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Amadou DemeEx officier de renseignement de la MINUARRWANDA 1994 ET L'ECHEC DES NATIONS UNIESTOUTE LA VERITELe Nègre éditeur2011Glossaire:-AGR, RGF, FAR: Forces Rwandaises Gouvernementales selon que c'est en anglais oufrançais-RPF, FPR: Front Patriotique RwandaisGP: garde présidentielle-UNAMIR, MINUAR Mission d'Assistance des Nations Unies au Rwanda (ONU)-GOMN: Groupe d'Observateurs Militaires Neutres de l'OUA, soit une douzained'observateur et une compagnie d'infanterie légère tunisienne qui évoluait dans la zonedémilitarisée, espace séparant les deux belligérants depuis 1991. Le GOMN a ensuite étéabsorbé par la MINUAR le 1er novembre 1993.-MONUOR: Mission des Nations Unies détachée de la MINUAR en Ouganda et censéesurveiller les mouvements venant d'Ouganda vers le Rwanda.FC, CF Force Commander, commandant en chef de la Force des Nations Unies (Dallaire)-DOMP Département des Opérations de Maintien de la Paix aux Nations Unies (Directionde la MINUAR avec Koffi Annan)-RSSG: Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies, Chef politique de lamission. Ce fut Jacques Roger Booh Booh, Camerounais, de nov 93 à juin 94 puis SharyarM. Khan, Pakistanais à partir de juillet 94.Les sigles sont parfois en anglais, parfois anglais français, par exemple: RPF-FPR pourfaciliter la compréhension. De même je mets entre parenthèses la traduction ouexplicitation de certains termes pour les expliciter.

LES SIGNES AVANT-COUREURS

Le mois de mars était relativement calme, mais on voyait que des choses se préparaient.Une amie qui avait de bonnes relations avec le pouvoir et le FPR, et d'autres, mettaientleurs proches à l'abri à l'étranger...Au CND le FPR refusait que le CDR (parti extrémistehutu) fasse partie des partenaires alors que ce dernier avait mis de l'eau dans son vin enacceptant de se contenter de sièges au parlement, et non au gouvernement. Le FPRcréaient de nouvelles zones de défense avec zèle. Un chef du FPR me demanda d'intervenirauprès de l'officer Mbow pour qu'il laisse passer les armes, a l'encontre des accords...Il nefallait pas les vexer. Ce qui n'était pas le cas avec les Forces gouvernementales...A cette époque nous avons eu des renseignements sur une invasion massive de troupesd'Ouganda pour soutenir le FPR...(doc)Cela fit que des officiers des RGF (Rwandan Governemental) n'avaient pas confiance ennous: “dans la mesure où ils étaient en possession de preuves que la partie adverse nerespectait pas du tout les règles et qu'ils s'attendaient à ce qu'une offensive soit lancée parleurs ennemis du FPR.” p 17J'avais aménagé dans le village d'Unrugwiro, pas loin du siège des Nations Unies.C'était dans un complexe gardé par la GN (Garde présidentielle). Mais jusqu' à la nuit du 6avril , il n'y avait aucun signe que l'attaque contre l'avion présidentiel était sur le pointd'être menée et que cela déclencherait ce que nous savons tous”.

LA MISSION AVEC L'OUA-GOMN AU RWANDAJ'ai été affecté au Rwanda après une mission épuisante en Casamance, parmi une vingtainesensés remplacer des observateurs de l'OUA. Arrivés en juillet 93 nous fûmes accueillis parle major rwandais Laurent Munyakazi, très gentil, mais aujourd'hui en prison à vie.

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D'entrée nous nous sommes retrouvés cantonnés à Ruhengeri, tombant sur des déplacéspar la guerre:“Le spectacle était impossible à supporter. Des centaines et des centaines de personnesdéplacées, des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux, et beaucoup d'estropiéscroulaient sur les trottoirs ou croupissaient sur les flancs de la colline ou se regroupaientautours d'un camion de maïs gérés par des travailleurs impatients qui criaient sur euxtout en leur distribuant la céréale. De la fumée noire s'élevait des tentes bleues et blanchesen plastique qui abritaient les déplacés. Une odeur fétide embaumait l'air...” En arrivantà Ruhengeri c'était des soldats oisifs errant et buveurs de butunda que nous voyions... »p23 Mais le paysage était magnifique...Les Congolais de l'ONU sont arrivés, puis les Tunisiens avec le capitaine Belgacem Farey.Le QG des forces gouvernementales était dirigé par le col Marcel Gatsinzi et côté FPRc'était Karenzi Karake. Nos équipements étaient lamentables, de même que la bouffe...La principale mission, selon Arusha, était de de surveiller la zone démilitarisée, neutreentre le RGF et le RPF, avec l'installation de points d'observation fixes et l'organisation depatrouilles avec les deux parties, et le GOMN.Mais il était impossible de faire correctement notre travail: la zone était trop grande etnous ne pouvions accéder que là où on nous autorisait. Il suffisait de déclarer une zoneminée pour qu'elle devienne inaccessible...En plus de notre travail routinier nous devions de plus en plus accompagner lespersonnalités qui allaient voir le RPF à Mulindi notamment l'ambassadeur US...Nous dûmes faire un rapport au secrétaire général de l'OUA, Salim Ahmed Salim, sur nosconditions honteuses. Mais c'est Mr Fely, son conseiller spécial qui organisait les choses.Il avait une connaissance extraordinaire de la question, et des arrières du RPF parexemple...Le soir du 8 août 1993, quand se signaient les accords d'Arusha nous pouvions voircombien l'arbre à palabre de nos traditions peut porter ses fruits: à Kinihira, sous lasupervision de l'OUA/GOMNles deux délégations, avec Habyarimna le président et Kanyarengwe du RPF, étaientrespectueuses l'une de l'autre, même s'il y avait de la tension et des armes cachées...La tolérance dans l'arène politique était également une réalité, “ les membres du RPFrésidant au Rwanda pouvaient exhiber sans crainte leur appartenance et leur soutien auparti. Les sympathisants du RPF pouvaient se montrer sans aucun problème.” p 38“Je pense sérieusement que nous les étrangers étions arrivés dans ce pays avec nos idéesarrêtées et avions automatiquement montré notre sympathie pour le FPR pour le côtéhumain, parce qu'il était considéré comme faible à ce moment-là et que son but affichéétait de se battre pour pouvoir revenir dans sa patrie. Mais qui souffrait en fait? Moncoeur était meurtri à cause de ces personnes déplacées, chassés de la ZDM, menacés,violés, et mourant de faim alors qu'elles étaient innocentes.Empêchées de retourner sur leur terre, et le RPF faisait tout pour les décourager. Enoutre j'étais convaincu qu'elles étaient utilisées comme zone tampon entre le RPF et leRGF. Et c'était la faute du RPF. ” p 39Le terrain était alors impraticable. Il fallait des hélicos et des patrouilles assez nombreuses.L'UNOMUR ou la MINUOR (L'ONU en Ouganda) chargée alors de contrôler qu'il n'y aitpas d'armes et troupes qui passe par la frontière ougandaise avec le Rwanda étaitimpuissante du fait que l'on pouvait passer par les chemins buissonniers. Plus le fait qu'iln'y avait pas de coordination entre le GOMN (l'ONU dans la zone démilitariséecorrespondant au recul que le RPF a accepté après son offensive de février 93) etl'UNOMOR, sinon par un officier zimbabwéen, Ben Matiwaza. “Il était un des rares àavoir signalé à plusieurs reprises, d'importants mouvements clandestins de troupes,d'armes, de munitions et d'autres moyens logistiques du NRA d'Ouganda pour soutenir laRPF”. P 41Puis nous sympathisions facilement avec ceux du RPF car ils étaient au départ plus

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démunis que ceux de l'AGR, et d'une cigarette à un prêt de tenue ou un partage de repaspar exemple, cela pouvait donner aux autres l'impression d'une collaboration.Mais cette sympathie débouchait sur des confidences et des fuites d'informationssensibles...On s'apercevait aussi qu'il y avait des niveaux hiérarchiques importants dans le RPF, lesOugandais ou anglophones étant le haut tandis que les Zaïrois Bagnamulengue étaient aubas de l'échelle.Leur fonctionnement était cadré par des commissaires politiques de type vietcong, ce quiétait bien ancré dans leur culture politique et stratégique. Et ils étaient toujours à un hautniveau de préparation militaire, même si parallèlement ils négociaient les accordsd'Arusha...Plus tard nous apprîmes qu'une mission d'observation arrivait pour un nouveau projet del'ONU. Le 13 août le comandant de l'UNAMOR arrivait avec le colonel Tikoka, chef desobservateurs militaires, le colonel Nazrul Islam, le major Ben Matiwaza et autreobservateur GOMN désormais UNOMOR.Je fis le point sur la situation. On nous annonça que nous, le GOMN, allions passer sousl'égide d'une nouvelle mission de l'ONU pour le Rwanda. Qui serait officielle le 30 octobre.Nazrul Islam me nommait agent de renseignement pour le Commandement.

UNAMIR (MINUAR)IAvant de m'installer à Uruguiro je vivais dans la zone de Kimihura où il y avait le Cactus,restau tenu par une Française et dont le compagnon, un Irlandais ex-légionnaire, avaitcontribué à stopper le RPF dans le Mutura. Il y a avait souvent des paras français et j'en aiappris sur le Mutura, mais ils étaient peu nombreux en cette fin 1993. J'ai connu là aussi lecapitaine Ndiagne qui connaissait le pays depuis des années...Puis nous nous installionsdans l'hôtel Amahoro, à côté du stade.Le personnel QG belge est arrivé, avec le capitaine Frank Claess, du Renseignement, quiallait être mon supérieur, un homme brillant et bosseur...nous avons développé un réseauparallèle à celui des observateurs, à travers toutes les couches de la société. A cette périodele sabotage de la centrale électrique par le RPF a aggravé l'insécurité, en facilitant lacriminalité nocturne...Les rassemblements politiques étaient impressionnant de démonstrations de jeunesmiliciens.Lesquels n'étaient pas destinés au départ à être armés et meurtriers.C'était dans un premier temps des clubs sportifs, ou toutes les ethnies étaient mélangées.D'ailleurs Rober Kajuga qui fut longtemps président des Interahamwe, que je connaissaisbien, m'a aidé à sauver des gens plus tard. C'était un homme élégant et bien vu...J'ai toujours été prudent sur l'implication de ces milices dans la violence destructrice de1994.Une des clefs d'explication est que les leaders des milices n'avaient pas le contrôle sur cesjeunes parce que ceux-ci n'étaient pas simplement des miliciens mais une jeunepopulation hétéroclite.La plupart de ces jeunes que nous rencontrions étaient comme les autres, mais plusengagés dans la politique ou la défense de leur cité. Ils paradaient pour s'amuser, en sependant à des cordes au rebord de véhicules roulant à toute vitesse. Ces cordes qui étaientcomme celles des commandos belges de Bigogwe étaient en fait des produits nord coréens,à ce que j'ai su finalement.Pour ces jeunes il s'agissait de se montrer fort et respectable...Ils étaient par ailleurs très actifs à l'Umuganda, ces travaux communautaires civiques. Biensûr cela changea avec l'imminence de la guerre. Et ces milices se transformèrent en dessortes de gardes nationales ou de services civiques. La différence étant que ces milicess'identifièrent à des partis, tels les Interahamwe pour le MRND ou les Impumuzagambipour les CDR, sans parler des nombreuses autres. C' est le genre de mobilisation que

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connaissent la plupart des pays en contexte de guerre. « En plus je sais de fait que laplupart des actes attribués aux milices étaient en réalité l'oeuvre de populations locales,des jeunes de tous les bords qui se sont organisés dans des soit-disant comités de défense.La plupart d'entre eux ne pouvaient pas faire plus que dresser des barrières dans leurzone de résidences respectives de leur ville. Il y avait bien sûr des sessions de formationpour leur donner des connaissances militaires de base telle que la condition physique,l'utilisation d'armes à feu, le close-combat et le saut d'obstacles au cours d'assauts. C'esttout ce que nous savions sur elles et ce n'était pas toute la milice qui en bénéficiait. » p 57.On nous a dit qu'il y avait des entraînements dans la camp de Bigogwe. On a vérifié qu'iln'y en avait pas là, mais peut être dans la forêt. Où ailleurs d'après ce que d'autres nousdisaient. De toute façon le contraire aurait été étonnant dans un pays en guerre.De manière générale les RGF étaient en position de faiblesse à cette période: sous lapression de la communauté internationale qui avait poussé au processus de démobilisationet du fait de la modernité étatique de l'armée, les RGF étaient faciles d'accès, transparentesdans leur organisation. Ce qui n'était pas le cas avec le RPF: pas une seule fois desobservateurs ont pu accéder librement à leur zone, et la différence entre le RPF et la NRAétait honnêtement difficile à faire...Le responsable de l'UNOMOR était Dallaire qui allait ensuite diriger l'UNAMIR(MINUAR) bien que l'UNOMOR avait l'impossible mandat de surveiller la frontièreOuganda-Rwanda, à travers seulement 5 passages sur les voies principales alors que lestrafics passaient par les centaines de chemins parallèles...Systématiquement l'AGR-RGF (armée gouvernementale) a été contrôlée et affaiblie et pasle RPF, ce qui fait que lors des terribles évènements de 1994 le RPF rejetait les demandesde trêves « car sa machine de guerre était déjà en marche et le RGF n'était pas en mesurede faire face à une offensive destructrice, rapide et bien soutenue de l'ennemi qui sedirigeait vers l'intérieur du pays. Le RGF ne pouvait pas se réorganiser et se battrecontre les auteurs des massacres. C'était évident que le RGF n'avait pas les moyens defaire tout cela à la fois, tout en ayant la responsabilité de l'intégrité du territoire et ymaintenir l'ordre. Les deux camps de moyens et de soutiens, mais surtout d'uneassistance politique qui eût obligée le RPF à accepter une trêve pour des raisonspolitiques car ils faisaient face à massacres généralisés de la population des deuxgroupes. Refuser cette trêve était un grand crime contre l'humanité. C'était toutsimplement immoral. »La question suivante est très délicate car elle touche la nature de l'homme. C'est la questiondes ethnies que je n'aime pas évoquer, car au Rwanda leur différence n'est à priori pasévidente, et les familles mixtes étaient nombreuses.Plus tard pour plusieurs raisons inavouées une idée a pris forme qui fit partie d'un planprogrammé pour détruire les soi-disant Tutsi de l'intérieur: c'est qu'ils étaient considéréscomme étant les alliés des nouveaux venus, comme étant désormais de l'autre population,extérieure.Et le RPF qui avait peut être eu besoin d'eux pour les moyens financiers, semblait par lasuite les voir comme des obstacles dont il fallait se débarrasser...D'autre part beaucoup degens qui étaient bien en place avant la guerre se sont fait spolier par les nouveaux venus etil était facile de coller une accusation criminelle à ceux qui auraient pu se plaindre...Dansce contexte je rend hommage à Karenzi Karake du RPF qui a toujours essayer d'arrangerles choses à ma demande lorsque j'ai vu des cas d'injustice. Il fut officier de liaison avecl'OUA, puis le gouv, puis la MINUAR, avant de se retrouver à la tête de la DMI (policepolitique du RPF-FPR).Concernant cette relation privilégiée que nous avions souvent avec le RPF, Il faut dire aussique pour un étranger il était plus facile de lier des relations avec des Tutsis qu'avec desHutus peut être parce que ces derniers étaient plus traditionnels, que le secteur tertiaireétait plus souvent Tutsi, qu'il y avait une diaspora tutsie importante etc. Au Rwanda il yavait de ces Tutsis qui faisaient carrière dans l'entreprise comme Edouard que l'on

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rencontrait au bar restau de Françoise Siarsky, et qui étaient même des membres actifs etconvaincus du parti présidentiel...Nous l'UNAMIR, avions toute une série de vérifications à faire, mais notre crédibilité étaitentamée du fait que la communauté internationale avait privilégié un camp. De plus lescomportements grossiers de certains soldats belges ont été catastrophiques, et surtoutnotre crédibilité a été mise à mal dès le début par l'incapacité de mettre à jour lesévènements de Nkumba, près de Gisenyi, le 18 novembre 1993 (au moment ou l'UNAMIR-MINUAR se met en place). Là, à Nkumba Il y eu plus d'une vingtaine d'assassinats deresponsables hutus dans la nuit. Mais le commandement de l'UNAMIR n'a pas conclu sonenquête. Les traces d'éléments du FPR ont été trouvé, mais elles ont pu aux yeux descadres de l'UNAMIR relever de la manip...pour moi ces traces paraissaient vraies. Quoiqu'il en soit ce fut une perte de crédibilité très importante de l'UNAMIR, accusée departialité pro-FPR.Il n'y avait pas non plus de rapport sur les déplacements des RPF dans la zone, parl'UNOMOR (pour ce qui venait de l'Ouganda). Ce qui déçu vivement l'officier de liaisonRGF-UNAMIR Ephrem Rwabalinda, et du coup poussa certains observateurs africains àpenser qu'il y avait du favoritisme avec le RPF...Malgré ces mauvais prémices les choses se sont bien passées quand la délégation du RPFs'est installée au CND (l'ancien parlement au centre de Kigali, selon les accords d'Arusha)en décembre 1993. Sur le passage des membres du RPF-FPR beaucoup de gens étaientheureux de voir revenir Kanyarengwe, Lizinde, Seth Sendashonga, tous ces ancienscompagnons d'Habyarimana (qu'ils avaient quitté pour rejoindre le RPF-FPR). Le RPFétait également salué car cette installation était théoriquement signe de paix. Mais aussibien Dallaire que moi, ou tout autre un tant soit peu stratège, nous étions très étonnés quele gouvernement ait accepté une telle implantation du RPF-FPR, au coeur de la cité...PourHabyarimana et les siens le seul avantage stratégique était la poximité de la GardePrésidentielle. De plus le RPF était accepté avec son armement organique: armes perso,mortiers et dispositif anti aérien. Mais il ne se privera pas d'amener des lance-rocketttestype Katyoucha, montées et cachées sur le toit du CND. Plus les infiltrations d'autrespersonnels militaires non autorisés, et les sorties clandestines nocturnes de soldats du RPFavec l'aide d'un certain Severa, un entrepreneur rwandais qui amenait des ouvriers le jour.C'est A. Gasana le ministre des Affaires étrangères qui avait donné son accord à cetentrepreneur pour le contrat avec le RPF. Or la femme de Gasana, était au Comité centraldu RPF en Belgique.En face cela ne passait pas inaperçu, puisque le MRND faisait noter les immatriculationsdes véhicules venant rendre visite au RPF...D'autres part il y avait un déséquilibre flagrant entre l'espace abandonnée par les RGF-FAR à la zone de paix de l'UNAMIR-MINUAR: 246 km, et celle du RPF: 70km2, alors quecelui-ci bénéficiait par ailleurs de la base arrière ougandaise...sans compter que le RPFviolait régulièrement la zone de paix et faisait des incursions. Reste que l'arrivée du RPFfut un succès tant le désir de paix était là.C'est Luc Marchal qui supervisait et qui gérait les violations avec tact, sans laisser passer,mais en ménageant les susceptibilités. Luc Marchal était vraiment un officier supérieurrigoureux et poli, avec un sens élevé de la morale. A ce propos je me souviens d'une desjournées les plus effroyables des évènements, lorsque son QG s'est trouvé entre deux feux,entre la GN et le RPF. Un groupe d'observateurs qui étaient sous son autorité, paniqués luidemandèrent l'autorisation de s'en aller.Il leur dit calmement qu'ils pouvaient disposer et continua à faire son rapport à Dallairetandis que ça tiraillait dans tous les sens...Les Forces gouvernementales étaient plus faciles à contrôler que les mouvements illégaux.Il faut savoir que le RPF-FPR alla jusqu'à refuser à nos observateurs d'entrer au CND (le 25février 94). Ce fut une des principales violations des accords de sécurité des armes surKigali, le KWSA.

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LES DERNIERS JOURS AVANT L'ENFER ET LE DEPOT DES ARMESCACHÉESEn janvier 94 un certain “Jean Pierre” de fait Abukar Turatsinze, qui était en relation avecTwagiramungu (opposant hutu à Habyarimana), nous contacta, comme quoi il faisait de laformation militaire de haut niveau pour Ngirumpatse le secrétaire général du MRND etqu'il avait des infos importantes à nous confier, en échange d'une aide pour lui et sa famillepour une installation à l'étranger. Pris en charge par Luc Marchal, Frank Clays et moimême, à la demande de Dallaire qui prenait ça très au sérieux, nous l'avons auditionné. Ildisait que le parti MRND était prêt à fournir les milices pour tuer des milliers de Tutsischaque 20', qu'une de leur cible était les Belges etc. Et pour prouver sa bonne fois, qu'ilpouvait nous révéler les caches d'armes du parti...Dallaire était chaud pour intervenircontre ces caches, mais le DOMP (Direction des Opérations de Maintien de la Paix) àl'ONU lui ont demander de ne pas faire un scandale et d'en référer avec le RSSG(Représentant spécial du secrétaire général de l'ONU: Mr Booh Booh, le « chef » politiqueDallaire étant le chef militaire) aux autorités, à savoir le président, interlocuteur desaccords...pendant ce temps avec Frank et JP nous allâmes vérifier une des caches dont il nousparlait. C'était au siège du MRND, où nous pûmes entrer sans difficulté. Dans une petitepièce on a vu trois caisses d'AK 47, sans les munitions, et une caisse de grenades...j'étaisdéçu. En plus on apprit que JP n'était pas un membre de la GP, mais un chauffeur duMRND, licencié, et qu'il faisait des petits trafics...Il nous montrera ensuite des lieux quiétaient sensés être des planques, mais en nous disant qu'on ne pouvait y aller...Puis Frankme fit remarquer que Karake du RPF-FPR et lui se connaissaient très bien...On a attiré mon attention ensuite sur le fait que tout cela avait été organisé avec CharlesNtazinda, le voisin de JP, conseiller du ministère des Affaires étrangères ( qui était prochedu RPF...)

A PARTIR DU 6 AVRIL L'ENFER AU RWANDALe 6 au soir je fut surpris par une double explosion qui secoua ma vitre. J'ai eu uneappréhension: c'est la guerre ou quelque chose comme ça, mais je pensai plutôt à uneexplosion d'entrepôt ou autre qu'à un attentat contre un avion, je ne savais pas que leprésident était de retour d'un sommet. Après un bref moment silencieux, ce fut la paniquesur le réseau de communication. Puis la nouvelle de l'assassinat du président arriva. Al'aéroport la GP et le commando para était mobilisé, ce qui était normal c'était leur zone decontrôle. La surprise se lisait sur leur visage. La nervosité était terrible d'autant que la nuitrenforçait la tension en plus de la proximité de la zone non sécurisée suspectée d'êtreinfiltrée par le RPF, ce que nous savions pour notre part...Puis, ce qui est rarementrapporté, j'entendis des coups de feu secs qui avaient l'air ciblés de la vallée derrière leCND (où était installé le RPF), ce qui corroborera des infos arrivées plus tard comme quoile RPF avait commencé à nettoyer la zone...Ce n'était pas encore la GP qui tirait. Le RPFest ensuite sorti derrière l'hôtel Méridien pour se placer le long de la route principale entreUrugwiro et le circuit de Kimihurura, et se mit à creuser des tranchées le long de cetteroute...Vers 23h 30 je reçu un appel de Mme Kavakuza, qui était inquiète, mais dont lemari était proche du RPF, et qui ils étaient aussi amis de Bizimungu (chef d'état-majorhutu), et de James Gasana quand il était ministre de la défense (opposant hutu au sein duMRND). Mais elle, Tutsie très accueillante à Mulindi et son mari qui était directeur decabinet d'Agathe Uwiligiyimana (la premier ministre hutu opposante), seront tués. J'ai pum'occuper de leurs enfants qui s'étaient cachés, en les cherchant avec le capitaine GaspardHategekimana, intendant d'Habyarimna et bien que membre de la GP, d'une grandegentillesse ...puis nous les avons confié à mon ami Ndiagne à l'Hôtel des MiIle collines...lemeilleur ami de Gaspard était Edouard, l'homme d'affaire tutsi qui sera tué aussi...Je suivais ensuite à la radio les déplacements de Luc Marchal et du général Anyidho au

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CND.Le matin du 7 j'allais au restau d'Urugwiro, où il y avait du monde côté GP, et des civils,tels des Interahamwe, dont Robert Kajuga qui gardait son calme. Un de son entourage quiavait une hache dans la main et semblait ailleurs, me dit: « l 'UNAMIR vous nous aveztrahis, hein! », mais comme j'étais black cela n'a pas été plus loin...ils étaient désemparés.Puis j'assistais à une scène extraordinaire: une voiture passa à toute allure en zig zag pouréchapper à des tirs de rocket! C'était un officier observateur congolais, avec femme etchauffeur. Le chef de la Force (Dallaire) qui était là ne manqua pas d'élégance et de sangfroid, en allant ramasser l'écharpe de la dame qui était tombé sur la route pour la luiremettre alors que ça canardait...Dès lors j'étais convaincu que le RPF était sorti de sesgongs et que ces tirs de RPG-7 étaient des coups de sondes.Le RPF s'était bien préparé. Je ne connais pas d'officier, notamment parmi lesobservateurs qui doutaient que le RPF puisse être l'auteur de l'abattage de l'avion. Il fallaits'adapter au silence officiel sur le sujet, mais cela grondait parmi nous: « il y a une missionimplicite dans la Mission pour clairement mettre en place le RPF » dirent la majorité desobservateurs.Ils étaient en colère contre l'UNAMIR et contre cette conspiration diabolique et sesconséquences. Ceci-dit je pense que personne n'avait prévu un tel drame, et tout le mondepouvait être victime...D'autant que la guerre allait reprendre, pas tellement du fait des RGF-FAR qui n'y avaitpas intérêt, et que nous avions régulièrement contrôlé. « Même un cargo très importantde munitions d'artillerie qui a été commandé d'Egypte et livré par avion a été saisi parl'UNAMIR à l'aéroport pendant qu'on savait pertinemment que la partie adverseemmagasinait les pires armes de destruction et d'autres moyens logistiques. En cemoment là les RGF-FAR disposait de plus de trois milles pièces d'artillerie petites etmoyennes, surtout des mortiers de calibre de 120mm à 80mm et 6mm sur l'étendue duterritoire, mais ils n'avaient pas assez de munitions pour ravitailler ses unités ». p 137le soir du 7 Dallaire m'a demandé: Dème tu sais qui a descendu l'avion? J'ai répondu: nonmonsieur...L'après midi avait été mon premier passage en enfer: Spéciose Kawaguzam'avait appelé paniquée et hurlant de peur depuis sa maison: une foule hystérique étaitmassée devant et son mari, major, était sorti dans le jardin avec le fusil. Je seulement pului dire que j'arrive. J'ai sauté dans le premier véhicule, emmenant l'officier Badiane quiétait là, et fonçant sur Kyovu pour atteindre la maison des Kawaguza à Kamisagara. Enroute un adjudant qui me reconnu à un barrage me donna 5 soldats.Mais en arrivant la foule était là, qui grossissait, et les soldats avaient peur, on tapait sur lavoiture, la soulevait, et les gens criaient que nous avions tué leur président. J'ai osé sortirdu véhicule pour leur parler. On me répondit que ce n'est pas la peine d'aller chez lesKawaguza car ils sont morts, lynchés après que lui ait tiré et tué 7 personnes. Les enfantsont été épargnés et laissés chez le voisin. Ils disaient n'avoir rien contre eux. Mais ils nousordonnèrent de partir ensuite et nous n'avions pas le choix. J'aurais des nouvelles plus tardet je retrouverai les les enfants.Je ne m'en remettrai jamais. Dès lors je devais m'adapter ou me perdre.Je remerciais ensuite les 5 militaires dont on pouvait lire la désolation dans les yeux.J'allais aussi au CND, base du RPF, mais mon interlocuteur Charles Kayonga n'avait pas detemps à m'accorder et me dit de me débrouiller, ce que je fis car on me connaissais à peuprès. Sauf qu'un jour un officier anglophone que je connaissais pas m'interdit de passer.Mais j'y revenais prudemment les jours suivants. Le 7 l'évènement le plus triste futl'assassinat d'Agathe Uwiligiyilana dont Mbaye Ndiagne m'a raconté les détails. Il acourageusement récupéré les enfants pour sa part. Et les a mené à l'Hôtel des Mille collines(ils seront ensuite acheminés par André Guichaoua).Selon la version officielle de la mort d'Agathe Uwiligiyimana. Une dizaine, voire treizesoldats belges de la garde d'Agathe, qui s'était faite tuer avec son mari alors qu'elle s'étaitcachée dans une maison voisine du personnel de l'UNDP, ont été mené au camp Kigali, là

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ils ont été attaqué de suite par les soldats en furie. Les officiers n'arrivaient pas à lescalmer, se faisant menacer eux même. (y compris Ntuhaga qui les avait conduit). Dallairelui même est passé devant. Si il avait été attaqué c'en était fini de la mission...Pendant ce temps nous avons reçu, le 8, des renseignements troublants quant à la présenced'un corps de marine US à Bujumbura depuis quelques jours. Sachant que le pland'évacuation de l'ambassade US passait par Bujumbura, on peut se demander s'ils étaientau courant de ce qui allait se passer le 6...

DES FAITS TROUBLANTSLe 9 je remarquais que des soldats hutus arboraient des gourmettes en or etc, en fait desbijoux volés à un bijoutier sénégalais qui était parti...ce jour-là les choses ont nettementempiré. Il y avait des barrages partout qui étaient tenus par un mix de jeunes et miliciensqui en voulaient au RPF-FPR ou aux Belges, coupables à leurs yeux d'avoir tué leurprésident. Ils étaient armés de bric et de broc. L'alcool et le cannabis n'arrangeaient pasleur état et il fallait être excellent psychologue pour les aborder sans dommage...Ces jours-là nous allions où nous connaissions des gens, Hutus comme Tutsis, pour les sauver de lafureur de la GP. Une fois nous avons sauvé les rescapés de la famille d'accueil de Thiam,avec deux voitures: moi devant avec les gens et lui derrière qui négociait alors que jepassais le plus vite possible en “éclaireur”, montrant du doigt la voiture de Thiam...“J'avais déjà connu des situations hyper stressantes avant le Rwanda, mais c'étaitdifférent, car on savait à quoi s'attendre. Là c'était tout simplement de la folie. Mais alorspourquoi cela n'avait-il pas été prévu? On pouvait facilement deviner que la mort subite,l'assassinat du président, entraînerait son lot de tueries”. P 168Je suis retourné chercher des affaires à Urugwiro village aussi, avec Badiane, des GPétaient à l'entrée, hyper tendus, et quand nous sommes partis, notre voiture échappa dejustesse à l'envoi d'une grenade...On avait eu chaud ce jour-là, il était évident que la GP ne nous faisait plus confiance.Autre histoire: il fallait évacuer le personnel de l'UNAMIR de l'hôtel Méridien, ce qui futrendu difficile par l'hystérie des certains civils. Ils avaient peur du moindre mouvement, detraverser la rue, voire même le hall de l'hôtel pour rejoindre nos véhicules...Il n'y avait pas de plan préconçu pour le sauvetage des gens, cela relevait de nos initiativespersonnelles. D'autant qu'étant là depuis longtemps nous connaissions mieux le terrainpour savoir qui il fallait sauver. Quitte à recourir à des méthodes tacites qui auraient punous coûter nos carrières, bien que le GF, Dallaire a probablement fermer les yeux carc'était pour sauver des gens...

“Les amis d'amis étaient acheminés sans document à l'hôtel Méridien, et de là à l'aéroporten parfaite coordination avec sur place l'officier UNAMIR-MINUAR de liaison, leCapitaine Cherif Mbodj qui les mettait dans l'avion pour Nairobi. Nous multipliâmes lesopérations car les autorités kenyanes se plaignaient que ces gens n'avaient pas depapier...et nous avons pu accélérer le processus ensuite en apprenant que la machine àfaire des cartes d'identités de l'ONU avait été oublié dans le bureau de sécurité...”Même sidans des circonstances normales je n'aurais jamais fait cela, moralement, nous nepouvions rester les bras croisés et ne pas aider les innocents rwandais qui attendaientleur mort. Comme ils devaient montrer leur carte d'identité des Nations Unies avantd'embarquer dans les avions, nous leur fournîmes ces documents. Et on verrait bien cequi arriverait. J'avais honte en mon fort intérieur, mais ne me sentais pas vraimentcoupable d'un quelquonque crime. La raison était au dessus de toute considérationadministrative. Donc la machine abandonnée a imprimé beaucoup et l'appareil photoétait très mobile. C'est ainsi que des civils rwandais ont pu obtenir de fausses cartesd'identité et infiltrer les avions des Nations Unies pour Nairobi où ils étaient pris encharge par l'UNHCR et autres organisations humanitaires. Jusqu'au jour où ce quidevait arriver arriva, et je m'y attendais en fait depuis quelques jours. On découvrit tout

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à Nairobi, et le bureau de Koffi Annan au QG des Nations Unies entra en contact avec lecommandant de la force (Dallaire) pour qu'il ouvre une enquête.Je n'oublierai jamais cela et pendant les réunions c'était le sujet spécial du commandantde la force qui ne cessait de marteler:” le responsable sera pendu!”. Si j'avais été seul jeserai allé me dénoncer, mais j'avais peur pour les civils qui avaient confectionné lescartes. Le commandant savait que c'était moi , mais malgré tout l'effet que cela eu à NewYork il laissa faire tout en mettant la pression psychologiquement. Je le remerciais aufond de mon coeur et j'étais sûr qu'il m'avait pardonné de par son attitude. Presque tousles gens que nous avons réussi à faire évacuer ainsi ont pu rapidement être envoyé dansdifférents pays étrangers où ils ont obtenu le droit asile”. P 173.Une autre fois il y avait une famille rwando-canadienne a évacuer, Dallaire lui même me ledemandait. J'ai été jusqu'à courser l'avion qui était déjà en train de rouler sur le tarmac,alors que nous venions à toute vitesse de l'hôtel Méridien, tout en exhibant mon médaillonONU une fois arrivé à la hauteur de la cabine du pilote. Le pilote à bien voulu ralentir fairesortir l'escalier tandis que nous faisions monter la famille sportivement car l'avion avaitjuste ralenti, avant de mettre les gaz pour le décollage...A la suite de quoi les soldats del'AGR-FAR furieux contre moi, m'ont menacé, ont voulu me faire agenouiller, mais je nepouvait répondre que « a Senegalese officer never kneels down »...et heureusement mesamis de l'UNAMIR qui connaissaient les militaires rwandais de l'aéroport sont arrivés.Cela m'a probablement sauvé la vie.Cette histoire se répandit comme une traînée de poudre et en arrivant au QG, Dallaire medemanda des explications avec un clin d'oeil. Je lui suis reconnaissant d'avoir laisser faireune fois de plus...Pendant ce temps la situation empirait question ravitaillement et conditions sanitaires, ilnous fallait chercher de l'eau à l'extérieur pour nettoyer les chiottes qui restaient bouchées.Un jeune Hutu nous rendait énormément service à ce niveau. En échange de quelquesavantages, il nettoyait tout et était très sympathique, Jean de Dieu s'était mis à notreservice dès avant les évènements. Malgré cela un jour le RPF est venu et l'a sorti de nosmurs pour l'abattre sommairement et arbitrairement, soi disant qu'il aurait été un tueur...Nous avons également évacué la famille Gueye, ces bijoutiers sénégalais qui s'étaient faitvoler, et qui accueillaient régulièrement le contingent sénégalais et autres représentants dela MINUAR. Ils étaient en danger. C'est mon ami Mbaye de l'UNAMIR qui appela à leursujet alors que lui était bloqué au Méridien. Comme personne ne se bougeait, d'autant queça bombardait à mort, mon sang s'est mis à bouillir et je suis parti les chercher. Il n'y avaitque les femmes et enfants, le monsieur étant resté bloqué au Burundi.Et ces dames quelque soit la situation gardaient leur flegme, à la sénégalaise...mais cela amarché...Quant à la situation générale, elle ressemblait à une guerre de tranchée entre le RPF et laGP dont les casernes constituaient des proies faciles. A forces de négociations je passai àpeu près à tous les barrages où l'on reconnaissait mon véhicule UNAMIR no 1204. Mêmes'il n'était pas rare de trouver des traces d'impact régulièrement sur la carrosserie. J'ai eude la chance. Il m'est même arrivé de me baisser instinctivement à bonescient...Visiblement on avait tiré depuis la GP, sans que le RPF ne réagisse...Maisquelques semaines plus tard c'est ainsi que le capitaine Babacar Faye a été blessé.Il avait eu chaud. De toutes façons nous étions rentré dans une nouvelle phase dont l'issueinéluctable était la victoire du RPF.« Pendant ce temps à Kigali, l'horreur était à son comble. Il y avait des tueries de partout,l'ordre était inexistant et il n'était évidemment pas possible de le restaurer. Qui auraitalors été capable de se préoccuper de l'ordre? Etait-ce matériellement possible pour lesForces Gouvernementales alors face à l'offensive pressante du FPR? Etait-ce possiblesans une trêve, refusée par le RPF, alors que les Forces Gouvernementales l'ont souventdemandée?Donc les conséquences étaient claires: les massacres continueraient sans aucun moyen

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d'y mettre un terme. »p 189 suite“Nous nous demandions par moment pourquoi le RPF a ralenti son action pour gagnerrapidement la guerre dans la mesure où il en avait la possibilité. Leur progression étaitrapide et cela prouvait qu'une opération planifiée avait déjà été fomenté avant l'abattagede l'avion. Le déploiement rapidedu RPF dans les alentours de Kigali et la liberté de mouvement de de ses troupes pours'infiltrer et traverser la ZDM et s'approcher de Kigali constituait simplement les preuvesque les forces gouvernementales étaient totalement surprises par les évènements. Le RPFavait prudemment tout planifié et était prêt depuis longtemps à reprendre la guerre...”“S'ils avaient fini le job à la vitesse de leur progression, ils auraient définitivement aidé àmettre un terme aux massacres. Au lieu de ça c'était comme s'il y avait une volonté dechaos humanitaire.Les scènes étaient insupportables. Les piles de cadavres, des femmes enceintes éventrées,l'odeur, les chiens qui devenaient cannibales. Le pire c'est quand vous êtes témoinsd'assassinats et que cela se fait contre des gens qui sont déjà faibles, déjà des sortes devictimes... Il était simplement impossible d'essayer de comprendre ce qui se passait. Etdifficile de trouver le sommeil.Le matin tôt je faisais ma prière, demandais à Dieu de m'aider à rentrer sain et sauf, s'ilestimait que c'était bien ce que je faisais, sinon il pouvait mettre fin à ma vie...Je sentaisde toutes façons que même avec 90% de chances d'échec une voix intérieure me disait“continuez vous y arriverez”. Et ça se produisait ».p 193Puis je faisais ma tournée, allant voir les deux camps, et les lieux d'accueil, Ste Famille etc,en terminant à l'hôtel des Mille Collines où je me restaurais et me lavais avec l'ami MbayeNdiagne.

LE RWANDA ABANDONNE A SON SORTA partir du 9 es Français se mirent à rapatrier les leurs, et il fallu que le Commandant de laForce insiste auprès du RPF-FPR pour leur faire comprendre que ce rapatriement n'étaitpas un soutien au RGF. Puis les Belges arrivèrent et là il fallait faire comprendre aux RGF-FAR que ce n'était pas en soutien au RPF.Les Français avaient même ordre de tirer sur tout RGF-FAR qui s'en prendrait aux avionbelges.L'opération française s'est faite en trois jours sous l'égide de Poncet.Quand les belges ont quitté, une des plus grandes erreurs que nous ayons commise était dene pas faire immédiatement le relais des lieux quittés avec la MINUAR, bien que lagendarmerie rwandaise était là théoriquement.Le colonel Rusatira (FAR) lui-même considérait que c'était des endroits à protéger.Lui comme d'autres amenait des vivres pour ceux qui avaient trouvé refuge à Don BoscoEto de Gikondo, une église sur qui il y a eu ensuite des histoires différentes. A l'époquenotre personne de confiance sur place était Ernstine Umulisa, Tutsie de l'UNAMIR qui semarira ensuite avec Mboli Centrafricain de la MINUAR, avant de s'installer à Genève.Les jours suivants je faisais les convois pour l'aéroport avec le major polonais Pajik. Un desproblèmes qui se posait souvent aux barrages était la barrière linguistique. J'ai revu FrankClaes qui n'était plus à l'UNAMIR à cette occasion, et c'était émouvant, nous sommesrestés en contact. Finalement les évacuations se sont bien passées. Il n'y a pas eud'accrochages dûs à la rancoeur du RPF-FPR contre les Français, rancoeur liée au soutiendes Français aux RGF-FAR dans le Mutura. Cependant je pense que le soutien des Françaisétait exagéré car ils n'avaient à ce moment là qu'une compagnie d'infanterie qui aidait lesRGF-FAR à contenir l'offensive du RPF-FPR, bien que l'assistance technique ait été fourniesur l'utilisation des nouvelles armes, principalement des canons de 105. Même scénariopour les Belges, ils ont atterris dans de bonnes conditions. D'ailleurs on a reproché auxFrançais d'avoir piqué des véhicules de l'ONU, mais en fait ce sont les Belges qui leur ont

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prêtés. Il y avait aussi des Canadiens et des Italiens, ce qu'on oublie en général. Et il y euaussi une attitude terriblement choquante de la part des Belges: ils ont saccagé le hall del'aéroport devant nos yeux et ceux des paracommandos rwandais, qui heureusement ontgardé leur calme...La nuit les colonnes du RPF-FPR entraient dans Kigali. “Après une journée de bataille,c'est-à-dire à partir du 7 avril, nous savions déjà que qu'un second bataillon avait déjàfait la jonction avec le bataillon RPF basé au CND ( à l'intérieur de la ville). Ce qui signifieque le RPF-FPR était déjà préparé, et que si les RGF-FAR ou n'importe qu'elle autrepartie du pouvoir en place avaient été responsables de la descente de la l'avion quiengendra les évènements, ils auraient au moins pris la précaution d'empêcher l'accès desroutes pénétrant Kigali au RPF. De plus puisque le CND (où était le RPF-FPR) n'avaitaucun moyen de transport mobile pour transporter leur logistique, on pouvait sedemander comment ils avaient pu faire entrer leur immense stock d'artillerie à l'intérieurdu CND. Le bombardement intensif qu'ils opéraient sans arrêt montrait qu'ils avaientune énorme réserve d'obus. Comment ont-ils pu transporter cela sans transport surMulindi (aller-retour) si ce n'est avec ceux des Nations Unies? (ces transports qui étaientofficiellement pour le bois)La salle des opérations et tous les halls du CND étaient remplis de nouvelles équipesmilitaires. Je ne doutais pas une seconde que ces soldats venaient tout droit d'Ouganda,car ils étaient équipés différemment des troupes régulières qui portaient de vieuxuniformes de RDA et des bottes en caoutchouc. Ceux-ci avaient des treillis verts etparlaient anglais avec un fort accent.Ils étaient certainement appuyés par l'armée régulière ougandaise depuis Kigali.Cela me fit sérieusement penser à la raison du refus absolu du RPF d'accepter le principede patrouilles conjointes avec les RGF-FAR et l'UNAMIR le long de la DMZ (zonedémilitarisée) qui pouvait mener à un trafic sur l'Ouganda. Le refus prenait tout son senssi le RPF avait en projet de reprendre les hostilités.”p 215Au QG d'en face, au coeur du quartier résidentiel de Kyovu j'allais souvent à la maisond'Ephrem Nkezbera.(des Interahamwe). Son frère, un lieutenant, m'a demandé de l'aider àsauver des Tutsis qu'il cachait avec un ami dans une maison à côté du restau “Le petit LePetit Kigali”. J'ai réussi à les sauver après avoir fréquenté le restau et attendu qu'il n'y aitplus grand monde, en les amenant à l'hôtel Méridien, puis ils ont pris la route de Goma parGitarama. C'était des parents de Juvenal , l'ami du frère d'Ephrem.Plus tard Ephrem sera emprisonné et je témoignerai en sa faveur. A mes yeux c'était unedes personnes les plus honorables que je connaisse, et qui avait aussi sauvé des gens à ceque j'ai appris. Je l'ai revu au Bénin quand j'étais dans l'Équipe Nationale d'enquête pour leprocureur du TPIR et que nous étions sensés trouver des preuves d'une supposéeplanification du génocide.Il put nous fournir les traces d'une commande d'armes à l'Afrique du Sud, laquelle n'a puse concrétiser à cause de la zone de désarmement que nous l'UNAMIR avions obtenu.Ainsi cette mesure était le coup de grâce aux RGF-FAR qui l'empêchait de faire face auRPF.“D'abord la restriction du mouvement des troupes, leur cantonnement dans les casernes,le retrait et le contrôle de leurs armes et munitions, de telle sorte qu'elles n'étaient plusopérationnelles pour s'opposer ou mener des opérations militaires qui était certainementle véritable objectif à atteindre et cela était en cours. Le tout était couronné par ladécapitation du pouvoir et l'abattage de l'avion présidentiel. Donc quand les hostilités ontrepris, tout était fait, planifié et méthodiquement exécuté par le biais des Nations Uniespour annihiler leur capacité militaire de riposter et même tenter tout effort pourrestaurer l'ordre à l'intérieur de leur propre pays.” p 225Alors que le RPF avait tous les moyens nécessaires à sa conquête. Il y avait certainementun complot pour le mettre au pouvoir. Encore fallait-il le prouver.

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Pendant ce temps outre nos nos locaux, comme refuges il y avait Les Mille Collines et lestade Amahoro notamment. Le premier point de rassemblement était sous laresponsabilité du colonel Victor Moigny le commandant des observateurs congolais. Lesréfugiés étaient souvent des personnalités tutsis, et dans une moindre mesure hutus, quin'auraient pu rejoindre ce refuge sans l'aide des autorités locales RGF-FAR.Le nombre d'incidents lors des parcours aurait pu être meurtrier si les responsables del'UNAMIR, du gouvernement et de l'hôtel n'avaient pas suivi de concert la situation. Demême l'expérience de Moigny et d'autres observateurs déjà actifs dans le GOMN, avantl'UNAMIR, fut souvent salutaire.Les observateurs refilaient souvent aux réfugiés leurs rations de bouffe dont ils nevoulaient plus, alors que les réfugiés en redemandaient. A plusieurs reprises les miliciensapprochaient de ces lieux, mais étaient repoussés par les gendarmes, voire l'armée. Parmiles gens que je cherchais il y avait Mme Viriginie, Tutsie dont le mari, Hutu prochecollaborateur d'Agathe Uwilingiyimana (la premier ministre assassinée) a été tué le 7.Je l'ai retrouvé avec l'aide du capitaine Gaspard Hategikimana de la GP (GardePrésidentielle). Elle était tel un fantôme dans le hall de l'hôtel Mille Collines. C'étaitsurtout les personnalités qui pouvaient aller à cet hôtel. Le Stade Amahoro à côté, c'étaitzéro étoile...Je veux parler maintenant du capitaine Mbaye Ndiagne à qui je pense chaque jour et quiétait de ceux qui évacuaient les gens sur les Mille Collines. Nous étions ensemble déjàavant le Rwanda, en Casamance. Je me rappelle ce jour fatal où il a été tué par un tird'obus du RPF de la zone de Kimihurura.Ce fut une terrible perte pour moi ,et je découvrirai plus tard que sa vie était apparentée àla mienne.Ce sera la deuxième perte sur les 20 observateurs de Kigali (l'autre était un accident).Outre les Mille collines il y avait le stade Amahoro comme accueil comme je disais. Ilcomptait parfois plus de 10 000 réfugiés. Les conditions étaient terribles, on y mourrait dedysenterie entre autres. Le stade se trouvait entre les deux feux du CND (RPF) et des RGF-FAR. De plus c'était dans la zone du RPF qui venait souvent y attraper des gens pour lesexécuter sommairement. Il n'y avait presque plus d'espoir pour les gens, sauf d'êtreévacués un jour vers une zone incertaine. Certains préféraient même retourner chez euxfinalement, quels que soient les risques. C'était aussi lamentable qu'à l'hôpital Faysal, deslieux qui eurent plus mérité des livres et des films que l'hôtel des Mille Collines.Cet hôpital offert pat l'Arabie Saoudite était un bijou au départ. Mais en quelques jours deguerre il est devenu un cauchemar, bien qu'il faille reconnaître que l'équipe bengladeshi yfaisait des miracles. De son côté le RPF-FPR l'a pillé pour ses propres besoins. D'ailleurs ilsera ensuite récupéré sous le régime RPF pour devenir un fleuron du nouveau Rwanda.De manière générale le RPF était si sûr de sa victoire qu'il essayait de ne pas détruire lesinfrastructures des villes en dehors de Kigali. J'étais impressionné par l'organisation duRPF qui allait jusqu'à recenser, avec une équipe spéciale de civils, les biens vacants àmesure de son avancée sur le territoire.Les autres refuges importants qui n'étaient pas forcément sous l'égide de l'ONU étaientcertaines églises, écoles, telles les deux écoles techniques ETO, Don Bosco in Gikongo, enzone de Kicyru et l'autre en zone de Kimihurura. Un autre point de rassemblementévidemment important était l'église de Sainte famille. J'y viens à travers un personnage quifut un de nos chauffeurs du GOMN, très professionnel et courtois. Mais voila que je leretrouve à la tête d'un gang de motards avinés et tueurs, effrayants et possédés, devantl'église des Mille collines. J'ai réussi à les dissuader en l'implorant de toutes mes forces etdu fond du coeur. Mais ils menaçaient de revenir et m'ordonnaient de ne plus me mêler deces histoires. Il y eu donc d'autres situations où ils sont à nouveau repartis dejustesse...Devant l'église je remarquais le matin qu'il y avait des prisonniers en blouse rosequi transportaient des cadavres. Le père (Wenceslas) était sympathique mais il y avaitquelque chose de bizarre en lui car il avait toujours un pistolet à la ceinture. Puis une

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infirmière tutsie me confia que tout n'était pas si positif que disait le père, qu'il y avait desproblèmes, que la nuit des gens étaient tués. Je me suis donc introduit sur place, et j'ai vudes cadavres qui venaient de la nuit précédente. Dans quelle mesure le père avait-il uneinfluence sur ce qui se passait? Lui seul sait et seule une enquête approfondie pourraittrancher...Cela continua jusqu'à ce qu'il y ait une plus grande présence de l'UNAMIR surplace pour préparer l'évacuation des gens. Et ce, sous l'égide du colonel Yachee, lecommandant des Ghanéens chargé de la zone démilitarisée et des opérationshumanitaires, et du major canadien Mac Neell, un homme très sympathique toujourssouriant et qu'on surnommait “Papa Mama”.Cela me rappelle l'affaire de Laurent Munyakazi qui a été condamné au tribunal gacacapour appartenance à la Sainte famille. C'était le premier officier qui nous avais accueilli en1993 pour le GOMN, et il était très courtois et très apprécié. Je dois dire que nous nel'avons jamais vu à la Sainte famille, ni entendu qu'il ait un lien quand nous y étions...Au contraire je l'ai revu en 1997, et entre temps il avait été défendu par Karenzi Karake quil'avait connu quand il était officier de liaison avec le GOMN puis l'UNAMIR et il l'a intégrédans la nouvelle armée RPA, pour lutter contre les infiltrations dans le nord. Il était alorsbien vu.Mais en 1997 toujours, il s'inquiétait à nouveau qu'on lui cherchait des ennuis.Mais sur la Sainte famille il faut savoir que le RPF qu'en 94 il voulait contrôler lesopérations de l'UNAMIR et qu'il bombardait au moment précis où l'on s'apprêtait àévacuer. C'est arrivé plusieurs fois à la en ces lieux et il fallu faire le 10 juin unmémorandum interne de la part de notre officier chargé des opérations humanitaires, lecol Yachee, à l'adjoint du commandant de la Force, le général Henry Anyidoho.Il évoquait l'échec de l'évacuation de Sainte famille et de Saint Paul le 3 juin à cause descoups de feu du RPF tirés sur les convois (48 personnes ont été tués à St Paul lelendemain).Cette période était très dure, on allait jusqu'à nous bombarder nous. En ces moments trèsdifficiles je voudrais dire qu'un monsieur nous fut d'un grand secours, avec un moral, unefranchise et une compétence qui forçaient l'admiration parmi le personnel de l'UNAMIR.Je l'ai rencontré lorsque nous étions appelé par le FC (Dalaire) avec le capitaine Sheriff(qui était mon correspondant à l'aéroport), et David Kabia le chef des affaires politiques,pour réfléchir au sauvetage d'une collaboratrice Tutsi à Nyamirambo, un quartier terrible.Il s'agit de Sammy Buo, proche du noyau autour du FC Dallaire qui était resté avec les nonévacués, comme le docteur Kabia, Mr Diallo, M. Mehu, et M. Kane.Il était le combattant silencieux, actif pour une réorientation de la mission vers un mandatde type 7 (permettant d'intervenir en force), à même d'affronter le durcissement de lasituation. Il avait été capable de nous toucher et de nous remotiver dans la difficulté, etcela favorisa une nouvelle étape dans nos relations avec le FC. Lequel était exceptionnel luimême dans sa capacité a être proche de la base...“Cependant ce collaborateur inconnu (Sammy Buo) a encouragé l'ensemble du sauvetageclandestin jusqu'aux échanges officiels entre les deux groupes ethniques. Il est toujours undes architectes de la paix aux Nations unies et notamment en Afrique”. P 260Il était là donc quand s'est posée la question du sauvetage d'une collaboratrice tutsie del'UNAMIR, Solange, coincée derrière le stade de Nyamirambo. Chez des soeurs hutus. Lesrègles de l'ONU veulent que l'on n'évacue pas les personnels internationaux, mais qu'on lesredéploie localement, à moins d'un grave danger. Mais le Rwanda était une exception, ungrave danger en soi...Il me fallait une aide extérieure et je l'ai demandé au chef des Interahamwe, Robert Kajuga.Je l'ai trouvé au bout d'un parcours périlleux, notamment à cause du barrage du rond-point de Kimihurura, où les GP (Garde Présidentielle) m'avaient déjà pris pour cible,c'était pour eux une position très défensive. Mais quand je suis passé je le sentais bien.Kajuga était fatigué, il était d'accord pour m'aider, mais en échange il avait besoin que jel'aide à transférer des parents à lui du même endroit vers Amahoro, au delà des positions

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RPF. J'ai dit OK de mon propre chef.Puis nous avons chercher Solange très tôt, avec Robert Kajuga en robe de nuit au volant,les barrages étaient déjà bondés. J'étais surpris à l'un d'eux m'entendre héler parquelqu'un, c'était le jeune coiffeur qui m'avais rasé une fois, visiblement un Tutsi d'ailleurs.Les soeurs hutus chez qui était Solange lui ont souhaité bonne chance, l'arme à l'oeil. Puisnous sommes allés chercher la famille de Robert Kajuga. Il y avait une femme enceinteparmi eux. Puis Mbaye m'a rejoint et nous sommes arrivés aux lignes de changement decamp, près des Belges de l'ETO, où nous avons laissé Robert, avant de passer les lignesRPF et d'atteindre Amahoro. Puis nous avons mener Solange à Kabia, qui était sonsupérieur à l'UNAMIR et qui était très heureux que nous aillions réussi, tandis que Dallairegrommela qu'il se retrouvait avec quatorze personnes non prévues, ce que l'on pouvaitprendre comme un assentiment officieux...Il est arrivé plusieurs fois que des Interahamwe participent ainsi à des sauvetages. “Le faitde les avoir approchés, de solliciter leur assistance nous avait ouvert les yeux sur le genred'individus qu'ils étaient, et sur le fait que beaucoup d'entre eux étaient simplementcomme tout être humain surpris et dépassé par les évènements. D'ailleurs beaucoupd'entre eux n'avaient pas en réalité de contrôle sur la foule. Les gens avaient tendance àprendre tout ceux qui étaient aux barrages comme des interahamwe, mot qui étaitsynonyme de génocidaire, de tueur etc. Mais ceux qui étaient habituellement auxbarrages étaient un mélange de tout: de bons comme de mauvais jeunes gens. Il y avaitdes Tutsis parmi eux qui croyaient surtout qu'ils organisaient la protection de leur zonecontre une potentielle invasion par le RPF. Même si cela semblait très naïf, beaucoupcroyaient cela en effet”. P 273Le personnel civil international a parfois aussi joué un rôle très important pour lesréfugiés. Ainsi Gromo, un Américain de l'OCHA (Office Coordination of HumanitaireAssistance) qui se démenait pour qu'ils aient a manger. Une fois il était à court et medemanda de l'aider à prendre dans les stocks d'un entrepôt à Kicyikiru (Gikondo). Noussommes partis, mais en se retrouvant dans une intensité de feu entre le RPF et les paracommando qui reculaient. Arrivant à un barrage RPF on nous stoppa. Puis le chef arriva, etcoup de chance c'était Filbert, une connaissance qui me hurla « qu'est ce que tu fais là je neveux personne entre nous et l'ennemi! » Puis me glissa à l'oreille: “je dis ça pour les autres,ne t'en fais pas”et me laissa passer, après que je lui offre aussi discrètement, un gilet pare-balle...Al'entrepôt nous avons chargé un maximum de chose, quitte à se retrouver comme àAlloween couverts de farine!

SAUVER DES VIES AVEC LES MILICESA l'hôtel Diplomate (où était les dirigeants militaires hutus) j'ai rencontré Kantano, lecélèbre journaliste de Mille Collines. Il me fit passer un message pour le FC Dallairecomme quoi il ne fallait pas s'en tenir aux militaires comme interlocuteurs car ils étaientdépassés, mais aussi s'adresser aux autres parties de la population comme les miliciens,bourgmestres etc. Ce qui fut bien reçu par le FC qui y vit une opportunité pour s'adresser àla population et se laissa interviewer. Mais l'entretien fut monté et tourné en dérision parles sarcasmes habituels de Kantano...Les opérations humanitaires étaient discutées au Diplomate avec les RGF et le maire deKigali Tharcisse Renzaho le colonel-préfet en faisait partie. C'est là que j'avais rencontréRobert Kajuga à qui j'ai demandé de nous aider, ce qu'il accepta. Je ne sais comment lestueurs ont pu intégrer cet homme, il était si gentil...Il me présenta Georges Rutaganda, lesecond des Interahamwe, à ma demande car je voulais qu'on mette toutes les chances denotre côté. Celui-ci s'occupait de l'AMGAR, une boite d'import.Nous voulions alors emmener les réfugiés des Mille Collines à la zone RPF à Kabuga, à 12km, en même temps que nous amènerions ceux d'Amahoro vers Gitarama (Sud de Kigalioù se trouvait le Gouvernement intérimaire).

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J'ai invité Georges Rutaganda et Robert Kajuga à venir à la réunion de sécuritéhumanitaire qui se tenait au Diplomate, fin avril. J'insistais, comme quoi leur venuepermettrait de mieux connaître la situation et d'échanger les points de vue. Rutagandaétait réticent car il disait qu'en fait ils n'avaient pas prise sur les jeunes mobilisés dans lesrues qui faisaient ce qu'ils voulaient. En fait il n'y avait pas de structure interahamwe et pasd'autorité du coup. Lui-même avait été menacé et sa propre vie était en danger. Et ilexpliqua que les membres de sa familles avaient été tué et qu'il n'avait pas eu d'aide pourles enterrer. De fait quand j'allais chez lui il n'y avait pas de jeunes ni d'activitésparticulières. Pas même de barrage proche de la maison, et on m'a dit qu'il a effectivementfailli être tué.Cependant Robert insista auprès de lui comme quoi ça ne coutait rien de discuter et il vint.Mais la réunion avec le général Anyidoho a mal commencé. Il a fait une erreur à mon avisen invitant les chefs interhamwe à négocier avec le RPF. Je ne m'attendais pas à ça. Ducoup les intéressés réitérèrent leur surprise et ne comprenaient pas ce qui se disait. Poureux c'est au gouvernement à négocier avec ses ennemis et ils ne représentent rien euxmêmes...La réunion tourna court et j'étais désolé, je m'excusais sur le chemin du retourauprès d'eux et obtenais qu'ils reviennent sur d'autres bases. La réunion suivante étaitmenée par le col Yaache à qui j'avais parlé auparavant et il intervint avec tact, poussant lesgens à s'exprimer. Rutaganda et Kajuga répétèrent qu'ils n'avaient pas de pouvoir, mais ilssuggérèrent de s'adresser aux élus municipaux qui eux connaissaient les jeunes.Et de passer par le préfet-colonel Tharcisse Renzaho qui a de l'autorité sur ces élus.Le 3 mai au Diplomate c'était la troisième fois que je rencontrais Georges, alors queRenzaho et les bourgmestres étaient là. Mais au lieu de procéder à des évacuationssimultanée des deux côtés, il fut décider de commencer par les Mille Collines. Tout lemonde était confiant de toutes façons à ce moment là.De retour je suivais à la radio cette évacuation, sous la conduite de Yaache, avec desTunisiens et Ghanéens. Ce jours-la le FC Dallaire n'était pas à Kigali. J'ai soudain entenduqu'il y avait un problème au rond-point de Sopecya. J'ai foncé sur place. En fait dans cecoin il y avait un quartier pauvre qui ne se voyait guère de la route. Quand je suis arrivéc'était terrible. Le convoi était bloqué par une foule surexcitée, armée de machettes, fusils,mais aussi de lance-rockets. Une terrible erreur avait été commise ( d'avoir fait uneévacuation unilatérale?). De plus il y avait un gros problème de langage vu que Yaache etses assistants ne parlaient pas français, et que les Tunisiens francophones n'étaient pas làpour négocier, et n'avaient pas d'armes conséquentes. Nous commençâmes à tenter denégocier, Renzaho arriva et essaya lui aussi avec d'autres. Personne n'écoutait. Ilsvoulaient tuer. Des réfugiés ont été arraché du véhicule et je ne sais comment ont a réussi àles réintroduire. Des gens tailladèrent les pneus, tirèrent à l'air si bien qu'à un momentRenzaho eu peur et commença à fuir avant de se raviser. J'ai appelé Mbaye Diagne qui futlà de suite. Mon petit drapeau d'uniforme m'a aidé car les couleurs sont proches de cellesdu Rwanda. J'ai parlé aux gens comme j'ai pu, leur montrant mon drapeau et disant quej'étais Africain, ici pour la paix etc. Je repérais quelqu'un qui avait l'air dominant et quiaprès une phase d'excitation essayait de calmer les gens.Depuis son tel-radio le FC en contact avec nous pensant que c'était perdu, et nousdemanda de recourir aux armes. Je lui répondis en lui demandant de nous laisser agir surle terrain qu'il fallait tenter la dernière chance de négocier. Il fut d'accord. J'eus alors l'idéede contacter Georges Rutaganda, je dis à la foule d'attendre un moment, que j'avaisquelqu'un à présenter, puis je cherchais Georges qui habitait prés de là. Il accepta de suite.Il s'adressa aux gens, mais l'aile dure semblait dominer, au point où Georges était dépassé.A un moment il alla jusqu'à me demander de faire usage de nos armes. Je compris que lesituation était perdue. Je lui dis : « non Georges ! S'il-te plait, laisse nous trouver unesolution, parlons à la foule et demandons lui de nous laisser aller à l'hôtel ». De toutesfaçons de l'autre côté une partie des leurs attendait pour l'échange. Ce fut la corde sensibleà toucher. Alors nous insistâmes sur ce point, en mettant l'accent sur le fait que si quelque

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chose d'horrible se produisait ce jour-là, seul Dieu savait ce qui serait arrivé aux gensd'Amahoro qui voulaient venir de ce côté. La meilleure chose était pour nous de fairepreuve de sagesse, d'être posés pour pouvoir retourner le convoi en sécurité, discuter desmodalité d'échange et de la faire de manière coordonnée avec un point de rencontre desdeux convois.Georges passa le message en kinyarwanda. J'avais cassé mes cordes vocales ce jour là.Seuls Mbaye Ndiagne et moi parlions le français. Avant cela et après l'autorisation ducommandant de la force faisant de nous les seuls juges sur le terrain, je dis au sergenttunisien : « mon cher, pas d'erreurs, pas de coup de feu ou nous allons tous mourir ». Jen'ai pas oublié ce qu'il m'a répondu : « Ne vous inquiétez pas capitaine je ne suis pas fou » .« Merci ».Nous continuâmes à parler jusqu'à ce que Georges réussisse à convaincre les têtes les plusdures et ces dernières réussirent à leur tour à convaincre la foule avant que nous puissionsquitter cet endroit très vite. » Je parti avec le convoi sur les Mille Collines, abandonnant undes deux camions, crevé, puis je retournais car Georges avait continué à parler à la foule.« A mon arrivée Georges était déjà parti et je su plus tard que sa vie avait été mêmemenacée, car apparemment une fille a été trouvé dans la cabine du camion abandonné. Ilsauva sa vie malgré l'opposition d'un homme en uniforme qui disait qu'elle luiappartenait. Ce fut plus tard, avec l'aide du colonel Maberanka et Renzaho Tharcisse quecette fille a pu rejoindre l'hôtel des Mille Collines. Georges avait vraiment accompli unexploit ce jour-là. Sans lui la situation aurait été perdue, complètement perdue. » p 295Je ne reverrais plus Georges Rutaganda avant Arusha, où il a été jugé et condamné. Aprèsla guerre j'ai été témoin et acteur d'un jeu qui m'a instrumentalisé telle une balle de ping-pong, et les médias ont joué un grand rôle là dedans. Des gens comme Georges ont étévictime de ce système.« Il est vrai que le processus qui a débuté bien avant notre présence au Rwanda, pendantaprès et jusqu'à présent continue toujours son évolution. Et avec l'aide des conspirateurset, aussi bizarre que cela puisse paraître, avec l'assistance de leurs victimes qui avaientsuccombé à leur volonté, on a fait croire au monde qu'il y avait un plan pour commettrece grand massacre de cibles désignées dans l'intérêt d'un objectif caché. » p 301L'énorme responsabilité de raconter l'histoire pour guider la justice a été sabotée depuis ledébut, et les catastrophes ne pouvaient que suivre.Plus tard Yaache qui était devenu ambassadeur du Ghana à Bamako dira la même choseque moi à propos de Rutaganda, à la justice (doc)Il devait y avoir un convoi qui parte des Mille Collines pour Kabuga en zone RPF à 25kmdu centre de Kigali, tandis qu'un autre devait aller d'Amahoro vers Gitarama, en zonegouvernementale. C'était cette direction qu'une grande partie de la population prendrapour fuir vers Goma et le Zaïre. Un jour j'ai vu que le RPF leur tirait dessus alors que c'étaitdes civils. Même les véhicules de l'ONU ont été ainsi pris pour cible. Quand on se plaignaità Kamenzi l'officier RPF de liaison , il souriait et disait que c'était des incontrôlables...Jepensai que c'était des tirs de sommation...

LE PLAN POUR METTRE LE RPF-FPR AU POUVOIR SE REALISEVoici certainement la partie la plus intéressante de mon récit que je vais aborderfranchement.Le soir du 6 avril nous les observateurs n'avions pas de doutes sur qui avait descendul'avion.Nous avions deux observateurs à l'aéroport : capitaine Cherif Modj, du Sénégal,aujourd'hui colonel, et Capitaine Olessongo du Congo Brazza, qui deviendra aide de campdeSassou.Donc on était en contact sur place. Bien sûr il y avait le problème des RGF-FAR quirefusaient aux Belges la sécurisation du lieu. Le lendemain il y avait une étrange humeur

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chez les Africains de l'UNAMIR notamment, et particulièrement les anciens, déjà là avantl'UNAMIR. Ils étaient tous persuadés que c'était le RPF qui avait fait l'attentat et c'étaitdans toutes les conversations.Pire, beaucoup voyaient ça comme une étape parmi les suivantes :-La préparation des hostilités par le RPF par l'augmentation de ses forces.-Les mouvements militaires venant d'Ouganda.-les trafics de soldats et moyens dans les convois de Mulindi-Le refus d'accepter des inspections sous prétexte que c'était des transports de bois alorsque des propositions avaient été faites de bois gratuit par le gouvernement local.-le manque de liberté d'observer dans la zone RPF.-La menace ouverte de Kagame déclarant publiquement au Commandant de la Force quequel que chose était en cours et qu'une fois commencé cela se transformerait en cataclysmeque personne ne pourrait arrêter. Avant cela il avait dit à plusieurs reprises qu'il y auraitpeut être une situation d'où quelqu'un sortirait vainqueur.-La préparation d'une protection défensive au CND-Les inquiétudes des militaires étrangers expatriés sur la possibilité de l'existance de lance-missiles au CND-Des renseignements d'une partie de la population qui avit commencé à réserver deschambres d'hôtel et même à y loger pour leur sécurité.-Les déplacements des familles de certains chefs RPF, et dans la foulée l'interdiction, etl'obligation pour les avions, dont le présidentiel de n'emprunter qu'une piste donnée pourl'atterrissage.-Le retrait de l'officier de liaison RPF sous prétexte de visiter sa famille en Ouganda troisjours avant l'attentat.-EtcD'autres part tout montrait que les RGF-FAR n'étaient pas prêts à faire face à une nouvelleoffensive du RPF-FPR. La rapidité avec laquelle le RPF fit la jonction avec son cheval deTroie au CND (sa base intérieure à Kigali accordée par Arusha pour théoriquementprotéger les personnalités FPR qui seraient dans le nouveau partage du pouvoir) a montréau RPF que les RGF n'avaient pas les moyens de les arrêter. Il n'y avait pas d'indice que lesRGF-FAR possédaient des missiles anti-aériens. D'ailleurs toutes les procédures pour lazone de sécurité sans armes de Kigali n'ont servi qu'à neutraliser les forcesgouvernementales.Et quand les para-commandos contrôlaient l'aéroport avec une partie de la GP, on m'ademandé d'aller sur place avec la capitaine Cherif Mbodj. Cela devait être plus facile entant qu'Africains.On a pris le risque d'aller jusqu'à la propriété de Habyarimana où se trouvaient les débrisde l'avion.Contrairement à ce qu'on craignait le Major Ntabakuze (paracommando) nous acourtoisement reçu et autorisé à observer, même à photographier. Il nous montra le lieu oùdes fourreaux de missiles avaient été trouvés, et était persuadé que c'était le RPF-FPR,d'autant que celui-ci a redoublé ses tirs sur la zone du crash dès que l'attentat a eu lieu.Ntabakuze finira comme accusé au TPIR. Mais nous aurons d'autres précisions avec uneenquête poussée sur l'attentat lorsque je serai dans l'équipe d'Hourrigan pour le ITCR(Tribunal international pour le Rwanda).Les RGF-FAR ont battu en retraite à force d'être bombardées tandis que les colonnes RPF-FPR arrivaient.Le bruit a couru qu'un chargement français d'armes était arrivé avec l'avion qui venait pourAmmaryllis, mais de toutes façons il était trop tard.J'ai donné un autre gilet par-balle au chef du RPF du quartier. Ce qu'il me revaudra un jouralors que j'enquêtais pour l'ITC dans le nord du Rwanda où il était installé à ce moment-là.La tactique du RPF aux abords de Kigali était simple : ils prenaient leur temps pourresserrer l'étau autours de Kigali à coup de bombardements, laissant fuir les gens vers

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l'Est. Beaucoup de civils ont été tué en ces circonstances. « On avait aussi confirmé que lescadavres vus depuis le début qui flottaient sur la rivière de Rusumo étaient ceux desvictimes tusies au départ, puis de victimes hutues ensuite. Beaucoup de ces personnes ontcertainement été tuées par les troupes RPF à l'intérieur du pays, aux environ de Kibungoet tout au long de la frontière avec la Tanzanie dans leur tentatives de se réfugier dans cepays. En effet la frontière était fermée dès les premiers jours des combats. Pendant dessemaines le RPF a semblé geler son offensive sur Kigali même et ne faisait que mettre lapression sur la ville par de lourds bombardements d'obus. Et bien sûr cela a donné auxcriminels le temps de trouver d'autres motifs et de poursuivre les massacres de civils.Sur ce point il est indiscutable que le RPF n'a rien fait pour se presser de mettre fin auxtueries dans la capitale. Cet épisode a quelque chose de très troublant. » p 335Lorsque le RPF avait avancé au-delà des lieux de refuges tels que Sainte Famille (qui a étésévèrement bombardée), Amahoro ou King Faysal, il s'agissait d'évacuer les gens quin'étaient pas encore partis. Mais le RPF en éliminait certains, les bombardait avant qu'onévacue. Je pensais alors que cela était dû à des problèmes de coordination ou à l'initiativede certains commandants.En juin le RPF avait organisé une évacuation de Sainte Famille, et je demandais à Kamenzidu RPF comment il pouvait faire tout et son contraire. Il me répondit que cesbombardements étaient pour faire diversion. Faire diversion avec tant de morts ?C'est Kayonga qui dirigeait les opérations du RPF concernant le CND, et il était un grandprofessionnel, bon tacticien et courageux. En face Bizimungu, le chef d'état-major qui avaitsuccédé à Gatsinzi (mon supérieur au GOMN), ne pouvait tenir sous de telsbombardements. Il fallait organiser le repli vers Gitarama, puis l'Est pour envisageréventuellement une contre-offensive. On a dit de lui à tort que c'était un cacique. Gatsinziavait abdiqué avant lui à cause de son incapacité à arrêter les massacres. Il était soutenu ence sens par un groupe d'officiers tels Rusatira, Rwabalinda l'officier de liaison UNAMIRqui demandaient un cesser-le-feu pour l'arrêt des massacres. Mais le colonel RPF-FPRFrank Rukambage dont la machine était en marche refusa malgré l'intervention du CFDallaire.Le gouvernement intérimaire a décidé de porter Bizimungu au rang de général. Il n'étaitpas anti tutsi et avait de bonne relations avec des Tutsi, dont son filleul issu de la familleque j'évoquais au début du livre. Contrairement à ce qui est dit dans « Hôtel Rwanda », cetofficier a organisé de nombreux voyages pour mettre en sécurité les gens de « MilleCollines », voire à les protéger l'hôtel des milices, jusqu'à tirer des coups de feu contre lesagresseurs lui-même.Il y avait par ailleurs le travail humanitaire où l'UNAMIR était engagé, essayantd'empêcher les belligérants, notamment le RPF de récupérer l'aide internationale ONG etcie...C'est à cette période que je me suis écroulé, que j'étais très faible, incapable demanger, vomissant etcJ'ai pris deux patates dans mon bureau après qu'on m'ai refusé une ration de riz « pour leschefs » à la cantine de l'ONU.Une scène horrible de chiens qui dévoraient un cadavre de vache s'entrechoquaient avecd'autres images et me hantaient.Je fut alors transporté à Nairobi, où mon supérieur qui n'était d'ailleurs jamais à Kigalin'eut rien d'autre à faire que de me reprocher vivement l'histoire des tampons subtilisés àl'UNAMIR pour faire les faux papiers.Puis des amis se sont occupés de moi, m'ont emmené au restau, mais c'était trop, j'ai vomi.Finalement en trois quatre jours j'ai dormi un maximum et avalé des soupes d'oignons, etça allait mieux. Je décidai de rejoindre mon enfer qui me manquait, et revenais dès lequatrième jour à la grande surprise de Dallaire et les autres. Et là c'était toujours la mêmechose, qui m'amenait à de drôles de pensées de mort en ce début juin...A cette période étrangement l'aéroport sous notre contrôle et celui du RPF, fut bombardéet on dû le fermer. Bombardement attribués aux RGF-FAR. Mais à mon avis c'était plutôt

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le RPF-FPR car les RGF étaient loin déjà pour une tel précision de tir sur le tarmac. Iln'était pas difficile de voir que le premier tit était proche de son objectif et que le deuxièmequi a failli réussir s'il avait touché l'avion plein de gens qui partait, rectifiait le premier,donc guidé par un regard proche, et seuls les RPF étaient sur place à ce moment là. Enconséquence de la fermeture, l'UNAMIR obtint d'utiliser l'aéroport d'Entebbe en Ougandad'où les convois partaient rejoindre le Rwanda par la route rwandaise...Elle était contrôléepar le RPF, qui interceptaient la majorité des chargements au passage...Cela permit aussi au RPF-FPR de contrôler davantage et fermer le pays en ne laissantpasser que ce qu'il autorisait. Et des observateurs continuaient de servir de cible au RPF,un officier a été ainsi tué. En conséquence seul le RPF captait l'aide internationale tandisque l'autre partie sombrait dans le chaos et le désespoir. La dernière requête du RPF étaitle départ complet des observateurs francophones. Cela avait à voir avec l'annonce del'opération turquoise bien sûr.Il y eu à cette période les deux voyages de Kouchner pour demander un transportd'orphelins, ce que nous n'avons pu faire, mais il était clair que l'UNAMIR et le RPF nevoyait pas d'un bon oeil la venue de Français soupçonnés de vouloir à nouveau soutenir lesRGF-FAR. Et notre départ comme observateurs francophones était acquis car Dallairesavait que s'il refusait on risquait d'être tués...Nous étions ceux qui étaient là depuis le pluslongtemps, dès avant l'UNAMIR, et surtout, parlant français nous étions directement encontact avec la population, en plus des deux belligérants...J'ai retrouvé le Major Frank Kamenzi, officier de liaison RPF-UNAMIR, car on étaitproches, étant donné que je le connaissait déjà sous le GOMN. Alors qu'on blaguait à unmoment il me dit « Amadou tu crois qu' on va te laisser partir alors que toi, le G2 del'UNAMIR, et ton pays vous serez avec les RGF et les Français qui peuvent nous combattreà nouveau? ». Je le regardais et me surpris à l'insulter encore...Et nous partîmes, tristes, bien que blaguant dans le bus Cherif Mbodj et moi, qui avions unvieux parcours de compagnonage. Nous ne manquions pas de croiser les sarcasmes dejeunes RPF sans leur répondre, ils ne pouvait avoir la dignité des officiers. A Entebbe onnous décora et je décidai dans ma tête de revenir au civil à mes études...

DE RETOUR A NOUVEAU DANS LE CONTEXTE RWANDAIS COMMEENQUETEURQuelques temps plus tard c'est en Tanzanie que j'aborde le Rwanda. Le paysage estextraordinaire. J'ai eu la possibilité d'être intégré dans l'équipe de l'ITCR-TPIR d'aborddans le bureau du greffier à Arusha, puis dans celui du procureur à Kigali. C'était au seinde la section sécurité, sous l'autorité de Larry Johnson et Tim Mac Fadden, et pour desmissions à l'étranger afin d'organiser le transfert d'accusés. Mais ma place était bien plusaux côtés du procureur que du greffier normalement...Les premiers détenus arrivant furent Akayesu le bourgmestre de Taba; Kayishemachirurgien et préfet de Kigali; et Georges Rutaganda. Lors de leur arrivée sous bonne gardeau tribunal, il y avait une ambiance excitée et malsaine de spectateurs attendant de voirdes monstres condamnés d'avance. Les accusés sont arrivés tous sales et on voyait qu'ilsavaient été maltraités. Quand Rutaganda m'a vu il a été stupéfait, j'ai juste eu le temps delui dire « Bonjour Georges » et n'ai pu entendre sa réponse tant il était embarquévivement. Je me sentais dans un autre monde vis-à-vis des gens qui étaient là sans aucuneidée de la réalité rwandaise que j'avais vécue. J'eus alors des vertiges et des sueurs commejamais; même pendant les évènements. Je du aller aux toilettes et faire un effortfantastique pour revenir dans cette sorte d'arène, alors que les images de Georges lors decette fameuse émeute où il nous a tous sauvé ne me quittaient pas..Puis le temps est passéet personne n'avait l'idée ou le culot de me demander mon témoignage alors que je l'avaisfais savoir dès le début pour être clair et que Georges Rutaganda l'avait demandé pour sadéfense. On a même essayé de me mettre dehors de mon poste mais mes supérieurs ontbien réagi. Entre temps je m'étais occupé par exemple de l'extradition de Bagososra du

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Cameroun à l'ITCR. Ce n'est que 10 ans après, en 2005 quand j'étais au Sénégal que MaîtreDavid Jacob me contacta pour consigner sérieusement ma déposition sur Rutaganda. Il yeu ensuite celle du général Yaache qui était devenu ambassadeur du Ghana au Mali aprèsavoir été commandant des opérations humanitaires au Rwanda en 1994. Il avait les mêmessouvenirs que moi sur Rutaganda. Et d'autres témoignages arrivèrent en ce sens. Mais il yavait une forte volonté de détruire Rutaganda. En jouant sur la confusion avec lesInterahamwe notamment. Alors que même si les Interahamwe étaient la plus grandemilice et la plus politisée, ils ne représentaient pas tous les groupes de jeunes organisés engroupes de défense locale.Et je suis convaincu qu'il faut écouter Rutaganda quand il dit qu'on a utilisé contre luil'accusé Michel Bagaraza qui obtint d'être transféré à La Haye en échange d'accusationcontre lui.Ce dernier a été présenté comme « président honoraire des Interahamwe du MRND àGisenyi », un poste qui n'a jamais existé. Bien que les médias ne l'ai jamais cité il estimportant de savoir que l'honorable juge de l'ITCR Moses a déclaré à propos de cet acted'accusation:« Notre organisation est profondément choquée par les manoeuvres de l'équipe de lachambre d'accusation et fait appel à votre engagement pour la justice pour analyser lestémoignages de Michel Bagaragaza contre les autres détenus de l'ITCR parce qu'ils ontété potentiellement préconçus pour les besoins de l'équipe d'accusation. Nous vousinvitons fortement à demander à l'équipe de la chambre d'accusation d'arrêter cetteattitude qui consiste à acheter les témoignages de gens désespérés qui seraient prêts àsaper l'intégrité des procédures de la justice et à violer les devoirs et obligations éthiquesde la cour. » p 385De telles pratiques m'ont médusé. C'était incroyable. Mais a-t-on pris des mesures pourcorriger le tir? Surement pas.J'ai été aussi surpris qu'Ephrem Nkezbara (ex Interahamwe) avec qui j'ai eu beaucoup decontacts en 94 n'ait pas dit un mot sur Georges Rutaganda. Quand au film deRusesabagina (Hôtel Rwanda) que je n'ai pu regarder longtemps tellement j'étais dégoutéje vous renvoie à mon article.Lequel développe ce que j'ai déjà dit ici, le no 2 des Interahamwe a risqué sa vie pour desréfugiés tutsi dont la femme de Paul Rusesabagina, le héros des Mille Collines, qui étaitami de Rutaganda. J'ajoute dans cet article que Dallaire qui est représenté dans le filmn'était pas là, que les soldats n'étaient pas bengladeshis mais tunisiens et ghanéens.Si l'on voit le film et le livre avec ce qu'ils disent n'ont pas soulevé d'objection, on peutpenser que Rutaganda est aussi innocent des autres accusations comme il le clame...A Kigali où j'étais cette fois pour le procureur, (il y eu un temps un bureau ITCR_TPIR àKigali) la situation avait bien changée, les gens faisaient de leur mieux pour relancerl'économie et la capacité de vivre ensemble, spécialement les réfugiés.C'était une nouvelle ère avec de nouveaux venus qui se lançaient dans des activitésrentables.Cependant on pouvait voir que la guerre était finie mais que les militaires étaient toujourslà, en proie à une oisiveté qui ne disait rien de bon. Les règles de discipline étaient sévèresmais l'insécurité ne partait pas pour autant avec tellement d'armes en circulation, les volsdes expatriés, les vols sur la route etc. sans parler des accidents.Donc moi j'étais sous l'autorité suprême de Louise Arbour, la procureure de l'ITCR et ITCYayant pour adjoint Honoré Rakotomana de Madagascar, Al Breau comme directeur desinvestigations et Jim Lyons comme commandant. A mon arrivée c'était Mike Hourigan lechef d'équipe.Cette « équipe nationale » était la plus importante de l'accusation.Parmi les principaux mandats de l'équipe nationale étaient les suivants:-Enquêter sur Bagosora et l'arrêter-De même pour Anatole Nsengyumva

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-Enquêter sur les massacres de milliers de Rwandais par la GP durant le « génocide ».-Identifier les responsables de l'attentat contre l'avion.-Enquêter sur les meurtres de Kavaruganda et Lando Ndasingwa...Donc il était clairement écrit que l'enquête sur l'avion n'était pas hors compétences...A l'époque j'ai même noué des relations tacites avec le chef des services secrets extérieurdu Rwanda, le colonel Karegeya. (désormais réfugié en Afrique du Sud) Mon réseau s'estbeaucoup développé et il fallait aussi protéger les témoins, c'est pourquoi j'ai été nommécoordinateur de la protection des témoins en plus de l'investigation pour laquelle j'aiapprécié le concours d'un avocat sénégalais Matar Diop et d'un policier hollandais. Nousavancions et d'autres équipes nous rejoignaient mais très vite les témoins avaient desproblèmes et certains étaient tués. Il y avait aussi des problèmes culturels, quand ils'agissait de parler de choses intimes et délicates. Puis il y avait les risques de vengeancecontre ceux qui avaient parlé. Et il fallait trouver des pays tiers pour les accueillir, s'ajoutaitalors le problème linguistique. S'inspirant de la CPI pour l'ex Yougoslavie nous avonségalement organisé un stage avec un grand psychiatre sur les témoins traumatisés avec ledocteur David Becker à Genève. L'équipe du tribunal international pour l'ex Yougoslavienous a été d'un grand secours, tel le coordinateur de la protection des témoins WendySobwein, ou l'officier de sécurité, un ancien de l'IRA. Grâce à cela nous avons établi unbon programme de protection des témoins sous l'égide de Rolland Amoussouga.Cependant le moment le plus crucial était l'enquête sur l'avion.Jusqu'à présent il a été impossible à ma connaissance de prouver une planification avantles évènements. Il est devenu de plus en plus clair que l'attentat contre l'avion a déclenchéles massacres. Et cette question est devenue une de nos préoccupations les plusimportantes tandis que nous continuions à enquêter pour le procureur. En effet un telattentat est une affaire de terrorisme extrêmement grave incluse dans les statuts de l'ITCR(TPIR) selon l'article 4 sur la violation de l'article 3 des Conventions de Genève.

Suit une déclaration sous serment de Michael Hourigan de nov 2006:J'ai été juriste, détective, procureur en Australie, puis enquêteur pour l'ICTR (TPIR).Là j'ai été mis à la tête d'une équipe de 20 personnes connue sous le nom « d'équipenationale ». en avril 1996. Le procureur en chef Goldstone, le procureur Rakotomana ainsique le directeur des investigations Alphonse Breau nous ont alors demandé d'enquêter sur:-les crimes de Bagosora et de la localiser pour l'arrêter;-de même pour le colonel Nsengiyumva Anatole;-enquêter également sur l'assassinat de milliers d'élites rwandaises au début du génocide;-enfin identifier les responsables de l'attentat contre l'avion.Nous avons enquêter sur tout cela et à aucun moment on nous a dit que le travail surl'attentat serait déplacé. Au contraire on nous faisait comprendre que cela faisait partie desstatuts de l'ITCR-TPIR.Nous avons pu résoudre les trois premiers points évoqués, et pour ce qui est du quatrième,l'attentat, nous avons été abordés par trois informateurs FPR démissionnaires ou encoreactifs, qui ont reconnus avoir été impliqués et ont mis en cause le président Kagamé. Ilsont ajouté que ce dernier était également commanditaire d'assassinats de dissidentsimportants à l'étranger, tel Seth Sendashoga.Les informations étaient détaillées et crédibles. J'en ai informé de suite la juge Arbour,alors procureur générale de l'ITCR-TPIR, qui m'a dans un premier temps paru« excitée »par ces données.Puis Michael Hall, le chef adjoint à la sécurité des Nations Unies m'a demandé d'aller à laHaye voir la juge Arbour directement. Je lui ai alors fait mon rapport en lui donnant monmémo. A ma grande surprise elle a alors mis en doute la qualité de mes informateurs,lesquels avaient été fournis par deux enquêteurs très sérieux: Amadou Deme et PeterDnistrinasky. Al Breau (directeur des enquêtes), confirma d'ailleurs que ces deuxpersonnes étaient efficaces et sûrs. La juge Arbour a alors déclaré que l'attentat ne faisait

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pas partie du mandat de l'ITCR...J'étais atterré. Je lui ai mis les arguments contraires sousle nez et elle s'est mise en colère, m'a dit que je défiais son autorité, m'a demandé si c'étaitle seul mémo celui que je lui avait remis, j'ai dis oui, puis elle m'a demandé de disposer.J'ai démissionné peu après. Après cela l'équipe nationale a été démantelée et lesrecherches sur l'avion abandonnées...

Juste avant, en janvier 97 notre équipe a eu des infos sur un officier de la GP, le lieutenantcolonel Innocent Nzabanita, surnommé le dictionnaire de Kigali. Il faisait partie desréfugiés qui étaient rentrés de Tanzanie. Nous l'avons trouvé sous la garde du RPF àGisenyi. Là nous avons vu qu'il y avait un grand nombre de prisonniers ex RGF-FAR dansun état lamentable. Nzabanita lui même était méconnaissable. Il nous a donné des infos.Mais quelque jours après notre passage il a été retrouvé pendu, alors que ce n'est pas dutout une tradition chez les Rwandais...Quant à l'abandon de l'enquête sur l'avion, finalement cela aura été le tendon d'Achille del'accusation que les avocats de la Défense ont su utiliser pour rebondir. Et mettre en causele complot et le plan pour commettre un génocide...


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