deux cas de maladie de takayasu survenant sous traitement anti-tnf

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Revue du rhumatisme 80 (2013) 173–175 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Fait clinique Deux cas de maladie de Takayasu survenant sous traitement anti-TNF Nicola Mariani , Alexander So , Bérengère Aubry-Rozier Service de rhumatologie, département de l’appareil locomoteur, centre des maladies osseuses, hôpital universitaire de Lausanne, hôpital orthopédique, avenue Pierre-Decker 4, CH-1011 Lausanne, Suisse i n f o a r t i c l e Historique de l’article : Rec ¸ u le 24 juillet 2012 Disponible sur Internet le 21 novembre 2012 Mots clés : TNF Artérite de Takayasu Polyarthrite rhumatoïde Spondylarthropathie Adalimumab Golimumab r é s u m é La maladie de Takayasu est une vascularite granulomateuse des artères de gros calibre touchant l’aorte, ses ramifications principales et les artères pulmonaires. La preuve existe que l’artérite de Takayasu (AT) implique les lymphocytes T et le TNF. Des résultats encourageants d’études récentes soutiennent l’utilisation des traitements par anti-TNF pour la rechute ou les cas résistants d’AT. Nous décrivons le cas de deux patientes : l’une ayant une polyarthrite rhumatoïde séropositive et l’autre une spondyloarthro- pathie HLA B27 négative. Elles ont développé une AT lors de leur traitement par anti-TNF (adalimumab et golimumab respectivement). C’est le premier rapport d’AT chez des patientes atteintes de rhumatismes sous agents anti-TNF suggérant la présence d’un mécanisme pathogène particulier dans un sous-groupe de patients atteints de la maladie de Takayasu. © 2012 Société Française de Rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 1. Introduction La maladie de Takayasu (artérite de Takayasu, AT) est une vascu- larite systémique rare des gros vaisseaux d’étiologie inconnue qui touche principalement les femmes en âge de procréer. C’est une maladie inflammatoire granulomateuse qui implique les moyennes et grandes artères, avec une préférence pour l’aorte et ses ramifica- tions. L’association de l’AT et de rhumatismes inflammatoires, dont la polyarthrite rhumatoïde [1] et la spondylarthrite ankylosante [2–4] a été décrite par plusieurs auteurs. Le TNF (tumour necrosis factor alpha) est une cytokine impliquée dans l’inflammation généralisée, produite par les macro- phages et une grande variété de cellules dont les cellules lymphoïdes, les mastocytes, les cellules endothéliales ; il favorise l’activation des macrophages et la circulation et l’homéostasie des lymphocytes. Puisque le TNF est impliqué dans d’autres mala- dies granulomateuses, son rôle dans la pathogenèse de l’AT a été envisagé et au moins deux études [5,6] et plusieurs cas [7–9] ont montré l’efficacité des inhibiteurs de TNF en cas d’AT résistant au traitement conventionnel par glucocorticoïdes. Nous décrivons ici deux cas d’AT chez deux patientes ayant un rhumatisme inflammatoire traitées par inhibiteurs du TNF. DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.jbspin.2012.07.015. Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc ¸ aise de cet article, mais la réfé- rence anglaise de Joint Bone Spine avec le DOI ci-dessus. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B. Aubry-Rozier). 2. Cas n o 1 Une sud-africaine de 43 ans ayant une ancienne polyarthrite rhumatoïde érosive séropositive en rémission sous traitement par adalimumab (40 mg deux fois par semaine depuis cinq ans) et méthotrexate (MTX, 25 mg par semaine) a été adressée à notre hôpital pour suspicion d’artérite d’AT. Un scanner thoraco- abdominal a été effectué devant un syndrome inflammatoire en l’absence de signes cliniques ou de symptômes d’arthrite active. Une année auparavant, l’apparition de lésions cutanées d’acantosis nigricans avait été constatée. L’examen clinique montrait seule- ment un épaississement de l’artère droite brachiocéphalique, ce qui a été confirmé par une échographie Doppler. Lors de son admission, la patiente était asymptomatique et ses antécédents ne fournissaient aucune information concernant une vascularite en cours. Ses antécédents médicaux étaient limi- tés à la polyarthrite rhumatoïde. L’examen clinique montrait une légère diminution de son pouls radial et un souffle systolique sous- clavier sur le côté droit avec une tension artérielle comparable à chaque bras. Il n’y avait pas de signe de synovite active. Les tests biologiques montraient des marqueurs d’inflammation éle- vés (protéine C-réactive (CRP) 41 mg/L, vitesse de sédimentation (VS) 73 mm/heures). Un angio-scan thoraco-abdominal (Fig. 1) a confirmé la pré- sence d’un épaississement concentrique des parois touchant la carotide commune proximale et les artères sous-clavières avec sténose du lumen, fortement évocateur d’une AT de type 1. L’électrocardiographie (ECG), l’imagerie par résonance magnétique (IRM) cardiaque et le fond d’œil étaient normaux. 1169-8330/$ see front matter © 2012 Société Française de Rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.rhum.2012.10.004

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icola Mariani , Alexander So , Bérengère Aubry-Rozier ∗

ervice de rhumatologie, département de l’appareil locomoteur, centre des maladies osseuses, hôpital universitaire de Lausanne, hôpital orthopédique, avenue Pierre-Decker 4,H-1011 Lausanne, Suisse

n f o a r t i c l e

istorique de l’article :ec u le 24 juillet 2012isponible sur Internet le 21 novembre012

r é s u m é

La maladie de Takayasu est une vascularite granulomateuse des artères de gros calibre touchant l’aorte,ses ramifications principales et les artères pulmonaires. La preuve existe que l’artérite de Takayasu(AT) implique les lymphocytes T et le TNF�. Des résultats encourageants d’études récentes soutiennentl’utilisation des traitements par anti-TNF� pour la rechute ou les cas résistants d’AT. Nous décrivons le cas

ots clés :NF�rtérite de Takayasuolyarthrite rhumatoïdepondylarthropathiedalimumab

de deux patientes : l’une ayant une polyarthrite rhumatoïde séropositive et l’autre une spondyloarthro-pathie HLA B27 négative. Elles ont développé une AT lors de leur traitement par anti-TNF� (adalimumabet golimumab respectivement). C’est le premier rapport d’AT chez des patientes atteintes de rhumatismessous agents anti-TNF� suggérant la présence d’un mécanisme pathogène particulier dans un sous-groupede patients atteints de la maladie de Takayasu.

© 2012 Société Française de Rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

olimumab

. Introduction

La maladie de Takayasu (artérite de Takayasu, AT) est une vascu-arite systémique rare des gros vaisseaux d’étiologie inconnue quiouche principalement les femmes en âge de procréer. C’est une

aladie inflammatoire granulomateuse qui implique les moyennest grandes artères, avec une préférence pour l’aorte et ses ramifica-ions. L’association de l’AT et de rhumatismes inflammatoires, donta polyarthrite rhumatoïde [1] et la spondylarthrite ankylosante2–4] a été décrite par plusieurs auteurs.

Le TNF� (tumour necrosis factor alpha) est une cytokinempliquée dans l’inflammation généralisée, produite par les macro-hages et une grande variété de cellules dont les cellules

ymphoïdes, les mastocytes, les cellules endothéliales ; il favorise’activation des macrophages et la circulation et l’homéostasie desymphocytes. Puisque le TNF� est impliqué dans d’autres mala-ies granulomateuses, son rôle dans la pathogenèse de l’AT a éténvisagé et au moins deux études [5,6] et plusieurs cas [7–9] ontontré l’efficacité des inhibiteurs de TNF� en cas d’AT résistant au

raitement conventionnel par glucocorticoïdes.

Nous décrivons ici deux cas d’AT chez deux patientes ayant un

humatisme inflammatoire traitées par inhibiteurs du TNF�.

DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.jbspin.2012.07.015.� Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc aise de cet article, mais la réfé-ence anglaise de Joint Bone Spine avec le DOI ci-dessus.∗ Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (B. Aubry-Rozier).

169-8330/$ – see front matter © 2012 Société Française de Rhumatologie. Publié par Elsttp://dx.doi.org/10.1016/j.rhum.2012.10.004

2. Cas no 1

Une sud-africaine de 43 ans ayant une ancienne polyarthriterhumatoïde érosive séropositive en rémission sous traitementpar adalimumab (40 mg deux fois par semaine depuis cinq ans)et méthotrexate (MTX, 25 mg par semaine) a été adressée ànotre hôpital pour suspicion d’artérite d’AT. Un scanner thoraco-abdominal a été effectué devant un syndrome inflammatoire enl’absence de signes cliniques ou de symptômes d’arthrite active.Une année auparavant, l’apparition de lésions cutanées d’acantosisnigricans avait été constatée. L’examen clinique montrait seule-ment un épaississement de l’artère droite brachiocéphalique, cequi a été confirmé par une échographie Doppler.

Lors de son admission, la patiente était asymptomatique etses antécédents ne fournissaient aucune information concernantune vascularite en cours. Ses antécédents médicaux étaient limi-tés à la polyarthrite rhumatoïde. L’examen clinique montrait unelégère diminution de son pouls radial et un souffle systolique sous-clavier sur le côté droit avec une tension artérielle comparableà chaque bras. Il n’y avait pas de signe de synovite active. Lestests biologiques montraient des marqueurs d’inflammation éle-vés (protéine C-réactive (CRP) 41 mg/L, vitesse de sédimentation(VS) 73 mm/heures).

Un angio-scan thoraco-abdominal (Fig. 1) a confirmé la pré-sence d’un épaississement concentrique des parois touchant lacarotide commune proximale et les artères sous-clavières avec

sténose du lumen, fortement évocateur d’une AT de type 1.L’électrocardiographie (ECG), l’imagerie par résonance magnétique(IRM) cardiaque et le fond d’œil étaient normaux.

evier Masson SAS. Tous droits réservés.

Page 2: Deux cas de maladie de Takayasu survenant sous traitement anti-TNF

174 N. Mariani et al. / Revue du rhumatisme 80 (2013) 173–175

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ig. 1. Cas no 1 : Scanner. Épaississement concentrique des parois atteignant la caro-ide commune proximale et les artères sous-clavières avec une sous-sténose de laumière.

L’administration d’adalimumab a été interrompue et la patiente été traitée par bolus de méthylprednisolone (250 mg) suivi derednisone (40 mg/jour) avec une normalisation des paramètres

nflammatoires (CRP et VS) ; le MTX a été maintenu à la dose habi-uelle (25 mg p.o. par semaine).

. Cas no 2

Une femme de 32 ans, d’origine sri-lankaise, avait une spondy-oarthropathie HLA B27 négative avec des manifestations axiales etériphériques. Elle a présenté une insuffisance circulatoire et desrampes dans le bras gauche avec une faiblesse et une hypothermieocale.

Un diabète de type II avait été diagnostiqué, en ce moment traitéar gliclazide. Sa spondyloarthropathie (avec participation axiale et

ériphérique) était traitée par golimumab depuis peu (50 mg parois, deux doses) avec une bonne réponse clinique.L’examen clinique a révélé l’absence de pouls radial gauche et un

ouffle d’éjection systolique sur l’artère droite sous-clavière. La ten-

Fig. 3. Cas no 2 : Tomodensitométrie. Épaississement et sté

Fig. 2. Cas no 2 : Scanner. Occlusion de l’artère sous-clavière gauche 1 et épaississe-ment de la crosse aortique (�).

sion artérielle du bras gauche était indétectable et le membre étaitlocalement froid. Elle n’avait plus de signe d’arthrite périphériqueou de spondyloarthropathie active.

Les tests biologiques ont révélé une réaction aiguë élevée (CRP19 mg/L, VS 92 mm/h). Le scanner thoraco-abdominal (Fig. 2 et 3) adémontré un épaississement de la crosse aortique ainsi qu’une sté-nose des branches carotidiennes communes et brachiocéphaliquedroite ; les artères vertébrale gauche et sous-clavières étaient ensub-occlusion au tout début de leur origine.

Un examen ophtalmologique a éliminé une vasculariterétinienne mais a révélé un glaucome normotensif bilatéral pro-bablement lié à la maladie. L’ECG et l’échocardiographie étaient

nose à l’origine de l’artère carotide commune droite.

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[14] Osman M, Aaron S, Noga M, et al. Takayasu’s arteritiskayasu’s arteritis progres-

N. Mariani et al. / Revue du

ormales. Le diagnostic d’AT a été posé. L’administration deolimumab a été arrêtée et la patiente a pris un traitement deuatre jours de méthylprednisolone (500 mg/d) suivi par une dosee prednisone de 1 mg/kg par jour. Sous traitement, les paramètres

nflammatoires se sont normalisés et les signes de l’AT se sontméliorés (PET-scan et angio-IRM). Enfin, le traitement par cyclo-hosphamide en IV a été entrepris et des doses de plus en plusaibles de prednisone ont été administrées. Après cinq mois deecul, l’AT est sous contrôle et la prednisone a encore été diminuée.

. Discussion

Le traitement d’une rechute d’une AT résistante par anti-TNF�’est révélé efficace [5,6,10,11]. Cependant, les phénomènes auto-mmuns survenant lorsque les patients sont sous traitement parnhibiteurs de TNF� sont possibles, parmi lesquels les vascularitest les lupus induits [12,13]. Dans la plupart des cas, la vascularitee présente comme une manifestation cutanée, mais les atteintesénale, neurologique ou pulmonaire sont possibles.

Pour le moment, il n’y a que deux cas rapportés d’AT sous trai-ement anti-TNF�. Ces deux cas concernent des patients avec une

aladie de Crohn sous infliximab ayant précédé le diagnostic d’AT14,15]. À notre connaissance, nos deux cas sont les premiers d’ATurvenant chez des patients souffrants de rhumatismes traités parnhibiteurs de TNF�. Nous ne pensons pas que l’AT était une maladiee novo développée chez un patient ayant une maladie rhuma-ologique préexistante, même si certains cas ont été rapportés1–4].

Notre hypothèse est que l’inhibition du TNF� a déclenché l’AT.

éclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article.

[

atisme 80 (2013) 173–175 175

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