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Fait clinique

Actinomycose colique : à propos d’un cas et revue de la littérature

Colonic actinomycosis: report of a case and review of the literature

A. Louzi *, S.E. Rifki, Y. Benamar, M. Attari, M. Kafih, N.O. Zerouali

Service des urgences chirurgicales viscérales, CHU Ibn-Rochd, 21, ESSALAMA 3, Groupe 9, Bloc N Casablanca, Maroc

Disponible sur internet le 30 novembre 2004

Résumé

L’actinomycose est une infection chronique granulomateuse due à des bactéries anaérobies Gram positives du genre Actinomyces. Leslocalisations abdominales sont rares et peuvent simuler une affection néoplasique posant de grands problèmes diagnostiques qui peuventconduire à une intervention chirurgicale plus ou moins mutilante. Nous rapportons une observation d’actinomycose colique chez une patientede 62 ans, révélée par une masse abdominale d’aspect tumoral et diagnostiquée après résection chirurgicale.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Actinomycosis is a chronic granulomatosis infection caused by a Gram positive anaerobic bacteria, Actinomyces. Abdominal localizationsare rare and simulated a malignant process. The difficulties of diagnosis are usually leading to surgical resection. We report a colonic actino-mycosis case of a 62-year-old woman with a abdominal tumor and diagnosed after surgical resection.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Actinomycose ; Côlon ; Tumeur ; Traitement

Keywords: Actinomycosis; Colon; Tumor; Treatment

1. Introduction

L’actinomycose est une infection granulomateuse chroni-que causée par des bactéries anaérobies du genre Actinomy-ces. La localisation colique est extrêmement rare. Son carac-tère clinique souvent insidieux et très infiltrant pose desproblèmes de diagnostic différentiel avec le cancer. L’étudede la pièce opératoire redresse le diagnostic. Les auteurs rap-portent une observation d’actinomycose colique qui illustreles difficultés de prise en charge de cette affection.

2. Observation

Madame T.S., âgée de 62 ans, de nationalité tunisienne,était hospitalisée dans le service des urgences chirurgicales

pour une masse abdominale gauche. La patiente avait pourantécédent une intervention chirurgicale non documentée, ily a 15 ans, pour un ulcère gastroduodénal et un diabète noninsulinodépendant depuis trois ans traité par un hypoglycé-miant oral.

La symptomatologie remontait à cinq mois par l’appari-tion d’une tuméfaction du flanc gauche augmentant progres-sivement de volume et devenant douloureuse avec diarrhéesliquidiennes (4–5 selles par jour), rectorragies de moyenneabondance et amaigrissement non chiffré. La température étaità 37,8° C; la patiente présentait une cicatrice de laparotomiemédiane sus-ombilicale et une masse non inflammatoire duflanc gauche. Cette masse était douloureuse à la palpation,mal limitée, fixée à la paroi antérolatérale gauche de l’abdo-men et paraissait libre des plans postérieurs. Le reste del’abdomen était souple et les touchers pelviens ne perce-vaient pas de lésion. Le bilan biologique montrait une hyper-glycémie à 1,60 g/l, la numération formule sanguine était nor-

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (A. Louzi).

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http://france.elsevier.com/direct/ANNCHI/

0003-3944/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.anchir.2004.11.002

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male. L’échographie abdominale objectivait une masse àdouble composante pariétale et intra-abdominale, d’échos-tructure hétérogène. À la tomodensitométrie, cette masse étaitde densité hétérogène et infiltrait la paroi abdominale latéraleet le côlon transverse dont la paroi était épaissie et la lumièrerétrécie. Cette lésion prenait le contraste de façon hétérogène(Fig. 1). La colonoscopie ne pouvait pas être réalisée.

L’exploration chirurgicale par laparotomie médiane mon-trait une lésion d’aspect tumoral, localisée au milieu du côlontransverse avec envahissement de la paroi abdominale anté-rolatérale gauche et de l’estomac au niveau de sa paroi anté-rieure. Une exérèse tumorale en monobloc passant en zonessaines était réalisée avec résection du côlon transverse, de laparoi gastrique envahie et de l’envahissement pariétal. Uneanastomose colocolique terminoterminale était pratiquéeaprès libération des deux angles coliques ainsi que la ferme-ture gastrique et une plastie pariétale. L’étude anatomopatho-logique montrait un granulome inflammatoire fait d’un grainactinomycosique entouré d’une couronne de polynucléairesneutrophiles et plasmocytes. Ce granulome était entouré d’uneréaction fibreuse collagénique étendue à la paroi colique etgastrique (Fig. 2).

Les suites opératoires sous antibiothérapie (Augmentin,Flagyl) étaient simples avec reprise du transit au quatrièmejour et alimentation entérale au cinquième jour. L’échogra-phie de contrôle à la troisième semaine n’a pas individualiséde lésion abdominale et la patiente était traitée par amoxicil-line (3 g par jour) pendant 16 mois.

3. Commentaires

L’actinomycose est une infection granulomateuse à crois-sance lente, due à des bactéries du genre Actinomyces. Cesont des bactéries filamenteuses ramifiées, Gram positives,anaérobies et pourvues d’un métabolisme de type fermenta-

tif. Ces germes sont des saprophytes strictes des cavités natu-relles de l’homme et des animaux supérieurs. L’Actinomyceisraelii est l’espèce la plus fréquente du nom de l’auteur quil’a isolé en 1879 et qui a décrit l’aspect clinique de la mala-die [1].

Les localisations abdominales représentent 20 à 24 % desformes d’actinomycoses ; elles viennent en deuxième posi-tion après les localisations cervicofaciales (55–60 %) et avantles localisations thoraciques (15 %) [2–4]. Les formes coli-ques sont extrêmement rares puisqu’elles représentent 7,9 %des tumeurs inflammatoires coliques et siègent préférentiel-lement dans la région iléocæcale [5].

Les actinomycoses sont peu virulents, mais peuvent deve-nir pathogènes après effraction de la muqueuse intestinale(traumatisme, geste chirurgical, infection) ou après affaiblis-sement de la résistance des tissus (immunodépression, dia-bète, corticothérapie).

Sur le plan anatomopathologique, les actinomycoses sontcaractérisées par la formation au niveau du tissu infecté, de« grains soufrés » jaunes ou blancs, formés d’un agglomératde macrocolonies d’Actinomyces au sein d’un complexe poly-saccharidoprotéique et autour desquels se développe un gra-nulome fait de polynucléaires altérés, de cellules inflamma-toires variées puis de fibrose plus ou moins épaissie.

L’actinomycose abdominale présente des tableaux clini-ques variés depuis la péritonite ou la pelvipéritonite jusqu’àl’aspect chronique pseudotumoral comme dans notre obser-vation. Cette forme chronique est la plus fréquente. Le syn-drome tumoral est au premier plan avec une masse palpable,mal limitée, sensible, plus ou moins indurée ayant tendance àinfiltrer la paroi abdominale et à fistuliser à la peau. L’étatgénéral n’est altéré que dans les formes aiguës. La biologiemontre souvent un syndrome inflammatoire avec élévationde la vitesse de sédimentation, de la CRP et de la fibrinémie.La leucocytose est élevée dans les formes suppurées [1].

Les examens radiologiques (échographie, lavement baryté,tomodensitométrie, colonoscopie), ne sont pas spécifiques [6].Cependant, la tomodensitométrie peut être évocatrice en mon-trant un aspect de pseudotumeur ne respectant aucune limite

Fig. 1. TDM abdominale : masse hétérogène infiltrant la paroi abdominalelatérale et le côlon transverse.Fig. 1. Abdominal CT scan : heterogeneous mass with extension to the late-ral abdominal wall and transverse colon.

Fig. 2. Étude Histologique : grain actinomycosique soufré au sein d’un gra-nulome inflammatoire.Fig. 2. Histological study : actinomycosic sulfur granule with granuloma-tous inflammatory process.

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tissulaire [7]. Cette imagerie peut permettre d’instaurer le dia-gnostic en guidant, sous contrôle échographique ou tomoden-sitométrique, les biopsies transcutanées des lésions abdomi-nales [8]. Le diagnostic bactériologique est possible àcondition d’adresser du matériel au laboratoire, de prévenirle bactériologiste sur la suspicion d’actinomycose et de lesensibiliser à réaliser cette recherche. La culture se fait enanaérobiose sous atmosphère de CO2 et n’est positive quedans environ 50 % des cas [9,10]. Le diagnostic définitif n’estpossible que sur l’examen anatomopathologique des piècesopératoires en découvrant les grains actinomycosiques carac-téristiques de la maladie [10–12]. Le retard diagnostique decette pathologie est classique et tient en premier au manquede spécificité de la symptomatologie.

Le diagnostic différentiel se pose avec un cancer, une tuber-culose, une maladie de Crohn, une amibiase ou une appendi-cite [8,13]. Le traitement de l’actinomycose repose essentiel-lement sur l’antibiothérapie à base de pénicilline à forte dosejournalière par voie intraveineuse, avec relais par voie oralependant une durée de 6 à 12 mois pour éviter les récidives[6,13–15]. D’autres antibiotiques sont actifs et proposés encas d’allergie à la pénicilline : cyclines, macrolides, vanco-mycine, chloramphénicol. En pratique, la chirurgie repré-sente souvent une étape diagnostique et la confirmation n’estfaite que sur l’examen de la pièce opératoire [4,5,16,17]. Les indications théoriques du traitement chirurgicalrestent les formes aiguës à type de péritonites appendiculai-res ou par perforation d’un abcès. Les abcès bien limités sontdrainés par voie percutanée [2]. Le pronostic des actinomy-coses abdominales reste grave en l’absence de traitement, maisla maladie évolue bien en cas d’un diagnostic et d’une anti-biothérapie adaptés.

4. Conclusion

L’actinomycose reste une maladie rare et grave. Elle estsouvent méconnue notamment dans sa localisation abdomi-nale et confondue fréquemment avec un processus néoplasi-que conduisant à une chirurgie d’exérèse de nécessité. Sondiagnostic devrait être évoqué devant toute masse abdomi-nale avec des signes d’envahissement locaux.

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