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Hollande La presse étrangère lui dit non Centrafrique, Soudan du Sud, Congo… les interventions militaires masquent la bataille pour s’emparer des richesses du continent Les critiques pleuvent contre le virage libéral du président français Qui contrôle l’Afrique ? THAÏLANDE — LE CHAOS POLITIQUE BOLIVIE — LYNCHAGES DANS LES ANDES TECHNOLOGIE — GOOGLE MAPS À LA CONQUÊTE DU MONDE (!4BD64F-eabacj!:k;o N° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 courrierinternational.com Belgique : 3,90 € EDITION BELGIQUE

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Courrier International du 23 janvier 2014

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Hollande La presse étrangère lui dit non

Centrafrique, Soudan du Sud, Congo… les interventions militaires

masquent la bataille pour s’emparer des richesses du continent

Les critiques pleuvent contre le virage libéral du président français

Qui contrôle l’Afrique ?

THAÏLANDE — LE CHAOS POLITIQUE BOLIVIE — LYNCHAGES DANS LES ANDES TECHNOLOGIE — GOOGLE MAPS À LA CONQUÊTE DU MONDE

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N° 1212 du 23 au 29 janvier 2014courrierinternational.comBelgique : 3,90 €

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4. Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

Retrouvez Eric Chol chaque matin à 7 h 50,

dans la chronique “Où va le monde”

sur 101.1 FM

ÉDITORIALÉRIC CHOL

Catherine, Ellen, Joyce et les autresDepuis le 20 janvier, le petit club

des femmes politiques africaines au pouvoir compte un membre

de plus avec l’élection par le Parlement centrafricain de Catherine Samba-Panza, première présidente d’un pays déchiré par la guerre civile. Avant elle, Ellen Johnson Sirleaf avait ouvert la voie au Liberia en devenant en 2006 la première chef d’Etat africain, élue au suff rage universel. Depuis, elle a été rejointe en 2012 par la Malawite Joyce Banda et, plus récemment, par Aminata Touré, Première ministre du Sénégal depuis septembre 2013. N’oublions pas la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, présidente de la commission de l’Union africaine et qui tente à ce titre de déminer les confl its du continent. Dans les 54 pays africains, les femmes au pouvoir ne sont qu’une poignée, mais les choses pourraient bien changer. Car si, comme le relève l’OCDE, les discriminations sont loin d’avoir disparu sur le continent noir – 70 % de la force agricole est féminine –, de nombreux pays encouragent la parité. Avec une mention spéciale pour le Rwanda, où la Chambre des députés compte dans ses rangs plus de femmes que d’hommes. Le Sénégal et l’Afrique du Sud intègrent aussi le top 10 mondial en matière de parité politique. En comparaison, la France, avec seulement 27 % de députées, ne pointe qu’au 44e rang du classement établi par l’Union interparlementaire (UPI). Une raison supplémentaire pour Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, de vouloir renforcer les sanctions pour ceux qui refusent de se plier au “principe de représentation équilibré”.

En couverture :—République centrafricaine. Un membre d'un groupe d'autodéfense (anti-Balaka). Photo de Michael Zumstein/Agence VU—Dessin de Bertrams paru dans De Groene, Amsterdam.

p.28 à la une

SUR NOTRE SITE www.courrierinternational.com

MOYEN-ORIENT Suivez les négociations de Genève sur la Syrie.ALGÉRIE Avant l’élection présidentielle du 17 avril, un dossier spécial réalisé en partenariat avec le site Algérie-Focus.com.HOROSCOPE Chaque jeudi, retrouvez les prévisions poétiques et philosophiques de l’Américain Rob Brezsny (lire son portrait page 48), l’astrologue le plus original de la planète. Et, dès cette semaine, son premier conseil hebdomadaire : “Que pourrais-tu changer en toi pour obtenir l’amour que tu désires ?”

Retrouvez nous aussi sur Facebook, Twitter, Google + et Pinterest

Sommaire

360°Houston, j’ai un problèmeHouston, j’ai un problème

Les passagers des premiers vols spatiaux privés – qui pourraient avoir lieu dans les prochains mois – seront soumis à des tests en simulateur. Le journaliste Jacob Ward a tenté l’expérience. Récit tourneboulé.

p.38 MÉDIAS

Les gangsters se dévoilent sur FacebookEn Amérique du Nord comme en Europe, de plus en plus de gangs partagent les photos de leurs exploits sur les réseaux sociaux. La police se frotte les mains.

7 jours dansle monde

p.11

Controverse. Interdire à nouveau l’IVG en Espagne ?

QUI CONTRÔLE L’AFRIQUE ?

Les opérations militaires françaises sur le continent prêtent à controverse.

La Tribune d’Alger accuse ainsi les Occidentaux de vouloir faire main

basse sur les richesses locales. Mais ces interventions illustrent surtout les faiblesses de l’Union africaine.

p.12 FRANCE

Hollande, un virage contestéL’austérité n’est pas une solution, dénonce Paul Krugman dans Th e New York Times après la conférence de presse du président français. El País enfonce le clou : pour le quotidien espagnol,

la gauche européenne est fi nie.

p.40

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6. Courrier international — no 1212 du 23 au 29 janvier 2014

Sommaire

← Toutes nos sources Chaque fois que vous rencontrez cette vignette, scannez-la et accédez à un contenu multimédia sur notre site courrierinternational.com (ici, la rubrique “Nos sources”).

Les journalistes de Courrier international sélectionnent et traduisent plus de 1 500 sources du monde entier : journaux, sites, blogs. Ils alimentent l’hebdomadaire et son site courrierinternational.com. Les titres et les sous-titres accompagnant les articles sont de la rédaction. Voici la liste exhaustive des sources que nous avons utilisées cette semaine : ABC Madrid, quotidien. African Arguments (africanarguments.org) Londres, en ligne. Anfi bia (revistaanfi bia.com) Buenos Aires, en ligne. Asahi Shimbun Tokyo, quotidien. Bangkok Post Bangkok, quotidien. Cape Argus Le Cap, quotidien. The Daily Telegraph Londres, quotidien. Diário de Notícias Lisbonne, quotidien. The Economist Londres, hebdomadaire. Elaph Londres, quotidien. Frankfurter Allgemeine Zeitung Francfort, quotidien. Historia Bucarest, mensuel. infoLibre (infolibre.es) Madrid, en ligne. Los Angeles Times Los Angeles, quotidien. Al-Mustaqbal Liban, quotidien. The New York Times New York, quotidien. Ogoniok Moscou, hebdomadaire. El País Madrid, quotidien. Le Pays Ouagadougou, quotidien. Polityka Varsovie, hebdomadaire. Popular Science New York, mensuel. Proto Thema Athènes, hebdomadaire. La Repubblica Rome, quotidien. La Tribune Alger, quotidien. The Wall Street Journal New York, quotidien. The Washington Post Washington, quotidien. Your Middle East (yourmiddleeast.com) Stockholm, en ligne.

Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €. Actionnaire La Société éditrice du Monde. Président du directoire, directeur de la publication : Antoine Laporte. Directeur de la rédaction, membre du directoire : Eric Chol. Conseil de surveillance : Louis Dreyfus, président. Dépôt légal Janvier 2014. Commission paritaire n° 0712c82101. ISSN n°1154-516X Imprimé en France/Printed in France

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational. com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Eric Chol Rédacteurs en chef Jean-Hébert Armengaud (16 57), Claire Carrard (édition, 16 58), Odile Conseil (déléguée 16 27), Rédacteurs en chef adjoints Catherine André (16 78), Raymond Clarinard, Isabelle Lauze (hors-séries, 16 54) Assistante Dalila Bounekta (16 16) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Directeur de la communication et du développement Alexandre Scher (16 15) Conception graphique Javier Errea Comunicación

Europe Catherine André (coordination générale, 16 78), Danièle Renon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16�22), Gerry Feehily (Royaume-Uni, Irlande, 16 95), Lucie Geff roy (Italie, 16�86), Nathalie Kantt (Espagne, Argentine, 16 68), Hugo dos Santos (Portugal, 16�34)Iwona Ostap-kowicz (Pologne, 16 74), Caroline Marcelin (chef de rubrique, France, 17 30), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Agnès Jarfas (Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie) Russie, est de l’Europe Laurence Habay (chef de service, 16 36), Alda Engoian (Caucase, Asie centrale), Larissa Kotelevets (Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord, 16 14), Gabriel Hassan (Etats-Unis, 16 32), Anne Proenza (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu (chef de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Ysana Takino (Japon, 16 38), Kazuhiko Yatabe (Japon), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Ghazal Golshiri (Iran), Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie) Afrique Sébas-tien Hervieu (16 29), Hoda Saliby (chef de rubrique Maghreb, 16 35), Chawki Amari (Algérie) Transversales Pascale Boyen (chef des informations, Economie, 16 47), Catherine Guichard (Economie, 16 04), Anh Hoà Truong (chef de rubrique Sciences et Innovation, 16 40), Gerry Feehily (Médias, 16 95), Virginie Lepetit (Signaux) Magazine 360° Marie Béloeil (chef des informations, 17 32), Virginie Lepetit (chef de rubrique Tendances, 16 12), Claire Maupas (chef de rubrique Insolites 16 60), Raymond Clarinard (Histoire), Catherine Guichard Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, responsable du web, 17 33), Carolin Lohrenz (chef d’édition, 19 77), Carole Lyon (rédactrice multimédia, 17 36), Paul Grisot (rédacteur multimédia, 17 48), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Marie-Laëtitia Houradou (responsable marketing web, 1687), Patricia Fernández Perez (marketing) Agence Cour rier Sabine Gran-dadam (chef de service, 16 97) Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint), Hélène Rousselot (russe), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Caroline Lee (anglais, alle-mand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Julie Marcot (anglais, espagnol, portugais), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol), Leslie Talaga (anglais, espagnol) Révision Jean-Luc Majouret (chef de service, 16 42), Marianne Bonneau, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, Philippe Planche, Emmanuel Tronquart (site Internet) Photo graphies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53) Maquette Bernadette Dremière (chef de service, 16 67), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Petricca, Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet, Alexandre Errichiello, Céline Mer-rien (colorisation) Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66) Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon) Informatique Denis Scudeller (16 84) Directeur de la production Olivier Mollé Fabrication Nathalie Communeau (direc trice adjointe), Sarah Tréhin (responsable de fabrication) Impression, brochage Maury, 45330 Malesherbes

Ont participé à ce numéro : Edwige Benoit, Gilles Berton, Jean-Baptiste Bor, Jean-Baptiste Luciani, François Mazet, Lucie Mizzi, Valentine Morizot, Corentin Pennarguear, Judith Sinnige, Leslie Talaga, Isabelle Taudière, Sébastien Walkowiak Secrétaire général Paul Chaine (17 46) Assistantes Claude Tamma (16 52), Diana Prak (partenariats, 16 99), Sophie Jan Gestion Bénédicte�Menault-Lenne�(res-ponsable,�16�13) Comptabilité 01 48 88 45 02 Responsable des droits Dalila Bounekta (16 16) Ventes au numéro Responsable publications Brigitte Billiard Direction des ventes au numéro Hervé Bonnaud Chef de produit Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40) Diff usion inter nationale Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22) Promotion Christiane Montillet Marketing Sophie Ger-baud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand (16 91), Lucie Torres (17 39), Romaïssa Cherbal (16 89)

Transversales34. Technologie. Google Maps

à la conquête du monde

37. Economie. Le retour en grâce

de la titrisation

38. Médias. Les gangsters

se dévoilent sur Facebook

39. Signaux. Les promesses

de l’Afrique

360° 40. Reportage. Houston,

j’ai un problème

44. Plein écran. Au temps

de l’amour et de la censure

46. Culture. L’homme qui ne lisait

pas de livres

48. Tendances. “De la poésie

aux apparences trompeuses”

50. Histoire. Le harem ottoman,

pouvoir parallèle

7 jours dans le monde7. Etats-Unis. La NSA placée sous surveillance10. Portrait. Abdul Saboor, l’homme le plus honnête11. Controverse. Interdire à nouveau l’IVG en Espagne ?

D’un continent à l’autre— FRANCE12. Politique. La soumission

— EUROPE16. Portugal. Ils se marièrent... et ne vécurent jamais ensemble17. Pologne-Russie. Enfi n bons voisins !18. Grèce. Lakis Lazopoulos, Aristophane moderne

— MOYEN-ORIENT19. Liban. La justice ou la mort20. Monde arabe. Les frontières brouillées

21. Egypte. Les jeunes boudent le référendum

— ASIE22. Th aïlande. L’éveil démocratique menacé

25. Japon. Une arnaque simple comme un coup de fi l

— AMÉRIQUES26. Bolivie. Tu lyncheras ton voisin

— BELGIQUEI. Bruxelles. La Stib et les musiciens

A la une28. Qui contrôle l’Afrique ?

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1 décembre 2013.

GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBLCOURRIER INTERNATIONAL pour la Belgique et le Grand Duché de Luxembourg est commercialisé par le GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBL qui est une association entre la société anonyme de droit français COURRIER INTERNATIONAL et la société anonyme de droit belge IPM qui est l’éditeur de La Libre Belgique et de La Dernière Heure Les Sports. Co-gérant Antoine LaporteCo-gérant et éditeur responsable François le HodeyDirecteur général IPM Denis PierrardCoordination rédactionnelle Pierre Gilissen

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Des convois explosifsÉTATS-UNIS — Le développement de l’extraction pétrolière aux Etats-Unis a entraîné ces dernières années une augmentation importante du transport d’hydrocarbures par le rail. Mais les trois accidents qui se sont produits ces sept der-niers mois, et en particulier celui de Lac-Mégantic, au Québec, qui a fait 47 morts en juillet dernier, posent avec insistance la question de la sécurité de ce mode de transport. “Chaque jour, un train de 1 mile (1,6 km) chargé de pétrole brut extrait du Dakota du Nord passe à Albany, à quelques centaines de mètres du Parlement [de l’Etat de New York]”, relate ainsi The Wall Street Journal, en précisant que de nouvelles réglementations, qui par exemple impo-seraient des wagons citernes plus sûrs, sont à l’étude.

Les talibans plus actifs que jamaisPAKISTAN — “Maulana Fazlullah tient désormais fermement les rênes et, si l’on pouvait encore douter de la capacité du Tehrik-i-Taliban Pakistan [TTP, mouvement des talibans du Pakistan] à lancer de nou-velles attaques après la mort de Hakimullah Mehsud, tué par des tirs de drone fin novembre, force est de constater que depuis lors le nombre d’attentats n’a cessé de se mul-tiplier”, relève amèrement le quotidien Dawn. Au 17 janvier, la province de Khyber Pakhtunkhwa (où se situe Peshawar), la plus durement touchée, enregistrait déjà 41 attentats. La ligne du Premier ministre Nawaz Sharif, qui a proposé des négocia-tions de paix au TTP, est sérieusement mise en cause. “La stratégie qui visait à conclure un accord de paix avec un groupe afi n de neutraliser l’autre n’a pas porté ses fruits, estime Dawn. […] De l’avis d’un haut responsable, elle a même eu l’eff et inverse à celui escompté.”

Volume de pétrole transporté par rail aux Etats-Unis (en millions de barils)

SOURCES : “THE WALL STREET JOURNAL”, ASSOCIATION OF AMERICAN RAILROADS

2008 2009 2010 2011 2012 2013

300

250

200

150

100

50

0

280 millions(Projection basée sur les 9 premiers mois de l’année)

7 jours dansle monde.ÉTATS-UNIS

La NSA placée sous surveillance

La réforme des programmes de surveillance annoncée par Barack Obama a au moins un mérite : la très puissante Agence de sécurité nationale américaine ne pourra plus espionner en toute impunité.

—Los Angeles Times (extraits) Los Angeles

Prises une à une, les mesures annoncées par le président Obama le 17 janvier pour réformer les pro-

grammes de surveillance de la NSA sont modestes. Considérées dans leur ensemble, en revanche, elles annoncent la fi n d’une ère marquée par une escalade eff rénée de la collecte de renseignements aux Etats-Unis.

Depuis sa création, en 1952, la NSA a connu une expansion presque continue. Mais, sur l’essentiel de cette période, elle était contrainte de respecter un cadre limi-tant la nature des renseignements qu’elle pouvait collecter et de se plier aux restric-tions imposées par la loi.

C’est en 2001 que les choses ont changé. Les attentats du 11 septembre ont poussé George W. Bush, alors à la Maison-Blanche, à exiger que tous les moyens soient mis en œuvre pour se procurer le moindre frag-ment d’information.

Cette consigne est survenue à un moment où Internet, les courriers électroniques,

les messageries instantanées et les appels téléphoniques à bas coût faisaient tran-siter sur un réseau informatique mon-dial des échanges d’informations privées d’une ampleur inédite susceptibles d’être interceptées par des mouchards élaborés.Faisant fi des contraintes juridiques, Bush a ordonné à la NSA de surveiller aux Etats-Unis sans mandat légal les appels télé-phoniques et les échanges d’e-mails. Ce n’est que rétroactivement qu’une bonne part de ce programme a été légalisée par le Congrès et la Foreign Intelligence Surveillance Court [FISC, cour fédérale “secrète” créée en 1978 pour surveiller la légalité des activités de l’Agence de sécu-rité nationale], y compris la collecte par la NSA des fameuses “métadonnées”, ces informations sur les appels téléphoniques passés sur le territoire américain. La col-lecte de renseignements reposait alors sur un grand principe : on collecte d’abord, on se pose des questions ensuite.

Les mesures annoncées par Obama permettent de revenir sur ce principe. Certes, le président n’a annulé aucun des programmes de surveillance en cours, réaffi rmant même la nécessité pour le gouvernement de continuer à collecter les métadonnées, mais il instaure de nou-veaux garde-fous.

Pour les défenseurs des libertés civiles, les timides propositions présidentielles sont décevantes. Certes, les métadon-nées téléphoniques ne disparaîtront pas – elles continueront même, jusqu’à nouvel

ordre, à être conservées dans une unique et gigantesque base de données de la NSA. Mais, désormais, les analystes qui vou-dront examiner les listes d’appels d’un suspect devront en demander l’autorisa-tion, au cas par cas, à la FISC.

Obama a introduit une autre nouveauté : en matière de respect de la vie privée, la NSA doit traiter les étrangers exactement comme les citoyens américains. C’est une idée proprement révolutionnaire dans le monde du renseignement, où la coutume veut que l’on trace une ligne nette entre “eux” et “nous”. Les ressortissants étran-gers n’en seront pas pour autant à l’abri de la surveillance des Etats-Unis, sauf s’ils fi gurent sur une liste restreinte recensant les quelques dizaines de chefs d’Etat alliés dont les téléphones ne seront pas mis sur écoute. A long terme, c’est un aspect moins visible des réformes d’Obama qui pourrait avoir le plus de conséquences : la soumis-sion des agences de renseignements, NSA comprise, à une surveillance plus draco-nienne et la communication au public des décisions de la FISC touchant au respect de la vie privée.

Obama a également estimé que si l’Etat américain doit poursuivre la collecte des métadonnées téléphoniques, ce n’est pas forcément à lui d’en conserver la garde. Voilà qui augure d’un débat houleux au Congrès, qui s’apprête à plancher sur l’auto-risation de poursuivre les programmes de surveillance pour les deux années à venir.

Il est révolu, le temps où un président pouvait ordonner à la NSA d’étendre son action sans guère interroger le Congrès et en se passant de l’avis des citoyens. C’est un changement immense, un chan-gement positif.

—Doyle McManusPublié le 19 janvier

Contrepoint

Enthousiasme très mitigé●●● Si plusieurs commentateurs américains ont salué les propositions de Barack Obama, d’autres ont réagi avec nettement moins d’enthousiasme. La gauche y voit une coquille vide. C’est “business as usual” (statu quo) pour la NSA, estime ainsi un chroniqueur progressiste du Washington Post. A l’inverse, de nombreux conservateurs estiment que l’agence n’a pas besoin de réforme. Pour The Wall Street Journal, les annonces d’Obama sont purement politiques : elles visent à satisfaire les détracteurs des programmes de surveillance. Ses propositions “ne contribueront guère à assurer le respect de la vie privée des Américains, mais pourraient nuire à la sécurité du pays”, redoute le quotidien des aff aires.

↙ Dessin de Tab, Canada.

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7 JOURS8. Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

Vivons bien informés.

Je l’ai appris sur Un Monde d’Infodu lundi au vendredi à 16h15 et 21h45

avec

UKRAINE

Vers le scénario du pireFace à la brutalité du pouvoir, l’eurorévolution se durcit.

Les événements du 16 janvier au Parlement [adoption d’une mou-ture plus rigoriste de la loi sur la

liberté d’expression et les troubles de l’ordre public] constituent un tournant. Ils nous ont dévoilé la vérité dans toute sa laideur : en dépit d’un mouvement de protestation qui agite le pays depuis le 21 novembre, le plus durable de notre histoire, et mobilise des millions de nos concitoyens, les auto-rités continuent à œuvrer pour assouvir leurs désirs les plus secrets. Il s’agit pour elles de s’assurer le monopole du pouvoir et de l’argent. Le nouveau budget [égale-ment voté le 16 janvier] renforce encore fi nancièrement les structures du pouvoir, lequel se trouve doté de moyens accrus pour intervenir par la force contre ceux qu’il

juge les plus dangereux pour lui. Cette loi permet d’interdire aux ONG, ces “agents de l’étranger”, de veiller au bon déroule-ment du processus électoral, et de museler Internet mais aussi tout opposant, toute critique, sous prétexte de “diff amation” ou d’“extrémisme”.

Or, on le voit, l’extrémisme est déjà à l’œuvre [depuis les aff rontements du 19 jan-vier]. Le recours à la force va encore radica-liser certains groupes. On se rapproche du scénario du pire. Mais les gens sont encore nombreux à avoir foi en une solution poli-tique. Ils attendent des autorités qu’elles consentent à de véritables concessions. Ils espèrent encore que les responsables des violences seront punis, les prisonniers libé-rés, leurs droits et leurs libertés respectés, et que le pays connaîtra des élections libres.

— V. Sioumar et O. Souchko Oukraïnska Pravda (extraits) Kiev

DR

E. F

EFER

BERG

/AFP

JUAN PEDRO QUIÑONERO, correspondant que quotidien espagnol ABC

“La manif contre l’IVG, c’est un non-sujet”La manifestation des opposants à l’avortement du 19 janvier, c’est de la régression ?— C’est surtout un phénomène extrêmement minoritaire  : 40 000 personnes qui défi lent à Paris – et encore, si on prend la fourchette haute –, c’est juste la manifestation d’une frange extrê-mement conserva-trice de la société ; 200 000 manifes-tants, ça aurait valu un papier, mais là… Je n’ai d’ailleurs vu aucun article sur le sujet dans les diff é-rents journaux européens que je feuillette chaque jour.Pensez-vous que la loi réduisant de façon draconienne le recours à l’IVG discutée en Espagne a “réveillé” les anti-IVG en France ?— La loi espagnole en cours de dis-cussion correspond à la vision la plus conservatrice du parti conser-vateur espagnol. Pour diff érentes raisons, Mariano Rajoy, le chef du gouvernement, a considéré qu’il fallait faire un geste en direction de la droite. Mais je ne vois pas com-ment quelque chose de ce genre en Espagne pourrait avoir la moindre infl uence à Paris, à Tombouctou ou n’importe où ailleurs. Ça n’in-téresse personne.Les opposants au mariage pour tous vont à nouveau manifester le 26. Ce sont les mêmes que les anti-IVG ?— Les antiavortement sont des catholiques ultraminoritaires. Il y a une diff érence culturelle et socio-logique forte avec les opposants au mariage pour tous. Dans ces mani-festations, qui étaient d’une autre envergure que celle du 19 janvier, j’ai perçu un vrai caractère multi-culturel ; il y avait des musulmans, des Noirs, des homosexuels… Mais la presse française, à travers les photos qu’elle a publiées de ces manifs, a peu rendu compte de cette France multiculturelle.—

ILS PARLENTDE NOUS

Sous le signe de la tortureSYRIE — L’information était à la une du Guardian le 21 janvier, à la veille de l’ou-verture de la conférence de Genève 2, des-tinée à sortir la Syrie de la guerre civile : un rapport commandité par le Qatar, rédigé par trois anciens procureurs inter-nationaux et basé sur le témoignage d’un déserteur jugé “crédible et sincère”, accuse Damas de massacres à grande échelle et de tortures, photos insoutenables à l’appui. D’après les auteurs du rapport , il s’agit de “preuves claires et sérieuses […] d’une torture systématique et du meurtre de déte-nus par des agents du régime syrien”, ce qui pourrait constituer des “preuves de crimes de guerre”.

Du rififi dans l’Eglise orthodoxeRUSSIE — En réponse au controversé mais populaire archidiacre Andreï Kouraev, qui a révélé l’existence de ce qu’il appelle un “lobby gay” au sein de l’Eglise orthodoxe russe, le porte-parole du patriarcat de Moscou, Vsevolod Tchapline, a adopté “un ton d’une dureté sans précédent”, estime la Nezavissimaïa Gazeta. L’émissaire du patriarcat a le 18 janvier exhorté Kouraev à “se repentir ou rejoindre le camp des schismatiques”. Ce dernier a été limogé de l’Académie spirituelle de Moscou fi n décembre pour ses “propos sensationna-listes dans la blogosphère”. Mais il a décidé de donner une large résonance publique à la question des mœurs des hauts digni-taires de l’Eglise après plusieurs aff aires d’abus sexuels sur de jeunes séminaristes.

Les défis de la présidenteRÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE — “La tâche qui attend Dame Catherine est loin d’être une sinécure”, lance L'Observateur Paalga au lendemain de la désignation, le 20 janvier, de Catherine Samba-Panza, maire de Bangui, comme présidente de transition. “Malgré tout le bien qu’on dit d’elle et les bons augures qui semblent accompagner son élection, elle est plus à plaindre qu’à envier tant les défi s qui l’attendent sont titanesques”, poursuit le quotidien burkinabé. Le pays est en proie à des violences depuis des semaines. L’Union

européenne a annoncé lundi qu’elle enverrait au moins 500

hommes pour prêter main-forte aux soldats français et africains déjà sur place.

← Dessin de Kazanevsky, Ukraine.

↓ Vitali Klitschko (au centre), tête de fi le de l'opposition, lors

de la manifestation du 19 janvier. Photo V. Ogirenko/Reuters

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7 JOURS10. Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

ILS FONT L’ACTUALITÉ

ILS/ELLES ONT DIT

AFP

SENSÉ“Brûler des centaines de millions de tonnes d’aliments de première nécessité pour la production d’agrocarburants est un crime contre l’humanité.” Selon le politologue

suisse Jean Ziegler, ancien rapporteur

spécial de l’ONU sur la question du droit à l’alimentation, la transformation

de la biomasse en carburants est

responsable de l’accroissement de la faim dans le monde et de l’accaparement des terres fertiles en Afrique et en Amérique latine.(Le Temps, Genève)

BÊCHEUSE“Le modèle norvégien n’est pas pour vous.” La Première ministre norvégienne, Erna Solberg, déconseille au Royaume-Uni de quitter l’Union européenne pour devenir, comme son pays, membre de l’Espace économique européen (EEE). Elle a tenu ces propos juste avant une rencontre avec son homologue britannique, David Cameron, le 15 janvier.(The Local, Oslo)

COMBATIF“Nous sommes prêts à défendre notre saucisse fumée”, déclare Artur Zawisza, chef des radicaux nationalistes polonais, à propos de nouvelles dispositions européennes (qui entreront en vigueur en septembre 2014) selon lesquelles le fumage traditionnel au feu de bois déposerait trop de goudron sur les salaisons.(Fronda, Varsovie)

ACCOMMODANT“Comme lors de missions menées en 2002 et en 2009, les femmes devront porter une abaya [qui couvre la totalité du corps mais pas le visage] en Arabie Saoudite. Mais la princesse Astrid [sœur du roi Philippe] ne sera pas concernée par les exigences locales, car elle représente les autorités publiques”, explique Marc Bogaerts, directeur général de l’Agence fédérale pour le commerce extérieur belge, qui organise les voyages de la princesse.(La Libre Belgique, Bruxelles)

← Abdul Saboor.Dessin de Bertrams Amsterdam, pour Courrier international.

Agent de la circulation depuis vingt ans, il refuse obstinément les pots-de-vin au nom d’un idéal : civiliser les automobilistes. Une attitude qui lui vaut une belle notoriété, mais une faible prospérité.

Abdul SaboorL’homme le plus honnête d’Afghanistan

c’est un spectacle permanent. “Les gens ont commencé à venir pour me regarder travailler, dit-il. Les gamins m’appelaient Oncle Saboor ou Oncle Traffic. Les automobilistes s’arrê-taient pour me remercier. Et peu à peu je suis devenu connu.”

“C’est le seul agent de la circulation honnête en Afghanistan”, explique Abdul Hussen Sadeq, un chauf-feur de taxi. “Les autres sont des chiens”, renchérit un autre chauf-feur de taxi qui préfère ne pas donner son nom. “Tous les jours, ils nous rackettent. Et si nous refu-sons de payer, ils nous confisquent notre permis.”

Saboor sait très bien comment gagner plus d’argent quand on est affecté à la circulation. Il faut accepter des billets au lieu de verba-liser, monnayer l’autorisation pour les poids lourds de passer dans des zones interdites à la circulation et faire payer le stationnement gra-tuit. Pourquoi refuse-t-il de jouer le jeu ? Sa vocation remonte à l’en-fance, explique-t-il. Son père a été tué dans un accident de la circula-tion, ce qui démontre selon lui la nécessité d’avoir de bons agents. Ses deux oncles étaient du métier, ils avaient de beaux uniformes et avaient conservé un emploi stable alors même que le pays implosait.

Dans les années 1990, le gou-vernement a appris l’existence de cet incorruptible et le président Burhanuddin Rabbani a tenu à récompenser Saboor et sa famille en leur offrant un lopin de terre. Mais les lenteurs de la bureaucra-tie font que, vingt ans plus tard, il n’a toujours rien obtenu. Et il en est à se demander si un dessous-de-table (ce à quoi il se refuse caté-goriquement) n’aurait pas accéléré le processus. Quand il demande à sa hiérarchie une promotion, “rien ne se passe”, confie-t-il assis dans la maison qu’il partage avec ses quatre enfants et une ving-taine de frères, cousins, oncles et tantes. “Mais j’aime trop mon tra-vail pour le quitter !”

—Kevin SieffPublié le 14 janvier

Saboor”, explique Mohammad Shafiq Hamdam, président du Réseau anticorruption, un orga-nisme de surveillance afghan qui s’est joint à d’autres associations de la société civile pour lui décer-ner ce titre.

Il suffit de voir Saboor en action au rond-point de Sherpur, à Kaboul, pour comprendre l’admiration qu’il suscite. Il n’arrête pas une seconde : il se jette sur les voitures qui font semblant de pas avoir vu le stop et distribue de nombreux coups de sifflets aux automobi-listes récalcitrants.

Dans une ville où des millions de voitures circulent sur des routes en piteux état et où personne ne respecte les feux de signalisation flambant neufs, Saboor est célèbre pour son incorruptibilité mais aussi pour son sens de la théâtralité. Qu’il traverse les carrefours de Kaboul en courant, donne des coups de

sifflet pour arrêter les automobilistes incivils ou parade en levant les jambes très haut à la manière des gardes du palais

de Buckingham,

—The Washington Post (extraits) Washington

De Kaboul

Ce policier affecté à la cir-culation depuis de longues années monte sur l’estrade

et s’installe devant une bannière en dari où le mot “corruption” en capitales a été barré d’une grande croix rouge. Après vingt-quatre ans de labeur, Abdul Saboor, 52 ans, vient d’être nommé l’homme le plus honnête d’Afghanistan. Il s’est laissé prendre en photo avec le ministre de l’Intérieur, il a répondu aux questions des journalistes de la presse locale, puis il est rentré chez lui : un cinq-pièces qu’il par-tage avec 28 personnes.

En vingt ans, Saboor n’a obtenu qu’une seule et modeste promo-tion. Et puisqu’il n’accepte pas les pots-de-vin, son salaire culmine à 200 dollars par mois. Ses orteils sont devenus insensibles à force d’avoir été écrasés par les voi-tures. Sa gorge est constam-ment douloureuse à cause de la poussière et de la pol-lution, et il n’a guère les moyens de se soigner.

L’Afghanistan est l’un des pays les plus cor-rompus au monde (avec la Corée du Nord et la Somalie). Un pays où les représentants de l’Etat ont détourné des centaines de millions de dol-lars d’aide inter-nationale, et où la corruption à la petite semaine a envahi la vie quotidienne. Saboor a beau être devenu célèbre dans son pays, peu d’Afghans sont prêts à suivre son exemple. “Refuser les des-sous-de-table, c ’e s t accepte r d’en baver comme

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7 JOURS.Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 11

CONTROVERSE↙ Avortement : le législateur au travail. Dessin de Kap, Espagne.

presse que beaucoup de dirigeants de gauche s’exprimaient en mon nom, au nom de toutes les femmes. Non, s’il vous plaît, parlez au nom de quelques femmes, mais ne m’associez pas à votre discours.

Il n’y a rien de moins progressiste que de défendre le droit d’un individu à empêcher une nouvelle vie d’éclore, au prétexte que cela ne correspond pas à son projet de vie, que l’arrivée d’un enfant ne l’arrange pas ou que celui-ci présente des malformations. Dans la vie, il faut être cohérent avec ses actes et en assumer les conséquences, qu’elles nous plaisent ou non.

Quand [en 2010] le gouvernement so cia-liste avait fait voter sa loi qui permettait à des gamines de 16 ans d’avorter sans autorisation parentale – une folie ! – et autorisait librement les IVG dans les quatorze premières semaines de grossesse, il ne m’est jamais venu à l’esprit de critiquer ceux qui le soutenaient. Je savais que le PSOE avait l’appui de la majorité du pays et qu’il s’était engagé à faire passer ce texte.

Aujourd’hui, la majorité a changé de mains. Et, que cela nous plaise ou non, revenir sur cette loi était l’une de ses promesses électorales, et en ce sens il convient donc de respecter cette initiative. Il ne s’agit pas d’une quelconque régression des droits, ni de revenir à l’âge des cavernes comme le prétendent certains, mais d’un progrès en matière de protection de la vie et d’une garantie que personne ne décide, par caprice, de tuer un embryon de la façon la plus odieuse qui puisse être.

—Paloma CervillaPublié le 22 décembre 2013

Voir aussi la rubrique “Ils parlent de nous”, p. 8.

la soutane morale du cléricalisme la hon-teuse relation pornographique du PP avec l’argent.

Avec cela ? J’avoue qu’en ce qui me con-cerne je tiens le discours délirant d’un démocrate de gauche qui se sent escroqué depuis plus de trente ans par un système hypocrite. Et, en plein délire, je pense que, de temps en temps, le PP doit donner un coup de main au PSOE [le Parti socialiste] pour que le bipartisme continue de justi-fier le vote utile des Espagnols.

—Luis García MonteroPublié le 4 janvier

POUR

Protéger la vie—ABC (blog) Madrid

Je suis contre l’avortement. Et je le dis sans aucun complexe, quitte à me faire traiter de réactionnaire et

accuser par une frange de la gauche into-lérante et sectaire de vouloir faire reculer les droits de la femme. Je ne sais pas si tuer un fœtus, début d’un projet de vie, est un droit ou une aberration. A moins que les orangs-outans ou tout autre animal que la gauche se fait fort de protéger n’aient plus de droits qu’un fœtus ? Hallucinant…

Depuis que le gouvernement du Parti populaire [PP, de droite] a approuvé la loi sur l’avortement [le 20 décembre 2013], j’ai été très étonnée de constater dans la

CONTRE

Un trompe-l’œil réactionnaire—infoLibre (extraits) Madrid

J’ai enfin vu l’exposition intitulée Mujeres bajo sospecha [Soupçons sur les femmes] à la bibliothèque d’An-

dalousie à Grenade. Elle retrace l’histoire de la sexualité des femmes entre 1930 et les années 1980. Tant qu’on ne sort pas de la galerie, le récit difficile que raconte cette exposition magnifique se termine bien. Les femmes modernes des années 1920 et 1930 ont mis en œuvre un processus d’émanci-pation qui a porté ses fruits avec l’avène-ment de la Seconde République espagnole, en 1931. Le droit de vote, le divorce, la pré-sence à l’école et l’émancipation écono-mique de la femme ont fait à l’époque de l’Espagne l’un des pays les plus progres-sistes d’Europe.

Puis le coup d’Etat de 1936 a inauguré une longue période pendant laquelle la tête rasée et l’absorption d’huile de ricin [imposées à la plupart des prisonnières politiques] ont symbolisé une double exploitation. Outre la répression générale, les femmes ont vu leur corps devenir une prison. Avec l’agonie de la dictature, les interstices de la liberté d’expression ont ouvert la voie à un proces-sus devant renouer avec la dignité démo-cratique. Si le machisme n’a pas disparu, la lutte féministe a porté ses fruits et est devenue l’un des principaux moteurs des transformations de l’Espagne.

Le projet de loi adopté en décembre par le gouvernement conservateur prévoit d’interdire l’avortement, sauf dans quelques cas très restrictifs. Une énorme majorité d’Espagnols s’opposent à cette mesure, qui faisait partie des promesses électorales du PP.

Interdire à nouveau l’IVG en Espagne ?

Le problème, c’est qu’il faut finir par sortir de l’exposition, marcher dans la rue et reve-nir à une histoire qui se poursuit, menacée une fois de plus par la pensée réactionnaire.

En traversant la ville, je me demande pourquoi le Parti populaire [PP, au pou-voir] soutient une loi si conservatrice sur l’avortement, dont l’idéologie ne corres-pond même pas aux opinions de la majo-rité de ses partisans [78 % des Espagnols se disent opposés au projet de loi actuelle-ment examiné au Parlement selon un son-dage publié récemment par El País].

Je traverse les jardins du Genil [à Grenade]. Quand j’étais petit, les jeunes couples atten-daient que la nuit tombe sur les marron-niers et les platanes pour s’embrasser, car c’était considéré comme indécent avant le mariage. Peu après, les homosexuels sont aussi arrivés. Une fois encore, je me suis demandé pourquoi le PP souhaitait de nou-veau faire du corps une prison.

Le parti semble avoir besoin de prendre des mesures pour apaiser et fidéliser l’ex-trême droite. L’IVG en fait partie, surtout si cela permet le sacrifice moral d’Alberto Ruiz-Gallardón [le ministre de la Justice, à l’origine de ce projet de loi], qui, avec l’aide de quelques médias, a incarné pen-dant quelques années l’aile progressiste du parti. Malin !

Quoi d’autre ? Le chiffon rouge de l’anti-cléricalisme a toujours été un bon moyen de détourner la colère populaire. Nous vivons une période où la promiscuité de la droite avec les banques, les entreprises d’électricité et les grands temples de l’ar-gent est mise en scène avec insolence. La colère envers ces temples pèse de plus en plus sur la société. C’est le moment de faire porter l’attention ailleurs – vers les vieux autels – et, tant qu’on y est, de cacher avec

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12. Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

Europe ........... 16Moyen-Orient ..... 19Asie ............. 22Amériques ........ 26

Hollande. La surprise du chef

d’uncontinentà l’autre.france

Sceptiques, déçus, parfois compréhensifs, les journalistes des grands quotidiens étrangers ont largement commenté le tournant social-libéral du président français.FOCUS

—The New York Times New York

François Hollande a cessé de m’intéresser dès que j’ai compris qu’il n’allait pas

rompre avec l’orthodoxie destruc-trice de l’Europe et son parti pris d’austérité. Mais, maintenant, il a fait quelque chose de vraiment scandaleux.

Je ne parle pas de l’aventure qu’il aurait avec une actrice, ce qui, même si c’est vrai, n’est ni étonnant (on est en France, quand même) ni choquant. Non, ce qui me choque, c’est qu’il souscrive désormais aux doctrines économiques de droite, pourtant discréditées. Ce qui vient nous rappeler que les difficultés économiques persistantes de l’Eu-rope ne peuvent être seulement attribuées aux mauvaises idées de la droite. Certes, des conser-vateurs insensibles et malavisés ont appliqué leur politique, mais ils ont bénéficié de la complicité de politiciens mous et confus de la gauche modérée.

Le marasme persiste. A l’heure actuelle, l’Europe semble s’arracher à sa récession à double creux et retrouver un peu de croissance. Mais cette légère reprise fait suite à des années de résultats désas-treux. Jugez-en : en 1936, sept ans après le début de la Grande Dépression, une bonne partie de l’Europe connaissait une forte croissance, les PIB par habitant atteignant de nouveaux som-mets. Par comparaison, le PIB réel par habitant en Europe reste aujourd’hui très au-dessous de son maximum de 2007 – au mieux, il s’accroît légèrement.

Pour s’en sortir encore plus mal que durant les années 1930, il faut vraiment en avoir envie ! me direz-vous. Comment les Européens ont-ils réalisé ce tour de force ? Eh bien, dans les années 1930, la plupart des pays européens ont fini par renoncer à l’orthodoxie économique. Ils se sont affran-chis de l’étalon-or, ils ont cessé d’équilibrer leurs budgets et cer-tains d’entre eux ont commencé

à réarmer considérablement, ce qui a eu au moins pour avantage de relancer l’économie. D’où une forte reprise à partir de 1933.

L’Europe d’aujourd’hui est devenue bien plus vivable, tant moralement et politiquement qu’humainement. L’attachement commun à la démocratie a amené une paix durable ; les systèmes de protection sociale ont com-pensé les effets douloureux du chômage ; une action coordon-née a écarté la menace d’un effondrement financier. Mais, en réussissant à éviter la catas-trophe, l’Europe, en contrepar-tie, a permis aux gouvernements de s’accrocher à des politiques orthodoxes. Aucun pays n’a quitté l’euro, alors même qu’il consti-tue un carcan monétaire. Dans la mesure où il n’y a pas lieu de relancer les dépenses militaires, nul n’a rompu avec l’austérité budgétaire. Tout le monde a un comportement sûr, censément responsable – et le marasme persiste.

Dans la sinistrose ambiante, la France n’est pas si mal lotie. Certes, elle reste à la traîne der-rière l’Allemagne, qui a été portée par son redoutable secteur de l’ex-portation. Mais la France obtient de meilleurs résultats que la plu-part des autres pays européens. Et je ne parle pas seulement des pays frappés par la crise de la dette. La croissance française a dépassé celle de piliers de l’or-thodoxie comme la Finlande et les Pays-Bas.

Il est vrai que, d’après les der-niers chiffres, la France ne profite pas du léger retour de croissance européen. La plupart des obser-vateurs, notamment le Fonds monétaire international (FMI), attribuent cette récente faiblesse aux mesures d’austérité. Mais François Hollande vient d’an-noncer les nouvelles orientations, et l’on sentait percer dans ses propos un peu de désespoir. Car, en annonçant son intention de réduire la fiscalité des entreprises et de compenser par des coupes dans les dépenses publiques (sans

La soumissionPour l’économiste Paul Krugman, ce qui est vraiment choquant, c’est d’entendre François Hollande souscrire aux vieilles doctrines de droite.

↙ Dessin de Mix & Remix, paru dans Le Matin, Lausanne.

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FRANCE.Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 13

social-démocrate qui, après avoir dégraissé l’Etat providence, a sauvé l’emploi et permis le retour de l’Al-lemagne à la tête de l’Europe.

Hollande va essayer d’accom-plir ce que Sarkozy à droite n’a pas réussi : dégraisser l’Etat, produire plus et mieux sans avoir peur du monde extérieur. Il appelle ça le pacte social de responsabilité. Des réductions de 30 milliards d’euros de charges sociales vont être accordées aux entreprises en échange d’embauches. Cet argent public était auparavant affecté aux cotisations familiales, par exemple pour encourager la natalité ; les Françaises étaient les deuxièmes génitrices en Europe après les Irlandaises. Il faudra désormais compter avec une baisse des dépenses de 50 mil-liards d’euros. Cela sera-t-il suf-fisant pour protéger le modèle social français ? Ce revirement déçoit le Front de gauche et déconcerte la droite ; quant aux fonctionnaires, deux fois plus nombreux qu’en Allemagne, ils ne devraient pas tarder à exprimer leur colère. Mitterrand avait lui aussi viré de bord en revenant sur les nationalisations et en congé-diant du gouvernement les com-munistes. Hollande, prisonnier de son insoutenable légèreté et empêtré dans un vaudeville, n’a rien à perdre, il a déjà tout perdu.

—Francesco G. BasterraPublié le 17 janvier

* En anglais dans le texte.

ne monte dans le wagon de l’Ita-lie et de l’Espagne au lieu de celui de Berlin. Hollande veut secouer un pays désorienté, qui ne com-prend rien à la mondialisation et s’obstine à tendre un généreux filet de protection sociale impos-sible à financer dans une écono-mie anémique. En France, 57 % du PIB sont engloutis par l’Etat. Le courage de Hollande est bien évi-demment applaudi par l’ensemble du monde anglo-saxon ainsi qu’à Bruxelles et à Berlin, où la pers-pective d’une France mal en point n’est pas envisageable, un sauve-tage d’une telle ampleur étant tout bonnement impossible.

C’était prévisible. Les socialismes occidentaux sont tombés les uns après les autres, incapables d’offrir des solutions de remplacement. Le système n’a pas changé et les dra-peaux socialistes sont en berne. La droite règne en maîtresse incontes-tée de l’Europe avec en face d’elle, en France, des troisièmes voies équi-voques, des centrismes mous et des populismes agressifs. Mardi dernier depuis l’Elysée, François Hollande s’est défendu d’être devenu libé-ral : bien au contraire, je suis un fervent défenseur du dialogue social, s’est-il justifié. Il a pour ambition de devenir le nouveau Schröder, le chancelier allemand

—El País (extraits) Madrid

Le dernier bastion du socia-lisme en Europe n’est plus, François Hollande a rendu

les armes en annonçant un change-ment de cap tourné vers le social- libéralisme, mariage du marché et des entreprises, qui selon lui est l’unique levier possible pour créer des emplois. Un retour à la politique économique de l’offre, la supply-side economics* chère à Ronald Reagan. Après dix-huit mois d’une politique chaotique, de fortes augmentations d’im-pôts – jusqu’à 75 % pour les plus riches, sans le moindre résultat positif – et d’éloignement crois-sant de l’Allemagne, moteur du continent, Hollande est contraint d’opérer un virage à 180 degrés. Le président le plus impopulaire de la Ve République ouvre ainsi une nouvelle ère pour éviter que la deu-xième économie de la zone euro

préciser lesquelles), François Hollande a déclaré : “C’est donc sur l’offre qu’il faut agir”, avant d’ajouter : “C’est l’offre qui crée la demande.”

Eh bien, dites donc ! Le voilà qui reprend, presque mot pour mot, cette faribole depuis long-temps discréditée qu’on appelle la loi de Say, ou “loi des débou-chés”, selon laquelle il ne peut y avoir d’insuffisance globale de la demande puisque les gens doivent bien dépenser leur revenu quelque part. C’est tout simplement faux, et particulièrement faux, en pra-tique, en ce début 2014.

Faillite intellectuelle. Tout montre que la France regorge de ressources productives – de capi-tal humain comme de capitaux financiers – qui restent inexploi-tées en raison d’une demande insuffisante. Il suffit pour le com-prendre de voir avec quelle rapi-dité dégringole l’inflation. La France comme l’Europe dans son ensemble semblent même s’ache-miner dangereusement vers une déflation à la japonaise.

Comment faut-il interpréter, dès lors, le fait que M. Hollande ait choisi ce moment-là pour reprendre à son compte cette théorie discréditée ?

Comme je l’ai dit, c’est le signe du piteux état dans lequel se trouve le centre gauche en Europe. Depuis quatre ans, l’Eu-rope est en proie à la fièvre de l’austérité, avec des conséquences désastreuses. Le fait que la timide reprise actuelle soit saluée comme une réussite de cette politique en dit d’ailleurs très long. Etant donné les terribles difficultés provoquées par la politique en question, on aurait pu s’attendre que le centre gauche plaide éner-giquement pour un changement de cap. Or, partout en Europe, le centre gauche (notamment bri-tannique) a tout au plus émis quelques critiques molles et fri-leuses, avant, bien souvent, de se soumettre bon gré mal gré.

Quand François Hollande est arrivé à la tête de la deuxième économie de la zone euro, nous sommes quelques-uns à avoir espéré qu’il se dresse contre cette tendance. Mais, comme les autres, il s’est soumis, soumission qui vire désormais à la faillite intel-lectuelle. L’Europe n’est pas près de sortir de sa deuxième “grande dépression”.

—Paul KrugmanPublié le 16 janvier

↓ Dessin de Chappatte paru dans Le Temps, Genève.

“Hollande n’a rien à perdre, il a déjà tout perdu”

Vu du Portugal

La gauche déçue● La “volte-face de la politique économique de François Hollande” met fin à l’espoir d’une alternative aux politiques d’austérité, écrit Rui Cardoso Martins dans Público. Les effets d’annonce à propos de la taxation des hauts salaires et des grands patrons avaient contribué à donner une coloration sociale et humaine à la politique du président français, rappelle le quotidien de Lisbonne. Les socialistes portugais s’étaient d’ailleurs largement appuyés sur l’image du retour d’une gauche sociale au cœur du projet européen pour construire leur come-back aux prochaines élections législatives, explique l’éditorialiste. La France paraissait donc être la seule à pouvoir freiner le processus de “rigueur” imposé dans les pays du sud de l’Europe, face à Angela Merkel qui défendait les vertus de l’austérité. “Le président qui, il y a un an, relevait les impôts des patrons et des plus riches, annonce aujourd’hui qu’il va les réduire et en profiter pour couper au cordeau dans les dépenses sociales”, résume Rui Cardoso Martins. D’autre part, en officialisant “son passage du socialisme à la social-démocratie”, le président français “renforce la légitimité” des principaux artisans des coupes budgétaires au Portugal, le Premier ministre Pedro Passos Coelho (centre droit) et son bras droit Paulo Portas (vice-Premier ministre de droite), poursuit le journaliste. António José Seguro – secrétaire général du Parti socialiste portugais –, quant à lui, se trouve aujourd’hui dans une posture difficile. Celui qui avait taxé l’élection de François Hollande de “bouffée d’air frais pour la gauche européenne” ne peut plus se retrancher dans une position en demi-teinte.

La fin du dernier bastion socialisteLe président français n’avait d’autre choix que ce virage pour réveiller une économie anémiée.

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14. Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014FRANCE FOCUS HOLLANDE

se pencher froidement sur son propre processus de réformes et de reconnaître qu’il a violé le pacte de stabilité. Le président compte intégrer cela dans des projets d’avenir en matière d’énergie, de défense et de fiscalité. Comme un amoureux échappe à la grisaille du quotidien, Hollande se coupe de la réalité. Il ne veut pas entendre parler d’obstacles, par exemple du fait que le secteur de l’énergie français est dominé par le nucléaire alors que l’allemand est marqué par la sortie du nucléaire.

Il rêve déjà d’une fusion des fournisseurs d’énergie allemands et français. Il souhaite une coopération plus étroite en matière de défense ; le pacifisme de base des Allemands ne saurait constituer un obstacle, la complexité des processus de décision du Bundestag et la peur que la classe politique allemande éprouve vis-à-vis des interventions militaires non plus. Hollande prévoit même une harmonisation fiscale, que Sarkozy n’avait pu obtenir. Il appartiendra à la chancelière de faire revenir son ami* à la réalité.

—Michaela WiegelPublié le 19 janvier

* En français dans le texte.

Madrid, Rome et Lisbonne. Il a cependant fini par constater que l’alliance du Sud ne tenait pas ses promesses, comme Schröder était parvenu à la conclusion en 2003, année où il instaurait l’Agenda 2010, que les choses ne pouvaient pas marcher sans la France. Au côté de Jacques Chirac, il avait alors fait front contre le président américain lors de la guerre en Irak. Le rapprochement franco-allemand était même allé jusqu’à faire sauter le pacte de stabilité européen : les deux “amis” ne respectaient pas les déficits convenus. Hollande mise aujourd’hui sur une solidarité similaire. Il souhaite procéder à des réformes et espère à cet égard une certaine indulgence de Berlin. C’est la seule explication à ses objectifs de réduction des dépenses publiques et du coût du travail. Sur les 50 milliards d’euros d’économies que la France devra réaliser entre 2015 et 2017 en accord avec Bruxelles, une partie, probablement 10 milliards, sera consacrée à la réduction des charges et des prélèvements. Cela signifie que le soutien aux entreprises a désormais la priorité sur la lutte contre le déficit. Hollande demandera selon toute probabilité au gouvernement allemand de

Avec son programme de réforme en profondeur, le président a pris le pays, et surtout son parti, par surprise. Les socialistes semblent comme assommés par tant d’élan et de dynamisme. Les conservateurs se disputent pour savoir s’ils doivent applaudir ou critiquer, et Hollande les regarde se déchirer. Les détracteurs de son camp sont muets – mais ce silence ne durera pas longtemps.

Tous ceux qui ont quelque chose à perdre dans les réformes vont bientôt se soulever. Hollande se prépare à se défendre en cherchant une alliée de poids : Angela Merkel. Le socialiste a clairement reconnu qu’il chercherait désormais son salut dans le renforcement du partenariat franco-allemand. Voilà un tournant étonnant pour un homme qui s’est moqué pendant des mois de la communauté d’intérêts du couple “Merkozy”.

Lors de sa conférence de presse [du 14 janvier], Hollande a reconnu présenter “certaines analogies” avec Gerhard Schröder. Il ne songeait probablement pas uniquement au programme de réformes [connu sous le nom d’“Agenda 2010”] de l’ancien chancelier, mais aussi à ses errements européens, qui ne l’ont rapproché de Paris que fort tard.

De même que Schröder n’a eu d’yeux au début que pour Londres, Hollande a cherché à son entrée à l’Elysée à se passer de Berlin et à trouver d’autres partenaires, à

—Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung Francfort

Quand on dit d’un roi qu’il est bon, le règne est manqué”, jugeait Napoléon Bonaparte.

Après vingt mois à la tête de l’Etat français, François Hollande s’est manifestement souvenu des propos de son lointain prédécesseur. Plus question d’être “bon” et agréable à tous. C’est ce qu’il a essayé de faire depuis mai 2012 et toutes les décisions qui exigeaient des efforts des Français l’ont plongé dans des affres épouvantables. Et ses compatriotes l’ont récom-pensé en lui octroyant le titre de président le plus impopulaire de tout l’après-guerre.

Hollande l’hésitant a décidé de se lancer et de jouer les réformateurs courageux. Il entend libérer les entreprises du fardeau des charges sociales et de la paperasserie, et réduire énergiquement le coûteux appareil d’Etat avec ses communes, ses départements et ses régions. Fini le pépère* de l’Elysée, voilà le précurseur qui impose un rythme de réforme rapide.

De fait, sa vie privée tombe à pic dans ce grand mouvement de rénovation. Toute la France suit avec une certaine incrédulité mais aussi avec admiration sa métamorphose en fonceur résolu, qui a su séduire une belle actrice.

Le nouvel ami d’AngelaAprès s’être moqué du couple “Merkozy” des mois durant, c’est auprès de la chancelière allemande que François Hollande cherche désormais son salut.

↓  Dessin de Mix & Remix paru dans Le Matin, Lausanne.

↓↓ Affaire Hollande. Politique économique allemande. Dessin de Tom Trow, Pays-Bas.

Vu d’Allemagne

Le modèle Schröder● Le président François Hollande a annoncé qu’il voulait “mettre la société française en mouvement”. Exactement comme le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder lorsqu’il a dévoilé son programme de réforme au Bundestag, le 14 mars 2003 : “Nous allons réduire les prestations sociales et encourager la responsabilité individuelle.” La République fédérale se trouvait alors dans une situation en tout point semblable à celle de la France aujourd’hui. L’Allemagne était l’homme malade de l’Europe. Le taux de chômage y atteignait des niveaux records. Les déficits se creusaient dans les caisses publiques, faisant augmenter les cotisations sociales et le coût du travail.Toutes les réformes entreprises par Schröder à l’époque ne seraient pas applicables au cas français. C’est notamment vrai pour ce que l’on a considéré comme le cœur de son programme, à savoir la refonte des allocations chômage. Les lois Hartz IV [4e volet, le plus controversé, de la réforme du marché du travail menée entre 2003 et 2005] ne sont pas transférables en France, où l’Etat n’a jamais offert de mesure d’aide aussi longue [qu’en Allemagne] sur la base des derniers revenus. La France dispose en outre d’une plus grande marge de manœuvre que l’Allemagne en matière de retraites, le taux de fécondité des Français rendant la situation démographique du pays moins critique. L’heure est à la rhétorique du rebond. Le réformateur s’emploie d’abord à conquérir l’opinion publique à grand renfort de discours enthousiastes. Dans un premier temps, cela marche généralement bien. —Ralph Bollmann

Frankfurter Allgemeine Zeitung (extraits) Francfort

Publié le 19 janvier

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FRANCE.Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 15

Au lieu de cela, le nouveau prési-dent en exercice a lancé un aver-tissement. Dans dix ans, la France risque de se retrouver économi-quement sur la touche. Et pour faire passer son message, il a avancé quelques modestes pro-positions pour redresser la barre.

Hollande est confronté à trois problèmes indissociables. Le pre-mier est que la France perd en compétitivité au sein de la zone euro et plus généralement de l’économie mondiale. Dans les décennies de l’après-guerre, la solu-tion aurait consisté à dévaluer le franc pour rendre les exportations françaises moins chères. Mais le deuxième problème, c’est que cette option est dorénavant impossible, la France ayant adopté la monnaie unique. L’Allemagne a dû relever un défi du même ordre au tout début de l’union monétaire. Elle a réagi en imposant des réformes douloureuses à son marché du tra-vail et à son système social. Les revenus réels des salariés alle-mands se sont trouvés amoin-dris pendant plusieurs années, le temps de réduire les coûts, d’amé-liorer la rentabilité et de conférer une plus grande compétitivité à l’économie sur le plan internatio-nal. Thatcher a imposé un régime comparable en Grande-Bretagne dans les années 1980, quoique de façon moins consensuelle.

Pas prête moralement. Le troisième problème de Hollande, c’est que la France n’est pas prête moralement à des réformes à l’allemande. Par ailleurs, la crise que traverse le pays n’est pas assez grave pour qu’une approche thatchérienne soit ven-dable en termes politiques. La France n’a pas que des défauts : elle dispose d’un excellent sys-tème de santé, de bien meil-leures infrastructures que la Grande-Bretagne, d’un mode de vie que le monde lui envie. Rien qui pousse à réclamer un chan-gement dans la douleur.

—Larry ElliottPublié le 14 janvier

pertinente du défi cit budgétaire à moyen terme.

Ce n’est pas parce que les aven-tures amoureuses ne sont pas un problème à Washington qu’il faut pour autant les exhiber. Toute la publicité faite autour du divorce de George W. Bush et de son épouse Laura, et du remariage tape-à-l’œil de l’ancien président avec la chan-teuse Beyoncé, a certes eu un côté très arriviste*, mais, surtout, elle a été très impopulaire. L’approche du prédécesseur de Bush, dite “trois minutes, douche comprise*”, que son chauff eur offi ciel conduisait discrè-tement chez ses maîtresses, était beaucoup plus habile – tout comme celle d’un autre président dont la fi lle illégitime vivait aux frais du contribuable. La meute des corres-pondants à la Maison-Blanche a poliment gardé son secret pendant treize ans, ne le révélant qu’un an avant la fi n de son dernier mandat.

Décomplexés. Vivrait-on mieux en Amérique si les politiques se comportaient comme François Hollande, Ségolène Royal, Valérie Trierweiler, Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac et François Mitterrand, et si les Américains avaient une attitude plus décom-plexée à l’égard de la bagatelle, comme c’est le cas des Français ? Des Américains plus doués pour-raient enfi n se lancer dans la poli-tique sans craindre d’être brûlés vifs en place publique à la moindre démonstration de leurs trop humaines fragilités. Il y aurait davantage de Jack Kennedy et moins de Mitt Romney. D’un autre côté, si les hommes politiques fran-çais n’étaient pas protégés par la justice et la passivité de la presse, peut-être que le message du Front national ne passerait pas aussi bien. L’idéal étant bien évidemment de suivre l’exemple du Royaume-Uni, dont la classe politique quasi immaculée est suivie de près par une presse réputée pour sa pro-bité et sa sobriété.—

Publié le 18 janvier

* En français dans le texte.

diversifi ée. Celle qui fut longtemps sa compagne était Hillary Clinton, qu’il n’a jamais épousée mais avec laquelle il a eu quatre enfants. Leur rivalité politique a malheu-reusement porté un coup fatal à leur relation de couple, et il s’est alors rabattu sur Katie Couric, qu’il a installée, comme Première petite amie, à la Maison-Blanche. Celle-ci vient d’être hospitalisée – bouleversée, comme le serait n’importe quelle journaliste, par le battage médiatique entourant le dernier “grand amour*” en date de son amant.

On ne sait donc plus, malheureu-sement, si Mme Couric se trouvera aux côtés de M. Obama à l’occasion de son prochain voyage en France, dont les habitants, poussés par leur puritanisme ou leur imper-tinence, risquent fort de poser des questions déplacées. Ailleurs qu’aux Etats-Unis, aussi déplorable cela soit-il, la moindre grivoise-rie émoustille l’opinion publique. Heureusement, les Américains se montrent plus subtils que les étrangers : 77 % d’entre eux consi-dèrent que la vie privée du prési-dent ne regarde que lui. Quand, lors d’une conférence de presse, un correspondant de Fox News a demandé si Mme Couric était toujours Première petite amie, M. Obama a rétorqué sèchement qu’il s’agissait d’une aff aire privée : les journalistes sont alors rapi-dement passés à la question plus

—The Economist Londres

Des ragots sans aucun inté-rêt ont récemment distrait les citoyens du pays le plus

puissant du monde. Dans son der-nier numéro, le magazine People a révélé ce que le Tout-Washington* savait déjà : Barack Obama a une liaison avec Jennifer Aniston. Cette indiscrétion a fi ltré en dépit des louables précautions du président : M. Obama se rendait à scooter dans la soirée chez Mlle Aniston, pour n’en repartir qu’au matin (non sans s’être fait livrer des bagels par les services secrets).

Cet inacceptable colportage a attiré l’attention du public sur la vie privée de M. Obama, qui, comme il convient à un homme d’impor-tance, est aussi bien remplie que

—The Guardian Londres (Extraits)

P lutôt Harold Wilson [Premier ministre tra-vailliste de 1974 à 1976]

que Margaret Thatcher. Un contrat social plutôt qu’un capita-lisme pur et dur. C’est en tout cas ce qu’a promis François Hollande au peuple français et aux mar-chés fi nanciers quand il a pré-senté son projet de revitalisation de la deuxième économie de la zone euro.

Pour qui se souvient de la situation politique en Grande-Bretagne dans les années 1970, l’arrière-plan a quelque chose de familier : chômage en hausse, croissance en panne, monde des aff aires désabusé, productivité au ralenti et fi scalité écrasante. Hollande ne l’a pas dit alors, mais tout le monde l’a compris en fi li-grane : la France est désormais considérée comme l’homme malade de l’Europe.

Un avertissement. En guise de solution, il a proposé un marché aux entreprises fran-çaises. Les dépenses publiques seront réduites de 50 milliards d’euros, et les ressources de l’Etat mieux utilisées. Quant aux charges sociales qui pèsent sur les entreprises, elles baisse-ront de 30 milliards d’euros. En 1982, le prédécesseur socialiste de Hollande, François Mitterrand, avait imposé un virage brutal en renonçant au keynésianisme. Cette fois, rien de comparable.

Ah, si les Froggies gouvernaient l’Amérique !Et si les hommes politiques américains se comportaient en amour comme leurs homologues français ?

↓ Dessin d’Ammer, paru dans NRC Handelsblad, Rotterdam.

Un changement bien modesteLa crise n’est pas encore assez violente en France pour que des réformes radicales soient acceptées.

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ENQUÊTE

16. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

migrants clandestins, qu’ils soient déjà en Europe ou qu’ils se trouvent encore dans leur pays d’origine, principalement le Pakistan, l’Inde et le Bangladesh, mais aussi le Maroc et, par-fois, le Népal. On trouve aussi des Nigérians. Les candidats à l’immigration procédant à des mariages blancs peuvent venir de bien d’autres pays, notam-ment du Brésil, mais la plupart n’ont pas derrière eux un réseau organisé. Ce sont des unions qui se font individuellement et qui sont donc plus difficiles à repérer, explique Luísa Maia Gonçalves, chercheuse pour le SEF, qui a dirigé la Direction centrale d’en-quête et d’analyse (DCIPAI) de cet organisme migratoire. Chaque cas découvert par les autorités se traduit par l’ouverture d’une enquête, et le SEF en avait ouvert plus de 300 à la fin 2012.

La Garde nationale républi-caine (GNR), à travers le centre d’enquêtes criminelles du déta-chement territorial de Vila Real, a démantelé en janvier  2012 un réseau de mariages fictifs. Quatorze mois d’investigation ont débouché sur la mise en examen

d’éventuels déplacements – les sommes promises sont d’ailleurs versées par tranches. Beaucoup se plaignent de ne pas avoir reçu ce qui leur avait été promis, seu-lement 1 000 ou 1 500 euros, mais certaines ont perçu 3 000 euros pour leur mariage blanc.

“Des femmes originaires de quar-tiers défavorisés, des prostituées ou des toxicomanes, dans cer-tains cas ayant plusieurs enfants à charge, voire vivant en concubi-nage” : tel est le portrait que fait de ces Portugaises le dossier judi-ciaire de l’affaire Blinder-Bind, l’un des premiers grands procès au Portugal pour mariages de complaisance. De 2007 à 2010, ce réseau a procédé à 175 mariages (prouvés par la justice) entre des Portugaises et des hommes origi-naires du sous-continent indien, majoritairement des Pakistanais et des Indiens.

Les réseaux en activité au Portugal travaillent avec des

préfèrent les réseaux) pour pou-voir aller à l’étranger officialiser une union de facto, régulariser leur “mari”, louer ou acheter un logement, etc. Elles doivent passer du temps dans le pays où leur futur mari entend demander un titre de résident.

Ces femmes voyagent donc sans rien savoir de l’identité de ceux qui les accompagnent ni de leur des-tination. Et, au-delà de ces forma-lités obligatoires pour le mariage et la régularisation du migrant, elles ne changent rien à leur quo-tidien. Elles ne modifient même pas leur état civil sur les docu-ments officiels : c’est un secret bien gardé. Les maris, eux, ne restent pas au Portugal. [Avec la crise, le pays est redevenu un pays d’émigration massive. En 2012, plus de 120 000 Portugais et 20 000 immigrés résidant au Portugal ont quitté le territoire, voir graphique p. 17].

Elles pensent pouvoir divor-cer au bout de trois ou quatre ans, dès que l’immigré aura obtenu des papiers grâce à son mariage avec une ressortissante intracommunautaire. Mais elles doivent rester disponibles pour

de gens étaient au courant de cette union de façade avec un homme dont elle n’a jamais réussi à pro-noncer le nom.

Les “gens des réseaux”, qui pour leur part sont en règle, recrutent les candidates poten-

tielles dans les ban-lieues et les quartiers pauvres de Lisbonne et de Porto, avec pour seul critère qu’elles possè-dent une carte d’iden-tité européenne. Des

Portugaises en situation socio-économique fragile, extrême-ment vulnérables, des célibataires, des veuves ou des divorcées. Ces organisateurs se chargent de la paperasse et accompagnent la future épouse lorsqu’il est néces-saire qu’elle fasse elle-même une démarche auprès d’un organisme public. Les futures mariées doivent en effet se déplacer pour demander l’apostille sur l’acte de mariage, un sceau qui permet de certifier la conformité des docu-ments officiels utilisés à l’étran-ger. Elles doivent se faire faire un passeport (comme il n’y est pas fait mention de l’état civil, c’est le document d’identité que

—Diário de Notícias (extraits) Lisbonne

Ils promettent monts et mer-veilles et, quand on est dans la mouise, on est des proies

faciles. Je me suis retrouvée dans la misère, la vraie”, résume Cristina, 44 ans. Elle avait alors – et elle a toujours – deux enfants à charge, ainsi qu’un petit-fils. “Eux”, les chefs, lui avaient pro-posé 2 000 euros pour qu’elle épouse un immigré clandestin. Sa famille n’avait pas besoin de savoir, assuraient-ils, elle n’aurait aucun problème avec la police et son futur époux ne l’embêterait pas. “Quand on est au désespoir, on est capable de tout”, regrette aujourd’hui Cristina.

Le désespoir, c’est le fait d’être au chômage, de crouler sous les dettes, de ne pas avoir un sou. Cinq ans plus tard, c’est ainsi que Cristina justifie son implica-tion dans un réseau de mariages par complaisance, ou “mariages blancs”. Elle a été arrêtée par le Service portugais des étrangers et des frontières (SEF), et beaucoup

Portugal. Ils se marièrent… et ne vécurent jamais ensembleLa crise économique pousse des Portugaises à monnayer des mariages blancs avec des migrants. Ceux-ci travaillent alors légalement dans l’espace Schengen, mais rarement au Portugal.

europe

→ Dessin de Vlahovic, Serbie.

Migrants et européens victimes des réseaux organisés

Page 17: Courrier 20140123 courrier full 20140212 170528

Solde migratoire*Solde naturel**

Evolution de la pop.

* Différence entre les arrivées et les départs.** Différence entre les naissances et les décès.

Population en baisse Variation de la population et de ses composantes au Portugal (en milliers de personnes)

SOURCE : “PÚBLICO”

30

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– 30

– 602007 2008 2009 2010 2011 2012

EUROPE.Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 17

détenteurs de la carte spéciale. Elle leur permet de traverser la frontière autant de fois qu’ils le veulent. Résultat, en deux ans, la frontière entre la Pologne et l’en-clave de Kaliningrad est devenue l’une des plus fréquentée d’Europe.

Lioudmila Choubina, heureuse propriétaire de la carte numéro 100000, travaille au Musée océa-nographique de Kaliningrad. Pour elle, le trafic sans visa signifie avant tout une simplifi cation des contacts professionnels avec ses collègues polonais de Gdansk. La participation à une conférence scientifi que de l’autre côté de la frontière ne lui pose plus de pro-blème. “Gdansk est une belle ville”, reconnaît-elle avec émerveille-ment. Lioudmila veut la montrer à son petit-fi ls. Cependant, la carte n’est pas un permis de travail. En revanche, son titulaire peut passer trente jours (d’affi lée) dans le pays voisin, et jusqu’à quatre-vingt-dix jours dans une période de six mois. La première carte est accordée pour deux ans, la suivante pour cinq ans. Elle coûte 20 euros. Plus besoin de tamponner le passeport.

Plages de la Baltique. Bruxelles a réservé un traitement de faveur aux habitants de Kaliningrad. Les accords s’appliquent à l’enclave dans son ensemble, bien au-delà des 30 kilomètres de la zone fron-talière proprement dite, comme c’est le cas dans la zone Schengen. A Kaliningrad, cette solution n’au-rait aucun sens, car la capitale de l’enclave et les habitants de la ville en auraient été exclus. A l’instar de ce qui s’est passé en Ukraine et en Biélorussie, des hackers ont essayé de pirater le système infor-matique de délivrance de ces visas, bloquant la place sur les listes d’at-tente virtuelles afi n de les revendre. “Nous avons repris le contrôle de la situation en refusant d’accorder un visa à ces gens”, explique le consul Janusz Jablonski.

On craignait que le trafi c trans-frontalier ne génère une augmen-tation de la criminalité, ce n’est pas le cas. Aucune vague d’immi-gration illégale n’a été enregistrée et les relations commerciales se développent. Mais il est vrai qu’en été et pendant les week-ends des fi les d’attente interminables se forment à la frontière. En hiver aussi, car tout Kaliningrad fait ses courses de Noël en Pologne. Si les Russes viennent pour s’ap-provisionner, ils veulent aussi se relaxer. Ils aiment passer

les stations balnéaires polonaises ont trouvé un deuxième souffl e.Pour leur part, les Polonais rap-portent de l’enclave russe du carbu-rant et des cigarettes, qui coûtent deux fois moins cher qu’en Pologne. Certains se déplacent à Kaliningrad pour améliorer la création divine : les chirurgiens esthétiques qui pratiquent dans l’enclave et leurs cliniques privées ont bonne répu-tation en Pologne. Des bagatelles comme les injections de Botox s’ef-fectuent sans rendez-vous.

Au moment de l’adhésion de la Pologne et de la Lituanie à l’Union européenne, en 2004, les deux pays ont imposé des visas aux citoyens russes, ce qui a pratiquement sup-primé les contacts avec l’enclave. La Russie a elle aussi imposé des visas aux Européens. C’est seu-lement récemment que la situa-tion a commencé à bouger. Le consulat polonais à Kaliningrad a accordé 57 000 visas en 2009, puis 112 700 en 2011 et 134 000 en 2012. Actuellement, les Polonais délivrent 1 500 visas par jour aux Russes de Kaliningrad. Les accords sur le trafi c transfron-talier conclus entre Moscou et Varsovie en juillet 2012 ont tout changé. Désormais, les personnes domiciliées dans la zone fronta-lière des deux pays peuvent se déplacer avec une carte spéciale. La simplifi cation des contrôles a beaucoup plu à la population : plus de 100 000 Russes [sur 950 000 habitants] et 30 000 Polonais sont

—Polityka (extraits) Varsovie

L’été dernier, des foules de touristes en provenance de l’enclave de Kaliningrad ont

investi les plages et les paillottes polonaises, qui proposent à toute heure de la bière, des poissons gril-lés et des saucisses de Francfort. Justement, la saucisse est le sym-bole le plus visible de ce nouveau rapprochement russo-polonais. Les Russes apprécient la qualité du produit et son prix attractif. Après un week-end passé en Pologne, ils en remplissent le coff re de leur voiture. Il s’agit probablement de l’article le plus prisé dans ce com-merce transfrontalier.

Par ailleurs, les Russes sont tombés amoureux des super-marchés polonais. Mis à part les cigarettes, l’essence et quelques médicaments, tous les autres articles sont beaucoup plus chers dans leur pays qu’en Pologne. Il faut savoir que dans l’enclave de Kaliningrad tout est importé, y compris les produits agroali-mentaires. Le territoire est auto-suffi sant uniquement sur le plan énergétique. Le magasin Ikea de Gdansk attire également de nom-breux clients de Kaliningrad : l’en-treprise suédoise n’a pas réussi à s’y implanter faute de pouvoir s’en-tendre avec l’administration locale. En Pologne, on évoque désormais une éventuelle ouverture d’autres magasins Ikea – à Braniewo et à Elblag. Grâce aux touristes russes,

certitudes et qui permettent sur-tout d’emprisonner les chefs des réseaux, les autres personnes impliquées bénéfi ciant générale-ment d’une relaxe ou d’une peine avec sursis. Des signes que n’au-rait pas vus l’employée de l’état civil de Gondomar [dans le dis-trict de Porto] qui a offi cialisé 249 unions entre des Portugaises et des hommes originaires du sous-continent indien entre le 25 novembre 2007 et le 9 janvier 2009, date de son arrestation. Le tribunal a pu prouver l’irrégula-rité de 122 de ces mariages, mais la fonctionnaire a été relaxée.

Les couples se suivent, le même jour, sur rendez-vous pris en dehors des horaires habituels, voire le samedi, et tous viennent avec les mêmes témoins et le même interprète… Le couple comme les témoins n’ont fait aucun eff ort vestimentaire… Les mariés font connaissance sur place, à l’état civil, et ne prennent même pas la peine de feindre plus d’intimité… Sans parler du fait qu’ils ne parlent d’ailleurs pas la même langue, qu’ils n’échangent pas d’alliances – ou, quand il y en a, elles sont en toc ou on les leur a prêtées –, qu’ils ne scellent pas leur union par le baiser tra-ditionnel des jeunes mariés et partent immédiatement, chacun de leur côté.

“J’ai passé tout le trajet en voi-ture à essayer de mémoriser son nom, en vain. J’étais angoissée. A peine rentrée à Porto, je crois que j’ai regretté, et puis je me suis dit que je pourrais divorcer dans six mois. Pour tout dire, je n’ai quasi-ment aucun souvenir de cette jour-née. C’est le témoin qui m’avait prêté une alliance”, raconte Raquel Filipa. Elle a aujourd’hui 24 ans, quatre de plus que lorsqu’elle s’est mariée. A l’époque, sa petite fi lle avait 5 mois. “Je travaillais dans une cafétéria, et j’avais été licenciée à six mois de grossesse. J’avais besoin d’argent.” Celui qui est encore son mari “vivait en Espagne, je crois qu’il était indien”. Raquel avait même fait venir son petit ami au mariage. “C’était en Espagne et, comme la fi lle qui travaillait avec eux avait dit que je pouvais venir accompagnée…”

—Ceu NevesPublié le 24 novembre 2013

* Cela peut s’expliquer par le fait que, en 2011, les fonctionnaires portugais ont parfois perdu plus de 20 % de leur salaire depuis l’arrivée de la troïka.

d’un Portugais et d’une Espagnole. Ils recrutaient des hommes dans les deux pays pour organiser des mariages avec des étrangères, en majorité des Brésiliennes. Depuis peu, le phénomène du mariage blanc concerne aussi des couples homosexuels.

Pour l’“époux” en règle, le nombre de voyages à l’étranger dépend des exigences du pays d’accueil en matière de régulari-sation ; il est parfois nécessaire de fournir la preuve d’une vie com-mune. “Ceux d’ici reçoivent des ordres des chefs qui sont à l’étran-ger. Il suffi sait qu’ils en donnent l’ordre, et nous devions partir”, précise Cristina. Elle se souvient des débuts, quand elle ignorait jusqu’à l’existence de tels réseaux. “La première fois qu’ils m’ont pro-posé de le faire, j’ai refusé, j’avais peur, j’ai mis quatre ou cinq ans avant de me lancer. Une connais-sance m’a présenté l’homme que je devais épouser. Le jour du mariage, j’y suis allée avec une autre fi lle, et ensuite je suis allée en Espagne plu-sieurs fois, en voiture, pour qu’il soit régularisé.”

On a du mal à comprendre pour-quoi les employés de l’état civil ne se méfi ent pas*. Devant les tri-bunaux, ils témoignent et listent ces petits signes qui laissent penser à un mariage blanc. De petits signes qui deviennent des

Les mariés font connaissance sur place, à l’état civil.

→ 18

↙ Dessin de Burkina, Russie.POLOGNE–RUSSIE

Enfin bons voisins !Depuis l’application des accords sur le trafi c transfrontalier avec l’enclave de Kaliningrad, en 2012, la frontière polono-russe est l’une des plus fréquentées d’Europe.

Page 18: Courrier 20140123 courrier full 20140212 170528

Gdansk

Sopot

ElblagBraniewo

Olsztyn Elk

Kaliningrad

Klaipeda

ENCLAVE DEKALININGRAD

(RUSSIE)

Iantarnyi

POLOGNE

LITUANIE

Mer Baltique

Niémen

100 km

RUSSIE

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EUROPE18. Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

pas la percevoir et la retranscrire, sinon, j’aurais été hors sujet.”

Dans l’un de ses sketchs caracté-ristiques, Lakis, déguisé en vieille dame, rend visite à ses neveux habitant Düsseldorf pour leur demander de l’argent. Il est alors confronté à la mentalité allemande de sa famille qui refuse de conti-nuer à se serrer la ceinture pour que leur tante profi te de la vie au pays. “En réalité, nous sommes actionnaires de la société anonyme Allemagne et non membres de l’UE”, dit-il à ses neveux en comparant les Allemands à d’éternels coloni-sateurs. “Pourquoi ne nous a-t-on pas dit que la guerre contre les Allemands venait de se terminer et que nous avions perdu ?” insiste-t-il avec son humour unique.

Loin de faire porter tout le far-deau de la crise à l’Allemagne, il n’hésite pas à se mettre à dos la classe politique : “Si on critique les Allemands en les traitant de patrons ou de colonisateurs, il faut s’attaquer aussi à leurs employés, qui ne sont autres que les gouver-nements grecs de ces dernières années. On leur dit : ‘j’ai faim’, et ils répondent ‘vous voulez qu’on sorte de l’Europe ?’.” Comme si le dilemme aujourd’hui était de rester dans l’euro ou de mourir de faim. Entouré d’une bande de jeunes comédiens, le comique danse, chante, ne laissant pas une seconde le public s’ennuyer.

Politique. Au-delà du volet comique, Lazopoulos n’hésite pas à lancer des messages poli-tiques : “Le problème aujourd’hui est que ceux qui se présentent comme les sauveurs du pays sont ceux qui ont créé Aube dorée, le parti néo-nazi, arrêtons de nous voiler la face.” Quand on lui demande s’il ne veut pas se lancer en politique, à l’image de son homologue l’ita-lien Beppe Grillo, il n’hésite pas à parler d’Aristophane, de la satire et de son autodérision. “Aristophane écrivait des satires et ne faisait pas de politique. Je n’ai aucune raison d’en faire.”

—Tina MandilaraPublié le 11 novembre 2013

télé, suivi par près d’un tiers du pays. Ce spectacle casse toutes les normes du divertissement tel qu’on le connaissait jusqu’à pré-sent. Les femmes ne portent pas d’habits de marque ; les seniors veulent profi ter de chaque instant, comme s’ils n’étaient pas sortis depuis des mois, et les enfants s’impatientent. A regarder la salle, on comprend que tous ont fouillé les fonds de tiroirs pour venir rire et s’amuser pendant trois heures. Plus qu’une simple représenta-tion, “Lakis” est la voix qu’ils n’ont pas ou plus pour dénoncer le fonctionnement absurde du système qui a mené le pays dans l’état où il est.

Amer et mordant. C’est sans doute aussi ce qui explique le titre du spectacle, Sorry, I’m Greek. Pour Lazopoulos il ne s’agit pas de s’excuser d’être grec mais de dire “Pardon… je suis grec”. Sans tomber dans le cliché, le comé-dien se déguise en vieille dame, en ado fi ls de nouveaux riches, en pompier, en pêcheur ou en policier. Des archétypes de la société grecque, incarnés dans un langage théâtral poignant, dur et direct comme celui qu’il utilise dans ses émissions télévi-sées, sauf que cette fois il s’agit de personnages que nous connais-sons tous, qui rôdent dans notre entourage, l’identification est donc immédiate.

Mais derrière ses sketchs, amers et mordants, Lazopoulos cache un désespoir bien dissimulé et une grande amertume sur la situa-tion qui pèse sur le pays. “Sans cette amertume, tous ces person-nages auraient pu être abordés diff é-remment”, avoue-t-il lors de notre entretien à la fi n du spectacle. S’il est ému et conforté par le public, il est très conscient de la situa-tion de ses compatriotes. “Il y a une douleur sous-jacente qui touche tout le monde”, ajoute-t-il en fai-sant preuve d’une sincère empa-thie et en me regardant droit dans les yeux. “Cette douleur, on la voit, on la sent au quotidien dans l’air que nous respirons. Je ne pouvais pas ne

—Proto Thema (extraits) Athènes

Tous les soirs, cinq fois par semaine, son spec-tacle Sorry, I’m Greek fait

salle comble au théâtre Grande Bretagne, à quelques pas de la place Syntagma. La prestation de Lakis Lazopoulos a déjà conquis des centaines de personnes de tous âges, qui s’y rendent seuls, en couple, ou en bande, habitant Athènes ou le reste du pays, qui se déplacent malgré la crise et ont contraint le comique à jouer les prolongations. Le public est pas-sionné avant, pendant et après la performance de Lazopoulos. Et pour cause, voir Lakis Lazopoulos au théâtre change du rendez-vous traditionnel du mardi soir à la

étape dans les relations polono-russes. “Avant on parlait très rare-ment de la Pologne dans les médias russes, et si ça arrivait ce n’était pas en termes fl atteurs. Aujourd’hui, les gens peuvent se faire leur propre idée. L’image de la Pologne a changé”, se réjouit Marek Golkowski, consul général de Pologne à Kaliningrad.

Durant des décennies, l’ancien nom de Kaliningrad – Königsberg – a été banni. La ville a subi un sort tragique. D’abord bombardée par les Britanniques en août 1944, elle fut ensuite détruite par les Soviétiques. L’ancien gouverneur de la région, Gueorgui Boos, a ordonné que les vieux arbres soient abattus – dernière bataille contre les soldats de la Wehrmacht, a-t-il dit. On a éliminé les traces de l’ancienne vie, les fresques et les sculptures. En 1965, les autori-tés communistes ont ordonné la démolition du château. A la place, on a bâti un “palais des soviets”, demeuré vide à cause des défauts de construction. Aujourd’hui, on pense la ville autrement. De nou-velles habitations évoquent l’his-toire par leur style et sont très diff érentes des cités-dortoirs de l’ère Khrouchtchev. Et il y aura peut-être à nouveau des navettes dans les canaux. Les gens visitent à nouveau les musées, les monu-ments historiques, et même les cimetières. Les habitants de l’en-clave commencent à s’intéres-ser à l’histoire de la ville et de la Prusse-Orientale, soigneusement occultée depuis la fi n de la guerre.

—Jagienka WilczakPublié 24 septembre 2013

leurs week-ends à Gdansk, Elblag, Olsztyn ou Elk. A Sopot, ils sont de très bons clients de la marina, dont on dit qu’elle a été surtout construite pour eux. Parmi les bateaux qui accostent ici, les russes sont les plus impo-sants. Au Grand Hôtel de Sopot, les Russes sont connus pour dépen-ser sans compter. Pourquoi pré-fèrent-ils nos plages ? Après tout, ici ou chez eux, c’est la même mer Baltique ! Peut-être parce que les leurs sont la plupart du temps fer-mées au public. L’enclave continue à subir le diktat des militaires. Une bonne partie de la côte est toujours dangereuse, le déminage complet n’ayant toujours pas été eff ectué depuis la fi n de la Seconde Guerre mondiale. Iantarny, la ville la plus touristique de l’enclave, elle aussi se trouve dans une zone qui n’est accessible que partiellement, à cause des mines d’ambre – les plus importantes de la Baltique –, d’où provient 90 % de la pro-duction mondiale.

Königsberg. Bruxelles et Moscou ont fait plusieurs tentatives pour faciliter la vie des habitants de Kaliningrad. L’idée du trafi c trans-frontalier a suscité des oppositions, de la part de Vladimir Poutine en particulier, qui refusait de privi-légier une région de la Fédération russe. Moscou craignait un des-serrement des liens avec l’enclave, qui, de par sa situation géogra-phique et l’éloignement de la capi-tale fédérale, risquait de se tourner vers l’Europe. Finalement, les accords ont ouvert une nouvelle

GRÈCE

Lakis Lazopoulos, Aristophane moderneIssu de la télévision, ce satiriste fait salle comble sur les planches avec un spectacle féroce contre les responsables de la crise.

17 ←

↙ Lakis Lazopoulos. Photo DR

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—Al-Mustaqbal (extraits) Beyrouth

C ’est comme si l’année 2005 n’était pas encore écoulée. Neuf ans après, ce qui s’est

passé le 14 février 2005 [date de l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri] revient en force dans l’actualité quotidienne libanaise. Le souve-nir reste intact tant l’événement enferme l’Histoire et peut ouvrir la voie à un avenir diff érent.

Ce 16 janvier [le procès des assas-sins présumés de Rafi c Hariri s’est ouvert à Leidschendam, près de La Haye, dans le cadre du Tribunal spécial pour le Liban], pour la première fois dans l’histoire du Moyen-Orient, le récit a commencé à se dérouler. Il raconte des mil-liers de voitures piégées et d’at-tentats, d’innombrables victimes

ainsi que d’innombrables crimi-nels, des drames, du sang et des larmes tout aussi innombrables. Les crimes, les lâchetés, les mas-sacres, les horreurs, la destruc-tion, la mort quotidienne de pays et de peuples condamnés à l’en-fer, à la misère et au désespoir. Au Moyen-Orient, les actes de sauva-gerie et de terreur devaient rester non élucidés, impunis, attribués à l’inconnu, à la métaphysique, au destin sans visage.

Intransigeance. Le silence et la justifi cation des crimes ont façonné l’histoire de l’Orient arabe, empê-tré dans une violence inextricable devenue seule politique possible et unique vérité. La structure du mal qui domine le Moyen-Orient, celle de l’“intransigeance” [l’axe Iran-Syrie-Hezbollah se présen-tant comme intransigeant face à

toute normalisation avec Israël], engluée dans l’idéologie du sang et de la mort, est fondée sur le secret métaphysique, considérant que seuls l’oubli et le silence s’imposent. Les gens doivent se taire et se sou-mettre aux fantômes. Ils doivent se convaincre que le mal qui les touche est le modeste prix à payer pour les victoires “divines” [contre Israël]. Cette “intransigeance” ne se contente pas de confi squer la vie, d’interdire le débat politique et de dissimuler la vérité. Elle s’emploie à étouff er durablement les souffl es et à tuer délibérément les esprits en érigeant l’imposture en réalité incontestable.

Car le parti de l’“intransigeance” est fondé sur la conviction que la justice est sélective et impossible dans notre monde et que seuls le mal et la violence permanente per-mettent de réaliser les ambitions

et de satisfaire les revendications. Il s’agit d’une croyance suprare-ligieuse qui rejette les réalités du monde. Une rancœur nourrie par l’hostilité envers un univers injuste dont il faut se venger en le détrui-sant. Et le crime devient une fi n en soi, un mode de vie et la seule façon d’imposer son pouvoir. La seule réponse possible face à la “corruption” de ce bas monde.

Le crime est dans ce sens le moyen de tout purifi er. La violence et la tuerie deviennent une néces-sité révolutionnaire, un devoir moral et religieux, un passage obligé vers la délivrance. C’est une sanction juste, appliquée sur ordre divin contre les villes, les pays et les peuples pour se venger de la faiblesse humaine. Les intran-sigeants se considèrent comme les bourreaux de Dieu, exécutant sa volonté. Ils seraient les plus “hono-rables” des hommes, à l’abri de l’erreur ou du jugement puisqu’ils sont dévoués à la pureté pour nous débarrasser de l’impureté et des méfaits de l’humanité.

Conspirateurs. Ainsi, l’intran-sigeance s’arroge le droit de net-toyer le Liban des “corrompus”, des opposants, des mous, des voyous, des imposteurs, des traîtres, des agents, des impurs, des hésitants et même des neutres. Autrement dit, tous ceux qui ne sont pas des siens. Selon ce même droit, il faut purifi er Damas de tous les traîtres et les oppo-sants par les armes chimiques. Transformer l’Irak en fosse com-mune à coups de voitures et de camions piégés pour le purifi er de la corruption de la démocratie occidentale. La mort pour tous, au moyen d’attentats et d’assas-sinats dans les rues, les bureaux, les commerces… Une mort fou-droyante et visible par tous.

Le 16 janvier s’est produit un évé-nement dont on n’évaluera l’impor-tance que dans plusieurs années, quand le récit de l’épopée noire se terminera avec le dernier cha-pitre décrivant dans les détails les plus “ennuyeux” (selon les termes du quotidien Al-Akhbar) [le quoti-dien libanais proche du Hezbollah] l’un des assassinats les plus mar-quants de l’histoire arabe. On saura pour la première fois le nom des tueurs, on verra leurs photos, on apprendra comment ils ont pla-nifi é et accompli leur œuvre, qui sont leurs complices et leurs com-manditaires. On découvrira des visages et on entendra les paroles des conspirateurs. On constatera

une structure colossale compo-sée de centaines de personnes qui règne sur plus d’un pays du Moyen-Orient par la tyrannie, provoquant des guerres et des confl its et uti-lisant des bandes de terroristes chargés de faire exploser les villes.

Depuis neuf ans, le parti de l’“in-transigeance” s’est constamment employé à eff acer des mémoires la date du 14 février 2005. Il a cher-ché, après chaque assassinat qui a suivi celui de Rafi c Hariri [on compte une dizaine d’assassinats politiques et de nombreux atten-tats contre des personnalités], à faire oublier le passé en don-nant une leçon à quiconque veut se souvenir.

Le cauchemar pour les tueurs, c’est que ce 14 février n’est ni passé ni dépassé. Quel que soit son ver-dict fi nal, le tribunal international qui vient de commencer ses tra-vaux marque une rupture avec l’ou-bli. C’est l’annonce de la vérité nue avec la révélation des faits. Une pro-clamation que la justice humaine est possible dans cette région du monde. Et qu’au Moyen-Orient la vie demeure possible.

—Youssef BazziPublié le 19 janvier

moyen-orient

GratitudeLe souvenir de Chirac●●● Dans L’Orient-Le Jour, le billettiste libanais Ziyad Makhoul rend hommage à l’ancien président français Jacques Chirac pour son rôle dans l’établissement du tribunal spécial pour le Liban : “Aujourd’hui, en regardant ce qui se dit et ce qui se fait à Leidschendam, cet homme sourit. Satisfait. Cet homme, profondément amoureux du Liban tel qu’il devrait toujours être, pont entre deux rives, sanctuarisé et pluriel, s’appelle Jacques Chirac. Le Libanais Fadi Nahas a remercié l’ancien locataire de l’Elysée et rappelé ses faits d’armes au cours du conseil d’administration du 3 décembre 2013 de la Fondation Chirac. Il ne le savait sans doute pas, mais il le faisait au nom de l’immense majorité de ses compatriotes.”

Liban. La justice ou la mortHommage au Tribunal spécial pour le Liban de La Haye, où vient de s’ouvrir le procès des meurtriers de l’ancien Premier ministre libanais Rafi c Hariri.

↙ Dessin d’Haddad paru dans Al-Hayat, Londres.

MOYEN-ORIENT.Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 19

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Guerre mondiale est en train de s’eff ondrer”, poursuit Gerges. Alors que le confl it en Syrie entre dans sa troisième année, de nouvelles frontières non offi cielles émer-gent dans toute la région. Dans les zones désertiques situées entre l’Euphrate et le Tigre – autrement dit la Mésopotamie de l’Antiquité –, l’Etat islamique [sunnite] étend son infl uence de plus en plus loin en Irak et en Syrie, et le drapeau d’Al-Qaida fl otte des deux côtés de la frontière. La volonté de restaurer le califat sunnite attire des volontaires de toute la région.

Etat-nation. Dans le nord-est de la Syrie, certaines communautés kurdes ont déclaré leur autonomie et brandissent le drapeau kurde, nourrissant les espoirs d’indépen-dance de tout un peuple qui avait été frus-tré par la nouvelle donne de l’après-guerre. Soutenus par l’arrivée de volontaires chiites d’Irak et du Liban, les fi dèles de Bachar El-Assad renforcent leur contrôle sur une portion du territoire allant de Damas jusqu’à la côte, où vit l’essentiel de la minorité alaouite, fi dèle au pouvoir chiite. Là fl otte encore le drapeau à deux étoiles du régime baasiste, vieux de quarante ans.

Partout les massacres et les persécu-tions de populations ayant le malheur de ne pas être du bon côté de la frontière nient la diversité qui a toujours caractérisé la Syrie. Les chrétiens et les alaouites fuient les zones contrôlées par les rebelles, tandis que les sunnites, plus proches des insurgés, tentent de sortir des territoires aux mains des troupes gouvernementales. Ils se réfu-gient au Liban, en Turquie, en Jordanie et en Irak, sans trop savoir s’ils pourront bien-tôt rentrer chez eux.

Et derrière chaque territoire on devine l’infl uence de puissances étrangères qui fournissent armes et argent à leurs protégés pour mieux servir leurs intérêts. L’Arabie Saoudite, le Qatar et d’autres Etats du Golfe soutiennent les rebelles islamistes, alors que l’Iran et la Russie appuient les forces du régime. Cette situation n’est pas sans rap-peler la rivalité entre grandes puissances qui a façonné la région il y a près d’un siècle.

A l’exception des Kurdes, qui réclament depuis longtemps leur propre Etat, rares sont toutefois ceux qui se disent favorables à une nouvelle partition, laquelle paraît pourtant inévitable dans ce contexte de fragmentation.

Certes leurs dirigeants n’ont pas réussi à transformer ces Etats-nations en entités viables, mais la plupart des gens adhèrent à l’identité des pays dans lesquels ils vivent, souligne Malek Abdeh, un écrivain proche de l’opposition syrienne installé à Londres.

“C’est l’incapacité des élites politiques à pro-poser une vision transcendant les diff érences qui nourrit le sectarisme, conclut-il. Le concept d’Etat-nation reste puissamment ancré dans les esprits, même si la réalité ne correspond pas aux idéaux dominants.”

—Liz SlyPublié le 27 décembre 2013

—The Washington Post (extraits) Washington

Avec une moitié située en Syrie et l’autre au Liban, la ferme de Mohammed Al-Jamal à Al-Qasr

est source de nombreux mystères et d’in-convénients. Le terrain était dans sa famille bien avant que les Européens ne tracent les frontières du Moyen-Orient d’aujourd’hui. Jamal n’a jamais vraiment tenu compte de cette ligne invisible qui serpente à quelques mètres de sa maison. La guerre civile non plus. Certains de ses proches ont été enlevés, des voisins se sont portés volontaires pour aller au combat [en Syrie] et des obus ont atterri sur sa propriété. Autant de preuves de l’insignifi ance de cette frontière.

“Pour moi, tout ça c’est à cause de l’accord Sykes-Picot”, explique-t-il en référence au pacte secret conclu en 1916 entre les Français et les Britanniques pour le partage de l’Em-pire ottoman. Il en est résulté la création d’Etats-nations qui n’avaient jamais existé et méconnaissaient tous les liens familiaux et communautaires antérieurs. Une grande part de l’actuelle instabilité de la région trouve ses racines dans cette époque.

Presque un siècle après leur établisse-ment, la viabilité de ses frontières – et des Etats qu’elles forment – est mise à l’épreuve comme jamais. La guerre en Syrie déborde en Irak, au Liban, en Turquie, en Jordanie et en Israël, autant de pays et de popula-tions qui ont vécu ensemble pendant des siècles et dont l’histoire, les croyances et le mode de vie transcendent les frontières qui les ont vus naître.

Les sunnites de toute la région convergent vers la Syrie pour se battre aux côtés des rebelles, bon nombre d’entre eux animés par des idéaux extrémistes de restauration du pouvoir sunnite. Leurs compatriotes chiites font de même, mais pour défendre le régime du président Bachar El-Assad, renforçant ainsi la dimension sectaire d’un confl it qui dépasse désormais la Syrie.

“Aujourd’hui, il n’y a plus de frontière de l’Iran au Liban, affi rme Walid Joumblatt, chef de la minorité druze du Liban. Offi ciellement elles sont toujours là, mais exis-teront-elles encore dans quelques années ? Si le morcellement se poursuit, c’est tout le Moyen-Orient qui va se désagréger.” Personne ne croit sérieusement que la guerre conduira à une modifi cation formelle du tracé des frontières. Mais l’heure est aussi grave qu’au lendemain de la Première Guerre mondiale, explique Fawaz Gerges, de la London School of Economics.

Le désordre en Syrie a déjà commencé à brouiller les cartes, faisant émerger de nou-velles frontières plus fi dèles à la réalité du terrain. Quatre drapeaux fl ottent désormais sur le territoire syrien, chacun représentant un courant, une identité ou une allégeance révélés par la guerre. Et une vision possible de l’avenir du pays. “Il est très diffi cile de pré-dire ce qui va se passer. Le système d’Etats mis en place au Moyen-Orient après la Première

MONDE ARABE

Les frontières brouilléesLa guerre en Syrie accentue le regroupement communautaire au Moyen-Orient au détriment des frontières tracées en 1916.

↙ Dessin de Schot, Pays-Bas.

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MOYEN-ORIENT.Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 21

mégaphones avaient envahi les rues pour appeler les gens à voter oui et pour amener les électeurs aux bureaux de vote.

Le rapport critique également la mobi-lisation des hommes de religion – musul-mans et chrétiens – dans ce même but : “Aussi bien les mosquées que les églises ont été utilisées pour inciter les gens à voter oui. Dans le même temps, des hommes de religion affiliés aux Frères musulmans ont émis des avis religieux [fatwas] pour déclarer illicite la participation au scrutin.” Et de s’inquiéter des répercussions pour la cohésion natio-nale de la multiplication de campagnes de dénigrement et de haine échangées dans les médias entre les deux camps.

—Sabri AbdelhafizParu le 17 janvier

Israa Mahmoud souligne également ce qui est arrivé à la jeune activiste Israa Abdel Fattah. Elle a été frappée par des gros bras du régime policier et accusée d’être une traîtresse à la solde de l’étranger. Selon Israa Mahmoud, cela montre que l’ancien régime de Hosni Moubarak est de retour. Et de conclure que les jeunes n’ont d’autre choix que de persister dans la voie de la révolution, quelles que soient les accusa-tions auxquelles cela les expose.

L’Association égyptienne pour le déve-loppement démocratique critique par ail-leurs le détournement des moyens de l’Etat : “Les préfets, les hauts fonctionnaires locaux et certains ministres ont mobilisé les électeurs pour qu’ils votent oui.” De même, des véhi-cules de l’administration publique munis de

ÉGYPTE

Les jeunes boudent le référendumLa nouvelle Constitution a été approuvée par 98,1 % des votants, mais avec seulement 38,6 % de participation. Les jeunes militants, qui avaient renversé l’ancien régime, se sont abstenus.

—Elaph (extraits) Londres

Des ONG telles que l’Association égyptienne pour le développe-ment démocratique constatent

que le référendum constitutionnel a été boudé par les jeunes Egyptiens. Dans son rapport final sur le référendum, l’as-sociation note : “Les personnes âgées ont fortement participé, contrairement aux jeunes, qui sont pourtant les grands acteurs de la scène égyptienne depuis trois ans.” L’association explique que certains de ces jeunes ont appelé au boycott du scru-tin comme un effet miroir de la mobili-sation massive des médias en faveur du oui [à la Constitution], qui a pu donner l’impression qu’on avait voulu imposer leur choix aux électeurs et qu’on avait décidé du résultat à l’avance.

En revanche, les femmes d’âge adulte ont massivement répondu présentes. “Contrairement à toutes les expériences électorales du passé, les femmes ont été en première ligne cette fois-ci”, note l’asso-ciation. Ou, comme le dit une électrice : “[Le général] Al-Sissi a dit : ‘Allez-y !’ et nous y sommes allées, nous, nos fils et nos hommes.” Et d’ajouter : “S’il veut autre chose, qu’il nous le demande et il sera entendu.” Georges Ishaq [le cofondateur de Kefaya, le mouvement d’opposition à Moubarak] note également la faible participation des

jeunes : “Elle n’a pas été à la hauteur du fait que ce sont eux qui ont lancé et mené les deux révolutions du 25 janvier 2011 [contre Moubarak] et du 30 juin 2013 [contre les isla-mistes]. Cela s’explique par leur sentiment de frustration face à l’Etat, d’autant plus qu’ils font l’objet de campagnes de dénigrement. On les accuse d’être des traîtres à la solde de l’étranger. Qui plus est, on [les partisans de l’ancien régime de Moubarak] cherche à dépeindre la révolution du 25 janvier 2011 comme le résultat d’un complot étranger.”

Les deux révolutions. Même son de cloche chez un membre de la commission qui a rédigé la nouvelle Constitution, le réalisateur Khaled Youssef : “Ce désengage-ment des jeunes est porteur de conséquences catastrophiques. Car, après la phase de frus-tration, ce sera l’explosion.”

Selon Israa Mahmoud, membre de la Coalition des jeunes de la révolution (dis-soute), les jeunes ont l’impression qu’on leur a volé les deux révolutions. “Celle du 25 janvier 2011 leur a été volée par les Frères musulmans et celle du 30 juin 2011 par les militaires et les adeptes du régime de Hosni Moubarak. De nombreuses organisations de jeunes ont appelé au boycott du référendum. Cet appel a été largement suivi. Les camé-ras de télévision n’ont réussi à filmer aucun des jeunes de la révolution devant ou dans un bureau de vote.”

Revue de presse

Pourquoi les médias occidentaux nous détestent-ils tant ?●●● Les débats sur la Constitution ont donné l’occasion aux médias égyptiens défendant l’armée de stigmatiser l’Occident et ses médias :“C’est un mariage contre-nature entre les Frères musulmans et les médias occidentaux, sous tutelle turco-quatarie”, écrit le journal privé égyptien Al-Youm7, qui parle d’un “nouveau déshonneur professionnel pour les médias américains et britanniques”. “La plupart des journaux et agences de presse occidentaux sont devenus les promoteurs des mensonges des Frères musulmans. Le sommet a été atteint quand ces médias – et plus particulièrement The Guardian et The Washington Post – se sont mis à diffuser une version falsifiée du projet constitutionnel et à propager les mensonges inspirés par les Frères musulmans.”“Il en va de l’agence de presse Reuters comme des autres médias occidentaux et américains”, surenchérit Al-Tahrir, autre journal privé égyptien, né dans la mouvance de la révolution. “Ils mènent une guerre agressive contre l’armée égyptienne. Toutes les prétentions de neutralité et de professionnalisme sont à jeter à la poubelle compte tenu des centaines d’articles empoisonnés par la haine qu’on trouve dans ces médias, qui obéissent aux intérêts de leur pays.” Selon l’éditorialiste vedette du journal, “Reuters n’est pas différente de la chaîne sioniste de langue arabe située au Qatar”, autrement dit Al-Jazira. “Pour Reuters, il n’y a plus de doute que le général Abdelfattah Al-Sissi sera le prochain président de l’Egypte, ce qui

ramènera l’Egypte en arrière.”“Voilà donc le tour de passe-passe de Reuters : [l’ex-président islamiste] Morsi a gagné des élections entachées de soupçons et à quelques voix près, mais cela a été un progrès. En revanche, si Sissi, fils de l’armée, gagnait des élections avec une vraie et écrasante popularité, ce serait une régression. Les médias occidentaux ont tombé le masque.”Al-Masri Al-Youm fait quant à lui un parallèle entre les Frères musulmans et… Dieudonné : “L’Occident fait une nouvelle fois preuve de deux poids, deux mesures, comme dans le passé colonial. Eux auraient le droit de s’opposer à un spectacle comique, alors que nous n’aurions pas le droit de nous opposer aux terroristes.” Car “le Conseil d’Etat français a estimé que le geste imitant le salut nazi – dit ‘quenelle’– était antisémite, porteur de haine, contraire aux principes de la république et constituait une menace pour la paix civile. Cela paraît pourtant risible comparé au message de haine que colporte l’organisation terroriste des Frères musulmans.” Dans le collimateur de l’éditorialiste : le salut à quatre doigts faisant référence à la place Rabiya Al-Adawiya, rabiya signifiant “quatre” en arabe. C’est sur cette place que les Frères musulmans avaient campé en août pour protester contre la destitution du président Morsi par l’armée. Ces quatre doigts sont devenus depuis le signe de soutien aux Frères musulmans. “Ce signe constitue lui aussi une menace pour la paix civile, d’autant qu’il n’est pas le fait d’un humoriste, mais d’éléments terroristes armés.” Et de conclure : “Pourtant, les Frères musulmans jouissent de la part de la France et des autres pays occidentaux d’un total soutien.”

↙ “Ceux qui sont pour la nouvelle Constitution… On lève les mains !!!” Dessin de Chappatte paru dans

l’International New York Times, Etats-Unis.

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22. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

FOCUS

L’état d’urgence a été décrété dans le pays pour soixante jours. Une décision prise au terme de trois mois de crise, alors que les élections étaient prévues le 2 février.

Les partis politiques traditionnels n’ont pas su s’adapter face aux changements de la société thaïlandaise. Aujourd’hui, des réformes sont nécessaires. Mais sortir de la crise sera douloureux.

asie

Thaïlande. L’éveil démocratique menacé

—Bangkok Post Bangkok

Comment en sommes-nous arrivés à la situation politique actuelle ? Pour répondre à cette question, il

faut prendre en considération les chan-gements radicaux survenus dans notre société au cours des dernières décennies. Tout d’abord, le revenu du pays par habi-tant a triplé, autrement dit les Thaïlandais sont aujourd’hui trois fois plus riches que leurs parents. Leurs ambitions ont donc changé. De même que leurs attentes vis-à-vis du gouvernement et leur point de vue sur les normes sociales. Aujourd’hui, ils aspirent à l’égalité et à prendre part aux décisions politiques.

Au cours des vingt dernières années, les différentes élections auxquelles la décentralisation a donné le jour ont permis aux citoyens, en particulier dans les provinces, d’accéder au processus de décision. Ils ont découvert à quel point le système “un citoyen, un vote” pouvait améliorer leurs conditions de vie et apporter de l’argent à leurs communes. Bref, leur conférer un réel pouvoir.

Les habitants des provinces, qui représentent la majorité de la population, sont des contribuables comme les autres et,

à ce titre, ils apportent leur contribution au budget annuel. S’ils reçoivent aujourd’hui une plus grosse part du gâteau, c’est grâce à l’évolution du régime politique – de dictature militaire, la Thaïlande est devenue une démocratie parlementaire et une monarchie constitutionnelle –, qui accorde le droit de vote à tous les citoyens sur une base égalitaire.

Surenchère populiste. Certains citadins disent que le système “un citoyen, un vote” n’est pas adapté au royaume, mais en réalité il a commencé à porter ses fruits pour la majorité des habitants. Certains citadins disent qu’ils méritent plus de pouvoir que les paysans car ils paient des impôts, mais les paysans paient eux aussi des impôts et ont donc voix au chapitre. Certains citadins disent que les paysans sont ignorants. Dans les faits, ils ont beaucoup appris grâce à leur niveau d’éducation plus poussé, à leur expérience et aux réseaux sociaux. Ils font partie de la communauté mondiale, bien au fait de valeurs universelles comme les droits de l’homme, la démocratie et le devoir des dirigeants de servir le peuple, et non eux-mêmes.

Les partis politiques ont été pris de vitesse par ces changements sociaux. Aujourd’hui

Nouvelle impasse●●● “La démocratie se trouve dans une situation précaire. La crise actuelle pourrait dégénérer”, écrivait l’éditorialiste du quotidien The Nation le 21 janvier, quelques heures avant l’imposition par le gouvernement intérimaire de l’état d’urgence. “Un groupe malintentionné accumule des armes et des bombes pour attiser la violence et attaquer ses rivaux”, indiquait le porte-parole de l’armée, cité dans le Bangkok Post. Annoncé pour une durée de soixante jours à Bangkok et dans quatre provinces

limitrophes, l’état d’urgence va permettre de “prendre la situation en charge” et de “faire respecter la loi”, a annoncé le vice- Premier ministre Surapong Tovichakchaikul. Il a justifié cette décision par l’accumulation des attaques contre les manifestants de l’opération “Fermer Bangkok”, lancée le 13 janvier par les opposants au gouvernement, qui ont fait 1 mort et 68 blessés. Depuis octobre, les manifestants ont acculé le gouvernement du Premier ministre Yingluck Shinawatra à la démission et ils refusent aujourd’hui

les élections prévues le 2 février tout en voulant paralyser le travail de l’administration. L’état d’urgence donne notamment au gouvernement le pouvoir de censurer les médias, d’interdire les rassemblements publics et de placer des personnes en détention. En 2010, Bangkok avait déjà connu l’état d’exception. Il avait été décrété par Suthep Thaugsuban, alors vice-Premier ministre, aujourd’hui leader des manifestants contre le gouvernement de Yingluck. Plus de 90 personnes étaient mortes dans les violences qui avaient suivi.

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ASIE.Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 23

↓ L’effigie du Premier ministre Yingluck Shinawatra est conspuée par les manifestants. Ils lui reprochent de n’être qu’une marionnette dans les mains de son frère, l’ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra. Photo John Minchillo/SIPA

encore, leurs programmes et leur conduite des affaires montrent qu’ils n’adhèrent pas à ces valeurs démocratiques. Ils agissent souvent comme des groupes d’intérêt qui veulent exercer le pouvoir à leur profit. De tels partis ont été la norme jusqu’en 2001. En cherchant à répondre aux besoins des citoyens ordinaires, le Thai Rak Thai [parti de Thaksin Shinawatra] a été le premier à proposer un programme électoral qui trouve un écho auprès du peuple. En 2005, il a également été le premier à se faire réélire grâce à la mise en place de politiques comme le système de couverture santé universelle qui, en exemptant les plus défavorisés de payer 30 bahts par consultation, ont réellement servi les intérêts du peuple.

Malheureusement, le Thai Rak Thai a manqué de vision à long terme. Il ne s’est pas suffisamment préoccupé de savoir où il allait trouver les fonds nécessaires pour financer toutes ces politiques. Et il n’a rien fait pour dissiper les inquiétudes des experts quant à l’impact qu’elles auraient sur la dette publique.

Le parti n’a pas pris de mesures pour réformer les systèmes fiscal et budgétaire. Il a préféré recourir à des techniques financières pour se procurer des fonds. Il

a contraint les banques d’Etat à soutenir les mesures du gouvernement, lancé des émissions d’obligations et monnayé des biens publics. Durant son premier mandat, le coût de ses politiques n’a pas été très élevé et l’impact sur la dette publique est resté modéré. Mais, quand d’autres partis ont commencé à proposer des mesures similaires dans leurs programmes électoraux, le Thai Rak Thai – comme ses successeurs – a fait de la surenchère. Une attitude qui a fini par inquiéter le monde des affaires et la classe moyenne.

Poudre aux yeux. Le Parti démocrate, la plus vieille formation politique du pays, a réagi trop lentement à ces changements radicaux et cela lui a valu plusieurs défaites électorales. Or, quand un parti accumule les défaites, il finit par ne plus croire en ses chances et par se chercher des excuses. Les démocrates ont préféré imputer leurs défaites à des achats de voix plutôt qu’à leur propre incapacité à mettre en place des politiques novatrices et attractives.

La décision des démocrates de boycotter les législatives du 2 février prochain m’a laissé perplexe. Comment, dans un régime démocratique, un parti peut-il ne pas vouloir se présenter à une élection ? Peut-être les démocrates ne croient-ils pas réellement au processus démocratique. Les dirigeants du parti savent négocier avec les puissants tels que les militaires, les patrons et les hauts fonctionnaires. Ils s’attachent à développer des liens avec des groupes qui comptent plutôt qu’à gagner le soutien des populations en dehors de Bangkok et du sud du pays, leurs principaux bastions.

Je crains que le boycott du Parti démocrate ne le rende encore moins populaire, encore moins susceptible de remporter des élections et encore plus sceptique vis-à-vis de la démocratie. Les dirigeants du parti parlent aujourd’hui de réformer tout le système politique. Je souscris à ce projet. Beaucoup de secteurs ont besoin d’être réformés, en particulier le système judiciaire, l’appareil de lutte contre la corruption, la fiscalité, l’établissement du budget et les partis eux-mêmes. La question est de savoir comment.

Tous les grands changements intervenus récemment dans notre système politique – la

Constitution de 1997, la décentralisation, les mesures de lutte contre la corruption, la réorganisation de la fonction publique – ont été mis en place par un gouvernement élu, et non pendant une suspension du Parlement engendrée par un coup d’Etat. En quoi la situation actuelle serait-elle différente ? Quand la démocratie est suspendue, de puissants intérêts minoritaires ont le champ libre et tendent à instituer des “réformes” servant leurs propres intérêts.

A cet égard, j’ai été déçue par le gouvernement du Pheu Thai [parti du Premier ministre Yingluck Shinawatra, aujourd’hui au pouvoir]. La plupart de ses mesures ne sont que de la poudre aux yeux. Ce gouvernement a refusé d’écouter

les critiques légitimes émises à l’encontre de son programme trop ambitieux de soutien du cours du riz [en place depuis octobre 2011, ce programme assure aux pro ducteurs un

achat de la céréale à 50 % au-dessus du cours et a coûté à la Thaïlande 15 millions d’euros]. Il a trahi la confiance de l’opinion publique avec sa loi d’amnistie. Il n’a rien fait pour réformer les systèmes fiscal et budgétaire. Je comprends le mécontentement des manifestants.

Besoin de réformes. Mais je ne vois pas comment le mouvement de contestation compte parvenir à une réforme. Son but est de générer une crise qui vienne à bout du gouvernement de Yingluck Shinawatra et du “système Thaksin”. Mais par quoi les remplacer ? Aucune réforme ne pourra effacer les changements importants survenus dans la sensibilisation politique et les aspirations du peuple thaïlandais. Tant qu’un parti répondra aux attentes de la population (avec ou sans le clan Shinawatra) et qu’un autre n’a pas encore appris à le faire, les résultats électoraux resteront sensiblement les mêmes et le mécontentement de la classe moyenne durera.

La solution consisterait à manipuler le système de manière à étouffer ces attentes. Mais quiconque a suivi la situation en Thaïlande au cours de ces dernières années devrait savoir que le peuple n’est pas partisan d’une telle issue. La contestation est le plus sûr moyen de générer des troubles à long terme.

Heureusement, on décèle de nombreux signes d’espoir. L’acceptation du besoin de réforme est aujourd’hui très répandue.

Mais l’élaboration et la mise en place d’une réforme prendront du temps. Suspendre le processus démocratique pendant cet intervalle est une très mauvaise idée. Mieux vaudrait maintenir le système parlementaire en place et se servir de l’extraordinaire énergie déployée lors des dernières manifestations pour garantir la réforme.

—Pasuk PhongpaichitPublié le 14 janvier

2001 — Victoire spectaculaire du Thai Rak Thai aux

élections législatives, un parti créé trois ans plus tôt

par Thaksin Shinawatra, l’homme d’affaires le plus

riche du royaume. Ce dernier est élu Premier ministre.2006 — Manifestations contre Thaksin, accusé de corruption. En septembre, il est renversé par l’armée. Le roi Bhumibol Adulyadej soutient les militaires.2007 — Proche de Thaksin, le Parti du pouvoir du peuple remporte les premières élections après le coup d’Etat.

2008 — Les “chemises jaunes”, anti-Thaksin, redescendent dans la rue. Dissolution du parti pro-Thaksin et accession

du président du Parti démocrate, Abhisit Vejjajiva

(ci-dessus), à la tête du gouvernement. 2010 — En mai, les manifestations pro-Thaksin sont réprimées, faisant 91 morts.2011 — Le Pheu Thai, pro-Thaksin, remporte les élections et Yingluck Shinawatra, la sœur de Thaksin, est nommée Premier ministre. On l’accuse de n’être qu’une marionnette dans les mains de son frère.

2012 — Décembre : 85e anniversaire du très vénéré roi Bhumibol Adulyadej (ci-contre), sur le trône depuis 1946.

Depuis 2006, une multiplication

des condamnations pour crime de lèse-majesté a terni l’image de la famille royale et de son entourage, paralysant toute discussion sur la succession.

2013 — Octobre : Suthep Thaugsuban, ancien vice-Premier ministre, démissionne du Parti démocrate et lance

un mouvement contre le gouvernement,

dénonçant la corruption du système Thaksin. Le Premier ministre annonce la dissolution du Parlement et la tenue d’élections le 2 février 2014. Le Parti démocrate indique qu’il boycottera le scrutin.2014 — 13 janvier : début de l’opération “Fermer Bangkok” menée par le mouvement populaire de Suthep, qui ne veut pas que les élections se tiennent. Le commandant en chef de l’armée, Prayuth Chan-ocha, indique que l’armée n’interviendra pas pour résoudre la crise.

Le Thai Rak Thai a trahi la confiance de l’opinion publique avec sa loi sur l’amnistie

Il a contraint les banques d’Etat à soutenir les mesures du gouvernement

ANALYSE

Chronologie

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ASIE FOCUS THAïLANDE.24. Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

Vu d’ailleursVendredi à 23 h 10, samedi à 11 h 10 et dimanche à 14 h 10, 17 h 10 et 21 h 10.

L’actualité française vuede l’étranger chaque semaine avec

présenté par Christophe Moulin avec Eric Chol

nouvel an, qui est traditionnellement une période de forte consommation.

Kittisak Srichan, propriétaire de Khrua Khun Nit, l’un des plus célèbres restaurants d’Udon Thani, a retiré la bière et l’eau en bouteille Singha de la salle le mois der-nier. “Je ne souhaitais pas énerver les clients.” Facebook est envahi par des photos de bouteilles de Singha et de Leo qu’on verse sur des pieds, ce qui est un geste extrê-mement méprisant en Thaïlande.

D’après Mme Chitpas et les autres chefs de fi le des manifestants, la démocratie thaïlandaise a été détournée par le parti au pouvoir, en particulier par la puis-sante famille Shinawatra, qui domine la vie politique depuis plus de dix ans. La décision prise par Mme Yingluck de convoquer de nouvelles élections après le début des manifestations ne les satis-fait pas, d’autant que le parti au pouvoir est pratiquement assuré de l’emporter, selon les analystes.

Changer de nom. Les manifestants souhaitent s’écarter de la démocratie et la remplacer par un “conseil du peuple” composé de personnes issues de diverses professions. Ils souhaitent ardemment le retour à la monarchie absolue, parce que la Thaïlande ne serait pas prête pour la démo-cratie. Ces dernières semaines, ils se sont

faits plus agressifs et ont tenté de saboter le processus d’établissement des listes électorales Chutinant Bhirombhakdi, le père de Mme Chitpas, a annoncé que sa femme, Mme Chitpas et lui change-raient de nom de famille pour instaurer

une distance entre les activités politiques et l’entreprise familiale. Mme Chitpas utilise désormais le nom de

jeune fi lle de sa mère, Kridakorn.Ce change-ment de nom n’a pas diminué la colère de Charuwan Thanom,

53 ans, une commerçante du Nord-Est. “Il n’y a rien qu’elle puisse faire pour res-taurer son image, maintenant”, déclare-t-elle. Elle s’est assurée qu’il n’y avait pas de Leo quand sa famille élargie a fêté le nouvel an. “Ça faisait des années qu’on buvait cette bière, ajoute-t-elle. Le goût n’a pas changé, mais mes sentiments, si.”

—Thomas FullerPublié le 10 janvier

– auquel appartient Yingluck Shinawatra, Première ministre et sœur de M. Thaksin –, que les manifestants sont si déterminés à chasser.

Pour les gens du Nord-Est, Mme Chitpas est le symbole de la classe supérieure de Bangkok qui s’accroche à ses vestiges de pouvoir féodal et juge les électeurs ruraux incapables de faire le bon choix dans l’isoloir.

“Elle est riche et elle vit dans des cercles de riches, elle ne sait rien de la vie rurale”, déclare Patsadaporn Chantabutr, 45 ans. Cet ins-tituteur, qui travaille dans une école élé-mentaire près d’Udon Thani, suit de près les manifestations, comme beaucoup de gens ici. “Nous refusons d’être considérés comme des ploucs.”

Alors que le boycott se répandait dans le Nord-Est, essentiellement grâce aux médias sociaux et au bouche-à-oreille, Mme Chitpas a écrit sur sa page Facebook qu’elle se battait pour le pays et n’avait pas l’intention d’“em-piéter” sur les droits de qui que ce soit. Elle n’a pas démenti les propos qui lui étaient attribués, mais a ajouté : “J’aimerais vous informer que je n’éprouve aucun mépris pour les gens des zones rurales.” Nos demandes d’explication sont restées sans réponse.Pour Kwanchai Praipana, qui dirige un groupe de “chemises rouges”, les partisans du gouverne-ment, le boy-cott de la bière a pour objec-tif d’envoyer un message aux entreprises proches des mani-festants : les gens des zones rurales votent dans l’iso-loir – et avec leur portefeuille. “Nous voulons dire aux hommes d’aff aires qui soutiennent ces manifestants qu’ils ont choisi le mauvais camp, explique-t-il. Il faut qu’ils comprennent que leurs revenus viennent des gens de la campagne.”

Boon Rawd Brewery a refusé de révé-ler l’étendue des dégâts causés par le boy-cott. A en croire certains commerçants, les ventes de Singha et de Leo, une bière moins chère très appréciée dans le Nord-Est, ont fortement chuté au moment du

—The New York Times New York

D’Udon Thani

Il était probablement inévitable que dans un pays aussi obsédé par la nourriture et la boisson que la

Thaïlande l’agitation politique finisse par toucher la bière. La Singha, brassée par Boon Rawd Brewery, la plus ancienne brasserie du pays, est une icône nationale et elle est servie dans les restaurants du monde entier. Or elle fait l’objet d’un boy-cott offi cieux depuis quelques semaines : certains Thaïlandais reprochent à un membre de la riche famille à qui elle appar-tient d’être l’un des meneurs des manifes-tations antigouvernementales.

Chitpas Bhirombhakdi, 28 ans, l’héri-tière de la bière qui joue un rôle impor-tant dans les manifestations de Bangkok, a déclaré le mois dernier que nombre de Thaïlandais n’avaient pas de “vraie com-préhension” de la démocratie, “en particu-lier dans les zones rurales”.

Ces propos, qui ont été largement dif-fusés, ont déclenché une colère palpable dans le nord-est du pays. Cette région rizi-cole autrefois pauvre a connu des progrès importants en matière de conditions de vie et d’éducation au cours des dernières décennies, en partie grâce à la politique de Thaksin Shinawatra, le milliardaire et ancien Premier ministre cible des protes-tations des derniers mois.

“Pas des ploucs”. Pendant des décen-nies, la région du Nord-Est a fourni au pays domestiques, ouvriers du bâtiment et chauffeurs de taxi. Elle représente aujourd’hui un tiers des électeurs et a donc contribué à l’élection du parti au pouvoir

Non à la bière de l’oppositionLes défenseurs du gouvernement boycottent la bière Singha pour dénoncer les propos méprisants de l’héritière de la brasserie, qui s’oppose au “système Th aksin”.

Faire dérailler le processus électoral●●● Pour arriver à leurs fi ns, la chute de ce qu’ils appellent le “système Thaksin”, les manifestants antigouvernementaux emmenés par Suthep Thaugsuban au sein du Comité du peuple pour des réformes démocratiques (CPRD) ont “bloqué le processus d’enregistrement des candidatures aux élections dans 28 circonscriptions”, explique le site d’analyse In Asia. Une intervention qui risque d’empêcher l’installation du nouveau Parlement, puisque, selon la Constitution, il ne peut se réunir que si 95 % des 500 sièges ont été pourvus. Le conseil populaire qu’appelle de ses vœux le CPRD serait composé de personnalités nommées par des institutions, sans passer par le processus électoral qui, depuis 2001, a mené au pouvoir des formations politiques favorables à Thaksin Shinawatra. “Pour la famille Shinawatra, diriger l’Etat s’apparente à la direction d’une entreprise de télécommunications. Les élections et les dessous-de-table sont des tactiques utilisées pour faire entrer l’argent”, estime Asia Times. Le CPRD dénonce la corruption du gouvernement et de ses alliés. On trouve dans ses rangs des membres de l’Alliance du peuple pour la démocratie (APD), connue sous le nom de “chemises jaunes”, relève le blog Siam Voices – l’APD avait joué un rôle crucial en 2006 en organisant des manifestations antigouvernementales quelques mois avant le coup d’Etat de l’armée contre le gouvernement de Thaksin Shinawatra. Ainsi Uthai Yodmanee, dont la position anti-Thaksin “est devenue une constante”. Agé de 32 ans, ce leader du syndicat étudiant de l’université de Ramkhamhaeng dirige le Réseau des étudiants et du peuple pour la réforme de la Thaïlande.

↓ Dessin de Reumann, Suisse.

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—Asahi Shimbun (extraits) Tokyo

Bonjour, je suis de la police. J’ai une demande de la part de la fédération bancaire japonaise.” A l’automne der-

nier, dans un gratte-ciel de la province du Fujian, en Chine, une dizaine de Japonais étaient accrochés à leur téléphone. Chez les professionnels de l’escroquerie, ils sont désignés sous le nom de kakeko, qui signi-fie “celui qui appelle”. L’ancien yakuza qui a accepté de nous parler a passé plu-sieurs semaines dans cet endroit. Un ancien congénère de la mafia lui avait proposé ce travail en lui disant : “Il y a un bon plan en Chine qui permet de gagner 2 millions de yens [14 000 euros] par jour.” A cette époque, il avait déjà quitté son clan et cherchait à tout prix un “gagne-pain”, c’est pourquoi il a accepté sans hésiter.

Son travail consistait à appeler le Japon entre 8 h 30 et 14 h 30 (heure japonaise), c’est-à-dire avant la fermeture des banques, fixée à 15 heures. Il téléphonait via les ser-vices téléphoniques en ligne, ce qui rédui-sait le coût des communications et rendait l’origine des appels difficile à localiser. On lui avait remis une “liste de Japonais âgés vivant seuls dans l’archipel”, sur laquelle noms et coordonnées étaient classés par régions. Pour chaque cible, trois ou quatre kakeko intervenaient en se répartissant les rôles : le premier se faisait passer pour un policier

ASIE.

pour moi ? C’est gentil ! Puisque c’est comme ça, je vais préparer quelque chose à manger.” Voyant ses complices ravis, qui avaient du mal à se retenir de rire, il n’a pas eu le cran de leur suggérer d’arrêter l’opération. La vie quotidienne dans le centre était pénible. Les employés ne pouvaient pas faire de pauses et certains étaient même tenus de passer jusqu’à 300 appels par jour. L’ancien yakuza, à qui on avait promis au départ 30 000 yens [212 euros] par jour, ne touchait que 100 yuans [12 euros], somme qu’il devait en outre par-tager avec ses deux camarades pour payer les repas et les cigarettes. Tous les fraudeurs devaient prendre leurs repas dans un res-taurant précis, situé à proximité de la base. Pour sortir, ils devaient avoir l’autorisation du chef chinois, qui détenait les clés, et, une fois dehors, il leur était défendu de parler en japonais. Le seul moment où ils pouvaient enfin souffler un peu était lorsqu’ils échap-paient à sa surveillance, ils se ruaient alors dans un restaurant de hamburgers.

Affaires sans risques. Mais, même dans ces conditions, les kakeko, jeunes ou moins jeunes, continuaient d’affluer du Japon. Il était convenu que chaque kakeko reçoive 5 % du butin. En trois mois, un camarade de l’ancien yakuza avait gagné 5 millions de yens [35 000 euros], ce qui signifie qu’il avait réussi à soutirer 100 millions [700 000 euros] à ses victimes japonaises. Un autre fraudeur d’une vingtaine d’an-nées, qui avait été recruté dans un “Net café” [cybercafé ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre] au Japon, escroquait des Japonais depuis un an et trouvait un cer-tain plaisir à le faire. “C’est comme un jeu, ça me procure un sentiment d’accomplissement”, disait-il. Le groupe s’attaquait uniquement aux victimes résidant au Japon parce que, avait confié le chef chinois à notre ancien yakuza, “si on escroquait des Chinois en Chine, on risquerait la peine de mort, alors qu’en escro-quant des cibles vivant au Japon on ne risque pas d’être arrêté”. Il a également confié que, chaque fois que la police chinoise prévoyait de faire une descente, il était prévenu, ce qui lui permettait de mettre en lieu sûr les listes de noms et les ordinateurs. Selon lui, il existe des groupes similaires à Pékin, à Shanghai et à Dalian, et tous prennent le Japon pour cible.L’ancien yakuza n’a pas souhaité nous révé-ler combien de Japonais il avait escroqués, ni quelle somme ces opérations lui avaient rapportée. “Parmi les victimes, il y avait même une femme de plus de 90 ans, s’est-il contenté de dire. Je ne pouvais pas continuer à tromper les personnes âgées. Ça ne me correspondait pas.” Selon un autre ancien yakuza proche de ces groupes chinois, environ 80 % des victimes de ces arnaques téléphoniques sont des Japonais ayant plus de 60 ans. “Leur nombre est même voué à augmenter, Comme les fraudeurs peuvent gagner de l’argent faci-lement, les groupes vont continuer à recruter.”

—Kenji OgataPublié le 14 janvier

et entamait la conversation en disant “de l’argent escroqué a été versé sur votre compte. Un agent de la fédération bancaire va vous expliquer la procédure à suivre pour éviter que votre compte ne soit gelé.” Ensuite, celui qui se présentait comme l’agent de la fédé-ration bancaire demandait à la victime de lui indiquer le montant de son épargne, de retirer l’argent, pour ensuite le remettre à un banquier. Pour finir, le troisième kakeko, un pseudo-avocat, rassurait la personne âgée en lui disant : “N’ayez aucune crainte, cet appel est tout à fait légal.”

Un quotidien pénible. L’ensemble de ces opérations était supervisé par un Chinois japonophone. Quand les kakeko lui donnaient le signal pour dire qu’ils avaient réussi à trom-per la cible, le chef chinois appelait une base annexe au Japon et ordonnait à un membre sur place de se rendre chez la victime pour se faire remettre l’argent en mains propres. Pendant ce temps, le faux agent de la fédé-ration bancaire était chargé de prolonger la conversation avec son interlocuteur en lui disant : “Je vous envoie un banquier ; veuillez ne pas raccrocher tant que vous ne lui avez pas remis l’argent”, le but étant d’empêcher la cible d’appeler la police et de s’assurer que le visiteur avait bien reçu l’argent. L’ancien yakuza avoue avoir éprouvé un sentiment de culpabilité le jour où une vieille dame lui a répondu : “Vous allez vous déplacer exprès

JAPON

Une arnaque simple comme un coup de filDes mafieux chinois se sont récemment mis à harceler des Japonais âgés pour leur soutirer de l’argent par téléphone.

LE MOT DE LA SEMAINE

“mitsu”le nectar

Le Japon, une nation qui s’es-souffle ? Un pays dont on parle moins en France, assurément :

l’effacement de l’archipel de l’espace médiatique hexagonal semble inverse-ment proportionnel à la présence gran-dissante de la Chine. Ce relatif incognito dit sans doute quelque chose de la place qu’occupe aujourd’hui le Japon sur la scène internationale. Sans vouloir mini-miser les épreuves qu’elle doit surmon-ter, rappelons néanmoins que la société nipponne demeure parmi les plus riches au monde. Le World Wealth Report 2012, publié par Capgemini et RBC Wealth Management, indique par exemple que le nombre des personnes fortunées (dont le patrimoine net dépasse 1 million d’ac-tifs en dollars) est de 1,82 million, ce qui classe le Japon en deuxième posi-tion après les Etats-Unis, loin devant la Chine et la France. Un Japonais sur soixante-dix (1,42 % de la population) serait “riche”. Ce classement flatteur cache cependant une réalité qui l’est moins : la montée des inégalités, qui s’exprime notamment en termes géné-rationnels. Les plus aisés sont aussi les plus âgés. Ce sont eux qui disposent du doux nectar que les profiteurs de tout bord tentent de sucer. Ainsi de la classe politique, dont les promesses ciblent en priorité les seniors ; des jeunes de plus en plus nombreux qui, confron-tés à la précarité ou à la désaffiliation sociale, ne doivent objectivement leur survie qu’à l’aide que leur apportent parents et grands-parents. Ainsi, éga-lement, des organisations mafieuses, japonaises ou chinoises, au flair tou-jours aigu (voir article ci-contre). Avec un brin de cynisme, on dirait que leur butinage est signe que le nectar n’est pas tari. Les seniors ont encore les reins solides – toute la question étant de savoir jusqu’à quand.

—Kazuhiko YatabeCalligraphie de Kyoko Rufin-Mori

↙ Dessin de No-río, Aomori.

Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 25

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26. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

—Anfibia Buenos Aires

Comment te sens-tu, Edson ?— Pas très bien, car je n’arrive pas

à récupérer totalement.— Te souviens-tu des gens qui t’ont brûlé ?— Ce sont les gens du quartier. Le président

du secteur. Ceux qui aident là-bas. Les jeunes.”Depuis plus de deux mois, Edson passe de

lit en lit dans le service moderne des brûlés de l’hôpital municipal Boliviano-Holandés d’El Alto, banlieue de La Paz. Lorsqu’il a été admis, le 27 mai, le médecin qui l’a opéré, Jorge Romero, chirurgien plasticien habitué à traiter les grands brûlés et les personnes défigurées, a interrompu un dîner privé dans un restaurant de La Paz, car on lui avait dit que l’état du patient était vraiment délicat. Edson, première victime de lynchage soi-gnée au Boliviano-Holandés, ressemblait à une peau tannée de vieille brebis.

Certains médias font croire à leur public que, dans les banlieues, les passages à tabac sont une pratique admise au nom de la “jus-tice communautaire”. De nombreux habi-tants d’El Alto pensent ainsi exercer ce droit lorsqu’ils brûlent un criminel présumé ou le pendent à un poteau. Entre 2001 et le premier semestre 2008, on a recensé au moins 88 lynchages dans les quartiers du centre et de la périphérie d’El Alto ; 9 se sont soldés par la mort des victimes. Ces chiffres proviennent d’une enquête réali-sée par le sociologue bolivien Juan Yhonny Mollericona, mais nous ne disposons d’au-cune donnée fiable sur ce qui a pu se passer entre 2008 et 2013, les rapports de police ayant consigné ces événements comme des homicides ou des tentatives d’homicide. Il suffit pourtant de parcourir la presse locale ou de regarder les journaux télévisés pour constater qu’il y a dans ces quartiers entre une et quatre menaces de lynchage par mois. Le profil des victimes et des bourreaux et le cadre de ces violences ne sont pas toujours les mêmes, mais les histoires se répètent.

Des fouets et des briques. Un rapport de l’Observatoire de sécurité citoyenne montre qu’à El Alto la délinquance consti-tue la préoccupation majeure de quatre habitants sur dix. Face à la multiplica-tion des délits, certains estiment n’avoir d’autre choix que de prendre eux-mêmes les choses en main. L’attaque devient alors un mécanisme de défense. C’est la raison pour laquelle ils ont parfois recours au lynchage, qui, dans l’imaginaire col-lectif de certains pans de la population, apparaît comme une forme de “justice communautaire”. Le psychologue amé-ricain Daniel Goldstein explique que le concept de justice communautaire est apparu à la fin des années 1990, dans le sillage d’une série d’études financées par la Banque mondiale pour tenter d’inter-préter la grande diversité des moyens mis en œuvre pour résoudre les conflits dans les communautés rurales de Bolivie. Il est aujourd’hui inscrit dans la Constitution,

amériques

Bolivie. Tu lyncheras ton voisinLes exécutions sommaires de délinquants sont encore monnaie courante en Bolivie, une pratique admise au nom de la justice des communautés indiennes.

↑ Dessin d’Arcadio paru dans La Prensa Libre, San José (Costa Rica).

Page 27: Courrier 20140123 courrier full 20140212 170528

REPORTAGE

AMÉRIQUES.Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 27

qui lui accorde la même légitimité qu’à la justice ordinaire et admet que, dans la “juridiction indigène autochtone paysanne”, les délits soient punis par des assemblées habilitées à prononcer et à faire exécuter différents types de peines : des sanctions économiques, des travaux d’intérêt géné-ral ou le bannissement.

En 2010, Félix Patzi, alors candidat du président Evo Morales au poste de gou-verneur de La Paz, a ainsi été condamné à fabriquer un millier de briques pour sa com-munauté pour conduite en état d’ivresse. A El Alto, il n’est pas rare que l’on expulse d’un quartier des familles entières prises en flagrant délit de vol. La loi fixe néan-moins certaines limites : elle stipule que les lynchages ne sont pas acceptables et qu’ils doivent être prévenus et sanction-nés par l’Etat. “En tant que forces de l’ordre, nous devons protéger la vie de tous les indi-vidus, qu’ils soient ou non délinquants, qu’ils aient ou non un casier judiciaire”, assène l’an-cien directeur de la Force spéciale de lutte anticriminelle d’El Alto, Ramiro Magne, assis derrière son bureau.

Des conversations informelles avec cer-tains dirigeants relativement expérimen-tés auxquels nous avons demandé ce qu’ils pensaient de la justice communautaire ont pourtant montré qu’il n’existe pas à ce sujet de position unique. Ceux-ci ont clairement déclaré qu’il était acceptable de fouetter un délinquant à coups de ceinture, s’empres-sant d’ajouter qu’ils ne laisseraient jamais personne attenter à la vie d’autrui. Ils n’ont toutefois pas précisé qui fixait les limites de ce qui est ou n’est pas admissible.

Le sociologue Mollericona, pour sa part, voit dans ces pratiques punitives une réac-tion au manque de présence efficace de l’Etat, de sécurité et de châtiment des délin-quants. Il définit ces exécu-tions sommaires comme des “phénomènes extrajudiciaires” utilisés pour punir les indivi-dus qui enfreignent la loi et ne respectent pas les lois élémen-taires de vie communautaire.

“Nous allons paver tout cela”, annonce Esteban Ticona en montrant une avenue en terre battue du quartier 30-Septembre, où en 2010 les habitants ont lynché une femme qui s’était introduite dans une maison pour commettre un vol. Ticona est l’un des agents de police de la division homicides de la ville et le principal responsable de ce secteur. Les habitants d’El Alto organisent chaque quartier comme un gouvernement en miniature : ils désignent un président, un vice-président, un secrétaire des finances, un secrétaire des sports. Depuis quelques mois, Ticona occupe la plus haute charge de cette hiérarchie.

“C’est ici, rue des Fleurs, qu’ils ont attrapé Rosa Huanca Mamani, la femme qui tentait de voler un téléviseur, poursuit-il. Ils l’ont atta-chée à un grillage avec ses propres tresses, ont installé des pneus tout autour d’elle et y ont mis le feu.” D’après lui, elle est morte asphyxiée

par la fumée ; d’autres disent qu’elle a brûlé vive. Personne ne s’est apitoyé sur son sort. “Je la connaissais, reprend le policier. Elle avait sept enfants et elle volait pour les nour-rir. Je l’avais déjà sauvée d’un autre lynchage. Ils l’avaient entièrement déshabillée. Quand je l’ai aidée à s’enfuir, ils m’ont jeté tant de pierres que j’en boite encore.” (Il relève son panta-lon et me montre sa jambe comme si elle le faisait toujours souffrir.) “La deuxième fois, il était trop tard, je n’ai rien pu faire. On m’a averti par un coup de fil sur mon portable. Le temps que j’arrive, elle était presque morte. J’ai appelé mes collègues du service, j’ai fait demi-tour et je suis parti. Je n’avais pas envie de m’attirer des ennuis.”

En Bolivie, le lynchage comme forme d’organisation collective pour sanctionner une injustice par la violence n’a rien de nou-veau. Ainsi, le cas le plus célèbre de l’histoire bolivienne est celui du président Gualberto Villarroel. En juillet 1946, Villarroel a été renversé par une foule qui l’a poignardé et cruellement tabassé à l’intérieur du palais du gouvernement, à La Paz. Après avoir jeté son corps sur la Plaza Murillo depuis l’un des balcons de la présidence, les émeutiers l’ont pendu à un lampadaire et exposé en public. Les partisans de ce lynchage assurent qu’il a évité une guerre civile. Aujourd’hui, dans les quartiers d’El Alto, certains habi-

tants expliquent qu’ils utilisent des pratiques similaires pour empêcher une aggravation de la criminalité.

En accompagnant Ticona chez lui, nous croisons un grand mannequin sans tête

attaché à un réverbère, affublé d’une pan-carte sur la poitrine et d’une tache de pein-ture couleur de sang. “C’est une mise en garde aux délinquants pour qu’ils ne s’approchent pas”, explique Ticona.

Edwin Flores, le commissaire chargé d’en-quêter sur le lynchage d’Edson à Puerto Camacho, a identifié deux suspects : Ramón Quino, un pharmacien qu’Edson aurait escroqué, et Antonio Rivera, un professeur à la retraite que les riverains ont récemment élu président du secteur. Flores nous confie que certains indices laissent supposer que ce sont eux qui ont mené la foule. Ni l’un ni l’autre n’ont pourtant été appréhendés.

Aujourd’hui, samedi, c’est l’épouse de Quino qui tient la pharmacie. Elle ne sait pas très bien ce qui s’est passé le jour où ils ont réglé son compte à Edson, dit-elle. Le patron d’une épicerie voisine tient exacte-ment le même discours. Dans ce genre de

situation, les gens du quartier répètent : “Je ne sais pas”, “Je ne faisais que passer par là”, “Je n’ai rien vu”, “Je n’ai rien fait”. A quelques mètres de la pharmacie, nous trouvons Antonio Rivera sur la place principale de Puerto Camacho. “Je ne sais pas qui a lancé le mouvement. Je ne sais rien. Rien, rien, rien. Je ne sais absolument rien.” Il laisse passer quelques secondes de silence, comme s’il gardait quelque chose pour lui – la culpa-bilité, peut-être –, et reprend : “Je n’étais pas là, je me reposais. Ils sont venus me trou-ver et ils m’ont dit : ‘Monsieur le Président, voici ce qui s’est passé’. Je leur ai conseillé d’appeler la police.”

Pour Mollericona, l’une des principales caractéristiques des actes collectifs est l’anonymat. Dans la mesure où les gens agissent en masse, dit-il, “les auteurs visibles disparaissent”. Il s’établit en outre entre les voisins un “pacte du silence” que per-sonne ne rompt.

Brûlé pour 46 euros. Pour Aníbal Rivas, le lieutenant-colonel responsable de Radio Patrullas, le service des urgences d’El Alto, aucun effort n’est suffisant. Il vient de rece-voir une donation exceptionnelle : seize véhicules flambant neufs. Il doit se dépê-cher de les envoyer en patrouilles de sur-veillance, car le plus important ici, dit-il, est de “faire sentir la présence policière”. Il tisse progressivement des liens d’amitié avec les présidents des quartiers, ajoute-t-il. “Je leur explique les choses telles qu’elles sont, mais je leur parle toujours avec des mots simples, pour qu’ils comprennent bien tout ce que je dis.”

Grâce à cette démarche, prétend-il, le nombre des lynchages a diminué. Il faut peut-être aussi y voir un effet du lancement du plan Chachapuma, une action concertée de toutes les unités de police – dont Radio Patrullas – visant à enrayer la délinquance et à prévenir les petites infractions, et qui, selon les autorités, a permis de réduire de 60 % le taux de délinquance.

Dans le quartier du 12-Octobre, les lumières rouges et violettes dominent. Personne n’ignore que ce lieu est un immense bordel à ciel ouvert, sans doute le plus grand de Bolivie. En 2007, des milliers de rive-rains ont incendié les maisons qui abritaient quelques-unes de ces maisons closes clandes-tines – et, dans la foulée, une bonne partie de leurs meubles. Ils se plaignaient des vols, des assassinats, de l’impunité ambiante qui encourage les malfrats à régner sans par-tage sur les avenues. Pendant deux jours, les bûchers ont envahi la chaussée et les manchettes des journaux ont résumé en quatre mots le chaos qui menaçait de raser la ville : “Furie à El Alto”.

Edson s’est fait lyncher le jour de la fête des Mères. Ce matin-là, il avait eu une dis-cussion animée avec son épouse. Il avait deux mois de loyer en retard et venait de passer à côté d’un emploi de vigile privé pour la procession du Gran Poder, la plus grande fête religieuse de l’année.

Après la dispute, il était sorti de chez lui

sans dire où il allait. Il se sentait obligé de revenir avec de l’argent et un cadeau pour la mère de ses filles. A 10 heures du matin, il s’est retrouvé à Puerto Camacho, situé à une demi-heure du centre d’El Alto. Il a repéré ce qui lui paraissait être le com-merce le plus prospère dans un rayon de 500 mètres : une pharmacie proposant tous les remèdes possibles. Il a fait appe-ler le patron, Ramón Quino, un biochimiste arrivé quelques mois plus tôt dans le quar-tier. Se faisant passer pour un agent des impôts, il a demandé à voir sa comptabilité, l’a étudiée et a rendu son verdict : “Les irré-gularités sont passibles d’une amende : vous devez aux impôts 4 500 bolivianos [465 euros]. Mais, si vous me réglez maintenant, je ne vous en facturerai que 450 [46 euros].”

Quino a payé et est aussitôt allé trouver son comptable, qui lui a assuré que ses livres de comptes étaient parfaitement en règle. Il s’est alors adressé au Bureau des impôts, qui lui a confirmé sa pire crainte : aucun Edson ne travaillait pour le service. Il venait de se faire escroquer.

En rentrant à la pharmacie, il a repéré Edson dans le cabinet d’un dentiste et a couru vers lui.

“Tu n’es pas un agent du fisc. Tu n’as jamais travaillé aux impôts !

— Comment ça ? Bien sûr que si, c’est là que je travaille. On t’a mal renseigné, a répli-qué Edson.

— Montre-moi ta carte pro fessionnelle.”Edson a fouillé dans ses poches et tenté

de s’enfuir. Quino l’a rattrapé et plusieurs voisins l’ont aidé à le traîner jusqu’à la grand-place de Puerto Camacho.

Comme dans beaucoup de quartiers d’El Alto, la place centrale de Puerto Camacho est un terrain de terre ocre. Ce 27 mai, près de 150 hommes et femmes, jeunes pour la plupart, et une poignée de curieux venus d’autres quartiers ont encapuchonné Edson avec son chandail et ont commencé à l’échar-per. Au cours des quatre heures qu’a duré son calvaire, Edson a perdu plusieurs fois connaissance. Il ne voyait rien. Il a entendu quelqu’un dire : “Celui-là, il faut le brûler !” Puis il a senti une odeur d’essence.

—Alex Ayala Ugarte et Jorge Derpic

Publié le 4 novembre 2013

SOURCE

ANFIBIABuenos Aires, ArgentineSite Internetwww.revistaanfibia.comLancé en 2012, “Amphibie” publie des reportages au long cours parfois signés de plumes latino-américaines prestigieuses, des portfolios et des mini-webdocumentaires. Le site a été fondé par l’université nationale de San Martín, avec le soutien de la fondation Nuevo Periodismo Iberoamericano, créée à l’initiative du romancier Gabriel García Márquez.

Ce 27 mai, près de 150 hommes et femmes ont encapuchonné Edson avec son chandail

Il s’établit entre les voisins un “pacte du silence” que personne ne rompt

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Belgique.La Stib donnele “la”Le nombre d’amendes infligées à desmusiciens dans le métro bruxellois adécuplé en un an. La société de transportentend mettre de l’ordre et ce n’est paspour déplaire aux “vrais” musiciens.

—De Standaard Bruxelles(extraits)

Quand il s’est présenté au PetitChâteau en 1994, Petrosian Ar-menak, âgé aujourd’hui de 64

ans, n’avait rien de plus que son violonet une petite valise. Cet Arménien avaitprofité d’un concert à Moscou pour fuirsa patrie et prendre le premier avionpour la Belgique.

En Arménie, il était professeur de vio-lon au conservatoire et premier violonde l’Orchestre national. Aujourd’hui, iljoue trois après-midis par semaine dans

la station de métro Roodebeek [à Wo-luwé-St-Lambert, banlieue chic à l’estde Bruxelles]. Cela fait presque vingtans.

Pendant qu’il est occupé à nous racon-ter cela, Petrosian est salué par plusieurspassants et certains lui souhaitent labonne année. “Quand je joue, j’oublie où jesuis”, explique ce sympathique senior.C’est par pure nécessité qu’il s’est re-trouvé à jouer dans le métro. Lors de sespremiers mois en Belgique, il ne perce-vait aucune allocation.

Il a commencé par jouer dans une ga-lerie commerçante mais il s’en est fait

chasser. Il a aussi joué un temps à laGare centrale mais c’était le far west :“Des ivrognes, des mendiants agressifs...C’était vraiment dur”.

Auditions. Son jeu en a épaté plus d’un.Un employé du métro, avec qui il s’étaitlié d’amitié, lui a alors suggéré d’allerjouer dans la paisible station Roode-beek, à la sortie du Woluwe ShoppingCenter.

En 2007, quand la Stib [Société desTransports Intercommunaux de Bruxel-les] a organisé des auditions pour fairele tri entre les mendiants et les musi-ciens de talent, il a été le premier à pas-ser le test et à recevoir une autorisationofficielle de jouer dans le métro.

“Je me suis enfui à cause de la guerre (leconflit entre les Arméniens du Haut-Ka-rabagh et l’Azerbaïdjan). Deux de mesétudiants ont été appelés sur le front et l’und’eux est mort le lendemain. J’avais tenudes propos hostiles au régime et je ne vou-lais pas être appelé à combattre.”

Petrosian a reçu l’asile politique ici.Mais malgré l’homologation de son di-plôme et 44 lettres à toutes les acadé-mies de musique du pays, il n’a pastrouvé de travail. “Toutes les places étaientprises et j’étais trop vieux.” Mais il ne vou-lait pas renoncer à la musique pourautant. Alors, trois à quatre fois par se-maine, il joue les concertos pour violonde Bach – son compositeur préféré –dans les couloirs du métro bruxellois.De temps à autre, il est encore invité àdonner un récital en privé.

La chute peut sembler dure pour celuiqui a été autrefois un musicien re-nommé. “Mais dès que je joue, j’oublie tousmes regrets. La musique est pour moi uneimpérieuse nécessité. Cela fait 58 ans que jejoue avant tout pour moi.” L’argent estbienvenu pour payer ses médicamentsmais il ne gagne pas grand-chose. “Engénéral, entre 25 et 30 euros sur une après-midi. J’ai surtout appris à aimer d’être ap-précié par les gens.”

Le monde des musiciens de rue peutêtre une vraie jungle, il l’a appris à sesdépens. Une fois, un concurrent a essayéde le chasser. Et par deux fois, desvoyous ont tenté de lui dérober son vio-lon.

Nuisances. Richard Kurzéjà a, lui aussi,dû défendre son emplacement contredes poivrots et des mendiants. Depuisquelques mois, sous le nom d’artiste deRicardov, il joue ses propres composi-tions de rock dans les couloirs de métrode la Gare centrale.

“Les faux violonistes des Pays de l’Est ontgâché le métier. Il y a trente ans, je chantaiset je faisais du mime dans les galeries com-merçantes à Bruxelles. Parfois, sur un soir,je faisais Anvers-Louvain-Bruxelles et je re-venais chez moi avec cent euros. Mais àcause de tous ces mendiants qui font sem-blant d’être des musiciens, nous ne sommespratiquement plus bienvenus nulle part.Ces types connaissent cinq chansons qu’ilsjouent en boucle et en plus, ils sont insis-

tants voire agressifs. Et les gens en ontmarre.”

A la Stib également, on en a eu assezdes nuisances. A l’instar de ce qui se fai-sait déjà à l’étranger, la société bruxel-loise a introduit un système d’autorisa-tions officielles.

Les musiciens doivent passer uneaudition devant un jury composé demembres du personnel avec une forma-tion musicale et, s’ils réussissent le test,ils se voient attribuer un emplacementfixe. Ceux qui jouent sans autorisationdans le métro risquent une amende.

En 2012, 12 personnes s’étaient re-trouvées dans ce cas. Sur les trois pre-miers trimestres de 2013, il y en a eu 128.Parce que la Stib a rendu ses contrôlesplus sévères, commente la porte-parole,An Van Hamme. “Nous avons constaté quede plus en plus de musiciens s’invitaientdans les voitures. C’est dangereux. De plus,l’année passée, nous avons enregistré denombreuses plaintes contre des musiciensqui jouaient trop fort, étaient trop insis-tants ou utilisaient des mineurs pour api-toyer les voyageurs.”

Elle insiste sur le fait que le but n’estabsolument pas de chasser les musi-ciens du réseau. “Nous sommes pour qu’ily ait de l’animation dans le métro. Maisaux endroits prévus à cet effet et à condi-tion que les musiciens soient présentables,sachent jouer et aient un véritable réper-toire.”

Petrosian et Ricardov soutiennent cesystème. “Je n’ai pas besoin que l’on mefasse la charité, dit le second. Les gens peu-vent me donner une pièce s’ils apprécientma musique. Mais je suis déjà content d’ap-porter quelque chose dans ce couloir où tantde gens se hâtent de rentrer chez eux. Lemétro, c’est une bonne école de musique, enfait. Il faut toujours faire quelque chose despécial pour arriver à attirer l’attention. Lamusique, c’est de la communication. Un re-gard, une réaction, un sourire, voilà monsalaire de musicien.”

Pour Petrosian, le métro est mêmedevenu le seul endroit où il joue. Dèsqu’il essaie de s’exercer chez lui, les voi-sins augmentent le volume de la radioou de la télévision. Alors, il préfère en-core affronter le vacarme des écoliersdans les couloirs du métro.

Il connaît désormais une bonne partiedes passants, au moins de vue. “J’ai vudes enfants grandir, avoir des amours ado-lescentes et puis finalement se mettre encouple. Et aussi des personnes âgées que jene voyais plus du jour au lendemain parcequ’ils étaient tombés malades ou décédés. Etun beau jour, ce sera moi qui ne serai pluslà.”

— Lieven SioenPublié le 11 janvier

↙ Dessin de Gaëlle Grisardpour Courrier International.

Le monde des musiciensde rue peut être unevraie jungle, il l’a apprisà ses dépens.

D'UN CONTINENT À L'AUTRE Courrier international – n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014I.

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Théâtre Royal des Galeries

Du 5 février au 2 mars 2014Directeur : David Michels

Mise en scène : Patrice Mincke Décors et costumes : Charly Kleinermann et Thibaut De Coster

Marie-Paule KumpsMarie-Hélène RemaclePierre Pigeolet et Michel Poncelet

de FLORIAN ZELLERLa Vérité

du mardi au samedi de 11h à 18h Galerie du Roi, 32 à 1000 Bruxelles

www.trg.be02 512 04 07

—De Standaard Bruxelles

Ne dites plus socialistemais social-démocrate.François Hollande, le pré-

sident français, est sorti du boispour nous expliquer qu’un so-cial-démocrate, c’est quelqu’unqui est en même temps social,réaliste, patriote et prêt à fairedes réformes. C’est aussi quel-qu’un qui pense qu’on peut aiderl’économie et créer des emploisen donnant un peu plus d’oxy-gène aux entreprises. “Hollandecède à la doxa libérale”, “FrançoisHollande efface la gauche”, titraithier le site Mediapart. “Notre libé-ralisme est celui de l’Etat”, répliquel’homme au scooter, qui sembletotalement assumer ses nouvel-les convictions et son virage.

La question n’est pas de savoirsi Hollande va – enfin – faire cequ’il dit, ni de décider si “social-démocrate” est un gros mot, voireune insulte au socialisme. Maquestion à moi est belge : pour-quoi persistons-nous en Belgiqueà ne pas regarder la réalité éco-nomique en face et pourquoi ElioDi Rupo n’ose-t-il pas se lancerdans son propre pacte de respon-sabilité? Par méconnaissance decette réalité économique? Notrebalance commerciale est dans lerouge – nous importons davan-tage que nous n’exportons – et,depuis 2008, le secteur privé n’apratiquement pas créé d’emploisen Belgique. L’emploi industriel amême sérieusement régressé.Notre problème de compétitivitéest aggravé par les mesures pri-ses par l’Allemagne et menace del’être encore davantage, mainte-nant que la France annonce à sontour qu’elle compte baisser lescharges sociales qui pèsent surles entreprises.

Un pacte de responsabilité? Legouvernement Di Rupo I auraitpu faire preuve de courage en op-tant pour une thérapie de chocréduisant de manière significa-tive les charges sociales (tout enpréservant les salaires nets) etrecourant à un financement al-ternatif pour combler le déficitqui en résulterait pour la sécuritésociale, histoire de ne pas mettreen péril les mécanismes de soli-

darité existants. C’est là le projetque François Hollande a pré-senté mardi dernier. D’où pro-viendra ce financement alterna-tif ? Ce n’est pas encore clairmais l’idée est d’à la fois réduireles dépenses publiques, augmen-ter certains impôts et supprimerles intérêts notionnels.

La Belgique compte suffisam-ment de gens compétents pourélaborer un plan de ce type. Cen’est pas ça le problème. Le pro-blème est encore moins le dog-matisme supposé d’Elio Di Rupo.Le premier ministre est aussi so-cialiste que François Hollande, li-sez : aussi pragmatique. Ce gou-vernement dirigé par un PS adéjà prouvé qu’il savait s’adapter,y compris d’une manière qui neplaît pas trop à la gauche. On enprendra pour preuve le dossierdes réfugiés afghans.

Ce qui manque, c’est le tempset surtout le courage de prendreune initiative allant à l’encontredes idées reçues et des conserva-tismes de gauche comme dedroite. Les socialistes francopho-nes portent une responsabilitéextrêmement lourde dans le blo-cage de cette thérapie de choc.Mais les partis traditionnels fla-mands également, qui contri-buent avec leur rhétorique audéni des réalités économiques.

Et l’establishment belge n’estpas en reste. Les partenaires so-ciaux auraient dû mettre des pro-positions innovatrices sur la ta-ble au lieu de se livrer à des que-relles de chiffres. Mais lepatronat et les syndicats sont pa-ralysés par leurs propres tabous,intérêts et chevaux de bataille.

La FEB ne veut pas d’une ré-duction des charges sociales quiserait financée par une suppres-sion des intérêts notionnels. Lessyndicats sont contre tout courtpour des raisons idéologiques :pas de cadeau pour les patrons!De plus, ils craignent que l’on enarrive à une réduction des char-ges sociales sans financement al-ternatif et donc sans garantiespour la solidarité.

Résultat : l’échec du gouverne-ment et des partenaires sociaux –et maintenant que nous sommesen période électorale, il est bien

trop tard pour entreprendre quoique ce soit – laisse un boulevardà l’opposition. Celle-ci osera-t-elle plaider pour un virage radi-cal, contrairement à FrançoisHollande qui aura attendu 18mois pour le faire?

Nous avons urgemment be-soin d’un pacte pour modernisernotre modèle sans pour autant –et c’est là une condition sine quanon – en finir avec la solidarité etles bases de la protection sociale.Les Belges ne rêvent pas, pasplus que les Français, de diri-geants qui viennent apporter lescroissants en scooter le matin.Ce ne sont pas des croissantsqu’ils attendent mais des em-plois.

— Béatrice DelvauxPublié le 16 janvier

POLITIQUE

Social-démocrate,c’est une insulte ?Pour Béatrice Delvaux, éditorialiste en chef du Soir, Elio Di Rupo ferait bien deprendre exemple sur le virage annoncé par François Hollande.

Édito

Le dilemme des libéraux●●● Les hommes politiques semblent enfin vouloir passer d’unfédéralisme de confrontation à un fédéralisme de coopération.Charles Michel et Wouter Beke l’ont bien compris : à l’avenir,CD&V et MR s’engagent à consacrer leurs énergies aux réformessocio-économiques. Bravo. Cela dit, la communication des deuxhommes suscite des questions.Une formule magique, l’alliance des démocrates chrétiens et deslibéraux ? Oui, ce fut le cas avec Martens-Gol, au début desannées 80. Même après 4 ans d’austérité, le duo d’enfer futplébiscité. En 2008, la tentative de l’Orange bleue, pilotée parReynders et Leterme, fut, elle, vouée à l’échec. Donc des blocages, ilpeut y en avoir aussi avec cette formule.La démarche “Michelbeke” comporte d’autres inconnues.Aujourd’hui, l’alliance prônée (MR-CD&V-Open VLD-CDH) disposede 57 sièges sur 150. Bien sûr, il y aura des élections. Mais pourobtenir une majorité, les alliés potentiels auront donc ce choix :s’allier au PS (et le SPA) ou à la N-VA. Le MR a-t-il déjà choisi ?Ensuite, quand on affirme que cette “alliance” MR-CD&V a pourobjectif d’éloigner la N-VA du périmètre, ce n’est pasnécessairement vrai. Après le 25 mai, le CD&V aura une occasionhistorique de “tuer” la N-VA en la maintenant dans l’opposition.Antidémocratique ? Non. La N-VA, elle, veut tuer le pays. Mais leCD&V veut-il vraiment tuer la N-VA ? Pas sûr.Enfin, si le CD&V se précipite pour former un gouvernementflamand avec la N-VA, il donnera à cette même N-VA un levierpour perturber la formation de l’exécutif fédéral. Or la N-VA nelaissera jamais tomber son programme institutionnel. Sinon, elleaura fait la démonstration par l’absurde qu’il est possible deréformer la Belgique sans réforme de l’Etat. La sortie desprésidents ne lève donc pas toutes les ambiguïtés.

— Francis Van de WoestyneLa Libre BelgiquePublié le 20 janvier

II.BELGIQUECourrier international – n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

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D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1212 du 23 au 29 janvier 2014

Europe centrale.La Hongrie se tourne vers l’EstSous la houlette du Premier ministre Viktor Orbán, Budapest s’éloigne d’une UE dont il conteste la pertinence. Dernier signe en date : la signature d’un contrat pour la construction d’une centrale nucléaire russe.

europede la dette. Par ailleurs, dans sa concep-tion des choses, les mesures d’économie visant à résorber les déficits budgétaires ne doivent pas peser uniquement sur les épaules des contribuables.

En tandem avec son ancien ministre de l’Economie, György Matolcsy (directeur de la Banque nationale hongroise depuis 2013), il a ainsi mis au point une politique éco-nomique “peu orthodoxe”, qui vise à épar-gner les citoyens pour “plumer” à leur place les multinationales qui engrangent de juteux profits. Son gouvernement a mis en place plusieurs impôts spéciaux ciblant les banques [en particulier autrichiennes], les grandes chaînes commerciales, les four-nisseurs d’énergie et les groupes de télé-coms. Les intéressés les ont naturellement mal digérés. Les entreprises concernées se sont empressées d’ouvrir à Bruxelles des procédures d’infraction contre le gouver-nement Orbán. De son côté, la gauche hon-groise a mis à profit ses bons contacts à l’Ouest pour monter l’opinion occidentale contre un Viktor Orbán dépeint comme “autoritaire”, voire “dictatorial”. Depuis lors, à l’Ouest, le chef du gouvernement hongrois est largement perçu comme un “ennemi des entreprises”, et même comme un dirigeant “antidémocratique”.

Les innombrables dissensions entre Viktor Orbán et l’UE sont liées d’une part à l’image négative dont il souffre à l’Ouest et d’autre part à sa politique qui vise à mettre au rebut les méthodes occidentales, notamment en matière de politique économique. Au pas-sage, le Premier ministre s’y entend pour vendre cette politique de confrontation avec l’UE à ses compatriotes comme une forme de résistance à l’ennemi extérieur. En cela, il peut compter sur le soutien des Hongrois, qui se sont distingués de tout temps par un refus de se soumettre aux puissances exté-rieures, en l’occurrence à l’UE.

En dépit de ses sorties parfois acerbes contre Bruxelles, Viktor Orbán est un par-tisan de l’Union européenne. Mais dans celle-ci les Etats membres devraient jouir d’une autonomie accrue et d’une plus grande marge de manœuvre, et ne devraient pas se laisser dicter par une Europe tatillonne leur manière de gérer leur politique économique. Il y a de fortes chances que cette vision de l’UE transparaisse dans la campagne à venir pour les élections européennes au sein du parti au pouvoir, la Fidesz. Pour autant, Viktor Orbán tente parallèlement de prou-ver qu’il n’est pas un ennemi de l’économie libérale et des multinationales, comme on le lui reproche souvent. Dernièrement, il a ainsi signé une multitude de “partenariats stratégiques” avec les principales multi-nationales de Hongrie, dont des entreprises aussi puissantes qu’Audi, Daimler-Benz et Bosch. Soit dit en passant, le dernier accord stratégique en date concernait une entre-prise de matériaux de construction autri-chienne, Leier.

—Peter BognarPublié le 17 janvier

↙ Dessin de Tiounine, Russie.

—Die Presse Vienne

Budapest. C’est le monde à l’envers. Alors que l’arrimage à l’Europe de l’Ouest a été la priorité numéro

un de la Hongrie pendant des années, le nouveau mot d’ordre du pays, sous la hou-lette du gouvernement conservateur de Viktor Orbán, est l’“ouverture à l’Est”. Le 14 janvier, ce dernier s’est rendu à Moscou pour lancer la construction d’une centrale

nucléaire dans la ville de Paks, dans le sud de la Hongrie, grâce aux financements et au savoir-faire russes. Le pays s’est égale-ment ouvert à la Chine sous le gouverne-ment Orbán, ainsi qu’à l’ensemble de l’Asie, des pays arabes, et à la Turquie. De toute évidence, la politique commerciale hon-groise est aujourd’hui tournée vers l’Est.

Viktor Orbán ne fait plus vraiment confiance à l’Ouest depuis la crise écono-mique et financière et la situation qu’elle

a engendrée dans la zone euro. Autrement dit, il ne croit plus aux recettes mises en œuvre par l’UE pour venir à bout de la crise. Pour Orbán, l’Ouest, et donc l’UE, qui en fait partie, est enferré dans une politique qu’il juge inadéquate et péri-mée. Aux yeux du Premier ministre hon-grois, les systèmes de protection sociale hypertrophiés d’Europe ne peuvent être sauvegardés qu’au prix d’une course aux crédits et, partant, d’une augmentation

III.

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Courrier international — no 1212 du 23 au 29 janvier 2014

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nous vient dans la plupart des cas de Roumanie, de Bulgarie, de Hongrie ou de Pologne, où les grandes entreprises ont installé la production destinée à cette partie de l’Europe.

Les avertissements des asso-ciations des consommateurs, nationales ou internationales, sur la qualité inférieure des produits de mêmes marques vendus dans les pays hors UE inquiètent peu les fabricants. Ces derniers justifient

ALIMENTATION

La valse des étiquettes trompeusesMême produit, même emballage, mais une qualité différente : dans les pays récemment entrés dans l’UE ou chez les candidats comme la Serbie, les grandes marques profitent d’une réglementation peu exigeante. Mais cela pourrait bientôt changer.

↙ Dessin de Falco, Cuba.

—Blic Belgrade

Les chocolats des grandes marques vendus sur le marché serbe contiennent

souvent moins de cacao que ceux commercialisés dans les pays d’Eu-rope occidentale, les crèmes à tar-tiner moins de lait et de noisettes, les condiments plus de sel que de légumes, le miel une proportion élevée de sirop de maïs, et les lessives lavent moins bien.

Tous ces produits ont pourtant le même emballage et bénéficient de la même publicité que dans les pays où leur qualité est supérieure à celle des produits vendus en Serbie. Qui plus est, leur prix est le même, voire souvent plus élevé que dans l’Union européenne. La marchandise de moindre qualité

la qualité différente des mêmes produits par “les besoins et les goûts différents des populations locales”. Mais les nouveaux membres de l’UE sont également touchés par cette pratique. D’après des études comparatives réalisées par des associations de consommateurs slovaques il y a trois ans, la qualité de certains produits alimentaires est différente selon qu’ils sont vendus en Allemagne et en Autriche ou bien en Pologne, en République tchèque, en Slovaquie, en Roumanie, en Hongrie et en Bulgarie.

Pour mettre fin à cette pratique, le Parlement européen a lancé une initiative afin de la qualifier comme frauduleuse. Contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis, la législation européenne ne définit pas strictement les pratiques frauduleuses dans le secteur alimentaire ; la directive 178/2002 interdit seulement de “tromper les consommateurs”.

Souvent, les citoyens des pays en développement ignorent qu’en achetant les produits des grandes marques censés garantir une bonne qualité ils achètent en réalité une qualité médiocre. Les experts expliquent qu’il est légitime et économiquement justifié de distribuer des produits de différentes qualités sur deux marchés différents tant que tous les ingrédients et leurs pourcentages sont inscrits sur la déclaration du produit et que la qualité déclarée est conforme aux normes serbes, hélas trop peu exigeantes.

“Il y a pourtant un problème quand les citoyens paient le prix européen pour avoir un produit de meilleure qualité alors qu’il est de médiocre qualité. Cela s’appelle de la tromperie”, explique Petar Bogosavljevic, du Mouvement des consommateurs. “Certes, la déclaration de produit les renseigne sur sa composition, mais elle ne dit pas s’il est de même qualité que le même produit vendu dans le reste de l’Europe. Tant qu’un produit est conforme aux normes serbes, il est impossible d’interdire sa distribution sur le marché local ou de sanctionner son fabricant.”

“Le contrôle de qualité d’un produit coûte entre 2 000 et 2 500 euros en Serbie”, note de son côté Goran Popovic, de l’Organisation nationale des consommateurs serbes. “L’argent n’est pas le seul problème, c’est le manque de volonté des institutions qui fait défaut.”

—Gorica AvalicPublié le 15 janvier

La législation de l’UE ne définit pas strictement les pratiques frauduleuses

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28. Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

QUI CONTRÔLE

En 2013, la France s’est engagée dans des opérations militaires en République centrafricaine et au Mali, opérations coûteuses dont les motivations prêtent à controverse, comme le relève La Tribune, à Alger (lire ci-contre). Ces interventions, soutenues par les Etats-Unis et l’Union européenne, qui va envoyer des renforts en République centrafricaine, illustrent les faiblesses de l’Union africaine (p. 28), une organisation minée par les ambitions des acteurs régionaux, comme le Tchad ou l’Afrique du Sud (pp. 29 et 30). Dans ce contexte, la Chine voit ses intérêts économiques contrariés au Soudan du Sud (p. 32). Et quelle réponse donner à la Libye, qui appelle à nouveau la communauté internationale à l’aide ?

à la une

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Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 29

dans la danse. Areva est présent en RCA même si, officiellement, le géant du nucléaire n’en est encore qu’à la phase de l’exploration [le 16 décembre 2013 Areva a annoncé sur son site ne plus avoir d’activités minières en RCA]. Total y renforce son hégémonie dans le stockage et la commercialisation du pétrole, mais il doit composer avec Tradex, une société camerou-naise spécialisée dans le trading des produits pétro-liers”, lit-on dans une contribution d’un blogueur sur le site web de Bêafrika Sango, une agence de presse et d’information indépendante de Bangui.

L’empressement de la France et la sortie du président américain Barack Obama concernant les événements de Bangui [début décembre, Washington a rapidement fourni une aide logis-tique et financière à la France et à l’Union afri-caine ; le 10 janvier, le président centrafricain, Michel Djotodia, et son Premier ministre ont démissionné sous la pression de la France et du Tchad ; le 20 janvier, Catherine Samba-Panza rem-place Djotodia à la tête de l’Etat] sont un indice des gros intérêts économiques et géostratégiques que représente la Centrafrique. Et pas seulement la Centrafrique, voisine du Soudan du Sud et de la république démocratique du Congo (RDC), deux pays qui vivent la même crise politico-sécu-ritaire autour du contrôle des ressources natu-relles. En Centrafrique, tout comme en RDC ou au Soudan du Sud, les rebelles sont soutenus par des pays tiers, aussi bien sur le plan humain que militaire et financier. La guerre civile, qui prend l’allure d’une guerre opposant les chrétiens aux musulmans, risque de s’étaler dans le temps, ce qui fera perdurer le climat d’instabilité dans l’en-semble de la sous-région de l’Afrique équatoriale.

—Lyès MenacerPublié le 30 décembre 2013

de la paix dans ce pays, qui a connu depuis son indépendance, en 1960, six coups d’Etat.

Le caractère philanthropique de l’interven-tion française en Centrafrique cache pourtant des visées économiques et géostratégiques qui sont loin d’avoir un lien avec cette idée du néo-colonialisme, avancée par certains analystes enfermés dans l’idéologie à une époque où il n’y a rien qui prime le pouvoir de l’argent et la guerre larvée autour du contrôle des richesses de la pla-nète. L’enjeu de la guerre à Bangui n’est pas de sauver les Centrafricains d’un génocide ethnico-religieux, comme on essaie aussi de nous le faire croire au Soudan du Sud, en république démocra-tique du Congo, au Darfour et dans d’autres Etats africains, mais il s’agit de savoir qui se servira en premier des richesses du sous-sol.

La décision précipitée de Paris d’envoyer ses troupes vise en fait à contrecarrer la présence chinoise, qui a commencé à se renforcer sous l’ère Bozizé [au pouvoir de mars 2003 à mars 2013]. C’est ce qui explique, en premier lieu, le refus de l’Elysée de lui prêter main-forte alors qu’il était sur le point d’être renversé par cette coalition qu’on disait hétéroclite de la Séléka. Paris, qui a tou-jours appuyé Bozizé, l’a donc lâché pour son flirt, de plus en plus affiché, avec le géant chinois, qui a injecté des millions de dollars en Centrafrique pour s’assurer une meilleure expansion à Bangui.

Cette stratégie chinoise a déjà porté ses fruits dans les autres pays africains, où Pékin a réussi à avoir sa part du marché d’exploitation des res-sources naturelles en offrant son aide au dévelop-pement local sous forme de projets d’ouverture de routes dans des régions enclavées, de construction d’écoles et autres établissements publics, etc. “La France a des intérêts en Centrafrique. Aujourd’hui, elle contrôle son économie ou ce qui en tient lieu. Bolloré y a la mainmise sur la logistique et le trans-port fluvial. Castel règne en maître sur le marché de la boisson et du sucre. CFAO y contrôle le commerce des voitures. Depuis 2007, France Télécom est entré

—La Tribune (extraits) Alger

endant que les médias se focalisent sur le risque d’un conflit confessionnel en République centrafricaine (RCA), entre musulmans et chrétiens, qui se massacrent à coups de fusil et de machette, un système de dilapidation des richesses de ce pays se

met en place loin des regards indiscrets des jour-nalistes et de la majorité des spécialistes du conti-nent africain. Pour le commun des mortels, la Centrafrique n’est qu’un vaste espace où n’existent que des forêts et une population pauvre. Il ignore l’existence de richesses naturelles, comme dans l’ensemble des pays africains. Pourtant, ce pays de 6 millions d’habitants recèle du pétrole, des dia-mants et d’autres ressources naturelles qui sus-citent la convoitise des pays développés.

La France, qui a refusé d’intervenir en Centrafrique lorsque le président déchu François Bozizé a fait appel à elle [en décembre 2012], a fini par envoyer ses soldats [en décembre 2013] après que la crise à Bangui a pris l’allure d’une guerre confessionnelle entre la minorité musulmane, qui a pris le pouvoir pour la première fois [en mars 2013], et la majorité chrétienne, qui crie au génocide de la part des rebelles de la Séléka [coa-lition entre partis politiques et forces rebelles]. Officiellement, le président François Hollande a avancé des raisons humanitaires pour justifier l’envoi de 1 600 soldats à Bangui, où vivent, par ailleurs, de nombreux ressortissants français.

Cette intervention a été perçue par certains comme un acte de néocolonialisme de la part de la France, comme cela était le cas au Mali et en Libye. D’autres ont estimé que cette intervention était nécessaire pour éviter un nouveau génocide sur le sol africain. La présence française dans son ancienne colonie a aussi été saluée par une partie des Centrafricains, qui ont estimé que les soldats français dépêchés à Bangui allaient apporter un soutien de taille à la mission africaine de maintien

L’AFRIQUE ?Centrafrique : les vraies raisons de l’intervention Les Occidentaux justifient l’envoi de troupes dans les pays africains par des raisons humanitaires. Ne s’agit-il pas plutôt de mettre la main sur les richesses locales ?

“HOLLANDE NOUS POMPE L’AIR”“Lorsqu’il proclame la mort de la Françafrique, Hollande court le risque de se perdre dans le verbalisme et le romantisme pseudo-révolutionnaire”, a réagi Le Pays après la conférence de presse du chef de l’Etat le 14 janvier. Pour le quotidien burkinabé, “c’est grâce à ‘la famille franco-africaine’ que la France a pu devenir un grand producteur d’énergie nucléaire, civile et militaire. Dépourvue de pétrole et d’uranium, la France se trouve condamnée à faire son marché sur le continent africain.” Le journal estime qu’“un engagement clair, ferme, joignant les actes aux paroles, de la part de Hollande, en faveur d’une démocratisation réelle du continent africain, est la condition indispensable à la préservation des intérêts français”. “S’il sait qu’il ne peut signer l’acte de décès définitif d’un système qui ne bénéficie nullement aux peuples africains, le président Hollande doit arrêter de nous pomper l’air”, conclut Le Pays.

P

SOURCE

LA TRIBUNEAlger, AlgérieQuotidien, 10 000 ex.www.latribune-dz.comLancé en 1994, ce journal, francophone, sérieux et à la maquette austère, s’est rapidement trouvé un lectorat de cadres et a gagné une réputation d’analyste présent sur tous les thèmes d’actualité.

← Un soldat français calmant la foule à Bangui, décembre 2013.Photo Rebecca Blackwell/AP/Sipa.

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30. À LA UNE Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

Alors pourquoi cet échec ? Lorsqu’elle dispose d’un soutien fi nancier et logistique suffi sant, l’Afrique est capable de réaliser des opérations militaires. Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine se targue aujourd’hui de mener deux missions sur le terrain : celle du Sahara occi-dental est trop en veilleuse pour qu’on s’y attarde, mais celle de Somalie est nettement plus active.

Forte de 25 000 hommes, la Mission de l’Union africaine en Somalie (Amison) a chassé les che-babs de la capitale, Mogadiscio. L’Amison contrôle aujourd’hui de vastes pans du pays, mais, dans les faits, elle est dirigée par les Etats qui fournissent ses contingents. C’est ainsi que l’Ouganda et le Burundi sont aux commandes dans la capitale, tandis que l’Ethiopie dirige les opérations dans l’ouest du pays et que le Kenya contrôle une bande de terre au sud. Bien qu’elle soit placée sous l’au-torité directe de l’Union africaine, l’Amison a peu de prise sur ce qu’elle peut et ne peut pas faire.

On peut en dire à peu près autant des forces régionales de maintien de la paix en Afrique, telle la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca), formée de soldats origi-naires du Gabon, du Tchad, du Congo-Brazzaville et du Cameroun.

Le problème vient d’un manque d’autorité des dirigeants africains. Quand le président nigérian Olusegun Obasanjo et son homologue sud-africain Thabo Mbeki étaient au pouvoir, ils travaillaient en étroite collaboration sur une série de ques-tions. On a cru pendant un certain temps que le concept de “renaissance africaine” allait devenir réalité, mais cet espoir s’est évanoui. Aujourd’hui, le Nigeria et l’Afrique du Sud sont gouvernés par des présidents faibles, obsédés par des problèmes de politique intérieure.

Alors que les dirigeants africains dépensent des sommes faramineuses en voitures, palais et avions, ils privent leurs soldats des ressources dont ils ont besoin pour remplir leur tâche. J’ai moi-même vu des soldats africains entraînés par des marines américains rayonner de joie en recevant une petite quantité de munitions pour s’entraî-ner au tir à balles réelles. Leur propre gouverne-ment refusait de leur fournir plus d’une poignée de balles de crainte qu’ils ne s’en servent pour commettre un coup d’Etat.

—Martin PlautPublié le 9 janvier

de dollars [370 millions d’euros] en vue de former 50 000 soldats africains. La contribution britan-nique a elle aussi été substantielle, puisque le pays a investi 110 millions de livres [135 millions d’euros] par an pendant près d’une décennie.

Mais la FAA, avec ses cinq brigades régionales, n’a jamais vu le jour. L’initiative a été un fi asco. Les diff érences entre les Etats africains sont bien trop profondes pour que ces brigades puissent faire face aux nombreuses crises que connaît le continent. Quand la Côte d’Ivoire et le Mali ont été en diffi culté, c’est l’ancienne puissance colo-niale – la France – qui s’est portée à leur secours.

—African Arguments (extraits) Londres

a situation en Centrafrique est en train d’échapper à tout contrôle. C’est précisé-ment le genre de catastrophe auquel l’Union africaine est censée faire face. En vertu de sa Constitution, l’Union africaine peut directe-ment intervenir dans un Etat membre “dans

certaines circonstances graves, à savoir les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l’humanité”.

Compte tenu de la gravité de la crise en cours en République centrafricaine, on pourrait s’attendre à ce que la présidente de la Commission de l’Union africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, appelle à l’action. Mais les brigades africaines, qui se pré-parent depuis plus de dix ans, restent invisibles. Ce sont des troupes françaises qui ont été trans-portées à Bangui par voie aérienne. Et les Nations unies ont dû retirer des soldats de maintien de la paix du Darfour, du Liberia et même d’Haïti pour tenter de stopper les eff usions de sang au Soudan du Sud. La Force africaine en attente (FAA) a été créée pour fournir à l’Union africaine le type de capacité militaire dont elle avait besoin pour réagir rapidement à des situations critiques comme celle d’aujourd’hui. Le concept a été débattu dans la capitale du Zimbabwe, à Harare, en 1997, mais il a fallu attendre juillet 2002 pour que l’initiative reçoive le feu vert offi ciel.

L’idée était que, d’ici à 2012, deux unités de 2 500 hommes chacune soient opérationnelles en deux semaines. Les Etats-Unis se sont montrés très généreux avec l’“Architecture africaine de paix et de sécurité”, lui fournissant 500 millions

LES FAILLES DE L’UNION AFRICAINEPrivilégiant leurs intérêts nationaux, les dirigeants africains sont incapables d’assurer la sécurité sur leur propre continent.

RDC

●●● Créée il y a vingt ans pour promouvoirla paix et le développement, la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) “peine à imposer sa marque, minée par des clivages qui limitent l’effi cacité de son action”, rapporte Le Potentiel. Le quotidien de la république démocratique du Congo (RDC) pointe du doigt “la politique de l’autruche de ses voisins de l’Est, particulièrement le Rwanda et l’Ouganda”, ce dernier ayant été à la tête de la CIRGL pendant deux ans. “Partie prenante dans les confl its de l’Est, où il s’est visiblement rangé derrière l’ex-rébellion du M23 – comme l’ont

attesté divers rapports des Nations unies –, l’Ouganda n’a pas été sincère ni honnête dans l’administration de cette organisation sous-régionale.” Avec le Rwanda, ce sont des “tireurs de fi celles” qui ont adopté “des résolutions allant dans le sens de leurs intérêts respectifs”, alimentant ainsi “la politique du deux poids deux mesures”. Le journal espère que l’arrivée le 15 janvier de l’Angola, pays réputé plus neutre, aux commandes de la CIRGL, va permettre de “vider tous les litiges pour avancer d’un bon pied dans la sécurisation de la région” et de “redorer le blason terni” de la CIRGL.

L

“ARRÊTEZ D’ÉCOUTER LES VOIX COLONIALES”“Dans les Parlements africains, les palais présidentiels, les salles de classe, les conseils d’administration, les salons, les Africains écoutent les voix d’autres gens, d’autres nations et continents, qui leur disent quoi faire, quand le faire et comment le faire”, dénonce Think Africa Press. Le site d’actualité africaine basé à Londres évoque par exemple la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, “bien souvent mal informés à propos des réalités du continent, qui conçoivent des politiques économiques inadéquates, que les gouvernements africains mettent en œuvre telles quelles”. L’auteure, Chika Ezeanya, spécialiste des politiques africaines de développement, regrette aussi que “des années après le colonialisme, plusieurs dirigeants africains semblent encore réceptifs aux voix de leurs anciens maîtres, les exhortant à ne pas faire confi ance aux groupes ethniques voisins […]. C’est l’une des raisons pour lesquelles les puissances étrangères peuvent si facilement entrer en Afrique et exploiter son peuple. L’énergie que les Africains devraient investir pour développer ensemble leur continent est dépensée pour s’entre-déchirer.”

→ Un soldat de la force africaine en mission à Bangui.Photo Jérôme Delay/AP/Sipa.

Luanda plus sincère que Kampala ?

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Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 QUI CONTRÔLE L’AFRIQUE ? 31

Zone d’opération d’Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) Pirates

Marine française : lutte contre la piraterie dans les golfes de Guinée et d’Aden

sous mandat de l’ONU(Nom de la mission)

Soldats de maintien de la paix :

Soldats françaisBasepermanente

Conflits en cours

Tension régionale

sous conduite africaine(Nom de la mission)

ArgentBauxiteCharbonCuivreDiamants

Etain et coltanFerManganèseOrPhosphates

PlatineTitaneUraniumZinc

Principaux gisements miniers Principaux gisements d’hydrocarbures

Route maritime majeuredu commerce international

B.F.MALI

ALGÉRIE

GUINÉE

GHANA

NIGERIA

CAM. CAM.

NIGERMALI

MAURITANIE

MAROC

LIBERIA

SIERRALEONE

LIBYE

ALGÉRIE

LIBYE ÉGYPTEÉGYPTE

SOUDANTCHAD

MAROC

Sahara-Occidental

SÉNÉG.SÉNÉG.

C.I.

LIBERIA

TCHAD

RÉP.CENTRAFR.

RÉP.CENTRAFR.

GABONGABON

RÉP.DÉM.

DU CONGO

RÉP.DÉM.

DU CONGO

SOUDANDU SUDSOUDAN

DU SUDÉTHIOPIE

ÉTHIOPIE

SOMALIE

DJ.

ÉR. ÉR.

RW.BU.

RW.BU.

KENYA

NAMIBIE

OUG. OUG.

C.I.

TANZANIE

MOZAMBIQUE

ANGOLA

ZAMBIE

BOTSWANAZI.

AFRIQUE DU SUD

SOUDANNIGER

NIGERIA

SOMALIE

Djibouti héberge à la fois la seule base militaire américaine permanente en Afrique (Camp Lemonnier) et le plus important contingent français (1 900 soldats)

Niger, 2e producteur d’uranium en Afrique, 5e au rang mondial

Plus de 50 % de la production mondiale de diamants provient de l’Afrique australe et centrale.

Afrique du Sud1er producteur d’or en Afrique,

4e au rang mondial

Abréviations : B.F. Burkina Faso BU. BurundiCAM. CamerounC.I. Côte d’Ivoire DJ. DjiboutiÉR. ÉrythréeOUG. Ouganda RW. RwandaSÉ. Sénégal

Equateur

Mayotte(France)

Equateur

(Minurso)

(Minul) (Onuci)

(Minusma)

(Monusco)

(Fisnua)

(Amisom)

(Misca) (Minuss)

(Minuad)

COURRIER INTERNATIONAL

Afrique : ressources et conflits

faut “refonder” totalement la RCA, afi n de faire émerger, enfi n, de véritables hommes d’Etat. Pour ce faire, il convient de rétablir très vite le droit du peuple centrafricain à choisir son propre mode de gouvernement. Et sous cet angle la République centrafricaine pourrait diffi cilement faire l’éco-nomie d’une conférence nationale. C’est pour-quoi Djotodia, malgré sa thaumaturgie politique, ne doit pas apparaître comme l’arbre qui cache la forêt. Certes, il faut se réjouir de l’échec du projet d’installation en RCA, par Djotodia, d’un pou-voir, d’un Etat “escroc”. Mais sa démission doit aider la RCA à retrouver les véritables conditions politiques d’une sortie de crise. A la source du pouvoir de Djotodia, il y avait le Tchad de Déby. Jusqu’à sa démission, les rapports entre Djotodia et Déby sont restés cordiaux. Mais, en stratège averti, Déby a craint de tout perdre en voulant maintenir vaille que vaille son poulain au pouvoir. Dès lors, le pyromane a vite fait de se transmu-ter en pompier. Décidément, avec la démission de Djotodia, personne ne peut passer sous silence, encore moins nier l’infl uence décisive de Déby sur la vie politique centrafricaine. Justement, seule l’union de tous les Centrafricains, notam-ment celle de la classe politique et de la société civile, peut empêcher le Tchad de continuer à se conduire en RCA comme une “puissance conqué-rante et insolente”. Djotodia est parti, mais la RCA demeure. Après avoir touché le fond, le pays de Boganda doit remonter à la surface – et renaître.—

Publié le 12 janvier

tchadien. Il fallait manquer de réalisme pour croire que la solution à la crise centrafricaine pouvait être trouvée sans et contre Déby. Cette omniprésence de Déby dans les aff aires en Centrafrique suscite la colère et la rage dans une frange importante de l’opinion centrafricaine, qui ne cesse de la quali-fi er d’impérialisme tchadien. Il faut donc craindre que le patriotisme blessé des Centrafricains ne fi nisse, à long terme, par se retourner contre Déby. Mais il convient de ne pas surdéterminer le rôle

de Déby. Quelle est la raison principale qui a poussé Djotodia, avec sa rébel-lion hétéroclite de la Séléka, à prendre

le pouvoir ? Très sûrement, l’ambition, le désir de commander, d’être admiré et de jouir des biens de l’Etat. En RCA, hormis la glorieuse parenthèse politique ouverte par Barthélemy Boganda [le “père de la nation centrafricaine”, président de 1958 à 1959], le destin et l’avenir de ce pays ont été confi squés par des élites politiques médiocres. Il

—Le Pays (extraits) Ouagadougou

a double démission, le 10 janvier, du président centrafricain de la transition, Michel Djotodia, et de son Premier ministre, Nicolas Tiangaye, est due, qu’on le veuille ou non, à l’infl uence du président tchadien, Idriss Déby. Il paraît désormais diffi cile de ne pas admettre qu’avec

cette étrange victoire diplomatique Déby reste le chef d’Etat le plus incontournable en Afrique centrale. Une chose est certaine : en obtenant le départ de Djotodia et de Tiangaye, Déby a fait taire tous ses détracteurs, notamment tous ceux qui estimaient qu’il avait perdu tout contrôle sur son protégé.

Depuis son arrivée au pouvoir à N’Djamena [en 1990], Déby n’a cessé de se comporter en RCA, grâce à une armée aguerrie, comme, à l’époque, la Syrie au Liban. Ainsi, avec le régime Déby, la RCA est devenue une sorte de petit “protectorat”

Idriss Déby, le pyromane devenu pompierLa France n’est pas seule à être accusée de faire et de défaire les régimesen Centrafrique. Le puissant voisin tchadien est lui aussi pointé du doigt.

L

ÉDITORIAL

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32. À LA UNE Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

0NAVIRE PRIS EN OTAGE par des pirates au large de la Somalie en 2013, rapporte Time, contre 7 en 2012 et 51 en 2009. “Les patrouilles navales internationales menées par l’Otan et l’Union européenne ont augmenté la sécurité en déployant jusqu’à 20 navires de guerre en même temps.” Plus de 400 millions de dollars (300 millions d’euros) de rançon ont été versés en sept ans aux pirates. Le magazine américain rappelle que les experts de la sécurité maritime craignent toutefois que les récentes coupes budgétaires faites à Washington menacent les progrès réalisés dans la lutte contre la piraterie. Le 18 janvier, un navire marchand aurait ainsi été détourné en mer Rouge vers la Somalie.

—Cape Argus (extraits) Le Cap

l est plus que temps pour nous, en Afrique du Sud, d’admettre que nous nous épuisons pour rien et que cela nuit à nos forces de défense. L’armée sud-africaine a déjà envoyé deux bataillons participer à des opérations de longue durée pour le maintien de la paix en

Afrique et il est question d’en dépêcher un troi-sième, alors que nous sommes également censés maintenir un contingent d’urgence et patrouil-ler le long de nos 4 862 kilomètres de frontières. Nous n’avons pas les capacités aériennes néces-saires pour renforcer ou retirer des troupes en cas d’escalade brutale. Rappelez-vous Bangui [en mars 2013, l’armée sud-africaine avait perdu au moins 13 soldats lors de la prise de la capitale centrafricaine par les rebelles de la Séléka]. Quels que puissent être nos objectifs à long terme, nous devons nous concentrer sur nos intérêts les plus importants.

La déliquescence de l’Etat en Centrafrique et le risque de guerre civile au Soudan du Sud constituent des urgences tout à fait réelles pour la république démocratique du Congo (RDC) et donc pour la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et l’Afrique du Sud.

Au plan politique, nous avons beaucoup investi en république démocratique du Congo (RDC) et pas qu’un peu au Soudan du Sud. Plusieurs de nos concitoyens ont perdu la vie pour stabiliser l’est de la RDC et la république de Centrafrique.

Pouvons-nous réellement nous permettre de rester les bras croisés pendant que la Centrafrique s’enfonce dans le chaos et que le Soudan du Sud se désintègre ? Pensez aux conséquences sur la sécurité de la province d’Equateur, en RDC.

Plusieurs sources d’information en Ouganda font déjà état d’actes de guérilla de la part de l’Armée de résistance du Seigneur et des Forces démocratiques alliées (ADF) transitant par la pro-vince d’Equateur en RDC. Des combattants de Libye et des chebabs de Somalie auraient égale-ment rejoint les rangs de l’ADF. L’Afrique du Sud ne peut pas rester indifférente à cette situation : la RDC est importante pour la SADC et pour l’Afrique du Sud, à la fois en tant que marché et en tant que fournisseur d’énergie (avec le barrage Grand Inga) et de ressources naturelles.

Cela ne signifie pas nécessairement que nous devrions envoyer des soldats pour participer à la Misca (Mission internationale de soutien à la Centrafrique) dirigée par l’Union africaine. La Misca est une version renforcée de la Fomac,

LE DILEMME DE LA PUISSANCE SUD-AFRICAINEEn raison de sa capacité militaire limitée, l’Afrique du Sud devrait se focaliser sur la préservation de ses intérêts sécuritaires régionaux.

Soudan du Sud Sans les Chinois, rien ne va plus…Les combats ont poussé la China National Petroleum Corporation à quitter le pays et risquent de décourager d’autres investisseurs et de paralyser l’industrie pétrolière pour des décennies.

LE “BIG BROTHER AFRICAIN” VIT EN CHINEEn Afrique, les affaires de Huawei, numéro deux mondial des télécommunications, sont florissantes. Mais cette entreprise chinoise qui met en place des réseaux de téléphonie mobile bon marché est accusée, selon Foreign Policy, de “mettre le continent sous surveillance” au profit des intérêts du gouvernement chinois. Un ancien officiel américain, cité par le magazine, rappelle que les risques d’espionnage d’entreprises et de dirigeants africains relèvent d’“une question stratégique pour les pays du continent, mais aussi pour l’Amérique”.

—African Arguments (extraits) Londres

n juillet 2011, quand le Soudan du Sud est devenu un pays indépendant, il a conservé environ 75 % des ressources pétrolières du Soudan. Les 350 000 barils produits quotidiennement sont aussitôt devenus un élément vital de l’économie du nouveau pays.

Mi-décembre, il a fallu quelques jours aux deux Etats producteurs de pétrole du Soudan du Sud, le Nil supérieur et l’Unité, pour basculer dans le conflit.

Quand les combats ont commencé, le Nil supérieur produisait 200 000 barils/jour, soit

E

Ila force d’Afrique centrale qui s’est tout simple-ment retirée en mars dernier et a laissé notre petit contingent essuyer de plein fouet les attaques de la Séléka sans même prendre la peine de nous alerter. Cela ne signifie pas non plus que nous devrions absolument déployer des forces au Soudan du Sud pour nous interposer entre les belligérants et nous faire attaquer des deux côtés.

Mais peut-être devrions-nous sérieusement envisager d’envoyer une force interarmées dans la province d’Equateur, en RDC, ne serait-ce que pour réduire l’afflux de bandits, de contrebandiers, de guérilleros, de terroristes et de marchandises qui passent par là.

Pour cela il nous faudrait au moins un bataillon renforcé avec des capacités aériennes et probable-ment quelques embarcations légères de la marine pour patrouiller sur les rivières. Où prendrions-nous ces hommes alors que nous manquons déjà de ressources ? La seule possibilité à court et moyen termes serait de rappeler nos soldats de la Minuad, la Mission des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour. Non pas que les efforts de maintien de la paix au Darfour n’en vaillent pas la peine, leur utilité est incontestable. Mais la sta-bilité de la RDC est infiniment plus importante pour l’Afrique du Sud et la SADC.

—Helmoed Römer Heitman*Publié le 7 janvier

* Helmoed Römer Heitman est un analyste indépendant spécialiste des questions de défense et le correspondant en Afrique du Sud de l’hebdomadaire Jane’s Defence et de plusieurs autres publications.

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Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 QUI CONTRÔLE L’AFRIQUE ? 33

Cyrénaïque en octobre. D’après Mustapha Abou Fanas, le ministre de l’Economie libyen, ces fer-metures ont causé à la Libye 10 milliards de dol-lars [7,3 milliards d’euros] de manque à gagner.

La stratégie d’Aqmi. Plus inquiétant encore pour la stabilité du pays, la résurgence des activi-tés terroristes d’Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) et les organisations qui lui sont affiliées, par exemple Ansar Al-Charia [les défenseurs de la charia, groupe désigné comme responsable de l’attaque du 11 septembre 2012 contre le consu-lat américain de Benghazi]. La Libye est la pierre de touche de la stratégie d’Aqmi dans la région. Certains membres des services de renseigne-ments vont même jusqu’à la qualifier de “siège” d’Aqmi dans la région.

Au Mali, cette organisation a pu récupérer la rébellion touareg en formant une coalition infor-melle avec d’autres organisations djihadistes et créer brièvement un Etat islamique dans le nord de l’Azawad.

Ali Zeidan, le Premier ministre libyen, demande régulièrement aux puissances étrangères d’aider son gouvernement à limiter la prolifération des armes et des milices dans le pays. Répondre à cet appel et aider les autorités à procéder au désar-mement, à la démobilisation et à la réintégration des milices dans les forces de sécurité légitimes est une condition sine qua non pour stabiliser le pays. La politique consistant à “acheter la paix”, qui a été suivie jusqu’à présent, ne marchera pas. Le seul effet qu’elle ait eu, si elle en a eu un, c’est d’encourager certaines milices.

Les partenaires internationaux, Etats-Unis, Royaume-Uni et Turquie entre autres, ont déjà accepté de contribuer à la formation des forces de sécurité libyennes. Ce ne sera pas facile. L’intégration des milices prendra du temps et nécessitera une surveillance et une pression per-manente de la part de la communauté interna-tionale et de la société civile.

Surveillance aérienne. Les puissances régio-nales, l’Algérie par exemple, auront également un rôle à jouer. Abdelmalek Sellal, le Premier ministre algérien, s’est rendu récemment en Libye avec des responsables militaires qui ont remis à leurs homologues des relevés de surveillance aérienne mettant en lumière les mouvements des milices à la frontière algéro-libyenne. Cette aide logistique faisait suite à un type de coopération actuelle-ment en cours entre l’Algérie et la Tunisie. Dans ce climat volatil, la coopération entre les services de renseignements des pays du Maghreb va sans aucun doute s’intensifier dans les mois à venir.

La Libye demeure en grande partie favorable à l’Occident après l’intervention décisive [mars-octobre 2011] de celui-ci pendant la révolution. Refuser de participer à la reconstruction de ses forces de sécurité serait concéder un espace vital aux organisations terroristes qui opèrent au Sahel et en Afrique du Nord. En s’attaquant enfin au “problème des milices” de façon cohérente et directe, on contribuerait à sécuriser la Libye et on permettrait aux Libyens de se concentrer enfin sur l’édification des institutions démocratiques qu’ils méritent.

—Imad MesdouaPublié le 7 janvier

LIBYE L’APPEL À L’AIDE DE TRIPOLIFace au diktat des milices qui bloquent les sites pétroliers, le gouvernement libyen demande à la communauté internationale de l’aider à pacifier le pays.

—Your Middle East (extraits) Stockholm

a sécurité en Libye demeure une perspective précaire. Le pays grouille d’armes et les milices s’y comptent par milliers. L’existence d’un réseau en pleine expansion de ces groupes aux programmes et influences divers consti-tue indéniablement un obstacle à la stabilité

postrévolutionnaire du pays. Organisations extrémistes, djihadistes et oppor-

tunistes violents ont à leur disposition armes légères, missiles antiaériens et roquettes dans les plus grands entrepôts du monde. Ces armes sont pour eux une “assurance” au milieu de l’anarchie régnante. Résultat, l’extrémisme venant du “bazar des armes” libyen risque de déborder sur toute la région du Maghreb-Sahel.

Les milices imposent leurs diktats sur les zones stratégiques, entre autres les puits de pétrole, dont l’économie a tellement besoin, ce qui mine considérablement la crédibilité du gouvernement et les revenus du pays depuis quelques mois. Par exemple, le Bureau politique de la Cyrénaïque, orga-nisation fédéraliste dirigée par Ibrahim Jedran, occupe des terminaux pétroliers depuis le mois de juillet et a annoncé la création de l’Etat fédéral de

L

WASHINGTON À PAS COMPTÉS“Les efforts engagés récemment par le Pentagone pour évacuer les ressortissants américains du conflit sud-soudanais soulignent la capacité de l’armée à déployer rapidement des contingents afin de réagir à des situations urgentes en Afrique, relève The New York Times. Après l’attentat survenu en septembre 2012 contre la mission diplomatique américaine de Benghazi, en Libye, poursuit le quotidien, le Pentagone a établi à Djibouti (dans la Corne de l’Afrique) une force de réaction rapide composée de 150 personnes et a envoyé 500 marines sur une base en Espagne, pour avoir des troupes, des avions et des équipements militaires plus près des conflits potentiels. La mission au Soudan du Sud est le premier test pour ces nouvelles forces, qui s’en sont bien tirées sur certains points. L’équipe a une mission très précise, qui reflète l’objectif du gouvernement de limiter sa présence militaire sur le continent africain”. Rappelons que Washington est le principal bailleur de fonds du Soudan du Sud, après avoir fortement soutenu sa naissance, et que les Américains ne sont pas impliqués dans l’industrie pétrolière de ce pays.

← En Libye. Dessin d’Haddad paru dans Al-Hayat, Londres.

80 % de la totalité de la production pétrolière du Soudan du Sud. Les rebelles ayant pris pour cible les gisements pétroliers, la China National Petroleum Corporation (CNPC), principal acteur de l’industrie pétrolière du Soudan du Sud, a évacué des centaines d’employés du champ pétrolifère de Palogue, le plus grand du Soudan du Sud, et sans doute le plus beau fleuron de son économie.

Sans le personnel venu de Chine et d’autres pays, les techniciens sud-soudanais, dont le nombre est limité, vont avoir du mal à maintenir la production à un niveau élevé. Le voisin du Nord, le Soudan, qui prévoit de générer 10 % de son budget 2014 à partir des droits et redevances liés au pétrole du Soudan du Sud, a proposé d’y envoyer son propre personnel.

Dans l’Unité, la production pétrolière s’est entièrement arrêtée. La Greater Pioneer Operating Company (GPOC), composée de la China National Petroleum Corporation, de Petronas (Malaisie) et d’ONGC Videsh (Inde), a mis fin précipitamment à la production, qui représentait environ un cinquième de celle du Soudan du Sud, et a fait évacuer le personnel quand des combats sont survenus dans les gisements pétroliers d’Unité et de Thar Jath.

En janvier 2012, un différend avec le Soudan voisin sur les redevances liées à l’oléoduc avait conduit le Soudan du Sud à arrêter sa production pétrolière pendant quinze mois. Une eau traitée chimiquement a alors été utilisée pour purger et remplir l’oléoduc du Nil supérieur, mais cette solution et le pétrole résiduel n’ont fait qu’accroître le taux de corrosion normal de l’intérieur de l’oléoduc. Si le conflit oblige une nouvelle fois à fermer les champs pétrolifères du Nil supérieur,

cela entraînera des dommages importants pour cet oléoduc qui a coûté des milliards de dollars. Il pourrait même finir hors d’usage.

Dans les gisements de l’Unité, les taux de production étaient déjà en net recul avant le conflit. Après un pic de près de 288 000 barils par jour en moyenne en 2004, on est descendu en dessous de la barre des 125 000 barils en juin 2011, un mois avant que le Soudan du Sud n’accède à l’indépendance. Une étude norvégienne a fait apparaître que les taux de forage pétrolier pourraient être accrus et générer des milliards de nouvelles recettes, mais les investissements en technologie atteindraient les 300 millions de dollars [220 millions d’euros] pour un seul gisement.

Les compagnies pétrolières vont être réticentes à investir des capitaux importants dans un environnement aussi instable politiquement, où l’insécurité s’accroît.

—Luke PateyPublié le 10 janvier

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34. Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

↙ Le Grand Canyon a été le premier lieu à être photographié grâce au Trekker. Photo Google

trans-versales.

technologie

Google Maps à la conquête du mondeInternet. Avec son interface ergonomique et sa couverture exhaustive du globe, le service de cartographie américain est aujourd’hui incontournable. Mais son hégémonie pourrait ne pas durer.

—The New York Times (extraits) New York

Au bout de trois jours et 90 kilomètres de descente du Colorado depuis Lee’s Ferry, les deux rafts de notre

petite flottille ont été surpris par un orage qui a éclaté soudainement, ne s’annonçant que par un vent frais dans notre dos. Sous un ciel réduit à un ruban bleu coincé entre les parois du Grand Canyon, nous n’avions pas vu arriver les gros nuages noirs qui

Economie ............. 37Médias ............... 38Signaux .............. 39

s’amoncelaient au-dessus de nous. J’étais assis à l’avant de la première embarcation, à côté de Luc Vincent, notre chef d’expé-dition. Luc Vincent est l’homme qui se trouve derrière toute l’imagerie du service de cartes en ligne de Google. Il s’occupe de tout : il sélectionne les images satellitaires, déploie les avions de Google aux quatre coins de la planète, envoie ses voitures équi-pées d’appareils photo parcourir toutes les routes et dirige même une flotte de canoës au fond du Grand Canyon. Cette randonnée

était aussi une célébration : Google Maps venait d’inaugurer une refonte complète de son site, et cette balade était une façon de récompenser certains membres de l’équipe.

Luc Vincent portait un tee-shirt noir orné sur la poitrine de l’insigne des marines (un aigle posé sur un globe terrestre traversé par une ancre) et barré dans le dos de la devise “La douleur n’est qu’une faiblesse qui quitte le corps”. Malgré sa petite stature, il a le torse puissant d’un alpiniste chevronné. Il a choisi de faire son doctorat sur la vision

par ordinateur parce que le labo se trouvait tout près de Fontainebleau – la Mecque des varappeurs en France. A l’époque où il achevait son postdoctorat au laboratoire de robotique de Harvard, il a conduit avec succès une expédition au Denali [en Alaska] et escaladé le mont McKinley, le plus haut sommet d’Amérique du Nord.

Ce Français de 49 ans qui a passé la moitié de sa vie aux Etats-Unis est l’une des figures de proue d’un nouveau jeu palpitant : l’acquisition de territoires sur Internet, qui peut se résumer à trois ter-ritoires conceptuels majeurs. Le premier, celui des requêtes de type “quoi”, a été conquis par les algorithmes de recherche imbattables de Google ; le “qui” est allé à Facebook ; mais pour le “où”, peut-être le lot le plus important, aucun vainqueur n’a encore été désigné.

Géolocalisation. Les requêtes de type “où” – celles qui font apparaître une petite carte sur la page de résultats – représentent 20 % de toutes les recherches Google effec-tuées à partir des ordinateurs personnels. Mais l’enjeu fondamental est la géolocali-sation, déjà indispensable au fonctionne-ment de nos téléphones et autres appareils mobiles. A l’avenir, cette caractéristique sera intégrée à tous nos objets. Vos clés de maison vous informeront que vous les avez oubliées sur votre bureau ; vos outils vous rappelleront que vous les avez prêtés à un ami. Et votre voiture pourra aller récupérer toute seule vos clés et vos outils.

La carte de demain, intégralement connectée à tous les objets mobiles, sera si essentielle à leur fonctionnement qu’elle constituera en fait rien de moins que leur système d’exploitation. Une carte est donc à la géolocalisation ce que Windows est à un PC. Et, comme en témoigne l’histoire de Microsoft, une entreprise qui contrôle le système d’exploitation contrôle prati-quement tout.

Google est arrivé relativement tard dans ce domaine. Sa carte n’avait encore que quelques mois lorsque Tim O’Reilly – édi-teur et visionnaire reconnu de la Silicon Valley – l’a présentée au cours de sa fameuse conférence inaugurale Where 2.0 en 2005. Elle était pour le moins rudimentaire  : rien de plus qu’un atlas routier numérisé. Comme celles de Microsoft et de Yahoo!, elle utilisait des données sous licence et représentait certaines régions hors des Etats-Unis et d’Europe sous forme de vastes déserts bleus. La grande innovation de Google était son interface web : d’un clic de souris, l’utilisateur pouvait faire glisser la carte latéralement, zoomer, obtenir des panoramiques.

Les développeurs n’ont pas tardé à comprendre qu’ils pouvaient tirer parti de ces fonctions dynamiques pour créer leurs propres services de géolocalisation. C’est ainsi qu’un informaticien du nom de Paul Rademacher a inventé une technique pour faciliter la recherche d’appartements

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TRANSVERSALES.Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 35

↓ Une vue panoramique interactive du Grand Canyon sur Google Maps. Photo Google

maisons, les plaques de rues et jusqu’au visage à lunettes du colonel Sanders [logo de la chaîne de fast-foods Kentucky Fried Chicken] – auquel cas, le robot signalera le point correspondant sur la carte par une note indiquant qu’il y a probablement là une franchise de KFC. “Quand nous avons commencé, Street View n’était qu’une idée de science-fiction, rappelle Luc Vincent. Aujourd’hui, c’est la clé du système.”

Les parois chaudes du canyon fouet-tées par la pluie dégageaient une brume de vapeur qui adoucissait le paysage. Luc Vincent a appelé l’équipe qui travaillait sur l’appareil photo : “Gardez ces panos, ils devraient donner un effet très artistique.” Il avait raison : le spectacle était d’une incroyable beauté. “Je voudrais fixer ces images sur ma rétine pour ne jamais oublier ce lieu”, me suis-je pris à dire. “Ne t’en fais pas, a répliqué le chef d’expédition. Street View sera là pour t’aider à t’en souvenir.”

Concurrents. Luc Vincent m’a rappelé que Street View n’avait encore fait qu’ef-fleurer les deux continents les plus vastes et les plus peuplés : “L’Afrique et une grande partie de l’Asie sont pour l’instant de grands vides.” Pour ne rien arranger, des clones de Street View fleurissent partout où Google n’est pas présent. “Il y en a trois en Chine, deux en Russie, un en Turquie, un en Corée et bien d’autres ailleurs”, a-t-il souligné. Si les concurrents comme Microsoft ne l’impressionnent pas plus que cela, Luc Vincent prend très au sérieux la menace que représentent ces clones. “Ils ont tous magnifiquement copié notre interface utilisa-teur, ce qui peut être pris comme un compli-ment.” Derrière ce ton badin, il était clair qu’il considérait ces plagiats comme une forme de vol. “Nous avons pris beaucoup de retard dans ces pays”, a-t-il ajouté.

à une autre dans Street View, on a l’impres-sion de se promener dans l’espace virtuel. Streetside a été lancé en 2006 avec un rendu photographique de plusieurs quartiers de Seattle et de San Francisco. Un an plus tard, Google dévoilait son service Street View pour cinq villes. Le géant de Mountain View a fini par écraser Microsoft grâce à un programme de reconnaissance plus actif. Street View couvre désormais 3 000 villes dans 54 pays et s’aventure bien au-delà des rues pour explorer les chemins, sentiers de randonnée et jusqu’aux cours des fleuves. “Nous voulons peindre le monde”, résume Luc Vincent. A quel niveau de résolution ? “A peu près un pixel par pouce [2,54 cm].” En alignant des milliers de clichés le long des lignes signalant les routes et chemins sur la carte, Luc Vincent et son équipe construisent une immense photographie de la planète.

Aux Etats-Unis, certaines des infor-mations cartographiques les plus fiables sont gratuites et proviennent des ser-vices publics fédéraux : rapports de l’US Geological Survey et du Forest Service, recensements démographiques, etc. Google a acheté d’autres données géographiques, aux Etats-Unis et à l’étranger. Dans la plu-part des régions en développement, il n’y avait en revanche aucun marché pour des données géographiques de qualité. En Inde, Oyster a dû faire avec de médiocres tracés de rues à partir de photos satellitaires. Le groupe dispose à Hyderabad d’une équipe de plus de 2 000 “vérificateurs de terrain”, qui naviguent chaque jour dans le cyber-espace, croisant les données des cartes avec les photos Street View.

Outre ces opérateurs humains, des robots de reconnaissance de formes cherchent des adresses dans les archives. Les programmes de vision artificielle de Google cherchent les numéros des

à cinq secondes. Ces photos devaient être stockées dans les ordinateurs de l’appa-reil, marquées d’indicateurs comportant les coordonnées précises de latitude, lon-gitude et altitude, puis assemblées en vues panoramiques à 360°. Lorsque les images collectées au cours de la descente en raft seront intégrées à la carte de Google, tout utilisateur connecté à Internet pourra affi-cher une vue immersive en réalité augmen-tée du parcours du Grand Canyon.

L’un des avantages d’être ingénieur chez Google est d’être encouragé à consacrer 20 % de son temps à un projet parallèle qui vous tient à cœur. En 2004, Street View était le projet de Luc Vincent. Il s’agissait de photographier chaque rue de San Francisco centimètre par centimètre et d’ajouter ces prises de vue à la carte. Google n’a toute-fois pas été le premier à donner corps à cette idée.

En 2005, A9.com, le projet confidentiel d’Amazon sur la technologie des moteurs de recherche, présentait un système de visualisation novateur baptisé Block View. Pensée comme une version améliorée des Pages jaunes, cette fonctionnalité permet-tait de trouver le numéro de téléphone et l’adresse d’un commerce local – ainsi qu’une photo de sa vitrine. Elle a été désactivée au bout de vingt mois, mais entre-temps Microsoft avait introduit son propre ser-vice, Streetside, pratiquement identique, à ceci près que les photos de rues et de vitrines étaient présentées dans un cadre créé numériquement.

Google a développé ensuite une inter-face plus élégante. Au lieu de représenter le déplacement à travers une séquence conti-nue de photos, Google s’est concentré sur l’idée d’un appareil photo panoramique et l’a utilisée pour mitrailler des panoramas à un mètre d’intervalle. En passant d’une photo

à San Francisco. Frustré par les limites des annonces de Craigslist [premier site de petites annonces aux Etats-Unis], il a passé six semaines à superposer à un fond de carte Google les appartements proposés sur le site. Le résultat, HousingMaps, était l’un des premiers mashups [un nouveau site créé à partir de l’agrégation de contenus provenant d’autres sites] du web.

L’application composite de Paul Rademacher a permis à la firme de Mountain View de prendre conscience du potentiel de sa carte, qui pouvait être bien plus qu’un simple outil évitant aux utilisateurs de se perdre. La mettre en libre accès lui donnerait peut-être une chance de s’imposer comme rouage indispensable de l’immense ordinateur collaboratif qui était en train de naître.

Paul Rademacher a aidé la société à développer et à éditer une interface de programmation (ou API pour Application Programming Interface) pour Google Maps. A partir du moment où les programmeurs disposaient d’une API leur donnant accès au système cartographique de Google, ils pouvaient agréger leurs propres contenus à la carte gratuite de Google, voire lancer une activité commerciale reposant entièrement sur Google Maps.

C’est exactement ce qu’a fait le site immo-bilier Redfin, qui superpose à une carte Google des photos et des informations sur des offres immobilières. AirBnB fait la même chose pour les locations saison-nières de chambres. Il existe d’ores et déjà sur le web tout un écosystème fondé sur Google Maps.

3 000 villes dans 54 pays. La charge utile de notre raft se dressait juste der-rière Luc Vincent et moi, au centre de l’embarcation, à trois mètres au-dessus de la surface des eaux : un globe vert, gros comme un ballon de foot et capitonné de quinze objectifs pointant dans différentes directions. Cet appareil photo panoramique réalisé sur mesure est la cheville ouvrière de Street View, la fonctionnalité de Google Maps qui vous permet d’afficher une photo panoramique prise d’un point particulier dans une rue donnée. Des voitures surmon-tées d’un appareil photo à 360° sillonnent depuis des années les routes de la planète, en prenant des clichés à intervalles d’un mètre environ. Une version de l’appareil Street View est conçue comme un sac à dos : c’est le Trekker.

Pour l’expédition en raft, les quinze len-tilles du Trekker avaient été programmées pour prendre une image toutes les quatre

“A l’heure actuelle, personne ne concurrence l’activité cartographique de Google, ni en qualité ni en quantité”

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TRANSVERSALES36. Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

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Street View étend son influenceZones couvertes par le service de Google

Projection Mercator utilisée par Google Maps.

OSM à travers son application de correction de carte. Google dispose à l’heure actuelle d’environ vingt-cinq voitures autonomes expérimentales parcourant les routes publiques du Nevada et de Californie. Ce n’est pas à quelque nouvelle percée de l’intelligence artifi cielle que les algo-rithmes de conduite autonome doivent leur succès, mais bien aux cartes. Chaque route sur laquelle circulent les voitures robots a dans un premier temps été repérée par une voiture pilote conduite par un humain et équipée de capteurs suffi samment sensibles pour mesurer l’épaisseur des lignes peintes au milieu de la chaussée.

Sergey Brin, cofondateur de Google, a promis de présenter dans les quatre ans à venir une technologie de conduite auto-nome, et les cartes de Google seront alors une fonctionnalité standard de ses voitures robots. L’entrepreneur Elon Musk n’est pas en reste puisqu’il a pour sa part annoncé que sa société, Tesla Motors, sortirait d’ici trois ans une voiture sans chauff eur. Il est encore trop tôt pour savoir si Tesla utilisera les cartes d’OSM, mais tout laisse à penser qu’il tournera le dos à celles de Google.

Dans ce proche avenir, la carte ne sera qu’une source de données : un moyen, pour nos téléphones, nos voitures et Dieu sait quoi d’autre, de naviguer dans le monde réel. A qui appartiendront ces données ? A Google ? A nous ? Au constructeur de notre voiture ? Il est trop tôt pour le dire. Mais selon Tim O’Reilly, au bout du compte, “le gagnant sera celui qui possédera le plus de données”.

—Adam FisherPublié le 11 décembre 2013

introduisant un système de péage, Google indiquait clairement qu’il considérait son service Maps comme un élément essen-tiel d’un système d’exploitation pour les appareils mobiles. N’était-il pas à craindre, dès lors, qu’il fi nisse par s’arroger trop de pouvoir sur l’iPhone lui-même ?

Ces sociétés se sont toutes rabattues sur la même option  : OpenStreetMap, une fondation à but non lucratif basée en Grande-Bretagne et souvent présentée comme le Wikipédia de la cartographie. Fondée il y a dix ans par Steve Coast, un étudiant en informatique de l’University College de Londres, OSM est aujourd’hui un projet collaboratif regroupant quelque 300 000 cartographes amateurs dans le monde entier. Tout un chacun peut utiliser gratuitement la carte générée et y contri-buer. Il a cependant fallu attendre que Google Maps commence à restreindre l’ac-cès à ses données pour que OSM devienne un concurrent potentiel à l’hégémonie car-tographique de Google.

“A l’heure actuelle, personne ne concurrence l’activité cartographique de Google, ni en qua-lité ni en quantité”, constate Steve Coast. Mais, ajoute-t-il, “cela s’explique par le fait qu’il n’est pas totalement rationnel d’élaborer une carte comme le fait Google”. La fi rme ne dit pas combien lui coûte son imagerie satellitaire, ses avions, voitures et autres véhicules équipés d’appareils photo, mais la somme est de toute évidence astrono-mique. OSM, en revanche, tourne avec un budget annuel inférieur à 100 000 dollars [73 000 euros]. Le train de vie de Google n’est “pas tenable”, affi rme Steve Coast, “car à terme, toutes ces données seront gratuites”.

Voitures robots. Plusieurs entreprises commerciales ont commencé à apporter des données et même, dans certains cas, à fi nancer la cause OSM. Microsoft, l’un des premiers soutiens de la fondation, lui a donné accès à son API et à des images aériennes. Foursquare agrège virtuellement ses 40 millions d’utilisateurs à l’alliance

Foursquare, une application d’explora-tion urbaine utilisée par 6 % des utilisateurs de smartphones dans le monde, a été l’un des premiers poids lourds à déserter, dès l’hiver 2012. Au printemps, d’autres entre-prises prestigieuses lui ont emboîté le pas. Apple a quitté le navire à l’été, poussé par un souci stratégique, presque paranoïaque. En

Sa fl otte de voitures Street View a déjà cartographié près de 10 millions de kilo-mètres. On peut penser que c’est beau-coup (l’équivalent de douze allers-retours vers la Lune) ou très peu (pas plus d’un dixième des 100 millions de kilomètres de routes du monde). Quoi qu’il en soit, les énormes investissements de Google en voitures équipées d’appareils photo – et en moto-tricycles, bateaux, motoneiges et même canots pneumatiques – ont permis d’élaborer l’atlas des rues le plus détaillé de la planète.

Au début 2012, la part de marché de Google aux Etats-Unis pour les requêtes de localisation a atteint 70 %, et la fi rme a entrepris de commencer à récupérer la fortune qu’elle a dépensée pour construire sa carte en décidant de faire payer son API aux gros utilisateurs.

Plus de 99 % des utilisateurs de l’API –  de petits sites commerciaux comme HousingMaps – ne dépassaient pas le quota gratuit et n’étaient donc pas concernés. Il restait tout de même quelque 3 500 sites d’entreprises dont l’activité commerciale reposait entièrement sur les cartes de Google et qui devaient passer à la caisse. Ce changement a provoqué une désaff ec-tion de masse.

ARCHIVES courrierinternational.com

Aujourd’hui, des services comme Google Maps sont particulièrement utiles dans un monde où les objets de notre quotidien sont de plus en plus connectés et intelligents. Bientôt, nous pourrons les coordonner pour qu’ils répondent au moindre de nos besoins. “Quand tous nos objets seront programmables”, un reportage de la revue Wired publié dans CI n° 1180, du 13 juin 2013.

A la uneTHE NEW YORK TIMESCet article est tiré de l’édition du 15 décembre 2013. “Google était là. Dans la bataille pour la dominance du monde numérique, la victoire appartient à celui qui contrôle la carte”, peut-on lire en couverture du supplément dominical du quotidien new-yorkais.

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TRANSVERSALES.Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 37

franceculture.fr

en partenariat avec

—The Economist (extraits) Londres

En 2008, si vous aviez de- mandé aux autorités de contrôle quel instrument

fi nancier n’aurait jamais dû voir le jour, elles auraient certainement cité un acronyme en trois lettres lié à la titrisation. Avant la crise fi nancière, la pratique consistant à regrouper des revenus futurs comme les remboursements de prêts automobiles et de cartes de crédit, à les reconditionner en titres de créance et à les vendre par lots assortis de diff érents niveaux de risque faisait fi gure de gestion avisée. Mais ce ne fut plus le cas après que l’on eut découvert que de nombreux CDO, CLO, ABS et autres MBS étaient infestés de subprimes, ces prêts hypothé-caires à hauts risques améri-cains. Aujourd’hui, ces mêmes autorités tentent de ressusciter

ces produits. L’enthousiasme suscité par la titrisation est pal-pable. Andy Haldane, directeur de la Banque d’Angleterre, l’a récemment qualifi ée de “véhicule fi nancier des quatre saisons” qu’il ne faudrait plus voir comme un “épouvantail”. La Banque centrale européenne (BCE) est fan de la titrisation, tout comme les auto-rités internationales de contrôle du système bancaire, qui, en décembre dernier, ont édulcoré les règlements susceptibles d’en limiter l'usage.

Les organismes de surveillance seront donc ravis du retour en grâce de cette pratique qui sem-blait en voie de disparition. Les émissions d’ABS (adossées à des prêts automobiles, des dettes sur cartes de crédit et d’autres crédits à la consommation) ont doublé depuis 2010, où elles étaient au plus bas. Celles de titres ados-sés à des prêts pour l’immobilier

commercial sont passées de 4 mil-liards de dollars en 2009 à plus de 100 milliards de dollars en 2013. D’autres sources de revenus utili-sées sont plus inattendues, comme celles générées par les panneaux solaires ou par les locations rési-dentielles – le genre de gadgets autrefois considérés comme ridi-cules et caractéristiques d’une période de boom. Si l’on exclut les prêts à l’immobilier résiden-tiel, dont le marché est faussé aux Etats-Unis par la participation d’agences fédérales, la quantité d’actifs titrisés est en progression continue au niveau mondial.

Meilleurs ratios. Le retour de la titrisation est lié à la croissance de l’activité économique : si l’on peut titriser des prêts automobiles, par exemple, c’est parce que les consommateurs achètent des voi-tures. L’off re est également stimu-lée par les investisseurs en quête de rentabilité à tout prix, car ces titres off rent de bons rendements, surtout s’ils sont risqués. Mais le plus important, c’est l’engouement des autorités de contrôle.

Pourquoi ces dernières désirent-elles réhabiliter ces produits qui ont failli anéantir l’économie mon-diale il y a cinq ans seulement ? Pour résumer, elles souhaitent alimenter davantage l’économie en crédits. D’aucuns assurent que c’était le contenu de ces ins-truments – les créances à hauts risques – qui était toxique et non la titrisation elle-même. C’est un argument qui se défend.

La nécessité de ressusciter la titrisation se fait particulièrement sentir sur le Vieux Continent. Alors qu’aux Etats-Unis les marchés de capitaux sont prêts à fi nancer les entreprises (par le truchement des obligations), l’Europe est bien plus dépendante du crédit bancaire. Ses banques ont besoin de plus de capitaux et représentent le maillon

faible dans la reprise qui s’amorce parce qu’elles ne répondent pas à la de mande de prêts des ménages et des petites entreprises. Les autorités veulent que les banques prennent moins de risques, et ont pour cela relevé leur ratio fonds pro pres sur prêts. Comme les ban ques rechignent à augmen-ter leur capital, elles doivent se délester de certains actifs. C’est là que la titrisation est utile : en regroupant dans leurs comptes les créances (qui forment une partie de leurs actifs) et en les vendant à des gestionnaires d’actifs ou à des compagnies d’assurances, les banques peuvent à la fois alléger leur bilan et améliorer leurs ratios.

Chaos. Il n’y a pas d’urgence, car les banques européennes sont inondées d’argent bon marché par la BCE, et les ratios de solvabilité plus stricts n’entreront offi ciel-lement en vigueur que dans plu-sieurs années. Mais il arrivera un moment où les marchés fi nanciers devront prendre le relais.

Les autorités sont également favorables à la titrisation parce qu’elles pensent pouvoir l’enga-ger dans une voie diff érente de celle qui a débouché sur le chaos en 2008. Elles sont convaincues que les changements réglemen-taires ont rendu la pratique plus sûre. Les créateurs de produits titrisés devront en effet assu-mer une partie du risque lié à la créance originale. De plus, la “retitrisation”, qui consiste à titriser les revenus des produits titrisés, est devenue plus diffi cile à mettre en œuvre. Si les autori-tés parviennent à leurs fi ns, des Frankenstein comme les “CDO au carré” – un titre adossé à un titre adossé à des actifs – auront peu de chances de faire leur retour.

Mais le plus grand change-ment réside dans l’attitude des investisseurs. Avant 2008, nombre

d’entre eux avaient été subjugués par le boniment des cracks de la fi nance qui concoctaient des CDO, ABS et autres produits du même acabit. Rassurés par des agences de notation peu vigilantes qui soutenaient l’ambition des ban-quiers de générer de coquets rendements pratiquement sans risque, les investisseurs avaient foncé tête baissée. Conscients que leur réputation est en jeu, ces derniers examinent désormais à la loupe les actifs à trois lettres. Les autorités de contrôle devront s’assurer qu’ils maintiennent bien cette discipline.—

Publié le 11 janvier

↙ Dessin de Bromley paru dans le Financial Times, Londres.ÉCONOMIE

Le retour en grâce de la titrisation Finance. Discréditée par la crise des subprimes, cette technique est de nouveau à la mode. Avec la bénédiction des autorités, qui estiment avoir limité les risques de dérapage.

LexiqueABS (asset–based security) : valeur mobilière adossée à des actifs. Les fl ux sont par exemple basés sur ceux d’un portefeuille d’emprunts immobiliers, de paiements de cartes bancaires ou de créances commerciales. C'est la forme la plus courante de titrisation, et elle revient en force.MBS (mortgage-backed security) : titre adossé à des prêts hypothécaires. Ils ont alimenté la crise des subprimes en 2008.CDO (collateralized debt obligation) : obligation adossée à des actifs. Avant la crise, ces produits complexes étaient souvent investis dans des tranches d’ABS et de MBS, ou dans d’autres CDO. Les autorités s’en méfi ent. CLO (collateralized loan obligation) : dérivé de crédit adossé à des prêts aux entreprises. De nouveau à la mode.

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TRANSVERSALES38. Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

PARTOUTAILLEURS ERIC VALMIR

LE VENDREDI À 19H20

LA VOIXEST

LIBREen partenariat avec

—The Daily Telegraph Londres

Autrefois, les gangs et les criminels cherchaient à rester discrets et ca chés, ce qui paraît la chose la

plus intelligente à faire lorsqu’on enfreint la loi. Mais ils sont eux aussi séduits par l’incitation des réseaux sociaux à partager les détails de sa vie privée avec de parfaits étrangers. Une véritable aubaine pour les policiers, qui n’ont plus qu’à les regarder, depuis leurs fauteuils, s’incriminer eux-mêmes. Les auteurs d’une étude publiée par le magazine américain Justice Quarterly ont interrogé des membres de gangs au sujet de leur présence sur les médias sociaux. Bizarrement, plus de la moitié ont déclaré que leur bande avait créé sa propre page. Ils y diff usent des vidéos, habituellement pour mener une sorte de stratégie de relations publiques modérée – menacer les membres d’autres gangs et parader sur le territoire rival – et tentent généralement d’avoir l’air méchant en postant des photos d’eux-mêmes avec leurs armes, leur butin, etc.

Ce phénomène touche tout l’éven-tail de la pègre, depuis les petits voleurs

jusqu’aux cartels internationaux de la drogue. Récemment encore, les Chevaliers templiers, un cartel mexicain, avaient une page Facebook très visitée qui était remplie de selfi es [autoportraits] sexy et de photos d’armes. En octobre dernier, les membres d’un gang de cambrioleurs basé dans le Kent, en Grande-Bretagne, ont été arrêtés après avoir posté des selfi es sur un groupe BlackBerry Messenger appelé Armed Robbers [voleurs armés]. La collection incluait la photo d’un homme encagoulé tenant un fusil ; sur une autre, on le voyait porter le même pantalon de pyjama que pendant un braquage.

Michele Grasso, un malfaiteur recherché par la police italienne, a posté des clichés de lui au musée Madame Tussauds de Londres, ainsi qu’une photo du restaurant où il travaillait, avec le nom de l’établisse-ment. Aux Etats-Unis, deux gangs rivaux, les Very Crispy Gangsters et les Rockstarz, ont mis leur confl it en ligne. Les adversaires ont rejoint des groupes Facebook, créés expressément dans ce but, où ils postaient des menaces et des insultes. Les choses se sont envenimées et ils ont commencé

à se vanter des assassinats et des repré-sailles qu’ils organisaient. Après le meurtre d’un membre des Very Crispy Gangsters, certains Rockstarz ont posté des commen-taires du type “3 à 0”.

Bien entendu, tous ces contenus sont publics et accessibles, sinon les ennemis de ceux qui les postent ne les verraient pas et il n’y aurait aucune gloire à récolter. Les criminels aiment frimer autant que cha-cund’entre nous, et probablement même davantage. Mais ils ne sont pas les seuls à se regarder. A Scotland Yard, YouTube est devenu une ressource extrêmement précieuse qui aide les spécialistes à déman-teler les réseaux criminels, à surveiller leurs activités et à réunir des preuves. C’est ainsi que les réseaux sociaux ont conduit à la

chute de tous les malfrats narcis-siques mentionnés plus haut. Tel est le théâtre d’action de la po lice moderne. Les réseaux so ciaux four-nissent des informations précieuses pour toutes sortes d’enquêtes crimi-

nelles et terroristes. Savoir comment les trouver, les collecter et les utiliser off re de nouvelles possibilités importantes à la police. Mais celle-ci doit également dire clairement quand, comment et pour-quoi elle surveille les réseaux sociaux. La base juridique faisant référence pour la collecte et l’utilisation par les autorités d’informations issues des réseaux sociaux est le Regulation of Investigatory Powers Act, qui a déjà plus de dix ans [cette loi réglemente les pouvoirs des institutions publiques qui eff ectuent des enquêtes et de la surveillance]. Elle a été adoptée bien avant l’apparition des réseaux sociaux et a grand besoin d’être actualisée.

L’équilibre entre la sécurité et la liberté est diffi cile à trouver, et il est trop souvent envisagé sous l’angle des libertés du citoyen. Comme le montrent les cas évoqués plus haut, la surveillance d’Internet peut aussi nous protéger. Mais elle doit être mesu-rée, argumentée publiquement et rester dans le cadre de la loi. Après les révélations d’Edward Snowden, la question de la sur-veillance d’Internet par les autorités est devenue une préoccupation majeure pour la population. Mon sentiment est que la police et les services de renseignements sont aujourd’hui un peu plus disposés à travailler publiquement à trouver, avec la société, le bon équilibre. Cette année pourrait être celle où l’on y parviendra.

—Jamie BartlettPublié le 6 janvier

MÉDIAS

Les gangsters se dévoilent sur FacebookSociété. En Amérique du Nord et en Europe, gangs et organisations criminelles partagent les photos et les fi lms de leurs exploits sur les réseaux sociaux. Pour le plus grand bonheur de la police.

LA SOURCE DE LA SEMAINE

“African Arguments”

Basée à Londres, cette revue en ligne publie des analyses de l’actualité africaine.

African Arguments est aujourd’hui l’une des plus riches platesformes d’analyse et de débat consacrée

à l’Afrique. Installée à Londres, cette revue en ligne est éditée par la Royal African Society, une fondation britan-nique qui promeut le continent africain dans les cercles politiques, économiques et culturels. Le site a été lancé en 2007 pour répondre, selon ses fondateurs, à la baisse de qualité de la couverture médiatique de l’Afrique. Il publie quo-tidiennement de longs articles sur des sujets ou des pays souvent ignorés ou mal compris de la presse occidentale. Le webzine a ainsi mis en ligne des séries intitulées “Repenser le Zimbabwe” et “Comprendre les Soudans”. Il accueille aussi les contributions de chercheurs et de militants des droits civiques. L’intervention de l’armée française en République centrafricaine a par exemple suscité plusieurs articles et commen-taires questionnant le rôle trouble de l’ex-puissance coloniale dans la région.

Lire les articles d’African Arguments pp. 30 et 32.

AFRICAN ARGUMENTSLondres, Royaume-UniSite Internetafricanarguments.org

↙ Dessin de Kianoush, Iran.

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TRANSVERSALES.Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 39

PORT ELIZABETHLE CAP DURBANJOHANNESBURG PRETORIA

RABATCASABLANCA TRIPOLIALGER BENGHAZI

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RICHESSES URBAINESLes 20 villes africaines dontle produit intérieur brut sera

le plus élevé en 2020 (en milliards de dollars).

sources : ONU, McKinsey Global Institute

signauxChaque semaine, une page

visuelle pour présenter l’information autrement

L’auteur

DR

FRANCESCO POROLI. Directeur artistique, cet illustrateur free lance vit à Milan. Ses travaux apparaissent régulièrement dans la presse italienne, le New York Times Magazine ou encore Wired. L’infographie ci-dessus, publiée dans Il Sole-24 Ore en septembre 2012, illustre les prévisions de croissance du continent

d’ici six ans. C’est en Egypte, en Afrique du Sud, en Angola et au Nigeria que celle-ci s’annonce la plus spectaculaire. Si une classe moyenne de plus en plus nombreuse émerge, près de 1 Africain subsaharien sur 2 vit toujours sous le seuil d’extrême pauvreté (1 sur 5 en 2030, lire Courrier international n° 1210).

Les promesses de l’AfriqueLe continent va attirer de plus en plus d’investisseurs. Voici quelles seront les 20 mégalopoles les plus riches en 2020.

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40. Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

360 MAGAZINEA Moscou, amour et censure Plein écran ...... 44 L’homme qui ne lisait pas de livres Culture .. 46 Un horoscope pas si bête Tendances .......... 48 Dans le harem des sultans Histoire .......... 50

—Popular Science (extraits) New York

Envoyer des gens dans l’espace implique d’avoir prévenu toute défaillance de leur part. Aux débuts de la conquête spatiale, l’enjeu était de trouver des candidats qui en soient totalement exempts. On s’est d’abord tourné vers les pilotes de chasse – calmes en toute situation, en parfaite condition

physique, ne contestant jamais les instructions données par leurs contrôleurs de mission. Ensuite, quand il est apparu que l’espace était appelé à devenir plus qu’un simple objectif militaire, les agences spatiales ont entrepris d’entraîner des scientifiques, embarquant ces chercheurs habituellement placides à bord d’avions à réaction ou les plongeant dans des piscines, tout en cherchant sans relâche à détecter chez eux la moindre défaillance de la vision, de la circulation sanguine ou du mental.

Aujourd’hui, une nouvelle catégorie de voyageurs spatiaux se prépare à quitter la stratosphère. Et il ne s’agit plus de pilotes de combat ni d’astrophysiciens entraînés pendant au moins deux ans. C’est maintenant de nous tous qu’il s’agit, avec nos sacs à dos, nos iPad et notre mal des trans-ports. Des anonymes. Des citoyens. Des gens ordinaires.

Au moment où cet article est mis sous presse, la navette SpaceShipTwo de Virgin Galactic a déjà passé avec succès son premier test à Mach 1 ; son principal initiateur, le Britannique Richard Branson, a bien l’intention d’être à bord lors de son lancement, durant la seconde moitié de cette année. Le prototype Xcor Lynx doit, quant à lui, subir des tests en début d’année. D’après la société, il devrait effec-tuer peu après son premier vol suborbital avec passagers. SpaceX, de son côté, développe son propre transport de passagers. Jusqu’à présent, l’espace, ultime frontière, n’était pour la plupart d’entre nous guère plus qu’une abstraction,

années d’entraînement rigoureux que les astronautes de la Nasa doivent endurer. Ces quatre-là, qui possèdent des billets pour le vol Xcor Lynx prévu cette année, compte-ront parmi les premiers citoyens astronautes à quitter la planète. En venant au Nastar Center, ils espèrent contri-buer à mettre au point un protocole d’entraînement et à déterminer les tests que tout voyageur spatial devra un jour avoir réussis avant de décrocher son ticket pour les étoiles.

Vous allez subir le test de base du programme d’entraînement du citoyen astronaute”, indique Ed Wright. Il a fondé l’Usra après une car-rière chez Microsoft, et dirige aujourd’hui l’organisation. “Nous voudrions envoyer dans l’espace des gens capables de mener des missions

en vol, qui ne soient pas seulement des touristes de l’espace.” Wright prépare ce test depuis plusieurs mois. Il croit au créneau des voyages spatiaux privés. Et il pense que cela pourrait permettre de développer une nouvelle forme de science citoyenne. Au cours de leur vol spatial, les quatre membres de l’Usra ont ainsi l’intention de mener quelques expériences, choisies parmi des dizaines de projets proposés en ligne.

Nous commençons par deux heures de formation théo-rique. Swee Weng Fan, ancien chirurgien de l’armée de l’air singapourienne, nous initie d’une voix douce aux notions fondamentales de la physiologie humaine, nous expliquant que notre organisme, composé en majeure partie d’eau, est irrigué par un système circulatoire qui en assure le bon fonctionnement. Puis nous poursuivons en étudiant com-ment les découvertes de Newton – les concepts de repos et de vélocité, d’accélération, de force égale et opposée – peuvent brusquement se liguer pour perturber gravement ce système. Lorsque par exemple les accélérations dans un véhicule spatial, ou “forces g”, font refluer le sang de la

un grand vide curieusement attirant situé juste au-delà de notre atteinte. Il se trouve désormais à notre portée. La démocratisation de l’espace est en marche.

Quelques points, bien entendu, restent problématiques. Le billet ne sera pas donné. Une place sur Virgin Galactic ou Xcor coûte de 95 000 à 250 000 dollars [de 70 000 à 185 000 euros], ce qui en réserve l’accès aux plus aisés et aux plus enthousiastes. Se pose aussi le problème du vol lui-même. Voyager dans l’espace exige une forme physique peu commune. Je l’ai moi-même découvert à mes dépens.

Dans le sud-est de la Pennsylvanie, par une journée esti-vale écrasée de chaleur, je me présente à l’entrée du National AeroSpace Training and Research (Nastar) Center, seul établissement privé d’entraînement au vol spatial de tous les Etats-Unis. C’est l’un des rares lieux où les candidats astronautes peuvent, sans quitter le plancher des vaches, endurer les épreuves du décollage et de la rentrée dans l’at-mosphère. Le Nastar Center forme des pilotes militaires, civils et privés, et sert de vitrine à l’Environmental Tectonics Corporation (ETC), qui est à la fois sa société mère et l’un des plus gros fabricants américains de simulateurs.

En pénétrant dans le bâtiment, je remarque sur le mur une série de portraits d’illustres visiteurs, parmi lesquels Richard Branson et l’astronaute américain Buzz Aldrin. A l’extrémité du couloir sont installés un simulateur de siège éjectable et un caisson hypobare. Enfin, j’aperçois l’énorme centrifugeuse dans laquelle je vais essayer de ne pas vomir aujourd’hui.

Dans l’entrée, je serre la main de quatre aspirants astro-nautes, tout excités, chacun revêtu de la combinaison de vol rouge et bleue taillée sur mesure qu’il a apportée. Ce sont les tout premiers candidats de la United States Rocket Academy (Usra). Cette organisation à but non lucratif entend créer une nouvelle catégorie d’individus ordinaires avec qualité d’astronaute, des “citoyens astronautes” exemptés des deux

GlossaireVol suborbital. L’engin réalisant un tel vol atteint une altitude de 100 kilomètres, qui est la limite entre l’atmosphère terrestre et l’espace. Sa vitesse de lancement n’est pas suffisante pour qu’il puisse être mis en orbite.g. La Terre attire les objets vers elle par le biais d’une force : la gravité. Celle-ci les soumet à une accélération de 9,8 m/s². Cela signifie qu’à chaque seconde la vitesse de ces objets vers la Terre augmente de 9,8 m/s. Cette accélération est appelée g. Quand on parle d’une accélération de 4 g par exemple, cela signifie quatre fois l’accélération de la gravité terrestre.Mach. Rapport entre la vitesse d’un objet mobile et la vitesse du son. Par exemple, un appareil qui se déplace à Mach 3 se déplace à trois fois la vitesse du son.

← Dans le cockpit d’un simulateur de vol suborbital au Nastar Center, Pennsylvanie. Photos J. J. Sulin

↑ Le journaliste Jacob Ward n’est pas très à l’aise dans la centrifugeuse du centre.

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360°.Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 41

REPORTAGE

Houston, j’ai un problèmeHouston, j’ai un problème

↗ Jacob Ward, l’auteur de cet article, en tenue sombre, et quatre aspirants astronautes. Photo J. J. Sulin

Les premiers vols spatiaux privés pourraient avoir lieu dans les mois à venir. Mais, avant de quitter le plancher des vaches, les futurs passagers seront soumis à divers tests en simulateur, pour vérifier leur endurance. Ce n’est pas à la portée de tout le monde, ce malheureux journaliste en témoigne.

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360°42. Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

Ça secoueLes futurs touristes de l’espace seront susceptibles de subir trois types de poussées.

Il est extrêmement rare de ressentir cette force à moins que l’appareil fasse une vrille plate ou subisse un choc par collision. La force g latérale peut déplacer voire déloger certains organes.

C’est celle qui étire les lèvres en arrière mais c’est aussi la plus supportable. Un être humain peut survivre à une poussée horizontale de plus de 45 g.

Elle se manifeste lorsque l’appareil effectue des loopings. Elle provoque la vision du tunnel et peut aller jusqu’à la perte de conscience.

FORCE GLATÉRALE

FORCE GSELON L’AXEHORIZONTAL

FORCE GSELON L’AXE

VERTICAL

SOURCE : “POPULAR SCIENCE

tête d’un pilote pour l’accumuler dans ses pieds, elles per-turbent l’apport d’oxygène dans le cerveau et provoquent une perte de conscience. Les yeux se révulsent, le corps est agité de soubresauts – il lui vient même à l’esprit des sortes de rêves, précise Swee. La vision en tunnel et la perte tem-poraire de la vision sont les signes annonciateurs d’une telle perturbation.

Cet après-midi, il nous faudra résister à la perte de conscience par la “manœuvre anti-g”. Swee nous explique que si l’on contracte les muscles des jambes, du bas-ventre et d’autres muscles importants en dessous du cœur, et que l’on procède à une succession de rapides inspirations-expi-rations, il nous sera possible de faire remonter le sang à la tête et d’éviter l’évanouissement, alors même que la centri-fugeuse nous soumet à une accélération de “6 g” prolongée.

A midi, je sais déjà que tout cela va très mal se passer pour moi. J’ai dissimulé à mes instruc-teurs et à mes condisciples que je suis issu d’une lignée hypersensible aux transports. Mon grand-père a passé toute la traversée du USS United States vers l’Inde penché au-dessus

du bastingage. Mon père adore raconter comment, dans ma petite enfance, il a vomi dans un sachet en plastique alors qu’il me tenait sur ses genoux pendant un vol en avion. Je suis régulièrement malade en bateau, en voi-ture et en avion, et aujourd’hui, j’en suis certain, je vais ajouter la centrifugeuse à ma liste.

Nous nous rassemblons dans une salle d’observation, située au-dessus de l’impressionnante machine qui tourne sur elle-même, selon une circonférence d’une bonne cin-quantaine de mètres de diamètre. Elle tourne à une allure folle, tel un marteau que ferait tournoyer un géant. Des moniteurs relayant les images de l’intérieur de la nacelle de la centrifugeuse s’alignent sur les murs.

Aujourd’hui, nous allons faire l’expérience de deux forces g. La première s’exerce verticalement. Les g verticaux sont ceux qui provoquent la perte de conscience, car ils chassent le sang du cerveau. La deuxième force g s’exerce horizon-talement, comprimant la poitrine d’avant en arrière. C’est cette force g qui tire vers le haut et en arrière la peau du visage et exerce une pression écrasante sur les poumons. Mais si la force g horizontale représente une gêne suppor-table (jusqu’à 10 g, après quoi elle risque d’entraîner des dégâts physiques), la force g verticale est celle qui inquiète le plus les pilotes, celle à laquelle ils doivent s’entraîner à résister. Nous allons donc subir dans la centrifugeuse

quatre tests d’une dizaine de secondes chacun – 2,2 puis 3,5 de force g verticale, et ensuite 3 puis 6 de force g hori-zontale. Les plus petits de ces nombres équivalent à peu près à la moitié de ce qu’un voyage dans l’espace impose à l’organisme. Les plus grands représentent le maximum de ce à quoi un voyageur de l’espace sera soumis lors d’un vol suborbital. Swee procédera d’abord à des tests à mi-puis-sance – sans doute, me dis-je, afi n de nous permettre de nous désister en cas de défaillance.

La nature et la trajectoire d’un vol spatial privé sont désor-mais bien comprises. Prenons l’exemple de Virgin Galactic : un avion porteur, baptisé WhiteKnightTwo, emmènera SpaceShipTwo, avec six passagers à bord, jusqu’à une alti-tude de 15 kilomètres. Une fois que SpaceShipTwo se sera détaché de son porteur, un moteur de fusée hybride s’al-lumera et, en à peine huit secondes, propulsera le vaisseau jusqu’à une vitesse supersonique, selon une trajectoire quasiment verticale. Le vaisseau atteindra une vitesse maximale de Mach 3,5, au cours d’une poussée d’environ 70 secondes. A 100 kilomètres d’altitude, SpaceShipTwo eff ectuera un vol plané de plusieurs minutes avant de se stabiliser en redressant sa partie arrière et de se laisser retomber dans le champ d’attraction gravitationnelle ter-restre, off rant à ses passagers de magnifi ques vues de la Terre tout en les soumettant durant une brève période à une force de 6 g. A 21 kilomètres, la partie arrière repren-dra sa position normale et le vaisseau eff ectuera une des-cente de vingt-cinq minutes en vol plané en direction de la Terre. Durée totale du vol : environ deux heures, entre la montée à bord et le débarquement.

Toutefois, même si Virgin et Xcor ont dépensé des mil-liards de dollars pour développer des moyens sûrs d’empor-ter des voyageurs dans l’espace, de nombreux problèmes tout aussi complexes demeurent, le premier d’entre eux

étant de déterminer qui sera autorisé à voler. Pour l’ins-tant, la décision d’eff ectuer ou non le voyage repose large-ment sur les passagers eux-mêmes. Le simulateur du Nastar Center peut les aider à trancher. Virgin recommande ainsi aux candidats éventuels de faire quelques tours dans la cen-trifugeuse, et les nombreuses entreprises qui s’apprêtent à fournir des services aux touristes spatiaux privés sont en train de réfl échir à la possibilité de rendre obligatoires ces séances d’entraînement pour tous leurs clients.

Le prochain problème que les sociétés spatiales auront à résoudre sera de savoir quoi faire des passagers une fois qu’ils auront atteint 100 kilo-mètres d’altitude. Pourront-ils se lever de leur siège et fl otter librement dans la cabine ? Que se passera-t-il en cas d’urgence médicale ? Ou si

quelqu’un a besoin d’aller aux toilettes ? Les détails des vols spatiaux privés sont encore loin d’être résolus. Si quelqu’un vomit en apesanteur, cela peut vouloir dire que des frag-ments de nourriture régurgitée peuvent s’introduire dans vos narines. A cent kilomètres au-dessus de la surface de la Terre, quel carton d’information plastifi é pourra vous aider à résoudre ce problème ?

Mon tour arrive de passer à la centrifugeuse. Je m’at-tache à un siège de pilote fi xé devant une cloison incur-vée, sur laquelle sont projetés une ligne d’horizon et des cadrans. La rotation de la centrifugeuse est conçue pour faire croire à l’oreille interne que l’horizon se trouve là où le simulateur vous l’indique, mais mon oreille interne à moi, plus sceptique, se refuse à accepter ce qu’elle ne peut constater par elle-même et, avant que la porte se referme, je sais que je suis mort.

“Vous êtes prêt ?” s’enquiert Swee sur les haut-parleurs du cockpit. “Oui.” Je lui réponds sur un ton que je m’ef-force de rendre désinvolte. Le carrousel entame sa rota-tion “lente” – un modeste 1,4 g simulant la poussée d’un vol rectiligne horizontal. L’écran devant mes yeux montre un horizon stable, tandis que des montagnes défi lent au-dessous de moi. La première manœuvre est un virage serré sur la droite, de peut-être 45°. Tandis que je me raidis pour résister à la poussée qui monte à 2,2 g, mon oreille interne se met à m’adresser de multiples signaux. Tu es en train de tomber en avant, me dit-elle. Et vers la droite, ajoute-t-elle. Tu devrais te mettre à hurler, me suggère-t-elle. Mes yeux ne savent pas dans quelle direction regarder. Juste au moment où je commence à paniquer, l’horizon se stabilise à nouveau, ce qui ajoute au cocktail une nouvelle salve de

L’aventure des vols spatiaux touristiques commence en 2004 avec le SpaceShipOne, premier appareil privé à dépasser les 100 kilomètres d’altitude. Plus tard, la même année, l’entrepreneur britannique Richard Branson annonce que Virgin, sa société, lancera des vols commerciaux dans l’espace. La fi liale Virgin Galactic développe alors le prototype SpaceShipTwo. D’autres entreprises privées rejoignent le mouvement : la start-up Armadillo Aerospace, EADS Astrium, Blue Origin, la société montée par Jeff  Bezos (fondateur d’Amazon), ou encore Xcor Aerospace, une société californienne spécialisée dans la conception de moteurs de fusée. Cette dernière a lancé en 2003 le développement de son avion suborbital, le Lynx, mais le premier vol ne devrait pas avoir lieu avant cette année.

Historique

↑ Recalé ! Le journaliste a raté son test pour devenir touriste de l’espace. Photo J. J. Sulin

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360°.Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 43

on me donnait le choix entre subir ce test et me tirer une balle dans la tête, je crois bien que je choisirais la seconde solution – si seulement je pouvais remuer le bras. Je sens ma pomme d’Adam qui s’enfonce dans mon œsophage. J’ai du mal à respirer. Je suis littéralement en train d’être écra-bouillé et je voudrais que tout s’arrête. Même une fois la machine arrêtée, mon oreille interne reste complètement perturbée. J’ai l’impression que mes yeux ont jailli de leurs orbites et se sont répandus dans l’habitacle. Je peux presque sentir le goût amer du bœuf fumé que j’ai mangé à midi. Ensuite la porte s’ouvre, on me fait sortir avec précaution.

Je n’ai pas vomi. Un bon point pour moi. Mais j’éprouve le besoin de descendre la fermeture Eclair de ma combi-naison jusqu’à la taille et, pour ne pas défaillir, je m’écroule sur le divan de la salle d’observation, dans mon tee-shirt humide de sueur.

Si les g verticaux et horizontaux n’étaient qu’un échauf-fement, le principal événement du jour est [toujours dans la même centrifugeuse] une simulation complète du voyage à bord de SpaceShipTwo. Swee m’annonce qu’il va d’abord me soumettre à un essai à demi-puis-sance. Il me prodigue quelques conseils pendant que je m’attache à mon siège. “Ne tournez pas la tête”, dit-il. Je plaque ma nuque contre l’appuie-tête et m’efforce de rester immobile. La nacelle tressaute et oscille pendant qu’elle se sépare de son avion porteur imaginaire. J’ai l’impression d’être renversé en arrière sur mon siège. Je n’ai pas la nausée, mais je suis terrifié : le simulateur de vue me montre la Terre qui s’éloigne à toute vitesse, ce qui ne fait qu’augmenter la panique que je m’efforce de

contrôler. A l’apogée de la trajectoire, là où l’apesanteur se fait sentir, tout devient silencieux et la vision magni-fique de la Terre tournant lentement sur elle-même s’offre à ma vue. J’aperçois à présent la région de la baie de San Francisco dans la partie supérieure du hublot. Tandis qu’une voix robotique égrène le compte à rebours avant la rentrée dans l’atmosphère, je pense à ma femme, qui doit être en train de courir après notre fille dans le jardin de notre maison d’Oakland. Les astronautes ayant effectué des sorties extravéhiculaires ont souvent évoqué le senti-ment euphorique de faire partie des étoiles, de l’Univers, du Grand Tout, expérience qui les rend parfois dangereu-sement réticents à réintégrer le vaisseau spatial. J’éprouve une impression exactement contraire : la sensation d’être irrémédiablement éloigné de chez moi et le violent désir d’y retourner sur-le-champ.

La centrifugeuse se met à simuler la phase rugissante et trépidante de la rentrée dans l’atmosphère, moins bru-tale que le décollage mais tout aussi terrifiante, jusqu’à ce que nous finissions par nous stabiliser à 15 kilomètres d’altitude, où la simulation prend fin. “Etes-vous prêt pour la simulation complète ?” me demande Swee. Je dois réflé-chir un instant à la question. J’ai la tête qui tourne, je suis angoissé et totalement épuisé. J’aimerais être capable d’un effort de volonté pour terminer le programme, mais je ne voudrais pas vomir dans la centrifugeuse alors que mes camarades de stage ont déboursé beaucoup d’argent pour l’utiliser. “Non”, dis-je. Cette réponse me disqualifie aus-sitôt en tant que citoyen astronaute.

A partir de quel moment le public fera-t-il confiance aux voyages spatiaux ? Lorsque des millions de gens en auront effectué un ? Des centaines de milliers ? Des mil-liers ? Il semble toutefois difficilement concevable qu’un tel nombre de volontaires soient prêts à risquer d’avoir la nausée, ou pire, pour observer les étoiles depuis une dis-tance réduite d’une petite centaine de kilomètres par rap-port à celle à laquelle nous les regardons depuis le sol. Il ne fait aucun doute que Wright et son groupe ne se lais-seront pas décourager. Je leur souhaite tout le succès pos-sible. S’ils réussissent dans leur entreprise, ils auront fourni un nouvel exemple de ce que l’on appelle l’étoffe des héros – et, espérons-le, ils auront ouvert la voie à une nouvelle science spatiale citoyenne. Mais, s’il est possible que leur place soit parmi les étoiles, l’expérience m’aura appris que la mienne est ici, sur cette Terre.

—Jacob WardPublié dans le numéro de janvier

signaux provenant de mon oreille interne. Le premier des quatre tests est terminé et je suis déjà complètement lessivé.

“A présent nous allons refaire la même chose, mais avec une poussée verticale de 3,5 g, m’informe Swee. N’oubliez pas de contracter vos muscles et de procéder à des inspirations rapides, ajoute-t-il. Trois… deux… un…”

Cette fois-ci, c’est pire. Le virage est beaucoup plus brutal et tout va mal. A nouveau mes yeux ne savent plus où se tour-ner, mais cela n’a aucune importance, car ils commencent à perdre leur capacité à voir quoi que ce soit. Tels de petits vaisseaux sanguins, des motifs rouges se bousculent à la limite de mon champ de vision. J’essaie de contracter mes muscles pour contraindre le sang à remonter au-dessus du cœur et je halète comme un gamin en pleine crise de colère, mais ma vision ne cesse de se restreindre. Puis la nacelle se stabilise à nouveau et mon cerveau perçoit une nouvelle vague de signaux contradictoires et démorali-sants. Le test des g latéraux est terminé.

“Prêt pour les g horizontaux ?” s’enquiert Swee. “Oh Seigneur…”, dis-je. Il me laisse souffler quelques instants, puis signale qu’il est temps. Trois… deux… un… boum ! J’ai l’impression que mon corps est en train de simultanément monter et descendre, puis j’ai la sensation très nette d’être précipité vers le haut. Cette sensation s’accompagne d’une incroyable impression d’écrasement qui retrousse la peau autour de ma bouche et la fait remonter vers mes yeux. Dix secondes s’écoulent, et quand la machine s’arrête, j’ai l’im-pression qu’on me précipite dans le vide du haut d’un balcon.

Et à présent nous en arrivons au dernier test de la pre-mière série : une force horizontale de 6 g. Cette fois-ci, si

SOURCEPOPULAR SCIENCENew York, Etats-UnisMensuel, 1 350 000 ex.www.popsci.comDepuis 1872, “Science populaire” livre au grand public des informations sur le fonctionnement et la signification des nouveautés dans les domaines scientifique et technologique. La revue rapporte les dernières actualités des labos et propose également de grandes enquêtes sur des sujets de société. Ses lecteurs sont à 84 % des hommes (âge moyen : 44 ans), mais la revue s’ouvre depuis quelques années à un lectorat plus large. L’article que nous vous proposons ci-contre a été écrit par Jacob Ward, ancien rédacteur en chef du magazine.

↑ Dans le GYROLAB GL-200, les astronautes s’habituent à la désorientation spatiale. Photo J. J. Sulin

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360°44. Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

—Ogoniok Moscou

Peu de séries provoquent autant d’âpres discussions sur Facebook. Je pense avoir compris d’où vient

cet intérêt forcené, au-delà du fait que la série a été tournée par Valeri Todorovski. La raison en est assez simple : tout réside dans le titre. Le simple mot ottepel [dégel] recèle une très forte charge émotionnelle. Il signifie beau-coup de choses en Russie, et notamment l’impossibilité d’échapper, dans le domaine social, à la gamme étroite qui va “des pre-mières gelées au redoux”.

De plus, le héros du programme, joué par Evgueni Tsyganov, s’appelle Khroustaliev.

Ce nom a sans doute rappelé le sombre film d’Alexeï Guerman père, Khroustaliev, ma voiture ! [sorti en 1998 et consacré au complot des blouses blanches, quand plu-sieurs médecins juifs avaient été accusés à tort, en 1953, d’avoir voulu tuer des diri-geants soviétiques]. En somme, beaucoup

ont regardé les premiers épisodes avec un peu plus d’attention que nécessaire, en raison de ces rappro-

chements involontaires. Mais ces grandes espérances ont été vaines. La chanson du générique, si appréciée, prévenait pourtant d’emblée qu’il ne s’agissait pas de ce dégel-là, mais de l’autre, “celui de l’âme”.

La série Le Dégel débute somptueuse-ment, nous montrant à la fois le vaisselier

“comme chez grand-mère” et l’amour libre en URSS. Mais l’intérêt n’est pas tant dans l’apparition d’une fille nue qui sort fumer dans la rue que dans l’atmosphère propre et déserte du Moscou des années 1960 qui est proposée au téléspectateur, comme si la ville avait été nettoyée avant le passage d’un grand chef. Ici, comme dans les jeux vidéo, n’est détaillé que ce qui est néces-saire à l’action : tout le reste sert de fond. Moscou reconstitué se réduit ainsi à une foultitude de jeunes filles identiques dans leurs robes-cloches et de voitures rutilantes – Pobeda et autres Moskvitch –, à l’instar de celle du héros. Il y a également les abon-dantes précipitations atmosphériques qui accompagnent tous les rendez-vous des

personnages. La combinaison “jeunes filles robes voitures pluie” symbolise l’harmonie des années 1960 telle que le réalisateur se la représente. Elle est prévisible et compré-hensible, et nous partageons d’une certaine façon le sentiment de l’auteur.

Le reste est décrit avec moins de détails. Les héros de ce drame paraissent être nés avec l’intrigue, en 1961 : ils n’ont ni histoire, ni passé, ni avenir, et vivent dans un été éternel. Lorsque, tout à coup, on s’aperçoit qu’ils ont des parents, ils paraissent tota-lement pris au dépourvu. Mais pourquoi avoir choisi 1961, et non, par exemple, 1981 ? Simplement parce que les années 1960 sont, en Russie, symboles de liberté et d’éman-cipation. Certes, on ne peut considérer les années 1960 soviétiques comme une période de liberté qu’à l’aune de l’époque précédente, totalement barbare. C’est par convention qu’on les qualifie de libres en URSS. Selon les critères universels, il s’agirait plutôt d’une époque de liberté inaccomplie, de liberté tolérée et sous contrôle.

Et là, bien sûr, nous vient à l’esprit une idée tout à fait “conspirationniste” : la série nous suggérerait de regarder ces années comme la référence, en Russie, concernant les relations entre bohème et pouvoir. Dans un tel contexte, l’artiste qui veut réaliser une œuvre personnelle doit d’abord délivrer une preuve de dévouement au régime. Et il doit

Au temps de l’amour et de la censureDans Le Dégel, le cinéaste Valeri Todorovski revisite le Moscou des années 1960, où soufflait un vent d’émancipation poststalinien. Le public est séduit. Ce critique un peu moins.

SÉRIE

plein écran.

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360°.Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 45

télévisée. Conformément aux lois du genre désormais en vigueur à la télévision russe, tout doit “tournoyer” : il faut quitter sa femme pour une maîtresse et puis abandonner celle-ci pour revenir auprès de la première, faire connaissance par hasard de l’ex-femme d’un ami, et l’ignorer le plus longtemps possible ; aimer une fille qui couche avec notre ami et l’ignorer le plus longtemps possible ; tomber et se casser le coccyx ; tomber encore et se recasser le coccyx ; se trouver brusquement en prison et puis miraculeusement en sortir. Toute cette danse ennuyeuse est néces-saire, estime-t-on, pour retenir le specta-teur devant le petit écran. La grossesse de l’héroïne, voilà ce qui compte, et non un quelconque dégel. Chaque épisode doit rap-peler un peu le programme Poust govoriat [Qu’ils parlent], où des anonymes viennent raconter leur histoire], tout le reste n’ayant qu’une fonction décorative.

N’importe quel metteur en scène qui réa-lise un programme pour une chaîne fédé-rale [la Première chaîne, en l’occurrence] se défend avec véhémence de toute entre-prise sérieuse. Vous comprenez, dit-il, ce n’est pas un film sur l’époque… nous n’avons pas prétendu… pas de film historique… et il s’agit encore moins de politique (là, il fris-sonne)… il s’agit d’autre chose… sur les gens, les relations humaines… Ce n’est pas pour rien que, durant le générique, s’affichent, sur fond blanc-gris, des lèvres et des yeux de femme qui brillent, comme s’ils incar-naient “la couleur de la vie”. La fuite de la routine soviétique vers la “vie privée” est en effet caractéristique de cette époque. Mais il est étonnant de constater à quel point les acteurs d’aujourd’hui sont précisément impuissants à rendre ce qu’on appelle les relations humaines.

Malgré la richesse formelle, il n’y a pas de personnage féminin fort et indépendant, à l’exception peut-être de la pauvre femme de Khroustaliev. Le Dégel reconstruit l’es-pace d’un pseudo-Leonid Gaïdaï [cinéaste soviétique, auteur de célébrissimes comé-dies des années 1960], dans lequel tous les rôles de femmes seraient joués par l’actrice Svetlana Svetlitchnaïa. C’est une combi-naison des affiches soviétiques et du style pin-up. C’est aussi une version moderni-sée des films soviétiques de ces années-là, comme Pluie de juillet [Iiouskié dojdi, Marlen Khoutsiev, 1966] ou Encore une fois au sujet de l’amour [Echtcho raz pro lioubov, Gueorgui Natanson, 1968], auxquels auraient été ajou-tées des scènes érotiques. La présentation qui est faite de l’érotisme comme unique liberté dont l’artiste aurait manqué sous le pouvoir soviétique est symptomatique. Et justement, aujourd’hui, ce rêve se serait réalisé. Ce qui correspond à la scène finale du précédent film de Valeri Todorovski, Les Zazous [Stiliagui, 2008], dans lequel on voyait des jeunes gens courir joyeusement vers le Kremlin, reconnaissants pour les libertés octroyées.

—Andreï ArkhanguelskiPublié le 9 décembre 2013

LE DÉGELC’est le nom qui a été donné en URSS aux années qui ont suivi la mort de Staline, en 1953. Sous Nikita Khrouchtchev, entre 1953 et 1964, l’étau du pouvoir communiste sur les Soviétiques s’est nettement desserré.

L’INTRIGUEL’action de la série se passe à Moscou en 1961, dans le milieu du cinéma. Le chef opérateur Viktor Khroustaliev est soupçonné d’être impliqué dans le suicide d’un de ses amis, scénariste. Le KGB tente par ce biais de régler ses comptes avec cet homme trop indépendant. Khroustaliev accepte de travailler sur une “comédie kolkhozienne” pour obtenir l’autorisation de tourner, avec le jeune réalisateur Egor Miatchine, un film plus “personnel”, d’après le scénario laissé par son ami défunt.

consacrer à cette preuve bidon un mini-mum de talent, ce qui est encore plus vil moralement. C’est là tout le pathétique d’un autre protagoniste, le réalisateur Egor Miatchine, joué par Alexandre Iatsenko : il rêve de s’affranchir des limites habituelles des comédies de propagande, du type La Jeune Fille et le Brigadier, qu’il tourne pour obtenir l’autorisation de réaliser le film de ses rêves, dont l’action se passe dans un kolkhoze – tout à fait le genre de films que produisait la société nationale Mosfilm au début des années 1960. Certes, le Conseil des arts, qui personnifie dans la série la censure idéologique sous le couvert de l’esthétique, est un peu archaïque, bien sûr, mais on peut aussi, si on le souhaite, le faire changer d’avis, l’apitoyer ou le per-suader. Il suffit de s’en donner la peine. Les censeurs sont des gens comme les autres, capables de comprendre les artistes. Reste donc à prier Dieu pour qu’il vous envoie un censeur intelligent plutôt qu’un idiot. Ainsi, le destin d’une œuvre d’art en vient à dépendre de toute façon du pouvoir. Faire quelque chose de valable est possible à condition de tromper les censeurs, qui, eux-mêmes, du reste, jouent volontiers le jeu et parfois autorisent des choses.

Propagande. En d’autres termes, on peut voir dans ce film une œuvre de propagande pour le conformisme et on peut aller jusqu’à dire qu’il propose clairement de renouve-ler entre le pouvoir et l’intelligentsia d’au-jourd’hui ce contrat qui prévalait dans les années 1960, à savoir un retour à l’état de “dégel éternel”. Mais, sous un angle différent, on peut aussi y voir l’inverse, c’est-à-dire une plaidoirie pour le non-conformisme, qui de toute façon ne s’oppose pas à l’idée générale selon laquelle “nous avons connu une période formidable”. En ce sens, la série d’aujourd’hui est dans l’ensemble remarqua-blement ambivalente : elle contient en abon-dance des allusions tantôt en un sens, tantôt en sens contraire, petit jeu qui rappelle jus-tement cet art consommé de l’intelligentsia de l’époque consistant à lire entre les lignes.

Mais là n’est pas la principale leçon de cette série. Elle est ailleurs : quand bien même elle recèlerait un quelconque mes-sage idéologique, il est bien enfoui sous la “bêtise mélodramatique” de rigueur, qui fait office d’idéologie autant que d’idéalisme. Au lieu d’assister à une évolution des per-sonnages, vers le troisième épisode, nous sommes confrontés, comme d’habitude, à la confusion indispensable pour que la série s’étire sur douze épisodes. Qu’il s’agisse du Dégel ou de l’époque Qin, en fin de compte, peu importe. Après deux épisodes esthé-tiquement accomplis, les auteurs doivent enchaîner les conflits d’opérette, en amour et dans le travail, le tout agrémenté de phé-nomènes typiques des années 1960, comme les cafés pour la jeunesse ou les expositions d’avant-garde.

Todorovski s’est manifestement beaucoup fait aider par des professionnels de la série

↓ Dans le métro de Moscou, l’héroïne Mariana, interprétée par l’actrice Ania Tchipovskaïa. Photo DR

↙ Une scène du film (dont l’action se passe dans un kolkhoze) que tourne Khroustaliev, chef opérateur, le héros de la série. Photo DR

RepèresLE RÉALISATEURValeri Todorovski, né en 1962 à Odessa, est le fils du célèbre cinéaste et scénariste soviétique Piotr Todorovski, récemment décédé. Son premier long-métrage, Lioubov (L’Amour), a été présenté en 1991 à la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes, où il a obtenu le prix du public. Todorovski a ensuite réalisé Les Silencieuses en 1998, L’Etau en 2007, Les Zazous en 2008.

LA GENÈSE DE LA SÉRIEC’est après sa rencontre avec l’Américain Matthew Weiner, créateur de la série culte Mad Men, que l’idée du Dégel est venue à Valeri Todorovski. Tout comme Weiner, qui relate dans Mad Men le quotidien d’une agence publicitaire new-yorkaise dans les années 1960, le cinéaste russe a voulu écrire sur la vie de son père. “Le Dégel est consacré à mon père et à ses amis. C’étaient des gens fantastiques, qui ont vécu une vie fantastique. Je n’ai pas tourné une série documentaire, j’ai mis en scène un mythe ! Or le mythe est très proche de la vérité. L’important, c’est l’esprit de l’époque. Le Dégel n’est pas une série réaliste, c’est l’expression du sentiment que nous avons de cette époque, c’est notre compréhension de la légende. C’est pourquoi la série est si jolie du point de vue visuel”, a-t-il confié à la Komsomolskaïa Pravda.

← Le Dégel, une série de Valeri Todorovski. L’acteur Evgueni Tsyganov, alias Khroustaliev, le héros. Photo DR

AFP

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360°46. Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

—La Repubblica Rome

Ses premiers mots sonnent un peu comme ceux de Bartleby, le scribe d’Herman Melville. “Je préférerais

ne pas”, dit-il. Au fil de la conversation, le “préférerais” disparaît et seule reste la négation. Sèche, insurmontable. Ni gêne, ni fierté : “Non, je ne lis pas.” Il observe l’effet produit par son affirmation et ajoute : “Si tu veux tout savoir, je n’ai jamais lu.” C’est impossible, voyons ! “Non, non, assure-t-il, à quoi bon ? Rien que l’idée m’ennuie.”

Il ajuste ses lunettes et articule, comme on s’adresse parfois à ceux qui n’entendent pas, ne comprennent pas ou ne veulent pas comprendre : “Je suis Non Lecteur, voilà.” Comme s’il déclinait ses nom et prénom : Non Lecteur, NL. C’est l’histoire d’un NL spécial, un NL puissance trois, l’histoire d’un des 30 millions d’Italiens de plus de 6 ans qui n’ont pas lu un seul livre au cours des douze derniers mois.

Le rapport Istat [Institut national de statistiques] sur la production et la lecture de livres en Italie, publié le 30 décembre, certifie que le nombre de lecteurs a dimi-nué entre 2012 et 2013, passant de 46 % à 43 % de la population. Ce qui veut dire que 57 % n’ouvre donc jamais un livre. NL est l’un d’entre eux. Il a 46 ans et non seulement il n’a pas lu un livre au cours des derniers mois, mais il n’a pas lu un seul livre au cours des trente dernières années, précise-t-il.

Il a une vie bien remplie, deux chats, un beau métier. Il travaille dans un orchestre lyrique : il joue de la contrebasse, il en a trois chez lui. Il a une maison meublée avec goût. Aux murs, des toiles, des gravures et des dessins. Dans la cuisine, les photos d’Au-drey Hepburn et de Marlon Brando. Une belle chaîne hi-fi. Il dessine très bien. Il aime le cinéma. Pas le moindre livre en vue, à part quelques catalogues d’art, Man Ray

et Jackson Pollock, Schiele et Picasso, et quelques guides de voyage. Il n’y a que des factures sur sa table de chevet. “Je ne lis pas parce que je n’en ai pas le temps, explique NL. Et quand j’ai le temps, je ne vais pas ouvrir un livre. Ça ne me plaît pas, ça ne me détend pas. Je préfère regarder un film. Répéter durant six heures un opéra ou un concert, ça fatigue, tu as besoin de te détendre. Depuis quelques années, j’ai découvert la musculation : je me défoule en faisant un peu d’aérobic, un peu d’haltères et une séance de sauna pour finir. Un dîner entre amis de temps en temps. Mais je travaille souvent : nous jouons une fois tous les deux jours. C’est très prenant, aussi bien pour le corps que pour l’esprit.”

Et quand il était petit, un livre… ? “Non. J’étudiais le piano et la contrebasse plusieurs

heures par jour, et puis il y avait l’école. J’ai commencé à jouer à 9 ans. J’avais vu un piano à l’oratoire, j’avais aimé le son qu’il faisait, et j’ai demandé à mes parents d’en faire. A 13 ans, à la fin du col-lège, j’ai continué à prendre des cours privés de piano et je me suis inscrit au Conservatoire. Mon rêve, c’était de travail-ler dans un orchestre, parce que j’aime le col-lectif. Je voulais un instrument avec archet

parce que, depuis toujours, pour moi, l’or-chestre est lié au son des archets. J’étais trop vieux pour le violon ou le violoncelle, il ne me restait plus que la contrebasse.”

L’Istat révèle que la tranche d’âge à laquelle on lit le plus

se situe entre 11 et 14 ans : peut-être à cette période, un livre… La sérénité iné-branlable de NL vacille un court instant : “Oui. A l’époque j’ai lu Le Vieil Homme et

la mer, et ça ne m’a pas ennuyé, il me semble. Mais la seule lecture qui m’a convaincu, c’est le recueil de poésies du comique napolitain Totò, A livella [inédit en français]. J’étais au collège, c’était drôle. Et puis au Conservatoire, tout tourne autour de la musique, rien que la musique. Je suis sorti diplômé après huit ans d’études. Je travaillais déjà avant et j’ai continué à travailler. Je suis parti de chez mes parents, j’ai gagné ma vie en donnant des cours de piano et en jouant de la contre-basse dans de petits ensembles.”

Depuis quatorze ans, il travaille dans un théâtre. “Je n’entre dans une librai-rie que pour acheter des guides de voyage. J’aime beaucoup la Côte d’Azur, la Grèce et Paris, un des plus beaux endroits au monde. Tu n’as pas besoin d’en passer par la littéra-ture pour apprécier ce que t’offre Paris : il suffit de regarder le ciel, toujours très haut et merveilleux, ou d’aller au musée Picasso et au Louvre. Il suffit de s’asseoir un quart d’heure devant Notre-Dame pour que le voyage vaille le coup.”

Un livre aussi peut valoir le voyage… “Ça se peut. Jusqu’ici j’ai fait sans, mais peut-être qu’un jour je découvrirai ce monde merveilleux et fantastique dont je me suis toujours privé !” Il dit ça avec le sourire. “Tu sais ce qui me vient à l’esprit ? Il y a trois ou quatre ans, nous étions en tournée en Allemagne, je partageais ma chambre avec un collègue toujours plongé dans ses livres, et cette fois-là je lui ai emprunté une comédie de Shakespeare… En trois soirs je l’avais fini, mais je ne me rappelle pas le titre, encore moins l’histoire. Je ne me suis peut-être même pas ennuyé… Mais, bon, désolé, tu pars en tournée, à Tokyo par exemple, et tu restes enfermé dans ta chambre à lire ?”

Il poursuit : “Je suis quelqu’un de plutôt fantaisiste, mais la lecture ne m’aide pas à développer mon imagination. La musique m’émeut de manière intime et viscérale. Elle me transporte. L’art aussi me nourrit. En revanche, je crois que je fais un blocage avec la lecture. Je ne saurais pas te l’expliquer en toute certitude : je ne lis pas.”

Il en vient à parler du génie absolu de Mozart, sans que l’envie lui soit jamais venue de lire un livre à son sujet. “Sa musique parfaite me suffit. Elle s’empare de tout mon corps quand je joue ses sym-phonies. La lecture, à l’inverse, ne m’arrive qu’au cerveau, c’est pour ça qu’elle m’en-nuie. La pensée d’autrui, figée dans un livre, ne m’attire pas, même si je n’ai aucun pro-blème à nouer des liens, à écouter les gens. C’est l’écriture qui m’empêche d’entrer dans l’univers de quelqu’un d’autre.”

Il a d’ailleurs apprécié le livre reçu à Noël, qu’il n’arrête pas de relire : Simon’s Cat et le chaton infernal, une bande dessi-née de Simon Tofield, 224 pages de dessin sans le moindre mot [éd. du Fleuve noir]. “Lire les images, ça, je sais faire”, sourit-il. C’est un peu comme jouer de la musique, semble-t-il.

—Gian Luca FavettoPublié le 14 janvier

↙ Dessin d’Eva Vázquez, Madrid.culture.

L’homme qui ne lisait pas de livresComme plus de la moitié des Italiens, ce musicien de 46 ans est un non-lecteur. Il revendique d’autres moyens d’assouvir sa curiosité intellectuelle.

LITTÉRATURE

“La musique s’empare de tout mon corps. La lecture, à l’inverse, ne m’arrive qu’au cerveau”

Page 51: Courrier 20140123 courrier full 20140212 170528

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360°48. Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

KOPE

LNIT

SKY

—La Repubblica (extraits) Rome

Il dit que sa spiritualité est un mélange de “tradition ésoté-rique occidentale, de soufi sme,

de tantrisme, de macho-féminismeet de certains aspects du chris-tianisme”. Il dit aussi que sa philosophie de l’existence est la pronoïa, un antidote à la paranoïa : selon lui, le monde – malgré un certain nombre de preuves du contraire trop longues à énumérer – conspi-rerait à notre bien. Et “il ne nous arrive que ce que nous croyons qu’il nous arrivera”.

Et puis, surtout, il dit et répète qu’il a toujours

Jeux en communESPAGNE — Plus besoin de traîner les jouets de ses enfants jusqu’au bac à sable ! A Barcelone est venu le temps du partage. Deux mamans ont créé en 2012 le mouvement Social Toy : les pelles, les râteaux et les seaux de l’aire de jeux du Paseo San Juan, que leurs bambins fréquentent, sont mis à disposition de tous les enfants et rangés le soir dans une grande boîte, sur place. Au début de l’expérience, les jouets disparaissaient très vite, obligeant les fondatrices à renouveler constamment le stock, indique le mensuel espagnol Yorokobu, mais, depuis, les parents se sont réellement impliqués. Cette initiative fait aujourd’hui des émules dans la capitale catalane, où deux autres aires de jeux se sont mises au Social Toy. Une quatrième vient de leur emboîter le pas à Palma de Majorque.

Le casque en têteALLEMAGNE-AUTRICHE—L’accident

de ski de l’ancien pilote de F1 Michael Schumacher, le 29 décembre à Méribel, a eu un eff et inattendu. Il a fait grimper à toute vitesse les ventes de casques aux skieurs

allemands et autrichiens, relate Profi l. Selon le PDG de Sport 2000,

Holger Schwarting, interrogé par le magazine viennois, “la hausse oscille entre 20 % et 30 % selon les fi liales”. Pour Intersport, son concurrent, la fl ambée des ventes se chiff re également à + 20 %. De fait, une succession d’accidents très graves ces dernières semaines a rendu les sportifs amateurs et les fabricants de plus en plus sensibles à la sécurité, souligne un expert de la branche.

tendances.

“De la poésie aux apparences trompeuses”

Repris dans toute la presse internationale, et à partir d’aujourd’hui sur le site de Courrier international, les horoscopes de l’Américain Rob Brezsny nous obligent à revoir notre jugement sur un genre très décrié.

BIEN PLUS QU’UN HOROSCOPEA partir du 23 janvier, nous publierons tous les jeudis, sur notre site Internet, l’horoscope de l’Américain Rob Brezsny. Un horoscope dans Courrier international ? Oui, vous avez bien lu. Que les choses soient claires : la rédaction de Courrier internationalne croit pas plus aux horoscopes qu’à la lecture des présages dans le marc de café, ou qu’à n’importe quelle autre forme de superstition. Alors pourquoi publier des horoscopes ? Parce que ceux de Rob Brezsny sont diff érents. Intitulée Free Will Astrology, la chronique de cet Américain de la côte Ouest existe depuis près de vingt ans. Elle est publiée dans plus d’une centaine de titres de la presse mondiale : de Hongkong à Sydney, de Bangkok à Toronto en passant par Singapour, Rome ou encore Miami. Courrier international est fi er d’être le premier titre à publier les horoscopes de Rob Brezsny en français.

considéré “les horoscopes des journaux comme une abomination. Ils sont souvent mal écrits et d’un ennui impardonnable. Ils encouragent les gens à être supers-titieux et à tirer la conclusion erronée que l’astrologie prêche la prédétermination et annule le libre arbitre.” Ça, c’était avant qu’il ne se décide à entrer en scène.

Lui, c’est Rob Brezsny. Il est devenu l’auteur d’une des rubriques les plus lues au monde.

Des millions de personnes attendent chaque semaine de s’abreuver à sa sagesse dans l’un des 130 maga-zines où il est publié, ou gratuite-ment sur Internet. Avant qu’une grimace de dégoût ne se peigne sur le visage du lecteur fi èrement rationaliste, atterré par le triste état de la crédulité publique à l’aube du XXIe siècle, un conseil : suspen-

dez votre jugement. Parce que la chronique de Rob Brezsny est

tout autre chose : elle n’a rien à voir avec les innombrables recettes miracles qui prescri-vent le même sort à une multi-

tude de quidams sous prétexte qu’ils sont nés, par exemple,

sous le signe des Poissons. La dif-férence est dans la qualité du tissu.

Brezsny est cultivé, écrit très bien et remplit ses bulletins astraux de pistes de réfl exion. Peut-être suffi rait-il de ne pas les appeler

horoscopes ? Personne, dès lors, ne trouverait à redire à cette “poésie

aux apparences trompeuses”, comme il la défi nissait lui-même à ses débuts, il y a

trente ans.—Riccardo Staglianò

Publié le 7 janvier 2011← Dessin de Mikel Casal,

Espagne.

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Déclamer en mode binaireÉTATS-UNIS — Non, le Stanford Code Poetry Slam n’est pas le nom de code d’une mission d’espionnage. C’est celui d’un concours de poésie organisé fi n décembre, à l’université Stanford, par deux étudiants qui souhaitent explorer les aspects créatifs de la programmation informatique. Le principe ? Utiliser

le code comme une langue, et donc un élément poétique. “Lui donner une voix”, résume Leslie Wu, une doctorante de Stanford, fi naliste du concours. Sa performance a consisté

à “réciter” le code informatique qu’elle était en train de “composer”, avant de lancer

son programme : un haïku lu par une voix synthétique. “La poésie codée est dans l’air depuis un moment, au moins parmi les gens qui étudient la programmation. Mais conjuguer une présentation orale et une performance sonore nous semblait vraiment intéressant”, indiquent les organisateurs au Stanford Magazine. Après le succès de la première édition, une nouvelle compétition sera organisée le mois prochain, ouverte aux lycéens et aux professeurs.

NOUVEAU !

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

Retrouvez une interview de Rob Brezsny et bien sûr la rubrique Horoscope.

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360°.Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014 49

Le jardin aux sentiers qui phosphorentLes allées qui serpentent dans les parcs victoriens de Cambridge sont passées au bio. Ou du moins à la lumière d’origine biologique. Fin 2013, l’entreprise Pro-Teq a testé son revêtement phosphorescent

sur les sentiers du parc Christ’s Pieces : 150 mètres carrés couverts d’un matériau absorbant la lumière du jour grâce à un composant biologique, puis la restituant pendant la nuit, indique The Independent. Les avantages : pas de consommation d’énergie, pas de pollution lumineuse et un éclairage doux et harmonieux. Les pays émergents, dans lesquels les coupures électriques sont fréquentes, seraient intéressés, selon le quotidien britannique.

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L’argent du cannabis a une odeur● Les effluves de cannabis, ça pollue l’atmosphère. Le Colorado a légalisé la marijuana, mais ce n’est pas une raison pour importuner les honnêtes citoyens. A Denver, les odeurs d’herbe sont passibles d’une amende de 2 000 dollars. La fumée de cannabis vous incommode ? Appelez l’inspection de la santé publique. Un expert viendra avec son olfactomètre – un énorme engin avec embout nasal, évoquant un croisement entre une mitraillette et un séchoir à cheveux géant – pour déterminer si la concentration de l’odeur dans l’air ambiant dépasse le seuil autorisé, rapporte The Denver Post.Légale à l’échelon de l’Etat du Colorado, la vente de cannabis reste interdite au niveau fédéral. Un casse-tête pour les négociants, qui ont toutes les peines du monde à ouvrir ou à conserver un compte en banque. Impossible, du coup, d’accepter les cartes de crédit et de payer son personnel autrement qu’en liquide. Les employés du fisc s’arrachent les cheveux, et les liasses de cash donnent des sueurs froides aux vendeurs, rapporte The New York Times. Ceux qui réussissent à avoir un compte – souvent en dissimulant leur activité – empilent les billets dans des Tupperware remplis de déodorant. La police, soudain devenue une alliée, a renforcé sa présence auprès des magasins spécialisés, note The Washington Times. Les ventes légales de marijuana pourraient dépasser les 2 milliards d’euros cette année : ce serait dommage que tout ce bel argent parte en fumée…

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INSOLITES

SUR NOTRE SITEcourrierinternational.com

Scannez cette vignette et retrouvez les Insolites sur notre site.

Grands voyages de printempsCHINE — Cette année, 3,6 milliards de déplacements – soit 200 millions de plus qu’en 2013 – sont attendus pour les fêtes du nouvel an, période à laquelle les familles chinoises se réunissent. Même si l’année du Cheval ne commence que le 31 janvier, la période des “voyages de printemps”, qui marque la plus grande migration annuelle dans le monde, démarre, elle, dès le 16 janvier, et se poursuit pendant quarante jours. Mais les infrastructures ont du mal à faire face, rapporte le South China Morning Post. Le rail, notamment, devra assurer le transport de 258 millions de passagers (8 % de plus que l’année dernière). Un record sur des lignes qui sont déjà les plus saturées au monde, rappelle le quotidien de Hongkong. Les jeunes seront les moins mobiles : faute de pouvoir afficher une réussite financière, ou par peur de ne pas retrouver d’emploi à leur retour, 40 % d’entre eux ne passeront pas les fêtes en famille.A

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360°50. Courrier international — n° 1212 du 23 au 29 janvier 2014

MystèreUNE SULTANE FRANÇAISE ?

Elle s’appelait Aimée du Buc de Rivery. Née en 1776 à la Martinique, elle disparaît en 1788, lors d’un voyage de retour de France. Enlevée en mer par des pirates, vendue

comme esclave à Alger, elle est offerte au sultan Abdülhamid Ier, qui la prend comme quatrième épouse. Sous le nom de Naksidil, elle devient valide sultan en 1808, mère adoptive du futur Mahmud II. Elle s’éteint à Istanbul en 1817. Une belle histoire, qui ne serait, justement, qu’une légende. Car le lien entre Aimée du Buc et Naksidil n’a pu être démontré. Encore aujourd’hui, le destin de la jeune Créole divise les historiens.

histoire.

Le harem ottoman, pouvoir

parallèleXVIe-XXe siècle Turquie

Paradis des plaisirs charnels ou prison de femmes, cette institution

pourrait avoir contribué au déclin de l’Empire.

d’accompagner chaque femme dans la chambre du sultan, il était en pratique le seul homme à pouvoir entrer librement dans le harem pour toutes sortes d’urgences nocturnes. Il faisait également office de témoin aux mariages du sultan, aux cérémonies de naissance, s’occupant personnellement de l’organisation des grandes fêtes, circoncisions, noces et autres. Toutefois, c’est à la mère du sultan plutôt qu’au sultan que le grand eunuque noir était directement subordonné.

A compter du xvie siècle, l’influence du harem sur le sultan s’est donc continuellement renforcée. Avec le temps, les souverains ont renoncé à mener personnellement leurs campagnes militaires. De plus en plus souvent enfermés dans le palais, menant une existence de plaisir coupée des réalités politiques, ils se sont vus peu à peu dépouillés de tout pouvoir au profit de leurs vizirs, mères, épouses et eunuques. Les rivalités sans merci au sein de cet entourage ont alors condamné l’empire ottoman à un lent déclin.

—Ciprian PlaiasuPublié en janvier

Vers 1475, on recensait 400 femmes esclaves dans le palais de Topkapi, à Istanbul. Toutes subissaient un processus d’éducation. La tradition ottomane autorisait le concubinage avec des esclaves à côté du mariage légal, pour la reproduction, mais les enfants issus des rapports avec les esclaves concubines n’avaient pas droit à l’héritage. Avec le temps est apparue la position d’esclave concubine favorite, qui supposait une reconnaissance potentielle des droits de ses héritiers.

A leur arrivée au palais, sous la supervision de la kahya kadin, la surintendante, les jeunes filles apprenaient les principes de l’islam, mais aussi la broderie, la danse, le chant, la rhétorique. Les femmes qui accédaient au lit du sultan étaient appelées les haseki, les favorites. Si une favorite donnait naissance à un enfant de sexe masculin, elle devenait bash kadin et obtenait des avantages par rapport aux autres femmes, bénéficiant même d’appartements privés.

C’est à partir de Soliman le Magnifique [né en 1494, il règne de 1520 à 1566] que le harem est devenu un acteur politique. Une femme en particulier, Roxelane [1500-1558], esclave ukrainienne, est parvenue à exercer une influence considérable sur lui, l’un des hommes les plus puissants du xvie siècle. Affranchie en 1534, elle est devenue son épouse officielle. L’amour de Soliman pour elle lui fera prendre de nombreuses décisions sous son influence, y compris dans le domaine de la stratégie politique et diplomatique. Si après Roxelane le harem n’a cessé d’étendre son influence, au sein même de l’institution c’est la mère du sultan régnant, la valide sultan, qui faisait la pluie et le beau temps.

La garde du harem était assurée par les eunuques noirs, dont le chef était le grand eunuque noir. Les eunuques noirs étaient généralement capturés en Egypte, en Abyssinie ou au Soudan et convoyés vers les marchés aux esclaves de La Mecque, Médine, Beyrouth, Izmir ou Istanbul. La fonction de grand eunuque noir correspondait à celle de général d’armée. Il avait le droit d’approcher le sultan à tout moment et il était un lien important entre le sultan et sa mère. Ayant l’obligation

—Historia (extraits) Bucarest

Peu de détails subsistent à propos de ce harem (“lieu interdit” en arabe). Quant aux représentations que nous en ont lais-

sées les artistes de tout temps, elles ne font que véhiculer des légendes fantaisistes. Le harem en tant qu’institution dans le monde ottoman consti-tuait en fait une forme d’organisation sociale similaire à la famille. Mais il s’agissait également d’un véritable complexe, avec hôpital, chambres, mosquées – le mot a donc aussi des connotations “architecturales”. La religion musulmane permet aux hommes de prendre quatre épouses. Dans le cas des sultans, outre des épouses, on trou-vait un nombre impressionnant de concubines, kadin [maîtresses du sultan] et esclaves.

Le harem est l’objet de bien des idées reçues. Il aurait été une prison de femmes, le lieu de toutes sortes d’orgies sexuelles, et les kadin y auraient été si nombreuses que certaines mouraient vierges car le sultan n’avait pas eu le temps de s’intéresser à elles. Quelle que soit la part de réalité dans tous ces mythes, le harem ottoman obéissait avant tout à une série de règles strictes. Il faisait partie intégrante du système d’esclaves, à la base de toute la société ottomane, et pas seulement celle du palais impérial. Le palais des sultans était le centre du gouvernement de l’Etat ottoman. Les gouverneurs, les chefs militaires et tous ceux qui exerçaient l’autorité impériale en étaient issus et étaient les serviteurs ou les esclaves du sultan. Sur place, ils recevaient une éducation spéciale, puis étaient nommés à différents postes.

Les esclaves devaient tout au sultan. Le système recrutait par exemple des garçons âgés de 3 à 7 ans uniquement parmi les familles chrétiennes ou d’autres religions que l’islam, dans toutes les régions de l’Empire. Les esclaves de sexe masculin se trouvaient sous la supervision de l’eunuque blanc, surintendant de l’ensemble du palais, tandis que les esclaves de sexe féminin étaient sous celle de l’eunuque noir. Le rôle de ce dernier se verra renforcé chaque fois que l’influence de l’une des femmes du harem se fera sentir sur le sultan.

DR

↗ Le Harem, John Frederick

Lewis (1804-1876). Photo

The Stapleton Collection /

The Bridgeman Art Library

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