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THÉMATIQUE À TAPER

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JANVIER 2010 - N°418 // 73

Le médulloépithéliome du corps ciliaire : à propos de trois observationsHind Charhia,*, Amal Harmoucha, Nabil Mansouria, Mustapha Mahera, Sanae Idrissi Alamib, Zakia Hajjib, Amina Berrahob, Sana Sefi ania

article reçu le 4 février, accepté le 13 septembre 2009.

© 2009 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

1. Introduction

Le médulloépithéliome du corps ciliaire est une tumeur intra oculaire congénitale rare [1].Elle survient surtout chez l’enfant mais sans épargner l’adulte [1, 2]. Elle se développe à partir de l’épithélium non pigmenté du corps ciliaire [3]. Les signes cliniques sont variés et non spécifi ques d’où le retard diagnostique [4]. Le diagnostic positif repose essentiellement sur l’exa-men anatomopathologique qui distingue deux types : le médulloépithéliome non tératoïde et le médulloépithéliome tératoïde, qui peuvent être bénins ou malins [4, 5]. Nous rapportons 3 cas colligés, sur une période de 15 ans, parmi 550 tumeurs ophtalmiques au service d’anatomopathologie de l’Hôpital des spécialités du CHU de Rabat.

2. Observations

2.1. Observation n°1Une fi llette de 4 ans, ayant un strabisme convergent de l’œil gauche depuis l’âge de 2 ans, a été adressée pour cataracte compliquée de l’œil gauche. L’examen de cet œil a trouvé une perception lumineuse avec strabisme convergent et une cataracte du cristallin. Le tonus oculaire a été à 18 mmHg. L’examen de l’œil droit a été normal ainsi que l’examen général. L’échographie oculaire a objectivé un processus échogène nasal antérieur aux dépens du corps ciliaire, de 9 mm d’épaisseur envahissant la chambre antérieure accompagné d’un décollement rétinien total. La tomodensitométrie a montré un processus tissulaire antérieur, envahissant la sclère en regard. Il n’a pas été observé de calcifi cations et le nerf optique a paru indemne. En raison de l’envahissement scléral et de l’âge, un rétino-blastome a été suspecté. Une exentération respectant les paupières a été réalisée. L’étude histologique a montré une prolifération tumorale du corps ciliaire faite de nappes et de tubes formés par des cellules blastémateuses aux noyaux hyperchromatiques et irréguliers. Cette prolifération a envahi

la sclère, la conjonctive et le tissu adipeux en regard d’où le diagnostic de médulloépithéliome non tératoïde malin du corps ciliaire. Le bilan d’extension a été normal. L’évolution a été favorable avec un recul de 5 ans.

2.2. Observation n°2Une patiente de 25 ans, sans antécédents particuliers, a présenté depuis 14 mois une baisse progressive de l’acuité visuelle de l’œil gauche accompagnée de douleur oculaire.Après dilation pupillaire, l’examen a trouvé une tumeur du corps ciliaire empiétant sur une cataracte du cristallin. L’examen du fond d’œil a été gêné par l’état du segment antérieur. L’examen de l’œil droit ainsi que l’examen général ont été normaux. L’échographie de l’œil gauche a mon-tré un cristallin hyperéchogène hétérogène et a mis en évidence une image hyperéchogène ovale de 6 mm de diamètre au niveau de la face postéro interne du cristallin. L’IRM a objectivé un processus tumoral mesurant 7 mm de grand axe s’interposant entre le bord interne du cristallin en dehors et la paroi choroïdo-sclérale en dedans. Il est apparu centré par le corps ciliaire faisant très discrètement saillie dans la chambre antérieure (fi gure 1). Une tumeur à point de départ du corps ciliaire a été retenue.

a Service d’anatomie pathologique b Service d’ophtalmologie B Centre hospitalier universitaire Ibn Sina – Hôpital des spécialités Rabat – Maroc

* Correspondancehinduse@ hotmail.com

CLINIQUE

Figure 1 – IRM : coupe axiale centrée sur

les orbites en T1 Fat Sat après injection de gado :

processus lésionnel lenticulaire intraoculaire

gauche rehaussé par le produit de contraste,

accolé au versant nasal des corps ciliaires.

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CLINIQUE

Une biopsie exérèse, après une sclérotomie à 11 heures a montré une tumeur noire saignant au contact. L’étude microscopique a montré une prolifération tumorale du corps ciliaire constituée de nappes de cellules blastémateuses qui étaient disposées par endroit en formations tubulaires ce qui a permis de poser le diagnostic de médulloépithé-liome non tératoïde bénin du corps ciliaire. L’évolution a été stationnaire marquée par une organisation vitréenne importante et un épaississement de la choroïde.

2.3. Observation n°3La patiente F. S, âgée de 30 ans, sans antécédents patho-logiques notables, a été admise pour une baisse de l’acuité visuelle évaluée aux décomptes des doigts à 1 m, accom-pagnée d’une douleur de l’œil gauche d’installation brutale et récente. L’examen ophtalmologique a révélé un glaucome néo vasculaire de l’œil gauche avec une pression intra oculaire de 52 mmHg et une hyperhémie conjonctivale. L’échographie oculaire a révélé la présence d’une masse échogène homogène rétro irienne. L’IRM réalisée a objectivé un processus tumoral du corps ciliaire en hyposignal T2 et rehaussé par le produit de contraste. Le bilan d’extension a été négatif. Devant ce tableau de tumeur du corps ciliaire compliquée de glaucome néo vasculaire, une énucléation a été décidée. Macroscopiquement, il existait un nodule de 4 mm noirâtre juste derrière le cristallin (fi gure 2). L’examen histologique a montré une prolifération cantonnée au corps ciliaire faite de nappes, de tubes et de formations

kystiques (fi gure 3) bordées de cellules ayant un aspect organoïde formant un épithélium de type embryonnaire sans effraction des tuniques avoisinantes (fi gure 4) ce qui a permis de conclure à un médulloépithéliome non tératoïde bénin du corps ciliaire.

3. Discussion

Le médulloépithéliome du corps ciliaire est une tumeur intraoculaire congénitale rare, moins de 200 cas ont été rapportés dans la littérature [1]. Dans notre étude, seuls 3 cas ont été rapportés sur une durée de 15 ans parmi 550 tumeurs ophtalmiques, ce qui témoigne de la rareté de cette tumeur.Le médulloépithéliome du corps ciliaire ne présente aucune prédominance de sexe ou de race ni aucune prédisposition héréditaire [1, 2]. C’est une tumeur unilatérale monofocale [1]. Ces données sont en accord avec les 3 cas rapportés. Cette tumeur se manifeste dans la première décade de la vie, avec des extrêmes d’âge entre 2 et 52 ans [2]. Nos patientes sont 2 adultes de 25 ans et 30 ans et une enfant de 4 ans. Les signes d’appel sont dominés par la douleur oculaire et le défi cit visuel [4, 5]. Le tableau clinique est dominé par des signes non spécifi ques [4-6] comme c’est le cas dans les trois observations rapportées.L’échographie et surtout l’ultrasonographie biomicroscopi-que permettent d’étudier les tumeurs du segment antérieur en particulier du corps ciliaire [1]. La TDM et l’IRM permet-tent aussi de visualiser le processus tumoral mais surtout d’évaluer son extension [7]. Dans les 3 cas rapportés, ces techniques d’imagerie ont permis de visualiser la tumeur du corps ciliaire sans pour autant poser le diagnostic de médulloépithéliome ciliaire. C’est l’examen anatomopathologique qui permet le dia-gnostic positif du médulloépithéliome du corps ciliaire. L’examen macroscopique permet d’apprécier le volume et l’aspect extérieur du globe oculaire [8, 9]. Typique-ment, il s’agit d’une petite masse arrondie ou aplatie, blanc grisâtre ou jaunâtre plus rarement brunâtre. Elle est solide, charnue ou gélatineuse, peu dense avec des zones

Figure 3 – Prolifération tumorale cantonnée

au corps ciliaire faite de nappes et de tubes.

Hématoxyline-éosine – Gx100

Figure 4 – Cellules cylindro cubiques aux noyaux

arrondis hyperchromatiques et au cytoplasme

éosinophile peu abondant contenant du pigment.

Hématoxyline-éosine – Gx400.

Figure 2 – Pièce opératoire d’énucléation montrant

un bourgeon tumoral attenant au corps ciliaire.

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kystiques à surface lobulée irrégulière ou lisse [10, 11]. Dans les 3 observations rapportées, l’aspect macroscopique est variable mais la localisation de la tumeur au niveau du corps ciliaire est constante. Histologiquement, le médulloépithéliome est fait d’éléments qui ressemblent à l’épithélium médullaire primitif de la rétine embryonnaire [12, 13]. La présence d’éléments hétéro-plasiques permet de différencier les médulloépithéliomes tératoïdes des médulloépithéliomes non tératoïdes [12, 14, 15]. Le médulloépithéliome non tératoïde est constitué par une prolifération pure faite de formations rubanées formées de nappes, de travées pleines, de tubes épithéliaux et de rosettes entrecroisés en réseaux [12, 14]. Les cellules neu-roépithéliales indifférenciées sont relativement larges, de forme cylindrique ou polygonale et possèdent un cytoplasme éosinophile peu abondant contenant parfois du pigment [12, 14, 15]. Les noyaux sont ovalaires ou arrondis de taille variable et comportent une chromatine granulaire avec de nombreux nucléoles. Les fi gures de mitoses sont obser-vées, particulièrement au niveau des cellules adjacentes à la surface luminale [15]. La lumière des tubes peut contenir un matériel PAS positif [15]. La surface externe des tubes est limitée par une membrane basale. Cette membrane repose sur un stroma conjonctif pauvre et peu vascularisé [14, 15]. On peut observer des plages solides de cellules neuroblastiques indifférenciées ressemblant à des plages de rétinoblastome [13]. Les 3 cas rapportés sont des médulloé-pithéliomes non tératoïdes. Le médulloépithéliome tératoïde se caractérise par la présence d’éléments de différenciation hétéroplasique : cartilage hyalin avec ou sans calcifi cations, éléments musculaires striés de type rhabdomyoblastique, cellules mésenchymateuses indifférenciées, tissu neuro glial, rarement cellules musculaires lisses, cellules ganglionnaires ou contingent angiomateux [12, 14, 15]. Aucun de nos cas ne présentait d’éléments hétéroplasiques.Les critères de malignité rapportées sont les mitoses en nombre élevé et atypiques, les zones sarcomateuses de type chondrosarcome, rhabdomyosarcome ou sarcome embryonnaire et enfi n l’invasion des tissus au-delà de l’épi-thélium ciliaire, de l’uvée, de la cornée, de la sclère avec ou sans extension extra oculaire [4]. Ces critères de malignité étaient présents dans l’observation n°1.

Dans les différentes séries rapportées, les résultats sont controversés et on ne peut pas confi rmer la prédominance de la forme bénigne ou de la forme maligne, ni celle du caractère tératoïde ou non tératoïde [4, 5]. La nature histo-logique tératoïde ou non tératoïde de la tumeur n’est pas synonyme d’agressivité. La présence de critères de malignité rend compte de l’agressivité de la tumeur [16]. Le diagnostic du médulloépithéliome est strictement mor-phologique. L’immunohistochimie n’est pas nécessaire. La différenciation gliale est considérée comme un trait commun et certaines cellules expriment la GFAP [15].Le diagnostic différenciel anatomopathologique se pose avec le rétinoblastome et le mélanome. Le rétinoblastome a pour origine la rétine. Il survient à un âge plus précoce et il n’y a pas de pigments à l’examen microscopique. Le mélanome a pour origine la choroïde. Les cellules sont de plus grande taille aux noyaux fortement nucléolés et expri-ment l’HMB45.Le traitement du médulloépithéliome du corps ciliaire n’est pas standardisé mais il est principalement chirurgical. L’énu-cléation reste le traitement le plus répandu pour la plupart des tumeurs intraoculaires ; en cas d’extension extra sclérale, une exentération est nécessaire [16].L’évolution est en général très lente réalisant une extension uniquement locale. De rares cas de métastases ont été décrits pour les formes malignes [14]. Le pronostic visuel est mauvais. Le pronostic vital est excellent pour les formes endoculaires qui ont été énucléées. Il peut, en revanche, être en jeu lorsqu’il existe une extension orbitaire [14]. Dans notre étude, le pronostic visuel était mauvais dans les 3 cas, contrairement au pronostic vital qui est resté bon malgré l’extériorisation de la tumeur dans le premier cas.

4. Conclusion

L’intégration du médulloépithéliome du corps ciliaire dans le diagnostic étiologique des tumeurs du corps ciliaire permettra une meilleure approche diagnostique et théra-peutique de cette entité.

Confl it d’intérêt : aucun.

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