Camargue, les journées sans soleil sont très rares !

Voici un peu d'aide pour vous permettre de mieux comprendre ce conte qui contient

des mots en occitan ou des mots spécifiques au sud de la France, à la Camargue notamment.

(1) Peludet : en occitan "pelut" veut dire poilu, et Peludet Petit poilu. C’est un prénom affectueux (grâce au diminutif "et").

(2) Peludeta : féminin de Peludet, signifie donc Petite poilue.

(3) Manade : troupeau de taureaux sauvages très robustes de race camargue, race unique au monde. Son propriétaire est appelé manadier.

(4) Simbèu : signifie en occitan symbole. C'est le nom que l'on donne au taureau habitué à guider les autres.

(6) Raseteurs : sportifs vêtus de blanc, porteurs d’un crochet à la main. Ils doivent prendre dans un temps limité les attributs (cocarde, glands, ficelles ) attachés aux cornes du taureau. Ils remportent de l’argent et des points servant à un classement en fin de saison (de mars à novembre dans le Gard, Hérault, Bouches du Rhône et Vaucluse).

(7) Sagne : roseau (phragmite) faisant un joli plumeau à son extrémité.

(8) Roubine : canal d’eau douce qui irrigue et dessale la terre de Camargue.

(9) Agace : de "agaça", nom occitan de la pie. Les "agaçons" sont les bébés pies.

(5) Arènes : espace circulaire au sol sableux, entouré de gradins, bâti pour organiser des spectacles taurins.

Attention à la prononciation des mots occitans !

- Peludeta se dit "Peludèto" avec l’accent tonique sur le "dè". - Garbin : le in se dit "in" comme en anglais. - Poderós se dit "Poudérous". - Pastron se dit "Pastroun".

Petit jeu

Et maintenant, à vous de rechercher

de quels mots occitans viennent les

noms propres Garbin, Pastron et

Poderós afin de comprendre pourquoi

l'auteure les a choisis.

Rép

on

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Pas

tro

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