dom juan, acte v, scènes 5 et 6 : le dénouement

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Dom Juan, scènes finales © Caroline REYS

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Proposition d'étude de la scène finale de Dom Juan, en lien avec la richesse de son potentiel de mise en scène.Dom Juan, Molière 1665

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Dom Juan, scènes finales

© Caroline REYS

Introduction Rappel : À l’acte IV, Dom Juan reçoit la visite de Monsieur Dimanche (son fournisseur), de Dom Louis (son père), de Done Elvire et de la Statue du Commandeur. Tous les visiteurs sont présentés comme des importuns (cf « je veux souper en repos au moins, et qu’on ne laisse entrer personne »). Dom Juan paraît perdre une part de sa puissance sociale : dérangé chez lui, il apparaît en position de passivité. Les différentes visites permettent aussi à Dom Juan - d’affirmer ou de réaffirmer son refus de l’engagement économique, familial, aristocratique, conjugal, - et de bafouer l’autorité chrétienne, représentée par Elvire et le sacré de la mort, représenté par la Statue. La logique de la répétition qui préside à l’ensemble signale l’acharnement de Dom Juan en même temps que le renforcement de la menace qui pèse sur le héros : l’étau se resserre en même temps que l’espace. (Benedikte Andersson)

Problématique En quoi cette scène finale ouvre-t-elle des perspectives

d’interprétations ?

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ACTE V, Scène 5Dom Juan, un Spectre, en femme voilée, Sganarelle Le Spectre Dom Juan n'a plus qu'un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel ; et s'il ne se repent ici, sa perte est résolue. Sganarelle Entendez-vous, Monsieur ? Dom Juan Qui ose tenir ces paroles ? Je crois connaître cette voix. Sganarelle Ah ! Monsieur, c'est un spectre : je le reconnais au marcher. Dom Juan Spectre, fantôme ; ou diable, je veux voir ce que c'est. (Le Spectre change de figure et représente le Temps avec sa faux à la main.) Sganarelle Ô ciel ! voyez−vous, Monsieur, ce changement de figure ? Dom Juan Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur, et je veux éprouver avec mon épée si c'est un corps ou un esprit. (Le Spectre s'envole dans le temps que Dom Juan le veut frapper.) Sganarelle Ah ! Monsieur, rendez−vous à tant de preuves, et jetez−vous vite dans le repentir. Dom Juan Non, non, il ne sera pas dit, quoi qu'il arrive, que je sois capable de me repentir. Allons, suis−moi.

ACTE V, Scène 6La Statue, Dom Juan, Sganarelle

La Statue : Arrêtez, Dom Juan : vous m'avez hier donné parole de venir manger avec moi. Dom Juan : Oui. Où faut-il aller ? La Statue Donnez-moi la main.Dom Juan La voilà. La Statue Dom Juan, l'endurcissement au péché traîne une mort funeste, et les grâces du Ciel que l'on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre. Dom Juan Ô Ciel ! que sens-je ? un feu invisible me brûle, je n'en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent. Ah !

(Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands éclairs sur Dom Juan ; la terre s'ouvre et l'abîme ; et il sort de grands feux de l'endroit où il est tombé.)

Sganarelle Ah ! mes gages ! mes gages ! Voilà par sa mort un chacun satisfait. Ciel offensé, lois violées, filles séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content ; il n'y a que moi seul de malheureux, qui, après tant d'années de service, n'ai point d'autre récompense que de voir à mes yeux l'impiété de mon maître punie par le plus épouvantable châtiment du monde. Mes gages ! mes gages ! mes gages !

Problématique En quoi cette scène finale ouvre-t-elle des perspectives

d’interprétations ?

Proposition de plan1 - Le mélange des genres (tragédie et comédie)

11 - Des personnages symboliques111 - Une comédie à machines

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Le mélange des genres (tragédie et comédie)Pièce perçue comme un assemblage de moments tragiques et de farce (comparée à un costume d’Arlequin); fin atypique pour une comédie (où l’ensemble des personnages se retrouvent sur scène pour un dénouement heureux)

Comique

Sganarelle matérialiste

répétition : Mes gages!

TragiqueTragiqueSganarelle

moralisateurVoilà par sa mort un chacun

satisfait.

Le spectreDom Juan n'a plus qu'un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel ; et s'il ne se repent ici, sa perte est résolue.

La statue moralisatrice

l'endurcissement au péché traîne une mort funeste, et les grâces du Ciel que l'on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre.

Dom JuanÔ Ciel ! que sens-je ? un feu invisible me brûle, je n'en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent. Ah !

}Paroles de Choeur antiquecf temps présent + présentatif + référence au public

Dernières paroles propres à inspirer la terreur

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un dénouement tragiqueFin annoncée comme une menace par le spectre : Dom Juan n'a plus qu'un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel et s'il ne se repent ici, sa perte est résolue.

Temps de crise et approche de la catastrophe finale caractéristiques de la tragédieattentes du public : comme dans une tragédie, le spectateur sait depuis le début que l’issue est fatale cf sa connaissance du mythe +le titre de la pièce + la scène d’exposition où Sganarelle annonce : il faut que le courroux du Ciel l’accable quelque jouret où Done Elvire appelle le châtiment du Ciel : le Ciel dont tu te joues me saura venger de ta perfidie

Transition : Dénouement où le mélange des genres se fait à l’image de la pièce et qui lui confère une dimension baroque tout comme l’intrusion du surnaturel

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11 - Des personnages symboliques

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11 - Des personnages symboliques

Personnages apparaissant comme des opposants surnaturels de Dom Juan

Allégorie des femmes bafouées, déshonorées, et notamment d’Elvire ➙ Je crois connaître cette voix.Dimension symbolique : ce Spectre semble représenter toutes les femmes du héros et signaler que son amour pour les femmes possède une dimension abstraite et métaphysique.

Enfin, le Spectre inscrit l’action sur la scène religieuse et permet à nouveau de souligner l’« endurcissement au péché » d’un héros sensible seulement à l’appel des sens.

1. Le spectre = femme voilée

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2. L’allégorie du temps qui passe

➙ Jusqu’auboutisme de Dom Juan qui fait une nouvelle fois preuve • de sa témérité (écho de la fin de la scène du pauvre où DJ vole au

secours d’un noble seul contre 3 voleurs)• de son matérialisme ( je veux éprouver avec mon épée si c'est un corps ou un esprit).

Même si elle ne prononce rien, son apparition suit logiquement la menace proférée par le spectreDom Juan n'a plus qu'un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel

Or, l’allégorie «s’envole» ➙ nouvel échec de DJ

Cette allégorie représente un nouveau défi à Dom Juan qui l’affronte - comme tous les autres - avec une impulsivité caractéristique

l’apparition de la faux (symbole de mort) ne déstabilise pas Dom Juan qui sort son épée

Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur, et je veux éprouver avec mon épée si c'est un corps ou un esprit.

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3. La statue du Commandeur

C’est elle qui confère à la pièce sa dimension fantastique, dans la mesure où elle parle et se meut● Discours injonctif : «Arrêtez Dom Juan» «Donnez-moi la main» (➙ invitation, provocation, aide ?) La main est symbole d’un contrat, d’un lien que DJ a toujours refusé● Discours «commémoratif» : vous m'avez hier donné parole (Mais que vaut la parole de DJ ?)La Statue rappelle la mort du Commandeur ainsi que la façon dont Dom Juan s’en est moqué (Acte I,scène 2 : «Et pourquoi craindre ? Ne l’ai-je pas bien tué ?»)● Discours moralisateur : l'endurcissement au péché traîne une mort funeste, et les grâces du Ciel que l'on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre. ➙ Ton solennel, cérémonieux (présent de vérité générale, article défini)➙ Elle représente la dimension sacrée de la mort que DJ ne respecte pas plus qu’il n’a respecté le sacrement du mariage

Statue Dom Juanpierre chair

immuable éphémère

Au moins autant que le séducteur, c’est elle qui a fait la réputation de ce mythe Présente depuis l’Acte III, sa menace va se concrétiser dans une confrontation finale que le public attend :

VS

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Dom Juan est une pièce à machine comme les affectionnait le public de cette moitié du XVII°. Le traité de Sabbatini, Pratique pour fabriquer scènes et machines de théâtre (1636) explique les « feintes » permettant de donner une vision de l’enfer sur le théâtre (Spectre, statue, enfers brûlants... ).

Ce que nous dit Molière : •les didascalies :

•les indications de construction des décors :

•Le Spectre change de figure et représente le Temps avec sa faux à la main. • Le Spectre s'envole dans le temps que Dom Juan le veut frapper.•Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands éclairs sur Dom Juan ; la terre s'ouvre et l'abîme ; et il sort de grands feux de l'endroit où il est tombé.

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[Acte V] : Plus une ville consistant en cinq châssis de chaque côté, dont le premier sera de dix-huit pieds et tous les autres en diminuant, et un châssis contre la poutre où sera peinte une porte de ville et deux petits châssis de ville aussi et le fond. Plus quatre bandes de ciel traversant le théâtre. Plus quatre frises, manière de voûte, traversant aussi le théâtre. Plus un cintre de deux pilastres et une frise par le devant du théâtre. Plus deux petits balcons qu’il faudra orner. Plus un petit plafond qu’il faudra rafraîchir. Sera fourni aux entrepreneurs les châssis tendus de toiles et cartons prêts à travailler.

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A - La mise en scène de Louis Jouvet (1947)

A - La mise en scène de Louis Jouvet (1947)

À ce moment, Jouvet est lui-même en débat avec le Ciel Son dieu, c’est Molière et il voit dans Dom Juan, une façon d’interroger le ciel ; toute la question érotique est amoindrie par la question du rapport au Ciel ➙ le traitement comique est mis au 2nd plan.Dénouement : montrer un «combat avec la transcendance», un affrontement avec la mort. Jouvet interprète lui-même le rôle-titre, raidi dans un costume de parade noir et blanc.La scénographie (de Christian Bérad) est constituée de 3 niveaux d’arcades qui s’ouvrent ou se ferment sur un ciel maritime (Acte II) , une forêt (Acte III) ou une boîte noire (fin)

C’est à partir de cette mise en scène de Jouvet que le public peut découvrir le chef d’oeuvre de Molière.

➙ Mise en scène de Jean Villar au festival d’Avignon en 1953 • sera suivie de 233 représentations• tire plus vers le comique (vise un public populaire - TNP)• DJ s’y montre comme un athée, convaincu qu’il n’y a rien après la vie, et qu’il n’y a donc pas de raison d’avoir

peur du ciel ➙ théâtre de la raison

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À partir de 1954, mises en scènes brechtiennes ; toute la scène française est brechtienne jusqu’en 1968, et plus tard

en ce qui concerne Dom Juan (➙ fin des années 80)Dom Juan brechtien = qui évolue sous le poids des institutions et le totalitarisme religieuxCes mises en scènes font apparaître une séparation entre nobles et paysans (possesseurs et exploités) et soulignent l’exploitation des femmes. C’est parce qu’il est noble que DJ peut séduire et utiliser les moyens de domination, ce que dénoncent ces mises en scène. Mais il est également présenté comme un décadent, un traître à sa classe. La machine mise en place montre que DJ n’est pas détruit par le ciel, mais que le totalitarisme ne peut accepter qu’il y ait un traître à sa classe. Le commandeur a l’aspect d’un monstre de foire (doublé) qui vient écraser à coup de poing le noble traître.

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Dom Juan est montré comme une course, un itinéraire (ville, mer, forêt)

Dom Juan est à cheval ➙ court vers la mort Dès le départ, Dom Juan semble chevaucher vers sa mort ; la rencontre avec le Commandeur est présentée comme

une recherche suicidaire.Dom Juan choisit son destin et court vers lui.

B - La mise en scène de Bluwal (1965)

Adaptation vue par 12 millions de téléspectateurs

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Témoignage de Michel Piccoli, interprète de Dom Juan dans l'adaptation de Marcel Bluwal :

"Au moment où Dom Juan serre la main de la statue, il advient ce qui se passe lorsqu'on est seul avec ses doutes, ses peurs... L'ami, la femme ou Dieu que vous avez trahi vient, sous la forme d'une sorcière, d'un monstre , de n'importe quelle bête faramineuse, poser la main sur vous. On songe à tous les personnages imaginaires qui troublent le sommeil, peuvent perturber la raison jusqu'à le folie ou la mort. Ces phénomènes sont représentés par la statue du commandeur. Ce qu'on a coutume d'appeler le doigt de Dieu. "

http://www.youtube.com/watch?v=q_LGO8UHjmc&feature=player_embedded

La Statue du Commandeur (Don Juan Up to Date),Prince of Wales's Theatre, London, 11 June 1892,

with (left to right) Renoux as Count Prospero, V. Courtès as Sganarelle, Mdlle. Litini as Sylvia,A. Tarride in the title role, Mdlle. Chassin as Rosaura, Mons. Albouy as Don Luiz, and H. Burguet as Don Juan.

(photo: Alfred Ellis, London, 1892)

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1993 - Festival d’Avignon, Palais des PapesMise en scène de Jacques Lasalle

Statue du Commandeur de l'opéra Don Giovanni devant le théâtre des États (Stavovské divadlo). héatre des Célestins, LYON (69000), FranceDécembre 2008

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DON GIOVANNI – San Francisco Opera, Summer 2007

Arizona Opera's production of Mozart's Don Giovanni:

C - La mise en scène de Daniel Mesguish

Tout y est accentué : Le comique, la farce : cf Sganarelle (costumes, jeu,...)

le tragique : Délibération des frères d’Elvire : Que ma destinée est cruelle, Faut-il que Dom Juan soit de vos amis et que je vous

doive la vie?

le surnaturel : effets spéciaux, magie, ...l’impiété (ostie ↔ louis d’or)

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D. Mesguish est parti des occurrences les plus nombreuses dans le texte de Molière : il s’agit des mots

femme(s) statueCiel

À partir de là, il a conçu l’environnement dans lequel il allait faire évoluer les personnages.Pour lui, le Commandeur représente métaphoriquement «le souvenir des corps des femmes oubliées, réifiées, fossilisées, chosifiées, mortes en quelque sorte (...)»

La scène finale dans cette mise en scène :

Dom Juan monte sur le lit, la lumière s’assombrit et trois statues féminines s’animent et rejoignent Dom Juan dans une lumière bleue, tandis que le texte de la pièce continue d’être dit hors scène. Les statues animées rient et ensevelissent Dom Juan sous un drap blanc, figurant un suaire. Le motif du feu infernal s’enrichit de celui de la flamme amoureuse. Les trois femmes se lèvent, soulèvent le drap, sous lequel brûle un carré de flammes et de fumée : Dom Juan a disparu dans ce tour de magie féminin. Les couleurs bleues et roses rappellent le crépuscule de l’acte II et symbolisent l’entrée de Dom Juan dans la nuit infernale en même temps qu’elles annoncent le noir de la fin de la pièce. Les femmes sortent du lit, sous la musique des voix célestes, et s’en vont reprendre leur posture de statue. Ce retour à l’ordre s’accompagne d’un changement d’ambiance lumineuse propice à la réplique finale de Sganarelle.

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«Moi, je ne crois pas que les statues se lèvent et viennent tuer les gens (...)Or, cela est écrit dans le texte. Alors, que faire ?»Ce que Dom Juan a fait des femmes, c’est qu’ «il les rend statues. Il les rend mortes. Une statue de corps et un cadavre, c’est très semblable : c’est dur, cela ne bouge plus et cela ressemble à quelqu’un. Eh bien voilà : ces souvenirs-là, les marques de son passé, ces entailles dans dans la ligne de sa vie tout à coup se réunissent et viennent à lui.»Or dans cette mise en scène, seul Don Juan voit les phénomènes surnaturels, donc il est le seul à voir que le Ciel était venu se venger, ou le Commandeur. «Donc ce nom, Commandeur, est le nom qu’on donne à toutes les femmes».

extrait d’une interview accordée dans le cadre des documents d’accompagnement de la collection Classiques et Cie de Dom Juan, aux éditions Hatier Poche, p. 180

Daniel Mesguich,

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Le monument funéraire, visible tout au long de l’acte, semble être le témoin des différentes transgressions et engagements de Dom Juan. On note que contrairement à la commande passée par Molière pour les décors , Daniel Mesguich ne met pas en scène l’intérieur du « temple » : le tombeau garde son secret, que ne pénètrent ni Dom Juan, ni Sganarelle. Quant aux figures féminines, au nombre de trois comme les Parques (déesses de la Destinée), qui s’animent pour répondre à Dom Juan, elles sont l’équivalent de la statue du Commandeur chez Molière. Les femmes ont remplacé la figure masculine pour signifier que le châtiment qui sera réservé à Dom Juan sera d’abord celui d’un Dom Juan séducteur. Cette idée est explicite : d’une part, les trois statues de femmes sont figées dans une mise à mort d’un corps masculin, couché et dénudé, dans une posture qui évoque le spasme de l’agonie et celui de la jouissance sexuelle ; d’autre part, les membres de pierre dispersés sur le plateau suggèrent le démembrement d’un corps masculin en même temps que la dispersion légendaire du Dom Juan de Molière en versions mythiques. Enfin, l’animation des statues ajoute du spectaculaire : il ne s’agit plus d’un signe de tête mais trois femmes de pierre se lèvent pour faire signe à Dom Juan.