de la suggestion

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classic text where the author discusses the importance of suggestion in hypnosis

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Page 1: De La Suggestion

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

De la suggestion / par le DrBernheim,...

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Bernheim, Hippolyte (1840-1919). De la suggestion / par le DrBernheim,.... 1911.

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De la. Suggestion

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De la

Suggestion

le D' BERNHEIMProfesseurhonorairela Facultéde médecine de Nancy

PARISALBIN MICHEL, ÉDITEUR

22, au$ HUÏGHENS, 22

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AVANT-PROPOS

Je réponds au désir qui m'a été exprimé décrirepour le grand public unpetit livre sur l'hypnotismeet la suggestion. Ces mots éveillent encore dans lesesprits, même médicaux, ridée d'une chose extraor-dinaire, mystérieuse, due à desforces fluidiques in-

connues. Occulüsme, magnétisme, hypnotisme, cesmots impressionnent encore vivement les imagina-tions. Beaucoup de médecins mêmes n'osent pass'aventurer dans ce domaine qu'ils considèrentencore un peu comme extra-scientifique.

C'estpour combattrecetteconceptionerronée, pourdégager la question de son apparence mystique etthaumaturgique,ce qui a été mon objectifconstant,que je condense dans ces pages, au risque de me ré-péter, les faits que j'ai observés et les idées quetrente ans d'expérience m'ontpermis de mûrir surcette question.

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CHAPITRE PREMIER

Considéràtions historiques. Magnétisme minéral e!animal. Mesmer.–Puységur et somnambulisme.Braidet hypnotisme. Liébeault et le sommeil pro-voquA, Suggestion,h l'état de veille.

i. Magnétisme..

Quelquesmots d'historiquesontnécessaires pour utcotnpréheasiôn du sujet. L'hypnotisme est né ditmagnétismecomme la chimie est née de l'alchimieLa suggestion est née de l'hypnotisme.

Qu'est-oe que le magnétismeou mesmérisme ?On sait que eett vers la fin du dix-huitième sièci

que le médecin autrichien Mesmervint à Paris prd-cher sa doctrine et exercer sa thérapeutique nouvellc.Cependant sa doctrine n'était pas nouvelle; elle etcontenue tout entière dans la philosophie et la théesophie du seizième et du dix-septième siècle; elle e •inspiréeparles travauxdeParacelse, deVan-lMmotide Robert Fludd, de Maxwell, du père Kircher nautres.

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Jusqu'en 1776, Mesmer se contentait de faire desexpériences avec l'aimant artificiel, comme moyencuratif dans les maladiesnerveuses.Longtemps,avantlui, l'analogie supposéeentre le magnétismeminéralet le magnétisme animal avait engagé les médecins àrechercherdans l'aimant naturelet artificiel des pro-priétés thérapeutiques. Déjà Paracelseavait traité parles aimantsbeaucoup de maladies, les hémorragies,les hystéries, les convulsions. Du temps du père Kir-cher, au dix-septième siècle, on faisait divers appa-reils aimantés, anneaux, bracelets, colliers, qui portéssur diverses régions du corps calmaient les douleurset certainesmanifestationsnerveuses.Au siècleavant-dernier, le père Hell, astronome à Paris, fabriquait desaimants artificiels,qui furent appliqués sous formed'armatures au traitementdes spasmes, des convul-sions, des paralysies. L'abbé Lenoble, en 1771, éta-blit à Paris un dépôtd'aimants plus puissants encoreet-plusefricaoes.La Sociétéroyale de médecine nommaune Commission chargée de vérifier l'exactitude deses assertions. Le rapportd'Andry et Thouretconclutà l'action réelle et efficace de ces aimants contre lestroubles divers du système nerveux.

Mesmer fit quelques expériences avec le père Hellmais il quitta bientôt les sentiers battus du magné-tisme minéral et porta ses. aspirations théoriques etpratiques vers le magnétisme céleste. C'est un fluideuniversel, moyen d'une influencemutuelle, entre lescorpscélestes, la terre.et les corps animés, susceptiblede flux et de reflux. La nature offre dans le magné-

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tisme un moyen infaillible de guérir et de préserverles hommes. Ces élucubrations n'étaient pas nou-velles. Mais avant Mesmer, les magnétiseurs nesavaientdirigerl'espritvitalou le fluide universelmys-térieux, qu'en préparant des amulettes,des talismans,des sachets, des bottes magiques. C'était la médecinemagnétique du sympathéisme. Mesmer inventa despratiques bizarres, fascination avec une baguette co-nique, attouchements, manipulations diverses etsurtout les baquets magnétiques. Ces baquets conte-naient, rangées d'unefaçonparticulière,des bouteillesremplies d'eau et recouvertes d'eau, reposant sur unmélangede verre pilé et de limaille de fer. Un cou-vercle percé de trous laissait sortir des tiges de ferplongeantdans le liquide, et dont l'autre extrémité,coudée, mobile, s'appliquait au corps des maladesassis en plusieurs rangs autour de la cuve et reliésentre eux par une corde partant de la cuve.

Le courant animal du magnétiseur dirigé par sesmanipulations se rencontrant avec celui de la cuve,détermine,au bout d'untemps variable, chez les sujetsdes troublesnerveux divers, sommeil, pandiculations,bâillements, spasmes, pleurs, anesthésie, catalepsie,hallucinations,cris,crises d'hystérie,etc., toutesmani-festations que lesémotionsvives, sans baquets,peuventproduire chez les sujets très impressionnables. Desguérisons pouvaientse produire dans cet état chez lesmalades venus dans ce but et suggestionnéspar cetappareil impressionnant. Mesmer recherchait surtoutles crises convulsivescomme nécessaires au but théra-

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peutique; il fabriquait l'hystérieplutôt que le sommeilmagnétique.Un des élèves de Mesmer, le marquis dePuységur en 1789, dégagea parmi les phénomènesditsmagnétiques le sommeilou somnambulisme.Ce n'estplus une crise convulsive qu'il obtient par des passesmagnétiquesou le contact d'un arbre magnétisé parses passes; c'est un sommeil tranquille, avec exalta-tion, croyait-il, des facultés intellectuelles,et obéis-sance passive, sommeil lucide et curateur. Ce n'estplus un fluide universel qui agit c'est un fluide ner-veux ou autre émanant du corps du magnétiseuretque sa volonté peut projeter au dehors de lui surd'autres. C'est la volonté qui magnétise. « Croyez etveuillez », telle était sa formule. Ce n'était plus lathéorienébuleuseet astrale de Mesmer, ce n'étaitplusnon plus son grand appareil. Puységurmagnétisaitpar de simples mouvements exercés à la main, parl'attouchement, par des baguettes de verre, par l'in-*fluence d'un arbre magnétisé, dans sa terre de Bu-sancy,autourduquel les maladesvenaientde plusieurslieues s'asseoir et dormir pour recouvrerla santé.

Les successeurs de Mesmer et de Puységur conti-nuèrent à magnétiser par de simples passes empiri-ques que chacun modifiaità sa guise.

Cependant le charlatanisme éhonté de Mesmerjetaun discrédit sursa méthode; les manipulationsmêmeréduites à de simples passes grossières n'avaientaucun caractère scientifique aussi les corps savantscondamnèrent, aprèsexamen, les doctrinesnouvelles.Le magnétisme, dédaigné par la science, conserva

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toujours des adeptes en dehors du monde officiel.La question revint plustard à l'Académie de méde-

cine, et le rapport lu par Husson en 1831 conclut à laréalité et à l'utilité du magnétisme il reconnaît quede simplespasses, ou même le simpleregard ou la vo-lonté du magnétiseur,produisent le sommeilou som-nambulisme si le sommeil est profond, il y a anes.thésie et amnésie au réveil.

« Quelques-unsdes malades magnétisésn'ont res-senti aucun bien. D'autres ont éprouvé un soulage-ment plus ou moins marqué l'un, la suspension desdouleurs habituelles, l'autre le retour des forces, letroisième un retard de plusieurs mois dans l'appari-tion des accès épileptiformes,et un quatrième la gué-rison complète d'une paralysie grave et ancienne. »L'Académie n'osa imprimer ce rapport dont ellelaissa la responsabilité à son auteur qu'on appelaitvolontiers le crédule Husson,

2. BRAID ET hypnotisme.

Lemagnétismeétaitoubliépar lemondescientifique,et perdu dans l'occultisme n'existait pas comme doc-trine, lorsqu'un médecin de Manchester,James Braiddécouvrit en 1841 ce fait, que lorsqu'on fait fixer à unsujet un objet brillantà peu de distance au-dessusdufront, l'esprit uniquement attaché à l'idée de cet objet,il tombe dans un état de sommeil spécial. Dans cesommeil dit hypraotique ou braidique on peut ob-

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server l'anesthésie, l'hallucinabilité, la suggestibilité,comme nous le décrironsplus loin.

Braid définit l'hypnotisme un sommeil nerveux;c'est-à-dire un état particulierdu système nerveuxdé-terminépardes manoeuvresartificielles, état particu-lieramené par la concentration de l'œil mental et vi-suelsur un objet. La provocationde l'hypnose seraitdonc due d'une part à une cause physique: fixité desyeux prolongée sur un objet, d'où paralysie par épui-sement des .muscles releveurs des paupières et des-truction de l'équilibre du système nerveux; d'autrepart, à une cause psychique fixité d'attention danslaquelle l'esprit est absorbé par une pensée unique.

« Alors, dit Braid, le patient tombe dans l'indiffé-rence il est fermé, pour ainsi dire, à toute pensée, àtoute influence étrangère à l'image que lui retrace sonesprit. Dans cet état son imagination devient si viveque toute idée agréable développée spontanément ousuggérée par une personneà laquelle il accorde d'unefaçon toute particulièreattention et confiance, prendchez lui toute la force de l'actualité, de la réalité. »

L'expérience amène Braid à attribuer à l'élémentpsychiqueune prédominancesur l'élément physique

« Les sujets exercés deviennent susceptibles d'êtreaffectés entièrementpar l'imagination. Chez des Indi-vidus très sensibles, la simple supposition qu'il sefasse quelque chose capable de les endormir, suffitpour produire le sommeil. » C'est, on le voit, déjà ladoctrine de la suggestion,telle que nous la retrouvonsplus franchement formuléepar JLiébeault.

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Braid constate d'ailleurs que l'hypnoseobtenue parson procédé n'est pas un état identique chez tous lessujets; ce n'est pas toujours un sommeil profond

« C'est plutôt une série d'états différents,susceptiblesde varier indéfiniment, depuis la rêverie la plus lé-gère avec excitation ou dépression des fonctions jus-qu'aucoma profond avec absence complète de con-naissance et de volonté. » Nous verrons plus loinqu'en réalité ce coma profond avec inconsciencen'existe pas.

Déjà Husson, dans son rapport, avait constaté quele sommeil magnétique n'est pas toujours un som-meil complet. « C'est un engourdissement plus oumoins profond, de l'assoupissement, de la somno-lence, et dans un petit nombre de cas, ce que lesauteurs appellent somnambulisme. » Braid ajouteju-dicieusement « A parler rigoureusement,le mot hyp-notisme devrait" être réservé aux sujets seuls quitombent en effet dans le sommeil et qui oublient auréveil tout ce qui s'est passé dans cet état. Quandcelui-ci fait défaut, il n'est question que d'assoupis-sement ou de rêverie. Il serait donc à propos d'éta-blir une terminologie répondant à ces modifications.En effet, parmi les sujets susceptibles de guérisonpar l'hypnotisme, à peine un sur dix arrive-t-iljusqu'à la phase du sommeil inconscient. Le mothypnotisme peut alors les induire en erreur et leurfaire croire qu'ils ne tirent aucun profit d'un procédédont les effets caractéristiqueset évidents ne parais-sent pas être ceux qu'indiqueleur qualification. »

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Malgré ces considérations, l'auteur propose dedonner le nomdhy'notismeà la productiondu som-meil artificiel, quand il y a perte de la mémoire,defaçon qu'au réveil, le patient n'a aucun souvenir de

ce qui s'estpassé pendantlesommeil.Nous verrons que cette amnésie n'est jamais

absolue et présenteaussi des degrés variables. Quoiqu'il en soit, il résulte de cette conception de Braid,

que, suivant lui, l'état qu'il appelle hypnotique n'estpas nécessaireà l'obtention des effets thérapeutiques.

Braid applique en effet sa méthode à la thérapeu-tique, comme 'Mesmer et ses successeurs y avaientappliqué le magnétisme. Mais il procède encore parmanipulations et non par suggestion.Les effets salu-taires seraient dus d'une part aux modifications decirculation qu'on détermine en réalisant la rigiditécataleptiforme du membre dont on veut activercette circulation, et la flaccidité des autres; d'autrepart en augmentant l'activité d'un organe particulierqu'on actionne pour y concentrer l'énergie nerveuse,les autres restantendormis. Braid ne connaissait pasla suggestionthérapeutique.

L'analogie du braidisme avec l'ancien magnétisme

ne fut pas soupçonnée.Les expériences et la doctrine de Braid ne firent

pas grand bruit en Angleterre; en France, ellesfurent à peine connues. C'est seulement en i85g,qu'une communication du professeurAzam, de Bor-deaux,à la Sociétéde chirurgiede Paris,appelal'atten-tion sur l'hypnotisme et lui donna un grand retentis-

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sement. On fit, à l'exemple d'Azam, quelquesexpériences dans les hôpitaux, d'hypnotisation parfixation d'un point brillant pour obtenir le sommeilanesthésique. Les chirurgiens cherchèrent surtoutdans ce procédé un moyen d'anesthésie chirurgicalepour remplacer le chloroforme. Il y eut des tenta-tives heureuses; d'autres échouèrent; et on dut re-connaître que, si l'analgésie absolue et durables'obtient parfois, elle est exceptionnelle,surtout chezles sujets impressionnés par l'attente d'une opéra-tion.

Le braidisme ne fut qu'un objet de curiosité éphé-mère on n'y vit que l'analgésie, sans soupçonnerles autres phénomènes, cependant relatés par Braid;on ne pensa pas à ses applicationsthérapeutiques. Lebraidisme, paraissant dénué d'intérêt pratique, re-tomba dans un profond oubli.

3. LlEBEAULT ET SOMMEIL PROVOQUÉ.

En le docteur Liébeault, de Nancy, quidepuis nombre d'années poursuivait ses recherchessur l'ancien magnétismeet l'hypnotisme, publia unlivre Du sommeil et des états analogues considéréssurtout au point de vue de Faction du moral sur lephysique. Le livre resta aussi inconnu que l'auteurjusqu'en z883, époque à laquelle je fis connattre aumonde médical Liébeault, sa doctrine et sa pratique.

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A la conception psycho-physiquede l'hypnotisme,Liébeault substitue celle du sommeil provoquéparsuggestion.

Pour produire ce sommeil, les manipulations ditesmagnétiques de Mesmer et de ses successeurs nesont pas nécessaires, la fixation d'un point brillantau-dessus des yeux, comme le faisait Braid, n'estpas nécessaire la suggestion est tout. Liébeault,touten se faisant encore regarder dans les yeux par lesujet, pour fixer son attention, l'invite à dormir, enannonçantles principaux symptômes qui préludent.

au sommeil, la pesanteur des paupières, la sensationde somnolence, l'obtusion des sens, l'isolement dumonde extérieur. Ces symptômes, il les répète plu-sieurs fois d'une voix douce, quelquefoisun peu im-pérative. Par cettesuggestion répétée, l'idée de dormirs'insinue peu à peu dans l'esprit et finit, quelquefois,

en peu de secondes, d'autrefois, en peu de minutes,

par se réaliser. L'image psychique du sommeilévoqué l'acte sommeil.

La suggestion,'ditLiébeault, est la clefdu brai-disme. Il n'y a pas de fluide magnétique; il n'y a pasd'action physique hypnotisante, il n'y a qu'uneaction psychique: tidée. C'est la théorie psychique

pure substituéeà la théorie fluidique de Mesmer, et à

la théoriepsycho-physiologiquede Braid.Les phénomènes constatés par les observateurs

dans ces états, anesthésie, catalepsie, suggestibilité,hallucinabilité, etc., tels que nous les étudierons,successivement rapportés à une influence magné-

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tique, à une influence hypnotique, sont, pour Lié-beault, fonction du sommeil provoqué.

Ce sommeil d'ailleurs, suivant Liébeault, est iden-tique au sommeil naturel. Il n'en diffère que par cefait que le sujet endormi par l'opérateur reste en rap-port avec lui et peut être influencé par lui. Maiscette différence en réalité n'en est pas une; car onpeut souvent par la parole se mettre en rapport avecun sujet endormi spontanément, en lui parlant dou-cement sans le réveiller, et alors on peut déterminerchez lui les mêmes phénomènes que ceux du som-meil provoqué. Ces phénomènes sont dus à la sugges- Itibilité normale, exaltéedans la concentration psy- jchiquedu sommeil.

Liébeault a eu surtout le mérite d'avoir érigé ensystème et méthode la psychothérapiesuggestivependant le sommeil provoqué. Nous avons vu queMesmer et ses successeurs avaient constaté la vertuthérapeutique du magnétisme animal, attribuée àl'influence fluidique. Braid faisait de l'hypnotismethérapeutique, mais il procédait par des manipula-tions destinées à produire des modifications de lacirculation ou de l'activité des organes, qu'il jugeaitutiles dans certaines maladies. Il faisait, sans doute,de la suggestion sans le savoir. Liébeault le premiera recours à la suggestion verbale dans le sommeilprovoqué. Il endort par la parole, il guéritpar laparode. Il met dans le cerveau l'image psychique dusommeil, il cherche à y mettre l'image psychique dela guérison. Si la suggestion peut, comme nous le

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verrons, réaliser de la douleur, de l'anesthésie, de la

contracture, de la paralysie, si elle crée des troublesfonctionnels, il est rationnel de penser qu'elle peutaussi dissiper des troubles existants. Si elle fait del'analgésie, neutralisant une douleur réelle provoquéeexpérimentalement,Il est probable aussi qu'elle peutneutraliser une douleur provoquéepar une maladie.Cette idée si simple et qui devait, semble-t-il, s'im-poser à l'esprit des expérimentateurs, Liébeault l'a lepremier systématiquement appliquée à la thérapeu-tique, exagérant cependant avec sa foi, il taut le dire,la portée pratique de sa doctrine.

Tandis que le modeste médecin de provincepour*suivait son oeuvre à l'insu de tous, même de sesconfrères de Nancy, le magnétisme, l'hypnotisme,le somnambulisme provoqué, n'avaient pas de placedans la science classique.

Le professeurCharles Richet eut le mérite de re-prendre les expériences en 1873 et publia en 1875

dans le Journal de RoBin un article sur le somnam-bulisme provoqué qui fit sensation dans le mondescientifique. Il procédait par des 'passes, des excita-tions faibles de toute nature, et par la fixation d'unpoint brillant. Il constata la réalité des phénomènesdits hypnotiques anesthésie, catalepsie, hallucina-bilité, docilité automatique, état de somnambu-lisme, etc. C'était pour lui une névrose spéciale avecpeu ou point d'applications à la thérapeutique.

Puis vint Charcot et l'École de la Salpêtrière quicommencent leurs expériences en 1878. L'hypn0·

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tisme, tel qu'il est conçu par elle, apparaît commeune névrose expérimentale, susceptible d'être pro-voquée seulementche% les hystériques;elle est assimi-lable à une crise d'hystérie et ta possibilité de la dé-terminer sur un sujet implique cette diathèse. Cettenévrose provoquée étudiée par la Salpêtrière n'estd'ailleurs pour elle qu'un appareil de phénomènescurieux, sans application pratique. Nous verronsplus loin que cette névrose, telle qu'elle est décritepar Charcot, et systématisée par lui, n'est qu'unehypnose de culture, créée artificiellement par l'édu-cation suggestive des sujets.

Je fis connaître la doctrine de Liébeault en 1889,avec mes recherches personnelles,dans un mémoire.De la suggestiondans l'état hypnotique et dans l'étatde veille (Revue médicale de l'Est, i883, et brochureO.Doin, En 1886, je publiai un volume Dela suggestionet de ses applications à la théràpeu-tique et en un volume: Hypnotisme, Sugges-fion,Psychothérapie,dontla 3eédition a paru en 1910.

4. SOOGESTIBIUTÊNORMALE A L'ÉTAT DE VKILLE.

La doctrine de Liébeault a subi, par mon influence,une évolution nouvelle. A la théorie de la suggesti-bilitépar le sommeil provoqué, j'ai cherchéà substi-tuer celle de la suggestibiliténormaleà tétat de veille.A la psychothérapie hypnotique, j'ai ajouté et sub-stituépeu à peu la thérapeutiquesuggestive à l'état de

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veille qui est devenue la psychothérapie moderne.Liébeault avait déjà établi, nous l'avons dit, que le

sommeil provoqué par suggestion ne diffère pas enréalité du sommeil naturel; que les mêmes phéno-mènes dits hypnotiquespeuvent être provoqués danscelui-ci. Cela veut dire en réalité: il n'y a pas d'hyp-notisme, il n'y a que de la suggestion; c'est-à-dire, iln'y a pas un état spécial, artificiel, anormal ou hys-térique qu'on peut qualifier d'hypnose; il n'y a quedes phénomènes de suggestion exaltée qu'on peutproduire dans le sommeil, naturel ou provoqué.

Cependant, je fus frappé de ce fait déjà constaté

par Braid, Liébeaultet d'autres, que le sommeil n'estpas nécessaire à la manifestation des phénomènesdits hypnotiques, anesthésie, contracture, hallucina-bilité, obéissance passive, etc., que ces phénomènespeuvent être réalisés par suggestionà l'état de veille,

sans sommeil. Celui-ci lui-même est un phénomènede suggestion qui peut aboutir ou ne pas aboutir,comme les autres actes suggérés, mais il n'est pasnécessaire préalablement pour obtenir les autresphénomènes. Le cerveau normal, sans être mis ensommeil ou état passif, comme dit Liébeault, peut,par suggestion, réaliser tous ces actes. J'ai constatéinvariablement que lorsqu'un sujet très suggestiblepeut être anesthésié, halluciné., déterminé à diversactes, dans le sommeil provoqué, il est justiciabledes mêmes suggestions, à l'état de veille, sans avoirjamais été endormi préalablement.

J'ai donc pu affirmercatégoriquement:Les phéno-

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mènes de suggestion ne sont pas fonction d'un étatmagnétique (Mesmer), ni d'un état hypnotique(Braid), ni d'un sommeil provoqué (Liébeault), ilssont fonction d'une propriétéphysiologique du cer-veau qui peut être actionnéeà l'état de veille, la sug-gestibilité.

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CHAPITRE Il

De la suggestibilité. Définition. Idéodynamisme.Transformation de Pidée en mouvement, sensationémotion, acte organiques. Neutralisationpar Pidée.

Causesqui empêchentla suggestionde se réaliser.États qui favorisent cette réatisation. Crédivité etcontrôle.

1. DÉFINITION DE LA suggestion.

La suggestibilité, c'estl'aptitudedu cerveauà rece-voir ou évoquer des idées et sa tendance à les réa-liser, à les transformer en actes.

Un cerveau comateux n'est pas suggestible parcequ'il n'a pas d'idées. Un cerveau d'idiot est peu sug-gestibleparce qu'il a peu d'idées. Toute idée, qu'ellesoit communiquéepar la parole, par la lecture, parune impressionsensorielle,sensitive, viscérale, émo-tive,qu'elle soit évoquée par le cerveau, est en réalitéune suggestion.La parole est une suggestion par voieauditive, la lectureestunesuggestion parvoievisuelle,une odeur désagréable qui fait fuirest une suggestionpar voie olfactive, un goût répugnant qui fait rejeter

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un aliment est une suggestionpar voiegustative, uneémotion agréablequi réjouit l'âme est une suggestion

par voie émotive, une caresse significative est unesuggestion tactile, une sensation de faim qui donnel'idée de manger,voilàunesuggestion d'origine viscé-

rale. Toute impressiontransféréeaucentrepsychique,devientune idée, devient suggestive.

Tout phénomènede conscience estune suggestion.L'auto-suggestion n'est pas, comme on le croit, unesuggestionqu'on sedonnevolontairement à soi-même,mais unesuggestionnéespontanémentchezquelqu'un,

en dehors de toute influence étrangère appréciable.Telles sont les suggestionsque déterminent les sensa-tions internes, une douleur précordiale qui donnel'idéed'un anévrysme, une céphaléequi donne l'idéed'une méningite, une faiblesse de jambes qui donnel'idée de myélite la plupart desconceptionshypo-chondriaques sont de l'auto-suggestion greffée surdes sensations réelles.

Chaque cerveau d'ailleurs interprète l'impression àsa façon. Car la suggestion n'estpas un simple faitpassif, une simple imagepsychique déposée dans lecerveau. La vue d'un bel objetprovoque chez les unsde l'indifférence, chez les autresde l'admiration, chezle troisième le désir de l'acheter, chez tel l'idéede levoler, chez tel l'idée de se l'approprier par des voiesdétournées, de façon à ne pas se compromettre. Entoute circonstance le cerveau psychique intervientactivement, chacun suivant son individualité, pourtransformer l'impression en idée, et pour élaborer

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celle-ci chaque idée suggère d'autres idées, et cesidées se transforment elles-mêmes en sensations,émotions, images diverses cette associationd'idées,de sensations, d'images aboutit à une synthèsesug-gestiveque chaque individualité réalise à sa façon.

2. IDÉODYNAMISME.

Mais revenonsau processus élémentaire. L'impres-sion est devenue idée. La suggestion est faite. C'est

\le premier acte de la suggestibilité.Alors survientlesecond la suggestion doit se réaliser. Toute idéesuggérée tend ci se faire acte. Autrement dit en lan-

gage physiologique, toute cellule nerveuse cérébraleactionnée par une idée, actionne les fibres nerveusesqui en émanent, et transmettent l'impression auxorganesqui doivent la réaliser. C'estce que j'ai appeléla loi de l'idéodynamisme.Quelques exemples ferontcomprendre cette assertion qui n'est que l'énoncé

en langage psychologique d'un fait d'observationbanale.

L'idée devient mouvement Je dis à quelqu'un

« Levez-vous ». Le plus souvent, actionné par l'idée,il se lève sans réflexion. Si je répète cette suggestionplusieurs fois, il se défendra contre elle et fera inhi-bition à sa tendance à se lever. Ma suggestionn'aboutit plus, elle en détermine une autre, en senscontraire.

Une musique dansante fait vibrer notre corps à

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l'unisson et si on se laissait aller, si le contrôle n'in-tervenaitpas pour faire inhibition à un acte instinctifque les conventions mondaines nous ont appris àconsidérercomme peu convenable,on danserait sou-vent automatiquement, entraîné par la sensation au-ditive suggestive. Si on enregistrait par un tracé les

mouvementsde notre corps pendant l'auditiond'unevalse entraînante, on trouverait l'ébauche chorégra-phique de la danse, à notre insu esquissée, bienqu'inhibée par la volonté. Tels les enfants qui mar-chent au tambour et au son de la musique, dociles,sans préjugés inhibitoires à l'influenceirrésistible del'acte suggéré. Cest l'imuge acoustigue psychiquedevenueacte inoteur.

« Si je ne me retenais pas, je te battrais », cettephrase exprimebien l'effort contre-suggestifquenoussommes obligés de faire pour empêcherl'action idéo-dynamique.

L'idée devient sensation. L'idée du sel évoquel'image gustative du sel, l'idée du vinaigre actionnela muqueuse pituitaire, l'idée d'une cloche réveillel'image auditive de la sonnerie. L'idée qu'on a despuces produit des démangeaisons.

Certains ne peuvent songer au grattage des doigtscontre un mur sans éprouver la même sensation tac-tile et'cardiaque que donnerait l'acte.lui-même.

Entendez prononcer le nom d'un personnageconnu Napoléon. L'image de Napoléon tend à sedessiner sous vos yeux c'est une suggestion visuelle.Je dis à quelqu'un « Voici un chien 1 » L'image

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d'un chien se présente à l'esprit, plus ou moins nette,ébauchéechez la plupart, chez quelques-uns vivante.Sans doute le plus souvent, ces images sensorielles

que l'idée teud à réveiller et à extériorisersont vagueset n'aboutissent pas. Chez quelques-uns, ou danscertains états d'âme, comme dans le sommeil, les

images évoquées par le cerveau aboutissent et en im-

posent, comme si elles étaient des réalités.L'idée devient émotion. Suivez la physionomie

d'un lecteur qui lit un drame passionnant accidenté

et vous verrez sa physionomie refléter successivement

tous les mouvements d'âme, gaieté, tristesse, frayeur,dégoût, rire que la lecture évoque.

Le rire, est contagieux la tristesse se gagne. Authéâtre, le peuple enfant pleure au spectacle des mi-sères imaginaires, et nous faisons inhibition pour nepas pleurer.

L'idéedevient acte organique. Les bâillements

sont contagieux les enfants prennent les tics parimitation la vue de quelqu'un qui urine réveillesou-vent le besoin d'uriner. La purgation qui réussit chezquelques-uns avec les pilules de mie de pain, c'estl'image psychiquesensitive de la contraction intesti-nale évacuatrice créée par l'idée de purgation, qui seréalise. Le sommeil provoqué chez un sujet en luidécrivant les sensationsdu sommeil, comme le faisaitLiébeault,c'est l'image psychiquedu sommeil qui seréalise.

L'expérience suivante montre bien comment unphénomène organique indirectement suggéré, peut à

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l'insu même du sujet, se produire. J'enregistre lepouls d'un individu avec un sphygmographeà trans-mission sur un cardiographe de Marey et j'inscris le

tempsavec un compteur à secondes. Je compte lepouls à haute voix, sans rien dire au sujet; puisaprèsun certain temps, je compte plus de pulsations qu'ily en a, par exemple cao au lieu de 80. Puis après uncertain temps encore, je compte moins de pulsationsqu'il n'y en a, par exemple 45 au lieu de 80. Si plustard je repère le tracé, je constateque pendant la nu-mération accélérée,le poulss'estaccéléré en moyennede io pulsations par minute, et pendant la numéra-tion ralentie, il s'est ralenti de 6 à 7 pulsations parminute.

La numération accélérée ou ralentie a créé dans lecerveau l'idée de rythme accéléré ou ralenti, et cetteimage psychique, à l'insu du sujet, sans suggestiondirecte, a actionné l'innervation du cœur. Toute laconception de la suggestion n'est-elle pas dans cettesimple expérience ?

Par ces exemples on voit comment l'idée tend àdeveniracte, mouvement, sensation, image, émotion,phénomèneorganique.

L'idéepeut aussineutraliser un acte, inlriber unmouvement, une sensation, une image, une émotion,une fonction.

Tel sujet greffe sur une certaine faiblesse de jamberéelle que son psychisme exagère une paralysie com-plète que la psychothérapieguérit; c'est la locomotionneutralisée par resprit. Tel autre transforme un

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enrouement catarrhal en aphonie complète; c'est lacontraction des cordes vocales inhibée par Pidée.

La sensibilité, tactile et à la douleur, les sensibili-tés sensorielles, vision,audition, olfaction,gustation,peuvent être, comme nous le verrons, neutrali-sées facilementchez certains sujets par simple affir-mation ou même par auto-suggestion. On racontel'histoire d'un scélérat qui fut appliqué à la torturesans témoigner aucune souffrance. On trouva dans

son oreille gauche un petit papier où était la figuredes trois rois, avec ces paroles Belle étoile qui adé-livré les mages de la persécution d'Hérode, délivre-moi de tout tourment. » Ce talisman, suggérantl'idéed'analgésie,a suffi pour neutraliser la douleur (i).

Toute la psychothérapieestbasée surcette propriétéqu'a le cerveaude créerdes actes organiques normauxou de neutraliser des actes organiques anormaux.

3. SUGGESTION NON réalisée.

J'ai établi que toute suggestion tend à se réaliser;mais elle ne se réalise pas toujours.

Le sujet peut opposer sa volonté à la tendance ins-tinctiveà accepter et à réaliser l'idée. Si je dis à quel-qu'un « Regardez-moi », il me regarde. Si je répètel'injonction plusieurs fois, agacé de mon insistance

sans but, il ns me regarde plus, il ne Peut pas.

(i) CajtRpiGNON, Étude sur la médecine animique etvit aliste,Paris, 1864.

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Un autre a de la faiblesse dans les jambes. Je luidis de marcher et j'ajoute qu'il peut le faire. Il essaie

et ne peut pas. La suggestion ne réussitpas, parce quele sujet ne peut pas l'idée acceptée veut, mais nepeutpas devenir acte. Le cerveau ne peutpas toutce qu'ilveut. Certains cerveaux peuvent réaliser ce qued'autreségalementdociles ne peuvent pas. Je suggèredu sommeil ou une hallucination: tels peuvent,d'autres ne peuvent pas réaliser l'une ou l'autre de

ces suggestions, bien qu'ils acceptent l'idée et nefont aucune résistance. C'est le mécanisme cérébralhypnogèneou hallucinatoirequi ne se déclanche pas.

Le cerveau ne veut pas non plus tout ce qu'il peut.A l'état normal, il y a des facultés de raison, de cri-tique, il y a aussi des volitions instinctives qui peu-vent créer des tendances opposées à celle qu'on veutdéterminer. D'une part la crédivité et la docilité quifont accepter l'idée peuvent être contrecarrées parles tendances psychiques contraires d'autre partl'idéodynamismequi doit faire réaliser l'idée acceptée

peut être impuissant pour des raisons physiologiquesqui empêchentla transformation de cette idée en acte.

Certainessuggestions échouant devant le contrôlequi les refuse, réussissentquandellessont faites indi-rectement, sans contrôle, imposées au sujet, à soninsu, par une image psychique, et qu'il n'a ni àl'accepter, ni à la rejeter. Je dis à quelqu'un « Vousallezavoirde la diarrhée ». Le sujet n'est pas influencé,

parce qu'il ne me croit pas. Si je lui fait avaler despilules de mie de pain, sous le nom de pilules purga-

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tives, la purgation peut se réaliser, parce que l'idéeimposée par fraude, échappe au contrôle et arrive ausensorium, sans être neutraliséepar lui.

Je dis à quelqu'un « Votre pouls va s'accélérerouse ralentir. » L'action ne se produitpas, le sujet n'estpas suffisamment influencépar mon dire. Si au con-raire, comme nous l'avons vu, sans rien dire, je faisà haute voix la numération accélérée ou ralentie dupouls, l'image psychiquede ce rythme nouveau peut,à l'insu du sujet, réaliser l'accélérationou le ralentis-

sementdu pouls,parceque le contrôlecérébralauquelil n'est pasfait appel n'intervientpas pour empêcher

la réalisationautomatique du phénomène.Certains, rebelles à la suggestion verbale du som-

meil, s'endorment si je leurfais prendresousla fausseétiquette de sulfonal de l'eau simple avec quelquesgouttes de menthe.

La magnétothérapie, la métallothérapie,l'électri-cité, beaucoup de pratiques instrumentales ouxaédi-

camenteuses, peuvent être efficaces là où la simpleparole ne suffit pas la suggestion incarnée dans cespratiques, cachée par elle, ne s'adresse pas à la crédi-vité qui peutêtre insuffisante, et ne réveillepas l'espritde contradiction qui peut être instinctif.

4. États QUI augmentent LA suogestibilité.

Certains états d'Aine peuvent, en augmentantlacrédivité,imposantl'idéeavecplus de force, ou en sti-mulantlapuissance idéodynamique,favoriser certains

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modes de suggestibilité. Telle sont certaines émo-tions, foi religieuse, passions vives, amour, colère,haine, entraînement de l'exemple. La raison, aveu-glée par la passion, ne sert plus de contrepoidsà lasuggestion passionnelle. Ainsi agit aussi une parolepersuasive et empoignante. Le sentiment est souventplus persuasif que le raisonnement. La façon dedire vaut mieux que ce qu'on dit. Lisez les discoursde Gambetta ou entendez-les débités d'une voixmonotone qui ne dit rien à l'âme. Ont-ils la mêmevertu persuasive que lorsque le grand tribun les pro-nonça du haut de la tribune avec sa voix sonore, songeste expressif, sa chaleur communicative qui sug-gestionne les masses ?Parmi ces états d'âme qui augmentent la suggesti-ilité est le sommeil. Le sommeil n'est pas un étatcFinconscienee;c'est un autre étatde conscience danslequel les facultés de contrôle sont engourdies;l'acti-vité cérébrale automatique, due aux facultés d'ima-gination, non réprimée par la raison, a tout son jeu.Toutes les idées fortuitementréveillées dans le senso-rium au choc de la réminiscence,ou à la suite d'im-pressions périphériques, sensitives et viscérales, de-viennentplus lumineuses; tout un cinématographevivant est évoqué par le sommeil dans cet appareilcérébral peuplé de clichés souvenirs qui se dérou-lent au hasard, sans régulateur vigile. Les idées spon-tanément écloses deviennent images, les rêvasseriesflottantes, balayées par le contrôle à l'état de veille,deviennent hallucinations pendant le sommeil.

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Le sommeildonc exalte la suggestilibité, d'une partparce qu'il augmente la crédivité, en supprimant leraisonnement; d'autre part parce qu'il augmente laforce idéodynamique, par la prédominance desfacultés d'imagination; ce sont ces deux élémentsqui constituent le mécanismede la suggestion.

5. Crémvité et contrôle.

Je dis la crédivité; ce mot appartient à Durand, deCros.

« La crédivité, que les théologiens appellent « LaFoi » nous est donnée afin que nous puissions croiresurparole, sans exiger des preuves rationnelles oumatérielles à l'appui. C'est un lien moral des plusimportants; sans lui, pas d'éducation, pas de tradi-tion, pas d'histoire, pas de transaction, pas de pactesocial; car, étant étrangers à toute impulsion de cesentiment, tout témoignageserait pour nous commenon avenu, et les assurances les plus véhémentesde

notre meilleur ami, nous annonçantd'une voix hale-

tante que notre maison prend feu, ou que notre en-fant se noie, nous trouveraient aussi froids, aussiimpassibles, que si l'on se fût contentéde dire « Il

fait beau » ou il pleut ». Notre esprit resterait fixe

et imperturbable dans Péquiligre du doute; et l'évi-dence aurait seule puissancede Fan, faire sortir. Enun mot, croire sans la crédivité serait aussi difficile

que voir sans la vue; ce serait radicalement impos-sible. »

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La crédivitéest une propriété normale du cerveau.Quand cette crédivité devientexcessive, elle s'appelle

crédulité. La crédivité est physiologique; la crédu-

lité est une infirmitéLa suggestibilité n'est pas proportionnelleà la

crédulité. Tel sujet très crédule accepte volontiers

toutes les idées qu'on lui suggère; mais son cerveau,

comme nous l'avons dit, ne réussit pas à transformer

toutes les idées en actes; il ne peut, par exemple,

réaliser ni anesthésie,ni hallucinations, parce que ledynamisme cérébral qui doit faire ces phénomènes

est insuffisant.D'autre part la puissance idéodynamique de cer-

taines idées qui se réalisent n'implique pas toujours

l'absence de contrôle; la suggestibilitégrande n'im-plique pas toujours une crédulité excessive; j'ai vudes sujets hallucinables, sachant très bien qu'ilsavaient une hallucination suggérée, que l'image vuen'était pas réelle, qui n'y croyaient pas, et cependant

ne pouvaientla chasser. J'ai vu des médecins mor-phinomanes,ou alcooliques, très intelligents,discu-

tant avec sagacité toutes les conséquences de leurfuneste passion, essayant, armés de leur raison, delutter contreelle, sanssuccès.Le besoind'alcoolou demorphineest trop impérieux souvent chez eux pourque leur logique, la plus affinée, puisse la combattre.Les impulsifs, les obsédés ne sont pas des crédulesdépourvus de raisonnement, agissant par foi aveugle,simples automates; ce sont des individus qui nerésistent pas, malgré le contrôle, à l'empire de cer-

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taines idées. N'avons-nous pas tous en certaines cir-constances certaines impulsions irrésistibles Idéesimpérieuses, iddodynamisme suffisant pour la réa-lisation de ces idées, guand elles sont réalisables,voilà en un mot ce qui constitue la suggestibilité.

Tous ces mécanismesde suggestionconstituent dela physiologieou de la psycho-physiologienormalec'est la mise en activitéde la suggestibilité,propriétéinhérente au cerveau humain, variable suivant lessujets, variable aussi suivant les phénomènes sug-gérés à chaque individualité, suggestibilité qui peutêtre exagérée dans certains états d'âme ou dans lesommeil normal. Ces états d'âme n'ont rien de pa-thologique, à moins d'admettre que le sommeil natu-rel ou l'action imposée par l'éloquencepersuasiveneconstituent des phénomènespathologiques.

Mais, dira-t-on, tous ces faits de la vie courante.c'estbiende la psychologie normale 1C'esttropsimple

pour être de la suggestion. Ce qui caractérisece mot,c'est l'étrangeté, la singularité des phénomènesdéterminés par elle. Quand on voit un sujet hypno-tisé faire de la catalepsie, de l'analgésie,des halluci-nations, des actes extraordinairesqui ne semblentpasen rapport avec sa mentalité normale, on ne peuts'empêcherde voir là unechoseanormaleantiphysio-logique, et c'est à ces phénomènes seuls qu'on veutréserver le mot de suggestion. Ma conceptionseraittrop compréhensive, trop simpliste. La suggestionserait toujours de l'hypnotisme à l'état de veille.

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CHAPITRE III

Phénomènes expérimentauxdesuggestion. Catalepsieexpérimentale et spontanée. Contracture. Mou-vements automatiques, Paralysies. Suggestionsdiverses de motilité.

Étudions donc ces phénomènesdéterminés par lasuggestion que les auteurs attribuentà un état parti-culier du cerveau, état hypnotique, et que je consi-dère commesusceptiblesd'être réalisés par un méca-nisme physiologiquedu cerveau normal sans hypno-tisme.

i. CATALEPSIE EXPÉRIMENTAIS.

Et d'abord la catalepsie,. Quand un sujet a étéhypnotisé, soit par les anciennes passes, soit par la

'fixation d'un point brillant (Braid), soit par la sug-gestion verbale (Liébeault) on observe souvent cephénomène. Je lève un de ses bras en l'air il yreste et garde l'attitudedonnée je lève l'autre bras;il y reste aussi je fléchis un doigt ou plusieurs, ils

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conservent les positions que je leur donne, quelquebizarres qu'elles soient. Chez les uns, cela se faitd'emblée chez d'autres les membres soulevés brus-quement retombent, mais si je les maintiens en l'airpendant quelques secondes, le sujet comme sugges-tionné par l'idée qu'il doit les maintenirdans l'atti-tude imprimée, les maintient. D'autres enfin ne lesmaintiennentpas spontanément mais si je leur-dis

« Votre bras reste comme je le mets » alors la sug-gestion verbale se réalise et la catalepsie a lieu. Lesmembrespeuvent ainsi rester en l'air pendantao mi-nutes, une demi-heure,plus ou moins jusqu'à ce quela fatigue les fasse tomber graduellement ou brus-quement.

Cette catalepsieoffre des degrés variables. Chez les

uns, les brasétanten l'air, il suffitqueje leur imprimeun petit mouvement pour qu'ils retombenten résolu-tion c'estlacatalepsie jlaccide. Chezd'autres, le brascataieptisé poussé de haut en bas, tom be un peu avecune certaine résistance, mais s'arrête en route et re-monte à sa place comme un ressort; les doigts déflé-chis se remettent en fiexion c'est la catalepsie élas-tique ou cireuse.

Chez d'autres enfin, les membres cataleptisés ri-gides peuvent à peine être mobilisés par une impul-sion donnée ils restent figés en contracture; c'est lacatalepsie rigide; et cette rigidité peut être commetétanique.

Dans les membres inférieurs, la catalepsie s'obtientplus rarement en raison de la pesanteur et de la

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fatigue; elle exige un effort plus considérable dusujet. Dans certains cas seulement de catalepsie téta-nique, on peut provoquer un véritableopisthotonos,la tête renverséeen arrière sur une chaise, les pieds

sur une autre, la nuque et le corps restant tétanisésenarc de cercle entre ces deux appuis.

Cette catalepsie rigidepeut être irrésistible; le sujetne peut la vaincre; je le défiede le faire; il essaye derésoudre sa contracture et de mobiliser ses membressans le pouvoir. D'autres, si je les défie, arrivent à larésoudre. Tousles degrés, existent, d'ailleurs, entre lacatalepsie souple et la catalepsie tétanique la sug-gestion verbale, alors que le sujet ne peut pas sponta-nément en dépit de ses efforts changer l'attitudeim-primée, restaure la souplesse et la mobilisation.

Cette attitudesingulièrecataleptiformequi impres-sionne les observateurset sembleau premierabord unphénomène anormal déterminé par des manœuvresspécialeshypnotiquesou suggestives n'est, en réalité,qu'un phénomènebanal que beaucoupde sujets pré-sentent normalement, sans artifice de préparation.Dans un service d'hôpital, il suffit de le chercherpour le trouver. Beaucoup de maiades ou même dessujets bien portants, gardent le bras dans la positionqu'on leur donne; ce sont surtoutceux qui ont peud'initiative,peu d'activité cérébrale ils gardent l'atti-tude imprimée comme ils gardent les idées qu'onleur donne; soit qu'ils croient devoir la garder, soitque leurcerveau n'ait pas assez de spontanéitépour lamodifier. Quand on lève leur bras, cela est pour eux

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déjà une suggestion, et machinalement, ils font uneffort qui va jusqu'à la contracture pour fixer le

membre dans la position qu'on lui a donnée. Cette

attitude cataleptiformeimprimée,cette cataleptibilitédes sujets me sert souvent de moyen pour coter le

degré de suggestibilité.Quand le sujet garde les bras

dans des attitudes bizarres et les immobilise en rai-deur, sans que j'aie fait aucune suggestion verbale,c'est une preuve en général qu'il est très suggestible.

Les sujets qui ne sont pas cataleptisablesdans leurétat normal, peuvent le devenir dans certaines mala-dies qui produisent une certaine torpeur cérébraleetdiminuent son activité, dans la fièvre typhoide, parexemple, dans la stupeur mélancolique, dans le

sommeil hystérique, dans les psychoses qui concen-trent et figent le cerveau avec aboulie. Cependant lapossibilité de réaliser la catalepsie indique que le

cerveaufonctionnel existe avec sa suggestibilité puis-qu'il garde l'impressionet fait un effort pour la main-tenir. Aussi la cataleptibilité me sert aussi clinique-

ment à différencier le coma, le sommeil inconscient,la stupeur totale avec inertie cérébrale, d'avec la sim-ple torpeur, d'avec le sommeil nerveux. Car dans les

états où le cerveauest fonctionnellementaboli, il n'y

a pas de catalepsie, il y a résolution.Voici :par exemple un malade atteint de fièvre ty-

phorde avec simple inertie cérébrale sans stupeurprofonde; l'oeil fixe, le masque impassible,hébété, il

garde les attitudes impriméesà ses bras sesmembres

même deviennentrigides lorsqu'on les étendou qu'on

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cherche à les fléchir, peut-être parce que le tonusmusculaire, fonction spinale, s'exagère quandl'actioncérébrale, modératricedes réflexes spinaux, estdimi-nuée. Si l'adynamiecérébraleaugmente, si la stupeurdevient complète,si le cerveau est fonctionnellementannihilé ou bien s'il délire et reste étranger aux im-pressions du monde extérieur,dans ce cas, il n'y aplus de catalepsie. Celle-ci indique donc un certaindegré d'activité cérébralepersistante.

8. Catalepsie SPONTANÉE.

Ces faits expérimentauxpermettent, ce me semble,de mieux interpréter les observations de catalepsiespontanée ou pathologique.C'est toujours une émo-tion vive qui semble concentrer le sensorium et pro-duire une torpeur cérébrale catalçptigène.Exemple

une fille de cinq ans, citée par Tissot (i), ayant étéun jour vivement choquée de ce que sa sœur avaitenlevé pendant le repas un morceau dont elle avaitelle-même envie, devint raide tout d'un coup. Lamain qu'elle avait étendue sur le plat, avec sa cuil-ler, demeuradans cet état durantune heure.

Un militaire dont parle Henri François (a), s'étantpris de querelle avec un de ses camarades,saisit unebouteillepour le frapper; mais au même instant, son

Tissot, Œuvres complètes, t. II, chap. 21.(a) François, Recherches sur la catalepsie. Thèse de Paris»

an XI, n»

Page 40: De La Suggestion

bras resta raide et immobile, l'œil ouvert, le regardfurieux, le corps sans mouvement.

Fehr rapporte le cas d'un magistrat qui, injurié aumilieu de son réquisitoire, demeura muet, la bouche

ouverte, les yeux ouverts et menaçant les poings ten-dus vers son insulteur.

Puel fait mention de deux domestiques frappés decatalepsie, aux deux extrémitésde la ville de Genève,pendantun orage au moment où venait d'éclater unviolent coup de tonnerre.

Une femme citée par François Hoffmann étaitprise de catalepsie extatique, quand elle entendaitunpsaumeou un passageretraçant l'amour du Christ.

Rondelet cite le fait d'un prêtre romain qui étaitpris en lisant l'Évangile quand il arrivait au consum-matumest.

Jolly vit une dame pieuse qui tombait en catalepsiependantla messe au moment de l'élévation.

Dans tous ces faits, on le voit, c'est une émotionvive qui surprenant inopinément un sujet, absorbe

toute l'activité cérébraleet immobilise le corps dansl'attitude où il est, et le fige en contracture,que l'ini-tiative du sujet, même quand elle existe, ne peut plus

rompre ce sont des crises d'hystérie émotive avecconvulsiontonique(contracture).Quand après le pre-mier choc, le sujet reprend sa conscience, il trouvela contracture établie, qui peut persister par l'auto-suggestion émotive. Chez ces cataleptiques commechez toutes les hystériques, l'intelligence n'est pasabolie. Une dame de Vesoul dont Levacher et Atta-

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lin (i) ont rapporté l'observation,entendait pendantles accès et reconnaissait les personnes à la voix. Unemalade de Mesnet répondait aux questions qu'onlui adressait et entendait, à distance, le moindrebruit.

Une dame dont l'observation a été recueillie parFavrot (2) répondait par des signes de tête aux ques-tions qu'on lui adressait; après ses accès, elle rendaitcompte de ses sensations et elle disait « Il m'étaitimpossible de bouger, on aurait approché de moi unfer rouge que je n'aurais pas pu m'éloigner. »

Il est probableque dans ces cas de catalepsiespon-tanéeémotive, comme dans la catalepsie expérimen-tale, lasuggestionbienfaitepeutrésoudrelacontractureet restaurer la motilité. L'influencede la suggestioncontre l'impotence fonctionnelleest déjà notée dansde vieilles observations. Faustus cite un malade qui,pendant l'accès, mangeait avidement les alimentsqu'on plaçait dans sa bouche. Coelius Aurelianusrapporte des expériences dans lesquelles il a pu diri-

ger à son gré le globe oculairedu malade. On citedes malades qui obéissaient aux ordres qu'on leurdonnaitverbalement.Ne nous arrive-t-ilpas quelque-fois, lorsqu'une émotion brusque nous surprend,d'être comme sidérés, pétrifiés ? vox faucibus kaesit.Rapidement,le choc se dissipe, et l'impotencecesse.Chez quelques-unselle persiste plus ou moins long-

(1) Hist. acad. des Sciences, ann. 1798, p. 4c,(a) De la catalepsie de !'extase et de l'hystérie. Thèse de

Paris, 1844.

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temps par auto-suggestion c'est la catalepsie justi-

ciablealors, je pense, de la psychothérapiesuggestive.

3. CONTRACTURES ET MOUVEMENTS AUTOMATIQUES.

D'autres phénomènes moteurs que la suggestion

peut réaliser sont de même ordre que l'attitudecata-leptiforme.

Je prends le pouce d'un sujet; je l'applique sur le

bout de son nez je mets le pouce de l'autre main surle petit doigt de la première, de manière à faire le

pied de nez; le sujet suggestible le maintient, la

figure impassible.Souventje le mets au défi d'enlever

ses doigts qui sont, dis-je, comme collés au nez. Il

fait des efforts infructueux, le pouce reste incrusté

dans le nez, qui le suit, quand on veut le détacher

ou s'il s'en détache par un effort violent il y revientaussitôt et cette position se maintient, jusqu'à ce

que je lève la consignesuggestive.Je ferme une main du sujet et je dis Vous ne

pouvez plus l'ouvrir ». La main reste ferméeen con-tracture plus ou moins irrésistible.J'ouvre la main

et je dis « Vous ne pouvezplus la fermer », le sujet

la maintient en extension et résiste aux efforts que je

fais pour fléchir ses doigts. Chez quelques-uns il

suffit, sans faire de suggestionverbale,que je tienne

sa main ouverte ou fermée pendant un certain temps

pourqu'il la maintienne spontanément dans l'attitudeexprimée; il a compris que l'acte que j'ai fait veut

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dire que sa main doit rester comme je l'ai mise. Cesont là, on Je voit,des catalepsies rigides partiellesje produis de même la contracture complète d'unmembre ou de plusieurs membres.

Au lieu de contracture, la suggestion peut pro-duire des mouvementsautomatiques: Je lève les deuxbras horizontalement, et je les tourne l'un autour del'autre. Le sujet continue à les tourner l'un autour del'autre c'est l'automatisme rotatoire. Le phénomènepeut se produire ainsi spontanément, sans que je lecommande, par la simple impulsion donnée. Chezd'autres, il ne se produit que si je dis « Vos brastournent, vous ne pouvez plus les arrêter. » Cet au-tomatisme rotatoire est plus ou moins irrésistible.Quelques sujets arrivent à l'arrêter, si je les mets audéfi. D'autresne le peuvent; ils essaient inutilement,rapprochent leurs bras,les frottent l'un contre l'autre,les arrêtent quelquefois un instant mais les mem-bres entraînés par l'idée suggérée repartent de plusbelle. Si j'arrête l'un des bras et que je le lâche denouveau, il se remet à tourner autour de l'autre,comme un ressort automatique. On peut provoquerde même d'autres mouvementsautomatiques. Et cesexpériences,ainsi que les suivantes, réussissent chezdes sujets l'état de veille parfaite, sans qu'ils aientjamais été endormis, sans qu'ils aient jamais assistéà des expériences de ce genre.

Ajoutons que ces expériences réussissent pluspromptementet se perfectionnentpar l'habitude chezles sujets qui y sont soumisplusieurs fois. Il suffit que

Page 44: De La Suggestion

je lève le bras pour que le sujet devine ce que je

veux faire et lève spontanément l'autre pour fairel'automatisme rotatoire. Je mets un pouce sur le nez,il rapprochel'autre pouceet fait le pied de nez. L'idéefait l'acte.

4. pARALTsœS PSYCHIQUES. SUGGESTIONS DIVERSES

De MOTIUTÉ.

Je fais des mouvements et de la contracture. Jepuis faire aussi de la paralysie par 'affirmation le

sujet ne peut plus remuer ses bras, ni ses jambes

c'est de la paralysie psychique expérimentale loca-

lîséeun membre,ou dans les quatre,augrédu sugges-tionneur. Lesparalysiespsychiquespeuventse réaliserspontanémentpar auto-suggestion.Un maladequiaeu

par exemple une contusion du bras qui l'a immobi-lisé pendant un certain temps a l'idée que son bras

est impotent et ne peut plus le remuer ou le remuefaiblement. Un autre qui, à la suite d'une maladieprolongée, a les jambes faibles, exagère cette faiblesse

et la transforme en paraplégie complète ou incom-plète. Ces paralysiessuggérées expérimentalementouspontanément n'ont pas d'ailleurs des caractèressomatiques spéciaux, comme le pensait l'école de laSalpêtrière leurs caractèresvariablesavec chacunsont

ceux que l'opérateur ou l'imagination du sujet leursuggère elles sont complètes ou incomplètes,flac-

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cides ou rigides, avec ou sans anesthésie,toujoursjusticiables de la psychothérapie.

Tels sont les phénomènes moteurs de suggestion.Les sujets très dociles qui présententcette suggestibi-lité spéciale, la plus fréquente, ressemblentà de vraisautomates actionnés par la volonté de l'opérateur.

Je dis « Levez-vous », il se lève; l'un le fait lente-ment, l'autre avec un peu d'hésitation ou seulementaprès des suggestions impératives répétées;toutes lesvariantes existent. Je dis « Marchez », il marche,

« Asseyez-vous », il s'assied.Je dis « Vous ne pouvez plus avancer », il reste

comme cloué sur le sol. « Vous pouvez marcher

en arrière, pas en avant », il marche à reculons.« Votre jambe droite est paralysée», il traine cettejambe et marche bien avec l'autre. « Vos jambes

ne peuvent plus vous porter », il tombe commeparalysé. On peut multiplier les expériences à l'in-fini, faire des paralysiesvariées, de la contracture,dutorticolis, de la claudication, du tremblement, desmouvementsdésordonnés, tous actes moteurs que lesujet réalise comme il les conçoit.

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CHAPITRE IV

Phénomènes expérimentaux de suggestion. Anesthé-sies sensitivo-sensorielles. Exaltation et perver-sion des sensibitités. Râle de la suggestion médicaleinconscientedans la production de ces phénomènes.Rdie de la suggestion médicale dans les anesthésies.

I. ANESTHÉSIES SENSlTtVO-SENSOMEU.ES SUGOERKES.

La suggestion peut actionner la sensibilité, commeelle actionne la motilité. Elle peut l'annihileret pro-duire de l'anesthésie avec analgésie le sujet ne sentplus qu'on le touche il ne sent plus la douleur. Cer-tains sujets paraissent anesthésiques par le fait del'hypnose seule, sans suggestion spéciale c'est-à-dire

que,quand par suggestion on peut leurdonner l'appa-

rence d'un sommeil profond, ils peuvent être insen-sibles et ne pas réagir par les piqûres.Celaprouve-t-il

que le sommeil dit hypnotique, provoqué, soit unsommeil spécial, sommeil analgésique ? Cette anal-gésie n'existe pas toujours; certains se réveillent outémoignent de la douleur, si on les pique avec

une épingle. L'analgésiepeut exister d'ailleurs dans

Page 47: De La Suggestion

le sommeil naturel. L'activité nerveuse des dor-

meurs est concentrée vers le sensorium l'esprit,absorbé par ses rêves, par sa vie d'imagination,estsouvent indifférent et insensibleaux impressions dumondeextérieur, comme cela peut arriverdans tousles états de concentration psychique. Le soldat grisé

par la chaleur du combat souvent ne constate lablessure reçue que par la vue du sang qui s'écoule.Archimède absorbé par la solution d'un problèmereçoit sans le sentir le coup mortel. Certains aliénés

se mutilent sans manifester aucune sensation. Cer-

tains extatiques souffrent le martyre avec autantd'analgésie que d'héroïsme. Il y a des dormeurs, ditA. Maury, dont le sommeil est si complet qu'on les

touche, on les frappe même, sans les réveiller. Pré-

vost, de Genève,a relaté l'exempled'une personne de

Genève à laquelle il brûla pendant le sommeil uncallus du pied sans qu'elle s'en aperçût.

L'analgésie n'est donc pas une propriété spécialedu sommeil hypnotique.

Chez beaucoup de sujets endormis naturellement

ou parsuggestion, l'analgésieet l'anesthésien'existent

pas spontanément, mais peuvent être réalisées parsuggestion, soit complètement,soit incomplètement.Chez les mêmes, on peut provoquer les mêmes phé-nomènes à l'état de veille, sans sommeil préalable.Voici un individu je le pique avec une épingle; ilréagit vivement; je débouche un flacon d'ammo-niaque sous son nez; il contracte ses narines et re-pousse le flacon. Alors je lui dis « Vous ne sentez

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plus rien; tout votre corps est insensible, je vouspique avec l'épingle, vous ne la sentirez pas je metsl'ammoniaque sous votre nez, vous ne percevrezrien. » Si la suggestion réussit, je puis traverser la

peau avec l'épingle, l'électriser, enfoncer l'épingledans le nez, le soumettre aux émanations d'ammo-niaque il ne sourcille pas. Je puis produire chez luides anesthésies sensorielles, de la cécité, de la sur-dité, de l'anosmie, de l'agueusie psychiquesunilaté-rales, ou bilatérales et ces phénomènes provoqués

sont très impressionnants.D'autres ne sont pas susceptibles d'être analgésiés,

bien qu'on puisse produire chez eux d'autres phéno-mènes de suggestion,par exemplede la contracture,de la paralysie et même des hallucinations. Chaqueindividu a ses suggestibilitésspéciales.

2. RÔLE DE LA SUGGESTION MÉDICALEDANS

LES ANESTHÉSIESSENS1T1VO-SENSOR1ELLES.

Ce qui montre combien certaines personnes de-viennent facilement anesthésiques par suggestion,c'est que les médecins font souvent cette anesthésie

par suggestion inconsciente, rien qu'en la cherchant.Rien n'est plus intéressant à cet égard que l'histoirede l'hystérie.Dans tous les livresclassiques, on décrit

comme phénomène fréquentde l'hystérie l'hémianes-thésie sensitivo-sensonelle.Une moitié latérale du

corps, gaucheou droite, est dépourvuede sensibilité

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au toucher et à la douleur. Le malade ne sent pasqu'on le toucheou qu'on le pique de ce côté. Souventen outre du même côté, l'aeil ne voit pas, l'oreillen'entend pas, le goût et l'olfaction sont abolis.

Ce phénomènen'avait jamais été contesté, lorsquej'ai pu établir qu'il n'existepas, ou est excessivementrare, mais qu'il est fabriqué de toutes pièces par lemédecin, sans qu'il s'en doute. Le médecin qui croitque l'anesthésieexiste, communiquecette idée au su-jet soit par la parole, soit par son exploration sugges-tive. Cela arriveinfailliblementdanslesservicesmédi-eauxoù plusieurs hystériques sont réunis, subissentles mêmes recherches,se copient et 'se suggèrent lesmêmes symptômes. Avec quelle facilité, le médecinest exposéà créer cette hémianesthésie voici ce quile démontre.Je connaissais bien la suggestion et ce-cependantjusqu'il y a une quinzaine d'années,jefai-saisencoreà mes hystériquesdela suggestion,à moninsu. Dans la plupart de mes observations publiéesdans mon livre De la suggestion et de ses applica-tions à la thérapeutigue (1886) et encore dans la1"éditiondémonlivre Hypaotisme,Suggestion,Psychothérapie l'hémianesthésie sensitivo-senso-rielle est notée.Depuis cette époque, je ne la retrouveplus dans près de 100 observationsrecueilliesdansmon service publiées dans la thèse du docteur Am-selle (i), elle n'a pas été constatée une seule fois. Ilm'a donc fallu un temps assez long pour apprendre

(i)Amsblle,Conceptionde l'hystérie.Thèse de Nancy, igo7.

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à éviter dans mon explorationtout ce qui peutdonnerl'idée de ce symptôme, à l'existenceduquel je croyaisautrefois et je trahissais, comme tous les médecins,

mon idée préconçueen cherchant à la vérifier.Ce n'est pas seulement chez les hystériquesqu'on

est exposé à créer cette anesthésie, mais chez beau-

coup de sujets impressionnables, qui ne sont ni hys-tériques ni neurasthéniques. Les anesthésies psy.chiquessont longuement étudiéesdans la thèse de

mon élève, le docteur Paul Blum (i). Nous revien-drons sur leur mécanisme.

3. Sensibilitésexaltées ou PIMVMTIICS PAR SUGGESTION

EXPÉRIMENTALE.SUGGESTIONMÉDICALEINCONSCIENTE.

Les sensibilités peuvent aussi être exaltées ou per-verties. On peut suggérer une douleur lancinante,une.sensation de brûlure, de démangeaison, de coli-

que, de céphalée, etc. Et l'on sait combien, en cli-nique, ces douleurs autosuggestivessont quelquefoisdifficiles à différencierd'avec les douleursorganiquesd'autant plus qu'elles peuvent être l'exagérationoula continuation psychiqued'une sensation réelle. Unenfant eut une excoriation douloureuseà l'ombilic;l'excoriationguérit, ladouleur,survivaitencore un anaprès, et l'attouchement de la région sensible faisaitcrier l'enfant qui fut guéri presque instantanément

(t) Des anesthésies nerveuses, psychiques ou hystériques,Nancy,

Page 51: De La Suggestion

par la suggestion. Une légère sensibilité à la jambe

peut être transformée par un sensorium impression-nable en une hyperesthésie excessivement doulou-

reuse.Les médecins, par suggestion inconsciente due à

l'exploration des sujets, de même qu'ils créent del'anesthésie, créent encore plus facilement des dou-leurs. On décrit, dans les livresclassiquesdes régions

ou des points douloureux qui suffiraient à signer lediagnostic de certaines maladies; le point de Mac-

Burney serait caractéristiquedel'appendicite; la dou-leur ovarique ou salpingitique, de l'ovarite et de lasalpingite; les points xiphoïdiens, au creux épigas-trique, et le point rachidien correspondant seraientsymptômes de l'ulcère rond de l'estomac;certainesdouleurs vers le rebord costal droit et sur le cou ré-pondant au trajet du nerf phrénique, points nette-mentdélimitésdansleslivres, répondraient à la pieu'résiediaphragmatique;ladouleuriliaquedroite serait

un dessignes de la fièvretyphoïde.Or j'ai pu constater que, dans l'ulcère rond de l'es-

tomac, et dans la fièvre typhoïde, le plus souvent cesdouleurs n'existentpas. Sans doute toute pression aucreux de l'estomac, et dans la fosse iliaque droite,donne de la sensibilité,mais cette sensibilité n'estpasplus vive chez les sujets atteints d'ulcère rondou defièvre typhoïdeque chez d'autresqui n'ont pas ces ma-ladies. Si on appelle sur ce symptôme l'attentiondu sujet, on le précise et on l'exagère, si bien que lemédecin qui attache une importance à ces symp-

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tômes est dupe d'une douleur vive nettement loca-lisée qu'il a lui-même suggérée par son exploration.Dans l'appendicite, la salpingite, l'ovarite, il peut yavoir douleur dans la région correspondante, mais

cette douleur est diffuse. C'est le médecin qui parson exploration peut l'exagéreret en toutcas lui sug-gérer une topographie précise localisée en un pointdéterminé. J'ai vu nombre d'appendicitesopérées àla faveur du point de Mac-Burney bien constaté,

parce que créé par le médecin, et qui n'étaient quedes pseudo-appendicites.Mes fiévreugtyphoidesn'ont

pas de sensibilité dans la fosse iliaque droite. Je n'aijamais constaté les localisations douloureusesbienspéciales dans la pleurésie diaphragmatique, maisj'ai souvent pu les créer chez dessujetsimpressionna-bles qui n'avaientpas cette maladie.J'insiste surcettefacilité chez beaucoupde sujets à créer par autosug-gestion ou par suggestion médicaleinconscientedesmanifestationsdouloureuses qui se précisent avec

une réalité parfaite, parce que la méconnaissancede

cette vérité est féconde en erreurs de diagnostic; et

ces erreurs peuvent entraîner des thérapeutiquesdésastreuses.

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CHAPITRE V

Phénomènesde suggestion. Aberrations sensorielles.Illusions et hallucinatior.s. Hallucinations ac-

tives ou passives. Hallucinations négatives. Cécitéet surdité psychiques.

i. ILLUSIONS FST bm-uicinations suggérées.

La suggestion peut provoquer les aberrations sen-sorielles c'est-à-dire des illusions et des hallucina-tions. Ces phénomènes n'ont rien d'extraordinaire,puisqu'ils se produisent spontanément dans le som-meil, et mêmeà l'étatdeveille cheznoustous, quand,repliés surnous-mêmes,distraitsdu mondeextérieur,étrangers à ce qui se passe autour de nous, concen-trés sur nos pensées, nous voyons les personnes aux-quelles nous pensons, les objets, villes, paysages quenotre imagination évoque, nous rêvons une vie in-térieure que nos sens extériorisent comme uneréalité; et si un ami nous interpelle brusquementpendant cette fantasmagorie rêveuse, toute cette hal-lucinations'efface et nous revenons à la réalité.

L'illusion est une image sensorielle transformée.

Page 54: De La Suggestion

Je suggère à quelqu'un de boire ce verre de vin qui

est en réalitéde l'eau; il voit le vin rouge et le trouvebon; j'ai fait une illusion visuelle et gustative.

L'hallucination est une image sensoriellecréée de

toutes pièces.Je suggère à quelqu'un qu'il a devant lui un verre de

vin, alors qu'il n'y a rien; il voit le verre; c'est unehallucination visuelle; il le sent dans sa main; c'est

une hallucination tactile; il lui trouve une odeuragréable; c'estune hallucination olfactive il sent uneimpression exquise sur le pharynx et l'estomac c'est

une hallucination de sensibilitéde la muqueuse pha-ryngée et gastrique. J'ai donc créé une hallucinationcomplexe, avec réactions corrélatives réaction mo-trice, préhension, déglutition; réaction émotive, sen-sation de bien-être, excitation gaie et mêmegriserie.L'image hallucinatoire est évoquée chez les diverssujets avec plus ou moins de netteté. Chez beaucoupelle ne se dessine pas. Tel ne voit pas distinctement,ilcroit avoir vu, il luisemblequ'ila bu du vin tel autrevoit et sent le verre 6ctif, il le porte à la bouche,mais

sans faire le geste de déglutition tel autre fait cegeste incomplètement, mais ne trouve aucun goût.Entre la perception très nette, l'image nette commela réalité et l'impression vague, indécise, toutes les

nuances existent il en est de même dans le sommeilnaturel,dont les rêves sont variables d'éclat.

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2. HallucinationsACTIVES ET PASSIVES.

Comme dans le sommeil aussi, l'hallucinationsuggérée et les actes corrélatifspeuventêtre actifs oupassifs.

Voici un sujet qui dort et rêve; il se promènedans

un bois désert, il est assailli par des brigands qui luidemandent la bourse ou la vie; ils le dépouillent,l'attachentà un arbre, etc. et pendant tout ce drame,il reste immobile dans son lit, sa figure ne reflète

aucune émotion, sa respiration n'est pas haletante

son pouls ne s'accélère pas; il se réveille sans an-goisse son rêve a étépassif; il a assisté à ce dramecomme si c'était un autre lui-même qui en était lavictime; il n'était pas identifiéavec son rêve.

Tel autre vit son rêve et en subit 4'émotion, touten restant immobile dans son lit, mais sa figure de-vient anxieuse, son pouls se précipite, et sa respira-tion est pénible; et quand il se réveille, il est heu-reux d'être délivré de ce cauchemar.

Tel autre vit son réve, de corps et d'esprit; nonseulement il témoigne l'anxiété, mais il se lève, crie,pleure, se sauve, répond aux questions; il mime etmet son rêve en action, comme si c'était arrivé, c'estdu somnambulisme; c'est une hallucination active,avec actes corrélatifsactifs.

Ainsi en est-il aussi de l'hallucination suggérée,soit à l'état de veille, soit pendant le sommeil pro-

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voqué. Je suggère à un sujet très suggestible « Vousêtes à Paris. Vous vous promenezsur le boulevard.Un ami vous rencontre et vous offre un bock aucafé; vous en offrez un autre, etc. » Le sujet sugges-tionné reste immobile sur sa chaise,comme endormiou concentré en lui-même. Après un certain temps,je l'interpelle; il semblesortird'un rêve et me racontece qui s'est passé, croyant que c'est arrivé. Cepen-dant il a assisté à cette scène que son imagination aévoquée, sans participation active. Il a cru aller,parler, boire, alors qu'il était immobilesur sa chaise,comme le rêveur passif. C'est une hallucinationpas-sive.

Je puis chez quelques-uns activer le même rêve endisant « Levez-vous. Vous êtes à Paris. Voici unami; il vous parle, répondez-lui, etc. » Si c'est unsujetsusceptible de somnambulisme il pourra mettrece rêve provoqué en action, mimer la scène commesi elle était réelle, comme un somnambule spon-tané. Ce sera une hallucinationactive vivante, avecles actes corrélatifs ce sera un somnambulismeartificiel.

L'individualité de chacun intervient sur la façondont les hallucinations s'accomplissentcomme pourtous les autres phénomènes de suggestionqui se per-fectionnent aussi par l'éducation. Certains qui ontl'imagination peu développée ne peuvent réaliserouréalisent imparfaitement; l'imageest douteuse, nébu-leuse c'est un rêve effacé. D'autres qui ont la repré-sentation mentale vive, voient, sentent, entendent

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comme la réalité. De même pour ce qui estdes actescertains sujetstorpides,sansgrande activitéphysique,restent inertes, passifs ils ne peuvent pas mettre enœuvre leurs conceptions imaginaires suggérées; ilfaut les animer, leur suggérer de se lever, de parler,de marcher, pour les amener à mettre leur rêve enaction; et tous ne le peuvent pas. D'autres obéissentd'emblée ou spontanément, jouent la scène qui sedéroule dans leur imagination, avec un entrain, unemimique, une volubilitécomme si c'était arrivé. Lasuggestion ne réalise pas ce qu'elle veut, elle réalisece que le psychisme actionné peut réaliser. Chaquesujet imprime le cachet de son individualité à sa vieimaginative. Figurez-vous un rôle de comédie quevous faites jouer à plusieurs personnes; chacun lejouera à sa façon, avec plus ou moins de vigueuretde vérité. On le voit le somnambule naturel ou ar-tificiel est un sujet qui réalise son rêve et le met enaction; c'est un rêveur actif. Pour justifiercette défi-nition, je relaterai plus loin quelques exemples desomnambulisme provoqué.

3. HALLUCINATIONSnégatives.

Les hallucinationspeuvent être négatives.J'appelleainsi l'effacement par l'esprit d'une image psychiqueréelle ou de plusieurs images. Je suggère à un sujetballucinable qu'il ne verrait pas un objet, parexemple une carafeplacée devant lui il ne la voitpas

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les autres objets sont visibles pour lui. Je lui suggèrequ'il ne me voit pas il ne me voit plus, mais peutm'entendre et sentir ma main souvent,logiquementne me voyant pas, il est convaincuque je n'y suis paset se suggère à lui-mêmequ'il ne m'entend, ni ne mesent. Alors je l'interroge, je lui crie dans l'oreille; il

ne répond pas; je le pince, je le pique, je mets uneépingle dans sa narine ou près de sa cornée, il nesourcille pas. Je donne l'épingleà une autre personnequi le pique ou l'applique contre la cornée; il crie et

se retire vivement. Si c'est une femme, je relève sesjupes et sa chemise, et elle peut continuer à causertranquillement avec les autres personnes, comme side rien n'était. A une jeune fille honnête, je dis queje l'ai rencontrée dans une tenue plus que légère, ouje dis des choses qui provoquent un rire général; lafigure du sujet reste impassible. Tout ce qui émanede moi paraît n'être pas perçu par lui. Je ne connaisrien de plus impressionnant que cette expérience quej'ai répétée avec succès chez beaucoup de sujets trèssuggestibleset hallucinables.

D'ailleursdans toutesles hallucinationscomplexes,telles que nous les réalisons expérimentalement,telles qu'elles se développent spontanément, desimages positives sont neutralisées. Le sujet auquelje fais voir par exemple une grande plaine rempliede monde, avec des ballonset des aéroplanes, effacerales objets existants,c'est-à-dire les perceptionssenso-rielles réelles pour leur substituer les images nouvellesfictives. De même le sujet devant lequel je me rends

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invisible,verra à la placeoccupée par moi, un objetdela chambre,tapisserie,chaise, meuble, que son ima-gination lui suggère pour combler mon vide virtuel.

4. AnESTHÊSIES SENSORIELLESET SENSITIVES PSYCHIQUES.

Les anesthésies sensitives ou sensoriellessuggérées,la cécitéet la surdité psychiquesne sont que des illu-sions négatives; il est facile de le démontrer.

Voici, par exemple, un sujetauquel j'ai suggéré unecécité de l'oeil gauche. L'autre œil fermé, il paraitaveugle. Or, cette cécité n'est qu'une illusion, uneneutralisation parl'imagination des objets perçus;ellen'a pas de cause organique. Le sujet voit avec sa ré-tine il voitavec les yeux du corps; il ne voit pas aveclesyeux de l'esprit. Ainsi en est-il aussi de l'amauroseunilatéralespontanée, dite hystérique, ou nerveuses.

Unesimple expérience le démontreVoici un sujet rendu aveugle de l'œil gauche. Le

droit fermé, il ne voit pas. Or on sait qu'un prismeplacédevant un oeil dévie l'image correspondante etproduit ainsi de la diplopie. Si l'autre œil est fermé,ou ne voit pas, il n'y a pas de diplopie, car il n'y aqu'une seule image.

Le sujet atteint d'amaurose unilatérale psychiquesuggérée ou nerveuse spontanée ne devrait voirqu'une seule image-à travers le prisme, si l'amau-

roseétait réelle. Or il en voit deux, sans hésitation;et ces deux images, également distinctes, corres-

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pondent à la position qu'on donne au prisme. L'œilqui est censé ne pas voir, fournit donc une image,lorsque le sujet, désorientépar cette expérience, et neconnaissant pas la théorie du prisme, ne fait pasinhibition; son esprit trompé n'efface pas alorsl'image perçue. L'appareil de Snellen est confirmatif.On place devant les yeux du sujet une paire delunettesdont l'un des verres est rouge et l'autre vert;et on lui fait lire sur un cadre noir six lettres recou-vertes de carrés de verre alternativement rouges etverts. En regardant, les deux yeux ouverts, onlit les six lettres. En regardant avec un seul oeil,

l'autre étant fermé, on n'en voit que trois, celles

recouvertespar le verre à même couleur que celle du

verre correspondant à l'œil qui regarde, les lettres

rouges, si c'est l'œil à verre rouge qui regarde, leslettresvertes, si c'est l'oeil à verre vert. Cela résalte de

ce que le vertetle rougemélangés font du nôir; si avecun verre rouge on regardedu vert par transparence,on verra du noir. Cela posé, nos sujets atteints decécité psychique unilatérale regardant à travers ceslunettes les six lettres, les lisent toutes,sans hésiteruninstant; ils lisent celles qu'ils sontcensés ne pas voir.Donc l'oeil soi-disant aveugle voit. Si on leur fermealors cet œil, les sujets ne voientplusque trois lettres.

La surdité psychiqueest aussi une simple illusion.Je suggère au sujet de ne plus m'entendre. Je luiparle et crie dans les oreilles, il reste inerte et n'en-tend pas. Si alors je dis: « Vous m'entendrez de

nouveau », il me répond.. J'ai beau lui dire: « Vous

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m'avez bien entendu vous dire que vous alliezentendre de nouveau, donc vous n'étiez pas sourd. »Il est convaincu qu'il n'a rien entendu et ne sait

comment l'ouie est revenue. Je répète l'expérienceplusieurs foissur lui avec le même résultat. Un simu-lateur vrai ne se laisserait pas dépister avec cetteingénuité. Le sourd par suggestion entend, commel'aveugle par suggestion voit; mais il neutralise àchaque instant l'impression perçue et se fait accroirequ'il n'a pas entendu.

Onpeutpardesexpériencesanaloguesdémontrerqueles anesthésies gustativeet olfactive sont de même na-ture. Voici, par exemple, un sujet affecté d'anesthésieolfactivegauche.On introduituneépingledans la fossenasale de ce côté, ou du vinaigre; rien n'est senti, ni

perçu. A droite la sensibilitéexiste. Si alors je poussele pinceau trempé dans le vinaigre, en arrière jus-qu'au pharynx, de façon à ce que les émanationsarrivent dans la fosse nasale droite qui doit sentir,le sujet ne comprenant pas cette manoeuvre, inhibeaussi la sensation à droite et ne sent pas le goût duvinaigre; c'est donc une inhibition psychique.

De même, si je mets du sel sur le côté gauche dela langue rendu anesthésique, il n'est pas perçu.Alors, sans que le sujet s'en doute, et ayant l'air deconstater simplement l'insensibilité du côté gauchede la langue, j'étends le sel sur le côté droit, le sujetcontinue à ne rien percevoir c'est doncencore l'ima-gination qui fait tout.

Il en est de même de l'anesthésietactile. Un grand

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nombre d'expériences le démontre. Voici par exemple

un sujet qui a une anesthésietotale de la main, psy-chique, suggérée ou spontanée. Je marque avec un

crayon coloré la ligne de démarcation précise au poi-

gnet entre l'anesthésieet la sensibilité normale. Au-

dessous de cette ligne, la piqûre d'épingle n'est passentie, au-dessus elle l'est, cela est bien précis. Or,

si je ferme les yeux du sujet et si je répéta l'expé-

rience, sans qu'il voie la ligne colorée, je constate

que la démarcationn'est plusprécise;à chaqueexplo-

ration, elle se modifie. Si les yeux du sujet étant

fermés, sans qu'il s'en doute, je recule la ligne de

a centimètres sur l'avant-bras, et qu'alors, les yeuxdu sujet étant ouverts, j'explore de nouveau avecl'épingle, je constateque la nouvelle frontière entre

les deux zones correspond à la nouvelle ligne; le

sujet est tombé dans le piège.La main gaucheétant anesthésique, la main droite

ayant conservé sa sensibilité normale, j'enchevêtre

les doigts d'une main avec ceux de l'autre, et alors

avec une épingle, je pique alternativement, sansrégularité, les doigts de l'une ou de l'autre main,

sensibles et non sensibles; si l'anesthésie est réelle,

le sujet devrait dire exactementle nombre des sensa-tions perçues. Or, comme dans cet enchevêtrementde

doigts, il ne différencie pas nettementles piq6resfaites

du côté gauche ou droit, il se trompe toujours et ne

peut apprécierle nombre des coupsd'épingles perçus.Voici une autre expériencecurieuse et démonstra-

tive. L'anesthésique d'un membre, gauche, par

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exemple, peut avoir la perte de la notion de la posi-

tion du membre. Je tiens ses yeux clos et mets sonbras en l'air, il ne sait pas où est sa main gauche, si

elle est couchée, ou si elle est en l'air. Invité à la

chercher avec la main droite, il ne la trouve pas, oula trouve difficilement en suivant la poitrine et la

racine du membre jusqu'à la main. Si je mets, sur le

chemin de la main qui cherche,ma propre main, il la

prend, croyant que c'est la sienne. Souvent il y aplus. Non seulement la main sensible ne trouve pasla main insensible, mais elle évite de la trouver, elle

la fuit, comme si actionnéepar l'idéequ'ellene doitpassavoir où elle est, alors quecependant elle pourrait lasentir. Et ceci arrive dans l'anesthésie psychiquener-veuse spontanéecomme dans celle que nous provo-quons. C'est d'une ingénuité naïve inconsciente.

Alors je dis que je magnétisela main gauche insen-sible, et je fais un simulacre d'aimantation j'ajoute

« Maintenant la main droite va être attirée par lamain gauche qui ne sent pas, mais qui agit commeun aimant. » Le sujet manque rarement de tomberdans ce piège. Soit immédiatement s'il a bien com-pris, soit avec un peu d'insistance, s'il est d'abordhésitant, la main gauche finit par aller spontanément

vers la main droite, montrant ainsi que le sujet lasent et la dirige, que la notion du sens musculaire,comme celle du sens tactile,estconservée,qu'elle étaitsimplementneutraliséepar une illusion négative.

Ainsi en est-il aussi de la grande hallucination né-gative totale, que j'ai faite, quand j'ai suggéré l'esca-

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motagepsychique de ma personne.Le sujet qui ne m'ani vu, ni entendu, qui se laissait enfoncer des épin-gles, soulever la jupe, injurier sans protester, étaitdominé par une pure illusion. La preuve, c'est queje puis réveiller tous les souvenirs,comme on le peuttoujours, même quand le sujet ayant eu l'apparenced'un sommeil profond, semble avoir perdu tous les

souvenirs des expériences faites nous reviendrons

sur cette amnésie. Si je dis au sujet en appuyant mamain sur son front pour concentrer son esprit

« Vous allez vous rappeler tout ce que je vous ai dit,

tout ce que je vous ai fait, pendantque je n'y étais

pas », il commence par dire « Mais je ne puis rien

me rappeler,vous n'étiez pas là ». J'insiste en fixant

sonattention et lui fermant les yeux,affirmant « qu'ildoit tout de même se souvenir de quelque chose ».Après peu de temps, les souvenirs reviennent, à songrand étonnement comme ceux d'un rêve momentanément effacé, non éteint « Vous m'avez mis uneépingle dans le nez vous l'avez placée devant monoeil. » « Et puis, qu'est-ce que je vous ai dit. »

« Vous m'avezditque j'étais une mauvaise fille ? »

« Et puis qu'est-ce que je vous ai fait encore ?»

« Vous m'avez soulevé ma chemise. » Elle rougit etajoute « Je ne me serais pas laissé faire. »

Cette expérience saisissante répétée sur diverssujets montre bien qu'en réalité ils voient. sentent,entendent; mais l'esprit actionné par l'idée semble

effacer par une amnésie superposéeimmédiatetoutesles perceptionsémanant de moi.

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CHAPITRE VI

Phénomènesde suggestion.-Hallucinationsrétro-actives.Souvenirs fictifspar suggestion. Faux témoi-

gnagea dans les affairesjudiciaires,faits de bonnefoi.Conclusionspratiques.

1. HALLUCINATIONSrétroactives.

Je puis créer des hallucinations rétro-actives, etj'insiste un peu sur ce phénomène, en raison de sonimportance, surtout médico-légale. J'appelle de cenom les souvenirsillusoires de faits qui n'ont jamaisexisté et que je puis suggérer à beaucoup de sujetstrès suggestibles, très hallucinables.

Voici par exemple une de mes clientes dont jeconnaissais la suggestibilité,à laquelle sans l'en-dormir, je dis un jour « Vous êtes allée hier goûterchez le pâtissierde la rue des Dominicains.Vous avezpris un gâteau. Pendant que vous causiez, un chienest venu et vous l'a enlevé, etc. » La cliente écoute,étonnée;puisaprèsun court instantdeconcentration,elle me dit: «Comment le savez-vous? » « J'aipassé devant la boutique. » Et je lui fais raconter la

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scène dans tous ses détails, les personnes qu'elle arencontrées, la conversation qu'elle a eue, le genrede gâteaux qu'elle a acheté, dont elle avait avalé lamoitié, le petit fox blanc qui a sauté sur elle pour luienlever l'autre moitié, les excuses de la maîtresse duchien qui lui a offert un autre gâteau. Elley ajoutede

son propre cru, continuant à se suggestionner elle-même elle revoit la scène et croit que c'est arrivé.Ainsi certains menteurs de bonne foi, quelquefoispartis d'un point de départvrai,grossissent,ajoutent,modifient au gré de leur imagination, dupes eux-mêmes de leur mensonge.

Mes premièresexpériencesde cegenre ontété faites,il y a plus de vingt-cinq ans, sur des somnambulesendormies, alors que je croyais encore le sommeilprovoqué nécessaire pour créer des hallucinations.

A une de mes somnambules de la clinique, femmetrès intelligente, je dis dans le sommeil provoqué

« Vous vous êtes levée cette nuit ». Elle dit non.J'insiste « Vous vous êtes levée quatre fois cettenuit pour aller à la selle et la quatrième fois vousêtes tombée sur le nez. Vous vous souviendrez decela au réveil. » A son réveil, en effet, elle me racontercela j'ai beau lui dire qu'elle a rêvé et qu'aucunemalade ne l'a vue se lever; elle est convaincuequece n'est pas un rêve, que c'est la réalité.

Un autrejourpendant son sommeil,je lui demandedans quelle maison elle habite et quels sont ses co-lo-cataires. Elle me dit entre autres que le premier étage

est habité par une famille, parents, plusieurs petites

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filles et un vieux garçon restant chez eux. Alors jelui dis ce qui suit « Le 3 août, il y a quatre mois etdemi, à 3 heures de l'après-midi, vous rentriez chez

vous. Arrivée au premier étage, vous avez entendudes cris sortant d'une chambre; vous avez regardé

par le trou de la serrure vous avez vu le vieux

garçon commettantun viol sur la plus jeune fille;

vous l'avez vu la petitefille se débattait; il avait mis

un ¡bâillon sur sa bouche vous avez été tellementsaisie que vous êtes rentrée chez vous et que vousn'avez rien osé dire. Si la justice vient faire uneenquête sur le crime, vous direz la vérité. » A sonréveille ne lui parle plus de ce fait. Trois jours aprèsje prie mon ami, maître Grillon, d'interroger cettefemme comme s'il était juge d'instruction. En monabsence elle lui a conté les faits dans tous leurs dé-tails, avec les noms de la victime, du criminel,l'heure exacte du crime. M'étant approché de son litaprès la déposition, elle le répéta devant moi. Je luidemandai si c'était bien la vérité, si elle n'avait pasrêvé, si ce n'était pas une suggestion comme cellesque j'avais l'habitude de lui faire, je l'engageai à sedéfier d'elle-même. Elle maintint son témoignage,prête à l'affirmersous serment.

Cela fait, je l'endormis de nouveau pour effacercette suggestion je le ferais aujourd'hui sans l'en-dormir « Tout ce que vous avez dit au juge d'ins-truction n'est pas vous n'avez rien vu le 3 août.Vous ne vous rappelez même pas que vous avez vule juge d'instruction vous ne l'avez pas vu. » A son

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réveil,je dis « Qu'avez-vousdit à Monsieurtantôt r»« Je n'ai rien dit 1 » -«Comment, vous n'avez

rien dit? réplique le magistrat. Vous m'avez parléd'un crime qui a eu lieu le 3 août dans votre maison;

vous avez vu le nommé X. etc. »La pauvre femme

reste interdite. Je dus l'endormir de nouveau et

passer l'éponge sur cette scène dramatique. A sonnouveau réveil, le souvenir de tout semblait effacé

sans retour si bien que le lendemain, conversantavec elle sur les gens de sa maison, elle m'en parlanaturellement comme si jamais il n'en avait été ques-tion entre nous.

On voit que ces souvenirs fictifs peuvent donnerlieu à de faux témoignagesfaits de bonne foi. Et cesfaux témoignages peuvent même être collectifs; le

souvenir fictif peut se transmettre par contagion sur-tout chez les enfants.

A l'appui de cette assertion, voici une expérience:Un jeune homme, compositeur d'imprimerie, assezintelligent, laborieux,honnête,était dans mon service

pour une sciatique il était très suggestible et hallu-cinable. Un jour, en présence d'un de mes collègues,je lui dis « Vous voyez ce Monsieur hier, dans la

rue, vous l'avez rencontré, causant avec plusieurspersonnes; il s'est approché de vous, vous a donné

des coups de canne et a pris l'argent qui était dans

votre poche. Racontez-moicommentcela s'estpassé. »

Le jeune homme raconta immédiatement « Hier, à

3 heures, je traversais la place de l'Académie. J'ai vuMonsieur causant à haute voix avec plusieurs per-

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sonnes. Tout à coup, je ne sais pourquoi, il vient àmoi, me donne des coups de canne, met sa maindans ma poche et me prend mon argent. » -« Est ce

bien vrai ? lui dis-je. C'est moi qui viens de vous lesuggérer.» « C'est parfaitement vrai. Ce n'est pasune suggestion. » « Quelle est votre profession ? »

lui dis-je. « de travaille à l'imprimerie Berger-Levrault j'ai composé pour la Revue médicale del'Est.» -« Eh bien, savez-vous quel est ce Mon-sieur? » « Non, je ne le connais pas. » « C'estle docteurS. le rédacteur en chefde la Revue mé-dicale de l'Est. Vous n'allez pas me soutenir qu'undocteur comme Monsieur a battu et volé sans causeun pauvre garçon comme vous. » « C'est vrai, je

ne sais pas pourquoi,mais je ne peux pas dire le con-traire, puisque c'est vrai. » « Voyons,vous êtes unhonnête garçon,vous avez de la religion? » « Oui,Monsieur. » « On n'accuse pas quelqu'un sansêtre absolumentsûr de son fait. Si le commissaire depolice vient vous interroger, que direz-vous ? »« Je dirai la vérité. Il m'a donné des coups de canneet pris mon argent. »– « Et vous jureriez? Êtes-vous

assez sûr de vous, pour jurer ? Faites attention. C'estpeut-être une simple illusion, un rêve? » « Je lejurerais devant le Christ. » « C'est peut-être quel-qu'un qui ressemble à Monsieur. » « C'est Mon-sieur je suis absolument sûr. »

Pendant cette conversationse trouvaient à côté denous trois enfants.

L'un, âgé de 14 ans, tuberculeux, intelligent,

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instruit,honnête, très suggestible. Je dis à cet enfant

« Tu as entendu ce jeune homme te raconter cela cematin. » Sans hésiter, il répond « Oui, Monsieur. »

«Qu'est-cequ'il t'a raconté ?»- «Qu'un Monsieurl'avait battu et lui avait volé son argent. » « Oùcela? » lui dis-je. « A l'hôpital. » « Mais non, il

vient de nous dire que c'est place de l'Académie.Donc tu ne sais rien, il ne t'a rien dit. » L'enfant,

sans se déconcerter « Je ne me rappelle pas où celas'est passé, mais il m'a raconté qu'il avait été battu

et volé. » « Quand est-ce qu'il t'a raconté cela? »

« Ce matin, à 7 heures et demie. »- « Allons,luidis-je, il ne faut pas me dire des choses qui ne sontpas, » et je fais semblant de me fâcher « Monsieur

ne t'a rien dit; c'est moi qui te le fais dite. Tu es unhonnête garçon. Il ne faut pas inventer par complai-

sance. » « Monsieur,je vous assure qu'il me l'a ra-conté ce matin. » « Si le commissaire de police tele demande,que diras-tu ?» « Je dirai ce qu'il m'araconté. » « Tu jureras ? » « Je le jurerai. »

Un second enfant,âgé de 14 ans, atteint de para-lysie infantile est à côté, assez intelligent; il lit etécrit correctement et n'a pas de manifestation ner-veuse. « Tu étais là, lui dis-je, quand ton cama-rade a raconté qu'il a été battu et volé? » Sanshésiter « Oui, Monsieur. » « Quand a-t-il ra-conté cela?» « Ce matin à 7 heures et demie. »

« Voyons 1 Il ne faut pas répéter cela comme unperroquetparce que tu viens de l'entendre dire main-tenant. L'as-tu entendu de la bouche de ce jeune

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homme ce matin ? » « Oui, Monsieur, ce matinà 7 heures et demie. » « Tu le jures. » « Jele jure. »

Enfin dans le lit voisin est un enfant de g ans.convalescent de pleurésie, sans tare nerveuse, sug-gestible.- « Tu l'as entendu aussi ? » lui dis-je. Ilhésite « Je ne me rappelle pas bien. » J'in-siste « Rappelles-toi bien il l'a raconté devanttoi ce matin. N'aies pas peur. Tu peux le dire, si tule sais. » Il se recueille quelques instants, puisaffirme:-«C'estvrai, je l'ai entendu.»- «Quand ? »

« Ce matin, à 7 heures et demie. » « Quoi ? »« Qu'un Monsieurl'avait battu et lui avait volé

son argent. » « Es-tu bien sûr que tu l'as entenduraconter ?Toutà l'heure, tu ne te rappelais pas. Il nefaut pas le dire, si tu n'es pas sûr. Tu l'as entenduraconter à l'instant même devant moi, mais pas cematin à 7 heures et demie. » « Si Monsieur, jesuis parfaitementsûr. »

Le lendemain le jeune imprimeurquitte l'hôpital.Avant son départ, je le fais venir dans mon cabinetet là, seul avec lui, je lui dis Voyons, mon ami,dites-moi la vérité Vous avez accusé hier le doc-teur de vous avoir battu et volé. Avouez que vousavez voulu vous amuser. Vous avez cru me faireplaisiren ayant l'air de croire ce que je vous disais.Maintenant que nous sommes seuls, dites-moi qu'iln'en est rien. » Il me répond « Je vous jure quec'est vrai. Je passais place de l'Académie, il s'estapproché de moi avec sa canne, m'a donné des coups

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et pris l'argent de ma poche. Je n'avais pas d'argent,mais dix sous de monnaie. Je ne les ai plus. »Pourquoi un médecin prendrait-il quelques sous à

un pauvre garçon Ce n'estpas croyable. » « Je nesais pas pourquoi, mais il me les a pris. »

Voici une expérience du même genre sur unadulte.

Il s'agit d'un simple tuberculeux âgé de 37 ans,suggestible, sans phénomènes nerveux. Mon regrettécollègue V. Parisot étant au service, je dis à cethomme « Vous connaissez bien Monsieur. »

« Non, Monsieur. » « Êtes-vous sorti hier di-manche ? » « Oui, Monsieur. » « Eh bienrappelez-vous. Vous avez rencontré Monsieur, etcomme vous l'avez coudoyé en passant tout près delui, il vous a donné un coup de canne. Vous vousrappelez bien ? » Après quelques instants « Ahoui, dit-il, c'était dans la rue Jean-Lamour; je ren-trais chez moi, Monsieur m'a donné un coup de

canne qui m'a fait très mal. »-« Ètes-vous biensûr?C'est moi qui vous l'ai fait dire. » « C'est par-faitement vrai. C'est bien Monsieur. » « C'estunesuggestion, un rêve que je vous ai donné. »«Mais non, Monsieur, c'est bien vrai. J'ai bien sentila douleur à la jambe et je la sens encore. » Et ilpersiste dans son affirmation.

Dans la même salle, en face de lui est un malade,âgé de 34 ans, atteint d'insuffisance mitrale, sanstrouble nerveux, très suggestible. Je l'interpelle à dis-tance « Est-ce vrai, lui dis-je, que V. vous a raconté

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cela hier soir ». Sans hésiter « Oui, Monsieur,hier soir, en rentrant, il m'a raconté Je viens derecevoir un coupde canned'un Monsieur, en passantrue Jean-Lamour. Quel Monsieur ? Il ne m'apas dit qui il ne leconnaissait pas 1 »Je m'approchedeson lit et je lui dis « Voyons, mon ami, il nefaut riendire dontvous ne soyez sûr. N'affirmez pas par com-plaisance. Il n'a pas reçu de coup de canne. C'est unesuggestionque je lui ai faite.»-«Cependantilme l'aaffirmé hier soir.»-«A quelle heure?» «A quatreheures et demie en m'apportant un neuf de Pâques. »

Et il me montre un œuf de Pâques qui était dansle tiroir de sa table de nuit. V. m'affirme en effet luiavoir apporté un œuf; il en avait acheté deux et ilme montre son congénère de même couleur dansson tiroir. Coïncidence remarquable. Le souvenirfictif provoqué chez ce sujet était associé dans sonesprit à un fait réel. Le témoignage était corroborépar ce fait incontestable: l'œuf était là 1 Et voyezcomment en justice ce témoignage acquerrait par làd'importance.

Je pourrais multiplier ces faits. Comme on le voit,ce ne sont pas seulement des enfants qui peuvent debonne foi faire des faux témoignages; ce sont desadultes sérieuxqui comprennent la valeur de ce qu'ilsdisent et ne parlent pas à la légère le souvenir fictifsuggéré est une véritable hallucination rétroactive;l'image de la scène existe dans leur cerveau; ils ontvu, de leurs propres yeux vu, et ne peuvent récuserle témoignage de leurs sens.

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2. FAUX témoignages DE BONNE FOI DANS LES affairesJUDICIAIRES.

L'idéedeces expériences m'a été inspiréeily avingt-cinq ans par un procès hongrois qui passionnait vive-ment à cette époque l'opinion publique c'était l'af-faire de llsza-Eslar. Une jeune fille de quatorze ans,appartenant à la confession réformée,disparaît. Dix-neuf famillesjuives habitent ce village hongrois. Bien-tôt le bruitse répand que les juifs l'ont tuée pouravoirson sang c'était la veille de la Pâque ils ont mêléson sang chrétien au pain sans levain de leur pâque.Un cadavre repêché plus tard dans le Theiss est re-connu par six personnes comme étant celui de lajeune fille; mais la mère restait incrédule et d'autrestémoins, choisis par elle, refusèrent de reconnaîtrele cadavre. Mais la passion antisémitique était sou-levée l'opinion était faite. Treize malheureux juifsfurent arrêtés. Le juge d'instruction, grand ennemid'Israël, s'occupeavec une activité féroce à confirmerla conjecturequesa haine aveugle a conçue.Le sacris-tain de la synagogue avait un fils âgé de treize ansil le cita devant lui. L'enfant ne savait rien du meur-tre. Mais le juge, voulantà toute force établir ce qu'ilcroitêtre la vérité, le confie au commissairede sûreté,expert pour extorquer des aveux celui-ci l'amènedans sa maison. Quelquesheuresaprès, l'enfantavaitavoué; son père avait attiré la jeune fille chez lui,puis l'avait envoyée à la synagogue; l'enfant avait

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entendu un cri, était sorti, avait collé son oeil à laserrure du temple, avait vu Esther étendue à terretrois hommes la tenaient; le boucher la saignait à la

gorge et recueillait son sang dans deux assiettes.Séquestré pendant trois mois, confié à un gardien

qui ne le quitte pas, l'enfant, arrivé à l'audience, per-siste dans ses aveux la vue de son malheureux père

et de ses douze corréligionnairesque la potence me-nace, les supplicationsles plusardentespourl'engagerà dire la vérité, les pleurs et les malédictions, rien nel'émeut; il répète sans se lasser les mêmes chosesdans les mêmes termes. L'enfantd'ailleurs a été con-verti par les suggestionneurs peut-être inconscients,suggestionnéseux-mêmes par leur fanatisme.

La vérité d'ailleurs se fit jour, et les accusés furentacquittés.

Le docteur Motet, qui ne connaissait pas mes expé-riences, a relaté quelques faits de faux témoignagesdes enfants devant la justice. Je rappellele suivant.

Lasègne, racontait qu'un jour il eut à intervenirdans une affaire grave. Un négociant chemisier estappelé chez le juge d'instruction sous l'inculpationd'attentat à la pudeur sur un enfant de dix ans. Ilproteste en termes indignés, il affirme qu'il n'a pasquittésa maison de commerceà l'heure où aurait étécommis l'attentat dont on l'accuse. Voici commentavait pris naissance cette fable l'enfant avait faitl'école buissonniére et il était rentré à la maison long-temps après l'heure habituelle.A son arrivée, sa mère,

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inquiète, lui demande d'où il vient. Il balbutie elle le

presse de questions; elle s'imagine qu'il a pu être

victime d'un attentat à la pudeur; et, lancée sur cettepiste, on ne sait pourquoi, elle interrogedans ce sens;et quand le père arrive, c'est elle qui, devant l'enfant,

raconte l'histoire telle qu'elle l'a créée. L'enfant la

retient, la sait par cœur, et quand on lui demandes'il reconnaîtrait la maison où il a été conduitpar ceMonsieur, il désigne la demeure du négociant: etl'histoire ainsi complétée est acceptée jusqu'aujouroù il a été possiblede reconstituer l'escapade et de

réduire à néant une fable dont les conséquencesau-raient été si graves.

Ce ne sont pas seulement les témoins qui sontsusceptiblesde faux témoignages par souvenirs fictifs

créés chez eux; les accusés eux-mêmes, influencés

par l'interrogation, peuvent se croire coupables etcroient que c'est arrivé. Mon regretté ami Liegeois

relate l'histoire suivante.Une jeune fille comparaiten novembre 1868 devant

le tribunal correctionnel de Vie sous la préventiond'avoir supprimé l'enfant dont elle avait accouché.

La sage-femme avait affirmé qu'elle était accouchée.

L'accuséenia d'abord. Mais le commissairedepolice,

ayant procédé à son interrogatoire, lui demanda « si

elle n'aurait pas placé son enfant dans le réduit à

porcs de la maison où elle habitait ». Après bien des

hésitations, elle a fini par dire qu'elle l'y avait mis.La sage-femme entendue par le juge d'instructiondit bien que c'est elle qui lui avait fourni cette indi-

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cation. « Je lui ai demandé si elle n'avait pas déposéson enfant dans le réduit à porcs. » Elle repoussad'abord bien loin cette pensée que j'avais puis, elleavoua que j'avais bien deviné. Interrogéeunesecondefois par le juge d'instruction, elle renouvelle sesaveux, en les précisant « J'ai pris mon enfant, j'aiouvert la porte de la loge des porcs,et je l'ai lancé aufond de cette loge. Je ne crois pas qu'il ait crié et jene l'ai pas entendu remuer. » Le médecincantonal deDieuzevisitela prévenue, conclut qu'elle avait accou-chéetquel'accouchementdataitd'environvingt-quatreheures. La prévenuefut condamnéeà six mois de pri-son. Quandelle se présenta à la prison, on reconnutqu'elle était dans un état de grossesse très avancéeelle accoucha le a5 décembre 1868 d'une fille bienconstituée, à terme.

L'erreur de la sage-femme et des médecinsavaientconfirmé l'accusation et le faux témoignage de l'ac-cusée contre elle-même.

La suggestion expérimentale,on le voit, en créantdes souvenirsfictifs, des hallucinations rétroactives,ne fait pas de phénomènesinsolites elle reproduitce qui dans la vie normale peut se produire, ce quela psychologiede l'homme peut réaliser.

3. CONCLUSIONSPRATIQUHS.

Si j'ai insisté sur ces faits, c'est qu'ils sont grosde conséquence au point de vue juridique et médico-

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légal. Le magistrat doit les connaître et se défier delui-même. Comme le médecin qui est exposé à créerchez son malade des symptômesqu'il n'a pas, à exté-riorisersur lui ses propres conceptions,de même le

juge d'instructionest exposé à imposer ses idées pré-

conçuesaux témoins, et à leur dicter, à son insu, desfaux témoignages. S'il est prévenu de cette caused'erreur, s'il a assisté à des expériences dans le genrede celles que j'ai signalées, alors seulement il saurase tenir en garde. Quand il aura plusieurs témoins à

interroger, il ne les interrogera pas d'abord l'un enprésence de l'autre, mais séparément, avant de lesconfronter. Qu'arrive-t-il en général, quand undrame s'est passé dans la rue, et qu'un certain nom-bre de témoins viennent déposer? Interrogés séparé-

ment, chacun raconte l'histoire à sa façon les sou-venirs réels, au bout de peu de temps, sontdéjà défor-més dans chaque imagination chacun substitue enpartie ses impressions ou autosuggestionsà la réalitévraie. Rien n'est plus difficile à établir que la vérité.

Si les témoins sont interrogésen présence l'un del'autre et que le premier raconte l'affaire avec préci-sion, et sans hésitation, souvent tous les autres sui-

vent et confirmentla versionde leur chefde file, con-vaincusque c'est arrivé comme il a dit, ne se doutant

pas qu'ils ont pu être suggestionnéspar lui. Cela estd'observation journalière.

Le juge d'instruction éclairé sur ces faits s'appli-

quera à ne pas influencer les témoins, ni même l'ac-cusé il les laissera parler, s'ils parlent; il écoutera

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les dépositions,sans les dicter avec l'habitude et le

flair que donne l'expérience des hommes, il sauracoter la suggestibilité de chacun, dans une certaine

mesure il cherchera à discerner le mensonge del'autosuggestion.

S'il soupçonne celle-ci, un interrogatoire, habile-ment dirigé dans ce but expérimentalpour ainsi dire,

pourra lui permettre de coter la suggestibilité dutémoin. Voici, par exemple, un individu qui, dans

une altercationavec un autre, prétend avoirété battu,volé, etc. je soupçonneque son récit est exagéré eten partie imaginaire, déformé par l'autosuggestion.Chargé del'instruction, j'ai l'air d'accepterson dire, yajoutant du mien, suggérant moi-même des détailsqui, s'ils sont acceptés par le témoin, trahissent sasuggestibilité. Je dis, par exemple « Quand il s'estsauvé avec votre argent, vous m'avezdit qu'il a laissétomberune pièceet l'a ramassée.Vous vous souvenezbien de ce fait ?» Si l'accusateur tombe dans le piègeet affirme ce souvenir, il s'est trahi lui-même. Tousles menteurs ne sont pas de mauvaise foi tous nesont pas non plus de-bonne foi. Mais que d'erreurscommises par la justice, par la médecine, par lasociété,par la religionà la faveur de l'idée préconçue,quand elle n'est pas rectifiée par une psychologieéclairée à la lumière des faits que je viens d'exposer 1

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CHAPITRE VII

Du sommeil provoqué dit hypnotique. Procédés.

Degrés de sommeil. Classificationde Liébeault.

1. SOMMEIL PAR suggestion. PROCÉDÉS.

Tous les phénomènesdécritsdans les pages qui pré-

cèdent moteurs,sensitifs, sensoriels,illusions,hallu-

cination, sont fonction de la suggestibilitéhumaine

le cerveaupeut-lesréaliserexpérimentalement,comme

il les réalise spontanément;c'est ce que j'ai cherché

à mettre en évidence pour chacun de ces phéno-

mènes. Le sommeil dit hypnotique n'est pas néces-

saire pour leur manifestation.Le sommeil lui-même est un acte organique que la

suggestion peut déterminer chez quelques-uns; mais

ce sommeil provoqué par suggestionn'a rien de spé-

cial et il n'est pas nécessairepréalablement,comme

je l'ai dit, pour la réalisation des autres phéno-

mènes.Le sommeil provoqué est appelé, depuis Braid,

sommeil hypnotique. Toutefois Braid ne propose ce

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nom que pour le sommeil profond avec amnésie auréveil.

Tous les procédés employés pour obtenir ce som-meil ou hypnose qui ne diffère pas en réalité, commeje l'ai dit, du sommeil naturel, se réduisent à la sug-gestion. Liébeault employait directement la sugges-tion verbale, affirmant à la personne à endormir lessignes du sommeil, somnolence, pesanteur de pau-pières, isolement du monde extérieur, et lui enjoi-gnant par insinuation douce ou ordre ferme dedormir. C'est le systèmede la mère qui instinctive-ment berce son enfant en chantantet lui insinuantle sommeil d'une voix douce ou plus énergique, sil'enfant résiste.

Les anciensprocédés, passes magnétiques,attouche-ments, excitations sensorielles, etc., ne réussissentque lorsqu'ils sont associés à l'idée donnée au sujet,qu'ils ont pour but de faire dormir. Braid a pu, ilest vrai, endormir des sujets par la fixation d'unpoint brillant, sans les prévenir qu'ils allaientdormir. Mais la fatigue de paupières déterminée parcette fixation est une sensation qui suggère à certainsl'idée du sommeil. Il est des personnes très impres-sionnables qui ne peuvent fixer un objetbrillantsansque leurs yeux se ferment; et ils ne peuvent tenirles yeux clos quelques instants sans s'endormir; carl'occlusion des yeux, l'absence d'impressions vi-suelles, l'obscuritéconcentrant l'esprit sur lui-mêmeet l'empêchant de se distraire parles impressions dumonde extérieur, créent l'image du sommeil. C'est

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une sensation qui réveille les sensationsassociées quipréludent au sommeil.

De même les impressionsmonotones, faibles, con-tinues sur un sens, le murmure des flots, un coursdébité lentement et sans animation, une incantationdont le rythme simple et invariable captive l'oreille,

sans parler à l'intelligence, tout ce qui immobilisela pensée sur une sensation unique peut l'engourdir

et produire une douce somnolence; l'engourdisse-

ment est une suggestionau sommeil.Les prétendueszones hypnogènesqu'on décritchez

les hystériques, dont le seul attouchement provo-querait l'hypnose, n'existent pas en dehors de la sug-gestion elles ne sont hypnogènes que lorsque le

sujet sait qu'elles doivent l'étre; et on peut chez les

sujets suggestibles localiser ces prétendues zones adlibitum.

On trouve dans les livres sur l'hypnotisme, ycompris encore les miens, la longue et fastidieusedescription des procédés employés par les diversmagnétiseursou hypnotiseurs pour obtenir l'état ditautrefois magnétique ou hypnotique, qu'on croyait

un état artificiel provoqué à la faveur duquel l'or-ganisme manifestait les phénomènesque nous avonsdécrits; les successeurs de Braid même continuèrent

ces procédés empiriquement, soit par fixation des

yeux, soit par des passes. Voici le procédé qu'em-ployait Charles Richet en 1884:

« Je prends chacun des pouces du sujet dans unemain et je les serre fortement, mais d'une manière

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assez uniforme. Je prolongecette manoeuvre pendanttrois à quatre minutes; en général les personnesnerveuses ressentent déjà une certaine pesanteurdans les bras, aux coudes et surtout aux poignets.Puis je fais des passes, en portant les mains étenduessur la tête, le front, les épaules, mais surtout les pau-pières. Les passes consistent à faire des mouvementsuniformes de haut en bas, au-devant des yeux,comme si, en abaissant les mains, on pouvait fairefermer les paupières. Au début de ces tentatives, jepensais qu'il était nécessaire de faire fixer un objetquelconque par le patient, mais il m'a semblé quec'était là une complication inutile. La fixation duregard a peut-être quelque influence, mais elle n'estpas indispensable. »

Chaque auteur varie ses manipulations. Toutesréussissent, ou aucune ne réussit, suivant que lesujet a ou n'a pas l'idée qu'il va dormir. Ce ne sontpas les manoeuvre, c'est sa foi qui l'endort. AussiLiébeault, supprimant les passes et la fascination,endort parla simple suggestion. On crée le sommeil,comme on crée les autres phénomènes de suggestionquand le sujet peut le réaliser. Souvent il ne le peutpas, alors même qu'il peut réaliser de la catalepsie,de la contracture, de l'anesthésie, par exemple.

2. DEGRÉS DE sommeil.

Il y a d'ailleurs des degrés de sommeilvariables. Ilen est qui, après la suggestion du sommeil, restent

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les yeux clos, immobiles, cataleptisables; on peutprovoquer chez eux de l'anesthésie,de la contracture,de l'automatisme rotatoire; et ils disent pendant leprétendu sommeil qu'ils ne dorment pas; ou aprèsle prétendu réveil qu'ils n'ont pas dormi; ils ontassisté en pleine connaissance de cause aux phéno-mènes provoquéssur eux.

D'autres ont toute l'apparence du sommeil pro-fond, avec amnésieau réveil.

D'autres accusent seulement de la somnolence,de l'engourdissement,de la difficultéde soulever les

paupières il en est qui en dépit de tous leurs efforts

ne peuventpas ouvrir les yeux et qui cependantn'ont

pas la conscience de dormir. Liébeault considéraittous ces états comme des degrés de sommeil, commedes états passifs ou états hypnotiques.Voici la classi-fication de ces divers états.

Il établit deux sortes de sommeil: le sommeilléger et le sommeil profond ou somnambulique.

Le sommeil légercomportequatre degrés

Premier degré. Somnolence caractérisée parde la torpeur, de l'assoupissement,de la pesanteurdetète, de la difficulté à souleverles paupières.En 1886,6,06 p. 100 ont présenté ces signes.

Deuxiémedegré. Sommeil léger caractérisé enoutre par un commencement de catalepsie. Lessujets peuvent encore modifier l'attitude de leurmembre si on les défie 17,48 p. 100 étaient cedegré.

T.roisiéme degré. Sommeil léger plus profond

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engourdissement,catalepsie, aptitude à exécuter desmouvementsautomatiques; le sujet n'a plus assez devolonté pour arrêter l'automatisme rotatoire sug-géré 35,89 p. roo de sujets.

Quatrièmedegré. -Sommeil léger intermédiaire;outre la catalepsie, l'automatisme rotatoire, les sujetsne peuvent porter leur attention que sur l'hypnoti-seur et n'ont gardé le souvenir au réveil que de cequi s'est passé entre eux et lui 7,22 p. 100.

Le sommeil profond ou somnambulique a deuxdegrés:

i° Le sommeil somnambulique ordinaire caracté-risé par l'amnésie complète au réveil, et l'hallucina-bilité pendant le sommeil; les hallucinations s'effa-cent au réveil. Les sujets sont soumis à la volonté del'hypnotiseur:24,94 p. ioo.

2° Le sommeil somnambulique profond carac-térisé par l'amnésie au réveil, l'hallucinabilitéhypno-tique et post-hypnotique; soumission absolue àl'hypnotiseur: 4,16 p. ioo.

Cette classification est purementartificielle,commetoutes celles qui ont été faites; elle date d'une époqueoù dominait encore la conception de l'hypnose ousommeil provoqué. La constatation de la catalepsie,de l'automatisme rotatoire, d'hallucinabilité impli-quait l'idée d'hypnotisme, et alorspuisque l'existencede ces phénomènescaractérisaitprécisément cet étatdit hypnotique, il fallait bien expliquer les cas où lesujet affirmait ne pas dormir, en imaginant les som-meils ou hypnoses incomplètes à divers degrés. En

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réalité, comme nous l'avons vu, tous ces phénomènesexistent à l'état de veille. Certains sujets peuventêtre endormis, même avec amnésie au réveil; etcependant ils ne sont pas hallucinables, ni anesthé-siables. La facilité de provoquer ces divers phéno-mènes,c'est-à-direla suggestibilité, n'est pas en rap-port avec tintensité du somsneil. Le sommeil n'est

pas, comme on le pensait, la condition sine quâ nondes phénomènesdits hypnotiques, que j'appelle phé-nomènes de suggestion, parmi lesquelsse trouve, aumême titre que les autres, sans les dominer, le som-meil lui-même.

Il est souvent difficile, d'ailleurs, de dire si unsujet auquel on a suggéré le sommeil, a réellementdormi. Commentdéfinir le sommeil ? Quand nousavons eu des symptômes précurseurs de somnolenceprogressive, et que nous avons plus tard le sentimentde réveil, avec,amnésie, ou souvenir de rêves, nousconcluons que nous avons dormi. Quand nousvoyons quelqu'un les yeux clos, immobileou n'ayant

que de légers mouvements automatiques, ne répon-dant pas aux questions, ronflant, et se réveiller gra-duellement en se frottantlesyeux, ne se souvenantde

rien, nous concluons qu'il a dormi. Nousne connais-

sons le sommeil que par ses symptômesobjectifs ousubjectifs.

Il est certain que beaucoupde sujets dorment réel-

lement par suggestion; ils en accusent les symp-tômeset en ont l'apparence.

D'autres n'ont aucune apparencede sommeil; ils

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ont les yeux ouverts, répondent aux questions, vont,viennent; ils disent qu'ils dorment, si on le leur dit;mais ils n'ont sans doute que l'illusion du sommeil

que je leur ai suggéré, comme d'autres ont l'illusiond'une anesthésiequi n'est pas réelle. La preuve quece sommeil peut ne pas être une réalité, c'est que jepuis donner à certains sujets lidtusion d'un sommeilrétro-actif qui n'a jamais existé. Je lui dis « Vous

venez de dormir pendant quatre heures. » II en estconvaincuet n'a plus le souvenir de ce qu'il a faitdurant ces quatre heures, alors qu'il était parfaite'ment réveillé.

Le criterium du sommeil, sont-ce les rêves provo-qués ? Est-cel'hallucinabilité ? Elle existe bien à l'étatde veille, spontanément et expérimentalement. Est-cel'inconsciencependant l'état de sommeil, et l'amnésieau réveil ? L'inconsciencen'existe ni dans le sommeilnaturel, ni dans le sommeil provoqué. Dans les deuxon est réveillé par la parole ou un bruit intense, doncon entend. On a décrit une léthargiehypnotique. Jene l'ai jamais constatée. Au degré le plus profond dusommeil provoqué, alors que le patient est inerte,immobile, indifférentà ce qui se passe, en apparence,paraissantréduit à la vie végétative, il entend ce quise passe autour de lui, il m'entend, car je puis en lestimulant, en lui disant: « Vous m'entendez, vouspouvez parler », obtenir de lui une réponse ou ungeste.

La catalepsie, la contracture provoquée indiquentdéjà, comme nous l'avous vu, qu'il est conscient.

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L'action de tenir le bras en l'air ou de le contracturerest un phénomènede conscience le comateux, l'apo-plectique inconscient ne le manifestent pas je lève

son bras, il retombe inerte; je ne provoque chez lui,ni catalepsie, ni contracture.

Tous les dormeursprofonds, je le répète, je puis les

réveillerpar la parole. Bien plus, alors que l'amnésieparaît complète,que le sujet n'a plus aucun souvenirde rien, je puis réveiller en lui tous les souvenirs des

paroles qu'on lui a dites, des impressions qu'on lui adonnées, des rêves qu'on lui a provoquéspendant savie de sommeil. Il n'y a donc pas d'inconscience,pasde léthargiedite hypnotique. Ceci m'amène à étudierl'amnésie.

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CHAPITRE VIII

De l'amnésie après le sommeil ou après fétat de sugges-tion sans sommeil. Amnésiecomplète ou incomplète.

Explication de tamnésie. Des souvenirs latents.Amnésie rétro-active. Suggestions post-hypno-

tiques.

i Amnésie après LE SOMMEIL OU APRÈS L'ÉTAT

DE SUGOESTION SANS SOMMEÜ»

Voici un sujetque j'endors. Il a toute l'apparenced'un sommeil profond. Pendant cet état; je lui parle,je le soumets à toutes sortes d'egpériences je le piquepourconstater son analgésie, je l'halluciné, je le faisagiret marcher. Au réveil, il ne se souvientde rien.Toute cette vie somnambulique paraît éteinte pourlui. A-t-il agi commeun simpleautomate ?

Voici un autre sujet auquel j'ai suggéré aussi lesommeil il n'a pas l'apparence d'un sommeil pro-fond spontanément, sans que je l'actionne, il a lesyeux ouverts et répond, comme un homme éveilléc'est un de ceux qui ont seulementl'illusion du som-meil. Il croitqu'il dort, parce que je lui suggère qu'il

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dort, et revenu à son état normal, c'est-à-diresorti del'état de suggestion,il est convaincu qu'il a dormi et

ne se souvient de rien. L'amnésie ne prouve pasd'ailleurs que le sommeil a été réel, car je puis laproduire et elle peut se produire spontanément à la

suite de suggestion à l'état de veille.A un sujet très suggestible, je suggère, sans l'en-

dormir, de commettre un acte impressionnant, parexemple, d'aller chez son voisin, de l'injurier, de luivoler sa montre, etc. Tout cela, il l'accomplit, sansapparence, ni illusion du sommeil, les yeux ouverts;si on l'interroge, il se dit parfaitement éveillé, etmaître de lui. Quand l'acte suggéré est consommé, etqu'il revient à son étatde conscience habituelle, quel-quefois il ne se souvient de rien il est tout aussiamnésique que s'il avait dormi. Tel autre, ne l'est

pas, dans les mêmes conditions pour qu'il le soit,il faut que je lui aie suggéré qu'après l'acte accompli,

il ne se souviendra de rien ainsi l'amnésie, si elle

n'est pas spontanée, peut être provoquée par la sug-gestion.

Ce que je veux conclure de cela, c'est que l'amnésie

ne signe pas le diagnostic de sommeil, c'est qu'elle

n'est pas spécialementdévolue à l'hypnose elle peutêtre consécutive à tous les actes suggérés qui ont vi-

vement impressionné le sujet et créé comme unnouvel état de conscience.

Cette amnésie d'ailleurs n'est pas toujours com-plète. Entre l'amnésie complète et le souvenir com-plet, tous lesdegrés existent. Il en est qui se rappellent

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certaines choses et pas d'autres; ils ont entenduparler, mais ne peuvent répéter ce qui a été dit; lesouvenir est vague. D'autres ne se souviennent derien au réveil. Mais peu à peu, dans la journée, tousleurs souvenirs reviennent ils se rappellent tout cequ'on leur a dit et fait, et les hallucinations qu'onleur a données, comme des rêves. Ces souvenirs hal-lucinatoires lui démontrent qu'il a dormi; mais si ons'est contenté de lui parler, de l'actionner sansl'halluciner, le sujet, retrouvant tous ses souvenirs,peut se figurer de bonne foi qu'il n'a pas été influencé,qu'il n'a pas dormi, qu'il a simulé par complaisance.D'autres conservent aussitôt après le réveil, le sou-venir précis de tout ce qui a été fait pendant le som-meil, alors que, cependant, ils avaient l'aspect et laconsciencede parfaits dormeurs.

N'en est-il pas de même des impressionsdu som-meil naturel Chez l'un, les rêves sont parfaitementprésentsà l'esprit chezl'autre, ils sont vagues, incom-plets, sans précision chez un troisième, ils sont etrestent complètement effacés; chez tel enfin, ils seréveillent seulement au boutd'un certain temps, lienest même qui sans souvenir à l'étatde veille, répètentle même rêve chaque nuit; et ce n'est qu'après plu-sieurs de ces rêves répétés que le souvenir se recons-titue pendant la veille.

Le sommeil, je le répète, n'est donc pas un étatd'inertie inconsciente. Je dis quelquefois « Ne ditesjamais un secret devant une personne endormie, sivous ne voulez pas qu'elle le connaisse. » Elle peut

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l'entendre, l'enregistrer et ce souvenir, latent auréveil, peut revenir à l'état de conscience.

2. EBPLICATION DE L'AMNÉSIE. DES SOUVSNIRSLATENTS.

Comment expliquer l'amnésie après le sommeilspontané, après le sommeilprovoqué,et même, aprèscertaines suggestions faites à l'état de veille ? Voicil'explication de Liébeault. Pendant le sommeil,j'ajoutependant la concentration psychique de l'étatde suggestion,toute l'activitécérébraleest concentrée

vers les centres d'imagination ou ceux que j'appelleidéo-dynamiques.Le cerveau ne reçoit plus d'impres-sions du monde extérieur les sens inertes n'envoientplus rien au sensorium toute l'action nerveuse,toute la lumière nerveuse, si je puis employer cetteexpression figurée, est accumulée au centre, et pro-jetée par lui, sans être distraite à la périphérie, surles images et impressions suggérées à l'imagination

ou évoquées par elle. Ces images ainsi faites et éclai-rées par une lumière plus intense sont nettes etéclatantes. Quand le sujet se réveille, ou revient à

son état normal, toute cette activité nerveuse con-centrée au centre se diffuse de nouveau à la péri-phérie, la lumière nerveuseaccumulées'irradie danstout l'organisme, les organes sensoriels, les facultésde contrôle l'appellent à eux pour contrôler les im-pressions du monde extérieur et de l'organisme lui-même. Dès lors les images de l'état de sommeil ne

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sont plus assez éclairées pour être conscientes ellessont latentes et ne redeviennent visibles à la con-science. que si le même état de concentration psy-chique se reproduit.

Avec quelle facilité, chez certains sujets, les sou-venirs apparaissent et disparaissent, suivant la mo-dification de l'état de conscience,c'est-à-dire suivantl'éclairage psychique, l'expérimentation le démontre.L'occlusion des yeux quelquefois suffit. Voici unenfant. Je lui ferme les yeux et je lui parle « Com-ment t'appelles-tu ? » « Émile Durand. » « Es-tusage ?»-«Oui.»-« Tu es un voleur,un fainéant.Tuas volé ton camarade,etc. » J'ouvre sesyeux « Qu'est-ce que je t'ai dit ? » « Vous ne m'avez rien dit. » Jeferme ses yeux et je répète la question « Qu'est-ceque je t'ai dit ? » Il se rappelle tout « Vous m'avezdemandé mon nom. Vousmavezditquej'ai volé, etc.»Je rouvre ses yeux. Tout est évaporé.

Une jeune femme de mon service avait aussitôtqu'elle s'endormait des peurs et des cauchemars pro-duits par le souvenir des brutalités de son mari di-vorcé. Je lui dis de fermer ses yeux comme si elledormait. Aussitôt sa figure exprime la terreur, elledit « Va-t'en 1 Va-t'en. Je ne veux pas te voir. »Je lui dis de se réveiller.. Elle ouvre les yeux et ne sesouvient de rien. Je .lui dis de les fermer. Elle lesferme et la scène se reconstitue.

Au lieu de procéderpar occlusion des yeux, il suffitque je modifie l'intonation de ma voix pour recon-stituer la vision mentale.Je dis en riant « Vous ne

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voyez rien. » Elle dit non. Je dis alors d'un ton plusdramatique « Vous ne voyez rien maintenant.Immédiatementla concentrationd'esprit, produite parl'intonationsuggestive de ma voix, crée l'image terri-fiante que je puis d'ailleurs effacer complètementparsuggestion.

Par tous ces faits j'établis que les phénomènesdusommeil naturel et artificiel, et ceux de l'état de sug-gestion ne sont pas des phénomènes automatiques,mais des phénomènesde consciencedont le souvenirpeut être latent, mais n'est pas éteint.

Cette conception des souvenirs latents expliquecertains faits qui montrentaussi que le sommeiln'est

pas un état automatique, mais un état conscient pen-dant lequel le cerveau peutpenser et travailler.

Quelqu'un s'endort avec la pensée d'un problèmeà résoudredont il n'a pas trouvé la solution dans lajournée. A son réveil il le trouve résolu dans sa tète.Ce n'est pas la cérébration inconsciente ni l'automa-tisme cérébralqui a travaillé à son insu c'est lui-même qui, pendant le sommeil, consciemment, amédité son problèmeet sans doute à la faveur de laconcentration psychique, non distrait par d'autresimpressions, l'a résolu. Mais au réveil le souvenirdutravail nocturne est latent; iI ne se rappellepas queson esprit a travaillé. Tel Pépaisi qui trouve à son'réveil sur son bureau la sonate du diable qu'il attri-bue au diable, ne se rappelant pas que lui-mêmel'avait composée et écrite la nuit dans un état de con-science somnambulique.

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Rappelons encore ce fait. Quand on s'endortavecl'idée fixe de se réveiller à une heure déterminée,qu'arrive-t-il?Certainsont pendantla nuitlanotioüdutemps qui s'écoule,ou entendent sonner l'heure et seréveillent au moment voulu. D'autres n'ont pas cettenotion ou n'entendent pas sonner ils se réveillent àchaque instant,font de la lumière, regardent l'heure,et se rendorment jusqu'àce que l'heure désignéeap-proche. Pourquoi se réveillent-ils si souvent ? Parcequ'ils sont inquiets pendant leur sommeil, ils ontpeur de manquer l'heure et se réveillent souventpourne pas la manquer. Seulementde cette agitation noc-turne, de cette obsession consciente de l'heure pen-dant le sommeil, ils n'ont plus le souvenir présent auréveil ce souvenir est latent.

3. RÉVEIL SPONTANÉDES SOUVENIRS latents.

Les souvenirslatents se réveillentquelquefoisspon-tanément par une association de souvenirs.Tel rêvenocturne oublié, par exemple discussion avec un ami,est revivifiépar la rencontre fortuite de l'ami en ques-tion et on dit « Tiens, j'ai rêvé de toi ». Je produischez un sujet endormidesphénomènesexpérimentaux,par exemple le transfert d'une catalepsie d'un bras àl'autrepar un aimantou par un simple attouchementdu bras non catalepsié; cela est simplement de la sug-gestion. Au réveil le sujet ne se souvient de rien. Orsi je lève un bras en l'air en catalepsie, et que je touche

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l'autre bras, comme je l'ai fait pendant le sommeil, le

même transfert se produit. Si je provoque pendant lesommeil desphénomènessuggestifs,éternuement, rire,tremblementdans un bras, etc., par l'attouchementdecertaines régions du crâne que je détermine arbi-trairement et auxquelsj'attribue la production de cesactes, pure suggestion, le sujet étant éveillé, l'atta-chement des mêmes régions produira les mêmesphénomènes, sans que le sujet se rappelle les avoirmanifestésétant endormi.

4. RÉVEILPAR SUGGBSTION DES SOUVENIRS LATENTS.

On peut réveillerdirectement les souvenirs de l'état

dit hypnotique. Voici un sujet endormi;je lui parle;il me répond; je lui suggère des actes, des sensations,des hallucinations diverses. Au bout d'un tempsvariable, une heure par exemple, je le réveille; il n'asouvenir de rien; sa vie somnambulique semble ef-

facée pour lui. Mais je lui dis « Vous allez vousrappeler tout ce que je vous ai dit et fait pendant que

vous dormiez », je lui mets en même temps la main

sur le front, comme nous le faisons instinctive-

ment quand nous voulons rappeler un souvenir en

concentrant notreattention; il se repliesur lui-même,réfléchit, rassemble l'activité cérébrale, la lumière

nerveuse, sur les images-souvenirs latents, et cesimages mieux éclairées redeviennent rapidementvisibles à la conscience;il rappellealors tous les faits,

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gestes, actes accomplis pendant son sommeil. Lessouvenirs latents sont restaurés.

On peut aussi empêcher des impressions sugges-tives du sommeilprovoquéd'être latentes au réveil, ensuggérant au sujet pendant ce sommeil de tout serappeler au réveil.

D'autre part le sujet lui-même peut s'affirmer pen-dant son sommeil naturel ou provoqué la conserva-tion de souvenir et alors il peut 1<- retrouverau réveil.Une clienteque j'endormais et qui était amnésiqueau réveil, me disait un jour dans son sommeil « Ilfaut que je n'oublie pas au réveil de vous parler del'accident arrivé à mon fils ». Et à son réveil, ellem'en parla, ne se rappelant pas les autres impres-sions de son sommeil. Le sujet dans ces cas seréveille avec l'idée de ce souvenir et le reconstituepar auto-suggestion, comme je le reconstitue moi-même en lui par suggestion.

Il n'y a donc pas, je le répète, d'amnésie absolue.Tous les souvenirs hypnotiques peuvent se réveillerou être réveillés.

5. Amnésie rétro-activk.

L'amnésiepeutêtre rétroactiveourétrograde,c'est-à-dire qu'ellecomprendnonseulementlesfaitsdusom-meil ou de l'état de suggestion, mais encore les faitsantérieurs qui ont eu lieu avant cet état pendant unlaps de temps variable.J'ai vu souventdes malades que

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j'ai longuement interrogés et examinés en présencedes élèves et fait examiner par eux,avantde les avoirendormis et soumis à des expériences de suggestion;ils se réveillent «près un certain temps et ne se sou-viennent de rien ils croient que j'arrive seulement àleur lit, ne se rappellent pas que je les ai endormis,suggestionnés,nimêmequejeleuraiparlélonguement,en présence des élèves, avantle sommeilprovoqué.Lessouvenirs d'une partie de la vie normale sont abolisen mêmetempsque ceux du sommeil.Certainscroientsortirspontanémentd'unsommeilnaturelprolongé,etdisent qu'ils ne m'ont pas vu entrerdans la salle desmalades, parce qu'ils dormaient. On sait que dans lavie ordinaire, cette même amnésie rétro-active peutse manifesterà la suite de grandes perturbations psy-chiques. On voit des malades, à la suite d'une longuefièvre typhoide, pendant la convalescence, n'ayantplus le souvenir non seulement des faits qui se sontpassés pendant leur période de délire ou de stupeur,mais encore de ceux qui se sont passés pendant lapremière période alors que le cerveau n'était pas pris,que l'intelligence était parfaite et normale. Lamémoire n'estcependant pas lésée d'une façon géné-rale les souvenirs plus anciens sont présents.

Un sujetqui pendant l'ivressea commis mille actesextravagants, quelquefoisrevenu à son état normal.ne se souvient de rien, même pas des circonstancesqui ont précédé son ivresse.

On voit des criminels-impulsifsqui ne se rappel-lent pas avoir perpétré le crime. Toute modification

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considérable passagère d'état de consciencepeut doncdéterminer de l'amnésie qui est parfois rétrograde.

D'autrefois l'amnésie est incomplète; le sujet a unsouvenir vague, confus; il n'avait pas le même étatde conscience;ce n'était pas lui. c'était un autre. Telqui a commis un acte repréhensibledans l'ivresse, etqui se rappelle imparfaitement quelque chose, croitde bonne foi que ce n'est pas lui. Ainsi s'expliquel'attitude singulière et naïve de certains criminels-après le crime. On se rappelle Pranzini, ce chevalierd'industrie, qui assassina une femme galante avecson enfant pour la voler. Le crime commis il allachez sa maîtresse, et lui raconta qu'il avait assisté àun crime épouvantable qu'il relata dans tous sesdétails. « II était caché, disait-il, dans un placard etavaittout vu. Pourvu qu'on ne le soupçonnepas 1 » Ildemande de l'argent pour s'en aller. Tout ceci, ilest vrai pouvait avoir été inventé de toutes pièces parl'assassin très conscient de son crime. Mais aprèsil envoie poste restante les bijoux volés à sa propreadresse M. Pranzini à Marseille. Il se rend danscette ville, distribue les objetsvolés dans les maisonsde tolérance et fait si bien qu'on l'arrête. Il nie tou-jours avoir perpétré son crime. Un autre l'avait fait,il avaitassisté dansunecachette.« Et les bijoux ? »On devait les lui avoir donnés. » II maintintcette ver-sion jusqu'au bout, naïvement, bêtement, sans cher-cher à préciser les détails, niant toujours avec fer-meté qu'il fut l'auteurdu crime. Cependant c'était unescroc intelligent, roublard. Pourquoi cette conduite

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simpliste après le crime, qu'il a cependant accompli

avec préméditation ? Est-ce un simple mensonge ?Il est possible qu'il ait affirmé de bonne foi que cen'était pas lui. Ce n'est pas de sang-froid qu'un es-croc, quelque immoralqu'il soit, poignarde pour lapremière fois deux personnes. Obsédé par l'idée ducrime, décidé à l'accomplir, il était, pendant qu'ill'accomplissait,dans un état d'excitation mentale, deconscience spéciale. Puis l'acte commis, commedégrisé, revenu à son état de conscience normal, il

pouvait de bonne foi s'imaginer l'avoirvu commettrepar un autre lui-même, par un autre que lui-même.

Ceuxqui ontvu certains sujets par suggestion com-mettre un pseudo-crime expérimental, et expliqueralors leur acte naïvement, ou le travestir au gré deleur imagination, et s'en tenir à une interprétationqui ne tient pas debout, comprendront mon hypo-thèse.

6. Suggestionspost-hypnotiques.

Ces considérations sur l'amnésie servent à inter-préter le mécanisme des suggestions post-hypnoti-

ques. On appelle ainsi les suggestionsfaites pendantle sommeil provoquépourse réaliser seulementaprèsle réveil. Je puis aussi suggérerun acte, une émotion,

une sensation, une hallucination post-hypnotique.Si je dis à un sujet endormi « Au réveil vous aurezun accès de rire, ou une crise de larmes, » ces faits

peuvent se réaliser chez lui. Si je dis « Après votre

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réveil, vous trouverez un verre de champagne fictifsur la table, et vous le boirez » au réveil l'halluci-nation pourra avoir lieu. Si je dis « A votre réveil,vous irez voler une montre sur la cheminée », ilpourra commettrecet acte, croyant le faire spontané-ment. Je puis lui donner des hallucinations com-plexes. A son réveil, il entendra de la musique,il verra une musique militaire par la fenêtre, unsoldat agiter un drapeau il criera Vive la France

un autre soldat entre dans sa chambre avec un groschien il met le chien et le soldat à la porte, etc.Toute cette suggestion bizarre, le sujet la vit et lamime, comme si c'était la vérité.

Ce phénomène n'a rien d'extraordinaire, puisquenous savons que chez les sujets très suggestibles, lasuggestibilité et l'hallucinabilité existent à l'état deveille et nous savons d'autre part que les souvenirsde l'état dit hypnotique ne sont pas éteints, maislatents, et que le sujet peut les revivifier. Si on luifait une suggestion pour le réveil, il se suggère lui-même de ne pas l'oublier et se réveille, le souvenirconservé, c'est-à-dire l'idée à réaliser présente à laconsciencesans qu'il en connaisse l'origine.

Mais cette suggestion post-hypnotique peut êtrefaite pour une échéance plus ou moins lointaine. Auréveil le sujet ne se souvient de rien. Il peut resterdes jours et des semaines en apparence complète-ment ignorant de la suggestion faite au jour et àl'heure voulue, elle,. et¿. s son esprit et seréalise. liiivm

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Citons quelques exemples A une jeune fille pa-rente, très intelligente et instruite, qui était dans mafamille,très suggestible, que j'endormisun matinsursa demande pour lui enleverun malaise nerveux, jedis pendant son sommeil « Ce soir après le dînervous irez au piano, vous nous jouerez quelques mor-ceaux et vous terminerez par la valse de Faust ». Lesoir en effet, pendant qu'on était au salon, après ledîner, elle dit « Je vais jouer un peu de piano »Elle s'y dirige,allume les bougies,joue des classiques,puis tout d'un coup entonne la valse de Faust. Re-

venue à sa place, je lui demande « Pourquoi avez-vous joué cette valse ? Aviez-vous l'idée préméditéede le faire ? » Elle dit « Non, je n'y pensais pas, celam'est venu tout.d'un coup. Je ne sais pas ce qui m'apris de jouer lavalsede Faust je ne la joue jamais».Elle fut bien étonnée quand je lui ai dit que c'étaitune suggestion.

Dans les cas suivants, la suggestion a été à uneéchéancebeaucoupplus lointaine.

A une malade de mon service, excellente somnam-bule, je suggère « Mardi prochain, en trois se-maines, c'est-à-dire dans vingt-cinq jours, quand jepasserai devant votre lit, à la visite du matin, vousverrez avec moi, mon collègue P. adjointau maire.Il vous demandera des nouvelles de votre maladieet

vous lui causerez de choses qui vous intéressent».A son réveil, elle ne se souvient de riea et on ne

lui en parle jamais.Le mardi 15 janvier, à la visite, je m'arrête sans

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affectation comme d'habitude à son lit; elle regardeà sa gauche et saluerespectueusement.Après quelquesinstants,elle répond à unequestion fictive « Je vaisbeaucoup mieux, je n'ai plus de douleurs. Malheu-reusement, mongenou reste luxé et je ne puis marchersans appareil ». C'estunearthropathie tabétique.Elleécouteun nouveau propos de son interlocuteur fictif,puis répond « Jevous remerciebeaucoup.Voussavezque j'ai nourri les enfantsde M. B. adjointau maire,votre collègue. Si vous pouviez me recommander àlui, il aiderait peut-être à mon placement dans unhospice ». Elle écoute encore,puis remercie, s'incline,et suit de l'oeil le visiteur fictif jusqu'à la porte.

Saviez-vous, lui demandai-je, que M. P.viendraitvous voir aujourd'hui ? » « Nullement, » dit-elle.

Dans une de mes expériences, la suggestion a étéfaite pour une échéance de 63 jours.

Tous les sujets ne réalisent pas ces suggestionslointaines. Quelques-uns les réalisent seulementquand on les met sur la voie, quand on actionnel'imaginationqui couve, pour ainsi dire, le souvenir,mais qui ne l'aurait pas laissé éclore spontanément.Ainsi en est-il de tous les souvenirs qui ont souventbesoin pour se faire jour d'une suggestion provoca-trice. Voici une de mes expériences j'avais suggéréà un de mes patients que dans cinq jours, quand jele ferais venir à la salle des Conférences,il y verraitun sergent de son ancien régiment, que ce sergentl'accuserait de lui avoir volé sa montre, qu'ils sebattraientet que lui serait renversé.

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Au bout de cinq jours, je le fais venir à la salle desConférence?. Je le fais asseoir et je continue ma con-férence devant les élèves;il est un peu interloquéparla présence de tant de monde l'hallucinationsug-gérée ne se manifestepas. Après plusieurs minutes,j'essaie de les provoquer « Qu'est-ce que vous re-gardez donc là ? » dis-je. « Ah 1 répond-il, c'est

un sergent de mon régiment. Il prétend que je lui aivolé sa montre. Je n'ai rien volé. » II se lève, donnedes coups de poing dans le vide, et tout d'un couptombe comme assommé. Il faut que je l'aide à se re-lever. Il ne voit plus le sergent qui est parti.

7. INTERPRÉTATIONDXS SUGGBSTIONS A LONGUEéchéance.

Comment interpréter ces phénomènes de sugges-tion à longue échéance? Pendant des jours et dessemaines, le sujet ne sembleavoir aucun souvenirdela suggestion faite, il continue savieordinaire commesi de rien n'était et le jour et l'heure venus, le sou-venir renaît brusquement, comme une idée spon-tanée.

Les auteurs n'ont pu s'expliquer ce phénomèneenapparence merveilleux, et qui semble revendiquer

pour l'hypnose un caractèremystérieux.Dira-t-on que danscet état le cerveau a la propriété

de recevoir l'empreinte de l'idée suggérée et de subir

une modification comparableà celui d'un mécanismeà ressort monté ou tendu de façon à produire un

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échappementàun moment donné, commeun réveille-matin réglé pour sonner à une heure déterminée ?C'est une conception qui ne repose sur aucunedonnée anatomique ou physiologique.L'explication

meparaît beaucoupplus simple et le phénomènen'arien de merveilleux, si on se rappelle le mécanismedes souvenirs latents, tel que je l'ai exposé.

Le souvenir de l'acte suggéré, ai-je dit, n'est paseffacé.Le sujet ne reste pas des jours et des semaines,

sans se souvenir. Il s'en souvient en réalité tous lesjours, non pas à l'état de conscience normale, quand

on lui parle, quand son cerveau est actionné par untravail actif, extériorisé par le monde extérieur. Maisl'idée déposée dans le cerveau pendant le sommeilrenaît et redevient consciente, chaque fois que lamême concentrationnerveuse, le même état de con-science, le même éclairage psychique, si je puis dire,

se reproduisent.Alors le sujet concentré,passif,sub-jectif, revivifie l'image-souveniret la revit consciem-ment il se souvientalors de l'ordre reçu, de la sug-gestion commandée; il sait que tel phénomènedoits'accomplir tel jour, il se confirme dans l'idée de nepas l'oublier et de le réaliser au moment voulu,comme le dormeur normal dans l'idée de ne pasmanquer l'heure du réveil il cultive donc ce sou-.venir suggestif. Seulement quand le lui parle et quej'appelle de nouveau son activité nerveuseau dehors,quand il redevientobjectif, la concentration n'existeplus, il revient à son état de conscience normal, etl'image-souvenir est de nouveau latente. Nous avons

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vu combien il est facile souvent expérimentalement,

par occlusion ou fermeture des yeux ou par simplemodification dans l'intonation de la voix, de fairealterner instantanément ces deuxétats de conscience,

avec souvenir ou avec amnésie.Ce qui se produit ex-périmentalement se produit aussi spontanément. Lesujet normal ne se souvient pas le sujet concentré

se souvient et quand le somnambule a accomplil'acte suggéré, revenu à son état normal,il croit debonne foi que l'idée de cet acte est spontanément,fraîchement éclose dans son cerveau il ne se sou-vientplus qu'il s'en est souvenu.

Voici deux expériences qui montrent la réalitéde

mon hypothèse.A une somnambule de mon service, je dis pendant

son sommeil « Jeudi prochain, dans quinze jours,

vous prendrez le verre qui est sur votre table denuit et vous le mettrez dans la valise qui est au pied

de votre lit ». Trois jours après, l'ayant de nouveauendormie, je lui dis « Vous rappelez-vousce que je

vous ai ordonné?» Elle me répond « Je dois mettrele verre dans ma valise, jeudi matin. » « Y avez-vous pensé depuis que je vous l'ai dit? » « Non. »

« Rappelez-vous bien!» -« J'y ai pensé le len-demain matinanheures.» «Êtiez-vous endormie

ou éveillée. » « J'étais assoupie. » Au réveil, plus

aucun souvenir,ni de la suggestion,ni de la conver-sation.

A un sujet, je dis un matin, l'ayant endormi

« Demain matin, à la visite, vous me demanderezsi

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vous devez continuer à prendre du bromure de po-tassium. Vous me demanderez cela comme rensei-gnement, sans savoir que c'est moi qui vous ai dit deme le demander ».

Le lendemain, en présence du docteur AugusteVoisin, j'avais oublié moi-même ma suggestion, etje quittais son lit, lorsqu'il me rappelle et nie de-mande s'il doit continuer à prendre son bromure.

« Pourquoi me demandez-vous cela ? » « Parceque je dois bientôt quitter l'hôpital, et que je désiresavoir s'il faut continuer. » « Pourquoi me de-mandez-vouscela maintenant,et non au momentdevotre départ. » « Je ne sais. C'est une idée quim'est venue. »

Alors je l'endors de nouveau et je lui demande

« Pourquoi m'avez-vous demandé s'il fallait conti-nuer le bromure. » « Pour savoir s'il m'étaitutile. » « Mais pourquoicette question ce matin ? »

« Parce que vous m'avez dit hier de vous ledemander.» -« Avez-voussongé depuis que je vousai dit cela hier matin dans le sommeil, que vousdeviez me poser cette question ? » « J'y ai songécette nuit pendant mon sommeil. » -« Je rêvais quej'avais mal aux jambes et que je devais vous de-mander, s'il fallait continuer le bromure. » Je le ré-veille et il ne se souvient plus dé rien. L'idée de mefaire cette question lui était venue, croyait-il, spon-tanément. Il s'agit d'un vrai phénomène de dédou-blementde consciencequi sera étudié dans le cha-pitre suivant.

Page 108: De La Suggestion

CHAPITRE IX

Observations de somnambulisme provoqué. Types

dèvers. Définition et conception du mot somnambu-

lisme. Somnambulisme spontané du sommeil avec

ou sans hallucinations. Somnambulisme à tétat de

veille. Vie somnambulique. Condition seconde.

Dédoublementde la personnalité. Crimes et délits

en condition seconde. États divers de conscience

dans la vie habituelle avec ou sans amnésie.

i. OBSERVATIONSDE SOMNAMBULISME PROVOQUÉ.

Dans les chapitres qui précèdent nous avons ana-lysé et cherché à interpréter les phénomènes divers

que la suggestion peut réaliser. Nous allons com-pléter cet exposé par l'étude synthétique de quelques

types de somnambulismeprovoquépar la suggestion.

Ces observations déjà anciennes ont été prises et

publiées, il y a longtemps, à mes débuts expéri-

mentaux, à l'époque où je faisais des sujets par le

sommeil provoqué, où je croyais utile d'endormir

pour exalter la suggestibilité.Aujourd'hui je réalise

les mêmes phénomènes, les mêmes types de som-

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nambules, sans suggestion préalable du sommeil,J'ajoute d'ailleurs que je ne fais plus, depuis long-temps, d'expérimentations, je ne fais plus la sugges-tion que dans un but thérapeutique.

OBs. I. X. âgé de 40 ans, cantonnier,conva-lescent d'une commotion cérébrale avec fracturedu rachis, n'a pas d'antécédents nerveux son in-telligence est assez lourde, peu cultivée, mais suf-fisamment équilibrée. Avec un peu d'entraînement,j'arrive à le mettre en sommeil profond et, par sug-gestion, je prolonge son sommeil; je l'ai laissé unefois dormir pendant seize heures consécutives. Je lemetsen catalepsiegénéraleou partielleparsuggestionil garde bras et jambes en l'air, aussi longtemps queje veux, rigides; je produis le trismusou l'extensionforcée des mâchoires, je maintiens la tête fléchie surla poitrine ou inclinée sur le côté en contractureirrésistible.

Il répond rapidement à toutes mes questions. Amon commandement, il se lève, se promène dans lasalle, retourne à sa chaise ou dans son lit, les yeuxfermés, en tâtonnant dans l'obscurité; je lui dis qu'ilne peut pas marcher il reste cloué sur place; je luidis qu'il ne peut marcher qu'à reculons il recule etfait de vains efforts pour avancer.

La sensibilitéest chez lui totalement aboliedans lesommeil; une épingletraverse la peau sansdéterminerde réflexes;on chatouilleses fossesnasales,sonarrière-gorge, on toucheses conjonctives, on l'électrise, il ne

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réagit pas. Je produis des perversions sensorielles; je

lui fais boire de l'eau pour du vin; je lui fais avaler

un gros morceaude sel pour du sucre, il le suce et

trouve que c'est très doux. Cependant cette sugges-tion sensorielle ne réussit pas toujours parfaitement;parfois il trouve que c'est doux, mais aussi un peusalé.

Je lui suggère des actes; il danse, montre le poing,

va fouiller par mon ordre dans la poche d'une per-

sonne que je lui désigne, en retire ce qu'il trouve, le

cache dans son lit; et une demi-heure après, tou-jours par mon ordre, l'y recherche, le remet dans la

poche où il l'a pris, en faisant des excuses à la per-

sonne qu'il a volée.Il accepte toutes les illusions, toutes les halluci-

nations que je lui suggère, soit immédiates pendant

son sommeil, soit comme devant se réaliser après le

réveil.Je le réveille instantanément en lui disant « C'est

fini. » Quelquefois il n'a aucun souvenir de ce qu'il afait, dit et entendu. Ceci arrive surtoutquand je lui

suggère de ne rien se rappeler au réveil. Autrementquand je n'ai pas eu la précaution de faire cette sug-

gestion, souvent il se rappelle tout; il a avalé du

sucre (c'était du sel); il a marché, etc. Un jour je

l'avais fait danser avec une cavalière fictive: je lui

avais fait boire de la bière fictive; puis Je lui avais

fait voir la soeur du service. Le lendemain, celle-ci

me dit que le malade déraisonnait, qu'il racontaità

tout le monde qu'il avait été la veille au soir au bal,

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que je lui avais offert une consommation et qu'ily avait rencontré la sœur. Le rêve suggéré pendantle sommeil était réalisé dans son imagination avectant de netteté, que son souvenir au réveil s'imposaità lui comme une réalité. On peut d'ailleurs, sansl'endormir, à l'état de veille, réaliser chez lui toutesles suggestions.

OBs. II. C'est un malade de mon service, photo-graphe, maigre, souffreteux, atteint depuis dix ans detitubation cérébelleuse due à une tumeurstationnaire,mais sans autre trouble nerveux; l'intelligence estnette; il est docile, doux, dort bien la nuit. Il y atrois ans, il aurait eu quelques accès de somnambu-lisme nocturne, ce qu'il constata par ce fait qu'iltrouva sa besogne achevée le lendemain, sans se rap-peler l'avoir faite. Depuis, il n'a plus rien constatédesemblable.

Après avoirété plusieurs fois endormi par M. Lié-beault, il vient à la clinique. Il s'endortpresque ins-tantanément. Il est cataleptisableet presque insensi-ble par suggestion; il ne réagit pas à l'épingle, nemanifeste aucune douleur, si on tire des étincellesélectriques de son corps; seuls la nuque et l'occiputrestent sensibles à l'étincelle; il y accuse une sensa-tion douloureuse qu'il se rappelle au réveil. Je pro-duis chez lui de la paralysie, de la contracture, desmouvements automatiques; il imite ceux qu'il mevoit faire.

Je produis des illusions sensorielles, de la cécité

Page 112: De La Suggestion

uni ou bilatérale une épingle ou une lumière viverapprochéede la cornée ne le fait pas sourciller.

Je détermine toutes les hallucinations de la vue; il

trouve sur une chaise un caniche imaginaire; il le

touche, craint d'être mordu par lui; j'évoque les

images des personnes qu'il a connues: je lui montreun fils qu'il n'a pas vu depuis huit ans; il le recon-naît et reste comme en extase, en proie à la plus viveémotion, les larmes coulent de ses yeux.

Les illusions du goût sont tout aussi nettes; je luifais avaler du sel en quantité pour du sucre; il trouveque c'est doux; je barbouille sa langue avec du sul-fate de quinine, lui disant que c'est très sucré, etcela immédiatement avant de le réveiller, en ayantsoin de lui affirmer qu'il trouverait le goût du sucredans sa bouche. A son réveil, il perçoit ce goût. Je

lui mets un crayon dans sa bouche, lui affirmantquec'est un cigare. Il lance des bouffées de fumée imagi-

naire et se croit brblé quand je lui mets dans la

bouche le bout soi-disant enflammé.Je lui dis que ce

cigare est trop fort et qu'il va se trouver mal; il est

pris de quintes de toux, a des nausées, des expui-

tions aqueuses, des vertiges, et pâlit. Je lui fais avaler

un verre de champagne fictif; il le trouve fort; je lui

en tais avaler plusieurs. Je dis « L'ivresseestgaie ».Il chante avec des hoquets dans la voix. Je dis

« L'ivresse est triste ». Il pleure et se lamente. Je le

dégrise avecde l'ammoniaque imaginairesous le nez;il se retire en contractant ses narines et fermant les

yeux comme suffoqué par cette odeur; je le fais éter-

Page 113: De La Suggestion

nuer plusieurs fois par une prise de tabacimaginaire.Toutes ces sensations se succèdent instantanément;aussitôt expriméespar moi, son cerveau les adopte etles réalise.

Enfin à mon ordre, il exécute tous les actes que jecommande. Je lui fais voler une montre dans legousset d'une personne je; lui ordonne de me suivrepour la vendre; je le conduis à la pharmacie del'hôpital, boutique de brocanteur imaginaire; il lavend au prix qu'on lui fait et me suit ayant l'aspectd'un voleur. Chemin faisant, je lui fais montrer lepoing à un infirmier, faire le pied de nez à une reli-gieuse. Tout s'accomplit sans hésitation.

Désireux de voir jusqu'où peut aller la puissancede la suggestion chez lui, j'ai un jour provoquéunescène véritablement dramatique. Je lui ai montrécontre une porte un hommeimaginaire et lui dis quecette personne l'avait insulté;je lui donne un pseudo-poignard qui n'était qu'un coupe-papieren métal etlui ordonne d'aller le tuer. Il se précipiteet enfoncerésolument le poignard dans la porte, puis reste fixe,l'œil hagard, tremblantde tous sesmembres.«Qu'avez-vous fait, malheureux ? Le sang coule. Il est mort.La police vient. » II reste terrifié. On l'amène devantmon interne,juged'instruction fictif. «Pourquoiavez-vous tué cet homme ? » « II m'a insulté. » Est-ceque quelqu'unvous a dit de le tuer ?e-C'estM. Bern-heim. » Je lui dis « On va vous emmener devantle procureur. C'estvous seul, de votre proprevolonté,qui avez tué cet homme. Je ne vous ai rien dit. »

Page 114: De La Suggestion

On le mène devant mon chef de clinique faisantfonction de procureur. « Pourquoi avez-vous tué cethomme?» -« Il m'a insulté. »-« 00 ne répond pas à

une insulte par un coup de poignard.Étiez-vous dansla plénitude de vos facultésintellectuelles? On dit quevousaviez le cerveau dérangéparfois.» «Non,mon-sieur »- « On dit que vousêtes sujet à des accès desomnambulisme 1 Est-ce que vous n'auriez pas obéià l'influence d'une autre personnequi vous aurait faitagir? » « Non, monsieur, c'est moi seul qui ai agi de

mapropre initiativeparcequ'il m'a insulté. » -«Son-

gez-y, monsieur, il y va de votre vie. Dites franche-ment, dans votre intérêt, ce qui en est. Devant lejuge d'instruction, vous avez affirmé que l'idée de

tuer cet homme vous avez été suggérée par M. Bern.heim. Vous connaissezbien M. Bernheim, vousallezàl'hôpital,où il vousendort. »-« Jeconnais M. Bern-heim seulement parce que je suis en traitement àl'hôpital pour une maladie nerveuse. Je ne puis pasvous dire qu'il m'a dit de. tuer cet homme, puisqu'ilne m'a rien dit. » Et le procureur improvisé ne putlui faire affirmer autre chose.

Revenu à son état normal, le malade croit avoirdormi paisiblementsursa chaiseetn'aaucunsouvenirdudrame terrible dont il a été l'auteur, des émotionsviolentes qu'il a subies. Ou le promènerait pendantdes heures, en état de soir nambulisme,les yeux ou-verts, on lui imposerait les actes les plus bizarres, onle ramèneraitensuite à la place où on l'a transforméen somnambule pour le ramener à sa vraie nature,

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il ne se rappellerait absolument rien de ce qui s'estpassé dans cette seconde vie somnambulique imposéepar la volonté d'une autre personne. Je puis aussicréer chez lui des changements de personnalité,comme Richeten a cité des exemples.

Je lui dis « Tu as six ans, tu es un enfant, va joueravec les gamins. » Le voilà qui se lève, saute, fait legeste de sortir des chiques de sa poche, les aligneconvenablement, mesure la distance avec la main,vise avec soin, court les remettre en série et continuindéfiniment son jeu avec une précision de détailssurprenant. Il joue de même à l'attrape, à saute-mouton, sautant successivement en augmentantchaquefois la distance par-dessusun ou deux cama-rades imaginaires.

Je lui dis « Vous êtes unejeune fille. » Il baissela tête modestement, ouvre un tiroir, en tire unesacoche, fait le geste de coudre. Quand il en a assez,il va à une table sur laquelle il tapote, comme pourjouer du piano.

Je lui dis « Vous êtes général à la tête de votrearmée. » Il se redresse, s'écrie « En avant 1 »et balance son corps comme s'il était à cheval.

Je lui dis « Vous êtes un brave et saint curé ». Ilprend un air illuminé,regarde le ciel, marche en longet en large, lisant son bréviaire, faisant le signe dela croix,avec un sérieux imperturbableet l'apparencede la réalité.

Je le transformeen animal « Vous êtes un chien. »Il se met à quatre pattes, aboie, fait mine de mordre

Page 116: De La Suggestion

et ne quitte cette posturequequand je lui en ai donnéune autre.

Dans tous ces changements de personnalité, lecaractèrepropre du sujet se réveille, chacun joue sonrôle avec les qualités qui lui sont personnelles,avecles aptitudes dont il dispose.

Notre sujet, qui est timidede son naturel et n'a pasla parole facile, joue le sien presque comme une pan-tomime, il parle peu. Quand on lui endosse une per-sonnalité au-dessusde ses moyens, il essaieen vainde la réaliser. Un jour,je lui dis « Vousêtes avocat,vousavez la parole très facile. Vous êtes au tribunal.Voici l'accusédevant vous. Défendez-le. » Il se placedebout, lève les bras et commence « Le condamnéque je dois défendre. » Le reste ne vient pas. Il bal-butie, s'arrête honteux, laisse tomber la tête et s'en-dort comme épuisé par l'impossibilité de continuerson rôle.

La suggestion ne crée pas de nouvellesaptitudes.

Cas. III. X. blanchisseuse,âgée de 54 ans,est affectée d'ataxie locomotrice avec luxation pararthropathie du genou gauche, sans manifestationnerveuse. C'est une excellente somnambule, sug-gestible à l'état de veille et de sommeil.D'une in-telligence remarquable, elle conçoit avec une mi-mique des plus expressives et s'identifie en vraieartiste avec les rôles qu'on lui suggère.

Voici une séance du 14 avril 1886, sténographiéedans tous ses détails

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« Eh bien, lui dis-je, après l'avoir endormie, vousvoilà bien gaie. Quand est-ce donc votre fête ? »

« C'est le i août. » « C'est aujourd'hui lei août, votre fête. » «Tiens, je ne le croyaispas. »

« Maissi, c'était hier le 14 août.Vous savez bien. »

« Tiens,la saison a marché bien vite. » « Mais

vous savez bien. Voyez, il fait beau temps. Le soleilbrille, entendez les oiseaux qui sifflent, sentez lesarbres en fleurs. » « Ah 1 oui, c'est vrai. » « Ehbien 1 puisque c'est votre fête, vous allez boire duchampagne.Tenez » Elle prend le verre fictifet avale le champagneen faisant des mouvements dedéglutition, puis remet le verre sur la table.

« Cela pique, » dit-elle. « Et maintenant, vousêtes en ribote. » « Déjà en ribote pour cela. Ah 1

ah 1 ah 1 Eh bien 1 qu'est-ceque je fais ? Pour un petit

verre, cela me monte à la téte Ouf 1 Eh 1 eh t » Ellerit, son facies exprime l'ébriété, elle fredonne un airde chanson, rit de nouveau. « Ah! ah oh 1 Celan'est pas tous les jours fête C'est égal, ce n'est pasbeau. On ne doit pas être en ribote comme cela! »

Elle rit « Vous êtes gaie, madame t » «Oui,mon-sieur, c'est drôle. Oh là Écoutez les cloches. J'aisommeil, cela alourdit le vin de Champagne, à latête. » Elle retombe sur son oreiller, la tête illu-minée.

«Allons, je vaisvousdégriser.Voici de l'alcali. »

Je mets ma main sous son nez. Elle se retire vive-ment, fronce les mains, renifle vivement. Je remetsle flacon imaginaire sous son nez, elle se retire de

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nouveau, détourne ma main, tousse, parait suffo-quée « Vous m'asphyxiez, » dit-elle.

« Eh bien vous voilà dégrisée. Vous êtes trèsbien. » Je lui donne alors la suggestionsuivantepourle réveil « Deux minutes après votre réveil, vousverrez une procession traverser la salle, un reposoir,le Saint-Sacrement, vous verrez Monseigneur, toutle clergé, les soeurs avec des cierges, tous les étu-diants vous chanterez le Veni, Creaior. Puis deuxinfirmiersentrerontet feront du scandale pendant lacérémonie.La processionterminée, vous vous endor-mirez de nouveau. Une minute après, vous vous ré-veillerez, et vous recevrez la visite de votre fils quiest à Bourbon-FArchambault,avec son petit vous le

trouverez grandi il montera dans votre lit et vousdonnera des fraises vous en offrirez à ces dames.Quand ils seront partis, vous vous endormirez de

nouveau, vous aurez la visite de M. B. (elle avaitété la nourrice de son fils); il vous donnera des nou-velles de votre ancien nourrisson et vous offrira uneprise de tabac. »

Aussitôt cette suggestion faite, je lui dis « A qui

ce chien qui est sur votre lit ? » « Tiens, c'est à

ma soeur. » Elle le caresse « Ki, ki 1 Petit polisson,va Qu'est-cequi t'a envoyé ? Où est ta maltresse ? »Tu la quittes comme cela 1 Donne la patte 1 Tu esbien gentil 1 Tu veux du sucre, petit coquin. » Elleprend sa valise au chevet du lit, y cherche du sucre

« Gourmand, tu viens toujours pour chercher du

sucre. Tu n'auras pas ce bout. C'est trop gros. » Elle

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cassele morceau, le lui donne et ajoute « Non,monpetit, tu sais. En voilà assez pour toi; tiens, mange,polisson. » Elle le regarde croquer « C'est bon cela.

Va-t'en maintenant, va-t'en vite à ta maîtresse. Po-lisson, si tu te perds ? Il est tout bon, le petit chien. »

« Maintenant,lui dis-je, jevais vous ramènera l'Age

de ao ans, vous êtes jeune, vous êtes chanteuse,vousallez faire votre entrée au Casino et vous chanterez

une chansonnette comique.

« Oh 1 ce n'est pas possible1 Vingt ans 1 Mais jesuis vieille. » « Dans deux minutes vous sereztransformée1 Vousaurezvingt ans.»Ellese recueille,

et au bout de deux minutes « Que c'est joli, c'estmagnifique. » Elle arrange son fichu, prend un airsouriant « C'est très beau cela c'est splendide 1 »

Elle se redressedansson lit « Oh, oh 1 voilà le Direc-

teur. A qui donc ? » Et adressant la parole à unecamarade imaginaire « Est-ce à toi ou à moi ? Est-ceton tour ou le mien ? Allons1 il faut bien que l'unede nous paraisse. Eh bien j'y vais. La sonnette 1

Monsieur, qu'est-ce qu'il faut chanter? Je ne saispas ce qui est inscritsur le répertoire.Oh 1 n'importequoi 1 » Elle salue trois fois gracieusement,et chante

avec gestes et intonationsexpressives:« Mes amours,je suis né en Bretagne, etc. ». La chansonnette ter-minée, elle salue, fait une profonde révérence,puistend la main pour saisir quelque -chose qu'on luioffre. « Oh le beau bouquet, le beaubouquet. Parceque c'est ma fête 1 C'est gentil. » Et se tournantverssa voisine « Ah1 tu as vu ? »

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« Dans une minute, lui dis-je, vous serez un char-retier ivrogne. » Elle se frotte les yeux, et, au boutd'une minute se dresse sur son séant, le tronccambréen arrière, la main étendue, elle allonge un coup defouet « Allons1 Euh 1 Allez1 Hue 1 HueAllonsHue donc Huoh1 Hoh Heuh! lou Vieille bique 1 »Et prenant les brides imaginaires « Vas-tu te cou-cher Allons Yoh 1 Yoh 1 Uht C'est que je ne vaispas bien non plus. Eh toi, là-bas,gamin, passe tonchemin. Hue! hue t la vieille 1 Attention, toi là-bas,laisse passer ma cariole 1 Sch1 EuhEh bien1

Dépêchons-nous1 Eh là, vieille bique 1 Voussentezl'avoine 1 Cela ne fait rien. Je n'ai pas mal bu depuisce matin. Ce n'est pas trop tôt!1 Hue 1 » Et regardantà gauche « Sch1 Je vais arriver, je ne suis pasfâché 1 » Je dis « Paies-tu quelque chose ? »

« C'est toi, Grandjean 1 Qu'est-ceque tu veux que jepaie? Je ne suis pas riche. Allons-y tout de même. Jepaie un petit verre, si tu veux. Tiens 1 un mastro-quet 1 Entrons chez lui. Oh 1 Ioh 1 Reste là, vieillebique. Dépêchons-nous 1 Qu'il ne s'en aille pas 1 J'au-rais un procès-verbal. Garçon, deux petits verres. »Elle trinque et vide son verre fictif « Allons, mavieille, tu ne renouvelles pas Une autre fois 1 Au

revoir, mon vieux, à la prochaine fois, à la re-voyance 1 »

Et tout cela dit avec une intonation de voix àdéfier le plus vrai des charretiers.

« Et maintenant, lui dis-je,vous voilà grande damedans votre carrosse, avec votre laquais. »

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Elle prend un air digne, grave, dédaigneux,s'adosse sur son siège, se recouvre soigneusementavec la couverture de son lit, croise les bras avecmajesté,et d'une voix brève et aristocratique « Queljoli temps 1 Temps splendide 1 JosephConduisez-moi jusqu'à la cascade. Faites attention 1 Allez aupas 1 » Elle salue de la main, sourit à diversesper-sonnes « En voilà du monde 1 » Elle reste silen-cieuse, hautaine pendant deux minutes. Puis « Ah,retournez, faites attention. »

Je dis « Les chevaux s'emballent». Elle « Faitesattention donc 1 Voyons, Joseph 1 Faites attention 1

Ah 1 retenez-les Oh! Oh 1 je vais descendre. Dépê-chez-vousRetenez-les bien vite. Je ne comprendspas que vous ne fassiez pas plus attention. Calmezvos chevaux 1 Arrêtez Arrêtezt Cela n'est pas mal-heureux1 Allons Rentrons 1 Dépêchons-nous1 C'est

tout ce bruit qui les a effrayés. Je ne comprends pasque vous ne fassiez pas plus attention. Je vous ren-verrai si vous ne conduisezpas mieux. »

Je la transforme en caporal « Ah1 caporal1 Quel

régiment donc ? Je suis une femme.» -« Vousallez être transformée en homme et en caporal.Tousvos hommes sont là 1 Yous êtes à leur tête 1 » Elleattend une minute pour évoquer son rôle. Puis, seredressant « Voyons donc, conscrits. Tenez-vousmieuxque cela. Levez la tête! Allons! Alignement 1

Là Bien 1 Attention au commandement 1 Portezarme t Arme au bras 1 Arme sur l'épaule gauche 1

Allons! Alignement! Ne restez pas en arrière, vous 1

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Redressez-vous. Si vous ne vous tenez pas mieux, jevous mets à la salle de police. Une, dcug Une,deux 1 Allez donc 1 Voilà un triste métier. Bestiales,faites donc attention1 Oh 1 AllezI allezI Ah 1 haussezles épaules, tas de bestiales I On a un mal de louppour apprendre à ces ânes-là 1 Comprennent rienAllons 1 Marchons au pas1 Là, tambour, allez Il yen a assez. »

« Maintenant, dis-je, mangez cette orange. Puis unange viendra vous souffler sur les yeux pour vousréveiller? » Elle prend l'orange fictive, la pèle avecsoin, met la pelure sur la table de nuit, en savoureles tranches avec délices, suce le jus, crache lespépins,prend son mouchoir pour s'essuyerla bouche,le remet en place, puis tourne ses yeux fermés enl'air, et les ouvre, la figure illuminée elle continueà regarder en l'air, cherchant l'ange qui l'a réveillée.

« Qu'est-ce que vous regardez ? » « Rien. Je nesais. » « Avez-vous dormi? » « J'ai dormi, jen'en sais rien. »

Au bout de deux minutes « QhI oh 1 regardezdonc la jolie procession. » « C'est un rêve, luidis-je que je vous ai donné. Il n'y a rien. » Elle nerépond pas et continue à regarder, l'air étonné « Lereposoir en face de atoi 1 Monseigneur 1 Le vicaire1

L'aumônier 1 Toutes les chèressœurs avecdescierges!Les étudiants 1 » J'ai beau lui dire que c'est un rêve,elle ne me répond pas. « On va donner la béné-

diction 1 On entonne le Veni,Creator magni-fique, très beau 1 » Elle accompagne mentalement.

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Puis elle croise les mains, prie, fait le signe de lacroix. Elle salue avec humilité « Merci, Monsei-gneur 1 » Puis regardant brusquement autour d'elle,l'air courroucé « Psch 1 Voulez-vous1 Voulez-vous

vous en aller 1 Est-ce le moment de faire du scan-dale ? Regardez donc ces infirmiers qui sont ivres 1

Allez-vousen bien vite. Ce n'est pas honteux, la pro-cession à peine terminée, de venir fairedu scandaleC'est honteux 1 Chut1 Oh cela vous va bien, allez 1

Allez-vous en 1 je ne veux rien savoir de vous. Vous

croyez que cela se passeracomme cela. On saura toutce que vous avez fait.La supérieureva vous chasser. »

Elle regarde du côté de la porte, salue « Elle estpartie, la bénédiction ? »

Toute cette scène se déroule avec une vérité impo-sante. Comme dans le rêve, les incidents évoluentrégulièrement, mais beaucoup plus vite que dans laréalité.

La somnambule se rendort. Au bout d'une minute,elle se réveille et regardant à droite, du côté de laporte, prend un air étonné et ravi. Elle tend les bras,embrasse le vide et s'écrie avec une profonde émo-tion « Bonjour,mongarçon 1 Quellesurprise 1 Pour-quoi ne m'as-tu pas prévenue ? Oh 1 comme il estgrandit Regardez-le! Comme il monte sur mon lit,le trésor1 Ah 1 il est grand. » Elle l'embrasse deuxfois et le prend dans ses bras. Et, avec tendresse« As-tu vu, le polisson, comme il est monté sur monlitl » S'adressant à son fils fictif « Comment sefait-il que tu es venu aujourd'hui, Paul ? » Elle

Page 124: De La Suggestion

l'écoute, puis répond « Ah oui. Tiens 1 un panierde fraises. C'est une primeur. » Elle rit, heureuse,goûte une fraise « Voulez-vous me permettre de

vous en offrir, dit-elle à deux dames présentes entendant le panier imaginaire. Elles sont très bonnes.Vous voulez déjà partir. Cela valait bien la peine ».Elle embrasse de nouveau son fils et son petit-fils

« Embrassez Gabrielle pour moi. Adieu, mon mi-gnon! » Elle le suit de l'œil jusqu'à la porte, l'airému, en continuant à lui envoyer des baisers. Elle

se rendort une troisième fois. Réveilaprès une mi-

nute. Elle regarde vers la porte, l'air étonné « Tiens,monsieurB. Bonjour,monsieur B. On va bien chez

vous? Tant mieux 1 Et mon petit Louis? Je l'appelletoujours petit Louis, parce que je l'ai connu si petit,

et il est grand maintenantJ'ai le rhume 1 Oui unebonne prise de tabac 1 C'est entendu 1 Cela fait dubien 1 » Elle fait le geste de priser, éternue deux fois,

se mouche « Oh1 merci,monsieur1 Mescomplimentsà Madame. Vous embrasserez Louis pour moi.»Elle suit de l'œil, puis « C'est trop court, ces visites.

De tout cela, il ne reste que le plaisir d'avoir vu. »Je lui affirme que tout cela était un rêve suggéré,

que la procession, la visitede son fils, celle de M. B.n'ont existé chez elle qu'en imagination. Elle n'en

veut rien croire « Puisque je les ai vus, je les ai

touchés, comme je vousvois, commeje vous touche 1 »Pour terminer, je la rendors et je suggère l'amnésiede toutes les impressions suggérées. Au réveil, elle

ne se souvientplus de rien.

Page 125: De La Suggestion

C'est la meilleure des somnambules que j'ai eue,remarquable par sa mémoire, la conception rapidede son imagination, son art de réalisation, sa puis-

sance d'extérioration c'est une véritable artiste, vir-

tuose en somnambulisme,et d'une sincérité parfaite.Elle ajoute son auto-suggestion personnelle à la sug-gestion que je lui imposeElle joue sa comédiede

bonne foi, hallucinée par son imagination créatrice,subissant l'émotion de ses rôles auxquels elle s'iden-tifie.

08s. IV. S. âgé de 29 ans, est un ancien ser-gent, actuellement ouvrier aux hauts fourneaux,qui a été endormià plusieurs reprises par M. Lié-

beault Blessé à Patay par un éclat d'obus au cuirchevelu, il porte sur la tête une cicatriceprofonde;il a eu une cystite consécutive à un rétrécissementde l'urètre, dont il est guéri. Son intelligence estnette il n'a pas d'antécédents nerveux, dort bien,n'a pas d'accès de somnambulisme spontané. Je constate chez lui une analgésie presque générale, insen-sibilité à la douleur,sans anesthésie la sensibilité tac-tile est conservée. Peut-être ce phénomène est-ilconsécutifaux hypnotisations répétées qu'il a subies.

Il ferme les yeux, aussitôt qu'on lui suggère dedormir; il répond à toutes les questions « Dormez-vous? » -«Un peu.»- « Dormez profondément 1 »

Après quelques instants, je demande « Dormez-

vous très protondément ?'» Il dit « Oui ». Est-ce lesommeil ou l'illusion du sommeil? Anesthésie, cata-

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lepsie rigide, mouvements automatiques, hallucina-tions, obéissance passive, tout s'accomplit ponctuel-lement, avec la précision d'un ancien militaire.

Je lui dis « Vous êtes en i87o, sergent à la têtede votre compagnie vous êtes à la bataille de Gra-velotte. » Il réfléchit un instant, comme pour revi-vifier ses souvenirs qui renaissent et deviennentimages. 11 se lève, appelle les hommes de sa compa-gnie, commande, marche, les dispose pour l'action,comme si l'ennemi était là 1 II se couche, épaule sonfusil, tire plusieurs fois de suite, ranime le couragede ses hommes « Allons, courage Abritez vousderrière ce buisson! Allons 1 Il faut nous retirerC'est la retraite !» Et il exécute avec ses hommestoutes les péripéties de la lutte, telles que son imagi-nation les lui retrace.

Ou bien, je le remets en souvenir au combat dePatay,oùun éclat d'obus l'atteint au crâne. Il tombe,reste sans proférer un mot, porte la main sur sa tête,ne bouge pas. Puis il revient à lui, demande le mé-decin, se sent porté à l'ambulance, appelle un mé-decin pour qu'on le panse.S. en revivant cettepartiede son existence, a pourainsi dire deux personnalités simultanées: il fait à lafois les questions et les réponses, il parle pour lui etpour les autres, comme s'il faisait un récit. Je letransfère à Dijon où il était en garnison « Tiens1

caporal Durand Comment vas-tu ?» « Pas mal ettoi. D'où viens-tu, comme cela ? » « Je viens decongé J'étais à Saverne Et toi, A. toujours le

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même !» « Je ne change guère. » « Tu es tou-jours en salle de police. » « Plus souvent qu'ààson tour 1 » « Allons au café prendre un bock 1 »

Il cherche des chaises, prie ses camarades de s'as-seoir, appelle le garçon, commande des bocks etcause avec ses compagnons,parlant à la fois pour luiet pour eux.

Je lui dis « Où étes-vous ? » « Je suis à Di-jon. » « Qui suis-je moi ? » « Vous êtes ledocteur Bernheim » « Maisje ne suis pasà Dijon 1

Vous êtes à l'hôpital de Nancy!» « Mais non,puisque je suis à DijonVoilà mes camarades1 Je nevous connais pas. »

Jc lui fais voirsonanciencolonel, le général Vincen-don. Il se lève, salue « Bonjour, mon colonel 1 »

« Bonjour, mon garçon 1 Toujours le même 1 Tu

es guéri de ta blessure Tu n'as pas de médaille, pasde pension ? » « Non, mon colonel. »

Revenu à son état normal, tout souvenir est éteint.Dans ce type de somnambulisme, le sujet évoque

bien son ancienne existence l'hallucination existemaiscommecertainsrêveursdans le sommeilnaturel,il n'est pas identifiéavec son rôle, il n'en subit pasl'émotion il est blessé par l'éclat d'obus, sans mani-fester d'anxiété sa respiration n'est pas haletante,son pouls ne bat pas plus vite. Il ne perd pas le sen-timent de son identité il est à la fois à Nancy et àDijon, et ne s'aperçoit pas de la contradiction ilparle à ses interlocuteurs et fait leurs réponses ilest à la fois spectateuret acteur.

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Ainsi en est-il souvent dans nos rêves La con-science de l'identité peutpersister plus ou moinscon-fuse à côté du rêve, sans que le rêveur soit frappé parla contradiction.

La suggestion expérimentale ne fait que répéterles phénomènes d'auto-suggestionnormale du som-meil.

Oas. V. C'est une jeune fille hystérique,à crises,

avec paraplégie rigide nerveuse mais en dehorsde ses crises, intelligente, raisonnable, calme et me-surée dans ses paroleset ses actes. Elle s'endort faci-

lement.Voici la relation d'une séance « Dormez-vous»

Elle ne répond pas. J'insiste elle finit par répondre:

« Mais non, je ne dors pas. » « Où êtes-vous? »

« Je suis dans la rue. » « Où allez-vous ? » « Jevais chez ma mère.»-«Où demeurez-vous?»– «Rue

de l'Étang, chez ma mère. » Un instant après « Où

êtes-vous maintenant ? » « Vousvoyez bien, place

de la Gare. » Tout à coup,elle a une secousse violentequ'elle expliqueplus tard à son réveil par un monu-ment qu'elle a vu s'ébranler et la peur qu'elle a eued'être écrasée. « Eh bien dis-je, vous voilà chez

votre mère Comment vas-tu, Marie ? » «Cela vamieux»,dit-elle, croyantrépondreàsamère.-«Tuestoujours à l'hôpital ? »- « Non, je suissortie, je suis

presqueguérie. On m'électrise.» -« Tu serais biengentille, dis-je, si tu voulais m'aider à repassercelinge. » « Ah 1 tu m'ennuies, répônd-ellecroyant

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que c'était sa mère qui avait parlé, je ne suis pasvenue pour travailler. » Elle finit cependant par obéirau désir de sa mère; alors elle tire son drap de lit,fait le geste de le mouiller, de l'empeser, prend le ferà repasser fictif, tâte pour voir s'il estchaud, repasseavec un soin parfaitdans tous les sens, plie le drapenplusieurs doubles. « Maintenant, dis-je, tu ferasbien de raccommoder ce bas ? » Elle arrange sondrap de lit en forme de bas, fait le geste d'y mettreune boule, prend uneaiguilleà tricoter,reprise maillepar maille, retourneson bas, fait des mailles en senscontraire, etc. Je la fais coudre, elle fait un ourlet audrap qu'elle a sous la main, met son dé à coudre,fictif, et coud son ourlet, enfonçant l'aiguille fictive,retirant le fil, remplaçant l'aiguillequi ne pique pluspar une autre, le tout avec une apparencesaisissantede réalité.

« Tu as assez travaillé pour ta mère, dis-je. Allonsnous promener. » Elle me prend pour son amieLouise. « Je veuxbien », dit-elle. « Allons nousbaigner. Il fait chaud », dis-je. Elle croit venir avecmoi, décrit les rues où elle passe, les personnes qu'ellevoit. Je frappe trois coups sur la table.« Qu'est-cequec'est ? » dis-je. « Ce sont des hommesqui cassentdes pierres. » Nous arrivonsau bain. Elle fait gestede se déshabiller, croit être dans l'eau, grelotte, faitavec sesmains étenduesdes mouvementsréguliersdenatation, etc.

Si je continue à la laisser dormir sans m'occuperd'elle, elle continue spontanément son rêve. Une fois,

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après l'avoir abandonnée quelques minutes, je lavois travailler activement, mimantde laver du linge,le retirantdu cuveau, le plongeantdans l'eau, le sa-vonnant sur une planche, le replongeant dans l'eau,puis le tordantvivement pour en exprimer l'eau, etc.

Aussitôt réveillée, elle me raconte tous les détailsde son réve elle est rentrée chez elle, passant placede la Gare où elle a eu une épouvante, elle a vu samère qui lui a dit telle chose, etc. Mes élèvesayantchanté doucement pendant son sommeil; ce sont desmusiciensou des mauvais chanteurs qu'elle a ren-contrés en chemin. J'ai beau lui dire « Mais c'est

un rêve Vous avez dormi 1 Vous n'avez pas quittévotre lit. » Elle n'en croit rien le rêve lui apparaîtcomme une réalité.

Pendant son sommeil, je puis diriger ses rêves,mais sans pouvoir la ramener à la conscience de cequi existe. Je lui dis « Vous dormez ? » « Mais

non », me dit-elle. « Mais vous êtes paralysée,

vous ne pouvez pas marcher. » « Vous voulez

vous moquer de moi 1 Puisque je suis levée et que jemarche »

Je lui ai dit plusieurs fois avant la suggestion desommeil « Rappelez-vous pendant votre sommeil

que vous dormez, que le docteur Bernheim est à côtéde votre lit, que vous êtes paralysée. » A un momentdonné ses yeux se fermaient. Le souvenirde la réalitéétait envolé elle était convaincuequ'elle ne dormaitpas, qu'elle n'était pas paralysée, qu'elle marchait,que j'étais son amie ou sa mère.

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Dans ce cas, on le voit, le sujet avaitdes rêves spon-tanés qu'on pouvait diriger ou modifier à son gré,

sans pouvoir réveiller le sentiment de la réalité,

un état de consciencesomnambulique.Dans l'observation suivante, le sujet abandonnéà

lui-même,tombeaussidans des rêves spontanés; maisle sentiment de la réalité persiste.

Oes. VI. C'estun hommede 27 ans, gastralgique,très suggestible, ballucinable.

Si je suggère le sommeil, il entre en rêves spon-tanés. Un jour, il reste fixe, tremblant, la figureépouvantée. « Il vient Le voici » « Qui donc ? »

« Le tigreLe voyez-vous là-bas ? » Il se croitdans le désertet aperçoitun tigrequi vient à lui. Uneautre fois il se croit à Bar-le-Duc, chez son frère quiest marchand de bois il l'accompagnesur son chan-tier et cause affaire avec lui. Je luis dis « Vous êtesà Nancy, place Stanislas ». Il s'y croit en effet et meraconte tout ce qu'il voit dans la promenade que jefais parcourir à son imagination.

Malgré son rêve, il a conservé le sentiment de laréalité il sait qui je suis, il sait qu'il dort 1 Il est àla fois endormi à Nancy et éveillé dans un chantier àBar-le-Duc la contradiction ne le touche pas. Saconscience réelle n'est pas effacée par les divagationshallucinatoiresde son imagination.

Le somnambulis»ie peut exister sans hallucinabi-lité. Tel est le cas de l'observationsuivante

Cas. VII. Mme de X. âgée de 56 ans, est fort

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intelligente; elle souffre depuis de longuesannées

de gastrite chronique avec dilatation d'estomac. Je

l'endors facilement par occlusion des paupières

maintenue pendant une minute. Est-ce le sommeil

vrai ou son illusion ? Elle présente un certain degré

de catalepsie suggestive elle maintient ses bras enl'air quelque temps, mais finit par les baisser sponta-nément. Je puisaussi communiquerl'automatismero.tatoire aux membressupérieursen lui disant « Vous

ne pourrez plus les arrêter. » Mais le mouvementim-

primé ne dure pas plus d'une dizaine de secondes.

Je ne puis pas provoquer chez elle de contracture,ni

d'anesthésie, ni de suggestion sensorielle. Si je lui dis,

par exemple « Entendez la musique », elle n'entend

rien. Si je veux lui faire avalerune potion fictive, elle

dit « Vous savez, docteur, cela ne prend pas chez

moi. »Elle conserve beaucoup de spontanéité dans cet

état de conscience qu'elle croit sommeil, discute avecmoi, m'initie à tous les détails de sa maladie, ou meparle de choses étrangères ou mondaines « Est-ce

que j'ai songé docteur, à vous inviter à prendre le thé

tel jour, etc. » Si elle entend la femme de chambre

dans la pièce voisine, elle me fait des réflexions sur

son compte. Elle secomporte absolument commeune

personne éveillée, mais elle affirmequ'elle dort, et en

a la conscience. Je n'ai jamais pu lui donnerd'illu-

• sion sensorielle, ni d'hallucination bien nette. Un

jour cependant, je lui ai fait entendre au réveil de la

musique militaire; elle la perçoit lointaine et assez

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vague. Certaines suggestions d'actes pour le réveilsont réalisées. Un jour, je lui dis, par exemple« Quand vous serez réveillée, vous quitterez le fau-teuil sur lequel vous êtes et vous irez vous asseoirsur le fauteuil en face ». Une fois réveillée, elle re-garde autour d'elle et dit « Je ne sais pas, monsalon n'est pas en ordre aujourd'hui je ne suis pasbien sur ce fauteuil ». Et elle va, docile à la sugges-tion, sur le fauteuilen face. Elle chercheà s'expliquerainsi à elle-même le besoin qu'elle a de changer deplace.

Je puis aussi lui suggérer certains actes du mêmegenre pendant le sommeil, je lui dis par exemple« Dans trois minutes, vous irez vous asseoir sur lecanapé, et quand vous y serez pendant une minute,vous vous réveillerez. » Elle obéit avec précision.

Au milieu de la conversation la plus animée, je laréveillebrusquement en disant « Réveillez-vous 1 »

Elle ne se souvient plus absolumentde rien. Toutest effacé. Elle ne sait pas combien de temps elle adormi. Quelquefois un seul fait survit dans sonsouvenir par auto-suggestion. Elle me dit un jour« Vous m'avez demandé pendant mon sommeil, sij'ai toujours des renvois aigres avec sensation debrûlure. Je me suis dit alors Il ne faut pas quej'oublie cela à mon réveil, pour demander au docteurquelle source de Vichy je dois,prendre ». Ainsi elles'était suggéré pendant son sommeil de conservercesouvenir tous les autres étaient effacés. D'ailleurs,en lui disant avant le réveil « Vous ne vous sou-

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viendrez absolument de rien », l'éteins absolumenttous les souvenirs, mêmeceux dontelle auraiteu à decertains moments l'initiative de se suggérer la con-servation.

La conscience somnambulique n'était caractériséedans ce cas que par l'illusion d'un sommeil, dontaucun symptôme n'existait, et l'amnésie consécutiveà cette illusion.

2. DÉFINITION ET CONCEPTIONDU MOT SOMNAMBULE.

Ces observations montrent que chaque sujet estune individualité suggestive, qui a sa psychologie,

sa façon d'être et de réagir avec son corps et sonesprit. Même alors qu'il est conduit parson imagina-tion faussée, par des impressions, des instincts, deshallucinations qui égarent son contrôle, il n'estni inconscient, ni automate; il n'y a pas d'automa-tique hypnotique ou somnambulique; il y a desétats de consciencefaussée, artificiellementou spon-tanément.

Qu'est-ce en réalité qu'un somnambule? Le motest difficile à définir. L'étymologie du mot veutdire dormeurqui marche. On a vu de tout temps dessujets se livrer pendant le sommeil à des actes di-

vers, raisonnables ou non, par exemple travailler,écrire, coudre, tricoter, des enfants faire leur devoir,des bonnes balayer l'appartement ou laver leur vais-selle ou bien, sous l'influence d'impulsions ou derêves, commettre des vols, des actes délictueux, et

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au réveil, n'avoirplus le souvenir de tous ces faits.Tel est le somnambulisme naturel.

Expérimentalement, nous avons vu des sujets,

sous l'influencede la suggestion,se lever, agir, mar-cher, obéir, puis revenus à eux, ne pas se souvenir.C'est le somreambulisme artificiel ou expérimental 1

Le somnambulisme est-il une cérébration incon-sciente automatique, comme on le dit ?

Nous avons vu que les actes du somnambule parsuggestionsont conscients et qu'on peut en réveillerle souvenir. Le somnambule naturel qui écrit, com-pose, ou celui qui fait des travaux de ménage, lave,coud, tricote, n'agit pas davantage en automate;cestravauxexigent une application intellectuelleet ma-nuelle raisonnée et ne sont pas du domaine de la vievégétative inconsciente. L'amnésie n'implique pas*l'inconscience.

Le somnambule est-il simplement un dormeuractif, qui réalise non pas seulement en imagination,mais en action, ses conceptions auto-suggestives,

ou les suggestions d'autrui ? Cette définition estvraie dans une certaine mesure; mais elle est peut-être incomplète. De même que l'état de suggestionn'est pas toujours l'état dit hypnotique, de mêmel'état somnambuliquen'est pas toujours un sommeil.Quand un sujet, dans son sommeil, se lève, ouvreles yeux, va à sa table, écrit ou se livre à d'autrestravaux, quand il se promène, répond à toutes mesquestions, je ne puis affirmer qu'il dorme; il n'a nil'apparence, ni les symptômesdu sommeil; je crois

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qu'il est réveillé, mais il reste dans un autre état deconscience; il peut continuer son rêve hallucinatoire,éveillé; ou bien il peut continuer à réaliser l'idée quele sommeil avait évoqué dans son cerveau, finir sontravail, prendre un objet dans l'armoire, faire untour de promenade; il reste sous l'influence de lasuggestion, dominé par elle, tout éveillé qu'il l'est,n'ayant pas son contrôle absolu. Quand ce rêve oucet état de suggestion est terminé, et que l'état deconscience normale est revenu, il a perdu le sou-venir et croit être seulement sorti de son sommeil.

Il est de même dans le somnambulisme expéri-mental. Nous avons vu que le sommeil suggéré n'est

pas nécessairepour produireun état de suggestibilité,

avec des hallucinations complexes prolongées, et quel'amnésie peut succéder à cet état, alors mêmequ'il n'y a pas eu de sommeil.

Dira-t-on que le somnambulismec'est l'état ballu-cinatéire actif, le rêve en action réalisépar lesujet? Il

est des somnambules qui ne sont pas hallucinés, quimarchent, écrivent, obéissentà une idée raisonnablequi les fait agir. La dame de notre dernière obser-

vation n'avait pas d'hallucinationsni spontanées, niprovoquées pendant son somnambulisme artificiel;

ses yeux étaient fermés, mais elle conversait comme

une personne éveillée. En réalité, elle n'était pasdansun état de sommeil, mais dans un état de sug-gestion elle croyait dormir, parce que je le lui avais

suggéré; elle avait de l'amnésie après, parce qu'ellecroyait avoir dormi et se suggéraitl'amnésie.

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L'hallucination active, de rêve en action ne cons-titue donc pas le critérium du somnambulisme.

L'état somnambuliquen'est qu'un autreétat de con-science, créé par l'auto-suggestion émotive, ou parune hétéro-suggestion,chez un sujet qui ne dort paset conserve sa mobilité et sa spontanéité, avec ousans hallucination. Il peut succéder au sommeilnaturel, comme une suggestion ou un rêve post-hypnotique il peut être créé artificiellement; toutesuggestion active,accompliepar un sujet est en réalitéun état de somnambulisme; il peut se produire spon-tanément à la suite d'une impression morale vive etsuggestive qui crée une image, une idée, et atténue lecontrôle.

Le somnambulisme n'est qu'une représentationmentale extériorisée, avec action corrélative; il estpassager, curable par la psychothérapie; car il nerépond qu'à un pur dynamisme psychique. Il dif-fère du délire et de l'aliénation mentale qui sontdes maladies, qui produisent des aberrations persis-tantes, rebelles à la suggestion, entretenues par unelésion organique ou toxiquede cerveau. Il en diffèrecomme le rêve normal du sommeil ou de la veillediffère du délire.

3. Somnambulismespontané DU SOMMEIL,AVEC OU

SANS HALLUCINATION.

Le somnambulisme spontané se développe surtoutdans le sommeilnature c'est un rêve en action, une

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auto-suggestionactive avec ou sans hallucination.Les somnambulesnocturnes spontanés ont tantôt

les yeux fermés, tantôt les yeux ouverts, comme lessomnambulesexpérimentaux.Il en est qui sont telle-ment absorbéspar leur idée fixe ou concentrés dansles actes qu'ils accomplissent, que leurs sens sontétrangersà toute impression extérieure. Un étudianten pharmacie dont l'histoire est relatée par A. Ber-trand fut surpris en somnambulisme au moment oùil traduisait de l'italien en français et cherchait les

mots dans un dictionnaire, comme il l'eùt fait dansson état normal; il paraissait se servir d'une lumièreplacée près de lui. Les personnes présentes éteigni-rent cette lumière. Le somnambule parut se trouverdans l'obscurité; il chercha en tâtonnant sa chan-delle sur la table et fut la rallumer à la cuisine. Or,

au moment où il se croyait ainsi dans l'obscurité, ilétait réellementdans une chambre éclairée, mais pardes chandelles différentes de celle qu'on avaitéteintes. Il l'avait vu éteindre et croyait qu'elle étaitunique. Il n'entendait aussi que les conversationsenrapport avec ses propres pensées, indifférent auxautre. Ce sont là de vraies hallucinations négatives

par auto-suggestion.Le somnambulisme nocturne hallucinatoire peut

être dangereuxet déterminer dés actes criminels.Tel est le cas relaté par Fodéré d'un jeune reli-

gieux somnambule qui rêva une nuit que le Pèreprieur avait tué sa mère dont l'ombre sanglante lui

apparut pour demander vengeance. Il s'arma d'un

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grand couteau, courut à l'appartement du prieur quiheureusementn'était pas encore couché et, assis surson bureau, le vit, les yeux hagards, frapper troisgrands coups de couteau dans le lit, qui percèrent lacouverture et le matelas, puis retourna se coucher.Au réveil, il se souvient bien d'avoir eu ce rêve terri-fiant, mais croyaitque ce rêve avait été simplementpassifet ne se souvenaitpas qu'il avait commis l'acteen réalité.

HackTuke rapporte le cas d'un enfant de douzeans, qui ayant eu une querelle dans la journée avecune de ses compagnes, se leva pendant la nuit, serendit à son lit, la trappa violemment jusqu'àce quedes personnes,attirées par ses cris, la tirassent de sonétat de somnambulisme.

Une jeune femmede 25 ans, dont Lapponi (i), deBologne raconte l'histoire, quarantejours après sonaccouchement,se leva la nuit, prit son enfant, allaavec lui dans une mare où elle le jeta; il fut noyé. Elle

se réveille alors, et toute étonnée de se trouver dansl'eau, sans se rappelerqu'elle y était venue, et venaitd'y jeter son enfant; elle en sortit à peine et se trou-vant près de la maisonpaternelle, s'y rendit au grandétonnarraent de sa mère. Une fois déjà à l'ige deseize ans, elle s'était levée dans la nuit et réveilléedans une habitation voisine. A quel délire, à quellehallucination cette malheureuse avait-elle obéi, entuant son enfant

(t) Traité de médecine légale et d'hygiène publique, iBiS.

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4. SomnambulismeA L'ÉTAT de VEILLE.

Le somnambulisme peut aussi se réaliser sanssommeil; et ceci arrive surtout à la suite de grandschocs émotifs, de l'hystérie par exemple. Voici deuxesemples

Damaschino publie la longue observation d'unejeune fille de a5 ans qui déjà jeune enfant était ner-veuse et avait des convulsions. A rage de 3 ans, onla trouvait la nuit jouant avec ses poupées. Plustard elle faisait des excursions nocturnes, montant

aux étages supérieurset même sur les toits. Une fois

elle part la nuit de la rue Vandamme à Montpar-

nasse et se réveille dans un petit bois de Versailles,

fort effrayée de se trouver dans un endroit qu'elle neconnaissait pas, vêtue d'une jupe très légère, les che-

veux épars, les pieds nus. Elle s'adressa à des agentsqui la ramenèrent. A l'âge de i ans et demi, elle

avait eu de fréquentesattaquesde nerfs.Dans l'observation suivante, publiée par Mesnet,

c'est à la suite d'un choc cérébral d'origine trauma-tique que les accès de somnambulisme se sont dé-

clarés.Un homme de 27 ans, reçut, à Sedan, une balle

qui fractura le pariétal gauche. Presque immédiate-

ment après survint une hémiplégie qui guérit, nelaissant que de légères traces, au bout d'un an.Depuis sa blessure, étant prisonnier à Mayence, il

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resta sujet à des accès de somnambulisme, qui per-sistèrent après la guérison de l'hémiplégie. Elles sur-viennent à des intervalles de quinzeà trente jours etdurent de quinze à trente heures. Dans cet état se-cond, il a les yeux ouverts, va, vient, mange, boit,fume, se déshabille et se couche à son heure ordi-naire, comme à l'état de veille; mais il a du nys-tagmus, du mâchonnement, du malaise, des souf-frances de tête. Il n'a aucune initiative, et ne faitque les actes habituels journaliers de son existence.Si, dans un milieu dont il ne connaît pas les êtres,onlui crée des obstacles, si on barre le passage, ilheurte légèrement, s'arrête, promène les mains surles objets, en cherche les contours et les trouve; iln'offre aucune résistanceaux mouvementsqu'on luiimprime(catatonie),la peau est insensibleà l'épingle;les organes des sens paraissent fermés aux impres-sions du monde extérieur, sauf peut-être la vue quil'est moins. Le sens du toucher persiste, puisqu'ilpalpe les objets et les reconnatt.

Certains accès s'accompagnent d'hallucinations.Un jour, se promenant dans un massif d'arbres,onlui remet sa canne qu'il avait laissé tomber, il lapalpe, promène plusieurs fois sa main sur la poignéecoudée, devient attentif, semble prêter l'oreille, ettout à coup appelle « Henri ». Les voilà, ils sont aumoins une vingtaine. A nous deux, nous en vien-drons à bout 1 » Et alors portant la main derrière sondos comme pour prendre une cartouche, il fait lemouvement de charger son arme, se couche dans

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l'herbe, à plat ventre, la tête cachée par un arbre,dans la position d'un tirailleur, et suit, l'arme épaulée,tous les mouvements de l'ennemi qu'il croit voir àcourte distance. Cette scène hallucinatoire qui repro-duit la lutte dans laquelle il a été gravement blessé aété réveillée par l'illusion de la canne pr ise pour unfusil.

Mesnet a pu dans la crise survenue quinze joursplus tard, en reproduisant les mêmes conditions,rééditer la même scène. On peut d'ailleurs dans cetétat provoquer facilement des scènes hallucinatoires;

en piquant la peau avec une épingle,faire rêver duel;

en éclairant la chambre, fairerêver flamme, incendie.Il se rend en imagination au concert un vitrage bril-lant lui crée une illusion en rapport avec son rêve;il se croit au théâtre, et il chante 1

Cette observation, où les hallucinations sponta-nées se mêlent à celles qui sont provoquéesrappel-lent l'histoire de notre sergentchez lequel nous avonsprovoqué expérimentalement la scène du combat de

Patay où il fut blessé.Les somnambules peuvent avoir des changements

de personnalité et perdre le sentiment de leur iden-

tité, se croire un autre personnage. Voici un exemple

de somnambulisme ambulatoire qui me paraît justi-ciablede cette interprétation.

Un jeune homme de 16 ans, sérieux, instruit, de

bonne conduite, doux et timide, avait eu en janvier1896 un malaiseavec crise de nerfsqui dura un quartd'heure et n'eut pas de suites.

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Le 14 octobre suivant, son père l'envoya cherchermille deux cents francs au Crédit Lyonnais. Ilcherche la somme, court à la gare, prend un billetpour Dijon de là il envoie une carte postale écrite

au crayon dans laquelle il dit qu'à la sortie du Cré-dit Lyonnais deux bandits l'ont amené du côté del'Allemagne, qu'il souffre beaucoup, qu'on vienne lechercher, etc. De Dijon, il prend le train poil,, Mar-seille, descend à l'hôtel que son père fréquente, etdonne un faux nom, M. Sorval, rue de la Préfec-ture au Havre. Le père envoie des télégrammes de

tous côtés, entre autre à son cousin de Marseille quiest assez heureux, après quarante-huitheures, pourmettre la main sur lui à l'hôtel. Le jeune hommedit « Je ne vous connais pas; je ne suis pas X.je suis M. Sorval». Un rassemblement se fait devantl'hôtel; on prend fait et cause pour le jeune homme.Son cousin le conduità la sûreté. Là, pressé de ques-tions, il finit par avouer son nom; mais au momentoù il avoue, il est pris d'une crise convulsive telle-mentviolenteque quatre hommes nepeuventle maî-triser. La crise dure une heure; puis elle est suivied'un sommeil qui dure depuis lundi soir jusqu'auvendredi suivant à 4 heures. On le transporte chez

son cousin; il prend des aliments pendant son som-meil. Le vendredi à quatre heures, il se réveille enfin

sans souvenir aucun de tout ce qui s'est passé depuisle moment où il a quitté le Crédit Lyonnais. Tout le

reste est lettre morte pour lui. Ajoutons que le jeunehomme n'avaitdépensé de ces milledeuxcents francs

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emportés que la somme nécessaire à ses frais devoyage.

Le père avait trouvé dans la poche d'un pantalonde son fils un chiffon de papier où il demandait unrendez-vous avec une jeune fille à la gare pour allerensemble à Paris, annonçant qu'il aurait beaucoupd'argent. La lettre était inachevée. Lepèretrouva lajeune fille qui restait chez ses parents, et put établirqu'elle ne connaissait pas on fils.

Le père m'amena le fils dont l'expressionvague etles grands yeuxfixesindiquaient une nature disposéeà la rêverie. Il me parut bien sincère et me dit qu'iln'avait jamais parlé à cette jeune fille et n'avaitau-cune affection pour elle; ils en avaient causé entrejeunes gens, mais il ne la connaissait pas autrement.Quant au nom de Sorval, il finit par se rappelerl'avoir lu dans un feuilleton du Petit Journal, maisil ne savaitplus les détailsdu roman ? Son départ étaitcertainement prémédité. Le projet de lettre trouvéétait sans doute déjàécrit, dans un état de conscienceanormale. Avait-il en allant à Marseille réalisé unroman conçu par son imagination, croyant -êtreM. Sorval, le héros de ce roman ? Y avait-il des con-ceptions multiples, incohérentes,comme cela arrivedans le rêve ? L'histoire de bandits l'amenant en Al-lemagne tiendrait à le faire croire.

L'interrogatoire de la sûreté de Marseille l'a vive-ment suggestionné et ramenant le sentiment de laréalité, a déterminé une crise violente d'hystérie.

Il s'agit donc d'une fugue accomplie par un jeune

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homme hystérique en état de somnambulisme, sousl'empire d'auto-suggestion qui lui enlevait le senti-ment de la réalité et en faisait un rêveur en action àl'état de veille. Comme les rêves du sommeil,le con-trôle cérébral étant affaibli ou suspendu, ces rêves dusomnambulisme vigil sont incohérents, désordonnéset dépourvus de logique.

Dans cette observation, l'état de conscience som-nambulique a duré pendant plus de cinq jours. C'estune véritablevie somnambulique.

5. Vie SOMNAMBULIQUE. CONDITION seconds.PERSONNALITÉ DOUBLE.

Cet état de conscience nouveau qui constitue lavie somnambulique peut se reproduire souvent chezle même sujet, alterner avec l'état de consciencenor-male. Telles sont les observationsqui ont été publiéessous le nom de condftion seconde, dédoublement dela personnalité.

Relatons succinctementquelques-unsde ces cas re-latéspar lesauteurs. Leplus connu est celui de la cé-lèbre Félida, observée pendant plus de trente ans,par le professeurAzam de Bordeaux.

Félida a deux états de conscience. Dans son étatnormal, elle est triste, sérieuse, accusant mille dou-leurs, indifférentepour tout ce qui n'est pas en rap-port avec ses souffrances, les sentiments affectifs peudéveloppés, la volonté très arrêtée, le travail trèsacharné.

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Dans son état second, toutparaitdifférent sa phy-sionomie respire la gaîté; elle se plaintà peinede sesdouleurs; elle vaque aux soins ordinaires du ménage,

sort, circule, fait des visites, entreprend un ouvragequelconque. Son caractèreestcomplètementchangé

de triste, elle est devenuegaie et sa vivacité touche àla turbulence; son imagination est plus exaltée; pourle moindre motif, elle s'émotionne en tristesse ou enjoie; d'indifférente à tout, ce qu'elle était, elle estdevenue sensible à l'excès. Dans cet état, elle se sou-vient parfaitement de tout ce qui s'est passé pendantl'état normal; mais dans celui-ci elle ne se souvient

pas de ce qui s'est passé pendantl'état second. Cetteamnésie la rend très malheureuse, et, elle chercheetarrive auprès des personnesqui ne la connaissent pasà dissimuler cette infirmité.

Dans l'état second, elle se laisse séduire, devient

grosse, parle de-sa situation sans inquiétude, sanstristesse; tandis que, quelque temps après, se trou-vant dans l'état de condition première, accusant ungonflement du ventre et des malaises dont elle nesoupçonne pas la cause, ni la nature, quand on luiapprend sa grossesse, elle a une commotion nerveuse

avec crises convulsives.D'ailleurs dans les deux états elle a son intelligence

parfaite, sans délire, ni hallucinations.Les deux conditions ne diffèrentque par des modi-

fications de caractère, d'instincts, de sentiments,d'idées. Dans sa vie seconde, on lui donne un chienqui s'habitue à elle et la caresse chaque jour. Dans

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la vie normale, si le chien la caresse, elle le re-pousse avec horreur, elle ne l'a jamais vu c'est unchien errantentré par hasard chez elle.

Dans sa condition seconde, elle croit que son maria une maîtresse et se répand en menaces contre sacomplice. Quelques instants après, revenue à l'étatnormal, elle rencontre cette femme et, ignorant tout,le comble de prévenanceset de marques d'amitié.

Peu à peu la durée des périodes de conditionseconde a augmenté et existe des journées entières.Enfin, cet état est devenu presque continu; l'étatnormal avec sa perte des souvenirs si caractéristiquen'apparaît plus qu'après des intervalles de quinzejours à trois semaines et ne dure que quelquesheures.

La cause déterminante de ces changements deconscience a été l'hystérie survenue à quatorze anspendant la période de croissance. C'est après dixminutes de sommeil hystérique qu'elle ouvrait lesyeux et se réveillait en condition seconde. Plustard, le sommeil nerveux avec analgésiedevient pluscourt, ne dure plus que 2 ou 3 minutes, ou mêmeun instant seulement. D'ailleurs de dix-neufà vingtquatre ans, elle eut des accidentsnerveux,crises con-vulsives, léthargies, paralysies partielles, et touteune série de psychonévroses.

C'est, je pense, le choc cérébral consécutifà descrises d'hystérie qui laisse à sa suite cette modifica-tion d'état de conscience; elle peut être répétée àchaquecrise par une sorte d'auto-suggestionémotive.

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L'éducation suggestive du sujet aurait pu peut-êtresupprimer les crises, inhiber l'émotivité qui les répé-tait, et maintenir l'état de conscience normal.

Tel estaussi le cas relaté par Ladame, de Genève;je rapporte un résumé de l'observation qui montrebien l'analogiequi existe entre le somnambulismeetla condition dite seconde.X. jeune fille de vingt-septans. Danssa première

enfance, à la suite d'une grande frayeur, à la vued'un incendie, elle devint somnambule, s'échappantparfois de son lit pour aller dans la cuisine ou les

corridors, où il fallait la chercher. Ces accès assezfréquentsont duré pendantson adolescence.

A Vienne où elle travaillait commecouturière, elle

eut une vive émotion par un commencement d'in-cendie provoqué par une lampe allumée qu'elle avaitrenversée. Elle eut une attaque de sommeil qui duradeux jours et demi. Rentrée à Genève ces attaques serépétèrent; et on s'aperçut alors que, au réveil de ces

attaques, il y avait chez elle un état second, diffé-

rent de l'état normal, avec un autre caractère. Les

attaques se répètent à la moindre émotion, et s'ac-

compagnentpendant vingt à vingt-cinq minutes en-viron d'un léger tremblementde tout son corps. Pen-dant l'état second, qui dura une fois une journée

entière à la suite d'une altercation avec son fiancé,

elle change complètement de caractère. Douce,aimable et un peu molle à l'état normal, elle devientimpatiente, méchante, impétueuse, mais active ettravailleuse. Elle mange avec meilleur appétit et

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digère mieux qu'à l'état normal. Elle chante, joue dupiano, prend part à la conversation, riposte mieux etplus hardiment, a la main leste, ne supporte pas lacontradiction, distribue généreusementdes taloches.

Revenue à l'état normal, elle ne se rappelle abso-lument rien de ce qu'elle a fait ou dit pendant l'étatsecond, elle ne veut jamais croire aux propos vio-lents qu'elle a tenus ou aux actes de colère qu'ellea commis,quand on voulait la contrarier.

Dans l'état second, sa mémoire est entière pourtout ce qui lui est arrivé auparavant dans l'état ana-logue et l'état normal. Mais il lui arriva souvent dene pas reconnaître les personnesqu'elleconnaît dansl'état normal; ainsi elle ne reconnaît pas quelquefoisson médecin.

Le docteur Ladame est arrivé à obtenir la guérisonpar suggestion. Dans cette observation, comme danscelle de Félida, c'est la commotion psychiquepro-duite par la crise d'hystérie qui détermine cette mo-dification de conscience.

Dansl'observation suivante, il s'agit, comme dansles précédentes, d'une hystérique,et aussi, commedans la première,d'une grossesse survenue en condi-tion seconde. Celle-ci fut déterminée par les manœu-vres magnétiquesd'un médecin.

C'est une jeune fille très nerveuse,qui avait descrises d'hystérie. Un jeune médecin la traite par lemagnétisme. Elleguérit, se mariacontre son gré avecun mari frivole et débauché, eut de nouvellescrises

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de nerfs, et eut de nouveau recours au jeune méde-cin qu'elle aimait. Ces crises s'accompagnaientd'undélire extatique. Elles devinrent somnambuliques;et les séances de soi-disant magnétismeprovoquaientcet état somnambulique qui revenait aussi sponta-nément plusieurs fois par jour.

Dansla viesomnambulique,MmedeB.étaitcalme,causait tranquillement, soutenait la conversation,ra-contait, riait, plaisantait; et si elle n'avait pas eu les

yeux fermés, on aurait cru à son état normal. Ce-pendantelle était plus impressionnable, susceptiblemême, supportant difficilement la contradiction,alors que dans la vie ordinaire elle avait la douceurd'un ange. Elle avait en outre des caprices, des en-vies presque irrésistibles,elle allait au piano et jouaitquelques morceaux d'autrefois il lui prenait fan-taisie de faire une grande toilette, elle cherchait sesatours, ses bijoux. Elle s'habillait, dansait avec le doc-

teur, puis se déshabillait, replaçaitchaque chose à saplace. Quelquefoiselle se livrait à des excentricités,grimpait sur les meubles, les cheminées, sans riendéranger. Lesomnambulismetransformait son carac-tère et le rendaitsusceptible, irritable, présomptueuse,alors que dans la vie normale elle était modesteetréservée.

Pendantun de ces accèselle fit à son médecin l'aveude l'amourqu'elle avait pour lui elle s'était mariéecontre son gré. Le médecindevint l'amantdeMmedeB. pendant son somnambulisme.

Dans son état normal, elle n'avait souvenirde rien.

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Devenue enceinte, elle n'avait aucun soupçon de sagrossesse, n'ayant plus eu de rapports avec son maridepuis un an, et sûre de n'avoir pas manqué à sesdevoirs. On attribuait ses malaises à une maladie in-solite. Dans le somnambulisme, elle savait ce qui enétait et ne s'inquiétait pas trop de la situation. Quandfinalement la malheureusefemmedécouvrit la naturede son mal, l'anxiété futextrême,sa tête s'égara ellecrut aux esprits, aux maléfices. Au terme de sa gros-sesse, l'aliénation fut complète et nécessita son trans-fert dans une maison de santé.

Elle guérit toutefois ses attaques disparurent. Elle

ne revit que quelquesannéesplus tard le docteurH.et ne soupçonna pas qu'il avait été le héros d'uneaventure dont elle avait été la victime( i).

Je rapproche de ces observations l'affaire Cham-bige qui a vivement passionné l'opinion publique, il

ya unequinzaine d'années, et que je crois susceptiblede la même interprétation elle s'éclaire à la lumièredes observations précédentes.

Unejeune femme du meilleur monde et d'une mo-ralité parfaite, adorant son mari et ses enfants, rece-vait chez elle un jeune homme, ami de sa famille,nommé Chambige. Un jour, on la trouva dans unpavillon isolé de son jardin, tuée par une balle, le

corps souillé par un attentat. Chambige était à ses

(t) Le Magnétisme, vérités et chimères de cette science oc-culte,par te docteur Bbllângbb, Paris, 1854.

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côtés, évanoui, blessé par un coup de pistolet, n'ayant

pas réussi à se tuer. Revenu à lui, il raconta que la

jeune femme, éperdument amoureuse, s'était donnée

à lui, à condition qu'ils ne survivraient ni l'un ni

l'autre, à son déshonneur. Il avait juré de la tuer et

de se tuer ensuite.Ce récitétait-il vrai ? Chambige l'affirmait avec un

grand accent de franchise qui a impressionnémême

ceux qui ne voulaient voir en lui qu'un vulgaire as-sassin. Beaucoup de personnesn'ontvudans ce drame

qu'un acte de folie amoureuse. Il y a eu, je pense,

encoreautre chose.Immédiatementavant ce drame, alors que, suivant

Chambige, le projetétaitconvenuentre eux, la pauvrejeune femme écrivait à une parente une lettrecalme

et sérieuse elle y parlait de son intérieur, de ses en-fants, même, je crois, de Chambige,en termes si sim-

ples, si naturels, qu'ils indiquaient une tranquillité

d'esprit parfaite. La femme qui l'écrivait ainsi nepouvait avoir conscience de l'actequ'elle préméditait.Elle ne songeait ni à manquer à ses devoirs, ni à sefaire tuer.

De l'avis de tous ceux qui la connaissaient,MmeGrille était la candeur même, femme de devoir,

élevée dans des principes de sévère moralité, douce,

timide, bonne, dévouée à son mari et à ses enfar,ts.

Mais elle était suggestible. Un jour, en fixant unecuiller, elle était tombée en extase hypnotique. Com-

ment doncexpliquerce drame ?Chambige est-il un vulgaire assassin, doublé d'un

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imposteurqui, aprèsavoirlâchementviolé et assassinécette femme qui lui refusait ses faveurs, aurait in-venté cette histoire, pour poser en héros de tragédieamoureuse ? Je ne le pense pas.

Doué d'une intelligence vive, en imposant à ses ca-maradescommeun espritsupérieur,avec peu ou pointde sens moral, Chambige avait soif de sensationsetbuvait sans scrupules à toutes les sources qui pou-vaient l'assouvir, sans cœur et sans préjugés, maisfranc. Il vit Mme Grille et désirala posséder. Habituéà dominer, parce qu'il avait de l'intelligence, de lavolontéet de la décision, il ne tarda pas à prendresur cet esprit faible un ascendant étrange en sa pré-

sence elle ressentait sans doute un amour mêlé demalaise indéfinissable. De même qu'un jour en re-gardant une cuiller, elle était tombée en extase hyp-notique, de mêmeen présence de Chambige,troubléeprofondémentpar son regard, ses allures, peut-êtreses déclarations, elle tombait en extase somnambu-lique, en condition seconde. Chambige lui inspiraità son insu une nouvelle conscience, à la faveur delaquelle la suggestibilité s'exaltait, la passion la domi-nait, la raison faisait défaut, la capacité de résistanceétait insuffisante. Chambige faisait de la suggestion

sans le savoir.Revenue à sa conscience normale, Mme Grille, ne

se souvenaitde rien. Ainsi, le matin du crime, quandelle écrivait sa lettre, elle ne savait pas ce qui allaitse passer. Un instant après, la présence seule deChambige a pu la suggestionner dans son imagina-

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tion est une passion folle dans ses sens une excita-

tion irrésistible.Si la pauvre femme a fait promettre à son séduc-

teur de la tuer, c'est le sens moral persistant encoredans son nouvel état de conscience, c'est sa vraieconscience morale indestructible qui pouvait êtredominée, mais non éteinte, dans son état somnam-bulique.

Cetteconditionsecondedanslaquellelecaractère,les

instincts sont modifiés,où l'impulsivitépeutdominer,où le malade peut avoir des illusions, des hallucina-tions et perdre le sentiment de son identité, est sus-ceptible de donner lieu, comme le somnambulisme

nocturne, à des actes délictueux et criminels. Nous

avons vu la somnambule de Ladame distribuer destaloches pendant sa condition seconde et mêmemordre la main de son fiancé, parce qu'il voulaitl'empêcherde sortir.

Le docteur Garnier (i) raconte l'histoired'un jeunehomme qui, en condition seconde, déménage tran-quillement une boutique de brocanteur et transportesuccessivementles objets mobiliers dans la cour de

sa maison.Le docteur Motet (2) relate l'histoire d'un individu

qui commit en somnambulisme un outrage publicà

la pudeur.

(i) Garnier, Annales d'hygiène publique et de médecinelégale, Paris 1887.

(2) Motet, Ibid., t88t.

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Proust (i) rapporte celle d'un jeune homme sujetà des crises de vie somnambulique qui fut condamnépourdes escroqueries faites dans cet état.

Dans les observationsque nous avons relatées, nousavons vu que l'hystérie existe souvent chez le som-nambule. L'hystérieainsi que nous le verrons est unecrise nerveuse consécutive à un choc émotif cettecrise elle-même peut s'accompagner d'hallucinationscomplexes coexistant ou alternant avec les convul-sions et autres manifestationsde la crise ou leur suc-cédant et constituant un vrai somnambulisme hallu-cinatoire. Quelquefois la convulsion est légère oumême fait défaut, et la crise paraît constituée toutentièrepar l'accès de somnambulisme.

L'émotivité qui fait la crise d'hystérie et celle-cielle-mêmecréent un choc cérébral intense qui, chezles sujets prédisposés, peut produire l'état de con-science anormal dit somnambulique.

6. ÉTATS divers DE conscience DANS LA vie habituelleAVEC OU SANS amnesie.

Ces observations de modification de consciencesans illusions, ni hallucinations, avec simple modifi-cation de caractère et de sentiments, si singulièresqu'elles paraissent au premier abord, surtout quand

(t) PROUST,LectureJaite à l'Académiedes Science* moraleset politiques, '889.

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on les décoredu nom de double personnalité,ne sontque l'exagération de ce qui se passe dans la vie cou-rante. N'avons-nous pas tous des états multiples dede conscience ? Ne voyons-nous pas tous autourde nous des personnes dont le carcctère et l'humeursont variables.Tel est pendantun certain temps hon-nête, pondéré, mesuré dans ses actes, bienveillant,qui, à d'autres moments, sans motifapparent, devientcapricieux, extravagant, colère il est vicieux parintermittences.

Tous les degrés peuvent existerde conscience mo-difiée, depuis un simple changement d'humeur queles intimes seuls perçoivent jusqu'à une transforma-tion complète de la mentalité. A un certain degré

cette transformation peut constituer une maladie laneurasthénie, la folie circulairesont des états de con-science modifiée. Ces degrés extrêmes, qui sont desmaladies et vont jusqu'à l'aberration, frappent seuls

notre attention les degrés légers nous échappent et

nous attribuons à l'humeur capricieusede ces sujetsdits lunatiques ces modifications de conscience, dusà un dynamisme cérébral dont la cause nous est in-

connue.Ne voyons-nouspas des femmes qui à chaque pé-

riode menstruelle ont une autre mentalité, un autreétat de conscience douces,bonnes, raisonnablesavant,elles peuvent devenir alors capricieuses, anxieuses,impulsives,même maniaques.

Et nous tous, à la suitede certainesémotionsvives,n'avons-nous pas un état de conscience anormal ?

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Nous ne sommes plus nous-mêmes, nous avonsperdu le fil de nos idées, quelques-uns déraisonnentpendant un certain temps, tiennent des propos extra-vagants, font des actes bizarres. Cela dure en généralpeu de temps. II en est même qui, revenus à leur étatnormal de conscience, ont perdu le souvenir de cequ'ils ont dit et fait. Si cet état anormal se prolongeun peu longtemps,il sera reconnu comme conditionseconde.

Après un déraillement de chemin de fer, ne voit-onpas des voyageurs exempts de toute blessure, frappésseulement par le choc moral, se sauver à traversles champscomme en automatisme ambulatoire, puisrevenusà leur état normal, ne pouvoirdonneraucuneexplication, ayant perdu le souvenir de tout ce quis'est passé?Chez certains sujets prédisposés, cet étatde conscience anormal dû à un choc émotif se pro-longe assez longtemps, entretenu par l'auto-sugges-tion ou bien se reproduit facilementpar une nouvelleémotion ou par représentation mentale, commetoutes les modalités nerveuses, crises de nerfs, tics,toux nerveuse, hoquet nerveux, etc., que certainssujets réalisent et répètent par simple réminiscenceauto-suggestive. Ainsi en est-il aussi du dynamismepsychique modifié par les chocs émotifs et que l'auto-suggestion reproduit.

Cette modification profonde, si fréquentedans la=vie, nous frappe surtout quand elle est suivie d'am-

nésie, quand, revenu à l'état normal, le sujet ignorece qu'il a fait pendant cette période. C'est alors seu-

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lement que nous disons double personnalité.Quandle souvenir persiste de l'un à l'autre état, nous ne

voyons rien d'étrange à ces modifications. Maisl'amnésie suffit-elle en réalité pour établir une dis-tinction fondamentale? L'état de consciencemodifiée

sans amnésie consécutive est le même phénomène

que celui avec amnésie, de même que l'hallucination

ou le rêve dont on a conservé le souvenirest le même

que celle dont le souvenir est effacé. Certains sousl'influencede l'excitation alcoolique commettent des

actes impulsifs dont une fois dégrisés ils perdent le

souvenir d'autres gardent ce souvenir. Cela est ce-pendant la même physiologie cérébrale. L'amnésied'ailleurs peut être incomplète ou passagère il en estainsi, nous l'avons dit, de tous les phénomènes desuggestions ou d'auto-suggestion.Quel'amnésie existe

ou n'existe pas après une modificationbrusque d'étatde conscience due à un choc psychique émotif ousuggestif, la modification n'en existe pas moins 1

L'amnésie est un fait psychologique fréquent, mais

non constant à la suite de la vie somnambuliqueelle peut faire défaut, même quand le somnambu-lismea été hallucinatoire.

Le mot somnambulisme implique donc un état deconscience anormal actif, avecdiminutionde contrôlecérébral, avec ou sans hallucination, qui peut se ma-nifesterà la suite d'une secousse morale, choc céré-bral, accès d'hystérie, rêve; cet état laisse souvent,mais pas toujours, une amnésie plus ou moins com-plète.

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Les hallucinations d'origine toxique, par exemplealcooliques ou saturnines,et celles dues aux mala-dies mentales,par exemple la lypémanie ou délire depersécution, peuvent déterminer des actes corrélatifset constituer un vrai somnambulisme. Mais ce somnambulisme est pathologique les hallucinationssont fonction d'un cerveau malade ou intoxiqué. Cetétat n'est pas justiciablede la psychothérapie,commel'est le somnambulisme simplement émotif, qui n'estqu'un simple dynamisme psychique, sans lésions,une simple psychonévrose.

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CHAPITRE X

Des suggestionscriminelles. Crimes expérimentaux.Résistance variable. Obéissance par réflexe im-

pulsif. Par raisons auto-suggestives de défense.Par état natif amoral. Elément suggestif dans lescrimes réels. -Observations.-Imitation et publicité.

t Crimes expérimentaux.

Dans les chapitres précédents, nous aqons établi

que la suggestion se fait sans hypnosa, qu'elle neréaliseque les symptômesqui se réalisent spontané-

ment dans divers états d'âme. Ni l'hypnotisme, ni lasuggestion, ne créent des propriétésparticulières.Lasuggestion, ai-je dit, c'est le déterminisme cérébral.Nos instincts natifs, notre innéité, l'éducation,l'exemple, l'imitation, la persuasion, le sentiment,les émotions, les passions, les illusions, les erreurs,les impressions apportées par nos sens, les excita-tions cérébrales par l'alcool, les toxiques, les toxines,les impressions viscérales, les perturbations orga-niques et psychiques dues aux maladiesdiverses,auxévolutions biologiques, croissance, menstruation,

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grossesse, en un mot tout le milieu extérieur et notremilieu intérieur, tout agit sur le psychisme,toutnousdétermine, tout nous suggestionne.

La suggestion expérimentalene fait que reproduiredes phénomènes qui se produisent spontanément.L'hypnotisme ne modifie pas la suggestibilité nor-male, il ne modifie pas la physiologieni la psycho-logie de l'organisme humain. Il n'exalte pas les fa-cultés intellectuelles,il ne crée pas le don de voir àtravers les espaces ou à travers les corps opaques, ilne renverse pas les lois de la nature; il n'augmentepas l'acuité des sens au delà de la mesure normale.Chez mes meilleurs sujets, je n'ai pu constater dephénomènesà distance,ni de transmissionde pensée.Si ces phénomènes et d'autres, tels que lévitation,extériorisationde la pensée, affirmés par les spirites,existent, ce que je ne crois pas, ces phénomènes.sontde toute autre nature que ceux de la suggestion; ilsne sont pas de notre ressort. Ce que je puis affirmer,c'est que aucun de mes somnambules ne les a pré-sentés. Je n'ai vu que les faits que j'ai décrits dansles pages qui précèdent, et ces phénomènesqui frap-pent vivement l'imagination de ceux qui les obser-vent, j'ai cherché à les dégager de leur apparencemerveilleuse, en montrantque tous peuvent se pro-duire spontanément dans la vie courante.

Nous avons établi aussi que l'être suggestionné,même en état de sommeil dit hypnotique, n'est pasun pur automate qui obéit fatalement au sugges-tionneur malgré sa docilité, il conserve son indivi-

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dualité, il est conscient: il peut résister souvent dans

une certaine mesure et peut ne pas accepter toutesles suggestions qu'on veut lui imposer.

Certainement, quand on voit un sujet très sugges-tible, anesthésique,hallucinable, réalisertous lesactescommandés, une question se pose impérieusement:La puissancede la suggestion va-t-elle jusqu'à faireexécuterdes actescriminels?

Avec notre conception de la suggestion, cela n'estpas douteux, puisque tout crime a une cause psy-chique déterminante, puisque nous voyons tous lesjours de mauvais conseils, des excitations malsainesfaire des criminels. Un cerveau faible ou impulsif

sera entraîne facilement à commettre un acte. délic-

tueux. Le fanatisme religieux, politique, ou socia-liste, suggéré par un fanatique, peut transformer unhonnête homme,en criminel. Toutes les passions,colère, haine, passion, amour, peuvent suggérer unemauvaiseaction. On peut dire en vérité qu'il n'y apas un crime dans lequel il n'y ait pas un élémentsuggestif.

Mais la question se pose autrement. Tout sujettrès suggestible obéit-il forcément à une suggestioncriminelle ? Va-t-il fatalementau crime,parcela seulqu'il est suggestionné et ne peut plus résister àl'ordre ? La suggestion développe-Mile,au moins,chez certains sujets, un véritableétat d'automatisme,conscient, je le veux bien, mais irrésistible quandmême,à la faveur duquel ils vont au crime, commeune pierre qui tombe, disait Liébeault ?

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Mon regretté ami Liégeois, dans de nombreusesexpériences, a pu suggérerà des sujets honnêtes desvols, des assassinats, des escroqueries, des faux,même un parricide, et ces suggestionsont été accom-plies expérimentalementavec précision.

Il s'agissait, il est vrai, de somnambules choisia àla clinique de M. Liébeault; et tous n'obéissent pasavec cette précision. M. Liébeault lui-même ne con-sidérait pas tous les sujets comme aptes à réaliser desactes criminels, bien qu'il eût une foi presque absoluedans la toute-puissancede la suggestion.

« Ce sont seulement, dit-il, les dormeurs somnam-bules profonds, chez lesquels a disparu toute initia-tive, toute activité sensible et intellectuelle.Ceux-ci,impuissantsà faire effort pour sentir, raisonner, dis-cuter et agir, sont de toute nécessité impuissants àrésisteraux méchantes tentations. Ne trouve pas quiveut un somnambule au plus haut degré de concen-tration d'esprit; je n'ai rencontré que 4 à 5 sujetspour 100 parmi ceuxquej'ai soumisàl'hypnotisation,sujets par l'intermédiaire desquels on aurait pu sûre-ment faire commettre les crimes les plus épouvan-tables et que l'on n'exécute que dans certains étatsde folie. »

«Ce qui a trompé, ajoute-t-il, les expérimentateursqui ont admis l'impossibilitéde faire réaliserdes cri-mes,c'est le choixpeu réfléchi de ceux auxquels ils ontvoulu les imposer.Aussi ne faut-il pas s'étonner s'ilsont rencontré dans ceux-ci des sujets désobéissantaux ordres donnés, du moment que ceux-ci étaient

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contraires à leurs principes moraux ou à leurs inté-rêts. Et encore ces dormeurs auraient-ils peut-êtrecédé à leurs injonctions, si elles avaient été insinuéesdans leur esprit avec art et insistance. »

Même alors que ces suggestions sont réalisées expé-

rimentalement, on peut objecter avec Delbœuf etGilles de la Tourette que ces expériences ne sont pastoujours démonstratives. Le sujet qui va voler survotre ordre sait que c'est vous qui agissez en lui,

que c'est vous qui êtes responsable, que c'est un si-mulacre de vol et non un vol réel. Le somnambuleauquel vous donnez un couteau à papier pour tuerune personne fictive sait très bien que c'est unearmeinoffensive:ou, si c'est un couteau réel, elle sait quela porte dans laquelle elle le plonge n'est doubléequed'un fantôme. Le sujet n'est pas identifié avec sonrêve. A côté de son hallucination, il a le sentimentde la réalité; ainsi en est-il souvent dans le rêve

normal! Le sujet peut sentir qu'il rêve, qu'il joue de

bonne foi une comédie. On ajoute « Vous ne faites

commettre que des crimes de laboratoire ceux quifont le simulacre du crime ne feraient pas le crimeréel. » Cela peut être vrai pour certains qui agissentmollement, qui frappent seulementpour la forme,ouqui semblentobéir par complaisance,sansconviction.

Mais ceux qui ont assisté à de nombreuses expé-

riences de ce genre, ont la conviction que certainssujets sont identifiés avec leur rôle, ils ne jouent pas

une comédie; ils croient que c'est arrivé; ils ont la

physionomie, les allures, les gestes, l'émotion du

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vrai criminel; et on ne peut se défendre de l'impres-sion que ceux-ci iraient au crime réel. Ainsi en est-il aussi, comme nous l'avons vu, dans le rêve. S'ilest des rêves purement passifs, où nous assistons audrame hallucinatoire comme s'il s'agissait d'un autrenous-même,sans subir l'émotion que devraient pro-duire les événements terrifiants dont nous sommesles victimes, il est des rêves actifs que nous vivons,que nous sentons, avec épouvante, avec respirationhaletante, avec angoisse mortelle, et le réveil est unedélivrance. Rappelons ici que des vrais crimes ontété réalisés dans le rêve somnambulique. Aux ob-servations que j'ai relatées, j'ajoute encore les sui-vantes

On lit dans Orfila qu'une nuit, étantcouchédansune auberge, un somnambule se mit à crier auvoleur. On accourut, on lui demanda ce qu'il vou-lait « Ah1 c'est toi, coquin » répondit-il, en tirantun coup de pistolet. Poursuivi pour cet acte, il futacquitté, parce qu'il prouva qu'il était sujet au som-nambulisme.

Un élève du séminaire de Saint-Pons,raconte leMoniteurdu 2 juillet 1868, se lève pendant la nuit,se rend vers l'un de ses professeurs et le frappe detrois coups de couteau qui, mal dirigés, n'atteignentque le matelas. C'est la première fois que le som-nambulisme se manifestait chez ce jeune homme.Le lendemain, quand on lui apprit son acte qu'ilignorait complètement, l'élève manifeste ses regretset le désir de rentrer chez lui.

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Les journaux américains de 1876 rapportèrent le

fait d'un enfantqui, pendant un accès de somnam-bulisme, alla tuer un de ses camarades et qui, mis

en prison, tenta, pendant l'accès suivant, de tuer unde sescodétenus.

Le somnambule de l'hôpital Saint-Antoine, dontMesnet a raconté l'histoire, se livrait à des vols in.

cessants pendant ses crises. Ce sont ces vols qui déce·

lèrent l'existencedu somnambulisme auquel il étaitsujet. On découvrit ces objets dans la chambre dusomnambuleet il fut. même condamné pour ce vol.

En mars 1877, les journauxont parléd'une femme

qui se volait elle-même. Ces soustractions ayantéveillé de sa part la pensée qu'un voleur s'introdui-

sait la nuit chez elle, elle mit son fils en surveillance

et celui-ci ne découvrit pas sans étonnement quel

était le voleur.Si des crimespeuvent se réaliser dans le somnam-

bulisme naturel, si des impulsionsmauvaisespeuventrésulter d'un rêve, si l'hallucination auto-suggestive

peut commander un assassinat, le somnambulismeartificiel doitagirde méme; et c'est la meilleurepreuve

que nous puissions donner de la réalité possible des

crimes par suggestion. « Un somnambule d'une par-faite moralité, dit A. Maury, peut dans sa vie som-nambulique devenir un criminel. » Que cette vie

somnambulique se développe par auto-suggestion,

ou par hétéro-suggestion,elle est la même; elle estjusticiabledes mêmes phénomènes.

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2. Résistancevariable.

La résistancedes sujets est variable. Il en est qui,très suggestibles, hallucinables, dociles, savent ce-pendant résister aux suggestionsqui leur sont désa-gréables ou jurent avec leur caractère. Voici unejeune fille honnête; je lui suggère à l'état de veille

ou de sommeil, de battre sa mère, de voler unemontre; elle s'y refuse et je ne puis briser sa résis-tance. Cependant je puis l'anesthésier, l'halluciner,lui chatouiller la muqueuse olfactive; elle ne réagitpas. Mais si je veux souleversa jupe et la découvrir,elle réagit, se révolte, se réveille même, désugges-tionnée et revenue à son état normal par l'état dedéfense instinctive que provoque son sentimentrévolté de pudeur.

Il en est d'autres qui se laisseraient faire ou com-mettraient l'acte suggéré, même s'il leur est désa-gréable.

Entre l'obéissance passive et la résistance insur-montable, tous les degrés existent.

Sans doute, il y a des sujets qui obéissentaveuglé.ment, presque instinctivement comme par actionréflexe, sans soumettre l'acte suggéré au contrôle ilsont un idéo-dynamfsme exagéré. L'acte commis,revenus à l'état de conscience normale, ils regrettentce qu'ils ont fait. lis agissent, comme des impulsifsobsédés dans la vie normale. La suggestion paraît

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développer chez eux une obsession irraisonnée. Cetidéo-dynamismeimpulsifparaît surtoutse développerà la suited'expériencestrop fréquentesde suggestions,d'hallucinations et d'obéissancepassive. On crée ainsides impulsifs expérimentaux.

Aussi on peut direque ces expériences répétées

trop souvent chez un sujet ne sont pas sans danger

elles diminuent la capacité de résistance et augmen-tent l'automatisme cérébral.

Le sujetqui vient ainsi de commettre un crime parimpulsion naturelle ou expérimentale, quand onl'interroge « Pourquoi avez-vous mis le feu à lamaison ? » répond « Je ne sais pas c'est une idée;c'était plus fort que moi je n'avais aucune raison dele faire. Je ne suis cependant pas un incendiaire. »

Voici uneexpériencedue à M. Albert Bonjean, ma-gistrat, à Verviers ( i )

Un jour, nous disons à MlleP. en sommeil hyp-notique « MmeM. a un superbe bracelet. Un

quart d'heure après être réveillée, vous prendrez cebraceletet vous le cacherez dans une devos poches. »

Le vol se commet dans les conditions prescrites.Mlle P. ayant été se rasseoir, Mme M. s'écrie

« Tiens, c'est drôle. Je ne trouve plus mon bracelet.

Je l'avais pourtant quand je suis venue. » Puis elle

fait mine de chercher un peu partout, sans rien

trouver naturellement. La compagnie s'étonne on

(i) Albert Bonjean, !'Hypnotisme;ses rapportsapec ladroitet la thérapeutique.Paris, i8go.

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regarde sous la table, on examine les meubles, onsecoue les tapis. En fin de compte,quelqu'un proposede se fouiller. QuandMlleP. qui trouvaittout celatrès singulier,maisqui de la meilleuregrâcefit commetout le monde, constata la présence sur elle du bra-celet disparu, elle pâlit affreusement et se mit àfondre en larmes, s'écriant tout éperdue « Je nesuis pas une voleuse, savez-vous 1 Si j'avais le bijouen poche, c'est que quelqu'un l'y a mis 1 »

II fallut assez de temps pour calmer ce désespoirtrès sincère. On attribua la mésaventure à une mys-ti6cation imaginéepar un des plus joyeux convives.Tous intervinrent pour affirmer qu'il n'en était pasautrement, et l'incident fut clos de cette manière.

Mlle P. est l'honnêté incarnée et nous la savonsincapable, non seulement d'improbité, mais encorede la plus légère incorrection.

Dans ce cas, il faut bien admettreque l'acte suggéréa été commis commepar un acte réflexe impulsif, lesujet, dominé par l'idée de l'obéissancepassive obli-gatoire, agissant sans faire appel à l'idée morale fré-natrice.

Il en était ainsi dans l'expériencefaite par AugusteVoisin « Nous avons suggéré à une femme pendantle sommeil provoqué d'aller à son réveil s'emparerd'un couteauvéritable et d'un frapper un mannequincouché dans son lit. Ce mannequin, affublé d'une

robe et coiffé d'un bonnet, simulait à s'y méprendreune femmecouchée. A son réveil, elle se dirige rapide-ment vers la table, saisitl'arme, et s'approchant brus-

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quement du lit, elle frappe la femme couchée d'ungrand coup de couteau, machinalement sans lamoindre expression sur le visage, agissant comme sielle était mue par un ressort. Elleattendit un instant,puis revint à sa place et ne parut se souvenirde rien.

Cependant, au bout de trois jours, nous revoyonsnotresujet, qui était triste, sombre, le visage pâli, lestraits tirés. « Depuistrois nuits, dit-elle avec anxiété,je ne dors plus, j'ai d'affreux cauchemars, je croisvoir une femme qui me poursuit sans cesse et m'ac-

cuse de l'avoir assassinée. Je ne puis me débarrasserdecette horrible obsession. Mise de nouveau dans lesommeil hypnotique, nous lui demandons s'il étaitvrai qu'elle avait assassiné, et qui lui avait ordonné

ce crime. Elle répondit que c'était vrai et que c'estnous-même qui l'avions ordonné. Nous lui disonsalors que c'étaitune plaisanterie,que la femme n'étaitqu'un mannequin, et que désormaisses nuits seraientcalmes, sans visions, sans cauchemars. Elle reprit eneffet sa physionomie calme et son sommeil paisible.

On voit que le souvenir de la scène, latent à l'étatde veille parfaite, revenait dans l'état de concentra-tion du sommeilet finit par persister, comme un rêveconfus.L'acte suggéré avait été commis aussi par unréflexe impulsifcréé par l'idée d'obéissancepassive.Plus tardseulement, quand le souvenir latent revintàla conscience, les remordset l'angoissel'accompagnè-rent.

D'autres sujetsaccomplissentle crimesuggéré, nonpas par impulsion irraisonnée, mais de propos déli-

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béré, et malgré leurs instincts d'honnêteté, parce quela suggestion faite ou leur propre auto-suggestioncrée en eux des raisons ou des sentiments qui expli-

quent le crime «Je l'ai tué, parce qu'il a attaquémonhonneur, j'étais en droit de légitime défense. Il avaittiré sur moi je n'ai fait que me défendre. J'ai pris

son porte-monnaie pour reprendre l'argent qu'ilm'avait volé. »

Tout un roman, avec souvenirs fictifs, s'échafaudedans soncerveau,pour adapter la possibilitédu crimeà sa mentalité et à sa moralité.

Quand la sensibilité morale fait défaut, quand lesujet expérimental n'a ni sentiment de pitié, ni sen-timent de justice,quand c'estde plus un être impulsifet violent, le terrain psychique est ouvert, sans arti-fice, aux manœuvres suggestiver N'en est-il pasainsi dans la vie normale ?

La suggestion expérimentale ne fait donc que ceque font les suggestions ordinaires de la vie. Ellemeneau crime un impulsif perverti, prédisposé parsa mentalité; elle peut pervertir par des excitationsmalsaines certaines natures honnêtes, mais faibles;elle peut tromper un brave homme en lui imposantle crime comme un acte de défense; elle peut créer

un état de conscience nouveau, avec obéissance pas-sive, supprimant le contrôle moral, et réalisant uncrime impulsif elle peut enfintrouver une résistanceplus ou moins grande et même insurmontable chezlesêtres doués d'un grand sens moral.

Mais, je le répète, l'hypnose ni la suggestion ne

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créent pas un automatismeinconscient, soumis, sansla participation du moi, à la volonté de l'opérateur.Si certains sujets, suggestionnéset dressés par lui,obéissentà tous ses ordres, c'est qu'ils ont en lui unefoi aveugle, c'est qu'ils ont l'idée fixe de faire tout cequ'il leur commande. Cela se voit aussi dans la viecourante. Le fanatisme suggestif fait des prosélytesimpulsifs et transforme les agneaux en loups, leshommesdoux en assassins.

3. élément suggestif DANS LES crimes reels.Observations.

J'ai dit qu'il n'y a pas de crime sans élément sug-gestifs, comme il n'y a pas d'acte sans psychismedé-terminant, comme il n'y a pas d'effet sans cause.

Cherchons cet élément dans quelques observationsdecrimes que j'ai relatéesen 1897 dans mon Rapport

sur la suggestion au point de vue médico-légal auCongrès international de médecine de Moscou. Ce

sont des causes célèbres qui passionnaient il y aplusieurs années l'opinion publique.

Gabrielle Fenayrou avait été élevée dans de bonsprincipes; tous s'accordaient à la considérercommedouce et honnête. Elle se marie les premièresannéessont heureuses; elle paraît épouse dévouée et bonnemère. Un jeune homme capte son imagination sonmari, aux prises avec les difficultés de l'existence,lanéglige elle se donne à ce jeune homme. Plus tard,

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le mari rumine des idées de vengeance contre lui;car, après avoir séduit sa femme, il a fondé une phar-macie voisine qui prospère, tandis que la sienne péri-clite. Pour assouvir sa vengeance, il captive de nou-veau l'esprit de sa femme, lui persuade que son rivalest cause de leur malheur, lui insinue qu'il faut letuer, que sa réhabilitation morale est au prix de cemeurtre. Ellese laisse aller à cette suggestion.Docile,cédant aux menaces, elle donne rendez-vous à sonancien amant, sous prétexte de renouer des relationsinterrompues. Elle y va chemin faisant, elle vaprier à la Madeleine. Puis froidement, sans émotion,elle le conduit à son mari qui l'assassine devant elle.Aucun remords, aucun regret n'agite sa conscienceelle ne paraîtpassedouterde l'énormité de son crime.Rien dans ses antécédents ne faisait prévoir cetteperversité monstrueuse du sens moral. Devant lejury, sa maîtresse de pension disait que c'était l'élèvela plus docile, la mieux disciplinée. Un témoin a ditd'elle « C'était une pâte molle, elle allait au viceaussi bien qu'à la vertu. » Traduit en langage psy-chologique c'était un cerveau suggestible, elle étaitdocile à toutes les suggestions.J'ajoute que le sensmoralne faisaitpas contrepoidsaux suggestions mau-vaises. Avec une bonne direction, cet être sans spon-tanéité, avec une absence complète de sensibilitémorale, mais sans perversité native, aurait peut-êtreaccompli une carrière honnête. Mal dirigée, malsuggestionnée, elle est allée au déshonneur et aucrime.

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On se rappelle le cas analoguede l'autre Gabrielle,Bompard. Elle s'est donnée corps et âme à Eyraud,homme d'affaires beaucoup plus âge qu'elle, vivantd'expédients. A bout de ressources, l'idée d'un assas-sinat lui vient; il choisit Gouffé, huissier. A son ins-tigation, Gabrielle Bompard le captive, et le luiamène. Tout est préparé d'avance: une cordelièrepour lui passer autourdu cou; une corde avec porte-mousqueton moufle et poulies fixées et agencées,

une corde pour ficeler le cadavre, un sac pour l'en-fermer et une malle pour l'emporter. Elle lui passela cordelière autour du cou, l'ajuste au porte-mous-queton Eyraud tire la corde et la pendaison estopérée. Elle passe la nuit à côté du cadavre, tandisqu'Eyraud va à l'étude de l'huissier le dévaliser.Onconnaît la suite; le transport de la malle avec lecadavre dans un fossé couvert de broussailles prèsde Lyon la découverte de la malle, la fuite desassassins en Amérique; la rencontre avec M. Ga-ranger qui, voyant Gabrielleen de mauvaisesmains,s'intéresse à elle, obtient d'elle l'aveu de son crime,la décide à abandonnerEyraud, à le suivre à Paris età se livrer à la préfecturede police. Plus tard Eyraudest reconnu et arrêté à la Havane.

Qu'est-ce que Gabrielle Bompard? Un être nati-vement dépourvu de sensibilité morale, n'ayant eud'ailleurs que de mauvais exemplesdans la maisonpaternelle. Encore enfant, elle attire des jeunes genschez elle. Le crime commis, elle couche à côté ducadavre. Après son arrestation, elle raconte simple-

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ment ce qui s'est passé, revoit sans émotion le théâtredu crime, s'amuse de l'attentiondont elle est l'objet,mangede bon cœur. Sa conscience morale absentene lui reproche rien. Le rapport des médecins cons-tate chez elle une cécité morale, une lacune ».

En outre elle est très suggestible, c'est-à-direqu'ellepeut être influencée par quiconque sait prendre del'ascendant sur elle, acceptant et réalisant facilementles idées suggérées. Elle était hypnotisable et hysté-rique elle servait à des expériences dansune maisonde mauvais aloi où son amant la conduisait. Elle luireste soumise, bien qu'il la maltraite; elle qui estjeune, agréable, ayant une certaine intelligence,dupiquant, faite pour réussir dans le demi-monde, ellereste sous la domination d'un être qui n'a que desdettes, qui l'exploiteet la bat. Le crime commis, ellesuit son amant à travers les deux mondes, se laissejeter par lui dans les bras de plusieurs personnes derencontre,docile aux suggestionsd'Eyraud, jusqu'àceque M. Garanger l'en dégage et la rende docile auxsiennes.

Absence de sens moral et suggestibilitéexcessive,tellessont les dominantes psychologiques de cet êtrequi n'auraitpeut-être pas eu la spontanéitéd'un crime,mais dont les instincts ne lui répugnaient pas, et quela suggestion pouvait y entramer, sans contre-sugges-tion nativeouacquisedusensmoral. Elle étaitenprisondepuis huit années, quand elle m'écrivit une lettretrès correctement écrite où elle me priait, sans meconnaître,d'intervenir auprès de la Ligue des Droits

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de l'homme pour lui faire obtenir sa liberté; trou-vant tout naturel qu'on intervint pour elle, commeon était intervenu pour Dreyfus. Cette lettre ne di-sait pas un mot du crime; comme si de rien n'était.Ingénuité de candeur morale!

L'affaire suivante qui s'est dénouée en t8gi devantla cour d'Oran me paraît très intéressante à notrepoint de vue.

JaneWeiss, née Daniloff,était filled'unemère,nihi-liste russe exilée qui faisait sa médecine à Paris, et de

son amant, homme marié, occupant une assez hauteposition mondaine. Sa mère mourut; elle fut élevée

par sa grand'mère, femme excentrique, joueuse à

Monaco, vivant dans les milieux les plus divers,

lettrés, officiers, étrangers, femmes galantes. A onze

ans déjà, elle devint amoureuse d'un Français, d'unetrentaine d'années. A 17 ans, à Paris, elle fit la con-naissanced'un autre dont elle devint la maîtresse

elle ne l'aimait pas, dit-elle, mais avait besoin de

tendresse. M. Weiss, lieutenant d'artillerie conçut

pour elle une passion violente et finit par l'épouser,après avoir donné pour cela sa démission, il devintadministrateur civil à Aïn Fezza. Ce mariage fut très

heureux pendant cinq années. Deux enfants étaientnés, quand vint un jeune ingénieur, Rocques, qui endevint follement amoureux. Elle résista d'abord,

puis partagea cet amour, et fut sa maîtresse. A

partir de ce moment, elle ne s'appartient plus. « Tout

ce qu'il veut, dit M. Tarde, il faut qu'elle le fasse, si

insensé que ce soit ». Il se glisse la nuit dans la

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chambreconjugale, près du lit où dorment les deuxépoux, réveille Jane et lui dit: « Vienst » et elle lesuivit dans la pièce voisine. « Il m'était, dit-elle,impossible de lui résister. » Elle a fait tous seseffortspour briser ses relations avec lui elle n'a paspu. Elle a appelé son mari lui-même à son secours.Tentative désespérée! Bientôt l'idée fatale du poisonsuggérée, dit-elle, par son amant jaloux s'implanta,après une certaine lutte, dans son cerveau. La réso-lution est prise: elle lui verse dans ses aliments, parpetites doses, la liqueur arsenicaleque Rocques luienvoie; elle continue, sans pitié auprès du lit de sonmari malade,à verser les gouttes de poison au milieudes caresses.Elle écrit à son amant « Je n'ai plus depoison. Envoie-m'en uneprovisiondansles babouchesdes enfants. » Cette lettre interceptéefit découvrirlecrime. Roques, arrêté en Espagne, se suicida.

Dans toutes ses dépositions,l'accuséeaffirme avoiragi à l'instigation de son amant. Dans une lettre aucrayon écrite au juge d'instruction,elle écrit: « Cer-tainement sans les ordres formels, impératifs, réi-térés qu'il m'a donnés, je n'aurais pas eu la forced'agir ». « On dirait que tu as peur d'agir, m'écrivait-il. Eh bien 1 oui, c'est moi qui le veux, moi qui l'or-donne. Sois la main et la main seulement, je serai latête, la force et la volonté. » Je jure sur la tête de mesenfants que pas un mot de ceci n'est douteux, c'est lavérité purement et simplement. « Jane Danilolï ».

« C'est lui, dit-elle à l'audience, qui a exigé la dis-parition de mon mari. Il voulut même tout d'abord

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me forcer à me servir de cyanure de potassium. Jen'ai point agi de mon libre arbitre. J'ai obéi auxordres que me donnait l'homme que j'aimais; cesordres impératifs sont encore réitérés dans ses der-nières lettres arrivées depuis mon arrestation. Pen-dant une année entière, j'ai lutté contre la force quime maîtrisait. N'avais-je pas sous la main ce terriblecyanure. Et qui sait le nombre de fois, où, aprèsavoir juré d'en finir, je reposai ce flacon, saisi d'unemain décidée à obéir. J'avais beau me débattre, je nem'appartenais plus. M. R. avait tait naître en moi,une femme que j'ignorais, une femme violemmentpassionnée, passivementsoumise. Non seulement, il

a bouleversé mon existence, mais il a bouleversé monêtre intime tout entier. »

Le médecin expert rapporte le fait suivant:Le 2 décembre, Mme Weiss était entréeà l'hôpital,

portantsa petite fille Berthe dans ses bras; l'enfantmeurt deux jours après, et l'expert a pu constaterl'impression profonde que cette perte a produite surl'état mental de sa mère. Il l'a surprise une fois, àl'improviste, à moitié couchée dans son lit, tenantserrés dans ses bras les vêtementsde son enfantet ver-sant silencieusementdes larmes abondantes. Au ré-veil, elle avaitperdula notion exacte des choses, elle sefiguraitque sa petite fille était encore vivanteet qu'onla lui avait rendue guérie « J'ai retrouvée ma mi-gnonne, ma chérie, s'écria-t-elle avec joie; enfin onme l'a rendue, non plus froide, comme elle était,mais rose et gazouillante. »

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Le même jour, elle écrit à sa grand'mère. « J'ai étésouffrante ces jours-ci, j'avais une hallucinationatroce; ma mignonne ayant très froid, je me figu-rais qu'elle était morte, etc. Hier samedi, j'ai obtenuqu'on la fasse revenir à la prison et j'ai retrouvé mapetite. » Le juge d'instruction constate lui-même àla prison cette illusion dans laquelle vivait l'accusée.Le lendemain le procureuret le juge se rendirentensembleà la prison et constatèrent la persistancedumême phénomène. Les vêtements de la petite Bertheétaient étalés sur un lit etc'est là que la mère voyaitson enfantendormi.

Mme Weiss fut condamnée à vingt ans de travauxforcés. Elle implora le pardon de son mari qui lerefusa. Rentrée dans sa prison, elle se suicide, enabsorbant de la strychnine.

Exaltation de sensibilité affectueuse, de passionfolle et amoureuse, suggestibilité excessive, halluci-nabilité, grande faiblesse de sens moral, telle est laformulede cette psychologie féminine. L'idée crimi-nelle ne trouva pas un frein suffisant.

L'auto-suggestiondu crime peut se développerchezcertaines âmes par les événements de la vie. Quel'idée vienne d'un suggestionneur, ou qu'elle soitsuggérée par les mouvementsde l'âme, le phénomèneest le même. Je rappelle,en la résumant, cette obser-.vation démonstrative.

Meunier, ancien commis de forges, préposé de.douanes, père de deux enfants, de famille honnête,était connu par la régularité de sa conduite, ses

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mœurs irréprochables; c'était le modèle du père defamille. Il soignasa femme avec beaucoupde dévoue-

ment, devint veuf et continua à s'occuper de ses en-fants, jouant avec eux ou les menant promener.

Obligé par son service d'être jour et nuit hors de

chez lui et ne pouvant abandonner ses enfants, il

songea à se remarier pour leur donner une nouvelle

mère. On lui parla d'une fille du pays, Mlle J. quiappartenait à une honorable famille, avait un peu de

bien, entre autres, une maison à Amernont elle avait

un frère dans l'armée, capitaine d'infanterie de

marine décoré. Ce mariage lui souriait, flattant sonamour-propre. Cette idée de mariage devint pour lui

une vraieobsession. Il décida qu'il épouseraitMlle J.Il connaissait cette personne depuis longtemps; elle

était d'ailleurs très laide, rousse, petite; elle n'éveil-

lait pas en lui la moindre passion. C'était un ma-riage de raison qui devint son idée fixe. Il écrit à

Mlle J. et lui demande la permission d'aller la voir.Sa premièredémarche est encouragée.Mais on lui

écrit qu'il ne doit pas insister; il n'est pas assez riche

pour elle, elle ne veut pas épouser un veuf avec deux

enfants; elle ne veut pas quitter le pays, parce qu'elle

y a une maison.Meunierchercheen vain à vaincre la résistancede

Mlle J. Rien ne fait. Son idée fixe le, poursuit.« Si

vous me repoussez,dit-il, je viendrai me brûler la

cervelle à vos pieds. »Alors commenceune série decrimes épouvantables.

Il n'est pas assez riche. Il le sera. Pour cela, il

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s'introduit chez un vieux prêtre d'une commune voi-sine, l'assassine avec sa servante, vole tout l'argentqu'il trouve au presbytèreet incendiela maison pourfaire disparaître les traces du crime.

Quelque temps après, Meunier se présentait chezMlle J., lui annonçantqu'il était riche, qu'ilavait faitun héritage, et renouvelait sa demande de mariage.Elle objecta encore qu'elle voulait ne pas quitter lepays et demeurer dans sa maison.

Quelques jours après, cette maison, qui faisaitobs-tacle à son projet, devenait la proie d'un incendie.

Meunier écrit une lettre de condoléanceset espèreque, puisque rien maintenant ne la retient plus aupays, elle pourra le suivre.

Elle répond en l'assurant detoute son estime,maisajoute que sa mère ne donnera jamais son consente-ment à un mariage avec un veuf, père de deux en-fants.

Il décide d'en supprimerun, et une nuit, aprèsavoirsoupé avec lui et l'avoir couvert de caresses, il luibrise la colonne vertébrale en pressant la tête sur lebord du lit en fer; puis le plaçadans une positionquipouvait faire croire qu'il était mort étouffé.

Puis il annonça à Mlle J. le malheur qui le frap-pait. « Son cher petit Julien venait desuccombera unmal foudroyant. » Et il l'adjurait d'être à lui. Ellerefusa par une fin de non-recevoir.

Alors,saisid'unehaineimplacable,ayantconsciencede ses forfaits, il conçut des idées de vengeance 1 Ilalla s'embusquer près de la maison J., et une nuit il

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tira sur le capitaineJ. qui sortait et tomba l'épaulefra-cassée. Il a prétendu qu'il voulait tirer sur Mlle J.

La rumeur publiquedénonça Meuniercommel'au-

teur de ce dernier attentat. Il fut arrêté et on décou-vrit alors qu'il était l'auteur de tous les crimes qui,depuis trois mois, avaient jeté la consternation dansle pays.

Il fut condamnéà mort, eut une bonne attitude àl'audience, accepta sans défaillance la sentence dujury, la reconnut méritée, et attendit l'expiation avecune grande force de caractère. « J'ai tué mon sang,dit-il, je mérite la mort, je saurai mourir. »

Et pendantque l'exécuteur faisait les derniers pré-paratifs, Meunier, la tête haute, se tourna vers les

personnes présentesdans la cellule. « Je ne suis pasun criminel, messieurs.Ah 1 les femmes 1 Paramourd'une fille, tuer son propre sang. Un homme quin'avait jamaisrien eu avec personne et qui avait tou-jours eu une bonne conduite Quand vous voudrez,je suis prêt Un bon Français n'a pas peur de la mort.Un bon soldat comme moi ne la craindrapas 1 »

Cette observation n'est-ellepas éminemment ins-tructive ? Un homme, jusque-làhonnête, qui a le sen-timent du devoir et de l'honneur,devient voleur, in-cendiaire,assassin, pour supprimer tous les obstaclesqui l'empêchent d'arriver à son but, faire un mariage

non d'amour, mais de raison, dont l'idée est devenueobsession chezlui 1 Meunier,malgrédes idées acquises

par l'éducation d'honnêteté et dedevoir,n'avaitaucunesensibilité native; il tue son enfant et fume la pipe à

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côté du cadavrede son enfant; il témoignedes regrets

parce qu'il a manqué au devoir et à l'honneur! il atué son sangl Il n'a pas la pitié, ni le remords. C'est,

comme toujours, cette absence native de sensibilitémorale qui a laissé un libre champ à l'auto-sugges-tion criminelle.

4, IMITATION. Publicité.

Ces observations montrent bien l'influence quel'élémentsuggestif jouedansl'évolution du crime in-dividuel.

Et les attentats politiques, révolutionnaires, anar-chistes, ceux créés par le fanatismereligieux,ceux desgrévistes, n'est-ce pas de la suggestion collective?

L'imitation, la publicité, le théâtre peuventdonnerl'idée d'un crime et faire office de suggestion surcer-taines natures instinctives et amorales. A peine a-t-on signalé l'assassinat d'un garçonde recette, ou unassassinaten chemin de fer, qu'un second crime cal-qué sur le premier se commet. Le supplément duPetit Temps du 19 novembre 1910 relate l'histoireintéressanted'un criminel de Leipzig raconté par lui-même j'en extrais le passage suivant « Par hasardj'ai vu une fois dans un journal que quelqu'un avaitattaqué un facteurde lettres chargées.Le même jour,tandis que je rentrais tranquillementchez moi, j'airencontré par hasardun facteur de cette espèce, surquoi l'idée m'est venue que cet homme-là aussi pou-

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vait fort bien être dépouillé. De retourà la maison, je

me suis enfermé dans ma chambre, et j'ai longtempscombattu contre moi-même mais enfin je me suisrésolu à exécuterl'acte projeté. » Suit le récitdu crime.Voici un crime par imitation. On jouait à Vienne,

en janvier 1907, une pièce pornographique, Fleursde trottoir. Dans l'une des scènes, on représente unsouteneur étranglant sa maîtresse avec une serviette

éponge. A cette représentation assistait un jeunehomme de 22 ans, bien connu en ville. Il vit com-ment on procédait et prit sur son cahier de papier àcigarettes quelques indications destinéesà lui rappe-ler certains mouvements. A son retourdans sacham-bre, à 2 heures du matin, il étrangla sa maîtresse

exactement dans les mêmes conditions qu'il avaitremarquéessur la scène. Il l'a avoué lui-même.

Si la peur du châtiment peut agir comme contre-suggestion pour-arrêter le bras de l'assassin, et inhi-

ber certains malfaiteurs, il semble cependant que larestauration de la guillotine n'ait pas diminué la sta-tistique du crime 1 On dirait qu'elle marche de pair

avec la publicitéprogressivede la presse.Celle-ci relate, dans tous ses détails, les grands

crimes, les beauxcrimes; elle les dramatise. L'attitudedu criminel, sa vie antérieure, le sang-froid et l'ingé-niositédéployés par lui, tout cela illustré par le por-trait de l'assassin, est offert en pâture à l'imagina-tion des lecteurs. Beaucoup,avides d'émotions, res-tent sous l'impression obsédantede ces drames pas-sionnants et certains impulsifs pervers y trouvent

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un entraînement suggestif, une invite malsaine aucrime.

On sait combien les enfants, instinctifs et impul-sifs, dont la raison ne refrène pas encore l'imagina-tion, subissent facilement les influences; ils jouentauxbrigands, aux apaches.Certainsmettent leurpointd'honneurà être chefs d'apaches; ils mettent volon-tiers en action les scènes qu'ils ont lues ou entendues.

A un âge plus avancé, le cerveau est plus mûr, lesimpressions moins vives, moins naïves; l'éducation,le jugement, les facultés de contrôle tempèrent l'au-tomatisme instinctif. Mais il y a de grands enfantsqui restent toute leur vie instinctifs et impulsifs, etdépourvusde sensibilité morale.

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CHAPITRE XI

Attentats commissur une personne en état

Des attentats peuvent-ilsêtre commis contre cer-taines personnes à la faveur d'une suggestion quiannihile leur résistance ? Peut-on, par exemple, vio-

lenter une femme grâce à la suggestion? Cela r'est

pas douteux, si on donne à ce mot la signification

que nous lui donnons. La séduction n'est en réalité

qu'une suggestion, soit qu'on impose à une femme

un amour passionné qui la livre sans défense, soitqu'on lui communique un désir sensuel excessif quila livre à son séducteur. Qu'est-ce autre chose qu'unétat de suggestion à laquelle certaines résistent, à

laquelled'autresne peuvent résister? Et cette excita-tion passionnelle ou sensuelle suggérée produit enréalité un nouvel état de conscience, voire un étatsomnambuliquequi peutêtre suivid'amnésie,commedans les observationsque j'ai relatées.L'attentat peut-ilêtre commisà la faveur d'une hal-lucination négative chez un sujet susceptible d'en

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avoir? Il ne voit plus il n'entend plus, il ne sembleplus percevoir les impressionsémanantdu suggestion-

neur, bien qu'en réalité, nous l'avons vu, il les per-çoive,puisqu'onpeuten éveiller le souvenir;etceci estimportant, puisquesi attentat il y a eu, il na restepas àat jamais ignoré de la victime. Mais l'illusion néga-

"tive est-elle assez grande pour que, dans cet état, uneviolencedontil est l'objet ne trouve pas de résistance?Les expériences que j'aifaites m'ontlaissécetteimpres-sion que certaines se laisseraient faire sans protester.Mais d'autres ne resteraientpas dupes de leur illusionet reviendraientau sentimentde la réalité, par l'ins-tinct de défense. Cependant, mes expériences n'ontpas été suffisantes, on le comprend, pour résoudrecomplètementcette question.

La suggestion peut-elle produirechez certainssujetsun état d'inconscienceou de léthargieà la faveur du-quel l'attentat peut être commis à l'insu du sujet,comme dans le sommeil chloroformique?On citepartout le cas de cette jeune fille de Rouen, violée à

son insu et devenueenceintedesoeuvresd'un dentistequi la traitait. La jeune fille ayant sur les indicationsdu dentiste relevé et maintenuses lèvres sur ses na-rines, sentitau bout de quelques minutes qu'elleper-dait connaissance. Les jours suivants, même crised'inconscienceet d'insensibilité, et c'est dans cet état,à son insu, que le viol fut commiset répété.

Brouardel, qui fit l'expertisemédico-légale,admetque cette jeune fille nerveuse, placée par le dentistedans une position telle, que couchée, les mains rele-

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vant la lèvre supérieure,empêchantla vue de se diri-

ger en bas et obligeantles globes oculairesà se porteren haut, est tombée dans le sommeil hypnotique.

Ce n'est pas par suggestion, c'est par léthargiehyp-notique que le viol auraitété commis.

L'opinion de Brouardel, acceptée par Gilles de laTourette, résulte de l'ancienne conception erronéede l'hypnose. Celle-ci, comme je l'ai dit, n'est jamais

un sommeil inconscient. On ne peut pas plus violer

une femme dans le sommeil dit hypnotique quedans le sommeil normal. Il s'agit dans ce cas d'unecrise d'hystérie émotive due à l'impressionnabilité

nerveuse de la jeune fille actionnée par les manœu-vres du dentiste.L'hystérie peut déterminer des crisesde sommeil sans convulsions,avec inertie totale phy-sique et morale. Chez quelques-unes, la consciencen'estpas abolie pendantces crises; elles entendent, serendentcompte,conserventle souvenir, mais sont in-capablesde parleret de réagir;c'est la défaillancener-veuse. Les crises dites syncopales, fréquentes chezcertainesfemmes, ne sont que des crises de sommeil

ou de défaillance nerveuse. Chez celles qui y sont su-jettes, les premières tentatives d'hypnotisation, parl'émotionqu'ellesdéterminent, donnent souvent lieuà ces crises de sommeil hystérique, au lieu de donnerlieu à l'hypnose.

Tel était le cas chez cette fillequi était une hystéri-

que. Depuis ces séances, la mère déclare qu'elle s'en-dort à tout moment elle accusait des étouffements,des cauchemars, des spasmes, etc.

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Uneautre jeune fille aurait été violée dans un étatanalogue par un jeune homme qui avait l'habitudede la magnétiser.Le docteurLadame,deGenève, a faitsur ce cas un rapport médico-légal.« Il m'a magné-tisée, dit-elle, à la cuisine, sansm'en demander la per-mission puis, à un certain moment, je me suis àdemi réveillée j'ai vu confusémentque j'étaissursonlit et j'ai senti qu'il était sur moi j'ai voulu le re-pousser mais je n'avais aucune force et lorsqu'il avu cela, il m'a endormie encore plus profondémentque la premièrefois j'ai voulu crier, mais je n'ai paspu, etc. »

II s'agit là de cet état que j'ai appelé défaillancener-veuse et que les auteurs appellent à tort léthargie lu-cide c'est une variété de crise d'hystérie.

Dans ce cas, ce ne sont pas des violspar suggestion,mais des viols à la faveur d'une impuissance crééepar l'émotion. C'est un viol par effraction tel qu'on lecommettrait chez une apoplectique, une paralytiqueincapable de se défendreet de crier. Dans le sommeilordinaire, il n'y a ni inconscience, ni impuissance.Une femme qu'on veut violenter se réveille et résiste.Il en est de même dans le sommeil provoqué, àmoins qu'une crise de sommeil hystérique émotif nesoit venu se greffer sur l'hypnose ce que j'ai observéassez souvent.

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CHAPITRE XII

Suggestion dans l'éducation. Innéité. Atavisme.éducation morale et intellectuelle. Direction desinstinctifs et impulsifs. Aberrations collectives.Psychologie des fautes. Responsabilité morale.

t. SUGGESTION BANS l'éducation.

Nous avons dit que si la suggestionpeut réaliseruncrime chez un impulsif, si elle peut fausser le sensmoral,elle ne peut cependantpas le détruire, lorsqu'il

est robuste.Sans douteune âmebonne et honnêtepeutêtre momentanément dévoyée par une suggestionhabile et malsaine, ce qui se voit tous les jours; elle

ne peut pas être radicalement et définitivement per-vertie par elle. La suggestionne peut ni créer le sensmoral, nativement absent, ni détruire le sens moralinné. « L'hypnotisé, dit Delbeuf, n'est pas si peu lui

que d'autres inclinent à le croire. Malgré toute sadocilité superficielle, il y a des choses qu'il ne feraabsolument pas. Chérubin ne fera pas Jack l'Éven-

treur, ni Marie Alacoque la Marion Delorme. » Lesqualités morales natives et l'éducation qui lesa déve-

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loppées et appliquées constituent elles-mêmes dessuggestions antérieures et supérieuresà celles qu'unêtre mal intentionné pourrait lui opposer. « Tu nevoleras pas 1 tu ne tueras pas 1 tu ne tromperas pas 1 »-

Cette formule morale inscrite par l'éducationsugges-tive dans un cerveau né honnête, lui suffira pendanttoute sa vie à ne pas accepterles suggestionsperni-cieusesauxquelles il sera exposé.

Mais il y a des méfaits moins graves que le vol etle meurtre, et le sens moral n'est pas toujours par-fait il peut être faible et faillible. Tous les hommesont certainsgermes de défaillancemoraleque la sug-gestion peut développer. La perfection n'est pas dece monde.

Si la suggestion ne peut pas transformer tous leshonnêtesgensen malfaiteurs,peut-elle transformerunvicieux en honnête homme ? Peut-elle créer le sensmoral absent ? Est-il vrai de dire avec avec Durandde Gros que le braidismenous fournit les bases d'uneorthopédieintellectuelleet moralequi sera inauguréeun jour dans les maisons d'éducation et dans lesétablissementspénitentiaires?

Élargissonsla question et demandons-nous ce quepeut faire la suggestion dans l'éducation. Jusqu'àquel point les passions, les instincts, les tendancesmorales, les facultésde l'esprit peuvent-elles être mo-difiées par unesuggestionprolongéeethabilementcon-duite soit à l'étatde veille, soit à l'état de scmmeil ?

Et d'abord, je répète ce que mes expériences nom-breuses m'ont permis de conclure. La suggestion

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dite hypnotiquen'impose pas fatalement les idées auxcerveaux; elle ne fait pas plus que la suggestion àl'état de veille. Un hypnotiseur ne sera pas un éduca-teur automatique; il ne fera pas plus, il fera moins,s'il n'a pas l'habitude des enfants, qu'un précepteursagace et expérimenté, qui sait captiver.leur esprit, etadapter sa suggestion éducatrice à l'individualitémo-rale des sujets.

On sait combien l'éducation de l'enfant, les doc-trines philosophiques et religieuses dans lesquellesil est bercé dès son plus jeune âge, les notions et lesimpressionsque le milieuambiantluicommuniquent,déteignent sur lui et imprimentà son être moraluneempreinte qui persiste toute sa vie. Les hommesmûrs, chez qui l'expériencepersonnelle de la vie aémancipé le cerveau,conservent souvent, en dépit detoute leur indépendance d'esprit, de toute leur libreraison, un vieux fonds d'idées dont ils ne peuventplus se départir, parce qu'elles se sont incarnées dansleur cerveau à la faveur d'une longue suggestionantérieure, bien que ces idées jurent avec leur men-talité actuelle. « Sans que l'on s'en rendecompte, ditLiébeault, on acquiert des notions moraleset poli-tiques, des préjugésde famille, de race, etc., on s'im-prègne des idées qui font atmosphère autour de soi.Il est des principessociauxetreligieux qui ne devraientpas résister devant le sens commun, pour ne pasdire devant la raison, auxquelson croit de bonne foi,et que l'on défend comme son propre bien. Ces prin-cipes étaient ceux des ancêtres; ils sont même natio-

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naux, ils se sont incarnés du père aux fils. Les dé-truire par le raisonnement est impossible;et par laforce, c'est dangereux. On a beau en démontrer lafausseté; il y a dans les hommes des pensées parimitation qui, tout absurdes qu'elles sont, font corpsavec eux-mêmes,et finissent par se transmettre degénérationen génération, à la façon des instincts. »

L'éducationcependant, quelque suggestif que soitl'éducateur, quelque docile que soit l'enfant, ne faitpas ce qu'elleveut. Beaucoup de personnes simplisteset honnêtes croient que l'enfant naîtavec un cerveauvierge dans lequel l'éducation sème la bonne ou lamauvaise graine. L'homme serait ce que l'éducationle fait. Les vertus feraient honneur aux éducateursqui les ont développées, les vices accuseraient uneéducationvicieuse.

Cette conception,que les doctrines religieuses sem-blent admettre, ne résiste pas àl'observation. L'enfantnaîtavec un certain fond moralet psychiqueatavique.D'une part, il reproduit certainscaractères physiques,traits de physionomie,allures, gestes, intonation devoix, et jusqu'à certains tics ou certaines difformitésd'un parent ou d'un ancêtre plus ou moins éloigné;d'autre part, il reproduit certains caractères morauxet intellectuels qui peuvent constituer l'un des typespsychiques, héréditairesde la famille.

Ce n'est pas toujours dans les générateurs directsqu'on trouve l'équivalent des germes moraux et psy-chiques qui évoluent chez l'enfant. Il en est d'euxcomme des germes morbides; ceux-ci aussi peuvent

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rester latents pendant certaines générations et sedévelopper seulement chez l'un des descendants.Quoi qu'il en soit, l'enfant na?< un peu ce qu'il est;son avenir est dans l'œuf; il a des instincts, desaptitudes, des modalités nerveuses et intellectuellesqu'il apporte au monde et qui le déterminent avecune certaine fatalité. Voici deux frères élevés dans lemême milieu, soumis aux mêmes exemples, à lamême éducation l'un seradocile,honnête,laborieuxl'autre sera indocile, paresseux, vicieux. Les parentsuseront sur lui toute leur influence châtiments, élo-

quence, suggestion religieuse, rien n'y fera. Chez tel,l'éducation maternelle ne parvient qu'à recouvrir lenaturel d'un vernis trompeur. La mère croit formerson enfant à son image; le naturel inscrit dans l'oeufrevient au galop dès que l'enfantvole de ses propresailes et la mère nereconnaît plus son oeuvre.

Chez tel autre, son influence bien dirigée réprimeet atténue certains instincts héréditaires, moins pro-fondément incarnés; elle corrige dans une certainemesure l'oeuvre mauvaise de la nature.

Des parents robustes et sains peuvent procréerunmonstre physique. D'autres sains de ceps et d'espritprocréent un monstre moral.

Entre ces cas extrêmes, enfant foncièrement bon,enfant foncièrementvicieux, rebelle à toute sugges-tion, toutes les transitionss'observent.

Une bonne éducation peut développer les germesqui existent, aptitudes moraleset psychiques;elle nepeut pas les créer chez ceux qui en sont dépourvus.

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Là où le sens moral n'existe pas, aucune suggestionne peut le faire naître, pas plus que l'éducation phy-sique ne peut faire pousserun membrequi faitdéfaut.L'une ne peut sans doute remédier à certains perver-sions instinctives incurables, pas plus que l'autre nepeut supprimer certains vices de conformation.

Mahce sont là, fortheureusement,descasextrêmes.La plupart des enfants naissent avec des germes bonset mauvais.Lasuggesttop.,cest-à-direréducationbiendirigée, peut développerles uns et atténuer les autres.

Il ne serait donc pas exact de dire que la doctrinede l'innéité et de l'atavisme commande le fatalismeet la résignation. A côté de suggestions ataviques,viennent aussi des suggestions par l'éducation et lesincitationsdu monde extérieur; et c'est pour cela quel'éducation doit intervenir pour neutraliser dans lamesuredu possible les germesvicieux, pour opposeraux impulsionsnativesun contre-poidsdesuggestionscoercitives, pour développer les aptitudes moraleset intellectuelles qui, faute de culture, resteraientembryonnaires,en friche.

Prenons quelques exemples. Tel enfant natt bon,compatissant, avec une grande sensibilité morale;son âme s'émeut devant les souffrances d'autrui, etles injustices. Les mauvaises suggestions,nousl'avonsdit, n'arriverontpas à pervertir cette âme honnêtes etaltruiste. Tel autre n'a pas de sensibilitémorale; sonâme forte, mais peu impressionnable, indifférente,sans être pervertie, ne s'émeut pas, ne connatt pas larépugnance, l'horreur ou la pitié que soulèventchez

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le premier certains actes. Celui-ci peut, nonobstant,rester honnête, si l'éducation lui a suggéré la notiondu juste et de l'injuste, la notion,sinon lesentimentdu devoir, la notion du point d'honneur, suggestionsacquisesqui peuvent faire contrepoidsà l'absencedesensibilité morale.

L'éducation religieuse peut chez certains créer unediscipline rigoureuse de l'esprit et servir de frein àcertaines impulsions mauvaises. J'ajoute cependantque si cette éducation est mal dirigée, si elle s'inspired'une religion déforméepar les passions humaines,ayant perdu son caractère évangélique, devenueétroite et intolérante, elle peutdétonner la sensibilitémorale et allier une austérité de vie et de moeursrespectable à une grande sécheresse de cœur, à uneâme dure et froide.

D'autre part, une éducation trop' positive, unemoralerationnelletrop sèche, qui s'adresseà la raisonplutôt qu'au cœur, crée parfois un scepticismeétroitet farouchequi peut devenir dangereux.

Certaines âmes ont soif de religiosité; je n'appellepas ainsi un dogme, mais un idéal vague, poésieindéfinissablede l'âme, aspiration quelque peu mys-tique vers l'inconnu. Mirage et illusion, soit! Maisil leur faut plus que le sens moral, plus que la notiondu juste, il faut un idéal spiritualiste, philosophique,plus élevé, qui berce l'imagination, adapté à l'indivi-dualité du sujet, tutelle contre les défaillances ducœur et de l'esprit.

Mais, je dois le dire, cette religiositévague et phi-

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losophique n'est pas à la portée de tous. L'idéeabstraite n'est pas comprise par les masses. Elle neleur devient compréhensible qu'à la faveur d'unemblème, d'uneincarnation,d'un cultepratique. Lesreligionsdiverses,telles qu'ellessont actuellement, nesont, je le veux bien, que la matérialisation plus oumoins grossière, souvent avec perversion à notreimage par nos passions, de l'idée religieuse. Malgréses imperfections, un culte religieux eat peut-êtrenécessaire à une partie de l'humanité.

Des considérations analogues s'appliquent à l'édu-cation intellectuelle.Chaque cerveau a ses aptitudes.Tel remarquablement doué pour les mathématiques,par exemple,resterebelle à l'étude des langues,ouauxconceptions artistiques. Tel est ouvert aux notionspositives et fermé aux idées abstraites.Notre systèmed'éducation, malgré les réformes déjà accomplies,netient peut être pas enc.u un compte suffisant de cesdonnées d'observations. Dans nos écoles, les jeunesgens sont soumis à une éducation trop uniforme onveut les couler dans le même moule on veut les pas-ser par la même filière pour aboutir à des carrièresdifférentes. Combien d'intelligences, bien douées àcertainspoints de vue, enrayées ou avortées par unediscipline inintelligentequi ne se préoccupepas assezdes incompatibilités intellectuelles. Vouloir intro-duire de force dans tous les cerveaux toutes lesbranchesdes connaissanceshumaines, c'est vouloirforcer chaque sol à mûrir tous les germes du règnevégétal. Faire produire à chaque cerveau ce qu'il est

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capable de produire, féconder et développerles apti-tudes natives de chacun, adapter l'éducation dechacun à sa suggestibilitéspéciale, tel est le rôle dela pédagogie éclairée à la lumière de la psychologie.

2. INSTINCTIFS ET impulsifs.

L'éducation morale, avec l'éducation intellectuelle,

ne fait pas ce qu'elle veut. Sans doute elle peut par-fois inhiber des habitudes morbides, qui ne sont pastrop invétérées. Bien dirigée, elle peut guérir l'alcoo-lisme, l'onanismedes enfants, le tabagisme,les vices

acquis et entretenus par l'auto-suggestion.Elle est impuissante ou simplement palliative

contre les infirmités natives psychiques et morales.Voici, par exemple, un jeune homme qui, sans êtrevicieux, estdepuis son enfance instinctif. Sous unefaçadeassez brillante, il cache une nullité intellec-tuelle associéeà une suffisanceprétentieuse.Il se croitcapablede tout et n'est capable de rien. Il est pares-seux, n'a aucun esprit de suite et ne peut s'appliquerà rien, entratné par ses instincts et son impulsivitéd'une idée à uneautre, d'une occupationà une autre.Son père, intelligent et énergique, croit à une mau-vaise volonté, et cherche à le corriger, à le discipli-

ner il ne réussit qu'à l'aigrir, à l'irriter, à le rendrementeur et sournois. Malgré mes avis, le père persistedans son système, l'envoie à l'étrangerdansune mai-

son de commerce, d'où on le renvoie comme indis-

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cipliné; puis il le fait engager dans l'armée où ilencourtpunition sur punition et se fait envoyerdansles compagniesde discipline.

Quand il est rentré au domicilepaternel, je réussisenfin à éclairer le père, à le persuader que le jeunehomme n'est pas vicieux, mais incapable, instinctif,sans volonté autre que celle subordonnée à ses ins-tincts, que ses mauvaispenchants s'étaient développéspar suite de la sévérité paternellenon comprise, inter-prétée comme persécution non justifiée à son égard.Je fis comprendre qu'il y avait là un vice congénitalet incurable du cerveau psychique et je conseille detraiter l'infirme avec douceur, avec affection,sans lebrusquer, ni le froisser et de ne pas demander à soncerveau plus qu'il ne pouvait donner. Ainsi fut fait.Et depuis des années, ce jeune homme, s'il ne faitpas grand'chose de bien utile, au moins ne fait pasde mal, et vit en paix au milieu de sa famille, quisait le diriger.

Une direction morale mauvaise, bien que ration-nelle en apparence, a aggravé et exaspéré une infir-mité morale mal interprétée. Une direction moraleautre conseillée par une psychologie plus éclairée, aamélioré la situation. Les exemples analogues sonttrès nombreux, et c'est pour cela que j'insiste.

A un degré inférieur sont les faibles d'instincts quiont en plus de la perversion instinctive, dont lessentiments et actes extravagants ou même malfai-sants, impulsifs, ne sont pas refrénés par le sensmoralabsent ou faussé.

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Ils sont déjà dansl'enfance,et restent souventtouteleur vie, des fléaux de famille ils peuvent être alcoo-lisés, ou débauchés,ou voleurs, ou joueurs, ou vaga-bonds suivant l'impulsiondominante. Quelques-uns

ont cependant de l'intelligence et même des qualitésbrillantes susceptibles d'être dirigées dans un bututile. Parmi ces êtres dégénérés, il en est qui, intelli-

gents pour satisfaire leurs instincts, parfois capables

de s'assimiler les notions courantes, peuvent mêmebriller dans un salon et faire illusion sur leur valeur,remplissant bien, lorsqu'ils sont bien dirigés leursdevoirs sociaux, maisen réalitédépourvusde volonté,

si ce n'est pour assurer leurs désirs, sans résistancemorale, marchant comme l'instinctles pousse.

Cet état psychiquecomported'ailleursdes degrés etdes variantes nombreuses.

Il en est qui, sous une bonne direction, peuventaccomplir encore une carrière convenable; mais ils

ont besoin d'une tutelle morale. Abandonnés à'eux-mêmes, ils échouent souvent misérablementdans les

prisons et les asiles d'aliénés. Ni l'un ni l'autre neleur conviennent.

Une organisation sociale reste à étudier pour la

tutellede ces dégénérés,pour lessurveiller,les diriger,en obtenir le meilleur rendement possible, les proté-

ger contre eux-mêmes et protéger la société contre

eux. Ce ne sont pas des aliénés à enfermer, ni des

coupablesà châtier, mais des infirmes moraux à diri-

ger. Il y a là une grande lacune sociale à combler.

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3. Aberrations collectives. PSYCHOLOOIE DES FOULBS.

A ces considérations sur la direction morale etl'éducationdes individus, j'ajoute quelques mots surla direction morale et l'éducation des masses collec-tives. Certainesaberrations intellectuelles agissant vi-vementsur l'imagination populaire, engendrent desnévroses collectives, des épidémies nerveuses. Ledogme du diable et de la possession, la croyanceàla sorcellerie, les pratiques de l'exorcisme,créent dessuggestions terrifiantes qui font des hallucinés etdes convulsionnaires et cette hystérie démoniaquese propage par imitation. On connaît les nombreusesépidémies qui ont désolé l'humanité jusqu'au siècledernier. Au quinzième siècle, c'est la danse de Saint-Guy en Allemagne et dans les Pays-Bas, c'est le ta-rentismeen Italie,au dix-septièmec'est la possessiondes Ursulines d'Aix, et des Ursulines de Loudun 5

celle des filles de Sainte-lâ;lisabeth à Louviers audix-huitièmece sont les convulsionnaires de Saint-Médard sur la tombe du diacre Paris; en plein dix-neuvième, ce sont les névroses convulsives provo-quées en Angleterreet en Amérique par les prédica-tions religieuses dans les assemblées protestantes,dites revivais et camp meetings, ce sont deux épidé-miesde possession démoniaque à Morzine, en Savoie,en i86o, et à Verzegins (Italie) en 1878 et je ne citeque ces exemples.

Avec les progrèsde l'instructionet l'émancipation

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des cerveaux, affranchis des superstitions séculaires,

ce jnystéries collectivessuggéréestendentàdisparaître.Mais d'autres aberrations morales collectives, qui

ne sont plus en apparence du domaine médical etcependantplus dangereuses, se développent tous les

jours.On a décrit la psychologie des fautes impulsives,crédules,entraînéessans réflexion, par l'automatismedes bonnes comme des mauvaises excitations. La

presse, les livres, l'imitation, les tribuns, une formuleexpressive et opportune passionnent et captivent les

masses. Et voyez combien mobile est leur instinct 1

Une idée noble et généreuse circule et met tous les

cœurs à l'unisson tous fraternisent sur l'autel de lapatrie c'est la Fédération. Trois ans après. des idéesde haine, de trahison et de méfiance sont répandues

par la presse et les tribuns populaires. Les massessuggestionnées dans un autre sens,deviennent féroces.On s'est embrassé,on seguillotine avec la mêmecon-viction. Puis c'est la dictature, puis c'est la terreurblanche, puis la Révolution tous les courants d'opi-nion se succèdent avec les aberrations instinctivescorrespondantes.N'avons-nous pas vu la Commune,le boulangisme, l'antisémitisme, tous les fanatismesreligieux,politiques, nationaux, antireligieux, toutesles passions populaires soulevées par la presse, lesaffiches, les réunions publiques, toutes les idéesviolentes jetées en pâture au peuple, suggérer cesmouvementsd'opinion irrésistibleset créer de vraiesfolies instinctives contre lesquelles lesgouvernementsrestent impuissants ?

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4. ResponsabilitéMORALE.

Des considérations qui précèdent surgit commecorollaire une question importante. Nous avons vuque l'homme intellectuelet moral est dans l'œuf, quenous évoluons avec notre atavisme, portant, commeon l'a dit, nos ancêtres en nous, que les conditionsextérieures, éducation, milieux, événements, inter-viennent comme facteurs pour modifier notre milieuintérieur, que l'homme est souvent déterminé pardes instinctset des impulsions innés ou acquis contrelesquels il ne peut lutter. Avec ce déterminisme quedevient le libre arbitre, que devient la responsabilitéhumaine? Sans doute, on se sent libre. Mais lacroyance au libre-arbitre, ne serait-ce pas, comme ditSpinoza,l'ignorance des motifs qui nous font agir ?

Sans doute, nous nous déterminons, mais avec notrecerveau, avec l'instrumentpsychique inné, développé

par l'éducation, qui nous dicte nos idées, nos im-pressions, nos agissements. Connaissant la menta-lité, c'est-à-dire la constitution psychique de diver-ses personnes, nous devinerons souvent commentchacune se comportera dans une circonstance don-née.

Sommes-nous responsables de notre organisationcérébrale? Sans doute l'éducation peut la modifierdans une grande mesure. Mais sommes-nousrespon-sables de l'éducation que nous avons reçue. du laitque nous avons sucé, des événements qui ont pu

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former ou déformer notre psychisme ? Pouvons-nousrésister toujours à l'empire de nos impressions, ànotre idéo-dynamismecérébral ? Ceux qui ne le.peu-vent, sont-ils responsables de ne pas avoir la capacitéde résistance suffisante? Les médecins savent que lesinstinctifs, les impulsifs nous le sommestous à uncertaindegré ou à de certains moments ne peuventsouvent résister à leurs mstincts, à leurs impulsions,à leurs obsessions. Le cerveau, chez beaucoup, trèssuggestible, réalise presque automatiquement lesidées qui y sont évoquées. Il faut une grande infatua-tionde soi-mêmeou unecandeur simpliste, pouroserprétendre que tout homme est libre, qu'il a devantlui le chemin de la vertu et celui du vice, qu'il peutà volonté prendre l'un ou l'autre, que toute mauvaiseaction dénote une âme perverse et doit être châtiée'

sans miséricorde.Cette conception à priori, qu'unemorale conventionnelleet les religions établies sem-blent professer,ne soutient pas l'observation psycho-logique la plus élémentaire. Tout criminel est-il mo-ralement responsable? S'il est monstre amoral né,s'est-il fait monstre lui-même?S'il est né moral ouimmoral, avec un sens moral nul ou perverti, s'il estincapablede résister à une impulsion devenue sug-gestionou obsession,est-il responsablede son infir-mité ? S'il a été pervertipar une mauvaise éducation,par de mauvais exemples, est-il responsabledes cir-constancesqui ont fait sa vie?

Il suffit d'avoir étudié les grands criminels pourreconnaître souvent que ce sont de pauvres cerveaux

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mal faits, faibles, impulsifs,suggestibles. Sans doute,je sais que nous avons dans une certaine mesure lafaculté de nous replier sur nous-mêmes et de corri-ger par la raison et un certain effort de volonté lesdéfectuosités de notre innéité. Mais jusqu'où vacette puissance ? Et pouvons-nous, étant donné unacte criminel, en face de tous les éléments, ata-visme, innéité, éducation, impulsivité, suggestibi-lité, pouvons-nous doser la responsabilité moraleréelle?

Sansdoute il y a une responsabilité légale. L'inté-rêt social commande la répressionde tout acte dan-gereux, que son auteur soit ou non moralement res-ponsable, qu'il soit déterminé par sa volonté libreou par son organisation cérébrale native ou acquise.La société réprime l'acte, mais elle n'a pas les élé-ments suffisants pour mesurer la culpabilité réelle,c'est-à-dire pour punir. En réprimant l'acte, elle faitde la prophylaxie suggestive par la crainte de larépression qui peut servir de contrepoidsaux impul-sions mauvaises. La société se défend contre elle-même en neutralisant les instincts dangereux et nui-sibles elle ne fait pas œuvre de justicier, maisœuvre de préservationet de défense sociale.

Ainsi envisagées, les peines décrétées par elle, mesures de salubritépubliqueet de suggestion morale, nedoivent pas être considéréescomme infamantes. Unacte criminel ou immoral commis par l'un de sesmembres ne doit pas jeter le déshonneur dans sa fa-mille. Inspirer l'horreur de l'acte, le réprimer,

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plaindre l'auteur, J'empêcher de récidiver, prévenirles actes semblables,voilà tout le rôle qui incombeà notre modeste ignorance 1 Telle est la conclusion

que me suggère mon déterminisme cérébral person-nel actionné par l'étude et l'observation des faits.

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CHAPITRE XIII

Médecine suggestive inconsciente.- Liébeauli.-Limiteset indications de la psychothérapie Des psychoné-

vroses. Hystdrié. Neurasthénie Psychoses par-tielles. Êtéments ps;-chonerveux dans les maladiesorganiques.

i. Médecine SUGGESTIVE ANCIENNE. UÈBEAULT.

La médecine suggestive est aussi vieille que lemonde bien qu'elle ne soit dégagéeque de nos joursdes pratiquesdiverses qui lacachaient.Elle étaitdansles procédés occultes de la thaumaturgie ancienne,dans la médecine sacerdotale des anciens, dans lesincantations, les prières, les formulessacramentelles,les cérémonies religieuses, les songes provoquésdansles temples d'Èpidaure elle était dans les supersti-tions du christianisme, les reliques, les tombeaux des

martyrs elle estencoredans les pèlerinages elle étaitdans les amulettes de Paracelse,dans les talismans,dans les aimants, dans les attouchementsde nos rois;elle était dans lespratiques variéesetgrossièresdu ma-gnétisme animal, elle était même dans les manipu-

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lations hypnotiques. La vertu thérapeutique dumagnétismeanimal que Mesmeret ses successeursat-tribuaient à un fluide, celle de l'hypnotisme queBraid attribuait à des modificationsde la circulation,n'agissaienten réalité qu'en actionnantl'imaginationdes malades. C'était de la suggestion inconsciente.

Liébeault, le premier, a bien compris que les prati-ques ne sont rien, que l'idée est tout; le premier il aeu recours à la suggestion verbale qu'il fait dans lesommeil provoqué, dit hypnotique et il l'a systéma-tiquement appliqué à la thérapeutique. J'aimontré-qu'on peut la faire à l'état de veille; c'est la psycho-thérapie moderne.

Avant d'indiquerles procédés de cette psychothéra-pie, disons d'abord quellessont les maladies, quels

sont les troubles fonctionnelsqui en sont justiciables.Je dois dire que son promoteur Liébeault, qui m'a

initié à sa grande découverte,a exagérésa conceptiondoctrinale et sa foi thérapeutique, quand il dit « A

côté de la pensée, les remèdes et les substances toxi-

ques, microbes, poisons, etc.,quelle que soitleurori-gine, ne sont plus rien comme modificateurs. Uneidée introduite dans l'esprit résume les effets des mé-dicaments les plus subtils et les plus héroïques. »

Etil ajoute :« Pourquoila paroleconscienten'aurait-elle pas le pouvoir de rendre nulles toutes les im-paressionsque les poisons et les microbes réveillentdans l'organisme et qui se traduisent en maladiesgraves fièvre typhoïde, choléra, fièvre jaune, etc. ? »

Certes, le champ de la thérapeutique suggestive est

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vaste mais il ne comprend pas toute la pathologie.Cen'était pas, d'ailleurs, sans doute, l'opinion réelle dupraticien. Mais le théoricien a certainement exagéré le

rôle pathogéniqueetthérapeutique de laforce nerveuseque, selon lui, la suggestion accumule sur un organepour en modifier l'action. Liébeault fut un croyant,etcommebeaucoupdenovateursetdecroyants,il a unefoi robuste en son idée directrice. Les grandes décou-

vertes sontsouventréalisées par des espritsaventureuxet enthousiastes qu'une idée enflammeet que le doutescientifique n'arrête pas. La conception pouvait pa-raître naïve et simpliste de guérir certaines maladies,d'obtenir des effets thérapeutiques par la paroleet lesommeil provoqué. Liébeault a réalisé ce rêve; il aérigé la suggestion verbale en méthodedu traitement.La vérité scientifique,dépourvuede ses exagérations:n'est plus contestée aujourd'hui.

Sans doute la suggestion ne peut pas guérir unefracture, ni réduire une luuation elle n'a aucune ac-tion directe sur l'évolution des maladies organiques,fièvre typhoïde, pneumonie, tuberculose,érysipèle etautres elle ne tue pas les microbes,elle ne neutra-lise pas les poisons ni les toxines elle ne supprime

pas la fièvre elle ne remplace pas la quinine, ni ladigitale,ni le mercure; elle ne guérit pas les paralysésorganiques.

La suggestion est efficace contre les psychonévroses

et l'élément psychonerveux dans .les diverses mala-dies.

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a. PSYCHONêVROSES.

Qu'est-ce qu'une psychonévrose? Qu'est-ce qu'unélément psychonerveux

Quelquesmots d'explication sont nécessaires pourles lecteursqui ne sont pas médecins.

Parmi les troubles fonctionnels qu'on peut obser-ver, les uns sont dus à une maladie organique, à unelésion visible et tangible, telle une paralysieliée à unesclérose de la moelle épinière, une toux liée à unebronchite, une fièvre due à un abcès, une douleurhépatique due à des calculs biliaires, etc.

D'autres troubles sont liés à une maladie toxiquequi peut troubler le fonctionnement decertains orga-nes ou tissus, sans déterminer d'altérations visibles.Ces toxiques peuvent être d'origine egterne la mor-phine, la digitale,la strychnine,lespoisonsalimentai-

res font des maladies dont l'analyse chimique seuleindiquela cause. Ces toxiquesou toxinespeuventêtred'origine interne, c'est-à-dire créés par l'organismelui-même qui est un vrai laboratoire de toxines; les

cellules organiques par le travail de nutrition, d'assi-milation, de désassimilation,fontdes toxines, des an-titoxines et dans ce travail chimique complexe, si l'é-quilibre nutritifphysiologiquefaitdéfaut, des poisons

ou toxines à dose nuisible peuvent s'accumuler etconstituer des dyscrasiesnutritivestoxiques ce sontdes auto-intoxications.Sans doute ces poisons orga-niqueseux-mêmespeuventdéterminerdes altérations

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secondaires. Mais la maladie à l'origine, avant lesaltérations constatées, ou sans altérations nettes,peut être uniquementtoxique.

Tellessont beaucoupde maladies ditesdiathésiquesou constitutionnelles,l'arthritisme,la diathèseurique,le diabète,l'oxalurie,la migraineophtalmique, la neu-rasthénie, certaines maladiesmentales, etc.

Enfin, certainstroubles fonctionnelsplus ou moinspersistants ne semblent impliquer aucune lésion niorganique, ni toxique;ce sont des perturbationsqu'onconsidère comme d'origine nerveuse et qu'on appellenévroses.

Sans doute on peut dire que toute altération fonc-tionnelle s'accompagned'unemodificationorganiquecorrespondante une émotion qui provoque uneanxiété passagère, avec accélérationdu cœur et de larespiration, a produit en réalité des modificationsmatérielles dans le système nerveux, bien que nousne le connaissonspas mais ce sont des modificationstransitoires qui se résolventspontanément, modifica-tions qu'on peutappelerdynamiques,parce qu'ellesnepersistent pas et restent dans la mesurecompatibleavec le retour rapide au fonctionnementnormal.

Il n'y a maladie dynamique ou névrose que lorsquecette modificationdynamique, accuséepar un troublefonctionnel, dure assez longtemps; par exemple, sil'accélération du cœur et de la respiration à la suitede l'émotionpersisteun certain temps, ou si le troublefonctionnel acquiert une intensité insolite.

Ce que je veux dire, c'est que dans ma pensée, le

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mot trouble fonctionnel pur ne doit pas être pris lalettre cela veut dire seulement que l'altération quil'accompagne est transitoire, comme celle qui ac-compagne le fonctionnement normal des organes.Entre une cellule cérébralequi pense et une qui estinerte, le microscope ne trouve aucune différence.Entre une fibre nerveuse qui conduit une incitationmotrice ou sensitive et une autre qui ne tait rien,

aucune différence n'existe pour l'histologiste ou le

chimiste; et cependantil y a autrechose; il y aune mo-dificationdynamique,commedans le fil télégraphiquequi transmetun message. Cette modificationne s'ap-pelle pas une lésion pathologique,elle est fonction-nelle.

L'absencede lésion organique ou toxique consta-table ne suffit pas pour qu'un syndrome fonctionnel

ou une maladie mérite le nom de névrose. Beaucoupde maladiesqu'on considérait autrefois comme sim-plement fonctionnelles, comme des névroses, sontreconnues aujourd'hui comme des maladies orga-niques ou toxiques. Tels le tétanos dont le microbeest connu, tels l'épilepsie, la chorée, la paralysieagitante, les maladies mentales dont les causes orga-niques ou toxiques sont à peu près inconnues, maisdont l'évolutionclinique affirme la natureorganique;

ce ne sont plus des névroses ce ne sont plus desmaladies purement fonctionnelles.

Revenons donc aux vraies névroses ou troublespurement nerveux dynamiques qui peuvent d'ail-leursse greffersur une maladie organique lestroubles

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sont de deux espèces et la différenciationest impor-tanteau point de vue qui nousconcerne.

Les uns ont lieu sans l'intermédiaire du cerveau,par un dynamismenerveux non psychique. Exemple:des vers intestinaux peuvent déterminer des vomis-sements,des convulsions, des battements de coeur,sans trouble cérébral, par irradiation nerveuse l'im-pression périphérique est transmisede la muqueuseintestinale aux centres moteurs du cerveau ou auxnerfs pneumogastriquespar le mécanisme des actionsréflexes. La dentition chez un enfant peut produirede la diarrhée, du mal de tête, de l'oppression uncalcul biliaire peut produire de la gastralgieet desvomissements; un corps étranger dans l'oreille, sansaucune inflammation locale, peut déterminer un ver-tige auditif intense qui disparaît aussitôt le corpsdu délit enlevé. C'est le retentissement dynamiqued'une lésion sur un point du systèmenerveux, à dis-tance plus ou moins grande de la lésion. C'est de lanévrose pure sans psychisme.

D'autrestroubles nerveux ou névroses ont lieu parl'intermédiaire du cerveau; ils sont dus à un dyna-misme psychique; ce n'est pas une simple transmis-sion à distancele long des voies nerveusesqui réveilleun trouble fonctionnel c'est le cerveau lui-même,centre psychique,qui est actionné dansson émotivitéet crée le trouble; c'est une névrose d'origine psy-chiqueoupsychonévrose.Cesont ces psychonévroSesque nous allons examiner rapidement, car ce sontelles surtout qui sont accessibles à la psychothérapie.

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Cespsychonévroses sontexcessivement fréquentesetdiverses. On peut dire que tous les troubles fonction-nels dont l'organisme dispose, douleurs, paralysies,convulsions, vomissements, toux, oppression, batte-mentsde coeur, etc., sontsusceptibles d'êtrecréésàl'étatde psychonévroses sans lésion par le psychisme émo-tif ou actionné par la suggestion et l'auto-suggestion.

Citons un exemple dans la sphère de la sensibilité.Voiciune enfant qui a eu uneexcoriationde l'ombilicqui a pu être sensibleau toucher mais qui est guérie.Et cependant la douleur persiste très intense lemoindre attouchement arrache des cris à l'enfant.Cette douleur n'est plus qu'une représentation men-tale émotive, entretenue par auto-suggestion, car ellecède rapidement à la psychothérapie.Voilà une psy-chonévrosede sensibilité. C'est le cas le plus simple.

Voici un sujet impressionnable qui a eu une con-tusion de l'abdomen qui est guérie sans trace. Chezlui aussi la douleur persiste. Mais elle ne s'est paslocalisée, elle s'étend à tout l'abdomen, au thorax,

au dos elle s'accompagne d'autres manifestationsanxiété,mal de tête, insomnie, troubles digestifs, etc.Toutcetappareilsymptomatiquecèdeaussiàlapsycho-thérapie. C'est l'anxiété due au choc traumatique qui

a réveillé ces symptômessecondaires.Aussi, le traite-

ment, en dissipant l'émotivitéadissipéles symptômesqu'elle entretenait. C'est une psychonévrosede sen-sibilité comme la précédente,mais plus complexe etqui s'est généralisée.

Que de sensations diverses, dues à une cause acci-

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dentelle ou à un état passager, arthritique ou autre,telles que picotements,brûlures, élancements,tiraille-ments, etc., sourds et tenaces,ou aiguset intolérables,se perpétuentchez certains sujets impressionnables,alors quela cause premièren'existe plüsLe diagnos-tic est souvent difficile. Mais lorsque la suggestionthérapeutique est rapidement efficace, le diagnosticest fait c'est une psychonévrosepar auto-suggestion.

Un engourdissementdans un membre, dû à unecompression passagèreou à un trouble de circulationléger peut dégénérerdans le psychisme de certainscas en anesthésie complèteque le médecin peut per-fectionner ainsi que nous l'avons w c'est encoreune psychonévrose de sensibilité. Un éblouissementpassager, une sensation d'oreille bouchée, peuventcréer la cécité et la surdité psychiques. Toutes lesillusions sensorielles, les bruits subjectifs dans lesoreilles, les perversionsdel'odorat,du goût,de la vue,toutes ces impressions sont créées par le cerveau,quelquefois édifiéessur un phénomène réel, grossi etconservépar lui à titre d'auto-suggestion. Une odeurdésagréable,un goût répugnant, peuventrester long.temps dans le nez et la bouche,sans que le sujetpuisseleschasser ce sont des psychoses de sensibilitésensorielle.

Tous les phénomènessensitivo-sensorielsque nousavons déterminés par suggestion,phénomènes ditshypnotiques, l'analgésie, la cécité et la surdité psy-chiques, les illusions, les hallucinations, ne sont quedes psycho-névrosesexpérimentales,telles que l'auto- =

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suggestion provoquéepar une cause fortuite, par unesimple représentation mentale réveillée accidentelle-

ment comme dans le rêve, par exemple, peut lesproduire.

Dans le domaine moteur, ce sont des impotencesfonctionnelles, des paralysies d'un ou plusieursmembres,d es mouvements désordonnés,des convul-sions, des contractures d'un membre,de la machoire,c'est la crampe des écrivains ce sontcertains bégaie-ment nerveux, etc. Toutes les manifestations quenous avons réalisées par suggestion, psychonévrosesde motilité, peuvent être dues à un choc émotif etentretenues par représentation mentale. Voici parexemple une jeune fille qui, à la suite d'une fièvretyphoide, conserve de la faiblesse organique desjambes. Mais cette faiblesse, elle l'exagère;elle ose àpeine lever les pieds en l'air elle ne peut se tenirdebout; c'est presque une paraplégie complète que lasuggestion guérit en quelques séances.

Voici une autre qui, à la suite d'uneentorse a eu lajambe immobiliséepar un appareil plittré. Quand onenlève l'appareil, la jambe reste contracturée enextension.Six mois après, l'autre jambe se contrac-ture aussi sans cause, par simple représentationmen-tale, et cette psychonévrosede contracture dure plu-sieurs années, rebelle à tout traitement.

Certains tics, certaines grimaces, clignements despaupières, mâchonnements, etc., onychophagie,atti-tudes bizarres contractées par imitation ou à la suitede sensationsqui lescommandent, persistentcomme

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psychonévroses et si elles deviennent invétérées,elles constituent des habitudes automatiques qui ré-sistent à toute éducation suggestive.

Dans le domaine des voies digestives, ils sontnombreux, les troubles fonctionnels créés par le psy-chisme. Sensation de corpsétrangersdans le pharynxet pharyngisme, alors qu'il n'y a rien, œsopha-gisme, éructations, régurgitations, hoquet, besoin dedéglutition, tous phénomènes pouvant être provo-qués par une sensation purement fictive qui crée cesdivers réflexes. L'idée de vomissement engendre levomissement,comme l'idéede bâillement engendre lebâillement. Une personne ayant vomi un jour aprèsl'ingestionde carottes, conserve cette impressionet nepeut plus manger de carotte sans vomir, alors qu'elleconservait les autres aliments.

A la suite de dyspepsie,un malade commence parvomir de temps en temps, par exemple quand les ali-ments ontséjourné longtemps dansson estomac.Ces

vomissements deviennent de plus en plus fréquents,et il finit par vomir tout ce qu'il prend, si bien qu'oncroitàunesténosedupylore. Ce n'étaitqu'unepsycho-névrose par habitude nerveuse, dont je pus le guérirrapidement.J'ai souventobservé ce fait. Ainsi en est-il parfois des vomissements incoerciblesde la gros-sesse. Une femme enceinte vomit souvent au débutde sa grossesse, et ces vomissements sont considéréscomme réflexes ou dus à l'auto-intoxication gravi-dique. En général, au bout de quelques semaines, cesymptôme disparatt. Chez quelques femmes impres-

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sionnables, il persiste et s'exagère, devient incoer-cible tout est rejeté la femmesent d'avance qu'elle

va vomir; ce n'est plus un vomissement commandéparle réflexe ou l'auto-intoxication, il est commandé

par l'idée; et dans un certain nombre des cas, j'ai puguérir par l'éducation du sujet ces vomissementsincoercibles de la grossesse qui avaient résisté à

toutes les médications et qui n'étaient plus que del'auto-suggestionvomitoire.

L'abdomen est riche en psychonévroses. Phéno-mènesdesensibilité,sensationsdiverses,tiraillements,

crampes, lourdeurs, douleurs aiguës exagérées ousystématisées, comme nous l'avons vu, par l'explo-ration médicale,et qui peuvent en imposer par unulcèrerond,pourdescalculs biliairesou néphrétiques,

pour une appendicite, pour une ovarite, pour unesalpyngite. Le diagnostic est souvent d'autant plus

difficile que ces douleurspeuvent êtregrefféessurunelésion organique réelle. J'ai vu des femmes, ayant eude vraies coliques hépatiques, exagérer une sensibi-lité de la vésicule au point d'édifier sur elle unepseudo-colique hépatique qui n'était qu'une image

psychiquedouloureuse et ce qui le démontrait, c'est

que je pouvais presque instantanément inhiber cettedouleur, ce qu'on ne peut jamais faire dans les

coliques réelles. Chez d'autres une adhérence, succé-

dant par exemple à une appendicite guérie ou à unelaparotomie, détermine une sensation qui laisse unmalaise permanent ou grossit en douleur excessive

que ne justifie pas la lésion.

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Chez certaines femmes, l'idée d'une tumeur abdo-minale crée des contractions de la paroi de l'intestinqui donnent à la palpation l'impression de vraies tu-meurs bien des fois les chirurgiens prêts à opéreront vu ces tumeurs fantômes disparaître avec le chlo-roforme par le relâchement des muscles.

Telle est aussi la fausse tympanite abdominaleconstituantla fausse grossesse chez certaines femmesnerveuses qui se figurent être enceinteset gonflentinconsciemmentleur ventreparunmécanismeencoremal connu, suggéré par l'idée de grossesse.

Dans le domaine desvoies génito-urinaires,c'est leténesme vésical et urétral, certaines rétentions etincontinencesd'urine, le besoin fréquent d'uriner,tous symptômesqui peuvent être créés et retenus parle psychisme, sans raison organique. C'est l'impuis-sance génitale qui peut être purement émotive; c'estce qu'on appelle l'aiguillettenouée. Un de mesclientsétait inhibé par sa femme qu'il aimait, et ne l'étaitpas par d'autres femmes c'est le cheval qui secabre toujours par souvenir auto-suggestif devantune certaine porte et pas devant les autres.

Voici un curieux exemple de ce fait raconté parCharpignond'après NicolasVeneste « Pierre Dartel,dit-il, tonnelier de mon père, me dit un jour quelquechose de désavantageux.Pour m'en venger, je lui disque je lui nouerais l'aiguillette quand il se marierait,ce qui devait avoir lieu très prochainement. Cethomme crut ce que je lui disais et mes feintes me-naces firent une si forte impression sur son esprit

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déjà préoccupé de charme set de sorcellerie, qu'aprèss'être marié, il demeura près d'un mois sans pouvoircoucher avec sa femme. Je me repentis alors d'avoirraillé un homme si faible et je fis tout ce que l'on

peut faire pour le persuader quecela n'étaitpas. Mais

plus je protestaisau mari que ce que j'avaisdit n'était

que bagatelle, plus il m'abhorraitet croyait que j'étais

l'auteur de toutes ses infortunes. Le curé de Notre-Dame employa toute sa prudence à ménager cetteaffaire et il en vint à bout plutôt que moi, sans quele mari fût obligé de pisser par l'anneau de sonépouse. »

J'ai rapportéce faitdéjà ancien publié à une époqueoù la suggestionn'était pas scientifiquementconnue;il montre que ces inhibitionscomme les phénomènesd'auto-suggestion, bien que justiciablesde la psycho-

thérapie, résistent cependantsouvent à la simple per-suasion verbale.

Chez les femmes, le vaginisme survit quelquefois

à la douleur des premières approches et peut devenir

une phobie douloureuse.Dans le domaine des voies cardiaques et respira-

toires, beaucoup de troubles peuvent être psycho-

nerveux. Un picotement dû à un léger coryza peuts'éterniser et devenir un tic de reniflement unelégère raucité de la voix devient chez une femmeimpressionnableune aphonie complète qui survit à

la laryngite une légèretrachéitegrippalepeut engen-drer une toux nerveuseincessante que ne justifie pasla maladieorganique. Je vois actuellementun enfant

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qui avait eu des accèsde taux croup, rééditer à l'occa-sion d'une très légère angine, des accès de dyspnéelaryngée avec toux aboyanteque j'ai pu rapidementfaire disparaître par éducation suggestive.

Dans le thorax, c'est la boule épigastrique, la sen-sation de constriction, l'étouffement,qu'on observesi souvent à la suite des émotions et qui préludent àla crise d'hystérie. C'est la sensation subjective d'op-pression, la respiration anxieuse et haletante, ouaccélérée que l'émotion détermine et que l'auto-suggestion émotive peut entretenir ou reproduire.C'est l'anxiété précordiale, c'est la pseudo-angine depoitrine que cette sensation peut créer sur une per-sonne nerveuse.

Enfin, le domaine cérébral fait des représentationsmentales se rapportant au psychismelui-même. A lasuitededéceptionset de surmenagemoral, un hommereste désemparé,déprimé, ne retrouve plus son équi-libre, ne peut plus travailler, n'a plus de volonté, ale sommeil agité. Le remontage moral et la distrac-tion peuvent ramener le calme et la confiance dansce cas ce n'était qu'une psychonévrose.Il n'en estpas toujoursainsi. Quand cetétat est lié à une neuras-thénie, comme nous le verrons, la suggestion resteimpuissante.

Certains cauchemars, répétés toutes les nuits, lesomnambulismenocturne, le sommeil agité, ne sontquedes psychonévroses spontanées,de même que leshallucinations suggérées sont des psychonévrosesexpérimentales. On peut même dire que les rêves du

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sommeil sont des psychonévroses physiologiqueselles sont pathologiques, quand ces rêves deviennentterrifiants, obsédants, et déterminent des troublesfonctionnels dépassant la mesure compatible avecl'état normal.

Toute représentation mentale peut en réalité êtreconsidérée commeune psychonévrosephysiologique;nous y sommes tous sujets toute la journée. Le bâil-lement par imitation, le besoin d'uriner qui se révèleà la vue de quelqu'un qui urine, les rêveries gaies

ou tristes, qui nous donnent un sentiment de bien-être ou de malaise, les démangeaisonsdues à l'idéequ'on a des puces, les nausées par la vue d'un metsrépugnant, la purgation par des pilulesde mie de pain,décorées du nom de pilules purgatives tous cesphénomènes sont psychonerveux. Mais le mot psy-chonévrosequi désigne un trouble neorbide, ne s'ap-plique à ces phénomènes que s'ils sont persistantsou répétés, ou s'ils donnent lieu à une perturbationde la santé.

Car ces phénomènes psychonerveux ne sont pastoujours inoffensifs. Les cauchemars répétés font del'anxiété, de l'insomnie, des battements de cœur,del'inappétenceet altèrent la santé générale. Des vomis-sements répétéspurement nerveuxproduisentdeladys-pepsie, de l'hyperchlorhydrie,de l'amaigrissement etaccroissent la réceptivité pour les maladies.Une dou-leur excessivepurementpsychiqueentraineun étatner-veux et des perturbations fonctionnellesnombreuses.Que sera-ce si cetélément psychonerveuxse greffe sur

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Une maladie ? Car si la psychonévrosepeut se créerde toutes pièces par cause factice, et n'être qu'unereprésentation pure, sans aucuneévolution organique,elle peut aussi cela et, souvent, s'associer aux mala-dies diverses, comme l'exagérationpsychique d'unede ses manifestations.

Voici un tuberculeux à évolution lente ou station-naire ila unedouleur thoraciqueque son imaginationgrossit; cette douleurdevient obsédante, angoissante,accélère la respiration, supprime le sommeil, rallumela fièvre et l'évolution tuberculeuse.

Voici un malade qui a une névrite des membresinférieurs qui gêne certains mouvements des mem-bres inférieurs. Cette impotence partielle se trans-formepar exagérationpsychiqueen impotencetotale,c'est-à-dire en paraplégie auto-suggestive.

Voici un ataxique qui a de l'incoordination mo-trice cette incoordination, exagérée par l'impression-nabiliténerveuse du sujet, fait inhibition complète àla marche et à la station. Aussitôt debout, il titube, ades mouvements désordonnéset tombe.La suggestionenlève au symptôme ce que la psychonévrosey ajouteet ramène les troubles au taux commandépar la lésionspinale. L'ataxique apprend de nouveau à marcherassezconvenablement, en tant que lamoellele permet;ce n'est pas, comme certains le croient, la rééducationde la moelle malade, c'est l'éducation suggestive quidégage la lésion de son addition psychonerveuse.

Les fièvres, les maladies des voies digestives, lesaffections cardiaques, celles du système nerveux,tou-

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tes peuvent réagir sur le psychismeet déterminer unétat nerveux dynamique surajouté qui peut être ac-cessible à la suggestion.

3. Hystérie.

Parmi ces psychonévroses, il en est une que jedois mentionner d'une façon spéciale, parce que sonhistoire,à la Salpêtrière,s'est confondue avec celle de

l'hypnotisme, parce que c'est elle qui donne ses plusbeaux succès à la thérapeutique suggestive, je veuxparler de l'hystérie. C'est grâce à la doctrine de la

suggestion que j'ai pu, je crois, faire la lumière surce syndrome, dont le mécanismepathogénique a été

méconnu jusqu'à ce jour.Le mot hystérie s'appliquait autrefoisà de violentes

crises de nerfs ldifférentes de l'épilepsie).CommeeUes

affectaient presqu'exclusivement le sexe féminin etqu'elles s'accompagnaient d'une sensation de boule

remontant de l'hypogastre, partie inférieure de l'ab-

domen au cou et parfois de projection du ventre en

avant, on attribuait ces crises à la matrice. Elle

bondissait, disait-on, dans le corps ou envoyait des

vapeurs subtiles au cerveau, qui convulsionnaient

tout l'organisme.Ces idées simplistes se modifièrentavec les notions

d'anatomie et de physiologie;et la doctrine utérineseperfectionna.La crise d'hystérieest toujours attribuée

à l'utéruset aux ovaires,maisc'estpar l'intermédiaire

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du système nerveux que ces organes feraient les con-vulsions, c'est une névrose réflexe d'origiae utero-ovarienne;et cette doctrine existe encore.

Cependant, au dix-septième siècle, l'opinion étaitémise par Lepois, Williset Sydenham que l'hystérie estune affection cérébrale ou générale qui, outre les cri-ses, donne lieu à une foule de symptômes affectanttoutes les fonctions; troubles nerveux sensitifs, anes-thésie, hyperesthésie, perversionde lasensibilité,trou-bles sensoriels, amblyopie,surdité, illusions, troublesmoteurs, paralysies, contractures, secousses, bégaie-ment, troublesrespiratoires,digestifs, voiremêmehé-morragies, affectionscutanées,œdème,fièvre, etc. etcette symptomatologies'enrichit tous les jours;l'écolede la Salpêtrièresurtout y a ajouté des contributionsnombreuses. Le champ de l'hystérie s'élargit ainsisingulièrementpar l'association à la crise de toutesles manifestationsconcomitantes,et l'hystérie,au lieud'être une simple crise, est devenueaujourd'huiunemaladie mystérieuse, polymorphe,indéfinissable,quifaittout, qui simule tout.

L'école de la Salpêtrière,qui a cru mettrede l'ordredans ce chaos, réglementer l'évolution des crises,fixer les stigmates constants qui caractérisaient lamaladie hystérie, a fait une œuvre artificielle qui aaugmenté la confusion.

Il faut revenir à l'antique conceptiondu mot hys-térie et réserver ce mot aux seules crises de nerfsqui,faussementattribuéesà l'utérus, ontétéprimitivementappelées de ce nom. Les crises denerfsne sont qu'une

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réaction psycbodynamique d'origine émotive., unepsychonévrose.

Nous avons tous, quand une violente émotion

nous étreint, certains troubles nerveux que j'appellepsychodynamiques.L'un a une violente constrictionthoracique et laryngée il croit qu'il va étouffer, il de-

vient bleu,ou étouffe de colère, d'angoisse cela dure

un instant, puis l'équilibre se rétablit.L'autre restecommefigé, raide de stupeur, les dents

et les poings serrés, sans parole ni mouvement.Un autre est pris de secousses ou de tremble-

ment plus ou moins accusé qui agitent tout le

corps.Tel a un sentiment de défaillance le cœur lui

manque, il n'a plus ni bras, ni jambes; il s'assied

pour ne pas tomber. Tel vocifère, pleure, divague, ade violentes douleurs angoissantes,etc.

Toutes ces manifestationsvariablessuivant les indi-

vidus et suivant la nature de l'émotion, ne durent

qu'un instant; le pendulecérébralun instant dérangé

par le choc émotif, retrouve sa régularité; l'ordre serétablit.

Ce sont des ébauches de crises qui n'aboutissent

pas, ce sontdes crises d'hystérie en miniature.Quand ces phénomènes s'exagèrent et durent un

certain temps, quand cette réaction psychodyna-

mique persisteassez longtemps et que le psychismecérébraldéséquilibré ou suggestionné par cette réac-

tion, ne peut reconstituer l'harmonie fonctionnelle

rapidement, c'est une crise d'hystérie. C'est, on le

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voit, l'exagération d'un phénomène habituel, d'uneréaction émotive.

Cela posé, dans quelles conditions se développent

ces crises?Une femme, plus rarement un homme, à la suite

d'une émotion, spéciale pour chacun, qui affecte par-ticulièrementson impressionnabilité, colère, frayeur,chagrin, douleur, a une crise de nerfs. Cette crise estconstituée par des appareils symptomatiques très va-riables etqui n'ontrien de régulier.C'est une sensationde boule ou de corps étranger qui remonte de l'abdo-

men ou du creux épigastrique jusqu'au cou, avecconstriction thoracique, strangulation, douleurs la-ryngées, angoisse, convulsions, grands mouvementsdésordonnés furibonds alternantavec la contracture;c'est la crise d'hystérieconvulsive, considéréecommela crise classique. C'est chez d'autres la contracturedes quatre membres et du corps sans mouvement,avec trismus, et perte de connaissance apparente, les

yeux clos, crise de contracture 'hystérigue appelée àtort catalepsie. C'est, d'autres fois, l'inertie complètephysiqueet psychique, sans contracture, l'apparencedu sommeil, avec ou sans inconscience la crise desommeil ou défaillance hystérique, appelée à tort lé-thargie.

Chez d'autres, tous ces symptômes se mélangent,alternent, sans évolution régulière,ou d'autres mani-festations bizarres ont lieu délire, hallucinations,rêves en action, anxiété, douleurs, cris, grincementsde dents; ou bien c'est l'anxiété respiratoire ou la

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respiration accélérée, vraie polypnée qui constitue le

principal ou seul symptôme; c'estl'hystériedélirante,l'hystériehallucinatoire, l'hystérie dyspnéique, etc.

Ces symptômes divers qui éclatent brusquement ou

après quelquesprodromes durent de quelques secon-

des à plusieurs heures; tous les degrés existent entre

la réaction qu'on peut appeler physiologique,quasi

normaleet celle qui constitue une grande crise.

Notre patiente peut avoir eu plusieurs fois de ces

ébauchesdecrise. Cette fois-ci, soit que l'émotion fût

plus vive, soit que l'impressionnabilité nerveuse fût

plusgrande,pendant la périodemenstruellepar exem-

ple, ou pendant une maladieanxieuse,la réaction s'est

amplifiée et prolongée, prenant les proportionset la

durée d'une vraie crise.Celle-ci terminée, tout est rentré dans l'ordre, sans

autre manifestation. Il n'y a pas de nouvelle crise.

C'était une crise accidentelle, émotive, sans len-

demain.Chez d'autres, la crise se reproduüplus ou moins

souvent, par l'influenced'une émotionpareilleà celle

qui a provoqué la première, ou par l'évocation psy-

chique de cette crise, par le seul souvenir auto-sug-

gestif.Telle cette jeune femme, dont j'ai publié l'observa-

tion qui eut une crise d'hystérie émotiveà table entre

le premier et le second plat et qui depuis, à chaque

repas, au même momentpsychologique,se suggérait

inconsciemmentla même crise.Comme toutes les modalités nerveuses, comme

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tous les réflexes dont le système nerveux prendl'habitude et qui deviennent automatiques, les tics, la

toux nerveuse, etc., de même l'aptitude de l'orga-nisme à réaliser les crises, l'hystérabilité, se perfec-tionne par leurrépétition et chez certainssedéveloppe

une vraie diathèsehystériquequi peutêtreconsidéréecomme une maladie.

Chez quelques-uns toutes les émotions déchaînentla crise. Chez d'autres, il faut unecauseadjuvante quiaugmente l'impressionnabilité hystérogènedu sujet,par exemple la menstruation, un état maladif. Chezcertains cet appareil que j'appelle hystérogène neréagit qu'à une émotion spéciale. Tel supportera,parexemple, très bienune violentefrayeur,une colèreil réagira à la vue d'un serpent qui affecte particuliè-rement son idiosyncrasieémotive. Chaqueindividua-lité a ses émotivitésspéciales, ses impressionnabilitésparticulières qui la laissent désarmée, quand ellesn'ont pas été réprimées par l'éducation.

L'aptitudehystérique n'est pas dailleurs ert rap-portavec impressionnabiliténerveuse général. Cer-tains sujets très nerveux, ne. font jamais de crised'hystérie; sous l'influence d'émotions, ils ont desbattements de cœur, de l'anxiété, de la diarrhée, de lacéphalée. D'autres qui peuvent être moins nerveuxd'une façon générale, font facilement des crises denerfs. On comprend maintenantce que je veux dire,quand je dis Pour avoir une crise de nerfs, il fautêtre hystérisable, il faut avoir un appareil (sympto-matique) hystérogène, de même que pour avoir par

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exemple, des éructations nerveuses, il faut avoir unappareil éructatoire.

Ces sujets qui ont des crises nerveuses fréquentes,

peuvent être indemnes de toute autre manifestation

dans leur intervalle; ils n'ont aucun stigmate. Chez

d'autres, la répétition et la peur des crises engendrent

certains symptômes persistants; ou bien l'émotion

qui fait la crise peut en même temps développer cessymptômes: anxiété, insomnie, cauchemars, dys-

pepsie, douleurs, lassitude, sensation de boule oude constriction rétrosternale persistante entretenue

par auto-suggestion.Mais ces symptômes,et d'autres

d'ordre émotif ou consécutifs à la crise, ont été à

tort considérés comme des manifestationsde la pré-

tendue entité morbide hystérieelle-même. Ce sont,je le répète, des symptômes concomitants dus aussi

à l'émotivité,qui engendre les crises ou qui leur suc-cède.

Nous verrons que ces crises de nerfs et la diathèse

hystériquepeuventêtre facilementinhibées par l'édu-

cation suggestive; ce qui démontre qu'il s'agit d'un

pur dynamisme nerveux.Enfin les crises d'hystérie peuventse greffer sur

toutes les maladies qui donnent lieu à une émotion,

à une anxiété, à une douleur. Que l'émotion soit

due à une cause extérieure, qu'elle soit due à unemaladie,elle pourra toujours être hystérogène chez

les hystérisables.Telles sont: la neurasthénie anxieuse, l'hypocon-

drie, la mélancolie, les phobies, les obsessions, les

Page 231: De La Suggestion

hallucinations alcooliques ou autres, les douleurssaturnines, la dysménorrhéedouloureuse,la céphalée,la migraine ophtalmique, les névralgies, les coliqueshépatiques, néphrétiques, appendiculaires, les péri-tonites pelviennes, l'anxiété précardiale et respira-toire, l'anxiété fébrile avec sa chaire de pouleanxieuse, les traumatismes avec leur choc émotif,toutes cef. maladiessont susceptibles d'engendrer despsychonévroses, et parmi elles les crises d'hystérie.

Dansces cas, les crisesne sontqu'unépiphénomène,

une réaction non pas de la maladie, mais de l'émo-tivité créée par la maladie. Et la meilleure preuve,c'est que je puis toujours par la psychothérapie,

comme je l'indiquerai, supprimer cet épiphénomène,apprendreau malade à l'inhiber les crises d'hystériealors n'existent plus, la maladie n'en subsiste pasmoins, dégagée de l'hystérie que le psychismeémotiflui avait ajoutée. La neurasthénie, les phobies, la mé-lancolie, lesaturnisme, lesaffections utéro-ovariennes,la fièvre,etc.,continuentleurévolution,affirmantainsileur nature organiqueou toxique, et la nature pure-ment dynamique de l'hystérie surajoutée. Mais lesauteurs, trompées par l'appareil impressionnant descrises, considérant l'hystérie comme une entité mor-bide qui affecte tous les organes et toutes les fonc-tions, ont volontiers endossé à l'hystérie toute cettesymptomatologie concomitante et toutes les maladiessur lesquelles elle se greffe. La neurasthénie, la mé-lancolie, les obsessions, la fièvre, la paralysie, lescoliques, la cardialgie,etc., tout cela serait fonctionde

Page 232: De La Suggestion

l'hystérie on a décrit une fièvre hystérique,de l'hys-térie alcoolique et saturnine, des affections cutanées,

des atrophies musculaires, un ictère hystérique!Et

ainsi s'explique pourquoi on a appelé l'hystérie, la

maladie simule tout.Ce qui a encore contribué à cette confusion, c'est

qu'à F hystérie peuvents'associer d'autres psychoné

vroses;on les conçoit chez les sujets autosuggestibles

qui ont la représentation mentale facile et un idéody-

namismeexagéré. D'autres autosuggestions émotives

peuvent se réaliser en même temps que la crise la

boule épigastrique persistante, de l'anesthésie, de

l'hyperesthésie,de la céphalée, des contractures, des

paralysies partielles,des vomissements,des halluci-

nations, du somnambulisme,etc., toutes ces psycho-

névroses, et d'autres peuvent s'associerentre elles ets'associer aussi, l'une ou l'autre, à la maladie fonda-

mentale qui est hystérogène, et qui peut être psycho-

neurogèned'une façon générale.D'autre fois, c'est une seule psychonévrose,comme

vomissementsnerveux,aphonie,douleur vive, impo-

tence fonctionnelle, etc., qui se greffe par autosug-gestion sur la maladie.

Toutes cespsychonévroses,justiciablesaussi de la

suggestion,nedoiventpass'appelerhystérie.Ce serait

détourner ce mot de son sens primitif et l'appliquer

à des milliers de troubles fonctionnels absolumentdivers, à toutes les manifestations nerveuses dyna-

miques.On a décrit des stigmates de Hystérie ce seraient

Page 233: De La Suggestion

surtout l'ovarialgie, le rétrécissement du champ vi-suel, et l'hémianesthésiesensitivo-sensorielle. J'ai dé-montré, et Babinski a confirmélongtempsaprèsmoi,que cessymptômesn'existent pas spontanément, maispeuvent être créés par l'exploration médicale chezbeaucoup de sujets impressionnablesqui ne sont nul-lement hystériques.

On parle aussi de stigmates mentaux, simulation,mensonge, érotisme tous les vices, on les imputeà ces malheureuses femmes, si bien que même enl'absence des crises, une menteuse ou une érotiqueest souvent taxée hystérique. En réalité, les hysté-riques n'ont aucune mentalité spéciale beaucoupsont honnêtes, même ingénues, sans rouerie ellespeuventn'avoir aucune sensualitéou en avoir.

Les psychologues ont imaginé une conceptionobs-

cure que je n'ai pas comprise et que beaucoup demédecins acceptent, sans la comprendre. Elle seraitcaractérisée,disent-ils,par la désagrégation de la syn-thèse mentale, par l'aboulie, par le dédoublement dela personnalité, par le rétrécissement du champ dela conscience, par un défaut de régulation dans lesprocessus réflexes élémentaires,psychiquesou orga-niques

A cette conceptioncontre laquelle proteste l'obser-vation élémentaire, j'opposeraicelle-ci qui me paraîtsimplement l'expressionde la vérité clinique. L'hys-térie est unepsychonévrosedorigineémotive carac-térisée par les crises auxquelles on a donné le nomde crises hystériques;et rien de plus.

Page 234: De La Suggestion

Si j'ai insisté quelque peu sur l'histoire générale

des psychonévroses, y comprise l'hystérie, c'est parcequ'elles constituent le terrain sur lequel doit agir lapsychothérapie,sur lequel elles exercentleurinfluence

salutaire, parce que la doctrine de la suggestion

éclaire leur pathogénie et justifie leur thérapeutique,

parce que les phénomènesobtenus par la suggestionexpérimentale,par l'ancienhypnotisme,nesonten réa-

lité, répétons-le, que des psychonévrosesartificielles.

Tous les troubles fonctionnels d'origine émotive

ne sont pas des psychonévroses.Quand une émotiondonne lieuà un embarras gastrique, à de la diarrhée,

à de l'urticaire, à de l'ictère, à de la migraine, ce

sont là des symptômesdus à une gastrite, à une enté-

rite, à une infection des voies biliaires, à un état

toxique général, ce ne sont pas des réactions pure-mentdynamiques.Uneémotion peut agirsurles vaso-moteurs, sur les sécrétions,sur le péristaltisme du

tube digestif, sur la chimie stomacale et intestinale,

elle peut troubler la digestion et déterminer une dsy-

crasie nutritive, elle peut réveiller la virulence des

microbeslatents de l'organisme et faire des maladies

infectieuses. La suggestion n'agit pasdirectement sur

ces symptômescomme sur les représentations men-tales.Cependant, en réprimantl'émotivitéqui les crée

et peut les entretenir, elle est capable d'exercer uneinfluencefavorable. Je connais une jeune dame qui

à chaque émotion a de l'entérite muco membraneuse

et de l'urticaire avec d'autres-symptômes. En lui

apprenantàmaîtriser son émotivité,et à prendrecon-

Page 235: De La Suggestion

fiance en elle-même, malgré son impressionnabiliténerveuse, je l'ai presquecomplètement guérie de cesaffections d'origine émotive, bien que non psycho-nerveuses.

4. Neurasthénie.

Les auteurs confondent en général les mots psy-chonévrose et neurasthénie. La neurasthénie oupsychoneurasthénieserait, dit-on, une pure modaliténerveuse, une façon d'être fonctionnelle du systèmenerveux, due au surmenage physique et moral ceserait un simple appareildynamique de trouble fonc-tionnels sans lésion, entretenu par l'autosuggestion

ce sont surtout les neurasthéniques qui viennentdemander secours à la psychothérapie.

Or, après avoir partagécette idée au début de mesétudessur la suggestion, j'ai constaté invariablementdepuis vingt-cinq ans, que la psychothérapieestaussiinefficace contre les neurasthénies que les autresmédications,et je suis arrivé à cette conclusion quela neurasthénie n'est pas assimilableaux psycho-névroses, quece n'est pas un simple dynamisme ner-veux c'est une maladie réelle, souvent constitution-nelle, aussi fréquente chez les paysans et les ouvriersque dans les classes raffinées; c'est une dyscrasietoxique,comme l'arthritisme, la goutte, l'herpétisme,la migraine ophtalmique, les psychoses, toutes affec-tions diathésiques dont certains sujets ont le germe

Page 236: De La Suggestion

ou la prédispositionet qui se développentfatalement

chez eux sous certainesinfluences.Le neurasthénique, avec ses sensations diverses,

telles que vide, vague ou lourdeur dans la tête, dou-

leurs variées dans diverses régions du corps, lassi-

tude, quelquefois vertiges et bourdonnementsd'oreille, atonie physique et morale, aboulie, anxiété

terrible, idées noires, cauchemars, impuissancecéré-

brale, fourmillements et engourdissements dans les

membres, troubles digestifs, etc., ces innombrables

troubles fonctionnels, non seulement nerveux, mais

affectant tous les organes, souvent avec prédomi-

nance dans le cerveau, ou dans le tube digestif, cetteneurasthénie appelée psychasthénie,quandil y a pré-

dominance de symptômes dans le cerveau, est unemaladie générale auto-toxique. Elle est souventpériodique, avec une évolution cycliquequi dure de

plusieurs mois à un an elle revient à des échéances

plus ou moins lointaines, chez les uns tous les ans,chez d'autres seulementdeux ou trois fois dans l'exis-

tence, avec des intervallesqui peuvent être parfaite-

ment indemnes; chez d'autres la maladie est chro-

nique, avec des alternatives de rémission et d'exa-

cerbation plus ou moins intenses; et cet ensemble

symptomatique évolue fatalement son temps, en

dépit de toutes les médications. Sans doute certains

éléments psychonerveux,même des crises d'hystérie,

peuvent se greffer sur elle, et en être détachées par la

psychothérapie. Mais la maladie elle-même continue

son cours inexorable, rebelle la suggestion, pour

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guérir spontanément au bout de son cycle, si c'estune forme périodique; et récidive au bout d'un tempsvariable, sans que la suggestion puisse prévenir larécidive.

Ce n'est donc certainement pas une psycho-névrose celles-ci sont justiciables de la suggestionl'autre ne l'est pas plus que les psychoses ou mala-dies mentales.La neurasthénie n'est pas une maladiepsychonerveuse, c'est une maladie générale auto-toxique.

Parmi les maladesqui s'adressentaussi à la psycho-thérapie se trouvent les obsessions,les phobies, tellesque peur des espaces ou agarophobie,peur de l'isole-ment ou claustrophobie,peur des couteaux, peur despoisons, etc., l'anxiété nerveuse native ou psychosed'angoisse, le délire du toucher, l'obsession du doutescrutateur, etc., ces états sont en réalité le plus sou-vent des psychoses, des folies partielles, greffées surun fond héréditaireet souvent rebelles à la sugges-tion, bien qu'elles puissent être parfois amélioréespar l'éducation patiente du sujet.

Elles sont rebelles aussi souvent, ces nombreusesdouleurs sans lésion, chez certaines personnesqui ysont sujettes toute leur vie, par droit de naissance, sije puis dire; on les appelle arthritiques, mot quicache souvent notre ignorance. Elles paraissentduesà une diathèse constitutionnelle native; ce ne sontpas de simples produits d'imagination, comme lemontre leur résistance aux diverses médications,ycomprise la psychothérapie.

Page 238: De La Suggestion

5. ÉLÉMENT PSYCHO NERVEUX DANS LES maladiesorganiques.

Celle-ci n'agit-elle absolument que sur l'élémentpsychonerveux? N'a-t-elleaucune action sur les ma-ladies organiques?Nous avons vu que le cerveaucommandetoutes les fonctions; tous les organes. Parl'intermédiaire des filets nerveux, l'action psychique

se transmetà tous les viscères et gouverne toutes les

activités du corps. Nous avons vu la suggestionfairede l'anesthésie,des douleurs, de la paralysie,de la con-tracture, des vomissements, de.ladiarrhée, de l'accé-lération et du ralentissementdu coeur; elle ne fait passeulementde simples représentations mentales cettereprésentation se matérialise; l'idée devient acte. On

comprend donc que la suggestion, c'est-à-dire l'idéepuisse actionner le travailorganique,calmer les dou-leurs réelles, modifierla circulation, stimuler ou ré-

primer les activités fonctionnelleset intervenir utile-

ment dans l'évolution des maladies. Cela est vraidans une certaine mesure. L'observation des faitsm'a montré cependant que cette influence n'est passuffisante pour avoir une grande action thérapeu-tique elle peut modérer certains symptômes,elle

n'inhibe pas les évolutions organiques et toxiques.Sans doute j'ai pu faire marcher des ataxiquesou

des hémiplégiques qui ne le pouvaient plus, j'airendu la souplesse et la motilité à des articulationsparaissant immobiliséespar des arthrites chroniques,

Page 239: De La Suggestion

j'ai guérides hémianesthésiesliées à des hémorragiescérébrales, j'ai calmé du ténesmeet diminué des diar-rhées dysentériques,inhibé des vomissements liés àune gastrite catarrhale ou cancéreuse.

Mais rappelons-nous que les troubles fonctionnelsréels peuvent être exagérés par le sensorium ou con-servés par lui, alors que la 'cause organique n'est pasou n'est plus en jeu. C'est un élément psychonerveuxajouté à la maladie,dont le champdynamique dépassele champ organique en étendue et en durée. Une hé-miplégie peut être suffisamment guérie pour que lamarche puisse se faire; mais le malade se sentant etse sachant paralysé ne sait plus actionner sa jambe;ou bien il n'ose pas l'appuyer sur le sol il continueà inhiber sa fonction. L'éducation du sujet par l'en-traînement et la confiance qu'on lui donne restaurela marche.

De même, voici un sujet qui a eu le genou affectéde rhumatisme, longtemps immobilisé; l'arthrite adisparu; maisle genou reste incapable de se fléchir etde s'étendre;l'inertie prolongé a produitune certaineraideur exagérée par le psychisme avec sensibilitédouloureuse.En imprimantà l'articulation des mou-vements, en stimulant le moral du malade et- luimontrant que je puis mobiliser le genou sans douleurj'arrive graduellement à le faire marcher.

Quand je supprime l'hémianesthésie des hémorra-giescérébrales, c'est dans les cas où la région du cer-veau qui commande cette hémianesthésie n'est pasdirectement intéressée, mais a été inhibée par une

Page 240: De La Suggestion

lésion du voisinage. Vhémianesthésie chez certains

persiste par autosuggestion,alors que le choc qui la

déterminaita disparu et qu'elle n'a plus de raison

d'être alors la psychothérapiel'enlève.

Le ténesme, la diarrhée, les vomissements liés à

une affection organique peuvent aussi être exagérés

par le psychisme et justiciables dans une certaine

mesure de la suggestion.On le voit, le champ de la psychothérapie est très

vaste; elle peut intervenir utilement dans toutes les

maladies; maiselle intervient surtout contre l'élément

psychonerveuxde ces maladies. Dans toutes, le mé-

decin doit reconnaître ce qui est organique, ce qui

est toxique, ce qui est dynamique;et encore dans ce

dynamisme, comme nous l'avonsdit, il y a le dyna-

misme nerveux par irradiation nerveuse à distance,

action réflexe, sans intermédiaire du psychisme; et

le dynamisme psychonerveux, le seul qui soit tou-

jours accessible à la suggestion.

Page 241: De La Suggestion

CHAPITREXIV

Psychothérapie dans le sommeil provoqué et à tétat devellle. Procédés divers. Psychothéropiespéciale àPhystérie, Inhibition des crises et de la diathèse.

i. Psychothérapie. LES PROCÉDÉS.

Qu'est-ce que la psychothérapie ? Quels sont sesdifférents procédés ?

Le mot de psychothérapie s'applique à toutes lesopérations qui ont recoursau psychismedans un butthérapeutique et qui facilitent l'action de ce psy-chisme. Cettedéfinition deviendra plus claire,quandj'aurai exposé les divers procédés auxquels nousavons recours.

Liébeault, le père de la psychothérapie, procédait

par affirmation dans le sommeilprovoqué. Le sujetendormi, ou seulement engourdi, il affirmait la dis-parition des différents symptômes éprouvés « plusde douleur, plus de faiblesse; la digestion bonne,toutes les fonctions se font bien ». Pour concentrerl'esprit du malade sur l'idée de la guérison et enmême temps faire une certainedérivation psychique,

Page 242: De La Suggestion

il appliquait la main sur la région malade et sug-gérait la chaleur. Il expliquait que la nature médica-

trice, plus forte que le médecin, rétablissait l'équilibre

et la santé. Le malade restait assis sur le fauteuil,passif, pendant cette suggestion verbale qui durait

plusieurs minutes; et les séances suggestives étaient

répétées le plus souvent possible.Dès mon début, en 1884, j'ai cherché à établir que

le psychothérapien'est pas seulementl'hypnothérapie,la thérapeutiquepar le sommeil; qu'elle peut se faire

à l'état de veille, comme toutes les suggestions. Elle

ne consiste passeulement à affirmerla disparition de

troubles fonctionnels, soit à l'état de sommeil,soit à

l'état de veille. Elle comprend tous les procédés qui

agissent sur le psychisme, soit pour renforcer l'idée

qu'on veut introduire dans le cerveau, soit pour faci-

liter la transformationde l'idée en acte, c'est-à-dire

l'idéo-dynamisme. Le sommeil provoqué peut être

parfois un adjuvant utile, parce qu'il supprime dans

une certaine mesure le contrôle et exagère l'automa-

tisme cérébral, l'idéo-dynamisme. Mais l'expérience

m'a montré que le sommeil n'est pas nécessaire, par-

ceque la suggestibilitépeutêtre suffisammentaction-

née à la veille. De plus, ainsi que nous allons le voir,

le sommeilou état passif peut être un obstacle, parcequ'il faut souvent la collaboration active du sujet

pour permettreà la suggestiond'être efficace.Le psychothérapie comprend des procédés divers

adaptésà la maladie et à l'individualitépsychique.

Et d'abord la suggestion verbale, comme le faisait

Page 243: De La Suggestion

Liébeault,comme je la faisais après lui à l'état desommeilet plus souvent, depuis quinze ans, l'étatde veille. C'est l'affirmation simple de la guérison

c'est plus que l'affirmationsimple, c'est la persuasionqui consisteà renforcer l'idée par le raisonnement,

par la démonstration aidéed'une insinuation forte oudouce, destinée à frapper sa sensibilité en même

temps que sa raison, à l'émouvoir, à l'impressionner,à l'intimider, si c'est nécessaire, à l'attendrir, si c'estutile; car la raison vit aussi de sentiment;car le cer-veau se détermine autant par le sentiment que par laraison.

Dans tous mes écrits et ceux de mes élèves, depuisle début de mes études sur la suggestion,j'ai montré

que celle-ci n'est autre chose que de la persuasion.Et cependant, il y a quelques années, le professeurDubois, de Berne, croit avoir inventé une méthodenouvelle qu'il appelle la persuasion par la paroleseule, s'adressant uniquement à la raison; ce serait lapsychothérapie rationnellequ'il croit substituer à mapsychothérapie qu'il dit thaumaturgique.

M. Dubois commenced'abord par substituer à maconception de la suggestioncelle-ci « La suggestionagit par les voies tortueuses de l'insinuation lapersuasion s'adresse loyalementà la raison du sujet.L'unes'adresse à la foi aveugle, l'autre au raisonne-ment logiqueaffiné».

Conclusion: il persuade, par un raisonnementloyal. Je suggestionnepar un vrai cambriolage céré-bral. Je suis un thaumaturge, je fais avaler à une

Page 244: De La Suggestion

maladedes poissons d'avril (sic !) Obligé cepen-dant de reconnaître que je fais aussi de la médecine

morale, et voulantabsolument s'approprier la décou-

verte rationnelle de celle-ci, il ajoute « Sans doute,

il ne néglige pas l'influence morale, la paternelle

exhortation; mais cette orthopédie est encore tropfruste, trop rapide la pratique de l'hypnotisme l'ahabitué aux succès immédiats, aux coups de théâtre.

Il mène ses malades par le nez, leur faisant croire

tout ce qu'il veut » (sic). M. Dubois a assisté, il y aplus de vingt ans, à mes expériences de suggestion etd'hallucination expérimentale. Croit-il, malgré tout

ce que j'ai dit et écrit, ou voudrait-il faire croire

que ma thérapeutique suggestive ressemble à cettepseudo-thaumaturgie expérimentale? Mes écrits et

ceux de mes élèves sont là pour protester contrecettedénaturation systématiqueet audacieusede la vérité 1

Les lecteursde ce livre mepardonneront cette diver-

sion pro do mo meâ. Mais l'affirmation de M. Du-

bois a fait des adeptes en France et des articles sontpubliés sur la psychothérapieoù l'on déclare Dubois

son promoteur, et où mon nom n'estpas prononcé,

pas plus que celui de Liébeault.La persuasionverbale,s'adressantà la raisonseule,

même s'adressantde plus au sentiment,n'est qu'un

des procédés de la suggestion elle ne la comprend

pas tout entière. D'autres procédés suggestifs peu-

vent réussir là où le raisonnement échoue.Voici par exemple un malade affecté d'une dou-

leur nerveu se consécutive à une contusion guérie.

Page 245: De La Suggestion

J'ai beau lui persuader et lui démontrer que cettedouleur n'a pas de réalité organique et est pure-ment psychique; il accepte mon assertion, mais elle

ne suffit pas à inhiber la sensation douloureuse. Sialors je renforce l'idée par une manipulation, fric-tion, massage, électrisation, application d'un aimant,etc., si j'incarne la suggestion dans une pratiquema-térielle, je réussis parfois là où la simple persuasion

a échoué.Tel autre a une paralysie fonctionnelle psychique

sans lésion; il ne peut marcher. Je lui démontre queses jambes peuvent fonctionner, que les nerfs, lecerveau, la moelle ne sont pas malades; qu'il doitfaireun effort de volonté et qu'il pourra marcher. Ilestconvaincu,maissavolontéreste impuissante; l'idéene suffit pas à actionner ses jambes. Si alors je faislever le sujet, l'empêchantde tomber, si je le fais mar-cher, en lesoutenant,enl'encourageant,en lui appre-nantà dominerses impressions paralysantes,j'arriveen peu de séances à reconstituerla fonctionperdueparce procédé d'éducation, entraîaementsuggestifactif.J'ai appris à l'idée à faire le dynamisme nécessaireen la dégageant de son inhibitionpsychique. La dé-monstration théorique seule indéfiniment prolongéen'aurait pas réussi. Acta non verba.

Voici un autre exemple de suggestion avec entraî-nement actif. Un malade a une aphonie nerveuse; lasuggestion verbaleseule a échoué. L'électrisationsug-gestive, les frictions du larynx qui m'ont souventréussi dans des cas de ce genre ont échouécette fois.

Page 246: De La Suggestion

Alors j'excite le sujet à dire la lettre a; à force de le

stimuler, il déploieun effort énergiqueet arrive à dire

a. Je l'excitede même à dire sucessivemente, i, o, u.Une fois ces voyelles émises et le premier pas fait, il

arrive facilementet sans effortà articulerà hautevoix.L'inhibitionpsychique des cordesvocales a été vain-

cue, grâce à cette stimulation plus active, par le cer-

veau suggestionné à cet effet.

Quand une musique douce et captivante, ou unspectacle féerique et grandiose,chasse pour un certain

temps la tristessede l'âme, dissipe l'angoisse, réveille

la gaité, c'est une image auditive et visuelle sugges-tive qui a créé une diversion psychique, effacé le

tableau noir et mis l'organisme à son unisson. C'estaussi de l'idéo-dynamisme; c'estde la suggestion par

une impression sensorielle qui a fait une dérivation

psychique.D'autres fois lesujetrésiste consciemment ou incon-

sciemment à tous les procédés de persuasion ration-nelle, sentimentale, instrumentale, passive et active

qu'on emploie; on arrive parfoisà vaincrecette résis-

tance, en faisant la suggestion à son insu, en le

trompant à l'aide d'un subterfuge.Voici un exemple

instructif que j'ai déjà rapporté Une jeune fille de

18 ans a depuis quatorze mois une psychonévrose

traumatique de la main droite caractériséepar uneparalysie de cette main qui ne peut ni s'ouvrir, ni se

fermer complètement,et de plus une anesthésietotale

exactementlimitée à la ligne radio-carpiennedu poi-

gnet. Tous les traitements, frictions, massage, éjec-

Page 247: De La Suggestion

tricité ont échoué. J'essaie la persuasion, les aimants,je mets tout en ouvre. La malade maintientsa para-lysie.

Alors j'emploie un stratagème.Je dis à la malade

que la paralysiepersiste, mais qu'il peut cependant yavoir une légère amélioration par l'aimant que je

viens d'appliquer, et pourm'en assurer, dis-je, je vais

explorer la sensibilité avec l'épingle. Ayant constaté

que la frontière de l'anesthésie est toujours sur laligne radio-carpienne, je l'inscrissur la main avecuncrayon rouge, mais à un travers de doigt en avant dela ligne réelle accusée par l'épingle, avançant ainsifrauduleusement la frontière, à l'insu de la malade.Puis je la laisse regarder la main en lui montrant la

ligne rouge qui marque la limitede l'anesthésie.Avecl'épingle, je pique en avant de cette ligne, depuisl'extrémité des doigts d'avant en arrière, en insistantbien sur la persistancede l'anesthésie; la malade suit

avec attention. J'arrive à la ligne rouge, je pique à ceniveau, la malade sent: elle est tombée dans le piège.

Le lendemain par le même subterfuge, j'avance

encore d'un travers de doigt. La malade reconnaîtqu'elle a gagnédu terrain. Je montreque la vie revientdans la main avec la sensibilité.En continuantce sys-tème pendant quelques jours, je la guéris radicale-

ment par cet artifice grossier qui surprend son cer.veau et le suggestionneà son insu, l'empêchant ainsid'inhiberla suggestion.

Je pourrais multiplier les exemples. C'en est assezpour établir que la psychothérapiecomprendtous les

Page 248: De La Suggestion

procédés psychiques, suggestion verbale à l'état dveille ou desom meil,persuasionrationnelleetémotive,

suggestion incarnée dans des pratiques matérielles,

massage, électrisation,éducation active et suggestive

de la fonction troublée, artifices divers pour faire la

suggestion à l'insu du malade, suggestions médica-

menteuses, et tout ce qui introduit l'idée dans le cer-

veau, et l'incite à la réaliser, tous moyensvariables

suivant la naturede la maladie et la mentalité indivi-

duelle.Il m'arrive encore parfois de suggérer le sommeil,

soit que le maladele demande, croyant que la sugges-

tion est plus efficace dans le sommeil, soit qu'il

s'agisse d'un trouble morbide que la suggestion

hypnotiquecombatplus efficacement. Tels l'insomnie

nerveuse, les terreurs et les cauchemars pendant le

sommeil, le somnambulisme nocturne. Dans ces cas,je tiens les yeux clos au sujet et lui dis de dormir; je

fais la suggestiondans cet état de concentration,sans

trop me préoccuper de savoir quel est le degré du

sommeil. Si le sujet me dit qu'il ne dort pas, je lui

réponds « Cela ne fait rien, ne vous inquiétez pas.La suggestion réussit aussi bien sans sommeil. Ce

n'est pas le sommeil, c'est la suggestion qui vousguérit. Fermez les yeux et faites comme si vous dor-

miez, même si vous ne dormez pas. »Contre l'insomnie nerveuse, je dois le dire, la sug-

gestion échoue souventparceque les malades ne peu-ventréaliserla représentationmentaledu sommeil. S'il

s'agit de cauchemarsnocturnes, je chercheà endormir

Page 249: De La Suggestion

le sujet; et dans ce sommeil, ou état voisin du som-meil, je suggère le cauchemarou le rêve somnambu-lique qui se produit spontanément dans son sommeilnormal. Cela se réalise assez souvent; alors j'efface

ce rêve ou cette terreur, et je lui suggère de n'avoirplus peur, de ne plus avoir de rêves terrifiants, derester tranquillement dans son lit, de se réveiller.J'ajoute « Vous allez dormir de nouveau je voussuggère le mauvais rêve, mais il ne viendra plus. Jene peux plus vous le donner. » Et alors j'essaie envain de le suggérer. J'apprends ainsi au malade àinhiber ma suggestion ou l'auto-suggestionterrifiantehallucinatoire. Ce procédé réussit souvent.

2. PSYCHOTHÉRAPIEspéciale dk L'HYSTÉRIE.

Un mot encoresur la psychothérapiespéciale de lacrise d'hystérie et de la diathèse hystérique.

Et d'abord la crise d'hystérie, en pleine évolution,

peut,dans la très grandemajoritédes cas, être arrêtée.Voici un malade que je ne connais pas il fait sa crise.Qu'il se roule à terre, en proie à de violentes convul-sions désordonnées avec strangulation, qu'il soit encontracture simple, les machoires serrées, qu'il soit

en sommeil avec inconscienceapparente, je coupe lacrise par la parole suggestive. Si c'est le sommeilhystérique, je dis au patient qu'il va se réveiller, aubesoin je lui ouvre les yeux en affirmant qu'il estréveillé. S'il est contracturé, j'écarte doucement les

Page 250: De La Suggestion

machoiresserrées en disant « Voyez, vous pouvezouvrir et fermerla bouche. » Je rends la souplesse auxmembres en fléchissant doucement le coude, les

genoux, les poignets et disant au malade « Voyez,

votre coude, votre jambe, votre main peuvent sefléchir. » J'ajoute qu'il peut ouvrir les yeux, faire tousles mouvements, se lever. En procédant ainsi parinsinuation douce, plutôt que par ordre impératif, entrès peu de temps, variable d'une demi-heure àquelques minutes, la résolution est obtenue, et l'étatnormal reconstitué.

Si c'est une grande crise, je suggère la d.isparitionde l'oppressionet des grands mouvements,quelque-fois je suggère le sommeil simple, calme, puis celui-ci obtenu, je réveille. Je ne brusque pas le malade,j'affirmedoucement qu'il va retrouver son calme et

que toute cette agitation nerveuse va disparaître. Leplus souvent, en peu de temps, cette suggestion ver-bale est efficace.

Quelquessujets sont plus rebelles. Il y a des som-meilshystériquesqui résistentà l'injonction du réveil.Il y a de grandes convulsions irrésistibles auxquellesles sujets s'abandonnentavec une sorte de frénésie;l'auto-suggestionhystérisante semble plus forte quetoute suggestion qu'on lui oppose.

Celle-ci cependant réussit, si on ne lui demande

pas un succès immédiat. Tel un enfant qui a des

sanglots irrésistibles et que les parents ont tort de

vouloir réprimer sur-le-champ par une admonesta-tion vigoureuse. Une suggestion douce arrête au bout

Page 251: De La Suggestion

du temps psychologique nécessaire cette émotivitélacrymatoire.

Ainsi en est-il parfois des crises d'hystérie. Lors-qu'elle paraît résisterà la suggestion,soit que le sujetvolontaire ne l'accepte pas, soit que l'orage déchaînéest trop violent, je n'insiste pas, je dis au malade

« Votre crise ne peut pas s'arrêter immédiatement.Mais rassurez-vous, ne faites aucun effort; elle vas'arrêter spontanément. » En abandonnantle maladeà lui-même, avec la confiance que je lui donne,l'accès diminue d'intensité et se dissipe en peu detemps.

De même qu'on peut couper un accès, on peutaussi le provoquer dans la grande majorité des cas;et ce fait même,provocationpossible de la crise, signele diagnostic d'hystérie; la crise d'épilepsie ne peutpas êtreprovoquéepar suggestion.Chez les sujets quiont l'aura abdominale, ou la boule épigastrique, ilsuffit de toucher l'épigastre ou une région quelconquede l'abdomen qui devient sensible et hystérogène paraffirmation.On dit « Voici ladouleur; la boule monteau cou; la crise vient», etelleéclate. Chezquelque-unsla simple affirmation de la crise suffit à la réaliser.Si l'aura ou sensation qui prélude à la crise partd'une autre région, thorax ou tête, par exemple, sic'est une anxiété respiratoire ou une céphalée verti-gineuse, je touche ces régions en suggérantcette aurathoracique ou céphalique; et la crise éclate; elle peutêtre incomplète, ou complète; elle se perfectionnepar l'entraînement suggestif. Cette crise provoquée,

Page 252: De La Suggestion

je puis l'enrayer à volonté comme la crise spon-tanée.

Quand j'ai à traiter une hystérique, je commenceen général par lui dire « Je vais vous donner unecrise, pour bien voir si c'est une crise nerveuse. Necraignez rien car je l'arrêterai toutde suite. »Alors je

provoque la crise et je l'enraie pendant son évolution,par la suggestion. Cela fait, je dis au patient en sou-riant « Voyez que je puis à volonté provoquer etarrêter une crise. Maintenant, je ne puis plus vous endonner. Vous ne la laisserez plus venir. Tenez, je

presse de nouveau cette région que j'ai pressée tout àl'heure pour vous en donner une; vous avez beausentir une douleur, une boule qui veut monter; maiselle ne monte plus, elle ne vous étouffe plus; cela nevient plus. » En disant cela, je presse légèrement larégion hystérogène; le sujet a un peu de douleur, unpeu d'anxiété, commesi la crise voulait éclater. Maisje le rassure en riant et en répétant « Cela ne vientpas; vous êtes maître de vous; aucune crise ne peut« aboutir. » Presque toujours, rassuré par cette sug-gestion calmante, et dominé par mon assurance, ilapprend à faire inhibition. Je le fais rire, je l'exerceà dominer l'émotivité d'une sensation imminente decrise.

Cela fait, je fais mine de lui suggérer une crise.Pressant de nouveau la région qui était hystérogène,je dis « Voilà la crise qui vient; la boule monte, la

gorge se serre. » Et j'ajoute à voix basse « Mais,cela

ne peutplus venir. » Le sujet, un instantimpressionné

Page 253: De La Suggestion

par la suggestion hystérogène,se ressaisit; mon sou-rire le gagne et il ne laisse pas venir la crise. Voici lapremièreleçon suggestive, elle suffit souvent à guérir

une diathèse hystérique invétérée.Je répète cette leçon tous les jours, j'apprends au

patient à affronter tous les symptômes prémoni-toires, boule, douleur, oppression, ou vertiges sil'aura est cérébrale, à subir la pression des régionshystérogènes, à supporter toutes les émotions, sansréaction psychodynamique il devient maitre delui.

Il est rare que trois jours se passent sans que laguérison définitive ait lieu; il est exceptionnel qu'ilfaille plus de dix jours pour achever cette éducation.On est vraiment surpris de voir avec quelle facilitécette habitude psychonerveuseinvétérée se perd eton peut dire que de toutes les psychonévroses,c'estl'hystériequi est la plus facile à guérir.

Il y a cependant des cas qui paraissent au premierabord rebelles à la suggestiondirecte. Ils sont excep-tionnels.

Voici, par exemple, une jeune fille, dans mon ser-vice d'hôpital, qui a depuis des années de grandescrises convulsivesliées à de l'anxiété nerveuse, et quise répètent une ou plusieurs fois par jour. J'essaie envain par la suggestionde les enrayer, ou de les pré-venir. Quand je veux l'enrayer, je ne réussis qu'àl'exaspérer. Ma suggestion inhibitoire provoque sacontre-suggestion hystérogène.La jeune fille est telle

ment impressionnableque le moindreattouchement,

Page 254: De La Suggestion

même le fait de m'approcher de son lit, provoque la

crise.Ce serait une erreur, dans ce cas que de s'acharner

à faire la suggestion directe qui reste forcément inef-

6cace, car elle n'a pas le temps d'intervenir,réveillant

instinctivementl'auto-suggestionprovocatrice.Même

si la malade est docile, les efforts qu'elle fait pourempêcher la crise la provoquent.

Que faire dans ce cas ? Rien Je rassure la jeune

fille, je lui dis « Ce n'est pas votre faute, je sais que

vous avez bonne volonté, mais c'est plus fort que

vous. La suggestion que je fais fera cependant soneffet. On ne vous tourmentera plus, on ne vous tou-chera plus; et vous arriverez vous-même sans faire

aucun effort à dominer ces crises qui ne signifient

rien. Dans peu de temps, tout sera fini. » Je recom-mande à l'entourage de ne plus s'occuper de la ma-lade et de ne faire aucune attention à ses crises. Je

passe tous les jours devant son lit sans m'arrêter, endisant simplement « Cela va bien », évitant de la

toucher, de l'impressionner au bout de trois jours,

elle n'avait plus de crises. Je pus alors l'habituerà

subir les attouchements, les pressionsabdominales,

les émotions impunément, et toute anxieuse qu'elle

est restée, depuis .des années elle n'a plus de crises de

nerfs.Ce mode de suggestion indirecte qui consiste à

éviter au sujet toute impression vive, toute interven-

tion directe, de ne pas le toucher, ni physiquement,

ni moralement, à le suggestionner par insinuation =

Page 255: De La Suggestion

douce, sans en avoir l'air, réussit souvent aussi

contre les autres psychonévroses.Depuisprès de vingt ans, je guéris toutesmeshysté-

riques par la méthode que je viens d'exposer, sanshypnotisme; je fais l'éducation des malades, je leurapprends à inhiber leurs crises, je leur donne con-fiance en elles-mémes je varie d'ailleurs un peu lesprocédés pour les adapter à l'individualité de chaquesujet, et cela pour toutes les psychonévroses.Je n'ai

pas trouvé une seule hystérique rebelle à la psycho-thérapie.

Le mot hystérie, bien entendu, ne s'appliquequ'auxseules crises. Les maladies sur lesquelles l'hystérie

peut se greffer, si elles sont toxiques ou organiques,

ne sont pas justiciables du seul traitement psy-chique.

Telles sont les indications, tels sont les procédés dela psychothérapie.J'ai voulu établir, à la lumière des

faits et d'une doctrine,qu'elle n'a rien de mystérieux,qu'elle est rationnelleet scientifique car l'organismehumain n'a pas que des propriétés physiques, chi-miques, physiologiques et biologiques; il a aussides propriétés psychologiques. Les médecins ontvoulu traiter le corps malade comme on traite unanimal ou une plante malade, par exemple la vigneatteinte de phylloxéra.On purge, on saigne, on sti-mule, on combat la douleur, on améliore la circula-tion, on désinfecte, on tue les microbes,on intervientchirurgicalement, comme dans une machine détério-rée. La thérapeutique médicale et chirurgicalea fait

Page 256: De La Suggestion

de grands progrès. Tout cela est fort bien. Mais onoublie parfois que l'esprit est aussi quelque chose

dans notre organisme, qu'il n'est pas quantiténégli-

geable dans notre vie physiologiqueet pathologique.Il existe une psychobiologie, il existe une psycho-

thérapeutique. C'est ce que j'ai voulu établir.

Page 257: De La Suggestion

CHAPITRE XV

École de la Salpétrière. Troisphases de l'hypnotisme.Transfert par les aimants- Métallothérapie.

Définitions diverses du motsuggestion. Dénaturationde mes idées sur la suggestionet l'hystérie.

i. École de LA Sai-pêtrière.

La doctrine que je viens d'exposer n'est pas encoreuniversellement admise, ni peut être comprise. Laplupart des médecins restent malgré eux sous l'im-pression des expériences singulières auxquelles ilsont assisté et ne peuvent s'empécher de croire qu'il ya là un état spécial, artificiel, qui n'est pas l'état nor-mal. La découverte moderne du téléphone, du pho-nographe, de la télégraphie sans fil, leur donnent vo-lontiers cette idée qu'il existe peut-être des forcesinconnues, fluidiquesou autres, à la faveurdesquelles

se réalisent des phénomènes que nous observons,

sans lesexpliquer.Sansdoutela question de l'hypnose

et de la suggestion est un peu dégagée de ses nébulo-sités mystérieuses elle ne serait cependant pas aussisimple que je le prétends.

Page 258: De La Suggestion

L'hypnotisme, tel que l'avait compris et réalisé laSalpêtrière,n'est plus admis. Commeon parle encoreaujourd'huide l'école de la Salpêtrière et de l'école

de Nancy, et que la question a un intérêt historique,je dois rappeler brièvement ce qu'enseignait la pre-mière école.

Charcot, qui expérimentait surtout chez leshystéri-

ques, considéraitl'étathypnotique développé chezeux

commeune véritable névrose qui serait constituéees-sentiellementpar troisétats ou trois périodes ayant des

caractères différentielstrès nets, et que l'onpeuttrans-former l'un en l'autre au moyen de certains artifices.

Le premier est l'état léthargique. 11 s'obtient soit

par fixation du regard sur un objet brillant, soit encomprimant légèrement les globesoculairesà traversles paupières abaissées. La léthargieainsi obtenue secaractériseessentiellementpar l'apparenced'un som-meil profond, la résolution musculaire, l'anesthésie

souvent complète, l'abolition de la vie intellectuelle

les suggestions sont impossiblesdans ce stade. Mais

on observe l'hypereucitabilité névro-musculaire

c'est-à-dire que tout muscle excité par pression oufriction légère se contracte la pression du nerfcubi-

tal, par exemple, fait contracter tous les muscles

innervés par ce nerf et produit la griffe cubitale la

pressiondu nerf facial produit ladistensiondes traitsde la face de son côté, en contractant les muscles

qu'il innerve.=

Le second état est l'état cataleptique. Les membres

restent immobilisésdans l'attitude qu'on leurdonne.

Page 259: De La Suggestion

Pour faire passer du premier au second, il suffit desoulever les paupières. Si un seul œil est ouvert, lecôté correspondantentre en catalepsie, l'autre restanten léthargie,inerte. Une impression sensorielle sou-daine et intense, telle que le bruit subit et inattendudu tam-tam, l'explosion d'un paquet de fulmicoton

par une étincelle électrique peut aussi d'emblée pro-voquer la catalepsie. Le cataleptiquegarde toutes lesattitudes qu'on donne à ses membres: l'hyperexcita-bilité névro-musculairen'existepas. On peutproduiredans cette période des suggestionspar le sens muscu-laire. Exemples si les mains du sujet sont rappro-chées comme pour envoyerun baiser, la figuredevientsouriante; si elles sont jointescomme dans la prière,la figure devient sérieuseet le sujet se met à genoux,

On peut faire passer le sujet de nouveau à l'étatléthargique, en lui fermant les paupières.

Le troisième état est l'état somnambulique.II peutêtre produitprimitivement par la fixation du regard

et diverses pratiques. On transforme la léthargie oula catalepsie en somnambulisme en exerçant sur le

vertex ou sommet dé la tête des frictions légères. Cetétat est caractérisé par une anesthésie habituelleplus

ou moins marquée, par une hyperacuité des sens, etsurtout parce que le sujet en somnambulisme est hal-lucinable et apte à toutes les suggestions.

On peut transformer en sens inversele somnambu-lisme en catalepsie, en ouvrant les yeux du sujet, ouen léthargie,en les fermant et comprimant légèrementles globes oculaires.

Page 260: De La Suggestion

Ces trois phases constitueraientcequ'on a appelé le

grand hypnotisme,ou la grande névrose hypnotique,à côté de laquelle il y a de petits hypnotismes dontles phénomènes sont moins caractéristiques,commeil y a la grande hystérie et les petits états hystériques.

Les élèves de la Salpêtrière ontaussi cru démontrer

les phénomènes de transfert par l'aimant. Voici, parexemple, un sujet hypnotisé. Je lève son bras gauche

verticalementet le mets en catalepsie dans cette atti-

tude. Si alors j'applique un aimant sur le bras droit,

au bout d'un certain nombre de secondes,ce bras

s'élève verticalement et y reste en catalepsie, tandis

que le brasgauchetombeinerte. Il y a eu transfert de

la catalepsie au côté en rapport avec l'aimant. On

peut de même transférer la contracture, la paralysie,l'anesthésie sensitive, tous les phénomènesprovoqués

dans l'état hypnotique. L'aimant transfère aussi les

anesthésiessensorielles,cécité et surdité psychiques,

les hallucinations unilatérales de la vue, de l'oreille,de l'odorat, du goût, du toucher d'un côté à l'autre.Ce transfert aurait lieu, sans l'intervention de la

suggestion, par un simple phénomène physique ouphysiologiquedû à l'aimant.

Il y a plus de vingt-huitans,j'aimontréquel'hypno-tisme de la Salpêtrière, avec ses trois phases, avec

ses phénomènes caractéristiques, l'hyperexcitabiliténévro-musculairedans la léthargie, la catalepsie parouverture des yeux, le somnambulismeparfrictiondu

vertex, les phénomènes de transfert, n'existent pas,queces phénomènes diversnese produisentpas, quand

Page 261: De La Suggestion

le sujet ne sait pas qu'ils doivent se produire la sug-gestion seule et l'imitation les ont réalisés. Les expé-rimentateurs ont créé à leur insu un hypnotisme deculture. C'était, il faut bien le dire, et personne n'endoute plusaujourd'hui,une erreur d'expérimentation.

L'hypnotisme de la Salpêtrière n'avait d'ailleursaucune application pratique.

A cette époquerégnait aussi la magnétothérapidetla métallothérapie.La première,comme nous l'avonsdit, depuis le dix-septièmesiècle était reconnue effi-cace contre divers troubles nerveuxdans le rapportd'Andryet Thouret à la Société royale de médecine.La secondefut prônée au siècledernier par le docteurBurcq et, après une longue période de scepticisme,elle finit par être expérimentée dans les hôpitaux deParis. Les membresde la Société de biologie recon-nurent que la métal tothérapieavait uneaction esthé-siogène, c'est-à-dire restaur&it la sensibilité, perduepar un trouble fonctionnel,etaugmentaitlaforce mus-culaire. On étudia cette vertu pour les divers métaux.On crut reconnaître que Burcq n'avait pas été vic-time d'une honnête illusion. L'Institut lui accordaune tardive récompense, réparation d'une longue in-justice1 Et cependant, comme je l'ai démontré, cettevertu thérapeutique est purement suggestive! Ellene se manifeste pas quand le métal est appliqué àl'insu du sujet Personne ne s'en doutait alors. Etc'est une chose singulièreque de voir les esprits lesplus distingués, les meilleurs observateurs,membresde la Société de biologie et de l'Institut,suggestionnés

Page 262: De La Suggestion

à leur insu,\trompés par l'apparence des faits, parcequ'ils n'étaient pas familiarisés avec la suggestion etqu'ils n'avaient pas appris à se prémunir contre lafissuresuggestive. Ainsi en a-t-il été, par exemple, del'hémianesthésie des hystériques, admise par touscomme un dogme classique, jusqu'à ce que j'eussemontré qu'elle était fabriquée. Et ce n'est pas le seulexemple d'erreur scientifique commise à la faveurd'auto-suggestioninconsciente 1

Ce serait une belle page à écrire dans l'histoire dessciences. La vérité vraie, même avec des méthodesqu'on croit scientifiques, n'est pas toujours facile àétablir.

Quand j'ai osé attaquer la doctrinede la Salpêtrière

sur l'hypnotisme et l'hystérie qui paraissait si solide-

ment établie, j'ai dû subir bien des critiques.Aujourd'huion a rompu avec l'ancien hypnotisme,

avec l'ancienne hystérie, et on se rapproche de mesidées.

2. DÉFINITIONS DIVERSES DU MOT SUGGESTION.

On n'accepte qu'en partie ma conception de lasuggestion,parce qu'on est encore, je le répète, sousl'impression de la pseudo-thaumaturgiehypnotique;

on ne peut pas se figurer que le mot suggestion,cesuccédané de l'hypnotisme, n'implique pas autrechose que l'idée simple. Aussi les auteurs s'appli-quent-ils à dénigrer ce mot, qui sent encore le fagot;mais ils ne s'entendent pas sur la significationmau-vaise qu'il faut lui donner.

Page 263: De La Suggestion

Dubois, de Berne, comme je l'ai dit, pense arbi.trairement « que la suggestionagit par les voies tor-tueuses de l'insinuation et s'adresseà la foi aveugle».N'y a-t-il pas contradiction entre ces deux termes ?En toutcas, la suggestion serait une pratique déloyale.Pour Babinski, il n'y a suggestion que lorsque l'idéequ'on veut introduire « est déraisonnable ». Il n'yaurait pas de suggestion raisonnable.Quand un sujeta une paralysie psychique due à une illusion de l'es-prit et que je le guéris en rectifiant son erreur, enrestaurantla vérité, ce ne serait pas une suggestion,parce qu'elleest raisonnable. Qu'est-ce qui est raison-nable ? Qu'est-ce qui est déraisonnable? Quand jedécide un brave homme à commettreune action blâ-mable, ce serait de la suggestion. Quand je le décideà faire une bonne action, ce serait de la persuasion.

Pour Camus et Pagnez, il y a suggestionlorsqu'uneidée bonne ou mauvaiseest introduitedans le cerveaud'un individu sans son contrôle.Le cerveau inhibelesfonctions psychiquessupérieures. C'est aussi la défi-nition de Grasset.« Dans la suggestion, le sujet obéitsans critiquer, sans raisonner, sans juger; il n'a ni àaccepter, ni à consentir; il agitcomme on le lui sug-gère. » Veut-ondire que le suggestionnédevient auto-mate ? Nous avons vu que c'est une erreur. Le sugges-tionneur médicalfaitceque font l'avocat,le diplomate,le prêtre; ils cherchent à captiver l'auditeur quiraisonne,critique, contrôle, mais qui peut finir parêtre persuadé, séduit. Est-ce de la suggestion ? Cer-tainement, au même titre que celle du médecin. Si

Page 264: De La Suggestion

celui-ci inhibe le contrôle, les autres l'inhibent exac-tement de la mêmefaçoneton peut dire par les mêmes

procédés, raison, sophisme, sentiment, artifices.Tout ce qui agit sur le psychisme est suggestion.

La thaumaturgie n'est pas du domaine médical.C'est

ce que j.'ai essayé de démontrer dans ce livre qui ré-

sume mes idées longuement mûriessur cette question.

3. DÉNATURATIONDE MES IDÉES.

J'ai hésité à l'écrire, car ces idées, je les ai dévelop-

pées presquetoutesdans mespublicationsantérieures.Si je me suis décidé à me répéter, c'est que j'ai pume convaincre que certaines suggestions ont besoin

d'être répétées souvent pour être comprises et assi-milées. Combien mes idées sont mal connues etdéformées par certains auteurs, je viens encore de le

constater dans un grand article sur l'hystérie queMM. A. Binet et Th. Simon ont publié dans r Année

psychologiquede 1910, et où tout ce qui me concerneest absolument fantaisisteet erroné, et où on chercheà attribuer à d'autres ce qui m'appartient Qu'on enjuge par les passages suivants

Il obtient le sommeil,disent-ils,parun ordrede dor-mir donné brutalementà hautevoix. Ce procédén'ajamais été mien. -« Il admet que la suggestion estcapablede provoquertous les troubles vasomoteursettrophiques. Il ne cesse pas d'insister sur la puissanceindéfinie de cet agent. il compte des interventionsutiles de cet agent dans la neurasthénie et même

Page 265: De La Suggestion

dans les paralysies saturnines. » J'ai dit le contraire.

« Il n'a pas imaginéune théoriede la suggestion. Cequ'il s'est surtout complu à montrer, c'est la toute-puissance de cet agent ». -« Il a un esprit qui s'in-quiète peu des nuances. » Appréciation que je laisseà ses auteurs 1

Plus tard, il est vrai, disent-ils, il est revenu surles idées qu'il a émises « et il ne croit plus à la toute-puissance de la suggestion il pense que les phéno-mènes vasomoteurs,trophiques et autres, qu'on a dé-crits dans l'hystérie, ne sont pas du tout des phéno-mèneshystériques,c'est-à-diresuggérés.C'est l'idéedeBabinski qu'il semble avoir adoptée sans en indiquerla provenance».

Je ne saisvraiment pasoù les auteurs ont puisé cetteassertion étrangeet fausse.Babinski,aprèsm'avoir vi-vement combattucomme champion de la Salpêtrière,

a fait graduellementuneévolutionvers mes idées.

« Je serais revenu sur la définition de l'hystérie etj'admettrais qu'elle constitue une entité morbide oudu moins un état nerveux qui ne se résout pas ensuggestibilité. » « Je confondrais hystérie avecémotivité; je netiendrais pas comptedes deux facteurs,influence extérieureet constitution mentale. » -Leslecteurs comprendront, s'ils peuvent, et jugeront lavaleur de ces assertions erronées.

MM. A. Binet et Th. Simon semblent attribuer àBabinski le mérited'avoir établique les stigmatessontsouvent créés par l'exploration médicale, notammentl'hémianesthésieet le rétrécissementdu champ visuel.

Page 266: De La Suggestion

Babinski lui-même n'a jamais revendiqué cetteprioritéet reconnaîtqu'elle m'appartient;elle estd'ail-leurs indiscutable.

Je dois admettre que MM. A. Binet et Th. Simon,s'étant fait à priori une certaine conception sur madoctrine de la suggestion et de l'hystérie, n'ont pas lu

ou ont très légèrementlu mes publicationsafférentes à

ces questions.Je ne puis que les prier de lire avec soin ma « Con-

ception de l'hystérie(i)»,ma« Définition et traitementcuratif de l'hystérie(2) », la thèse de mon élève le doc-

teur Amselle (3), mon article sur l'anesthésie hysté-

rique qu'ils se contentent même de lire matroisièmeédition de: Hypnotisme,Suggestion, Hys-térie, Neurasthénie, Psychonévrose,Psychothérapie,

parue en février 1910, et qu'ils la comparent aux édi-

tions précédentesou à mon premier livre important

paru en 1886, De la Suggestionet deses Applicationsà la thérapeutique, première édition, pour s'assurer

que mes idées ont mûri, mais ne se sontpas modifiées,

que je suis resté moi-méme Et alors, mieux docu-mentés, ils pourront faire l'analyse critique de monoeuvreen connaissance de cause, et l'apprécieravecmoins de désinvolture et plus de vérité scientiflque1

(i) Conception du mot hystérie. Critique des doctrines ac-tuelles.Paris, F. Doin,

(a) Définitionet traitementcuratif de l'hystérie. Repue géné-rale de clinique et de thérapeutique,igp7.

Repue de médecine, 1901. J ï >

Page 267: De La Suggestion

MATIÈRES

Pages.AVANT-PROPOS 1

CHAPITRE PREMIER

Considérationshistoriqnes. -Magnétismeminéral etani-mal. Mesmer. Puységur et somnambulisme.Braid et hypnotisme. Liébeault et le sommeil pro-voqué. Suggestion à l'état de veille 3

i. Magnétisme &-• -.•t 32. Braid et hypnotisme 73. Liébeault et le sommeilhypnotique 14. Suggestibilité normale à l'étatde veille 15

CHAPITRE II

De la suggestibilité. Définition. Idéodynamisme.Transformationde l'idée en mouvement, sensation,émotion, acte organique. Neutralisation par l'idée.

Causes qui empochent la suggestionde se réaliser.États qui favorisent cette réalisation. Crédivité

etcontrôle 18

i. Définition de la suggestion 182. Idéodynamisme 2o3. Suggestion nonréalisée 244. États qui augmententla suggestibilité 265. Crédivité etcontrôle 28

Page 268: De La Suggestion

CHAPITRE 111

Pages.Phénomènes expérimentaux de suggestion. Catalep-

sie expérimentale et spontanée. Contracture.Mouvements automatiques. Paralysies. Sugges-tions diverses de motilité 31

1. Catalepsie expérimentale 38

2. Catalepsie spontanée 353. Contractures et mouvements automatiques. 38

4. Paralysies psychiques. Suggestions diverses demotilité 40

CHAPITRE IV

Phénomènes expérimentaux de suggestion. Anesthé-sies sensitivo-sensorielles. Exaltation et perversiondes sensibilités. Rôle de la suggestion médicaleinconsciente dans la production de ces phénomènes.

Rôle de la suggestion médicale dans les anesthé-sies. 42

t. Anesthésies sensitivo-sensorielles suggérées2. Rôlede la suggestionmédicaledans les anesthésies

sensitivo-sensorIelles 443. Sensibilités exaltéesou perverties par suggestion

expérimentale. Suggestion médicale incon-sciente 46

CHAPITRE V

Phénomènes de suggestion. Aberrations sensorielles.Illusions et hallucinations. Hallucinations actives

ou passives. Hallucinations négatives. Cécité etsurditépsychiques, 49

1. Illusions et hallucinations suggérées 492. Hallucinationsactives et passives 513. Hallucinationsnégatives 53

4. Anesthésiessensorielles et sensitives psychiques 55

Page 269: De La Suggestion

CHAPITRE VI

Phénomènes de suggestion. Hallucinations rétro-actives. Souvenirs fictifs par suggestion. Fauxtémoignagesdans les affairesjudiciaires, faits de bonnefoi. Conclusionspratiques 60

i. Hallucinations rétro-actives 60

2. Faux témoignagesde bonne foi dans les anairesjudiciaires 71

3. Conclusionspratiques 73

CHAPITRE VII

Du sommeil provoqué dit hypnotique. Procédés.Degrés de sommeil. Classificationde Liébeault 76

i. Sommeil par suggestion. Procédés 76

z. Degrés de sommeil. 79

CHAPITRE VIII

De l'amnésieaprès le sommeil ou après l'état de sugges-tion sans sommeil. Amnésiecomplèteou incomplète.

Explication de l'amnésie. Des souvenirs latents.Amnésie rétro-active. Suggestions post-hypno-

tiques 85

1. Amnésieaprès le sommeil ou après l'état de sug-gestion sans sommeil 85

2. Explication de l'amnésie. Des souvenirs latents 883. Réveil spontané des souvenirs latents. 91

4. Réveil par suggestiondes souvenirs latents. 925. Amnésierétro-active 93

6. Suggestionspost-hypnotiques 9e7. Interprétationdes suggestionsà longue échéance.

CHAPITRE IX

Observations de somnambulisme provoqué. Typesdivers. Définition et conception du motbulisme. Somnambulismespontanédu sommeilavecou sans hallucinations. Somnambulismel'état deveille. Vie somnambulique. Condition seconde.

Page 270: De La Suggestion

Dédoublement de la personnalité. Crimes et délitsPages.

en condition seconde. États divers de consciencedans la vie habituelle avec ou sans amnésie

1. Observationsde somnambulisme provoqué. coq2. Définitionet conception du mot somnambulisme. i3o3. Somnambulisme spontané du sommeil avec ou

sans hallucinations. 133

4. Somnambulisme& l'état deveille i365. Vie somnambulique. Condition seconde.Person-

nalitédouble 1416. États divers de conscience dans la vie habituelle

avecou sans amnésie 151

CHAPITRE X

Des suggestions criminelles. Crimes expérimentaux.Résistance variable. Obéissance par réflexeimpul-sif. Par raisons auto-suggestivesde défense. Parétat natif amoral. Élémentsuggestifdans les crimesréels. Observations. Imitation et publicité 157

Crimesexpérimentaux i632. Résistance variable 1683. Éléments suggestifsdans les/crimesréels. Observa-

tions 1684. Imitation. Publicité 17g

CHAPITREXIX Attentats commis sur une personne en état d'hypnotisme

ou de suggestion. Viol par suggestion 182

CHAPITRE XIISuggestion dans l'éducation. Innéité. Atavisme.

Éducation morale et intellectuelle. Direction desinstinctifs et impulsifs. Aberrations collectives.Psychologiedes foules. Responsabilitémorale. 186

t. Suggestion'dans l'éducation 186

2. Instinctifs et impulsifs 1943. Aberrations collectives.Psychologiedes foules 1974. Responsabilitémorate

Page 271: De La Suggestion

CHAPITRE XIIIPages.

Médecine suggestive ancienne. Liébeault. Limites etindications de la psychothérapie. Des psycho-névroses. Hystérie. Neurasthénie. Psychosespartielles. Élément psychonerveuxdans les maladiesorganiques 203

i. Médecinesuggestiveancienne. Liébeault. 2o3a. Psychonévroses 2063. Hystérie 22o4. Neurasthénie a35. Êlément psychonerveux dans les maladies orga-

niques 234

CHAPITRE XIV

Psychothérapie dans le sommeil provoqué et à l'état deveille. Procédés divers. Psychothérapie spécialeà l'hystérie. Inhibition des crises et de la diathèse 237

Psychothérapie. Les procédés. 237

2. Psychothérapiespécialede l'hystérie aq5

CHAPITRE XV

Écolede la Salpêtrière. Trois phases de l'hypnotisme.Transfert par les aimants. Métallothérapie. Défi-nitionsdiversesdu mot suggestion. Dénaturation demes idées sur la suggestion et l'hystérie a53

École de la Salpêtrière. 253

2. Définitionsdiverses du motsu 2583. Dénaturation de mes idées z6o

28g1. Tours, imprimerie E. Arrault et CI«.