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DÉBAT 1 ERES | Analyse Freudienne Presse 2002/1 - no 5 pages 11 à 53 ISSN 1253-1472 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-analyse-freudienne-presse-2002-1-page-11.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- « Débat 1 », Analyse Freudienne Presse, 2002/1 no 5, p. 11-53. DOI : 10.3917/afp.005.53 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 88.184.46.60 - 21/01/2014 01h15. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 88.184.46.60 - 21/01/2014 01h15. © ERES

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DÉBAT 1 ERES | Analyse Freudienne Presse 2002/1 - no 5pages 11 à 53

ISSN 1253-1472

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-analyse-freudienne-presse-2002-1-page-11.htm

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Pour citer cet article :

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- « Débat 1 »,

Analyse Freudienne Presse, 2002/1 no 5, p. 11-53. DOI : 10.3917/afp.005.53

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Distribution électronique Cairn.info pour ERES.

© ERES. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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ROBERT LÉVY : Je voudrais souhaiter la bienvenue aux invitésde cette table ronde qui sont ce soir Monique Schneider,Françoise Gorog, Jean-Pierre Lebrun, Marc Nacht et, pourAnalyse freudienne, Bernard Brémond et Claude Dumézil.Le thème de la soirée reprend celui du travail, cette année,dans notre association : Pulsion de mort, cliniques et théorie.

Pour donner un repère rapide de l’inscription de ceconcept dans l’évolution de la revue, il succède au travail del’année précédente qui s’interrogeait sur : « Existe-t-il uneautre sexualité qu’infantile ? » Il nous est apparu assez logiqued’aboutir sur cette question de la pulsion de mort dans sesrapports avec celle du sexuel, mais pas seulement. La pulsionde mort est un concept à la fois assez large puisqu’il est à lacroisée de plusieurs orientations, très controversé par les psy-chanalystes eux-mêmes. Chez Freud, c’est un concept tout àfait frontière entre instinct et pulsion.

Il est intéressant de le retrouver déplié par Lacan,notamment dans la question du désir de l’analyste comme

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désir plus fort que le désir sexuel. Il ne dit plus pulsion de mortmais désir de la mort qui vient prendre la place de ce concept,place ou plutôt fonction que Lacan attribue dès lors à l’ana-lyste dans la controverse qui, à l’époque, l’opposait auxautres, à propos du contre-transfert. C’est en fait pour appor-ter une critique définitive à cette notion qu’il va utiliser etdéployer cette notion de désir de la mort.

Si, pour Freud, la pulsion est un concept fondamental,pour Lacan, assurément, le désir d’analyste l’est tout autant.Il va en faire un point d’appui dynamique et positif. La pul-sion de mort mène à envisager une certaine efficacité dansl’appareil psychique dans la mesure où elle serait de nature àintroduire de la différence, là où l’organisation narcissique atendance à produire une espèce d’effet de collage qui troublele tableau.

Il est intéressant de repérer qu’en 1925 Freud, outre ladimension destructrice de la pulsion de mort, nous donnaitdéjà accès à une dimension fondamentalement différente enfaisant apparaître le caractère positif voire créatif d’une pul-sion de mort dont le rôle serait un moyen dans l’établisse-ment de la réalité humaine. Il me paraît là important derapprocher pulsion de mort et Malaise dans la civilisation.

Dans ce texte de la Verneinung, la dénégation, l’enfantconstitue le monde de ses objets par la mise en jeu d’un pro-cessus placé essentiellement sous l’empire de la pulsion demort. Il est clair que Lacan préfère qualifier cela désir de lamort et dans Les complexes familiaux, texte de 1938, onretrouve quelque chose qu’il qualifie de « malaise du sevragehumain comme source même du désir de la mort ». À cette occa-sion, Lacan dégage cette pulsion de toute idée d’instinct, laconstance de la poussée interdisant toute assimilation de lapulsion à une fonction biologique. Elle serait toujours un riteet il indique là une orientation clinique. Cette tendance psy-chique à la mort, sous la forme originelle que lui donne lesevrage, se révèle, nous indique Lacan, dans des suicides très

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spéciaux qu’il qualifie de suicides non violents. Il fait claire-ment allusion ici à ce qu’il appelle la grève de la faim dansl’anorexie mentale, l’empoisonnement lent dans certainestoxicomanies par la bouche qu’il qualifie d’ailleurs de« régime de famine de névrose gastrique », formulation toutà fait bienvenue.

Toujours dans Les complexes familiaux, Lacan souligneaussi les connexions entre la mère et la mort. C’est dans cetexte qu’il introduit cette dimension très importante. Faut-ilvoir, par exemple dans l’assimilation de la mère à la mèrepatrie, une raison des catastrophes guerrières que le XXe sièclenous a apportées ? Faut-il entendre que la tendance à la mortest vécue par l’homme comme objet d’un appétit ? Faut-ilenfin voir dans ces guerres fratricides toujours actuelles cettepossibilité de renouveler inlassablement l’exclusion d’unobjet, ce que Lacan appelle « ce moment dialectique où lesujet assume par ses premiers actes le jeu de la reproductionde ce malaise même et par là le sublime et le surmonte ». Entout cas, l’image du frère non sevré comme l’appelle Lacan,serait-elle cette espèce d’infidèle qu’il faudrait éradiquer, éli-miner de la surface du monde, puisque là encore Lacan nousfait remarquer que c’est ce frère non sevré qui attire uneagression spéciale : elle répète dans le sujet l’imago de la situa-tion maternelle et, avec elle, le désir de la mort.

Je vous invite à débattre sur un plan clinique et théoriquede ce concept qui se révèle, comme j’ai essayé très brièvementde le souligner, d’une redoutable postmodernité. La parole està vous Madame Schneider ; je vous ai entendue à Lyon 1

développer des éléments très intéressants concernant cet ini-tiatique de l’appareil psychique, qui serait au plus profondmême de sa constitution. Vous l’aviez très bien articuléautour de quelque chose qui, logiquement, aboutit à cette

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1. Journées organisées par Analyse feudienne et Espace analytique à Lyon les 8 et9 septembre 2001 sur le thème « Les champs du désir ».

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question du désir de la mort ou tout au moins de la pulsionde mort. Pour commencer, auriez-vous quelques élémentsconcernant ces points-là ?

MONIQUE SCHNEIDER : Ma démarche sera volontiers régres-sive. La notion de pulsion de mort date de l’article deFreud Au-delà du principe de plaisir. Ce qui m’a surprise rétro-activement, c’est de voir que si la définition est présente dèsles débuts de la psychanalyse et dès l’Entwurf, il est vrai quela nomination pulsion de mort apparaît tardivement, à unmoment tournant. Comme si cette pulsion de mort avaitbesoin, même dans la théorie, d’agir sur le mode silencieux.C’est-à-dire d’être déniée.

Ce qui m’a frappée dans l’approche de Freud et qui m’ad’abord paru assez déraisonnable, c’est la vision de l’arcréflexe où il radicalise le fonctionnement de l’appareil ani-mique, de l’appareil psychique. Mais quand dans l’Entwurf ilparle de l’appareil neuronique, il met en avant le principed’inertie des neurones et suppose même la tendance vers lezéro comme la tendance fondamentale. À mon étonnement,moi qui venais de la philosophie, c’est une orientation, chezFreud, qui prend d’emblée le contre-pied de ce qu’était lapsychologie des tendances. On a surabondamment parlé de latendance ou du désir.

Une des grandes questions en philosophie, c’est de savoirvers quoi l’homme tend. Or avec Freud on ne voit pas versquoi l’homme tend. On voit au départ ce qu’il fuit. Le prin-cipe de fuite est une sorte de principe fondamental. PourFreud, même si quelque chose de l’ordre de la pulsion,quelque chose de plus vivant, peut apparaître, c’est parce quela fuite radicale est impossible. Dès l’Esquisse, il y a ce thèmeterrible : on ne peut pas se fuir soi-même. Même si, parailleurs, on peut fuir les excitations venues du monde exté-rieur. Ainsi la pulsion de mort tendrait d’abord à annuler toutce qui est du registre de l’excitation, ce qui m’a paru d’autant

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plus déraisonnable que le mot excitation, Reiz, est l’équiva-lent du mot stimulus. Freud part de l’idée que tout stimulusatteignant un enfant provoquerait comme réponse premièrela fuite, le mouvement de s’en détourner. Cette propositionviolente la psychologie car, là, Freud nous propose une théo-rie du réflexe apparemment paradoxale. Au moment où ilnomme ce principe de fuite radicale, ces tendances vers lezéro, il ne lui donne pas le nom de principe de déplaisir maiscelui de principe de plaisir.

Reizbewältigung, telle serait la fonction du plaisir – maî-triser les excitations, les étouffer, les faire taire.

Curieusement, on parlera de l’hédonisme de Freud,comme s’il y avait tendance vers le plaisir, alors que Freudmet en place quelque chose de plus radical, centré sur unevisée d’évitement. Le monde extérieur, on peut le fuir, maison ne peut pas se fuir soi-même, d’où ce compromis : l’ac-ceptation relative du pulsionnel.

On dit que Freud est pessimiste à partir de « Au-delà duprincipe de plaisir ». À mon sens, son pessimisme était là dèsle départ mais avec ce voile que constituait la nomination deprincipe de plaisir qui masquait la dénomination de pulsion demort. Dans Au-delà du principe de plaisir, le voile tombe.

Comme Freud l’avoue dans le texte sur le masochisme,c’est inconsidérément qu’il a appelé principe de plaisir la ten-dance à la fuite de toute excitation. Ce principe, il va alors lenommer principe de nirvana en mentionnant une sorted’étourderie fondamentale dont l’aveu me paraît extrême-ment précieux, comme s’il y avait un leurre dans la théorie.Quand Freud dit que la pulsion de mort ne travaille que dansle silence, il s’agit d’un silence redoublé puisque cette pulsionde mort ne peut pas se dire. Au moment où elle est mention-née comme pulsion de mort dans Au-delà du principe de plai-sir , il semble intenable pour Freud de capter isolément l’idéede la pulsion de mort. Il parle en même temps du mouve-ment pulsionnel qui va contrecarrer la pulsion de mort et qui

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sera Éros. Tout compte fait, dans Au-delà, ce n’est pas du toutla découverte de la pulsion de mort qui s’opère – elle étaitdéjà là mais voilée –, c’est la découverte de cette excitationqui met en rapport avec l’altérité.

Chaque individu pour lui-même irait ainsi vers la mort,vers l’extinction. Par ailleurs – mais cet ailleurs se situe dansles laboratoires et dans les éprouvettes –, des noces s’annon-cent. Si les animalcules entrent en contact, ils jouissent d’unesurvie. Une sorte de regénérescence, de nuptialité prend placedans les éprouvettes et c’est là une des images prudentes queFreud donne d’Éros qu’il n’aborde pas directement. Ce termed’Éros apparaît, dans un mouvement conceptuellement néga-tif, afin que s’installe une sorte de barrage opposé à une pul-sion de mort qui s’imposerait comme inenvisageable.

ROBERT LÉVY : Ne pourrait-on dire selon vous qu’il n’y a pasde sortie possible des pulsions partielles sans pulsion demort ?

MONIQUE SCHNEIDER : Je pense… Cette sortie est peut-êtreelle-même partielle. Je ne sais pas dans quelle mesure il peuty avoir une sortie radicale. Je pense que la pulsion de mortpeut effectivement représenter une dimension indépassable.Freud la rapproche, dans Pulsions et destin des pulsions, d’unesorte de haine radicale, originairement opposée à toute mani-festation d’altérité.

ROBERT LÉVY : C’est ce qui fait la différence. Ce qu’introduitla pulsion de mort, c’est vraiment cette capacité de faire ladifférence, via la haine et via l’angoisse, qu’il ne faut pasoublier puisqu’elles sont très directement corrélées. Quelquechose de soi-même auquel on ne peut pas échapper.

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MARC NACHT : Pour Lacan en tout cas, toute pulsion par-tielle était une pulsion de mort. Ce qui se représente ainsi,c’est l’annihilation complète des tensions, la réalisation del’homéostasie, selon Freud.

Il est à remarquer que le sujet n’apparaît pas, ou plusexactement ne peut pas s’inscrire, dans le jeu pulsionnelréduit à son économie. Il en est bien ainsi dans Au-delà duprincipe de plaisir, la pulsion de mort y étant explicitéecomme la tendance de tout vivant à retrouver son état miné-ral. Cette tendance vers le minéral est quelque chose qui nepeut qu’étonner et interpeller puisque nous n’avons pas l’ha-bitude de nous considérer véritablement comme minéraux nicomme amateurs de minéralisation de nous-mêmes.

Il y a un passage, à la limite, entre cette aspiration et latendance à la mort telle qu’en parlait Lacan dans Les com-plexes familiaux auxquels Robert Lévy faisait référence tout àl’heure. L’ancrage dans le biologique qui est pourtant pré-gnant dans ce texte débouche sur la notion d’insuffisance,peut-être par anticipation de ce qui deviendra le manque surun autre registre. Je cite : « La tendance à la mort qui spécifiele psychisme de l’homme – c’est cela l’instinct de mort – etqui ne répond pas à des fonctions vitales mais à l’insuffisancecongénitale de ces fonctions. »

Quelque temps passe et l’on retrouve alors dans le Lacande L’Éthique de la psychanalyse une pulsion de mort qui peutse comprendre tout à fait comme une attraction régressive àpartir de ce qu’il a mis en valeur de das Ding, objet de la pul-sion non représentable que Freud nomme ainsi dans l’Es-quisse. C’est la chose. Là, nous avons affaire à ce qui émergecomme, dit-il, l’autre absolu du sujet. Cet autre absolu dusujet fait le lien avec la première conception, celle de la pré-maturation. Cette boucle revient non pas au négatif mais àl’inerte, au minéral, à ce qui n’est pas du vivant mais où l’onsort du pulsionnel parce qu’on ne peut pas considérer commesource d’une pulsion ce qui est mort. Donc, il y a cette

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boucle-là qui est assez étonnante parce qu’elle revient sur cequi n’est pas encore le sujet et se situe à la marge du désir.Cela n’en existe pas moins mais ne peut qu’opérer dans unedésintrication des pulsions, dans un espace autre que celui dufonctionnement de la cohésion vitale.

C’est à cette question que je voulais aboutir : Aujour-d’hui, dans un monde où, du fait du fonctionnement de lasociété postindustrielle, les objets se sont transformés, ten-dent à devenir prothétiques grâce aux avancées technolo-giques – comme la mère du prématuré – et aussiprobablement de ce qui, à partir de ces avancées, fonctionnecomme de vieux fantasmes, que peut-on penser aujourd’huide ce travail de la pulsion de mort ? Ces objets prothétiquesne provoquent-ils pas le retour du refoulé ? Non pas celui dela pulsion de mort mais de l’état de prématuration qui lui estlié ? C’est possible parce qu’ils se proposent comme des sup-pléances ou des amplifications sensorielles et qu’ils peuventalors nous renvoyer vers des états où nous n’étions pascapables de survivre sans la première prothèse qui est, excu-sez-moi mesdames, la prothèse maternelle.

ROBERT LÉVY : Pulsion de mort sans sujet, sans objet ?…Chacun a donné là une indication… Comment rencontre-t-on cela dans la clinique ? Avez-vous quelques éléments là-dessus ?

BERNARD BRÉMOND : Je suis assez d’accord avec ce que disaitMonique Schneider quant à la présence de cette pulsion demort dès le départ de l’œuvre freudienne, même si ce n’estqu’avec l’Au-delà du principe de plaisir que Freud lui donneun nom. La question est que cette nomination, à un momentdonné, a des conséquences ; c’est-à-dire qu’avec l’appellationpulsion de mort, on sent bien qu’on est là au niveau du pluscrucial, et de la pensée freudienne et des enjeux de la curepsychanalytique. Quand on parle de pulsion de mort, on sait

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bien qu’on est au plus vif, même si on ne sait pas toujours trèsbien de quoi l’on parle. En produisant cette appellation, il mesemble que Freud fait une sorte de forçage. À partir de cemoment-là – et d’une certaine façon c’est bien ce qui s’estproduit –, il faut qu’on l’accepte ou pas et c’est un enjeuéthique pour la psychanalyse.

Maintenant, je reconnais que cette appellation pulsion demort est très mauvaise, mais sans doute n’y a-t-il pas vraimentpossibilité de mieux faire. Cette nomination plutôt mauvaisecontinue malgré tout à nous faire difficulté de par la questionqui y est logée. J’ai lu récemment, je crois que c’est Laplanchequi le dit, que Freud parle d’abord de pulsion de mort etdonc de Thanatos, et c’est seulement ensuite qu’il parle d’É-ros. C’est intéressant parce qu’on oublie cela : Éros n’était pasdans le vocabulaire de Freud avant que Thanatos y soitcomme nomination de la pulsion de mort. C’est déjà un pre-mier point. Le second, c’est que je reste très sensible à la dis-parité des trois points d’appui que Freud prend pourprésenter et nommer cette pulsion de mort : la névrose trau-matique, puis la réaction thérapeutique négative, et enfin lejeu des enfants, à partir du fort-da. Je trouve qu’il y a une telledisparité entre ces trois réalités cliniques que cela devrait nousinviter à cesser de situer toujours la pulsion de mort de façondramatique, tragique, du côté du mortifère. Il s’agit de bienautre chose, et la présence du fort-da comme l’un des appuisque prend Freud devrait toujours nous réveiller, nous faireentendre qu’il ne s’agit pas purement et simplement de ladimension mortifère. Ce qui m’intéresse, c’est à la fois ladimension métapsychologique, mais aussi la présence de cettepulsion de mort dans le processus même de la cure, en ce sensfreudien que c’est au sein même d’une expérience de répéti-tion, à savoir le transfert, que se pose la question de l’advenuedu nouveau, ou de quelque chose d’autre, d’Autre pourquoipas. C’est là que se joue l’intérêt clinique de cette notion :c’est dans le processus même où « ça répète », dans le trans-

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fert, qu’en fait, il peut être attendu que quelque chose denouveau ou quelque chose d’autre se produise.

Sur la question de l’instinct, je dois dire qu’à la fois, jesaisis bien cette dimension de concept limite entre psychiqueet somatique, mais je ne comprends pas qu’on puisse appelerinstinct une pulsion.

Actuellement, j’entends cette pulsion de mort un peuautrement. Freud, dans Au-delà du principe de plaisir, aumoment où il est le plus engagé dans ses considérations scien-tifiques sur les cellules et leurs avatars, dit : « L’organisme veutmourir à sa manière. » Pour qu’il y ait une manière de mou-rir, il faut bien qu’il y ait déjà eu une symbolisation. Je ne voispas comment il peut y avoir, pour un organisme, sa propremanière de mourir s’il n’y a pas déjà eu une symbolisation.J’entends la pulsion de mort comme ce mouvement, ou cetteforce, orientée par la tentative de retrouver ce que j’appellemaintenant le signifiant qu’on était avant de naître. J’ai trouvécela chez Cioran, à ceci près que lui parle de personnage etnon de signifiant.

Il s’agit d’une tentative de retourner au point d’avant ledébut du déroulement d’une chaîne signifiante. Rejoindre lesignifiant qu’on était avant de naître pour s’y fondre et y dis-paraître comme sujet, en tant qu’un sujet suppose toujours aumoins deux signifiants. Il y a donc déjà de la signification etde l’aliénation. Pourquoi dire un signifiant, puisqu’un signi-fiant ne va jamais seul ? N’y aurait-il pas un mouvement pourretrouver le signifiant – supposé – d’avant qu’il y ait du sujet,signifiant dans le fantasme des parents évidemment. Unsignifiant qui aurait été là avant le sujet, avant donc lamoindre signification. Rejoindre ce signifiant permettraitd’annuler toutes les significations, tous les sens déjà consti-tués ; quelque chose comme un retour au zéro, au sens dusignifiant zéro comme il existe parfois le numéro zéro d’unerevue.

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Ce mouvement ne peut évidemment qu’échouer, il y aune limite qui ne peut être franchie. Ce mouvement est lacause d’un parcours que l’on peut appeler pulsionnel, c’estainsi que je comprends actuellement la pulsion de mort plu-tôt que d’aller chercher du côté de l’instinct, un mouvementpar lequel un sujet tente de rejoindre le signifiant qu’il était(pour l’Autre) avant qu’il y ait du sujet.

FRANÇOISE GOROG : En pensant à cette soirée, je réfléchissaisau rapport qui existe entre la mélancolie et l’érotisme. Il mesemble comprendre que vous mettez l’accent sur le surgisse-ment d’Éros avec l’introduction de Thanatos dans l’Au-delà.Kierkegaard, que j’ai souvent étudié, met l’accent précisé-ment sur la mélancolie d’amour et tout ce qui me paraît desphénomènes qui peuvent se subsumer dans le mathème laca-nien Φo. Dans l’œuvre de Kierkegaard, il y a une expressionqu’il appelle son impuissance érotique de castrat. Dans le mêmetemps, il peut dire qu’il se sent lui-même un παρανεχροι,un comme mort, et que son lecteur favori serait un autreπαρανεχροι, un autre comme mort. Donc cet homme quiparle de son impuissance érotique de castrat parle aussi d’êtreun comme mort s’adressant à d’autres qui seraient des commemorts. Il y a d’autres formules de Kierkegaard qui sont frap-pantes, par exemple Je me mutile. Il se mutile en renonçant àfaire ce qu’il fallait pour épouser sa Régine et Lacan ditd’ailleurs « Il se castre », ce qui n’est pas une formule courantechez Lacan. Alors ce Il se castre pourrait être repris de l’ex-pression même de l’auteur Je me mutile.

Peut-être que grâce à Φo, on pourrait connecter deuxpoints de la discussion. Par exemple, à propos de l’actualité etde tout ce qui nous fait en ce moment horreur dans la guerreet le terrorisme. Reprenons un texte de Freud comme Lesconsidérations actuelles sur la mort et la guerre, Zeitgemässesüber Krieg und Tod, publiées en 1915. Notons d’ailleurs aupassage qu’il s’agit du même mot que dans les Considérations

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inactuelles de Nietzsche, Unzeitgemässe Betrachhtungen de 1875-1878. Sauf que c’est l’inverse, ce sont des considérationsactuelles et non pas inactuelles. Cet actuel fait-il réponse à l’in-actuel de Nietzsche ? Il n’est pas impossible de le supposer.L’actuel qui est référence à l’acte convient mieux à l’analyste.

Même si je ne doute pas que, dans ce texte, bien avantl’Au-delà, Freud ait pensé à ce qu’il appellera pulsion de mort,on mesure quel a été l’impact de la guerre de 14 sur cet articlequi est contemporain de Deuil et mélancolie, même si Deuil etmélancolie a commencé à être écrit en 1911. Cependant c’esten 1915 que sortent à la fois les Considérations actuelles sur laguerre et la mort et Deuil et mélancolie. Là, Freud peut écrireque l’on aurait pu penser, avant la guerre de 14-18, qu’il yavait chez l’homme civilisé, je cite : « Assez de tolérance pourla disparité pour qu’il ne fût plus possible de fondre en uneseule acception, comme c’était encore le cas dans l’Antiquitéclassique, étranger et hostile. »

Vous avez fait, Marc Nacht, une allusion à notre actua-lité. Freud découvre ceci à la guerre de 14 mais nous, nous ledécouvrons entre autres le 11 septembre 2001 et nous avonsdu mal à croire qu’il n’y ait pas eu assez de tolérance pour ladisparité.

Il y a aussi, comme vous l’avez déjà souligné, ce mer-veilleux passage de Freud sur les protistes qui au fond péris-sent dans leur solution. Freud va même plus loin puisqu’il ditque ces protistes vont jusqu’à annihiler leur descendance parla solution qu’ils sécrètent et dans laquelle ils baignent. D’où,en effet, la nécessité de rechercher l’hétérité, c’est-à-dire le faitde se tourner vers quelque chose qui soit autre. On peutl’aborder dans la vie sexuelle avec la jouissance autre, fémi-nine, ou dans le lien social avec la recherche d’une relationqui s’oppose à la xénophobie, haine de l’Autre, à la fois hos-tile et étranger.

En tout cas, Freud dit dans cet article des choses qui sontextraordinairement présentes actuellement. Par exemple, il

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dit que nous mettons l’accent sur la cause occasionnelle de lamort, comme l’accident ou la maladie, et ainsi, dit-il, noustrahissons notre aspiration à rabaisser la nécessité de la mortau rang d’un accident fortuit. Lacan est très freudien dans sesconsidérations sur la mort, proche du Freud qui souligne quel’accumulation des morts de la guerre nous prive de notrevœu d’attribuer à la mère… je veux dire à la mort, une causefortuite.

Il est frappant de voir que le tableau de la névrose trau-matique est, selon Freud, un tableau qui se rapproche de celuide l’hystérie par des symptômes moteurs mais le dépasse parce qu’il appelle des signes très prononcés de souffrance sub-jective évoquant l’hypocondrie ou la mélancolie, pure culturede la pulsion de mort. Je me disais que, malheureusement,cette métaphore de pure culture, qu’on trouve aussi bien dansl’expression pure culture de la pulsion de mort que dansl’exemple des protistes, est une métaphore qui ne tombe quetrop parfaitement avec la culture de la bactérie du charbon oude la guerre biologique. Si nous soutenons avec Freud quel’angoisse de mort est un analogon de l’angoisse de castration,nous saisissons bien en quoi l’absence de signification phal-lique et le Φo lacanien éclairent la pure culture de la pulsionde mort dans la mélancolie et plus généralement le trouble aujoint le plus intime du sentiment de la vie de la Question préli-minaire.

ROBERT LÉVY : Votre lapsus nous apporte une orientationextrêmement intéressante… Ce rapprochement entre la mèreet la mort est central chez Freud lorsqu’il qualifie ce qui estétranger et hostile de la femme. C’est un point très impor-tant.

FRANÇOISE GOROG : Si vous le permettez, je voudrais m’ex-pliquer sur mon lapsus. Je parlais hier avec Catherine Millotet elle me racontait que, lors d’une conférence, un analyste

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disait : « La mère est une charogne » et Lacan lui auraitdemandé : « Qu’est-ce que vous pensez du tact, cet art detoucher sans faire mal ? » Voilà ce que j’avais en tête, d’où lelapsus.

JEAN-PIERRE LEBRUN : J’irai dans le sens de certaines chosesqui ont déjà été dites mais je voudrais insister sur l’une desquestions qui m’intéresse particulièrement dans ce concept depulsion de mort. Monique Schneider vient de rappeler trèsjustement que si la nomination pulsion de mort apparaît trèstardivement dans la théorie de Freud, elle était pourtant déjàsilencieusement à l’œuvre dès le début de son travail et Ber-nard Brémond a évoqué l’enjeu éthique que cette nominationimplique. Ces deux éléments sont tout à fait précieux et il estimportant de les rappeler.

Quant à moi, pour m’en tenir à la radicalité de cette pul-sion de mort, en ce qu’elle implique cet irréductible glissementvers le minéral, pour reprendre la formulation de Marc Nacht,sauf justement à faire le détour par la vie. Le dire ainsi mepermet de renoncer d’emblée à éviter une prise en compte dela pulsion de mort. C’est tellement radical qu’il n’y a aucunmoyen de ne pas la rencontrer au cœur de l’existence. Néan-moins, il y a une dimension qui va de pair et qui, à cet égard,est tout à fait présente dans les textes de Freud. Il dit que ledétour par la vie vient contrer ce mouvement, en empêchantle bouclage immédiat du processus.

La question que je voudrais poser et qui m’intéresse par-ticulièrement, c’est celle de repérer comment le monde danslequel nous vivons donne avantage, pour reprendre un termeemprunté au tennis, à la pulsion de mort. C’est mon hypo-thèse.

Je voudrais reprendre le terme de fascination de l’authen-tique, formulation qui sert d’invitation à l’exposition de VonHaagens qui se tient actuellement à Bruxelles sur les corpsplastinés. Il s’agit d’un anatomopathologiste qui fait actuelle-

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ment grand marché, au sens propre et figuré du terme, d’uneexposition itinérante qui est déjà allée au Japon et en Alle-magne, et qui y a connu un succès considérable. Il a trouvéune nouvelle méthode de conservation des corps qui les gardequasi intacts. Cette exposition consiste à montrer, avec l’alibidu progrès de la science, de vrais cadavres, ce qui attire lesfoules qui vont y voir de vrais morts. La notice publicitairequi a été envoyée à tous les médecins de Belgique comportaitcette expression la fascination de l’authentique.

Ceci me semble un exemple, parmi plein d’autres, del’invitation qui nous est faite d’éviter le détour en donnantavantage à la pulsion de mort et de la façon dont peut venirs’engouffrer ce retour au minéral d’une manière précipitée. Jemets cela en relation avec cette petite phrase que Freud avaitfait rajouter à la deuxième édition de Malaise dans la civilisa-tion, juste après avoir dit l’importance de l’issue du combatentre Éros et Thanatos. La première édition était de 1929.Comme il y avait eu dix mille exemplaires vendus enquelques années, ce qui pour l’époque devait être un succèsde librairie, j’imagine, il a été tiré une seconde édition en1931. Freud n’y a ajouté qu’une seule phrase : « Mais qui peutprésumer du succès et de l’issue ? » Or, entre les deux édi-tions, il y avait eu l’entrée des nazis au Reichstag et le krachde Wall Street.

Cela veut-il dire que Freud lui-même avait cru bond’évoquer cet avantage donné à la pulsion de mort ? On ne lesaura sans doute jamais mais néanmoins, c’est cette dimen-sion-là qui vient redonner un caractère encore plus spécifiqueà l’importance de ce qu’il avait sans doute, d’emblée,reconnu, même s’il lui a fallu attendre la fin de son œuvrepour le nommer.

J’entends Bernard Brémond parler de tentative du sujetpour retrouver le signifiant qu’il était avant de naître, c’estune formulation qui me parle tout à fait dans cette actualitéque j’évoque. En effet, nous pouvons voir l’importance de ce

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mouvement régressif, par exemple dans la différence qu’il y aentre le fantasme – tel que nous le connaissons tous – de lascène primitive qui inscrit l’exclusion fondatrice du sujet et cequi, aujourd’hui, peut fleurir comme fantasme à partir de lanaissance en éprouvette qui renvoie surtout à la toute-maî-trise et qui permet – fût-ce dans l’imaginaire – d’annuler cetteexclusion fondatrice. Toute la question est de savoir si nousallons laisser cet avantage à la pulsion de mort, et même sinous pouvons faire autrement avec la postmodernité que delui donner cet avantage.

ROBERT LÉVY : Dans une interview que Lacan avait accordéeà Catherine Millot à propos du sommeil, Lacan évoquait quela vie, finalement, c’est dormir tout le temps et le réveil c’estla mort. Comme si le sommeil était ce qui pouvait suspendrela jouissance du corps comme non atteinte. C’est ce que j’en-tends, Jean-Pierre, dans ce que tu évoques de cet authen-tique… quelque chose de l’ordre du réveil, c’est la mort, c’estcette volonté de toucher enfin à de l’authentique et peut-êtrede ne plus avoir recours au fantasme. Avoir un lien direct avecl’objet authentique permettrait enfin de se passer du fan-tasme, de ce qui sert de paravent entre nous et la réalité. Para-vent pourtant nécessaire bien entendu… Oui, sortir dusemblant.

BERNARD BRÉMOND : En ce sens-là, je dois dire que je necomprends pas l’expression retour au minéral. C’est unemétaphore que Freud a utilisée, et qui est utile pour obliger àpenser cette question, mais j’avoue que je ne saisis pas l’inté-rêt d’appeler cela retour au minéral. Retour au zéro me paraîtplus précis, au sens où il me semble que ce dont il s’agitquand tu parles de ne plus avoir recours au fantasme, c’est desortir du langage, sortir de l’univers où ça parle. C’est ce quej’appelle retour au zéro. Je ne vois pas vraiment l’intérêt defaire appel au minéral à ce moment-là.

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ROBERT LÉVY : Lacan appelle cela une équation égale à zéro.C’est la tendance de l’appareil psychique de trouver uneéquation égale à zéro.

MARC NACHT : À propos de cette fascination pour l’authen-tique qui peut être représenté aussi bien, d’ailleurs, par uncadavre que par une scène de violence exercée par quelqu’unsur lui-même – par exemple l’artiste qui se dépèce devant lepublic –, le langage est alors exclu. Je suis tout à fait d’accordavec ce que vous venez de dire.

BERNARD BRÉMOND : La place du fantasme est en quelquesorte complètement compactée dans l’acte qui l’exprimerait.Un fantasme est tout de même exprimé mais mis en acte et lelangage est mis en chose. Il n’y a donc plus de symbolisationpossible. Pourquoi cela ? Pourquoi est-ce que ça arrive dansnotre société, comme un essoufflement…

ROBERT LÉVY : … de la langue…

MARC NACHT : … de la métaphore, à commencer par lamétaphore symptomatique de l’art ? C’est une question quel’on peut se poser mais je ne sais pas du tout si on peut larésoudre… Il me semble que ça se passe comme cela.

CLAUDE DUMÉZIL : Pour décaler un peu le débat d’une pos-ture savante, je ferai les remarques suivantes : tout le mondea une expérience de la mort, une réflexion et des affects à sonsujet. Freud était issu, de par sa formation universitaire, dessciences du vivant, biologie et médecine. C’est à se dégager dece socle charnel désirant/désiré vers la relation langagièrerévélatrice d’un inconscient, créatrice de transferts, qu’ilinvente une psychanalyse laïque sans rapport avec quelque

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acte médicalisé. Sa théorisation d’un appareil psychiquedevient plus proche du temps, de l’histoire, des concepts quede l’observation des corps et de leur devenir. L’objet de la psy-chanalyse tend vers l’épistémologie : le discours sur la mortconduit vers la place de la mort dans le discours. Quand, plu-sieurs heures par jour, j’entends le discours de l’autre, la ques-tion de la pulsion de mort n’est jamais si présente que quandil n’est question ni de mort ni de pulsion mais dans un cer-tain type de faille du discours. Je pense qu’il a fallu le géniede Freud, et puis la prise de Lacan dans le mouvement depensée de son époque, pour arriver à rendre compte d’unepratique avec l’inconscient en termes de structure.

En ce qui me concerne, la problématique d’une pulsionde mort est éclairée par deux remarques de Lacan : d’unepart, c’est « l’assomption de la castration qui crée le manquedont s’institue le désir », je trouve que là, la pulsion de mortest tout à fait située et, d’autre part, dans ce qu’a cité MarcNacht tout à l’heure à propos des Complexes familiaux, c’estque « le complexe ne répond pas à des fonctions vitales maisà l’insuffisance congénitale de ces fonctions ». Il y a là des faitsde structure qui font que tout ce que la recherche à l’originepsychologique voire neurophysiologique de Freud l’amène àconstater ne peut se formuler que 30 ans plus tard et par cetteexpression de pulsion de mort. Je crois qu’il n’y a là qu’uneprise, un socle historique pour désigner autre chose, qui à lalimite n’a pas grand-chose à voir avec la mort ni avec la pul-sion.

Dans la clinique, si on prend au sérieux ce que Lacanavait raconté à la chapelle de Sainte-Anne, à savoir que la cli-nique analytique c’est ce qui se dit sur un divan, il me semblequ’on observe des choses paradoxales. Les patients, en proie àla souffrance d’un deuil, ont deux issues : l’une est une espècede relance chez eux de l’Éros et de la vie que l’on observe, mesemble-t-il, plus particulièrement dans ce que j’appellerais lesdeuils graves, les deuils de personnes extrêmement proches

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alors que dans les cas de pertes d’un objet un peu lointain vase déployer plutôt quelque chose de l’ordre de la castration,de la perte de l’objet. C’est une sorte de paradoxe que je vou-lais souligner là.

Je voulais aussi souligner quelque chose qui a priori n’estpas tout à fait classable dans le registre de la pulsion de mortet qui, pourtant, est d’une observation extrêmement courante,à savoir la recherche de l’irritation, je dis bien irritation, qu’ils’agisse de l’irritation au sens psychologique, ou de l’irritationau sens du tabagisme, de ce qui est extrêmement plaisant dansle fait d’avoir les yeux qui piquent, d’avoir une espèce de touxsèche, qui n’a rien à voir avec le danger réel de mort que faitcourir le tabagisme mais qui est du côté de la jouissance mêmede l’irritation. Peut-être de ce que les Américains ont spéciale-ment étudié du côté de l’addiction. C’est un phénomène quine concerne pas seulement les toxicomanes ou les tabagiques,qui touche au plus vif du relationnel.

Enfin il y a une manifestation intéressante qu’on a quandmême assez rarement l’occasion d’observer pendant uneséance mais dont nous avons eu tous plus ou moins l’expé-rience une ou deux fois dans notre vie, c’est le fou rire. Il mesemble que, dans le fou rire, il y a quelque chose d’une d’ex-plosion de l’angoisse de castration qui dit quelque chose de lastructure de l’appareil psychique. Si la pulsion de mort n’avaitpas été épinglée par Freud, évidemment tous ceux qui ontl’expérience de l’interlocution, de l’Einfall, la reconnaîtraientet l’appelleraient autrement. Ils l’appelleraient peut-êtred’ailleurs la voie royale du réel, quelque chose qui vient là direce qui manque à la vérité pour être vraie. Voilà une interven-tion pour essayer de décaler un peu nos propos vers quelquechose de plus radical encore que ce qui a été dit jusqu’ici.

ROBERT LÉVY : Effectivement, on peut dire que ça touche auplus près du réel, tout au moins pour les deux exemples évo-qués, à savoir la question de la scène primitive… Bien sûr, le

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sujet se trouve exclu lui-même de ce dont il est témoin. Quoide plus réel que la mort, la mort en tant que telle, et non pasla pulsion de mort ? La mort elle-même.

Est-ce que quelqu’un veut essayer de développer quelquechose sur ce point ?

FRANÇOISE GOROG : Je voudrais rappeler comment Lacan atraité cela. Comme il le rappelle dans le séminaire L’angoisse,ce qu’on demande à son partenaire amoureux dans cet acte oùse nouent donc étroitement survie de l’espèce et pulsion de mort,c’est de satisfaire une demande qui a un certain rapport avecla mort. « Ça ne va pas très loin, ce que nous demandons,c’est la petite mort, mais enfin il est clair que nous la deman-dons, que la pulsion est intimement mêlée à cette pulsion dela demande, nous demandons à faire l’amour, si vous voulezà faire l’a-mourir, c’est à mourir, c’est même à mourir derire ! » D’où le fait que l’amour participe d’un sentimentcomique et c’est là que réside ce qu’il y a de reposant dansl’après-orgasme. « Si ce qui est satisfait, c’est cette demande,eh bien ! mon dieu, c’est satisfaire à bon compte, on s’entire ! »

MARC NACHT : On s’en tirerait justement plutôt mal en met-tant cela de côté et en renonçant à cette voie réelle, d’un réelqui conjugue et les pulsions et tout l’univers imaginaireauquel elles sont associées. Puisqu’on est dans le paradoxe, ilme revenait que le même Lacan disait aussi que la pulsion demort, c’était l’affirmation désespérée de la vie, que c’est danscette affirmation désespérée que se reconnaissait la pulsion demort.

Je ne sais pas si cela déplace la question mais, en tout cas,cela s’oppose à une conception de la pulsion de mort commeune entité qui serait opposée à la vie. Dans quelle mesure est-ce que, dans une tendance régressive fantasmatique – passant

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par des processus d’idéalisation comme celui de la forme poli-tique du totalitarisme ou du fanatisme religieux –, on arriveà ne plus dissocier ce qu’il en est de la pulsion de mort d’avecce qui ne fait pas le détour, comme Jean-Pierre Lebrun ledisait tout à l’heure, vers la vie et ses souffrances.

ROBERT LÉVY : Ce serait l’évocation d’un monde sansangoisse dans la mesure où une tendance actuelle est d’éradi-quer tout ce qui peut faire signe d’angoisse, des tétines systé-matiques dans la bouche des bébés jusqu’aux antidépresseurs,en passant par les systèmes totalitaires, puisque grâce à eux,un certain nombre de personnes peuvent enfin vivre sansangoisse. La religion a aussi cette fonction. On sait biend’ailleurs que dans les guerres, un certain nombre d’angoissespsychopathologiques jusqu’alors traitées, voire hospitalisées,se révèlent tout à coup ne plus nécessiter ni traitement médi-camenteux ni même hospitalisation. On sait cela. Que seraitcette tendance à atteindre le vrai, cette sorte d’authentiqueavec son lien tout à fait paradoxal ? Ce serait un authentiqueenfin sans angoisse. C’est cela qui est demandé.

JEAN-PIERRE LEBRUN : On peut supposer que, de la mêmefaçon qu’il y a un détour exigé pour la vie psychique, il y aaussi un détour exigé pour la vie collective. Quand tuévoques, Robert, un monde sans angoisse, c’est le détourpour la vie collective dont on veut faire l’économie, de lamême façon qu’on veut aujourd’hui s’émanciper des lois dulangage au niveau de la réalité psychique singulière. Leschoses se renvoient l’une à l’autre évidemment mais peut-êtrequ’on n’a pas aujourd’hui à sous-estimer le poids de ce quej’ai appelé l’avantage donné à la pulsion de mort, dans lamanière dont on fait l’impasse du détour par la vie collective.

Quand tu évoques la religion ou le totalitarisme, il y apeut-être encore ce trait de la situation actuelle que quelqu’uncomme Marcel Gauchet a très bien mis en évidence. Depuis

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relativement peu de temps, une vingtaine d’années tout auplus, nous nous trouvons, ni dans un monde organisé par lareligion qui implique l’hétéronomie, ni dans un monde quise serait autonomisé en s’en libérant mais il garde, de ce fait,une position dialectique avec ce qui vient de l’hétéronomie.

Dans un monde radicalement organisé par une autono-mie justement dégagée et émancipée de toute hétéronomie, jepense qu’il y a de ce fait émergence d’un phénomène très dif-férent, puisque dans un tel dispositif, le prix payé au lien col-lectif ne va plus de soi. Il ne s’agit plus que d’unrassemblement de personnes les unes à côté des autres n’ayantd’autre issue que d’essayer de trouver des limites à leurs jouis-sances respectives, ce qui n’est pas la même chose que cedétour consenti. Il me semble que le monde sans angoisse estplutôt de ce côté-là.

BERNARD BRÉMOND : À ce point du débat, il y a deux chosesqui me viennent.

D’une part, j’ai été assez marqué par cette histoire qu’ilest maintenant convenu d’appeler l’arrêt Perruche, ce jeunehomme qui a été indemnisé pour être né handicapé. Il mesemble que cela rejoint notre débat. Qui indemnise-t-on ? Cen’est sûrement pas ce sujet réel handicapé. Au fond, onindemnise quelqu’un qui est dans cet état-là et qui devraitêtre dans un autre état. En le condamnant, je pense qu’onenferme ce jeune homme à être son moi idéal, qui plus estn’est peut-être pas le sien. La pulsion de mort y fonctionne entant qu’on le réduit à être ce qu’il aurait dû être et non pas cequ’il aurait pu devenir.

L’autre point tient à ce qui se passe dans une cure. Si l’onest d’accord que parler sur un divan, et Claude Dumézil y fai-sait allusion tout à l’heure, ce n’est pas du tout parler maisdire n’importe quoi, c’est-à-dire ce qui vient, il me sembleque ce processus met en jeu ce que Freud appelait la pulsionde mort au sens où dire comme cela amène nécessairement, à

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force d’enchaîner ou d’associer les signifiants, au point où lesignifiant se met à manquer. À ce point-là, il me semble quele mouvement dont je parlais tout à l’heure est en jeu, celuide sortir du langage, de quitter ce monde du symbolique etdu semblant pour en finir avec ce point de manque du signi-fiant. Il me semble précisément que la psychanalyse freu-dienne introduit là quelque chose d’autre. Là où le signifiantse met à manquer, aucune espèce de signifiant ni d’objet n’estsusceptible de venir combler ce manque. L’analyse implique– c’est sans doute sa dimension éthique – que, de toute façon,il n’y aura pas de dernier mot, car aucun ne vaudra plus qu’unautre pour être le dernier mot.

La cure amène à ce point qu’on peut appeler régressif, çane me gêne pas de l’appeler ainsi, mais surtout c’est la dimen-sion du manque et de l’impossible qui reste ici marquée.C’est là où quelque chose d’autre du point de vue de la sym-bolisation peut reprendre cours, recommencer un nouveautour. C’est dans le processus même de la cure que ce mouve-ment est mis en tension d’une façon très spécifique.

JEAN-PIERRE LEBRUN : Tu as dit : il n’y a pas de dernier motparce que finalement…

BERNARD BRÉMOND : Moustapha Safouan avait dit parexemple : « Nous n’aurons jamais le temps de dire notre der-nier mot » ; il n’y a pas de dernier mot, sauf, rajouterais-je,celui dont nous ne saurons jamais qu’il aura été le dernier.

JEAN-PIERRE LEBRUN : Non, je veux parler de la suite de taformule : « Il n’y a pas de dernier mot parce qu’aucun ne vau-dra plus qu’un autre. » Ce qui me semble à tempérer un peu,parce que le sujet va pouvoir, lui, se soutenir de ce qu’il donnecomme place particulière à l’un de ces signifiants. Il ne s’agit

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pas d’une relativisation absolue, c’est cela que je veux indi-quer.

MARC NACHT : Il me semble que la dimension du manqueest celle qui est absentée par l’arrêt Perruche. Beaucoup plusque l’indemnisation de celui qui est considéré comme unevictime, l’arrêt soutient la pénalisation de ce qui a faitmanque là où il n’aurait pas dû y en avoir du fait d’une toute-puissance scientifique, en l’occurrence médicale, ce quidevient insupportable.

La dépénalisation vient indiquer que l’on n’a pas le der-nier mot et que l’on n’a pas non plus toute chose. Ce qui estrepris là me paraît aller dans le sens d’un ensemble de reven-dications. On ne tolère plus qu’il y ait quelque imperfectionque ce soit dans ce qui peut être fourni, donné aux hommespar la société ou par la technique. On rétablit du père tout-puissant, et gare à lui s’il fait un pas de côté, comme ce seraitd’ailleurs aussi le cas d’une mère toute-puissante qui devraittout donner.

ROBERT LÉVY : Cela revient à dire : « Plus de castration ! » Ceserait le slogan. Plus de castration, par conséquent plus d’an-goisse ! C’est directement lié, l’angoisse étant son représen-tant par excellence. À supprimer l’un, c’est l’autre qu’on visetoujours, à savoir ce qu’il en serait de cette imperfection fon-damentale dont chacun est estampillé.

Le juridique va dans le sens d’une méconnaissance trèsactuelle de cette dimension de l’imperfection, pour des rai-sons qui concernent son objet particulier. En effet, touteimperfection, au fond toute castration, est à juridiquer defaçon à ce qu’elle n’apparaisse plus, ou tout au moins qu’ellesoit susceptible d’être compensée. La castration, ça se paye.C’est extraordinaire, c’est quand même une boucle à l’enversde la dette symbolique. Grâce à cet effet du juridique, dans le

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social actuel, on fait exactement le renversement de la ques-tion de la dette symbolique qui vient à se régler en monnaiesonnante et trébuchante dans le réel.

CLAUDE DUMÉZIL : … Dans la réalité…

ROBERT LÉVY : Dans la réalité effectivement, pas dans le réel.

FRANÇOISE GOROG : Cela a déjà été dit, nous serions dansl’envers du marchand de Venise. Il me semble bien que dansla Généalogie de la morale, Nietzsche partait de ces paiements,y compris des paiements en nature, sur le corps, pour en fairela généalogie de la morale. Alors je me demandais si on étaitdans un processus qui renverse la généalogie de la morale ?

ROBERT LÉVY : Alors, ce serait cela l’authentique ?

JEAN-PIERRE LEBRUN : Non, cela c’est faire la morale à sagénéalogie !

FRANÇOISE GOROG : Pour aborder les questions de l’angoisseactuelle, pour l’instant on n’a pas encore utilisé ici ce queLacan nous a laissé sous la forme du manque de manque.Certes, l’angoisse est l’angoisse de castration, par exempledans le Freud des Dernières conférences, mais Lacan ajouteaussi une autre forme d’angoisse en prétendant justementqu’il y en a une au-delà, avec une psychanalyse qui n’auraitpas de butée sur le roc de la castration.

Dans un colloque à Nice, Monique Schneider m’expli-quait qu’il y avait là une discussion sur la traduction, fortintéressante, à propos d’Analyse sans fin. Nous vivons quandmême dans l’idée lacanienne qu’il y ait un au-delà de l’ana-lyse sans fin, et en même temps ce qu’apporte Lacan, c’est le

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manque de manque. Dans notre société, on parle du manquede cet enfant de l’arrêt Perruche mais peut-être qu’il faudraits’interroger sur le manque de manque.

MONIQUE SCHNEIDER : Je ne sais pas si je répondrai tout àfait au thème lacanien de manque du manque mais je peuxretrouver cela par un biais. Dans la conversation que nousavions eue à Nice, Françoise Gorog et moi-même, je partaisd’un point singulier pour remettre en question l’importanceaccordée à la thématique de la castration. En associant lamère et la mort justement, avec la thématique de la castra-tion, prise au sens premier, sommaire, on construit peut-êtrel’illusion, dès Freud, d’assigner à résidence le manque, ce queFreud appelle le Defekt, le défaut. Au moins, on saurait où ilest et ce qu’il faut réparer, ce qu’il faut apporter à la mère.

De ce point de vue-là, en ce qui concerne le monopolede la thématique de la castration, je voudrais donner une pré-cision un peu latérale et faire remarquer que, souvent à lasuite de Lacan, les lacaniens disent le roc de la castration enpensant que l’expression se trouve dans Analyse avec fin etanalyse sans fin. Elle ne s’y trouve pas en réalité. Freud parlede roc originaire : celui-ci n’est-il pas, chez l’homme ou chezla femme, la rencontre indépassable de la castration ?

Je dégagerai alors une autre voie qui conduirait à l’ap-proche première du féminin et du maternel chez Freud et queLacan retrouve, à sa manière, dans un passage des Formationsde l’inconscient, en rapport avec la pulsion de mort ou le désirde mort. Si on se donne au départ une mère marquée par lemanque, on va vers une solution « rassurante » : en naissanton aurait déjà réparé un manque. Cela voudrait dire qu’il y aune femme marquée par une sorte d’appétit invincible et quenous sommes extrêmement appétissants. L’enfant ne peutque venir combler une voracité primordiale liée au manque.On retrouve cette structure chez Freud, chez Lacan et dans lelacanisme, avec quelque chose qui se dit l’enfant-bouchon.

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Ce qui m’avait surprise en travaillant le Freud du débutet qu’on retrouve aussi chez Lacan, c’est un paysage radicale-ment opposé dans lequel on ne sait pas très bien comment onpourrait réparer un défaut initial. Freud, dans ses premiersrécits, par exemple dans le cas hypnotique, dans sesremarques sur la morale sexuelle civilisée ou dans L’interpré-tation des rêves – c’est-à-dire pas sur le plan théorique mais auniveau d’une expérience clinique –, nous dépeint une femmequi n’a rien à faire du désir d’enfant. Telle est la positiond’abord attribuée à la mère. La première réaction de la plu-part des femmes, surtout des jeunes mères – Freud est peut-être très pessimiste à ce moment-là –, c’est de considérerl’enfant comme ce qui met fin à leur liberté, ce qui est assezterrible… Cela suppose qu’il y aurait une sorte de désir d’au-tarcie – simplement se continuer soi-même –, un désir de vir-ginité prolongée de manière un peu narcissique : rester danssa clôture. C’est le désir que Freud impute d’abord à lafemme. Et l’enfant serait d’abord vu comme le corps étranger,ce qui recoupe le thème du début des études sur l’hystérie.

La première idée freudienne, c’est que le trauma est dû àla pénétration du corps étranger. En effet que veulent les pre-mières hystériques, si ce n’est que la porte ne s’ouvre surtoutpas, que les idées ne pénètrent pas, ne fassent pas effractiondans leur tête et qu’elles puissent rester tranquilles, « ne bou-gez pas ! ». Freud va d’abord imaginer de vider le psychismede toute idée qui a pu y pénétrer, comme une IVG généraliséesur le plan psychique. Le thème se continue dans L’interpré-tation des rêves avec l’idée d’une mère dont le désir fondateur,justement le désir d’avant le détour, serait l’infanticide pourrester la même, retrouver son corps, ne pas se mettre à enflerni s’altérer. Qu’il n’y ait pas de faille. En effet, qu’est-ce quel’enfant ? C’est d’abord l’altération de la mère et l’effractionde sa clôture.

C’est cette première mise en perspective que Freud a ren-due audible. Est-ce audible d’ailleurs ? Je n’en sais rien… Je

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pense que, dans un second temps, il va s’acharner à supposerqu’on va pouvoir combler le manque et réparer la mère. Or,il me semble que, dans Les formations de l’inconscient, Lacanretrouve une piste assez analogue en disant justement que làoù règnent la fascination de la mort, la pulsion de mort, laréaction thérapeutique négative, etc., c’est là qu’on rencontreceux qui n’ont pas été véritablement désirés par leur mère, quin’ont été admis par leur mère qu’à regret. Lacan reprend donctout à fait la première position freudienne. J’ai l’impressionque, partant de là, on pourrait poser le problème à l’enverspuisqu’on découvre une autre forme de manque du manque :cette peur qu’il y ait de l’étranger au-delà de l’enceinte et quecet étranger se mette à entrer, à bouger à l’intérieur de soi, àpénétrer.

Par rapport à cette position première, il y a peut-être uneouverture, une place pour le détour. Je pense que, pourFreud, il y a un signifiant un peu curieux : quand il parle dela première réaction qui est de se défendre contre tout corpsétranger, Freud montre à la fin des Études sur l’hystérie que laseule solution, ce n’est pas l’extirpation de l’étranger, le rejet,mais que c’est d’arriver à annehmen, c’est-à-dire accepter,admettre, inclure l’étranger. J’étais surprise de voir que Auf-nahme, ou Annahme, qui veut dire accepter que ça entre maisen s’ouvrant, c’est le terme que Freud va employer dans Lesthéories sexuelles infantiles pour désigner l’opération à laquellese livre le vagin lorsqu’il accepte l’introduction du pénis.Dans cette suggestion, la pénétration ne vient pas réparer unmanque, c’est ce qui vient pratiquer une ouverture dans cequ’en un sens on aurait voulu clôturer. Je rencontre fréquem-ment ce nœud dans la clinique, parce que très souvent onprésente une supposée mère comblée et on entend une foulede réflexions : « Quand je suis née, ma mère a dû arrêter sesétudes, ma mère a dû arrêter de peindre, etc. » Tout ce travailqui doit être fait pour qu’il y ait effraction, pour qu’il y aitouverture à quelque chose qui sera par la suite susceptible de

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manquer. Il s’agit peut être d’un des visages les plus redou-tables de la pulsion de mort. Il serait à assigner du côté fémi-nin, du côté maternel, non pas parce que la mère serait voracemais parce qu’il y aurait peut-être une sorte d’anorexie mater-nelle fondamentale, une sorte d’imperméabilité.

C’est là, je crois, qu’on a voulu creuser la mère pour ima-giner qu’on vient au moins combler ce trou.

JEAN-PIERRE LEBRUN : Aujourd’hui, ce n’est pas que lemanque vienne à manquer, c’est qu’on vise plutôt qu’il n’y aitpas de manque. Le refus de l’impossible, l’inacceptation detout ce qui fait non-conformité, non-symétrie absolue, celaéquivaut à retrouver cet état que vous évoquez là… C’est au-delà de ce que le manque viendrait à manquer et ainsi susci-terait l’angoisse. Il s’agirait d’un social qui se voudrait sansangoisse, qui aurait évacué le manque au sens radical où vousle dites. On s’ennuierait beaucoup… mais cela est une autreaffaire !

CLAUDE DUMÉZIL : Je voulais simplement vous faire partd’un souvenir… Cette phrase « Le manque me manque », simes souvenirs sont exacts, Lacan l’a prononcée au 2e congrèsde Strasbourg 2, congrès consacré à l’inhibition et au passageà l’acte. Celui-ci avait été admirablement préparé : pas unetable ronde qui n’ait couvert tout le champ qui pouvait êtrecouvert et notamment le champ des écrits et des enseigne-ments de Lacan. C’était vraiment un congrès très sérieux.Quand Lacan a pris la parole pour dire quelques mots à la fin,c’est la façon qu’il a trouvée de rester analyste devant cetteplénitude de savoirs qui n’étaient plus supposés mais quiétaient véritablement ce dans quoi s’engonçaient ses élèves. Je

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2. En 1976.

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ne sais pas si on peut faire de cette phrase autre chose qu’uneinterprétation.

ROBERT LÉVY : Peut-être pour aller dans le sens de ce quivient d’être dit là, force est de constater dans notre contem-poranéité un élément clinique auquel on assiste : nombred’adolescentes de plus en plus jeunes sont enceintes. C’estune véritable traînée de poudre et particulièrement dans lesbanlieues. Je me garderai bien d’en faire une interprétationmais néanmoins on le constate et on a bien du mal, y com-pris les instances sociales supposées conseiller, soutenir, soi-gner… Je parle là des pédiatres de PMI 3. Ceux-ci sontextrêmement embarrassés devant cette demande de pléni-tude, en sachant très bien que cette plénitude n’aura lieu quepour autant que leur mère viendra suppléer au nourrissage etaux soins nécessaires auxquels nous savons par expérience queces très jeunes femmes ou filles seront absolument incapablesde répondre.

Je ne sais pas comment vous entendez cela… C’estquand même un phénomène de société qui laisse à penser…

CLAUDE DUMÉZIL : Je ne suis pas sûr que ce soit si nouveau.C’est peut-être plus répandu qu’autrefois mais j’avais écritpour le premier numéro de Scilicet un petit papier dans lequelje mentionnais le cas d’une très jeune fille. Cela s’appelait« avoir et s’approprier ». Elle avait eu vers douze ans et demi,treize ans, un enfant et avait été prise en charge par des édu-catrices et tout un appareil adéquat dans un foyer. Cet enfantavait été placé en vue d’adoption. Un an et demi plus tard,donc vers quatorze ans, elle a eu un second enfant, et un troi-sième vers quinze ans et demi, seize ans. Là elle ne s’est paslaissée prendre dans le discours des autres et elle a dit sa

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3. Centres de protection maternelle et infantile.

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vérité. C’est une fille que j’ai entendue, elle n’était pas du toutpsychotique, simplement elle était dans l’impossibilité des’exprimer autrement que de cette façon jusqu’au troisièmeenfant où là elle a pu dire : « J’avais peur de ne pas pouvoiravoir d’enfant. » Encore une fois, je pense que c’est un traitde structure. Peut-être la période actuelle favorise-t-elle cetype d’expression mais je le crois ancien.

JEAN-PIERRE LEBRUN : En vous écoutant parler de cela, unequestion me vient : quel destin pour la pulsion de mort unefois que, comme on le sait aujourd’hui, la disjonction entre lajouissance sexuelle et la reproduction est opérée ? Je n’ai pasde réponse, mais il me semble que c’est une des grandesmutations auxquelles nous avons affaire. Nous ne voyons pasencore bien l’immensité de ses conséquences, mais en toutcas, de ce fait, la question de la pulsion de mort se pose toutà fait différemment.

ROBERT LÉVY : C’est intéressant… Notre société a permiscette disjonction, grâce au féminisme, elle y a réussi d’unecertaine façon. Actuellement, nous assistons à un retour à laconjonction entre vie sexuelle et reproduction. Il ne s’agit pasd’un manque d’information sur la façon de ne pas avoir d’en-fant, c’est exactement l’inverse. Je m’en suis occupé à traversl’écoute des pédiatres de PMI. Toutes s’accordent pour direque ce qui les a étonnées, c’est cet effet traînée de poudre : cequi fait lien social entre ces filles de douze à quinze ans prendforme sous la question : « Et toi alors, tu es enceinte ? C’estpour quand ? » Maintenant, on ne dit plus : « As-tu des Nikeou quelle est la marque de ta moto ? » C’est quand même undrôle de truc.

MARC NACHT : La question de Jean-Pierre rejoint tout droitce que Monique Schneider nous disait tout à l’heure concer-

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nant une hystérie féminine de base. En effet la question de lapénétration, la question de l’intrusion d’un corps étranger setrouve radicalement écartée par l’usage des éprouvettes. C’estgagné sur ce plan.

BERNARD BRÉMOND : Ce débat maintenant me donne à pen-ser que probablement, à partir du moment où Freud avaitintroduit le terme de pulsion de mort, nous avons sans douteun peu vite associé, du fait de la dualité pulsion de vie/pul-sion de mort ou Éros/Thanatos, la sexualité à Éros seulement.Cela ne va pas : il faudrait pouvoir penser avec ces troistermes qui sont différents : Éros, la sexualité et Thanatos, lasexualité ne pouvant pas être simplement identifiée à Éros.D’autant plus qu’au point de départ même de la psychana-lyse, la sexualité était plutôt du côté du désordre, du défautde lien et de maîtrise, du côté de la déliaison.

FRANÇOISE GOROG : La castration imaginaire, pourreprendre l’expression utilisée par Lacan à propos du fan-tasme hystérique, n’est pas pour rien dans le goût des femmespour l’étude de la mélancolie.

CLAUDE DUMÉZIL : Je ne sais pas si le lien entre le phéno-mène que vous décriviez de ces jeunes filles en mal de gros-sesse et de ces hommes en désir d’enfant sans femme netrouverait pas une communauté d’origine dans cette dépré-ciation du phallus à laquelle nous nous intéressons depuis uncertain temps. C’est vraiment de ce côté-là que ces particula-rités voient le jour maintenant. Je ne serai pas aussi radicalque Jean-Pierre Lebrun pour considérer comme une choseétablie cette dissociation entre la sexualité et la reproduction.Je pense qu’il y a un discours là-dessus qui a des consé-quences, maintenant n’est-il pas un peu de notre responsabi-lité de psychanalyste de prendre éventuellement le

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contre-pied de ce discours, ce qui supposerait une certaineaudace parce que évidemment le progressisme ne va pas ducôté de la revalorisation du phallus.

ROBERT LÉVY : Françoise Gorog a évoqué rapidement à pro-pos de dépréciation du phallus ce goût des hystériques pourles mélancoliques…

FRANÇOISE GOROG : Oui, on a toujours vu ça… Kierkegaard,par exemple, était très fâché quand une journaliste suédoiseest venue le rencontrer pour lui dire en se présentant : « Ondit, Monsieur, que vous êtes un auteur pour dames. » Ce n’estdonc pas d’aujourd’hui que les dames concernées par la cas-tration imaginaire s’intéressent aux auteurs mélancoliques.Prenez par exemple les écrits de Hildegarde de Bingen… Ilest tout à fait intéressant de voir comment elle décrit lesmélancoliques, elle a une idée sur le rapport entre le phalluset la mélancolie : elle les décrit comme des loups affamés desexe. Il y des passages magnifiques de cette femme qui com-posait de la musique, écrivait des choses sur la mystique. Elleparlait du loup, du loup-garou à quoi les mélancoliques,comme l’avait déjà vu Abraham, s’identifient eux-mêmes. Il ya évidemment le plus grand rapport entre mélancolie etdépréciation du phallus sous la forme Φo.

JEAN-PIERRE LEBRUN : Je voulais simplement dire que je n’en-térine pas purement et simplement la disjonction entre repro-duction et jouissance sexuelle. Je partage tout à fait ladifficulté que cela représente, simplement je trouve qu’il fautbien constater que notre société a pu réaliser cette disjonc-tion, c’est un fait, et je me demande si la dépréciation duphallus dont vous parlez, vis-à-vis de laquelle il faudrait peut-être reprendre une position à contre-pied, n’aurait pas aussi àtenir compte de cet incontournable. Cela a peut-être beau-

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coup plus de conséquences que nous ne le pensons à premièrevue…

Cette disjonction, par exemple, bouleverse complète-ment les repères que peuvent avoir les juristes pour ce qui estde la réponse à apporter au mariage des homosexuels. Ils nesavent plus eux-mêmes où aller autoriser leur position. Voussavez peut-être qu’en Belgique, le Conseil d’État vient des’opposer à la décision qui était prônée par les politiques dereconnaître le mariage au nom du fait qu’ils ne pouvaient pasappeler cela un mariage puisque le mariage, dans le droit, ren-voyait toujours justement à la liaison de la jouissance sexuelleet de la reproduction. Les juristes sont très embarrassés etnous devrions penser les effets de cette mutation qui, de toutefaçon, a eu lieu cela fait maintenant une trentaine d’années.Il ne s’agit nullement, de nous contenter d’enregistrer cettepratique, mais nous ne pouvons pas non plus faire comme sielle n’avait pas eu lieu. Le lien social s’est toujours organisésur la différence des sexes ; il n’y a pas une société qui ne sesoit pas fondée sur elle. Est-ce que ce sera encore vraidemain ? C’est une vraie question. Il faudrait distinguer ladépréciation du phallus d’une évolution inéluctable, vu lesmodifications et les possibilités nouvelles que nous avonsnous-mêmes produites.

FRANÇOISE GOROG : On a beaucoup dit récemment, nonplus à sainte mère, fils pervers mais à femme savante, fils homo-sexuel. Le féminisme des mères aurait fabriqué l’homosexua-lité des fils. Pourtant il y a eu des femmes qui avaient uneautre idée. Par exemple, Louise Labé dite La belle cordelière,poétesse lyonnaise appelée également La nymphe du Rhône,qui était une des poétesses quasiment aussi grandes que Mar-guerite de Navarre, avait une tout autre opinion. Elle étaitune féministe du Moyen Âge et elle considérait que lesdames, en apprenant les choses de la culture, allaient aucontraire sauver la civilisation. Elle rejoignait là Lacan qui

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disait que durant les croisades, les hommes étant partis – cequi nous évoque quelque chose actuellement –, les damespendant ce temps avaient civilisé ceux qui étaient restés.

Donc on a là deux points de vue totalement opposés.Certains pensent que, loin de produire des ravages, plus lesdames se penchaient sur l’étude – en l’occurrence pourLouise Labé ce qu’était la culture italienne qui transitait parla ville de Lyon –, plus au contraire elles allaient apporter duprogrès dans la vie amoureuse.

ROBERT LÉVY : Vous voulez dire que les hommes étaientdevenus enfin courtois !

FRANÇOISE GOROG : Voilà !

JEAN-PIERRE LEBRUN : Mais Louise Labé avait peut-être unstatut d’exception !

FRANÇOISE GOROG : Lisez ce qu’écrit Marguerite de Navarrecomme prologue à un de ses livres. Elle écrit : « Vous savez, ils’agit d’une dame, ne regardez pas trop la forme, ne regardezpas trop les vers, tout ça est un peu mal fait… » Attitude pié-tiste de la pécheresse qui, tout de suite, se défend de l’accusa-tion d’avoir eu cet accès à la culture. La discussion n’est pasd’aujourd’hui. Voilà simplement ce que je voulais dire.

ROBERT LÉVY : Je m’interroge sur la question de la déprécia-tion du phallus au regard de la pulsion de mort… Il y a làquelque chose qui viendrait dans certaines conditions rendreinéluctable la dépréciation du phallus. Je ne sais pas commenton peut dire cela, comment l’articuler ? Cela demande à êtreprécisé. Je pense que l’on confond souvent le déclin du pèreet la dépréciation du phallus. C’est une voie sur laquelle bon

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nombre d’analystes contemporains se sont engouffrés : côtédéclin du père, on voit qu’il n’y a pas tellement d’issues, ça nemène pas à grand-chose… Si, ça mène surtout à ce qu’onnous traite à juste titre de réactionnaires. Mais si on prend leschoses avec courage comme Claude Dumézil l’évoquait, il ya en revanche des voies de travail possibles sur la dépréciationdu phallus et ses conséquences. Qu’est-ce que la pulsion demort vient faire là-dedans ? Il me semble qu’il y a une intri-cation importante mais comment en dire quelque chose ?Jean-Pierre, le pourrais-tu ?

JEAN-PIERRE LEBRUN : Je dirai simplement que l’instancephallique c’est, de structure, l’objection à la pulsion de mort.C’est l’objection au laisser-fonctionner la pulsion de mort.Donc, s’il y a dépréciation phallique c’est pour moi une autremanière de constater qu’il y a avantage donné à la pulsion demort.

C’est l’instance phallique qui vient tamponner la ques-tion du déroulement de la pulsion de mort. Cela n’enlève pasla valeur de ce que vous dites, Françoise Gorog, à propos deLouise Labé, mais c’est un cas d’exception dans l’histoire. Àmon avis, ce sont des choses très différentes. Aujourd’hui il ya cette dépréciation et une emprise généralisée de tout lesocial.

FRANÇOISE GOROG : Si je peux me permettre, que LouiseLabé soit une femme d’exception, il faut le dire vite… Lesdames de cette époque n’avaient pas froid aux yeux, ellesavaient un point commun avec les femmes antiques qui,comme le rappelle Lacan, demandaient leur dû et cela n’étaitpas tout à fait une exception !

Cela dit, dans l’amour courtois, il y avait tout, sauf déva-lorisation du phallus. Vous savez comme moi qu’après tousces dédales, il y avait la rencontre de merci et ce n’est pas parce

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qu’elle était différée qu’elle était dépréciée. C’est un faitqu’actuellement – on en parlait à Nice – il y a par exemplecette disparition du tabou de la virginité qui peut-être n’estpas pour rien dans le fait qu’avant on se demandait : » Est-ceque toi tu as franchi ce pas-là ? », et que maintenant on sedemande : « Est-ce que toi tu es enceinte ? » De même qu’ily a quelque chose qui vient généralement à la place d’un fran-chissement – la virginité –, il y a toujours telle ou telle pra-tique, au-delà de ce qu’était la réservation de la virginité.

Cela dit, Louise Labé était peut-être exceptionnelle maisil n’y avait pas de dépréciation du phallus dans l’amour cour-tois.

ROBERT LÉVY : Monique Schneider, je vous vois sourciller…

MONIQUE SCHNEIDER : Comment vous dire ?… J’ai l’im-pression d’être globalement hérétique ! Je ne vous rejoins pasdu tout. Cette instance phallique, pour moi, est certes déci-sive mais je travaille à la déconnecter par rapport au thème dumanque, dans le cas de L’homme aux loups entre autres. Jepense qu’il y a quelque chose de très peu symbolisé dans l’ar-rivée de l’enfant : la symbolique de la gestation, pour moi, nese ramène pas à la dimension phallique.

Or c’est précisément cette référence à la gestation, auventre, à la dimension phorique pour recourir au terme deMichel Tournier dans Le roi des Aulnes, qui se trouve aboliedans certaines mises en perspective. Je crois que, dansL’homme aux loups, même au niveau de ce que représente leloup – Freud dit qu’il représente le père –, une autre lectureserait possible mais elle serait extrêmement longue. Elleconduirait à réactiver tout l’imaginaire de la gorge d’Irma, labouche qui s’ouvre, la gorge communiquant avec le ventre.

Ce foyer de vie, qu’est-il ? On sait que le terme quidésigne le corps en creux chez Freud, Leib, c’est le corps vu

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comme organique. Cela dérive du terme allemand Leben quiveut dire vie et ce n’est pas sans rapport avec la pulsion demort. Mais comment dire quelque chose à ce sujet ? Je penseque la vision freudienne de la culture repose sur l’occultationdu Leib maternel. C’est ce que livre Totem et tabou : il fautpasser par les mères mais, après, il faut faire comme si on nesavait plus comment la mère de la femme se nomme – c’estce que doit faire le gendre. Il faut oublier le nom, il y a toutun travail de désymbolisation qui entraîne en même tempsune désymbolisation de la gestation, de ce rapport à l’en-deçàdu vivant.

Je travaille sur ce point mais j’ai l’impression de ne pastravailler avec un code que nous pourrions d’emblée partagerdans la mesure où je ferais référence non pas à la psychologiemais à la philosophie, voire à Kant… Ce n’est pas une ques-tion d’avoir ou de ne pas avoir. Je pense qu’on ne peut tra-vailler ce point que si on introduit en même temps tout unschématisme, c’est-à-dire toute une référence à l’espacetemps, mais un espace temps qui serait appréhendé non avecdes catégories mais avec des schèmes, comme si le processusdu devenir mère ne pouvait pas être rabattu sur la thématiqueavoir ou ne pas avoir, c’est-à-dire le zéro ou le un.

Cela suppose toute une mise en forme de la temporalité,de la spatialité et du creux. Le thème du seuil est, à mon avis,fondamental, il est proche justement du thème de l’hymen vucomme cette portion de membrane qui fait que ce sera ouvertou fermé. Or la membrane, à mon avis, est quelque chose quine peut pas être rabattu sur le thème phallique.

Il me semble que, dans ce que Freud met à un momentau compte du progrès culturel, dans la deuxième partie deson œuvre, une occultation s’opère par rapport à ce qui, dansla première partie, ouvrait une thématique dans laquelleinterviennent à la fois de l’espace et du temps. Il faut alors enpasser par les schèmes, par quelque chose qui n’est pas unecatégorie pouvant s’inscrire dans le langage formalisé, le 0 et

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le 1, mais qui ouvre sur la thématique du seuil qui va êtrefranchi, qui va être déchiré ou non, où il y aura un après.Tout ce qui a rapport à la naissance du vivant ne peut se direque dans un langage métaphorique. Freud arrive à le figurerdans les Études sur l’hystérie. Il y a une foule de métaphores duseuil, du dedans, de la transformation de l’espace, de l’arron-dissement. Or ce thème de l’Abrundung disparaît dans la tra-duction de l’Interprétation des rêves : toute cettetransformation du corps liée à l’arrivée, à l’intérieur de soi,d’une nouvelle vie est, au niveau du signifiant, complètementnettoyée, rabattue dans la traduction française qui remplacecinq ou six termes différents impliquant une sorte de dilata-tion des formes par engraisser. Lacan reprend un peu le thèmedu gonflement dans les premières définitions du phallus, enfaisant allusion à ce qui croît, ce qui pousse.

Je crois qu’il y a là une métaphorisation fondamentalequi a à voir avec l’émergence du vivant et se trouve abolie,désymbolisée dans bien des cultures, peut-être dans la cultureen général. Je pense que ça n’est pas sans rapport avec le faitque la grossesse va s’emparer du réel, elle pourra être arboréealors que se trouve occultée une opération qui est en rapportavec le tabou de la virginité. Granoff a beaucoup travaillé là-dessus en restituant un travail de symbolisation sur la mem-brane, ce qui lui permettait de remarquer que la femmen’était pas l’équivalent d’un porte-trou.

Quelque chose doit donc être élaboré autour des pre-mières explorations et hypothèses de Freud, hypothèsesoccultées dans un second temps.

JEAN-PIERRE LEBRUN : Je voudrais vous poser une question :est-ce que vous êtes en train de nous dire qu’il y a un en-deçàde l’instance phallique tout court ou un en-deçà de l’instancephallique telle qu’elle a toujours fonctionné ?

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MONIQUE SCHNEIDER : La deuxième…

JEAN-PIERRE LEBRUN : Eh oui, ce n’est pas la même chose…cela change tout à fait la donne de la question.

MONIQUE SCHNEIDER : Bien sûr, bien sûr.

MARC NACHT : Il semble que vous touchez un point centralavec l’en-deçà de l’instance phallique mais aussi là où cet en-deçà aurait quelque chose à voir avec la culture. Je pensais, enentendant tout à l’heure Françoise Gorog, au dernier hommedont parle Nietzsche, celui auquel tout est donné, qui n’adonc plus de problèmes névrotiques, comme à ce qui, aujour-d’hui, tendrait vers une abolition générale des conflits dusujet.

L’image nietzschéenne se complète par inversion de lascène emblématique évoquée dans Zarathoustra, celle où leserpent tomberait des serres de l’aigle au lieu d’y être tendre-ment enlacé. L’image s’inverse d’une aspiration phalliqueamoureuse qui chute alors dans l’indéfini. Maintenant, nousnous perdons dans le trop fini, ce qui revient presque aumême. Les choses sont, croyons-nous, sur la table et l’on peutse demander si, demain, il y aura encore névrose ou si nousne serons pas, encore plus qu’aujourd’hui, immergés dans letrop de réel envahissant qui fait l’objet de la réaction psycho-tique. Je crois que nous commençons à avoir affaire avec ça,en tout cas dans certaines cures.

FRANÇOISE GOROG : À propos de ce que vous étiez en trainde dire, pour terminer sur quelque chose de l’art contempo-rain… Il se trouve que l’été 2001, à Avignon, s’est donnéeune pièce d’un auteur flamand, Jan Fabre. Cette pièce s’ap-pelait Sang. Dans la grande cour d’honneur d’Avignon, cespectacle consistait en une chorégraphie avec quelques

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phrases et dans laquelle le sang se répandait sous une formetrès particulière de ce que, je crois, Lacan appellerait la cou-pabilité. On y voyait entaillés, aussi bien le sexe des hommesque le sexe des femmes, avec beaucoup de sang qui en cou-lait. L’idée c’était : « Nous deviendrons tous sang. » Je ne saispas si l’auteur était psychotique et je me garderai bien de fairede la psychanalyse appliquée sur son cas, mais c’est commes’il avait voulu mettre en scène quelque chose où le sang, cefluide qui serait semblable chez nous tous, remplacerait aufond la question du phallus, le sang comme libido unique.

Que s’est-il passé alors dans la cour d’honneur d’Avi-gnon ? Dans les gradins, il s’est trouvé quelqu’un pour hur-ler : « Vas-y mais c’est sans moi ! » C’est-à-dire que lesnévrosés de la salle ont traduit son sang qui coulait par unsans.

Voilà ce que je voulais vous dire avec un exemple d’artcontemporain qui semblait avoir un style psychotique.

ROBERT LÉVY : Comment rétablir la métaphore…

JEAN-PIERRE LEBRUN : Quand il n’y a plus le sem-blant, ausens de Lacan, on est bon pour le sang rouge !

BERNARD BRÉMOND : Ce n’est pas un mot de conclusion,mais le débat que nous venons d’avoir sur cette question dela dépréciation du phallus est très important. Jean-Pierreabordait cette question : s’il s’agissait simplement d’unedépréciation des différentes symbolisations de cette instancephallique, ce ne serait pas forcément très grave après tout,parce que les différentes symbolisations de l’instance phal-lique sont, d’une certaine façon, vouées à la dépréciation aulong du parcours de chacun.

Mais il me semble que ce dont il était question, c’estdavantage d’une dépréciation de l’instance phallique elle-

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même, ce qui me paraît une des questions de l’époque. Onvoit apparaître, à l’heure actuelle, d’autres signifiants, quisignalent probablement quelque chose qui marque cettedépréciation. Un mot comme kamikaze est une des formesactuelles de cette dépréciation de l’instance phallique elle-même. Pas seulement de l’instance phallique telle qu’elle atoujours fonctionné, mais de l’instance en tant qu’index de ladifférence. Ce n’est pas très encourageant.

ROBERT LÉVY : Merci à vous tous…

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Page 44: Debate 1 Puls i on de Muerte

Le supplicié chinois

Cliché datant de 1905, publié dans Les larmes d’Eros, Paris, Pauvert, 1961

Ces clichés ont été publiés en partie par Dumas et par Carpeaux.

Carpeaux affirme avoir été témoin du supplice, le 10 avril 1905. Le 25 mars 1905 le« Cheng-Pao » avait publié ce décret impérial (sous le règne de Koang-Sou) : « Les princesMongols demandent que le nommé Fou-Tchou-Li, coupable de meurtre sur la personne duprince Ao-Han-Ouan, soit brûlé vivant, mais l’empereur trouve ce supplice trop cruel etcondamne Fou-Tchou-Li à la mort lente par le Leng-Tch’e (découpage en morceau). Respectà ceci ! » Ce supplice date de la dynastie mandchoue (1644-1911).

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