dégénérescence cérébelleuse paranéoplasique et auto-anticorps

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M me Z., 60 ans, est adressée par son médecin traitant en consul- tation neurologique pour troubles de l’équilibre. En janvier 2006, elle doit s’asseoir pour s’habiller car elle ne se sent pas stable. En février, elle a du mal à marcher et les troubles s’ac- centuent. Elle ne prend pas de médi- cament et ne boit pas d’alcool. Évolution des symptômes et recherches diagnostiques À l’examen clinique, elle présente une ataxie cérébelleuse (troubles de la coordination des mouvements), un nystagmus, une dysarthrie (sa voie est bégayeuse, monotone) et une diplo- pie. L’ensemble évoque une dégéné- rescence cérébelleuse subaiguë (car installée en plus de 4 semaines). Au plan biologique, le bilan sanguin est normal. Dans le liquide céphalora- chidien, il existe une hyperprotéino- rachie. L’IRM montre une discrète diminution de la taille du cervelet. Un tel tableau chez un sujet de plus de 50 ans correspond environ une fois sur deux à un syndrome para- néoplasique. Il faut donc rechercher un cancer et des Ac antineurones. Dix jours plus tard, Mme Z. ne mar- che plus malgré un bolus de corti- coïdes. Le bilan à la recherche d’une tumeur (imagerie et marqueurs tumoraux sériques) est négatif, mais les Ac anti-neurones recher- chés sur cellules de Purkinje sont positifs (fluorescence cytoplasmi- que). La recherche des spécificités par ImmunoDOT permet d’identifier des anti-Yo. Les Ac anti-Yo sont les Ac anti-neu- ronaux les plus souvent rencontrés dans la dégénérescence cérébel- leuse paranéoplasique (DCP) et les seconds en fréquence dans les syndromes neurologiques paranéo- plasiques après les anti-Hu ; 90 % des malades ayant des anti-Yo ont une DCP. Les Ac anti-Yo sont présents dans 53 % des cas avant la découverte de la tumeur, le plus souvent gyné- cologique. Ils sont aussi de mauvais pronostic pour la DCP car, même si la tumeur est traitée, une améliora- tion neurologique n’est obtenue que dans 2,6 % des cas. Chez Mme Z, après échec de la cor- ticothérapie IV et orale, un traitement par gammaglobulines est tenté sans amélioration. En mai 2006, le Ca 125 s’élève et un adénocarcinome séreux de l’ovaire est découvert chez elle ; il sera traité par chirurgie et chimiothé- rapie. Une IRM est réalisée et montre l’atrophie cérébelleuse. En janvier 2007, le cancer ovarien récidive et la patiente décède en octobre. Commentaire Ac anti-neuronaux et DCP À côté des anti-Yo, d’autres Ac peu- vent être détectés : anti-Hu et anti-Tr (les plus fréquents après les anti-Yo), mais aussi anti-PCA-2, anti-mGluR1, anti-Ma, anti-CV2. La plupart de ces Ac marquent les cellules de Purkinje ; ils pourraient jouer un rôle dans la DCP. Lorsque ces Ac sont détectés, il faut rechercher une tumeur. Cancers associés à la DCP La recherche de la tumeur est gui- dée par les Ac présents : – cancers gynécologiques pour les anti-Yo ; – cancers pulmonaires à petites cellules pour les anti-Hu, anti-Ri, anti-CV2 ; – cancers testiculaires pour les anti-Ma ; – maladie de Hodgkin pour les anti Tr et anti-mGluR1. Ce qu’il faut retenir de la DCP Devant un syndrome céré- belleux d’apparition subaiguë, non de cause infectieuse, toxique ou métabolique. Il faut rechercher les Ac anti-neurones et la tumeur (guidée par le type d’Ac présent). La découverte de la tumeur est sou- vent postérieure au syndrome neuro- logique, d’où l’intérêt d’un suivi très régulier de ces patients. En traitant rapidement la tumeur, on peut espé- rer une stabilisation de la DCP, mais il existe des différences évolutives selon les Ac présents. | CAROLE ÉMILE Biologiste, CH de Montfermeil (93) [email protected] Dégénérescence cérébelleuse paranéoplasique et auto-anticorps Source Communication de Joëlle Goetz, 5 e colloque GEAI, Paris, juin 2008. cas clinique immunologie | pratique 19 OptionBio | Lundi 20 octobre 2008 | n° 407 nisent la structure de la membrane post-synapti- que et gênent l’accès de l’Ach à son récepteur. Le tableau clinique de ces myasthénies anti- MuSK+ est particulier : formes oculo-bulbaires, atrophie musculaire, notamment de la langue. Ces formes sont plus graves et plus souvent résistantes aux traitements habituels (anti- cholinestérasiques). La neuromyélite optique de Devic Longtemps discutée comme étant une forme par- ticulière de la sclérose en plaques (SEP), la mala- die de Devic est aujourd’hui bien individualisée. C’est une affection rare qui, comme la SEP, atteint l’œil et la moelle épinière : l’atteinte oculaire est sévère (cécité mono- ou binoculaire) et irréver- sible ; l’atteinte médullaire est une paraplégie. L’évolution de la maladie se fait par poussées ou est monophasique (le tableau est complet en une seule poussée). À l’IRM, les lésions de la subs- tance blanche médullaire sont généralement très étendues. Le pronostic est grave avec des séquel- les fréquentes et une forte mortalité. La discussion nosologique a beaucoup avancé grâce à la mise en évidence d’auto-anticorps, les Ac anti-NMO (NeuroMyélite Optique) décrits en 2004. La protéine cible de ces Ac est sans doute un canal hydrique ubiquitaire : l’aquaporine-4. Ces Ac sont mis en évidence par immunohistochimie sur cervelet de rat post-fixé au formol. Ces Ac ont permis de distinguer la maladie de Devic de la SEP avec une sensibilité de 73 % et une spécificité de 91 %. Ils sont donc utiles au diagnostic, notamment à la phase précoce (le traitement est différent, beaucoup plus agressif dans le cas de la maladie de Devic) et ont aussi un intérêt évolutif. Les critères diagnostiques de la maladie ont été révisés en 2006 et incluent désormais les Ac anti-NMO. Une neuromyélite optique de Devic est certaine s’il existe une neuropathie optique, une myélite aiguë et au moins deux des trois critères en faveur du diagnostic : 1. hypersignal étendu sur au moins 3 métamères contigus sur l’IRM de moelle, 2. IRM cérébrale ne souscrivant pas aux critères de sclérose en plaques. 3. positivité des anticorps anti-NMO. | CAROLE ÉMILE Biologiste, CH de Montfermeil (93) [email protected] Sources Communication de J.-C. Antoine (CHU de Saint-Étienne), session de formation médicale continue, Laboratoire Biomnis, Lyon. Référence Lennon VA, Wingerchuk DM, Kryzer TJ et al. A serum autoantibody marker of neuromyelitis optica: distinction from multiple sclerosis. Lancet. 2004 ; 364 : 2106-12.

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Mme Z., 60 ans, est adressée par son médecin traitant en consul-

tation neurologique pour troubles de l’équilibre. En janvier 2006, elle doit s’asseoir pour s’habiller car elle ne se sent pas stable. En février, elle a du mal à marcher et les troubles s’ac-centuent. Elle ne prend pas de médi-cament et ne boit pas d’alcool.

Évolution des symptômes et recherches diagnostiquesÀ l’examen clinique, elle présente une ataxie cérébelleuse (troubles de la coordination des mouvements), un nystagmus, une dysarthrie (sa voie est bégayeuse, monotone) et une diplo-pie. L’ensemble évoque une dégéné-rescence cérébelleuse subaiguë (car installée en plus de 4 semaines).Au plan biologique, le bilan sanguin est normal. Dans le liquide céphalora-chidien, il existe une hyperprotéino-rachie. L’IRM montre une discrète diminution de la taille du cervelet. Un tel tableau chez un sujet de plus de 50 ans correspond environ une fois sur deux à un syndrome para-néoplasique. Il faut donc rechercher un cancer et des Ac antineurones.

Dix jours plus tard, Mme Z. ne mar-che plus malgré un bolus de corti-coïdes. Le bilan à la recherche d’une tumeur (imagerie et marqueurs tumoraux sériques) est négatif, mais les Ac anti-neurones recher-chés sur cellules de Purkinje sont positifs (fluorescence cytoplasmi-que). La recherche des spécificités par ImmunoDOT permet d’identifier des anti-Yo.Les Ac anti-Yo sont les Ac anti-neu-ronaux les plus souvent rencontrés dans la dégénérescence cérébel-leuse paranéoplasique (DCP) et les seconds en fréquence dans les syndromes neurologiques paranéo-plasiques après les anti-Hu ; 90 % des malades ayant des anti-Yo ont une DCP.Les Ac anti-Yo sont présents dans 53 % des cas avant la découverte de la tumeur, le plus souvent gyné-cologique. Ils sont aussi de mauvais pronostic pour la DCP car, même si la tumeur est traitée, une améliora-tion neurologique n’est obtenue que dans 2,6 % des cas.Chez Mme Z, après échec de la cor-ticothérapie IV et orale, un traitement

par gammaglobulines est tenté sans amélioration. En mai 2006, le Ca 125 s’élève et un adénocarcinome séreux de l’ovaire est découvert chez elle ; il sera traité par chirurgie et chimiothé-rapie. Une IRM est réalisée et montre l’atrophie cérébelleuse. En janvier 2007, le cancer ovarien récidive et la patiente décède en octobre.

CommentaireAc anti-neuronaux et DCPÀ côté des anti-Yo, d’autres Ac peu-vent être détectés : anti-Hu et anti-Tr (les plus fréquents après les anti-Yo), mais aussi anti-PCA-2, anti-mGluR1, anti-Ma, anti-CV2. La plupart de ces Ac marquent les cellules de Purkinje ; ils pourraient jouer un rôle dans la DCP. Lorsque ces Ac sont détectés, il faut rechercher une tumeur.

Cancers associés à la DCPLa recherche de la tumeur est gui-dée par les Ac présents :– cancers gynécologiques pour les anti-Yo ;– cancers pulmonaires à petites cellules pour les anti-Hu, anti-Ri, anti-CV2 ;

– cancers testiculaires pour les anti-Ma ;– maladie de Hodgkin pour les anti Tr et anti-mGluR1.

Ce qu’il faut retenir de la DCP

Devant un syndrome céré-belleux d’apparition subaiguë, non de cause infectieuse, toxique ou métabolique.

Il faut rechercher les Ac anti-neurones et la tumeur (guidée par le type d’Ac présent).La découverte de la tumeur est sou-vent postérieure au syndrome neuro-logique, d’où l’intérêt d’un suivi très régulier de ces patients. En traitant rapidement la tumeur, on peut espé-rer une stabilisation de la DCP, mais il existe des différences évolutives selon les Ac présents. |

CAROLE ÉMILE

Biologiste, CH de Montfermeil (93)

[email protected]

Dégénérescence cérébelleuse paranéoplasique et auto-anticorps

SourceCommunication de Joëlle Goetz, 5e colloque GEAI,

Paris, juin 2008.

cas clinique

immunologie | pratique

19OptionBio | Lundi 20 octobre 2008 | n° 407

nisent la structure de la membrane post-synapti-que et gênent l’accès de l’Ach à son récepteur.Le tableau clinique de ces myasthénies anti-MuSK+ est particulier : formes oculo-bulbaires, atrophie musculaire, notamment de la langue. Ces formes sont plus graves et plus souvent résistantes aux traitements habituels (anti-cholinestérasiques).

La neuromyélite optique de DevicLongtemps discutée comme étant une forme par-ticulière de la sclérose en plaques (SEP), la mala-die de Devic est aujourd’hui bien individualisée. C’est une affection rare qui, comme la SEP, atteint l’œil et la moelle épinière : l’atteinte oculaire est sévère (cécité mono- ou binoculaire) et irréver-sible ; l’atteinte médullaire est une paraplégie. L’évolution de la maladie se fait par poussées ou est monophasique (le tableau est complet en une seule poussée). À l’IRM, les lésions de la subs-

tance blanche médullaire sont généralement très étendues. Le pronostic est grave avec des séquel-les fréquentes et une forte mortalité.La discussion nosologique a beaucoup avancé grâce à la mise en évidence d’auto-anticorps, les Ac anti-NMO (NeuroMyélite Optique) décrits en 2004. La protéine cible de ces Ac est sans doute un canal hydrique ubiquitaire : l’aquaporine-4. Ces Ac sont mis en évidence par immunohistochimie sur cervelet de rat post-fixé au formol.Ces Ac ont permis de distinguer la maladie de Devic de la SEP avec une sensibilité de 73 % et une spécificité de 91 %. Ils sont donc utiles au diagnostic, notamment à la phase précoce (le traitement est différent, beaucoup plus agressif dans le cas de la maladie de Devic) et ont aussi un intérêt évolutif.Les critères diagnostiques de la maladie ont été révisés en 2006 et incluent désormais les Ac anti-NMO. Une neuromyélite optique de Devic est

certaine s’il existe une neuropathie optique, une myélite aiguë et au moins deux des trois critères en faveur du diagnostic :1. hypersignal étendu sur au moins 3 métamères contigus sur l’IRM de moelle,2. IRM cérébrale ne souscrivant pas aux critères de sclérose en plaques.3. positivité des anticorps anti-NMO. |

CAROLE ÉMILE

Biologiste, CH de Montfermeil (93)

[email protected]

SourcesCommunication de J.-C. Antoine (CHU de Saint-Étienne), session de

formation médicale continue, Laboratoire Biomnis, Lyon.

RéférenceLennon VA, Wingerchuk DM, Kryzer TJ et al. A serum autoantibody

marker of neuromyelitis optica: distinction from multiple sclerosis.

Lancet. 2004 ; 364 : 2106-12.