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LA FIBRE DU DEVELOPPEMENT

Perspectives sociales et économiques de la culture du coton au Cameroun

Par Eric MANYACKA, Didrot NGUEPJOUO

avec la collaboration de Eric BISIL et Samuel NGUIFFO

Juin 2013

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SOMMAIRE

Introduction ……………………………………………………………………………….p.5

Chapitre I Historique de la culture du coton au Cameroun

I. Les raisons historiques de l’implantation de la culture du coton au Cameroun….............p.7

I.1. Un contexte international de compétition économique………………………………..p.7

I.2. Le contexte local : le coton outil d’imposition…………………………………………p.8

II. Chronologie de l’implantation de la culture du coton au Cameroun…………………...p.8

II.1. 1950-1974 : l’ère CFDT ou l’incitation sur fond de contrainte……………………… p.9

II.2. 1974-1994 : L’ère SODECOTON ou le coton culture incontournable...................….p10

Chapitre II Architecture de la filière coton au Cameroun

I. L’assise géographique de la filière coton………………………………………..……….p.12

I.1. Les atouts géographiques de la zone cotonnière………………………………………p.12

I.2. Les atouts humains de la zone cotonnière……………………………………………..p.13

II. Les acteurs de la culture du coton………………………………..……………………p.14

II.1. Présentation des acteurs de la culture………………………………………………….p.14

II.2. Les relations entre les acteurs de la filière coton……………………………………. p.15

II.3. Le déroulement d’une campagne de production de coton…………………………… p.17

Chapitre III Les impacts de la culture de coton au Cameroun

I.L’impact de la culture du coton sur l’économie nationale……………………………......p.19

I.1. Les retombées économiques de la culture du coton.................................................…...p.19

I.2. La densification du tissu industriel………………………………………….………….p.19

II. Les impacts sociaux de la culture de coton………………………………….…………..p.21

II.1.Les impacts positifs………………………………….…………………………………p.21

3

II.2. Les impacts négatifs de la culture du coton…………………………………..……….p.22

Chapitre IV. Le paradoxe du développement par la culture du coton

I. La rentabilité de la culture pour les producteurs……………………………...…………..p.26

I.1.L’évolution des prix à l’ère SODECOTON……...……………………………………..p.26

I.2.L’impact sur la rémunération des producteurs de coton………………………………..p.27

II. La conséquence de la faible rentabilité du coton pour le producteur……………….…..p.28

II.1.La précarité des conditions de vie des producteurs paysans…………………..……….p.28

II.2. L’apparition de phénomènes endémiques : la fuite du coton………………………….p.29

Conclusion et Recommandations…………………………………………………...…….p.32

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Index des sigles et abréviations utilisées

AFD Agence Française de Développement

CDJP Comité Diocésain Justice et Paix

CED Centre pour l’Environnement et le Développement

CFDT Compagnie Française de Développement des Textiles

CICAM Cotonnière Industrielle du Cameroun

CIRAD Centre International pour la Recherche Agricole et le Développement

CNPC Confédération Nationale des Producteurs de Coton du Cameroun

DAGRIS Développement des Agricultures du Sud

FCFA Franc des Colonies Françaises d’Afrique

GIC Groupement d’Initiative Commune

IRAD Institut de Recherche agronomique pour le Développement

OPCC-GIE Organisation des producteurs de coton du Cameroun

PIB Produit Intérieur Brut

REdUSE Reducing Resource Use for a Sustainable Europe

SODECOTON Société de Développement du coton

Table des figures et des illustrations

Figure 1 Zones cotonnières du Cameroun……………………………….……………P14

Figure 2 La relation entre les acteurs de la culture du coton…………………………P17

Figure 3 Evolution de la production et des superficies.............................................P24

Figure 4 Relations entre prix aux producteurs et superficies cultivées……………….P24

Tableau 1 Evolution des prix d'achat de coton-graine de 2003-04 à 2007-08 au

Cameroun…………………………………………………………………………………P28

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Tableau 2 Evolution du revenu moyen annuel du producteur camerounais………………P30

Introduction

Le développement de la culture du coton a été

présenté comme un cas de réussite économique

majeure en Afrique subsaharienne1. Elle

représente désormais une importante source de

devises pour les pays producteurs, et une

source indispensable de revenus pour les petits

producteurs agricoles et leurs familles. Le

Cameroun est en Afrique Centrale, l’un des

plus beaux fleurons de ce succès. L’ensemble

de la filière coton se classe aujourd’hui au rang

de 3è industrie manufacturière, et occupe le 4è

rang des cultures d’exportation2 en contribuant

pour environ 9.5% au Produit Intérieur Brut

(PIB)3.

L’implantation de la culture du coton au

Cameroun fut d’inspiration coloniale. C’est en

effet sous la tutelle française qu’y furent

menées les premières tentatives de production

industrielle de coton. C’est ainsi qu’en raison d’un contexte géographique et climatique

favorable et d’essais concluants menés au cours de l’année 1950, la partie septentrionale du

pays fut retenue pour abriter la Compagnie Française de Développement des Textiles (CFDT)

à Kaélé, cœur de la zone cotonnière de l’époque4.

Loin d’être anodine, cette orientation stratégique visait un objectif double : tirer profit des

facilités offertes par la région du Nord, en satisfaisant les besoins de la puissance coloniale

d’alors ,afin qu’elle soit à même de soutenir la compétition économique avec les autres

1 FOLEFACK Denis Pompidou, Coordination des acteurs dans un contexte de crise : le cas de la filière coton

au Cameroun depuis 1990, thèse de doctorat en économie, Université de Rennes 2, 2010, p.7. 2 Roger TSAFACK NANFOSSO, Economie politique d’une dynamique dans les exportations camerounaises,

Nordic Journal of African Studies 15 (3), p.347. 3 Chambre de commerce, d’industrie des mines et de l’artisanat, textile et industrie d’habillement, Centre

d’information et de documentation économique, Juillet 2006, p.1.

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nations occidentales; tout en permettant aux autorités locales d’impulser le développement

national par le biais d’une politique agricole dont le coton fut un des produits phare.

En un peu plus d’un demi siècle de pratique, la culture de l’or blanc -comme on l’appelle

aussi- a beaucoup évolué au Cameroun, au plan institutionnel notamment. A la direction des

investisseurs français des débuts (CFDT) a succédé une gestion locale par le truchement de la

Société de Développement du Coton (SODECOTON) mise sur pied par les autorités

camerounaises en 19745.

En dépit d’une nette augmentation de la production - 525 tonnes en 1951/1952 ; 20 965

tonnes en 1959/19606 ; 220.844 tonnes en 2005/20067)- le secteur cotonnier au Cameroun est

en crise. Frappé de plein fouet par les retombées de la crise financière internationale,

malmené par les soubresauts du marché mondial sur lequel le jeu normal de la concurrence

est plombé par les subventions accordées aux producteurs européens et américains, la culture

du coton sombre peu à peu dans le marasme.

En conséquence de quoi, ce secteur d’activité qui en 2006 générait 102,8 millions de dollars

de recettes d’exportation, comptait pour 20% des exportations agricoles et 7% des

exportations totales du pays8, a vu sa production chuter de 220.844 tonnes en 2005/2006, à

quelques 125.000 tonnes en 2009/20109. Parallèlement, cette filière qui regroupait en son sein

environ 313.000 producteurs en 2004, n’en comptait plus que 100.000 en 201010. De même,

les surfaces cultivées sont passées de 231.993 ha lors de l’exercice 2005/2006, à 133.000 ha

en 2008/200911.

Le fait est que la culture de la fibre de coton s’est étroitement intégrée au quotidien des

populations rurales du Nord-Cameroun, en même temps qu’elle prenait de l’importance au

plan macroéconomique12. En cet enracinement, se fondent plusieurs phénomènes sociaux

apparus avec la culture du coton, dont l’impact est énorme sur la qualité de vie des

populations paysannes. Les énormes besoins en main d ‘œuvre requis par la mise en place de

la culture avaient conduit à domicilier la culture dans les zones les plus peuplées13. Il en a

résulté un accroissement démographique disproportionné, à la base de la très forte pression

foncière aujourd’hui observable dans les zones de culture. L’omniprésence de conflits agro-

5Quotidien Le Jour du 14 janvier 2010, enquête sur la filière coton, disponible sur www.quotidienlejour.com 6 Idem 7 Statistiques SODECOTON et CNPC Cameroun. 8 Statistiques FAO 2006. 9 Statistiques SODECOTON et CNPC Cameroun. 10 Idem 11 Ibidem 12 Comme produit d'exportation, le coton brut se situait en 2006 à la cinquième place (4,8% des exportations)

après les huiles brutes de pétrole (43,9%), le bois (12,8%), le cacao (7,9%) et les carburants et lubrifiants (6,1%).

D’après Raphaël Athanase Elisée HAMADJAM, « Impact de la filière textile coton camerounaise sur le

développement socio-économique national: Bilan et perspectives », Institut sous-régional multisectoriel de

technologie appliquée de planification et d'évaluation de projets - DESS Analyse et Evaluation des Projets, 2006,

p.31. 13 On parlait alors de « réservoirs de peuplement ».

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pastoraux et fonciers dans la partie septentrionale du pays est une des conséquences de ce

processus.

D’autre part, la rentabilité réelle ou supposée de la culture. Elle s’est très peu traduite en

développement, et en amélioration des conditions de vie des populations qui en sont la

cheville ouvrière, qui se résout en précarité pour la plupart. Pire, elle a donné naissance à des

phénomènes quasiment endémiques dans le bassin de production qui témoignent du mal être

des producteurs, à l’instar de la fuite du coton. En somme, la volonté des pouvoirs publics

camerounais de faire de la culture du coton un levier de développement bien qu’elle ait

produit des effets notables au plan macroéconomique, ne semble pas s’être déclinée jusque

dans le quotidien du petit producteur de la localité lambda.

Face à ce constat alarmant, le Centre pour l’Environnement et le Développement (CED)

partenaire au Cameroun du projet Reducing Resource Use for a Sustainable Europe

(REdUSE) conduit par un consortium d'ONG sur financement de l'Union européenne a

décidé de diligenter ce rapport d’étude de la filière coton.

Cette étude se propose de décrire les différents processus à l’œuvre autour de la production de

coton au Cameroun, avec un accent sur les retombées sociales, économiques et

environnementales de l’activité. Il y sera question de décrire le processus de production de

coton ; d’en évaluer les retombées économiques et sociales ; de mesurer l’impact de celles-ci

sur le développement des populations de producteurs ; d’expliquer les différents phénomènes

qui en sous-tendent la conduite, qui permettront de formuler des propositions à même

d’améliorer la gestion globale de la filière, d’en améliorer les retombées pour les populations

à la base du processus de production.

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Chapitre I Historique de l’implantation de la culture du coton au Cameroun

De nombreuses causes présidèrent à l’implantation de la culture du coton au Cameroun.

Certaines endogènes à l’instar d’un contexte géographique, démographique et administratif

favorable, en firent un site propice à la production de masse. Les causes exogènes,

consistèrent en un contexte géopolitique et historique qui prônait la culture du coton comme

solution aux difficultés économiques et stratégiques de la puissance coloniale d’alors, la

France. Sous le couvert d’une politique de développement, l’histoire du coton camerounais

s’inscrivit ainsi dans le sillage de celle de l’industrie française, elle-même tributaire d'un

contexte international de crise, dominé par la production américaine.

I. Les raisons historiques de l’implantation de la culture du coton au Cameroun

I.1. Un contexte international de compétition économique

Les années 1950 furent au cœur de la Révolution Industrielle amorcée autour de 1780. Le

contexte de compétition économique dopé par les progrès de la mécanisation poussait les

Etats à une course effrénée vers l’industrialisation et la prééminence économique. Le secteur

textile étant le principal bénéficiaire de la vague de mécanisation en cours14, c’est assez

logiquement que le coton s’imposa comme le produit phare des marchés et se retrouva au

centre des préoccupations géostratégiques des Etats.

Le marché mondial en était alors dominé par les Etats-Unis d’Amérique, premier producteur

mondial, dont la plupart des pays consommateurs dépendaient pour l’essentiel de leurs

importations.

Seulement, après la crise de 1929 la production américaine décline. La croissance de la

demande intérieure pousse les autorités américaines à réserver des parts de plus en plus

importantes de leur production à la satisfaction des besoins internes. Pour tous les Etats

dépendant des Etats-Unis pour l’approvisionnement de leurs usines, les risques de pénurie

sont intolérables de par le risque de régression économique qu’ils induisent. En cette période

de révolution industrielle, le coton est roi « cotton is king », disent alors les anglo-saxons.

Pour la France -qui comptait parmi les premiers pays européens producteurs de textiles- une

telle dépendance vis-à-vis de la production américaine est intolérable, compte tenu de la

pression qu’elle fait peser sur l’économie du pays. Il est de la plus haute importance, de

trouver une alternative d’approvisionnement. La solution viendra des possessions coloniales.

Le gouvernement français sous l’impulsion du secteur industriel, va promouvoir une politique

14 Suite à une série d’inventions réalisées dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, principalement en

Angleterre (machine à filer et métier à tisser à navette volante), le passage de la fabrication artisanale à la

fabrication industrielle des cotonnades s’opère. Le coton qui se prête plus facilement à la mécanisation que les

autres fibres, devient le principal moteur de la Révolution Industrielle.

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de diffusion du coton dans ses possessions coloniales, tout particulièrement les territoires

d’Outre-mer et d’Afrique noire15.

I.2. Le contexte local : le coton outil d’imposition

Depuis 1920, la culture du coton rime avec contrainte16. Entre 1920 et 1950, elle fut imposée

aux populations dans l’optique de faciliter la taxation, en imposant aux paysans la culture

d’une matière directement imposable. La quasi-totalité de la production cotonnière servait

ainsi de moyen de paiement d’impôts aux autorités traditionnelles. En plus de ne recevoir

aucun paiement, les paysans souffraient des brimades des agents des sociétés cotonnières

appuyés par les chefs traditionnels17. Les retardataires subissaient le fouet, et les récalcitrants

payaient aux autorités traditionnelles des amendes en nature (chèvres, moutons, etc.).

Echaudées par les contre-exemples tchadien et nigérian où la culture forcée avait presque

conduit à la famine, les populations se montrèrent plus que réticentes à la culture du coton18.

De plus, elles jugeaient que cette culture se faisait au détriment des cultures vivrières,

notamment l’arachide, plus intéressantes pour l’économie domestique et locale. Elles furent

suivies en ce sens par les administrateurs locaux en 1944, qui dirent résolument « non » à la

culture du coton au Cameroun19.

Le défi pour l’administration coloniale, fut donc de tourner le « non » en « oui », de substituer

à la méfiance la confiance dans les possibilités de la filière coton. Au même titre que

l’arachide ou le riz, le coton devint une culture « administrative », imposée aux villageois

pour leur permettre de s’acquitter de leurs impôts20.

II. Chronologie de l’implantation de la culture du coton au Cameroun

La culture du coton était connue des populations locales bien avant sont introduction massive

par les colons. Certaines sources mentionnent des faits de culture datant du 16è siècle, dans le

but de satisfaire aux besoins vestimentaires des habitants et de servir de monnaie d’échange.

La plante fut donc cultivée dans les régions du Sud, de l’Ouest et du Nord du pays, avant

d’être accaparée par les européens qui en firent l’expérience durant la première moitié du 20è

siècle21. Il en résulte une perception duelle du mouvement d’implantation de la culture de

15 Régine LEVRAT, Le coton en Afrique Occidentale et Centrale avant 1950. Un exemple de la politique

coloniale de la France. Editions l’Harmattan, p.45. 16 Idem

17 Ibidem 18 Régine LEVRAT, Le coton en Afrique Occidentale et Centrale avant 1950. Un exemple de la politique

coloniale de la France. Editions l’Harmattan, Op.cit., p.264. 19 Idem 20 Régine LEVRAT, Culture commerciale et développement rural. L’exemple du coton au Nord-Cameroun

depuis 1950. Editions l’harmattan, 2010, Op.cit., p.105. 21 Régine LEVRAT, Le coton en Afrique Occidentale et Centrale avant 1950. Un exemple de la politique

coloniale de la France. Editions l’Harmattan, Op.cit., p.147.

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coton qui malgré les similitudes en ce qui concerne les découpages, n’en présente pas moins

des spécificités quant aux critères à la base de ces derniers22.

- L’expérimentation de la culture du coton par la CFDT

La CFDT sera le maître d’ouvrage de la stratégie d’implantation de la culture du coton définie

par la France. Il ne lui restait plus qu’à définir des zones d’implantation pour remplir sa

mission : produire le maximum de coton dans des conditions rentables, en participant au

développement économique de régions démunies.

Pourtant, le choix du Nord-Cameroun comme zone de culture se fera de manière incidente,

l’objectif initial de la mission étant limité au Tchad. Ce n’est qu’à la demande du ministre de

la France d’Outre Mer d’alors, que le Nord-Cameroun sera ajouté au projet.

Du 05 au 15 février 1950, une tournée d’inspection fut menée au Cameroun par le célèbre

agronome français René Dumont. Son objectif était d’évaluer les critères et les possibilités

d’une production de coton à grande échelle dans le pays. Des conclusions de celle-ci, il

ressortit que la région du Nord-Cameroun, présentait des conditions climatiques et

démographiques propices à la mise en place de la culture du coton. Elle précisait cependant

qu’en raison du faible intérêt des populations locales pour cette culture, « une énergique

pression administrative » serait nécessaire23.

II.1. 1950-1974 : l’ère CFDT ou l’incitation sur fond de contrainte

Il va de soi qu’un tel mécanisme ne pouvait, pour être couronné de succès, se passer de l’aval

voire de l’appui des autorités locales (tant administratives que traditionnelles) comme

l’expliquait alors un dirigeant de la CFDT : « au départ, nous avons été très aidés par

l’administration ; il est certain que si l’on avait voulu, avec une population aussi endormie,

attendre qu’elle se réveille d’elle-même, on aurait peut-être attendu très longtemps et comme

toujours dans ces cas là, on est impatient de réaliser ; nous avons donc été très aidés par

l’administration et par les chefs (…) ».

L’idée était donc de provoquer une dépendance à la culture du coton comme le reconnaît le

même dirigeant : « (…) il y a l’impulsion initiale à donner (…) nous avons eu le temps de

lancer la culture et d’en donner le goût et l’habitude au cultivateur (…) ». Il importe peu

qu’en cette époque, « (…) pour la très grande partie de la masse paysanne la possession ou

l’utilisation de la monnaie n’est pas ressentie comme une satisfaction suffisante pour

22 Natali KOSSOUMNA LIBA’A et Michel HAVARD, « mutations de la filière cotonnière dans les provinces

septentrionales du Cameroun : perceptions et stratégies paysannes », Cahiers de géographie du Québec, vol.50,

no 139, avril 2006, p.72. Disponible sur le site www.erudit.org

23 Régine LEVRAT, Le coton en Afrique Occidentale et Centrale avant 1950. Un exemple de la politique

coloniale de la France. Editions l’Harmattan, Op.cit., p.305.

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compenser l’effort qui lui est demandé (…) », ainsi que le soulignait une note sur les cultures

industrielles de l’Inspection du Nord de 196024.

La culture va pourtant faire son chemin, en s’appuyant sur des formes plus subtiles de

persuasion, faisant miroiter des avantages immédiats dont certains n’allaient pas toujours dans

le sens de l’intérêt des paysans. Les auteurs d’un rapport de l’époque, le BPDA, résument

bien la situation : « l’action actuelle repose principalement sur une combinaison de pression,

de persuasion et d’appât économiques, où il est délicat de mesurer la part et le résultat de

chaque composante (…) ». Ils ajoutent que « cette pression exercée par l’intermédiaire de

l’administration et des chefs traditionnels a porté principalement sur les méthodes de culture,

les regroupements du terroir en grandes soles (…) »25.

II.2. 1974-1994 : L’ère SODECOTON, le coton culteure incontournable

L’année 1974, fut une date clé dans l’histoire de la culture cotonnière en ce sens qu’elle vit la

création de la Société de Développement de la Culture de Coton (SODECOTON) en

remplacement de la CFDT. Mission lui fut confiée de présider à compter de cette date à

l’organisation, au fonctionnement et au développement de la culture de coton au Cameroun.

Mais si les acteurs meurent, les idées demeurent. A l’idée des colons français de s’appuyer sur

la culture du coton pour impulser le développement en Afrique noire, succédait celle des

autorités camerounaises d’en faire un levier du développement économique national.

La nouvelle structure fut donc le point de confluence de deux volontés : celle de l’Etat

camerounais désireux d’acquérir après l’indépendance politique une plus grande autonomie

économique, et celle de la France qui souhaitait maintenir des relations privilégiées avec ses

anciennes colonies26, qui l’amena à mettre en place dans tous les pays de la zone CFDT des

sociétés filiales chargées de poursuivre la politique de promotion du coton de la société mère,

tout en faisant de cette denrée un moteur de développement27.

L’activité de la SODECOTON débouche sur de nombreuses innovations. On note entre autres

l’apparition de la culture intensives, des opérations d’aménagement rural, le développement

des cultures vivrières (riz pluvial, maïs, arachide), la construction des infrastructures sociales

(écoles, puits, magasins), ainsi que des efforts en faveur du désenclavement (création et

entretien des routes et des pistes). L’édifice incitatif fut parachevé avec la formation de

24 Idem

25 Idem 26 Régine LEVRAT, Culture commerciale et développement rural. L’exemple du coton au Nord-Cameroun

depuis 1950. Editions l’harmattan, 2010, Op.cit., p.168. 27 Parmi lesquels on retrouvait la SODECOTON au Cameroun, la Compagnie Ivoirienne pour le Développement

des Textiles (CIDT) en Côte d'Ivoire, la Compagnie Malienne pour le Développement du Textile créée en 1974

au Mali, la SOCADA en République Centrafricaine, la CotonTchad au Tchad, la SOTOCO au Togo et la

SODEFITEX au Sénégal. La Société Burkinabè des Fibres Textiles (SOFITEX) concernait la Haute-Volta.

http://www.wikipedia.org/sodecoton/html

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groupements et d’associations villageoises à partir de 19987-1988. Ce train de mesures

contribua notablement à l’alphabétisation de la population, et en 1992-1993 la SODECOTON

dénombrait un peu moins de 100 associations villageoises28.

- A partir de 1994 : Inquiétudes sur la filière coton

En dépit du fait que la dévaluation du Franc CFA en 1994 ait favorisé le doublement de la

production, des surfaces et du nombre de producteurs de coton durant la dernière décennie, le

mécontentement va grandissant au sein des populations de producteurs. Depuis quelques

années, la filière est même déclarée en crise. Les paysans se sentent abandonnés par la

SODECOTON en raison des retards enregistrés dans la collecte et le paiement du produit,

mais aussi à cause de la création des cercles de caution solidaire perçus comme une tentative

de l’entreprise de répercuter sur les paysans les déficits enregistrés. Le renforcement du rôle

des associations de producteurs contribuent à accentuer cette impression chez les paysans qui

n’ont pas l’impression d y être liés.

En tout état de cause, les inquiétudes induites par les mauvais chiffres de l’activité29 appellent

un examen de l’état actuel de la filière coton au Cameroun.

28 SODECOTON 2003, cité par Natali KOSSOUMNA LIBA’A et Michel HAVARD, « mutations de la filière

cotonnière dans les provinces septentrionales du Cameroun : perceptions et stratégies paysannes », Cahiers de

géographie du Québec, vol.50, no 139, avril 2006, Op. Cit. p.74.

29 Lire page 3.

13

Chapitre II Architecture de la filière coton au Cameroun

L’examen de l’architecture de la filière coton appelle une étude de son assise géographique,

du paysage des acteurs qui y exercent, et du processus de production qui s y déroule.

I. L’assise géographique de la filière coton

La totalité des faits de culture de coton sont domiciliés au Cameroun dans la zone dite du

« Grand Nord ». Celle-ci recouvre trois régions administratives qui sont L’Adamaoua, le Nord

et l’Extrême-Nord. La raison en est que cette zone dispose des caractéristiques géographiques

et climatiques adéquates pour la conduite des activités de culture. Dans le jargon des

spécialistes, on parle de zone cotonnière.

I.1. Les atouts géographiques de la zone cotonnière

- Une vaste assise territoriale

La zone cotonnière s’étale sur environ 50 790 km2, dont 60 000 hectares sont dévolus à la

culture du seul coton30. Elle se compose de deux vastes plaines tout aussi adaptées l’une que

l’autre à la culture cotonnière, bien que différentes aux plans physique et humain. Au nord

nous avons les pays du Diamaré situés dans la Région de l’Extrême-Nord, qui se caractérisent

par la platitude de leurs horizons, un climat soudanien sec et un peuplement dense et continu.

Au Sud, les pays de la Bénoué qui correspondent à la Région du Nord, font contraste avec

leur relief moutonneux, leur climat soudanien humide et leur peuplement faible et discontinu.

- Les caractéristiques climatiques

La plaine cotonnière appartient dans son ensemble à la zone de climat soudanien, caractérisée

par des précipitations moyennes comprises entre 700 et 1400 mm, et par l’alternance d’une

saison sèche et d’une saison pluvieuse31. Compte tenu de ce que la pluviométrie est le facteur

primordial de la culture cotonnière, l’assèchement constaté du Nord-Cameroun a conduit au

glissement des régions productrices de coton vers le sud.

Les températures y sont élevées, et les moyennes annuelles comprises entre 24o et 29o C. Elles

croissent ainsi que les amplitudes, du sud vers le nord. Le fait que les amplitudes diurnes

diminuent en saison des pluies favorise la croissance du cotonnier.

30 Marthe BELLA-MEDJO, Transmission de l’information climatique dans la région Nord Cameroun, CNRS,

p.3. 31 Régine LEVRAT, Culture commerciale et développement rural. L’exemple du coton au Nord-Cameroun

depuis 1950. Editions l’harmattan, 2010, p.38.

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Figure 1 Zones cotonnières du Cameroun Source DAGRIS

- La qualité des sols

La plupart des sols du Nord-Cameroun conviennent à la culture du coton. Les sols alluviaux

peu évolués sont les meilleurs, mais font l’objet de conflits entre coton et cultures vivrières.

Cette situation a poussé la CFDT à s’intéresser à d’autres sols dont les qualités étaient à priori

15

médiocres. De manière progressive, les meilleures terres des régions les plus peuplées furent

colonisées par la culture cotonnière, conduisant à des problèmes d’usure et d’érosion32.

I.2. Les atouts humains de la zone cotonnière

- Des milieux humains très contrastés

Bien que représentant un quart du total national (3.6 millions d’habitants), la population de la

zone cotonnière à l’instar du milieu physique, présente au plan humain d’importants

contrastes entre le Nord et le Sud33. Ces contrastes portent généralement sur les densités de

population, qui jouèrent un rôle prépondérant dans la diffusion de la culture du coton. La

propagation de la culture commença dans les milieux les plus peuplés, pour ensuite s’arrimer

aux migrations de populations. De la sorte, les caractéristiques ethniques ont eu des

répercussions -quoique plus faibles- sur la diffusion du coton, chaque peuple ayant eu une

réaction propre à cette culture.

- L’assise ethnique de la culture du coton

Un des éléments du succès de la CFDT au Nord-Cameroun tint en l’idée de greffer la culture

naissante aux activités des populations locales les plus dynamiques en matière d’agriculture,

en l’occurrence les Habé. Ces derniers, animistes, furent désignés en raison de leur tradition

agricole, et de leur importance numérique. Rapidement, ils en devinrent les principaux

producteurs. Ils se subdivisent en quatre groupes distincts par le milieu géographique qu’ils

occupent, et par leur ouverture à la modernité.

De nombreuses autres ethnies ont également participé activement à la propagation de la

culture du coton parmi lesquels les Tupuri considérés comme les meilleurs cultivateurs de la

plaine du Diamaré, les Mandara, les Bornuans, les Masa, les Mundang, les Giziga, les Gidar,

les Fali, les Mofu, les Mafa, les Duru, les Mbum, les Laka. D’autres y ont contribué plus

modestement. Ce sont les Mambaye, les Mono, les Lamé, les Bata, auxquels on peut ajouter

les tribus de montagnards que sont les Doayo et les Tchamba. Les Fulbé, anciens pasteurs

nomades sont pour certains devenus de grands exploitants agricoles, apportant leur pierre à

l’édification de la filière cotonnière du Cameroun.

II. Les acteurs de la culture du coton

II.1. Présentation des acteurs de la culture

La culture coton au Cameroun est organisée autour de deux acteurs principaux : la

SODECOTON (Société de Développement du Coton du Cameroun) et la CNPC-Cameroun

32 Pour un exposé plus exhaustif, lire à ce sujet Régine LEVRAT, Culture commerciale et développement rural.

L’exemple du coton au Nord-Cameroun depuis 1950. Editions l’harmattan, 2010, pp.49-55. 33 Pour davantage de précisions voir Régine LEVRAT, Op. Cit., PP. 55-60.

16

(Confédération Nationale des Producteurs de Coton du Cameroun), et un acteur secondaire

qui est l’Institut de Recherche Agronomique pour le Développement (IRAD).

- La SODECOTON

La SODECOTON est une société anonyme d’économie mixte au capital de 4.5 milliards de

FCFA, détenue à 59% par l’Etat du Cameroun, et à 41% par deux partenaires privés qui sont

GEOCOTON (30%) et SMIC (11%).

Les missions dévolues à la SODECOTON sont :

- la création de valeurs dans les régions septentrionales du pays par le développement de

la culture cotonnière, la transformation du coton-graine en fibre, huile de table raffinée

et aliments du bétail, et la vente de ces produits sur le marché international (fibre de

coton), et le marché national et/ou régional (fibre, huile et tourteaux) ;

- la modernisation des exploitations agricoles familiales en zone cotonnière et

l’intensification des pratiques culturales, principalement pour les cultures entrant en

rotation avec le coton (sorgho, arachide, niébé, maïs) ; l’appui à l’organisation

professionnelle des producteurs de coton et à la structuration de leurs organisations qui

ont abouti à la création de l’OPCC-GIE (Organisation Professionnelle des Producteurs

de Coton du Cameroun) en 2000 et à son évolution en CNPC-Cameroun ;

- la conduite d’actions de développement rural intégré dans les trois régions

septentrionales du pays sur financements extérieurs au travers des projets de

développement confiés par l’Etat à la SODECOTON ;

- parmi les mesures prises pour lutter contre la crise qui a frappé les filières coton de la

zone franc CFA de 2004 à 2009, une diversification agro-industrielle a été entreprise

pour développer le pôle oléagineux vers la production d’huile et de tourteaux à

vocation alimentaire (soja en cours, tournesol à l’essai) et d’agro-carburants (Jatropha,

ricin, tous deux à l’essai)34 ;

- La Confédération Nationale des Producteurs de Coton du Cameroun

L’Organisation des Producteurs de Coton du Cameroun (OPCC-GIE) créée en l’an 2000 s’est

considérablement renforcée depuis 2007, pour donner naissance en 2010 à la CNPC-

Cameroun. Cette dernière regroupe près de 250 000 producteurs organisés en plus de 2000

Groupements d’Initiative Commune (GIC) eux-mêmes structurés en 48 Unions de GIC et 09

Fédérations d’Unions de GIC.

34 A.C.A. News, No 00 de février 2012, Plateforme d’information des sociétés cotonnières d’Afrique, p.4.

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- L’Institut de Recherche Agronomique pour le Développement, acteur secondaire

Il est l’organe en charge de la recherche scientifique pour le développement de la culture du

coton, et opère sous couvert du mandat et du financement de la SODECOTON par le

truchement d’une convention signée en 1996. Ses volets de recherche sont la génétique,

l’entomologie et l’agriculture.

II.2. Les relations entre les acteurs de la filière coton

De manière basique, les acteurs de la filière coton au Cameroun entretiennent des relations de

partenariat. Ainsi, les organismes de recherche que sont l’IRAD et le CIRAD fournissent par

la recherche des semences améliorées à la SODECOTON. Cette dernière dont le rôle est

l’encadrement, l’égrenage et la commercialisation du coton apporte encadrement technique et

semences à son partenaire privilégié le CNPC-Cameroun, qui les répercute aux organisations

de producteurs dans le cadre de son rôle de représentation et de défense des intérêts des

producteurs de coton, d’approvisionnement de ces derniers en intrants agricoles de qualité, le

crédit agricole, la professionnalisation des producteurs et de leurs groupements par

l’alphabétisation, la formation à la gestion, aux techniques agricoles, le développement des

banques à céréales, et la diversification des acteurs en vue de l’amélioration des conditions de

vie des producteurs.

Ces relations sont schématisées dans la figure qui suit.

Figure 2 La relation entre les acteurs de la culture du coton Source, CNRS

18

Avec l’avènement de la SODECOTON, nous assistons à une réorganisation de la filière de

production du coton au Cameroun. Certes, la SODECOTON, en tant que responsable de

l’organisation du secteur, conserve le rôle principal de pourvoyeur de facilités à la production,

d’achat et de commercialisation de la fibre, tandis que les paysans demeurent cantonnés dans

les limites de la production de celle-ci, mais les bouleversements subis par la société du fait

des aléas économiques ont suscité la naissance de nouveaux acteurs dont l’activité est

désormais significative dans la filière coton.

- Les mutations de la filière coton consécutives à l’action de la SODECOTON

En 1988 eut lieu la signature d’un contrat de performance entre le gouvernement camerounais

et la SODECOTON par lequel la compétence exclusive dans le management de la filière était

confiée à cette dernière, tandis que l’Etat conservait un droit de regard en tant qu’actionnaire

principal. A partir de cette relative autonomie, la compagnie a pu mettre sur pied un train de

mesures susceptible de dynamiser l’ensemble de ce secteur d’activité.

La généralisation de la culture intensive

La crise de la production des années 70 ayant démontré les limites de la culture extensive,

conduisit à son remplacement par la culture intensive. Parallèlement, des actions furent

menées en faveur de l’introduction de la culture attelée, en enfin après avoir été appliquée à la

préparation des sols, la mécanisation le fut à l’entretien des parcelles de coton. Ce système,

plutôt rigide, repose sur un apport d’intrants fournis à crédit aux producteurs. L’accroissement

subséquent du rendement et les améliorations des revenus qui en découlent ont conduit les

producteurs à l’adopter malgré ses exigences.

La création des associations de producteurs

Considérée par certains comme la principale innovation institutionnelle et organisationnelle

de la filière coton à l’ère SODECOTON35, la mise sur pied des organisations de producteurs

fut la première des contraintes nées du passage de la culture extensive à la culture intensive.

Les résistances paysannes à la technique de rassemblement des champs de coton préconisée

par la CFDT qui en empêchaient la systématisation symbolisent la difficulté des sociétés

cotonnières à obtenir des producteurs un comportement harmonisé favorable au

développement de la culture. La SODECOTON résolut le problème en substituant à la culture

extensive la culture intensive, dans le cadre de laquelle le rassemblement des parcelles

devenait une obligation au motif d’arguments techniques. Cette dernière nécessite en effet un

contrôle beaucoup plus strict du travail, impossible sur des parcelles dispersées, et

indispensable pour la conduite des traitements insecticides. Se posait donc le besoin d’un

interlocuteur fiable entre la société exploitante et les producteurs paysans, à même d’assurer

35 Nicolas GERGELY, The cotton sector of Cameroon, Africa Region Working Paper Series No 126, March

2009, p.11. Disponible sur le site http://www.worldbank.org/afr/wps/index.htm.

19

le respect des directives en provenance de la SODECOTON : ce sera l’OPCC-GIE, devenu

plus tard CNPC Cameroun.

La conséquence en est que depuis l’année 2000, l’OPCC-GIE tout d’abord, et aujourd’hui la

CNPC-Cameroun en tant qu’organisations de producteurs assurent la protection de ces

derniers dans leur relation avec la SODECOTON comme en atteste le déroulement de la

campagne de production de coton.

II.3. Le déroulement d’une campagne de production de coton

Le circuit de production de coton camerounais s’articule autour de la participation des acteurs

de la filière coton présentés plus haut, sur la base d’une différenciation fonctionnelle. Les

activités sont conduites dans le cadre de campagnes annuelles, et le strict respect d’un

découpage saisonnier essentiel à la conduite d’une campagne réussie.

- La conduite d’une campagne annuelle de production de coton

Avril-mai : la campagne cotonnière débute avec la saison des pluies. Dès les premières

précipitations, qui surviennent généralement dans l’intersection des mois d’avril et de mai, la

SODECOTON dépêche sur le terrain ses agents de suivi appelés « surveillants de culture »,

qui viennent procéder au piquetage des champs (expression qui désigne l’opération de mesure

des surfaces à cultiver).

La modalité la plus usuelle est la petite exploitation, dont la taille varie entre 01 et 03 ha en

moyenne. Les paysans cultivent de petites parcelles (une moyenne de 0.6 ha de coton par

exploitation), avec des rendements qui stagnent depuis 1987 aux alentours de 1,2 tonne de

20

coton graine à l’hectare36. Le passage à la culture intensive par la quasi-totalité des

producteurs entraîne une charge de travail plus importante, due aux nouvelles tâches et à la

nécessité d’améliorer les techniques culturales afin de rentabiliser les crédits intrants. Elle fut

de ce fait suivie d’une diminution de la taille des parcelles de coton dont l’unité de base devint

le quart (1/4 d’hectare ou 1/2 de corde).

Après le piquetage, il est procédé au bornage des champs. Au terme de cette opération, les

surveillants de culture de la SODECOTON annoncent la date de distribution des semences de

coton. Il revient aux paysans producteurs de coton, dans l’intervalle, de procéder à tous les

travaux de viabilisation des espaces (qui consistent en désherbage, feux de brousse, et autres

travaux d’entretien).

Mai-juin : c’est dans cet intervalle que débutent les semailles. Une fois encore, c’est la

SODECOTON qui annonce la date de début des opérations d’ensemencement, et procède à la

distribution des semences, des intrants agricoles et des outils de travail.

Les premières pousses de coton sont visibles environ 14 jours après ensemencement. La

compagnie exploitante fixe à ce moment la date de début des opérations de labour, ainsi que

celle de distribution des engrais. La poursuite des travaux d’entretien des cultures est le plus

souvent laissée à la diligence des cultivateurs.

Octobre : coïncidant avec début de la saison sèche, il marque le début des travaux de récolte

du coton. Les paysans procèdent à la récolte, et stockent le produit à la maison ou dans les

champs. Là encore, c’est la SODECOTON qui fixe le début de la saison d’achat. Une fois

36 Jean-Claude Devèze « Le coton, moteur du développement et facteur de stabilité du Cameroun du Nord ? »,

Afrique contemporaine 1/2006 (no 217), Op.cit. p. 110.

21

celle-ci lancée, la SODECOTON procède au recrutement moyennant une commission de

1200 FCFA par tonne de coton, des enfants lettrés des villages. Ils procèderont par équipes

de 06 individus, chacune pour le compte de son village, aux opérations d’achat37, qui

consistent pour l’essentiel à la pesée du produit.

Au terme de cette opération, les équipes d’achat font un rapport au village. Il est à noter que le

paiement n’est pas immédiatement effectué. En effet, les producteurs doivent attendre que la

SODECOTON ait trouvé un débouché pour la matière première pour recevoir leur dû, ce qui

peut parfois prendre jusqu’à trois mois.

Les considérations précédentes débouchent sur une préoccupation cardinale, celle de savoir

dans quelle mesure la volonté des colonisateurs transmise aux autorités locales de faire de la

culture du coton un moteur de développement a été suivie d’effets. Elle suppose en première

analyse une évaluation des retombées de la culture cotonnière au plan national, mais aussi

local.

37 Entretiens avec les producteurs de coton.

22

Chapitre III Les impacts de la culture de coton au Cameroun

La culture du coton a été voulue et pensée au Cameroun comme un levier du développement

économique national. Elle est la seule culture rentable pratiquée à grande échelle au Nord-

Cameroun. De ce fait elle revêt un caractère vital pour la qualité des conditions de vie des

populations, le bien-être social et même la stabilité politique de cette région pauvre et

enclavée38.

I. L’impact de la culture du coton sur l’économie nationale

L’impact de cette culture sur l’économie nationale s’apprécie au regard de sa rentabilité

économique et de la place qu’elle occupe dans le paysage agro-industriel.

I.1. Les retombées économiques de la culture du coton

Le coton représentait 6% du total des exportations du pays en 2005, et 22% des exportations

agricoles. L’activité cotonnière génère de manière directe 30 milliards de FCFA de marge

pour les producteurs après remboursement des intrants, et la SODECOTON a distribué sur la

dernière décennie 10 milliards de dividendes à ses actionnaires et payé 74 milliards d’impôts

et de taxes. La filière totalisait en 2005 un chiffre d’affaires de 95 milliards de FCFA, qui

s’est effondré de moitié en 2009 à la suite de la crise cotonnière qui a sévie durant quatre

années soit l’intervalle 2005 à 2009.

En outre, la SODECOTON est le premier employeur du Nord-Cameroun avec environ 1900

salariés permanents, et 1500 saisonniers qui représentent une masse salariale annuelle de 08

milliards de FCFA. De plus, elle travaille en partenariat avec plus de 250 000 agriculteurs

dont la culture du coton constitue la principale source de revenus monétaires.

I.2. La densification du tissu industriel

La culture de coton graine alimente la filière de l’industrie textile du Cameroun, tandis que

les salaires versés aux employés et les paiements effectués à l’ensemble des prestataires de

service contribuent à faire tourner l’économie nationale. Certaines entreprises industrielles à

l’instar de la CICAM, en sont particulièrement dépendantes.

La filière textile occupe le 3è rang des industries manufacturières, avec une contribution de

9.5% au PIB. Elle génère un chiffre d’affaires de près de 117 milliards de FCFA, dont la

branche de l’égrenage de coton compte pour plus de la moitié. La filature est réalisée par la

CICAM qui ne transforme malheureusement que 5% de la production de coton fibre39.

38 Nicolas GERGELY, The cotton sector of Cameroon, Africa Region Working Paper Series No 126, March

2009, Op. Cit. p.07.

39 Chambre de commerce, d’industrie des mines et de l’artisanat, Textile et industrie d’habillement, Centre

d’information et de documentation économique, Juillet 2006, Op. Cit. p.1.

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Au-delà des retombées économiques discutées plus haut, on Le coton a également permis le

développement d’un tissu industriel : on compte 09 usines d’égrenage ; 02 huileries ; une

contribution déterminante à l’industrie textile par l’intermédiaire de la CICAM. La culture est

à l’origine de nombreuses activités secondaires telles que des entreprises de transport pour

l’évacuation de la production et l’approvisionnement en intrants…Etc.

On constate néanmoins que les impacts de la culture du coton semblent plus perceptibles au

plan économique que social, bien que ceux-ci ne soient pas complètement inexistants.

II. Les impacts sociaux de la culture de coton

Force est de constater la dépendance des populations de la partie septentrionale du Cameroun

à la culture du coton. Cette activité leur a en effet apporté un certain nombre de retombées

positives, mais il faut reconnaître que l’objectif d’impulser le développement par la culture du

coton n’a pas été atteint.

II.1. Les impacts positifs

L’amélioration des conditions de vie des populations de producteurs

C’est un fait avéré que le coton a été depuis 1950 le principal facteur de transformation de

l’agriculture du Nord-Cameroun. Le système de production coton-céréales est désormais

utilisé par 360 000 producteurs, soit 90% des exploitants de la zone40. En outre, le coton

occupe désormais le tiers des espaces cultivés41 en saison des pluies, et s’étend régulièrement

porté par la croissance de la population.

Au niveau paysan, les enquêtes du service de suivi-évaluation de la SODECOTON montrent

que la sécurité alimentaire est mieux assurée dans les exploitations qui cultivent du coton que

dans celles qui n’en cultivent pas du fait de la mise ne place d’un crédit intrants vivriers (maïs

principalement), en outre, 40% de leurs revenus monétaires agricoles proviennent du coton.

Plus loin, on constate une hausse globale du taux d’alphabétisation dans la zone cotonnière en

relation avec la pratique de cette activité.

La hausse des rendements

La diffusion du coton a sonné le glas des pratiques agricoles archaïques utilisées par les

paysans et permis une réelle amélioration des pratiques culturales. En effet, l’introduction par

la SODECOTON de la culture intensive qui reposait sur l’octroi aux producteurs de crédits

intrants agricoles, l’introduction de la culture attelée et des engins mécaniques auxquels on

ajoute les techniques de traitement phytosanitaire et le regroupement de ces derniers en

40 Annuaire statistique de la cellule suivi-évaluation de la SODECOTON 1998-1999. 41 DEVEZE Jean-Claude, « Le coton, moteur de développement et facteur de stabilité du Cameroun du Nord ? »,

Afrique Contemporaine, 2006/1 No 217, p. 109. DOI : 10.3917/afco.217.0107 Disponible sur

http://www.cairn.info/revue-afriqueècontemporaine-2006-1-page-107.htm

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groupement de producteurs ont permis un accroissement conséquent des superficies cultivées

et des rendements comme le montre la figure qui suit.

Figure 3 Evolution de la production et des superficies Source SODECOTON

Cette évolution repose sur une croissance similaire du nombre de paysans impliqués dans la

culture du coton. De la sorte les trois variables que sont le prix de la fibre, les surfaces et les

producteurs interagissent de telle manière qu’une variation de l’une entraîne une variation de

l’autre, et se répercute sur la production.

Figure 4 Relations entre prix aux producteurs et superficies cultivées Source SODECOTON

En dépit de tout ce qui précède, l’examen du quotidien des paysans qui sont la cheville

ouvrière montre clairement que les bons chiffres de la filière ne se sont pas suffisamment

inscrits dans leurs conditions de vie. Ces agricultures familiales demeurent plus proches de la

survie, que de la maîtrise de leur avenir.

25

II.2. Les impacts négatifs de la culture du coton

La culture du coton n’a pas généré que des impacts positifs. Nombre de répercussions

négatives dues à la pratique d’activités cotonnières sont d’ores et déjà perceptibles dans la

zone cotonnière, et contribuent à précariser davantage des populations fragiles.

Les impacts environnementaux de la culture du coton

L’extension de la culture cotonnière entraîne des conséquences négatives pour

l’environnement qui contribuent aux changements climatiques, à la baisse de la diversité

biologique et à l’accélération de la désertification42. La hausse des superficies cultivées

entraîne une baisse des superficies boisées, tandis que l’usage intensif des pesticides par les

producteurs cause la mort des animaux.

Il apparaît de surcroît que les méthodes de culture employées (feux de brousse, labours,

sarclo-buttages divagation des animaux…Etc.) sont à l’origine de la baisse de fertilité des sols

dont se plaignent les paysans sur la quasi-totalité de la zone cotonnière. Les sols y sont en

effet très sensibles à l’érosion hydrique du fait des techniques culturales. Les résultats des

suivis effectués démontrent que ces techniques entraînent des pertes importantes pouvant

dépasser 25 tonnes par hectare et par an43. Dans une région où les aléas climatiques

constituent une contrainte s’aggravant au fil des années, les sols mis à nu par les labours

subissent une minéralisation intense qui en diminue fortement la fertilité.

Une étude conduite dans la zone cotonnière camerounaise fait état d’une baisse des

rendements de l’ordre de 1.7% par an, due aux impacts environnementaux de la culture du

coton44. Ces données conduisent à relativiser la portée de l’activité cotonnière sur le

développement, tant les réalités locales paraissent souvent éloignées des bons chiffres de la

filière.

Culture du coton et pression foncière

La pression démographique engendrée par les dynamiques migratoires à la base de la culture

du coton est une des causes premières de la pression foncière qui se fait actuellement ressentir

dans la zone cotonnière. Historiquement elle s’est opéré des zones surpeuplées de l’Extrême-

Nord vers les zones moins peuplées au sud de la Région du Nord45. La pression

démographique s’augmente rapidement du fait de l’interdiction de s’installer dans les parcs

42 Abdoulaye ABOU ABBA, Jean-Luc HOFS et Guy Mergeai, Relever les défis environnementaux pour les

filières cotonnières d’Afrique de l’ouest et du centre, Biotechnol.Agron.Soc.Environ.2006/10(4).p.351. 43 Idem 44 Ibidem 45 Ces migrations furent au départ organisées par les sociétés cotonnières (CFDT, SODECOTON dans le cadre

du projet DPGT) pour favoriser le développement de la culture, pour devenir spontanées comme c’est le cas

actuellement. Lire Régine LEVRAT, Culture commerciale et développement rural. L’exemple du coton au Nord-

Cameroun depuis 1950. Editions l’harmattan, 2010.

26

nationaux et les aires protégées qui couvrent 43% de la superficie de la partie septentrionale

du pays.

Autre élément, l’ensemble de la zone cotonnière se caractérise par la précarité des droits

fonciers des populations qui prend sa source dans la loi foncière camerounaise en général. On

y constate en effet une érosion du droit de propriété foncière des populations locales et

autochtones, qui se traduit par une réduction des droits des communautés locales par des lois

antérieures à l’indépendance par l’amputation de leur étendue et le conditionnement de la

propriété coutumière. Cette spirale négative s’aggrava des velléités de négation des droits de

ces communautés par les lois foncières postindépendance à la base de la suppression de la

propriété coutumière des terres, mal compensées par le renforcement des droits d’usage et de

jouissance des populations sur les terres46.

Le flou qui prévaut dans la zone cotonnière en matière foncière profite aux autorités

traditionnelles qui se livrent à des prélèvements indus (zakat) pour exercer de manière

discriminatoire leurs arbitrages en matière foncière. En conséquence de quoi, les conflits

fonciers sont désormais monnaie courante dans les zones de culture.

Omniprésence de conflits fonciers

Pour les raisons évoquées, les conflits fonciers entre agriculteurs et éleveurs, entre

autochtones et migrants, entre défenseurs des aires protégées et riverains de celles-ci, se

multiplient alors que les arbitrages et médiations locales deviennent de plus en plus aléatoires

du fait de la délégitimation de l’administration, et de la prédominance des intérêts particuliers

sur l’intérêt général47.

La zone cotonnière est désormais le théâtre de très nombreux cas de conflits agro-pastoraux

qui traduisent la pression qui s’exerce sur les ressources foncières et vont souvent jusqu’à des

conflits meurtriers48. Les affrontements meurtriers de Koza II en 2004 dans l’Arrondissement

de Touroua sont symptomatiques de cet état de fait.

Les mesures légales qui prévoient la saisine de la Commission Consultative de règlement des

conflits agro-pastoraux ne sont pas pleinement opérantes, du fait de l’analphabétisation des

populations qui se méfient des instances administratives, tandis que l’inertie des autorités

traditionnelles en la matière (Lamibés, Lawans, Djaouros) suscite l’indifférence des

populations pour les mécanismes institutionnels de règlement des litiges.

46 Lire à ce sujet Samuel NGUIFFO, Pierre Etienne KENFACK et Nadine MBALLA, L’incidence des lois

foncières historiques et modernes sur les droits fonciers des communautés locales et autochtones du Cameroun,

© Forest People Programme, janvier 2009. 47 DEVEZE Jean-Claude, « Le coton, moteur de développement et facteur de stabilité du Cameroun du Nord ? »,

Afrique Contemporaine, 2006/1 No 217, Op. Cit. p.114. 48 David BAYANG, Comment dédommager les victimes des destructions des cultures en milieu rural ? CDJP

Garoua, Janvier 2012, p.2.

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La convergence d’un aussi grand nombre de facteurs négatifs amène à s’interroger sur la

pertinence d’une activité cotonnière conçue comme un levier de développement, tant son

impact semble faible au regard de tels objectifs

Chapitre IV. Le paradoxe du développement par la culture du coton

L’introduction de la culture du coton fut un élément de la stratégie de développement des

pouvoirs publics camerounais. Au terme de notre réflexion, il importe de s’interroger sur la

pertinence de cette idée. Les bons chiffres réalisés du point de vue des rendements de la

culture se sont-ils transformés en amélioration de la qualité de vie des producteurs ?

I. La rentabilité de la culture pour les producteurs

Une augmentation de la production est-elle synonyme de gains plus importants ? En dépit de

l’augmentation régulière des surfaces cultivées et des rendements, la rentabilité de la culture

du coton continue d’être un problème épineux pour les des producteurs de coton.

I.1. L’évolution des prix à l’ère SODECOTON

L’année 1974, qui correspond pour de nombreux pays, dont le Cameroun, à la nationalisation

de la filière coton, marque une étape : le rebond des prix d’achat du coton-graine, dopés par

l’embellie des cours mondiaux de la fibre. La progression se poursuit jusqu’en 1985, et se

maintient jusqu’en 1998. Les producteurs camerounais bénéficient durant cette période d’une

hausse exceptionnelle des prix, dont le niveau rejoint celui de la Côte d’Ivoire en 198049, puis

le dépasse largement avec 150FCFA/kg en 1986 contre 115 en Côte d’Ivoire.

L’embellie sera de courte durée, puisque la période 1989-1993, années noires pour les

producteurs, va marquer une régression des prix d’achat, causée par la chute des cours

mondiaux de 1988-89 et 1992-93. La campagne 1994, qui coïncide avec la dévaluation du

FCFA, inaugure une remontée des cours, qui régressèrent de nouveau au tournant de 1999, et

même s’effondrèrent au courant de 2005. Les ristournes qui étaient versées aux producteurs

par le groupement de producteurs (OPCC-GIE) depuis 2005, furent supprimées,

compromettant au passage la compétitivité de la filière. Lors de la campagne cotonnière

2010/2011, le kilogramme de coton dit de 1ère qualité s’échangeait à 200 FCFA, contre 190

FCFA pour celui de 2è qualité.

49 Ce pays a longtemps pratiqué les prix d’achat de coton les plus élevés d’Afrique occidentale, en raison d’une

politique de soutien des cultures commerciales, et des prix de revient relativement bas.

28

Tableau 1. Evolution des prix d'achat de coton-graine de 2003-04 à 2007-08 au Cameroun Source,

DAGRIS 2008

Années

Prix d’achat du coton-graine au Cameroun de 2003-04 à 2007-08 (en

FCFA/kg)

2003-04 185

2004-05 190

2005-06 170

2006-07 175

2007-08 175

L’instabilité marquée des prix d’achat de la fibre, illustre de façon dramatique le poids de la

conjoncture internationale sur les mécanismes de fixation des prix aux producteurs. En règle

générale, la baisse des cours à l’international se traduit au plan interne par une baisse plus ou

moins accentuée des prix d’achat. Elle constitue le point de départ d’un cercle vicieux de

découragement des producteurs qui cause l’abandon de la culture de coton au profit de

denrées plus rentables, et entraîne à son tour une chute de la production à la mesure de celle

des prix.

I.2. L’impact sur la rémunération des producteurs de coton

La rémunération du producteur dépend d’un élément clé qui est le prix d’achat du coton-

graine. D’autres variables doivent cependant être prises en compte dans l’appréciation de la

rémunération du producteur. Il s’agit notamment du temps de travail exigé par la culture -

élément essentiel de sa rentabilité- et de la part dévolue au producteur dans le prix de revient

de la fibre.

En ce sens, il est plus significatif d’évaluer l’apport du coton au producteur par une évaluation

de son revenu par kilo de coton-graine. Cet apport fut faible durant l’ère CFDT, en raison de

la faiblesse des cours et des rendements. Il va néanmoins connaître une évolution graduelle

jusqu’en 1986, date à partir de laquelle il va entrer dans un cycle de turbulences.

Au regard de la situation des producteurs des pays voisins, certains auteurs pensent que les

producteurs camerounais bénéficiaient d’une bonne rémunération de leur coton50, mais aussi

50 Régine Levrat, Le coton dans la zone franc depuis 1950 : un succès remis en cause, Editions l’Harmattan,

p.58

29

d’une meilleure valorisation des intrants agricoles. La chute des prix de 1989 n’en sera que

plus brutale, car accentuée par la suppression des subventions aux intrants. Le revenu moyen

du producteur de coton est donc fonction de la rétribution de celui-ci, de la superficie

moyenne cultivée, et des rendements.

Tableau 2. Evolution du revenu moyen annuel du producteur camerounais Source,

Coopération 1991

Années

Revenu moyen annuel des producteurs camerounais de 1980 à 1987 (en

milliers de FCFA)

1980 85

1981 95

1982 118

1983 131

1984 161

1985 165

1986 167

1987 148

L’analyse du quotidien des producteurs de coton met en évidence une évolution croissante du

coût des engrais, qui grève le revenu moyen. Ce dernier surfant sur la vague de la dévaluation

du FCFA fut en nette progression jusqu’au milieu des années 90, puis amputé par la hausse du

coût des intrants. En conséquence de quoi il est en baisse depuis 2003, et de plus du tiers en

2005-06. Une chute qui s’est encore accentuée sous l’action cumulée de la baisse des cours

internationaux du coton et de la hausse des prix des intrants.

Le rendu pour les populations de producteurs en devient beaucoup moins intéressant, eu égard

à l’importance qu’ils accordent à la rémunération de leur travail, et qui détermine la place

qu’ils accordent aux différentes cultures. La problématique gagne en importance, du fait de la

pression foncière qui se généralise.

30

En somme, la rémunération des producteurs est médiocre au Cameroun, où elle est inférieure

au SMIG moyen qui était de près de 1000FCFA//jour en 1987. Si le coton est

indiscutablement la principale source de revenus monétaires agricoles de la majorité des

populations rurales du Nord-Cameroun, il est de plus en plus concurrencé par d’autres

produits tels que l’arachide ou l’oignon, jugés plus rentables. Des études montrent que la part

du coton dans le revenu des producteurs qui se situait aux alentours de 76 à 80% en 1987,

était tombée à 60, voire 40% et même moins dans certaines régions de l’Extrême-Nord à la fin

des années 90, et davantage dans certaines zones d’immigration avec un maximum de 77%51.

II. La conséquence de la faible rentabilité du coton pour le producteur

II.1. La précarité des conditions de vie des producteurs paysans

Le quotidien de la plupart des paysans cultivateurs de coton peut se résumer en un mot :

précarité. En effet, les agricultures familiales du Nord-Cameroun se caractérisent par leur

fragilité. De petites exploitations d’une superficie de 03 hectares en moyenne abritent des

parcelles cotonnières de faible taille (0.6 hectare de coton par exploitation), avec des

rendements qui stagnent depuis 1987 autour de 1.2 tonnes de coton-graine à l’hectare. De

plus, elles sont faiblement équipées dans la mesure où seulement 35% des exploitations

disposent d’animaux de trait et de charrues, 15% d’un noyau d’élevage bovin permettant le

renouvellement sans achat des animaux de trait et la contribution sans frais à l’entretien de la

fertilité du sol, et 6% de charrettes. Pour ces raisons, elles dégagent des revenus faibles (la

marge brute moyenne est de 150 000 FCFA par hectare de coton) d’où des capacités limitées

d’accumulation et d’investissement52.

Les difficultés des paysans s’expliquent de manière plus schématique, par des lacunes du

mode de coordination mis en place par la SODECOTON qui sont dans une certaine mesure

des facteurs d’inefficacité. Tout d’abord, nous avons la faiblesse des prix d’achat de coton

graine qui tant pour les théoriciens que pour les paysans ne couvre pas les prix d‘achat des

intrants. Ensuite, on constate du fait des difficultés interne à la SODECOTON et du contexte

international difficile des paiements de coton graine aux paysans de plus en plus tardifs,

pouvant courir durant plusieurs mois53, le classement du produit insuffisamment efficace dans

les villages, ainsi que des retards dans son évacuation et des dérives dans l’organisation des

marchés observés. A ceci s’ajoutent des retards récurrents dans l’entretien des pistes rurales,

les faibles avancées de l’initiative coton équitable, et les nombreuses difficultés des cercles de

caution solidaire54 dont plusieurs affichent un bilan déficitaire55.

51 Annuaire suivi-évaluation SODECOTON 1998-99. 52 DEVEZE Jean-Claude, « Le coton, moteur de développement et facteur de stabilité du Cameroun du Nord ? »,

Afrique Contemporaine, 2006/1 No 217, Op. Cit. p.110. 53 Déclarations des paysans. 54 Les cercles de caution solidaire sont des groupes de planteurs qui s’associent pour obtenir des crédits intrants.

Ils opèrent comme une garantie de remboursement de leurs dettes envers la SODECOTON et la CNPC-

Cameroun. Le principe est que la défaillance de l’un est reportée sur tout le groupe. Pour les paysans l’adhésion

31

II.2. L’apparition de phénomènes endémiques : la fuite du coton

Le phénomène de fuite de coton est loin d’être nouveau dans la zone cotonnière. Bien qu’il

soit difficile de le dater avec précision, des avis concordants attestent de sa régularité sur les

05 dernières années. Il se produit lors de la rencontre de l’impécuniosité d’un producteur

paysan, désireux de placer sa production auprès d’un acheteur mieux disant que la

SODECOTON à laquelle elle est due, et d’une offre supérieure en termes de prix.

De l’avis des producteurs paysans, la question des prix est au centre du trafic. La

SODECOTON achète le coton à 200 FCFA tandis que les trafiquants nigérians en offrent 500

FCFA. La fuite de coton consiste donc en ces ventes massives opérées par les producteurs de

coton du Nord-Cameroun au profit des acheteurs en provenance du Nigéria voisin. Depuis

2011, l’ampleur de ce phénomène est sans précédent, avec un accent particulier dans les

régions du Diamaré, du Mayo-Sava et du Mayo-Tsanaga. Ensuite, les gains obtenus par les

fraudeurs se font sur le dos des producteurs ayant respecté leurs engagements contractuels.

Certaines Unions et Fédérations seront appelées à disparaître ou à fusionner. Leurs bureaux

devront être intégralement renouvelés après assainissement de l'ensemble des groupements

qui les composent.

Pourtant, Les seuls planteurs à même de bénéficier de cette surenchère sont ceux capables de

livrer par leurs propres moyens leur coton aux centres de collecte des Nigérians, ce qui est

plutôt rare. Pour la majorité des producteurs de coton, la valeur ajoutée est captée par les

intermédiaires entre acheteurs nigérians et planteurs camerounais, coincés dans une relation

créancier-débiteur. Au final, les planteurs profitent peu de cette arrivée du marché nigérian.

La forte demande en provenance du Nigéria voisin nigériane est également à l'origine d'un

mouvement de vols de coton source de conflits dans les Groupements de producteurs : faute

d'accéder à la terre ou à des emplois alternatifs, certains tendent à voler le coton des autres

producteurs pour les vendre aux intermédiaires Nigérians.

Enfin, la « fonction crédit agricole » de la CNPC-Cameroun s’en trouve fragilisée. Totalisant

près de 2.5 milliards FCFA d'impayés cumulés au cours des campagnes agricoles 2005/06 à

2009/10, elle fait état d’un nouvel impayé de 03 milliards FCFA pour la campagne agricole

2010/11. Fort heureusement, le montant des impayés pour la campagne 2010/2011 s'élevait

seulement fut revue à 500 millions de FCFA.

forcée à un cercle de caution solidaire ne présente d’avantages que pour la SODECOTON qui assure le

recouvrement de ses créances, tandis qu’elle est source de conflits dans les villages du fait de l’impécuniosité de

certains. 55 Lire à ce sujet FOLEFACK Denis Pompidou, Coordination des acteurs dans un contexte de crise : le cas de la

filière coton au Cameroun depuis 1990, thèse de doctorat en économie, Université de Rennes 2, 2010, Op. Cit.

p.216-219. Corroborées par les déclarations des paysans récoltées lors de notre descente de terrain.

32

Conclusion et Recommandations

Bien que l’on puisse considérer l’implantation de la culture du coton au Nord-Cameroun

comme une réussite, tant la culture s’est étroitement intégrée au mode de vie des populations

paysannes, son impact ne s’est que très peu fait ressentir au plan du développement des

populations de producteurs, dont le quotidien de la plupart est rythmé par la précarité.

Les impacts environnementaux de la culture qui contribuent à dégrader la terre, l’insécurité

juridique qui caractérise les droits fonciers des communautés rurales camerounaises et

l’impuissance des producteurs dans le processus de fixation des prix contribuent à accentuer

cette spirale négative.

Il semble par conséquent urgent de formuler des propositions en vue de réformer la filière

coton au Cameroun dans le sens d’un développement réel des populations de producteurs.

Au plan environnemental

On a relevé qu’un certain nombre de contraintes nées de la volonté institutionnelle entravent

la mise en œuvre des initiatives de gestion efficace des ressources naturelles dans le cadre de

la culture du coton. Il apparaît urgent que ces contraintes soient levées. A titre d’illustration,

la migration organisée dans les années 90 se poursuit de manière anarchique, en plombant

l’efficacité des actions planifiées par une sur-occupation des espaces aggravée par la taille des

aires cynégétiques.

Au plan juridique

Compte tenu de l’insécurité foncière qui prévaut dans la zone cotonnière; et qui se traduit

souvent par des conflits liés à la gestion de l'espace, une réforme foncière allant dans le sens

de la reconnaissance et de la consolidation des droits des ruraux sur la terre semble

appropriée. IL serait également utile de mettre en place des mécanismes de prévention et de

gestion des conflits fonciers, susceptibles de contribuer à l'amélioration durable du climat

social dans les zones concernées..

Au plan économique

Des actions de régulation pourraient contribuer à améliorer le rendu de la culture du coton

pour le producteur paysan. Il est question de : mettre en place un fonds de soutien à même de

garantir un prix d’achat de coton-grain incitatif pour le producteur, et minimiser les effets

pervers d’un prix trop bas et instable ; subventionner les intrants agricoles par l’Etat pour en

réduire le prix de vente, en faciliter l’accès et surtout le respect des doses par les producteurs ;

réduire les délais de paiement du coton pour permettre aux paysans de mieux valoriser les

revenus ; favoriser les initiatives de diversification des sources de revenus des producteurs à

travers des stratégies d’adaptation multifonctionnelles orientées vers les cultures vivrières de

base (sorgho, maïs, riz).

33

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