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Conseil du commerce et du développement Commission du commerce et du développement
Groupe intergouvernemental d’experts du droit
et de la politique de la concurrence
Dix-septième session
Genève, 11-13 juillet 2018
Point 3 a) i) de l’ordre du jour provisoire
Difficultés rencontrées par les pays en développement en matière de concurrence et de réglementation dans le secteur du transport maritime
Note du secrétariat de la CNUCED
Résumé
Les marchandises transportées par mer et transitant par les ports maritimes du
monde entier représentent plus de 80 % du commerce mondial en volume et plus de 70 %
en valeur. Plus de la moitié de la valeur totale du commerce maritime mondial correspond à
des marchandises en conteneur transportées par des compagnies maritimes de ligne. Le
transport maritime revêt donc une grande importance pour le commerce et le
développement et les compagnies maritimes de ligne jouent un rôle essentiel dans le
commerce international des articles manufacturés, lequel contribue à la croissance
économique.
La présente note porte sur le cadre réglementaire des transports maritimes en ligne et
sur les problèmes de concurrence y afférents. La structure des marchés et les faits nouveaux
intervenus dans les domaines de la concurrence et de la concentration au sein de ce secteur
y sont examinés. Les difficultés que les pays en développement rencontrent y sont
également abordées et des mesures visant à promouvoir la concurrence dans le secteur
y sont proposées.
Nations Unies TD/B/C.I/CLP/49
Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement
Distr. générale
2 mai 2018
Français
Original : anglais
TD/B/C.I/CLP/49
2 GE.18-06990
Introduction
1. La chaîne des transports maritimes comporte de nombreux segments, allant de la
construction, de l’acquisition et de l’immatriculation des navires à leur mise au rebut en
passant par leur exploitation. Différents acteurs provenant à la fois de pays développés et de
pays en développement participent à chacun de ces segments. Les marchandises transportées
par mer et transitant par les ports maritimes du monde entier représentent plus de 80 % du
commerce mondial en volume et plus de 70 % en valeur. Selon les estimations, le volume du
commerce maritime mondial devrait augmenter à un rythme annuel global de 3,2 % en 2017-
20221. Le transport maritime revêt donc une grande importance pour le commerce et le
développement. En 2007, les marchandises conteneurisées ont représenté 52 % de la valeur
totale du commerce maritime mondial, ce qui s’explique par la valeur plus élevée des
marchandises transportées par conteneur ; la part des navires-citernes dans le commerce était
de 22 % ; celle des marchandises générales de 20 % ; et celle du vrac sec de 6 %2.
2. Les frais de transport constituent une part non négligeable des coûts commerciaux.
En 2016, les frais de transport et d’assurance liés au commerce international ont représenté
en moyenne 15 % environ de la valeur des importations des pays, mais ils ont été plus
élevés pour les petits pays vulnérables, atteignant en moyenne 22 % dans les petits États
insulaires en développement, 19 % dans les pays en développement sans littoral et 21 %
dans les pays les moins avancés (fig.). Les coûts sont supérieurs dans de nombreux pays en
développement car, entre autres facteurs, les ports sont moins performants, les
infrastructures inadéquates, les économies d’échelle limitées et les marchés de transport
moins concurrentiels3. L’augmentation de la taille des navires et la diminution de la
concurrence liée à la poursuite des regroupements peuvent aggraver cette situation, en
particulier pour les petits pays économiquement et structurellement faibles.
Frais de transport et d’assurance liés au commerce international, 2006-2016
(En pourcentage de la valeur des importations)
Source : CNUCED, 2017, fig. 3.5.
1 CNUCED, 2017, Étude sur les transports maritimes 2017, publication des Nations Unies, numéro de
vente F.17.II.D.10, New York et Genève.
2 CNUCED, 2013, Étude sur les transports maritimes 2013, publication des Nations Unies, numéro de
vente F.13.II.D.9, New York et Genève.
3 CNUCED, 2017.
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3. L’indice de connectivité des transports maritimes réguliers indique le niveau
d’intégration d’un pays dans les réseaux mondiaux de transport maritime de ligne. La
connectivité s’est sensiblement accrue en 2004-2017, l’indice étant en hausse dans la
majorité des pays4. Il ressort d’une étude de la CNUCED portant sur les incidences de la
nature des liaisons maritimes sur les exportations bilatérales de marchandises
conteneurisées que la qualité des liaisons maritimes est probablement un facteur
déterminant de l’accès aux marchés extérieurs et, au bout du compte, des résultats à
l’exportation5. D’où l’importance que revêtent les compagnies maritimes de ligne et
l’indice de connectivité des transports maritimes réguliers des pays pour la compétitivité
des exportations et le commerce mondial.
4. En 2016, le secteur du transport maritime a continué de subir le contrecoup du
ralentissement économique enregistré après 2009, qui a durablement affaibli la demande
mondiale. L’offre a augmenté plus rapidement que la demande, ce qui a débouché au
niveau mondial sur une situation de capacités excédentaires et de faiblesse des taux de fret
et a entraîné une contraction de la rentabilité des compagnies maritimes de ligne. D’où une
concentration accrue prenant la forme de fusions ou d’alliances mondiales entre
transporteurs de conteneurs sur un marché qui était déjà très concentré.
5. La présente note s’intéresse essentiellement au cadre réglementaire des transports
maritimes de ligne et aux questions de concurrence y afférentes. Il s’agit d’un secteur
capitalistique caractérisé par un déséquilibre entre l’offre et la demande de transport de
marchandises. Le contexte actuel, qui est pourtant favorable aux chargeurs compte tenu de
ses incidences sur les taux, pose des difficultés aux prestataires de services de transport en
ligne, au nombre desquelles figurent : le ralentissement persistant du commerce depuis
2009 ; la faiblesse historique des taux de fret ; la concurrence intense entre les transporteurs,
susceptible d’aboutir à des baisses de taux non viables ; une course à l’achat de navires
géants ; et l’application d’une nouvelle réglementation environnementale plus stricte6. Pour
surmonter ces difficultés, les compagnies maritimes de ligne se sont employées à optimiser
le taux d’utilisation des capacités et à réduire les coûts grâce à des regroupements,
aboutissant à une concentration accrue du marché au cours des dernières années. En 2016 et
au premier semestre de 2017, les regroupements se sont intensifiés sous la forme de fusions
et d’acquisitions ainsi que d’alliances conclues entre les compagnies maritimes de ligne.
I. Transports maritimes de ligne : Accords de coopération
6. Les transports maritimes de ligne sont caractérisés par des accords de coopération qui
ont pris la forme, au départ, de conférences maritimes, puis, suite au phénomène de la
conteneurisation apparu en 1956, de consortiums, d’alliances stratégiques ainsi que d’accords
de stabilisation des capacités, de partage de navires et de consultation volontaire. Le régime
réglementaire international était initialement caractérisé par le fait que tous ces types d’accord
de coopération bénéficiaient d’une dérogation quasi générale au droit de la concurrence. Les
exemptions accordées aux conférences maritimes étaient justifiées par l’argument selon lequel
la nature même des coûts supportés par le secteur faisait que la concurrence n’était pas viable
et ne pouvait aboutir qu’à de piètres résultats pour tous les acteurs du marché. Les
conférences maritimes étaient donc jugées inévitables pour garantir la rentabilité et la stabilité
des transporteurs et la régularité des services fournis aux exportateurs7.
4 Voir http://unctadstat.unctad.org/wds/TableViewer/tableView.aspx?ReportId=92.
5 Parmi les variables qui déterminent la qualité figurent l’existence d’une liaison maritime directe entre
deux pays, c’est-à-dire au moins un service maritime opérationnel, et une variable résultant d’un
algorithme d’optimisation qui indique le nombre de transbordements nécessaires pour assurer la
liaison entre deux pays (M Fugazza, 2015, Maritime Connectivity and Trade, Policy Issues in
International Trade and Commodities, Research Studies Series No 70, publication des Nations Unies,
New York et Genève).
6 JW Butler, 2017, World Shipping Council statement to the United States Subcommittee on Coast
Guard and Maritime Transportation, 3 mai, Washington.
7 Organisation de coopération et de développement économiques, 2015, La concurrence dans le secteur
du transport maritime de ligne, DAF/COMP/WP(2015)3, 10 juin.
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7. La Convention relative à un code de conduite des conférences maritimes (1974)
définit les conférences maritimes comme un « groupe d’au moins deux transporteurs-
exploitants de navires qui assure des services internationaux réguliers pour le transport de
marchandises sur une ligne ou des lignes particulières dans des limites géographiques
déterminées et qui a conclu un accord ou un arrangement, quelle qu’en soit la nature, dans
le cadre duquel ces transporteurs opèrent en appliquant des taux de fret uniformes ou
communs et toutes autres conditions de transport concertées pour la fourniture de services
réguliers ». Dans la terminologie actuelle du droit de la concurrence, les conférences entrent
dans la définition des ententes sur les prix.
8. Les conférences maritimes continuent de déroger au droit de la concurrence dans de
nombreux pays. Dans ceux-ci, les exemptions dont elles bénéficient ont été assouplies et
soumises à certaines conditions, et assorties de la possibilité d’enquêter sur leurs pratiques
anticoncurrentielles. Les partisans des conférences maritimes justifient les exemptions par
l’existence de coûts fixes élevés, d’investissements initiaux considérables, d’autres
dépenses élevées non liées au fret, de déséquilibres entre l’offre et la demande et de
capacités excédentaires ainsi que par la nécessité de fournir des services réguliers de
transport maritime de ligne dans le cadre du commerce international.
9. Le pouvoir des conférences maritimes a commencé à diminuer après les années
1970. L’adoption de la loi sur la réforme des transports maritimes aux États-Unis
d’Amérique en 1998 et la publication d’un rapport de l’Organisation de coopération et de
développement économiques en 2002 ont fait évoluer le régime international des
conférences maritimes. Le principal changement introduit par la loi a consisté à autoriser la
conclusion de contrats de services confidentiels avec des transporteurs non membres de
conférences, contrats qui n’avaient plus besoin d’être rendus publics. Il a accru la
concurrence et contribué à réduire le poids des conférences. Dans son rapport,
l’Organisation de coopération et de développement économiques s’est demandé si les
exemptions à la législation antitrust pouvaient se justifier et, après avoir examiné la logique
économique des accords en vigueur, a jugé que rien ne prouvait de manière incontestable
que les chargeurs et les consommateurs en avaient retiré des avantages. Elle en a conclu
que les conférences maritimes ne servaient plus à garantir les taux de fret et la stabilité de
l’offre pour les chargeurs et avaient donc perdu leur raison d’être8.
10. Suite au rapport susmentionné, l’Union européenne a réexaminé l’exemption par
catégorie dont bénéficiaient les conférences maritimes et l’a abrogée en 2008. Le rapport de
l’Organisation de coopération et de développement économiques et la décision de l’Union
européenne ont conduit des pays comme l’Australie, Israël, le Japon et la Nouvelle-Zélande
à revoir les exemptions accordées, avec des résultats différents. Israël a supprimé
l’exemption par catégorie dont bénéficiaient les accords des conférences. Par contre,
l’Australie, les États-Unis d’Amérique, le Japon et Singapour ont continué d’autoriser les
accords entre compagnies maritimes de ligne.
11. À partir des années 1960, la conteneurisation a amené les transporteurs à se
concentrer sur la rationalisation des coûts et non plus seulement sur la fixation des taux, d’où
la multiplication des consortiums. L’Organisation de coopération et de développement
économiques définit les consortiums comme « des accords/arrangements entre compagnies
de lignes régulières qui ont d’abord pour objectif de fournir des services organisés en
commun grâce à divers accords techniques, opérationnels ou commerciaux (utilisation en
commun des navires, des installations portuaires, des services de recrutement du fret,
etc.) »9. Les consortiums ont pour objectifs de réduire le coût des immobilisations, de
mutualiser les risques, de réaliser des économies d’échelle et de renforcer le pouvoir de
négociation des membres face aux exploitants de terminaux et aux autorités portuaires. Dans
ce dernier cas, ils y parviennent en poursuivant les regroupements dans le secteur ; ils sont
arrivés à un stade où le rapport de force entre les transporteurs et les exploitants de
terminaux peut poser des problèmes de concurrence et constituer une menace pour la
compétitivité des exportations, en particulier dans les pays en développement.
8 Ibid.
9 Organisation de coopération et de développement économiques, 2002, Questions relatives à la
réglementation du transport maritime international, DSTI/DOT(2001)3, 8 mars.
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12. Une forme particulière de consortium, à savoir l’alliance mondiale, a fait son
apparition dans les années 1990. Une alliance consiste en un petit groupe de transporteurs
qui mettent en commun des actifs importants et coopèrent sur le plan opérationnel tout en
conservant leur propre identité sur le plan commercial et tarifaire. Contrairement aux
conférences maritimes, les membres de l’alliance ne fixent pas en commun les taux de fret
et se livrent à une concurrence sur les prix, lesquels sont établis de manière indépendante.
Ils concluent souvent des accords de partage de navires sur les grandes routes, chacune
d’elles pouvant être considérée comme un marché pertinent dans la terminologie du droit de
la concurrence. En général, une alliance porte sur deux au moins des routes commerciales
Est-Ouest, c’est-à-dire des routes Europe-Asie, Asie-États-Unis et États-Unis-Europe. Tous
les transporteurs membres d’une alliance mettent en commun leurs flottes, transportent les
conteneurs les uns pour le compte des autres pour étendre leurs services et leur couverture
géographique, dans le but d’accroître leur part de marché, de réduire l’insuffisance des
capacités, d’améliorer le cochargement, d’optimiser les escales et de réduire autant que
possible les risques globaux. De nombreux pays estiment que les consortiums et les
alliances sont à l’origine de gains d’efficacité et leur accordent donc des exemptions
générales au droit de la concurrence10. Actuellement, trois alliances − 2M, Ocean Alliance
et The Alliance − réunissent les 10 principaux transporteurs11.
13. Les consortiums sont régis par des accords entre membres portant, selon le degré
d’engagement des signataires, sur l’affrètement d’espaces, sur l’échange d’espaces et sur le
partage de navires. Les accords d’affrètement d’espaces consistent à louer des espaces de
conteneur à bord de navires exploités par les membres du consortium. Les accords
d’échange d’espaces sont des accords du même type qui impliquent une réciprocité dans
l’affrètement. Les accords de partage de navires sont les accords qui vont le plus loin, en
partageant les capacités de transport des navires entre partenaires afin d’accroître le taux
d’utilisation des flottes12.
14. Les accords de partage de navires sont monnaie courante et sont jugés de plus en
plus pertinents du point de vue économique dans le secteur des transports maritimes de
ligne. Les plus grands transporteurs sont nombreux à participer sous une forme ou une autre
à de tels accords. Ceux-ci facilitent la prestation de services de transport maritime de ligne
sur le plan opérationnel et peuvent englober la coordination ou l’exploitation conjointe de
services et le partage des capacités des navires. Ils peuvent aider à promouvoir la
concurrence en facilitant l’entrée sur les marchés des transporteurs qui n’ont pas un volume
suffisant de marchandises pour exploiter un navire indépendant, afin de leur permettre de
concurrencer d’autres transporteurs sur les mêmes routes. Ils peuvent être bénéfiques en
particulier aux petits transporteurs et aux transporteurs qui souhaitent entrer sur de
nouveaux marchés13. En outre, les compagnies maritimes de ligne ont besoin de nouer des
accords de coopération pour assurer la continuité de leurs services à long terme. En ayant la
possibilité de conclure facilement un accord de ce type, de le dénoncer et de l’adapter à
l’évolution du marché et en bénéficiant de la sécurité juridique que confèrent une
réglementation ou une exemption sectorielle, les transporteurs ont la souplesse et les
moyens voulus pour adapter leurs services aux conditions du marché avec assez peu de
perturbations14.
15. En principe, les accords de partage de navires ne contiennent pas de dispositions sur
les quantités à transporter ou sur la fixation des prix. Ils dérogent souvent au droit de la
concurrence dans de nombreux pays et peuvent être soumis à une procédure d’examen ou
d’approbation par les autorités compétentes. Les exemptions dont bénéficient ces accords
rassurent les compagnies maritimes de ligne en réduisant ou en éliminant tout risque qu’une
action judiciaire non nécessaire ralentisse leurs activités15. Il ressort d’une étude consacrée
aux effets de la conclusion et de l’élargissement d’accords de partage de navires sur les prix
10 CNUCED, 2016, Liner shipping: Is there a way for more competition? Discussion paper No. 224.
11 Pour de plus amples renseignements sur les alliances, voir CNUCED, 2017.
12 Organisation de coopération et de développement économiques, 2015.
13 Contributions du World Shipping Council, des Associations des armateurs de la Communauté
européenne et de la Chambre internationale de la marine marchande.
14 Ibid.
15 Contribution du Gouvernement indien.
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d’équilibre, les quantités globales d’équilibre et le bien-être des consommateurs que la
constitution et l’élargissement de tels accords sur une route commerciale active donnée
entraînaient un gain pour le chargeur (rente du consommateur), une augmentation du
volume de marchandises transportées (quantités globales d’équilibre) et une diminution des
taux de fret. Les accords de partage de navires avaient donc des effets favorables à la
concurrence16.
16. Un autre type d’accord porte sur la mise en place de consultations volontaires, c’est-à-
dire sur la possibilité qu’ont les parties d’échanger des informations commerciales,
notamment sur les prévisions en matière d’offre et de demande et sur les tendances du secteur,
et d’adhérer à des lignes directrices facultatives. Même si celles-ci ne sont pas contraignantes
et si l’échange d’informations n’est pas obligatoire, ces accords peuvent faciliter l’entente sur
les prix et les capacités et ne se justifient pas du point de vue des gains d’efficacité17. Ils ne
dérogent pas au droit de la concurrence dans l’Union européenne. D’autres pays peuvent
autoriser ces accords de même que d’autres accords de coopération, y compris les conférences
maritimes qui fixent les prix, à condition d’en informer les autorités de la concurrence et de
mettre en place un suivi. En 2013, environ 65 conférences maritimes et accords de
consultation volontaire existaient sur les routes transpacifique et transatlantique, couvrant
50 % environ du commerce mondial18. Compte tenu de l’expérience acquise dans les enquêtes
sur les ententes, l’autorité de la concurrence du Brésil a jugé que certains accords, qui
pouvaient initialement être source d’efficacité économique, contenaient des conditions
susceptibles de déboucher sur des accords illicites entre concurrents19.
II. Transports maritimes de ligne : Le cadre réglementaire de la concurrence
17. Les principales routes commerciales maritimes de ligne sont les routes Asie-Europe,
transpacifique et transatlantique, ainsi que la route intra-asiatique. En 2016, la part des
conteneurs dans le volume portuaire par région se décomposait comme suit : Asie : 64 % ;
Europe : 16 % ; Amérique du Nord : 8 % ; Amérique en développement : 6 % ; Afrique :
4 % ; Océanie : 2 %20.
18. Le présent chapitre examine le cadre réglementaire de la concurrence qui est en
vigueur chez les acteurs les plus présents sur les grandes routes commerciales et qui a une
influence mondiale, à savoir la Chine, les États-Unis et l’Union européenne. Cela ne veut
pas dire que la réglementation sectorielle relève uniquement des autorités compétentes de
ces juridictions. D’autres autorités de la concurrence jouent un rôle essentiel en vue de
garantir la concurrence dans le secteur des transports maritimes de ligne car toute opération
de fusion ou acquisition entre des transporteurs ne peut devenir effective qu’à la condition
d’avoir été approuvée par toutes les juridictions notifiées.
19. Aucun instrument juridiquement contraignant sur la concurrence dans les transports
maritimes de ligne n’a été approuvé au niveau mondial. Des instruments ayant trait à ce
secteur ont été adoptés sous l’égide d’organisations internationales comme la CNUCED,
notamment la Convention relative à un code de conduite des conférences maritimes, qui est
entrée en vigueur en 1983 et à laquelle étaient parties 76 États au 15 janvier 2018, et les
directives régissant son application, élaborées en 1986. La Convention définit notamment
des règles sur les parts de trafic auxquelles ont accès les armateurs établis sur le territoire
des États parties qui participent à leurs échanges mutuels extérieurs. Elle octroie des droits
et impose des obligations aux États parties afin de répondre aux besoins particuliers des
pays en développement et d’atténuer les obstacles que ceux-ci rencontrent. Elle impose un
partage du trafic selon une répartition 40-40-20 entre les membres de la conférence
16 F Quartieri, 2017, Are vessel-sharing agreements pro-competitive? 21 avril.
17 Contribution du Gouvernement indien.
18 AJ Braakman, 2013, The anti-competitive effects of a globally concentrated, oligopolistic maritime
market: From explicit to tacit collusion − An analysis based on the P3 network, Journal of
International Maritime Law, 19(5): 419−436.
19 Contribution du Gouvernement brésilien.
20 CNUCED, 2017, fig. 4.1
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maritime, afin de donner la possibilité aux pays de participer au transport des marchandises
échangées. Toutefois, cette disposition n’a jamais été appliquée car la Convention n’a pas
été mise en œuvre par tous les États parties.
A. Chine
20. La Chine est le premier exportateur mondial : en 2016, elle représentait 13,12 % des
exportations mondiales de marchandises, 29 % du trafic portuaire conteneurisé mondial et
48 % du volume des marchandises conteneurisés traitées dans les 40 premiers terminaux
portuaires à conteneurs21. La Chine joue donc un rôle crucial dans l’examen des alliances et
des fusions mondiales qui concernent les transports maritimes de ligne.
21. Le Ministère des transports est l’autorité chargée de faire appliquer la
réglementation du transport maritime depuis 200222. Celle-ci vise notamment à préserver
une concurrence loyale dans le secteur qu’elle régit et s’applique, comme la législation des
États-Unis et celle de l’Union européenne, aux accords de transport de ligne à l’arrivée et
au départ des ports chinois23. Conformément à la réglementation, ces accords et les accords
sur les taux de fret doivent être déposés au Shanghai Shipping Exchange, qui est l’autorité
compétente désignée par le Ministère24. En 2014, c’est néanmoins le Ministère du
commerce qui a reçu la notification du projet d’alliance P3 et l’a examiné conformément
aux pouvoirs que lui confère la loi antimonopole (2008), à savoir approuver ou rejeter toute
fusion ou concentration en fonction de ses effets sur la concurrence (encadré 1).
Encadré 1
Projet d’alliance P3, 2013
Le projet d’alliance P3 réunissait les trois principales compagnies maritimes de ligne
de l’époque, à savoir : Maersk, Mediterranean Shipping Company et CMA CGM. Les
transporteurs ont décidé de mettre en commun leurs navires, représentant 15 % des
capacités mondiales, sur trois grandes routes : Asie-Europe, transpacifique et
transatlantique. Ce projet était considéré comme une illustration des difficultés que le
secteur avait connues en raison de capacités excédentaires et de taux de fret instables.
L’accord a été notifié à plusieurs autorités de la concurrence dans le monde et a été
approuvé par celles de l’Union européenne et des États-Unis.
Le projet ne s’est toutefois pas concrétisé car le Ministère chinois du commerce a
décidé en juin 2014 de ne pas approuver cette alliance. Après avoir évalué les effets
potentiels de l’alliance sur la concurrence conformément à sa réglementation des fusions, le
Ministère a décidé que l’alliance constituait une association étroite qui différait des accords
traditionnels de partage de navires et des protocoles d’échange d’espaces sur plusieurs
plans : la coopération, les modalités opérationnelles et le partage des coûts. Il a jugé que
l’alliance contribuerait dans une large mesure à accroître le pouvoir des parties et la
concentration sur la route Asie-Europe tout en y érigeant des obstacles à l’entrée. En
janvier 2014, les capacités combinées des trois transporteurs s’élevaient à 46,7 %. Après
avoir aussi examiné les incidences sur d’autres acteurs comme les transporteurs
concurrents, les chargeurs et les autorités portuaires, le Ministère a estimé que le pouvoir
accru des trois principaux transporteurs du secteur sur le marché serait préjudiciable aux
autres acteurs susmentionnés, en particulier parce que les trois transporteurs renforceraient
leur pouvoir de négociation par rapport aux chargeurs et aux autorités portuaires.
Sources : Financial Times, 2013, Big three container shipping groups plan alliance, 18 juin ;
Ministère chinois du commerce, 2014, Annonce no 46, 20 juin.
21 Base de données UNCTADstat ; CNUCED 2017, tableaux 4.1 et 4.2.
22 Chine, 2001, Réglementation du transport maritime international, arrêté du Conseil d’État no 335,
5 décembre.
23 M Drenan, 2015, Watchdogs of the world: Global liner conference regulators in the modern shipping
market and why the P3 agreement failed, Michigan State International Law Review, 24(1): 79-109.
24 CNUCED, 2016.
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B. États-Unis
22. La Commission maritime fédérale est l’organisme indépendant chargé de
réglementer le transport maritime dans le cadre du commerce extérieur des États-Unis au
profit des exportateurs, des importateurs et des consommateurs de ce pays25. Elle a pour
mission de veiller à la compétitivité et à l’efficacité des services de transport maritime
fournis aux chargeurs en contrôlant les effets des contrats conclus entre transporteurs et des
contrats de services sur les prix et les services. Elle a été créée en 1961 en vertu de la loi
portant modification de la loi sur les transports maritimes (1916), qui lui a conféré le pouvoir
de rejeter les accords entre compagnies maritimes de ligne qui ne servent pas l’intérêt public.
Une violation de la législation antitrust serait considérée comme contraire à l’intérêt public.
La loi sur les transports maritimes (1984) a supprimé à la fois la clause d’intérêt public et
l’obligation que la Commission approuve les accords entre compagnies maritimes de ligne.
Elle autorise aussi les accords de partage de navires et d’autres accords de coopération.
23. Aux États-Unis, les conférences maritimes bénéficient d’une exemption à la
législation antitrust. La loi sur les transports maritimes, modifiée par la loi sur la réforme
des transports maritimes (1998), introduit un régime différent d’application du droit de la
concurrence et permet dans une certaine mesure aux accords entre compagnies maritimes
de ligne d’y déroger. Parmi les réformes adoptées figure la fin de la réglementation par les
conférences maritimes des contrats de services de leurs membres. En outre, les membres
des conférences sont autorisés à négocier en toute indépendance des contrats de services
confidentiels avec des chargeurs, et il est interdit aux autres membres de prendre des
mesures de représailles contre les chargeurs ou les transporteurs concernés. Avant la
réforme, ces contrats devaient être rendus publics, ce qui pouvait avoir un effet dissuasif sur
les éventuelles parties. Dans son rapport annuel de 2014, la Commission a écrit que les
accords de conférence ou les accords de fixation de prix étaient devenus dans une large
mesure obsolètes dans le secteur des transports maritimes de ligne aux États-Unis. Aucun
nouvel accord entre transporteurs n’avait été déposé auprès de la Commission depuis l’an
2000. Les trois conférences qui subsistaient ne portaient que sur les marchandises
publiques26. Toutes les pratiques qui ne bénéficient pas de l’exemption à la législation
antitrust sont soumises au droit de la concurrence et font l’objet d’enquêtes du Département
de la justice si elles s’apparentent à une entente, notamment en cas de fixation des prix, de
trucage des offres et de partage des marchés.
24. En ce qui concerne l’application du droit de la concurrence aux services de transport
maritime, la Commission surveille les effets concurrentiels et les conditions commerciales
des accords conclus entre les compagnies maritimes de ligne. La loi prévoit que les parties
doivent notifier la Commission de la conclusion d’accords et déclarer leurs intentions. La
Commission procède à une évaluation des effets sur la concurrence et fixe des modalités de
suivi en matière de notification avant d’autoriser un accord. Sauf si elle le rejette et le
conteste devant les tribunaux, l’accord prend effet quarante-cinq jours après son dépôt.
C. Union européenne
25. Le règlement no 4056/86 faisait bénéficier les conférences maritimes d’une
exemption par catégorie aux règles de la concurrence de l’Union européenne. En 2003, la
Commission européenne a procédé à son réexamen afin de vérifier si la fixation des prix et
la régulation des capacités par les conférences maritimes restaient des motifs pertinents
compte tenu de l’évolution du marché. Le réexamen n’a pas permis d’établir de lien de
cause à effet entre la fixation des prix et la prestation de services de transport maritime de
ligne fiables. Au contraire, il en est ressorti que la révocation de l’exemption entraînerait
une amélioration de la qualité des services, une baisse des prix et des réductions notables
des taxes et surtaxes, et que la baisse des prix donnerait la possibilité aux pays en
développement d’accroître leurs exportations et leurs importations. L’abrogation du
25 Organisation de coopération et de développement économiques, 2015, La concurrence dans le secteur
du transport maritime de ligne, DAF/COMP/WP2/WD(2015)13, 26 mai.
26 Ibid.
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règlement aurait aussi probablement des incidences positives sur les pays en
développement car ceux-ci exportaient habituellement des produits de base de faible valeur
pour lesquels la part des frais de transport était relativement élevée27.
26. L’Union européenne a ainsi adopté le règlement no 1419/2006, qui abrogeait le
règlement no 4056/86 et l’exemption par catégorie en faveur des conférences maritimes
avec effet au 18 octobre 2008. Les pratiques anticoncurrentielles des conférences maritimes
sur les routes à destination et en provenance de l’Union européenne ne sont plus exemptées
de l’application de l’article 101 1) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
27. En 1995, l’Union européenne a adopté sa première exemption par catégorie en
faveur de consortiums et l’a réexaminée plusieurs fois depuis. Le règlement no 906/2009 a
prolongé cette exemption jusqu’en avril 2020. Si elle n’est pas renouvelée à l’issue d’un
examen quinquennal, l’exemption expirera. Elle est circonscrite aux services internationaux
de transport maritime de ligne à destination et en provenance d’un ou plusieurs ports de
l’Union européenne. Les consortiums ne concluent pas d’accord de fixation des prix. Aux
termes du règlement susmentionné, ils contribuent à améliorer la productivité et la qualité
des services maritimes de ligne offerts en réalisant des économies d’échelle au niveau de
l’utilisation des navires et des installations portuaires et en promouvant le progrès technique
et économique. Selon une étude, l’approche favorable de l’Union européenne à l’égard des
consortiums ou des accords de partage de navires s’explique par l’opinion selon laquelle
ceux-ci procurent des avantages non seulement aux transporteurs, mais aussi aux
consommateurs et aux chargeurs par effet de ruissellement des gains d’efficacité28. Selon
les dispositions du règlement no 906/2009, la part de marché cumulée des membres d’un
consortium ne peut pas excéder 30 % ; si ce seuil est franchi, l’exemption n’est pas
accordée. À l’heure actuelle, les consortiums et les alliances ont une part de marché
supérieure à 30 % et leurs membres doivent procéder à une auto-évaluation du respect de
l’article 101 1) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. S’ils ne peuvent
prouver que cet article est respecté, les membres doivent démontrer que le consortium ou
l’alliance aboutit à des gains d’efficacité qui sont répercutés aux consommateurs et remplit
les autres conditions prévues à l’article 101 3).
28. Les membres du projet d’alliance P3 dépassaient 30 % de part de marché et ne
pouvaient bénéficier de l’exemption par catégorie. La Commission européenne n’était pas
dans l’obligation d’approuver officiellement ce projet. Elle l’a néanmoins examiné en
raison de la taille et des caractéristiques uniques de l’alliance et des effets anticoncurrentiels
qui risquaient de découler de l’échange d’informations sensibles et du verrouillage des
marchés en cause, ainsi que des gains d’efficacité notables que l’alliance aurait pu
entraîner29.
III. Transports maritimes de ligne : Structure du marché, concentration et concurrence
29. La taille et la capacité des navires ont beaucoup augmenté au cours des dix dernières
années. Leur dimension maximale est passée de 8 160 équivalents vingt pieds en 1997 à
15 550 en 2006 et à 21 100 en 201730. Elle ne cesse de s’accroître pour réaliser des
économies d’échelle et entraîne davantage de regroupements en raison des difficultés à
remplir des navires devenus géants.
30. Les transports maritimes de ligne sont un secteur concentré dans lequel les cinq plus
grands opérateurs représentaient 61,1 % de la capacité totale des navires en service au
30 avril 201831. Malgré les regroupements récemment intervenus, le transport maritime
27 Proposition de règlement du Conseil abrogeant le règlement (CEE) no 4056/86.
28 Drenan, 2015.
29 Organisation de coopération et de développement économiques, 2015, La concurrence dans le secteur
du transport maritime de ligne, DAF/COMP/WP2/WD(2015)1, 9 juin.
30 Organisation de coopération et de développement économiques, International Transport Forum, 2015,
The Impact of Megaships, Paris, p. 18.
31 Voir https://alphaliner.axsmarine.com/PublicTop100/.
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conteneurisé reste une activité concurrentielle32. Selon une étude réalisée en 1998, les
opérations de fusion-acquisition avaient créé de grandes compagnies maritimes de ligne et
les 20 premiers transporteurs contrôlaient plus de la moitié des capacités mondiales
d’espace conteneurisé33. En 2014, les 10 principales lignes de transport maritime
représentaient 68 % des capacités en service ; en 2018, leur part avait augmenté pour
atteindre 83 %34.
31. Le secteur a enregistré des regroupements plus importants en 2016 sous forme de
fusions-acquisitions et de méga alliances (voir l’encadré 2). Suite aux regroupements
récemment intervenus, au premier trimestre de 2018, le nombre moyen de prestataires de
services de transport maritime de ligne a baissé de 7,3 % par rapport au deuxième trimestre
de 201635. Pendant la même période, le nombre d’exploitants a diminué de 19 % au Brésil,
de 17 % en Égypte, de 13 % en Afrique du Sud, de 8 % en Malaisie et de 5 % en Chine36.
Le nombre de services assurés par l’ensemble des prestataires a baissé de 7,5 %, passant de
504 au premier trimestre de 2014 à 466 au premier trimestre de 201837. Les petits
exploitants qui ne participent pas à des alliances ressentent les effets de l’accélération des
regroupements. Leur part des capacités en service est de 11 % sur la route transpacifique,
de 7 % sur la route transatlantique et de 1 % sur la route Asie-Europe38.
Encadré 2
Fusions et alliances mondiales récentes dans les transports maritimes conteneurisés
Le nombre de grandes compagnies internationales présentes dans les transports
maritimes de ligne est tombé de 20 à 17 fin 2016 du fait de l’acquisition de American
President Lines par CMA CGM et de la fusion de China Shipping Container Lines et de
China Ocean Shipping (Group) Company, ainsi que du retrait de Hanjin Shipping en
septembre 2016.
Le nombre de transporteurs a encore diminué suite aux fusions intervenues en 2017,
c’est-à-dire entre Maersk et Hamburg Süd, et entre Hapag-Lloyd et United Arab Shipping
Company, et à la formation d’une nouvelle coentreprise qui démarrera ses activités en avril
2018, Ocean Network Express, réunissant les trois plus grandes compagnies de ligne au
Japon, à savoir Nippon Yusen Kaisha, Mitsui Osaka Soshen Kaicha Lines et Kawasaki
Kisen Kaisha Limited − K Line.
Les grands transporteurs internationaux sont actuellement au nombre de 12. Outre
les fusions-acquisitions, le secteur des transports maritimes de ligne a connu des
transformations suite à la recomposition des alliances existantes et à la création d’alliances
nouvelles. Les 10 premiers transporteurs ont constitué trois alliances mondiales ; il y en
avait quatre début 2016. À côté de l’alliance 2M, deux nouvelles alliances, à savoir Ocean
Alliance et The Alliance, ont été nouées et ont commencé à proposer leurs services en avril
2017.
Source : CNUCED, 2017.
32. Les regroupements peuvent déboucher sur une meilleure régulation des capacités,
une utilisation accrue des flottes et des gains d’efficacité, et être bénéfiques au secteur en
permettant de mettre en commun les cargaisons, d’accroître les économies d’échelle, de
réduire les coûts d’exploitation et d’augmenter les bénéfices. Les transporteurs peuvent
32 Drewry Maritime Research, 2018, Drewry insight weekly, janvier.
33 Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, 1998, Concentration in Liner
Shipping: Its Causes and Impacts for Ports and Shipping Services in Developing Regions, Santiago.
34 MDS Transmodal, 2018, Top 10 shipping lines control almost 90 per cent of the deep-sea market,
18 février.
35 Base de données sur la flotte conteneurisée de MDS Transmodal.
36 Calculs de la CNUCED à partir de la base de données sur la flotte conteneurisée de MDS Transmodal.
37 Transmodal, 2018.
38 Base de données sur la flotte conteneurisée de MDS Transmodal.
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aussi profiter des avantages de la coopération en partageant les ressources, y compris les
escales et les réseaux portuaires, et en mettant au point de nouveaux services. Les chargeurs
peuvent également tirer parti des regroupements grâce à une stabilité et une moindre
fluctuation des taux de fret, à une meilleure tarification due aux économies d’échelle ainsi
qu’à la prestation de services plus nombreux et plus efficaces de la part des transporteurs.
La CNUCED estime que les regroupements se poursuivront et que le secteur s’efforcera de
réduire les coûts en optimisant et en améliorant les réseaux, en augmentant le taux
d’utilisation des flottes et en rationalisant les activités39.
33. Une étude définit le transport maritime conteneurisé de ligne comme un marché
concurrentiel dans lequel l’offre augmente plus vite que la demande, entraînant une baisse des
taux de fret40. Celle-ci incite néanmoins les petits transporteurs qui sont en marge des grandes
routes à occuper des marchés de niche, ce qui, à long terme, peut déboucher sur des pratiques
plus oligopolistiques et sur une hausse des taux de fret. D’après cette étude, il peut suffire de
surveiller le marché, notamment les variables telles que les taux de fret et les surtaxes, le
niveau de concentration des marchés ainsi que le degré d’élaboration de produits et de
différenciation41. On devrait aussi prendre en compte les incidences d’une concentration
accrue sur les autres composantes de la chaîne des services de transport maritime telles que
les fréquences de départ, le temps de transit, les escales portuaires et la qualité des services
connexes. Ces facteurs déterminent la fiabilité et la prévisibilité des services et sont des
éléments essentiels pour les chargeurs, les importateurs et les exportateurs.
34. La concentration croissante du marché aggrave le risque de distorsion au détriment
d’une concurrence loyale. Parmi les risques figure le fait que les transporteurs peuvent
exercer leur pouvoir sur le marché, restreindre l’offre et augmenter les prix à long terme
lorsque le secteur atteindra la stabilité. En 2016, les taux de fret pratiqués sur la route
Shangai (Chine)-Santos (Brésil) ont bondi de 261,3 % par rapport à 2015 du fait de la
suppression de la moitié des services hebdomadaires et de plus de 40 % des capacités en
service en novembre 2015-février 201642.
35. En ce qui concerne la fiabilité et la prévisibilité, la fiabilité des services de transport
maritime de ligne est tombée de 82,9 % en 2016 à 74,5 % en 2017. Aucun des 18 premiers
transporteurs n’a amélioré la fiabilité de ses services en 201643. Certains des distributeurs
multinationaux qui poursuivent des stratégies de flux tendus et qui sont les plus importants
chargeurs ont commencé à se tourner vers le transport aérien de marchandises. Celui-ci
n’est plus une solution d’urgence pour les grands distributeurs, mais un choix stratégique
qui a souvent été planifié depuis plusieurs mois.
36. Les chargeurs ne sont pas les seuls acteurs touchés par la concentration accrue du
marché. Les ports, y compris les ports de transbordement, entre lesquels la concurrence est
rude et dont la part de marché est instable, peuvent en pâtir si les stratégies des alliances et
les strictes exigences qu’imposent les navires géants aboutissent à davantage privilégier les
liaisons plus directes. L’utilisation de navires géants et les regroupements sous la forme de
fusions ou d’alliances contribuent aussi à diminuer le nombre de ports desservis par les
transporteurs. Il en est résulté des avantages pour les transporteurs, qui ont ainsi réalisé des
économies d’échelle et ont vu leurs coûts baisser. Ont également été touchées d’autres
composantes de la chaîne comme les chargeurs, les ports et les terminaux, qui ont besoin de
s’adapter à des navires de plus en plus grands et sont devenues dépendantes d’un nombre
plus restreint de transporteurs. En conséquence, les navires des grands transporteurs ne font
plus escale dans certains ports situés sur les principales routes commerciales. Par exemple,
en 2012-2014, le nombre de rotations sur la route Asie-Europe du Nord a diminué de
36 %44. Les grands transporteurs qui dominent le marché voient plus d’avantages dans les
fusions que dans les alliances, notamment dans l’optique de la baisse des coûts et de
l’amélioration des activités portuaires.
39 CNUCED, 2017.
40 Organisation de coopération et de développement économiques, 2015, La concurrence dans le secteur
du transport maritime de ligne, DAF/COMP/WP2/WD(2015)5, 10 juin.
41 Ibid.
42 CNUCED, 2017, tableau 3.1 ; JOC.com, 2017, Asia-South America spot rate hits record high, 29 mai.
43 International Transport Journal, 2018, Liner reliability down in 2017, says Seaintel, 8 février.
44 Organisation de coopération et de développement économiques, International Tranport Forum, 2015.
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37. En outre, le secteur des transports maritimes de ligne a besoin de passer au
numérique, ce qui exige de réaliser des investissements et incite donc à opérer des fusions.
Compte tenu de cela, de nouveaux regroupements sont attendus dans un secteur qui, selon
les prévisions, devrait compter cinq ou six acteurs d’ici à 202845.
IV. Transports maritimes de ligne : Les enjeux découlant de la concurrence
38. L’augmentation constante de la taille des navires et les regroupements ont abouti à
la constitution d’oligopoles sur diverses routes commerciales. La concentration du marché
est plus forte dans les pays en développement qui sont plus petits et dans les petits États
insulaires en développement46. Ces pays risquent donc de pâtir d’une diminution de la
fréquence des services de transport maritime de ligne et de la hausse des taux de fret. Étant
donné que les pays les moins avancés, les pays en développement sans littoral et les petits
États insulaires en développement doivent déjà supporter des frais de transport plus élevés,
leur commerce extérieur risque d’être davantage touché que celui des pays en
développement plus grands et des pays développés.
39. L’utilisation de navires géants et la formation d’alliances mondiales ont accru les
obstacles à l’entrée dans un marché caractérisé par des coûts fixes élevés. En conséquence,
il est devenu pratiquement impossible pour des transporteurs indépendants de soutenir la
concurrence sur les principales routes commerciales, laissant aux chargeurs peu de choix
entre les trois alliances mondiales qui ne sont pas concurrencées par les transporteurs
indépendants. Cette situation peut être davantage préjudiciable pour les petits importateurs
et exportateurs que pour les grands chargeurs, dont font partie les distributeurs
multinationaux. Les premiers n’ont pas forcément le pouvoir de négocier de meilleurs taux
et conditions avec les principaux transporteurs, ce qui peut pénaliser leur compétitivité à
l’exportation, leurs échanges et, en fin de compte, leur croissance économique.
40. En outre, l’utilisation de navires géants et les regroupements dans le secteur
inquiètent les chargeurs, non seulement sur le plan des taux de fret, mais aussi, peut-être de
manière plus importante, en ce qui concerne la qualité des services. Les chargeurs estiment
que la concurrence s’est considérablement réduite et que la qualité des services s’en est
ressentie47. Ils sont de plus en plus préoccupés par cette situation, en particulier ceux qui
poursuivent des stratégies de flux tendus.
41. Sur le plan vertical, les transporteurs sont aussi des clients des ports et des
terminaux. La concentration du marché des transports maritimes de ligne risque de poser
des problèmes à ces derniers. Les transporteurs ont un pouvoir de négociation élevé par
rapport aux ports et aux terminaux. En outre, les ports ont du mal à s’adapter pour accueillir
les navires géants et investir dans les infrastructures. Compte tenu des risques liés à la
réalisation d’investissements infrastructurels de grande ampleur et à la nécessité de garantir
un certain volume de trafic, les ports ont été encouragés à adopter des stratégies qui
associent des transporteurs dans leur capital social. Malgré certains avantages qui
accroissent l’efficacité, l’intégration verticale entre transporteurs et exploitants de
terminaux risque de verrouiller l’accès des transporteurs rivaux aux installations et services
de qualité essentiels. Lorsqu’ils utilisent des terminaux détenus par des entreprises rivales,
les transporteurs concurrents sont désavantagés sur le plan des prix, de la qualité et des
conditions des services. Par exemple, ils peuvent se voir allouer des jours de la semaine qui
les désavantagent et qui sont plus coûteux pour les chargeurs ou supporter des temps de
chargement ou de déchargement plus longs aux terminaux.
42. Le renforcement du pouvoir des alliances mondiales sur le marché peut avoir
d’autres incidences sur les exploitants portuaires. Même si les accords entre membres de
45 Financial Times, 2017, Maersk chief sees further deals in shipping container industry, 13 août.
46 CNUCED, à paraître, Consolidation in liner shipping, Policy brief.
47 Global Shippers’ Forum, 2016, The Implications of Megaships and Alliances for Competition and
Total Supply Chain Efficiency: An Economic Perspective, Tunbridge Wells, Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, p. 24.
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l’alliance n’imposent pas de restrictions sur les préférences portuaires des parties, les
membres d’une alliance préfèrent en général les mêmes ports48. Les exploitants portuaires
qui ne trouvent pas d’accord avec une alliance mondiale risquent de perdre des parts de
marché importantes.
43. Certaines autorités de la concurrence de pays en développement ont des difficultés à
enquêter sur les ententes entre compagnies maritimes de ligne, notamment à localiser et à
notifier les personnes à interroger, compte tenu également du fait que le siège social des
transporteurs ne se trouve pas dans leur pays ; des responsables des transporteurs ont
précisé que les orientations stratégiques des agences sont prises par des services qui ne
relèvent pas de la juridiction où l’enquête est menée49. Les affaires relatives à la
concurrence dans lesquelles les autorités doivent appliquer le droit de la concurrence aux
pratiques des transporteurs en dehors de leur territoire sont très problématiques dans les
pays en développement. Les autorités de la concurrence doivent, aux côtés des ministères et
des autres organes publics, promouvoir des solutions adaptées. Par exemple, les
exportateurs de pays en développement sont pénalisés par les coûts franco à bord, qui
correspond aux frais de transport des marchandises de l’usine de l’exportateur au navire et
peuvent comprendre jusqu’à 100 types de coûts différents. Si les importateurs achètent les
marchandises franco à bord, ce sont les exportateurs qui prennent en charge les coûts. Étant
donné qu’ils n’ont pas beaucoup de pouvoir pour négocier des taux favorables avec les
grands transporteurs, les exportateurs peuvent se trouver dans la situation de payer des
montants élevés qui pénalisent leur compétitivité.
V. Orientations possibles
44. Il existe un lien intrinsèque entre les transports maritimes de ligne et le commerce
mondial ; l’un ne saurait exister ou se développer sans l’autre. Les transports maritimes de
ligne sont un secteur capitalistique souvent marqué par un déséquilibre entre l’offre et la
demande. Compte tenu de ces caractéristiques, les transporteurs ont souvent besoin de
conclure des accords de coopération comme des accords de partage de navires pour
exploiter leurs actifs et fournir leurs services de manière plus efficace, plus durable et plus
fiable. Ces accords ont des effets bénéfiques sur la concurrence et sont nécessaires pour
garantir la viabilité des transporteurs de même que la fiabilité et la durabilité des services
proposés aux chargeurs.
45. Le secteur a connu de profonds bouleversements au cours des dix dernières années,
notamment l’abrogation par l’Union européenne de l’exemption de catégorie en faveur des
conférences maritimes, l’apparition de navires géants, l’accélération des regroupements et
la modification de la structure des alliances mondiales. La structure actuelle du marché est
donc assez différente de celle de l’époque où une exemption par catégorie a été prévue dans
de nombreuses juridictions. Les pays peuvent ainsi revoir la nécessité de conserver des
exemptions en faveur des conférences maritimes et des accords de consultation volontaire.
46. Compte tenu de la forte concentration du marché, il peut être intéressant d’examiner
les alliances dans le cadre du contrôle des fusions. Il serait ainsi possible d’analyser
pleinement leurs incidences sur la concurrence, sur la qualité des services et sur l’efficacité,
et d’imposer des mesures correctives bien conçues en cas de problème, quel qu’il soit. Une
autre option consisterait à imposer aux alliances de communiquer des informations, comme
l’a fait la Commission maritime fédérale des États-Unis auprès de l’alliance P3.
Lorsqu’elles analysent les fusions et les alliances, les autorités de la concurrence doivent
regarder non seulement les effets des prix sur la concurrence, mais aussi la diversité et la
qualité des services fournis aux chargeurs. Elles ont besoin d’examiner les effets sur la
gamme et la qualité des services fournis, la fréquence des navires, le nombre de ports
desservis, la fiabilité des horaires et l’efficacité, etc. Pour mener ce type d’analyse, plus
approfondie, elles doivent renforcer leurs compétences et leurs capacités en matière de
contrôle des fusions.
48 Contribution du Gouvernement turc.
49 Contribution des Gouvernements brésilien et turc.
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47. Les autorités de la concurrence doivent suivre et surveiller de près l’évolution du
secteur des transports maritimes conteneurisés, en particulier les alliances mondiales et les
autres accords ne comportant pas de fixation de prix qui bénéficient d’une exemption au
droit de la concurrence, ainsi que les tendances du fret et les parts de marché, afin de
garantir une concurrence loyale et de prévenir les pratiques anticoncurrentielles sur ces
marchés. Elles doivent tenir compte non seulement de la concurrence entre les
transporteurs, mais aussi de l’intégration verticale entre les transporteurs et les exploitants
de terminaux, ainsi que des incidences sur les transporteurs concurrents, les chargeurs et les
autorités portuaires. Les inquiétudes peuvent être levées en associant tous les acteurs de la
chaîne des transports maritimes, notamment les transporteurs, les chargeurs et les autorités
portuaires. Les autorités et les organismes de réglementation seraient ainsi à même de
mieux évaluer les incidences de l’intégration horizontale et verticale dans le secteur et de
trouver des solutions acceptables pour toutes les parties.
48. Les ports jouent un rôle crucial dans le transport maritime et le commerce mondial.
La concurrence entre les terminaux d’un même port est essentielle pour garantir l’efficacité
et la compétitivité des terminaux et des ports ; tout problème connexe peut influer sur la
compétitivité des terminaux et des ports, ainsi que sur celle des exportateurs, au détriment
du commerce mondial. Un port contrôlé par un ou deux grands transporteurs peut faire
craindre aux transporteurs concurrents de ne pas bénéficier de conditions et d’une qualité de
service égales. L’exploitation des terminaux ou des ports fait généralement l’objet d’un
appel d’offres dans le cadre duquel les autorités portuaires octroient aux entreprises
retenues une concession d’exploitation pour une durée supérieure à vingt ans. Les autorités
de la concurrence et les autorités portuaires devraient donc collaborer pour répondre aux
préoccupations qui peuvent se faire jour en matière de concurrence, pour garantir une
concurrence loyale dans les ports et pour accroître la compétitivité de ce segment de la
chaîne.
49. La coopération internationale joue un rôle essentiel dans la lutte contre les pratiques
anticoncurrentielles internationales, et encore davantage dans le transport maritime compte
tenu de sa nature mondiale, ainsi que dans la facilitation et la promotion du commerce
international. Dans ce contexte, de nombreux États membres ont précisé que l’Ensemble de
principes et de règles équitables convenus au niveau multilatéral pour le contrôle des
pratiques commerciales restrictives fournissait le mécanisme voulu pour la coopération
internationale50.
50 Contributions des Gouvernements des pays suivants : Argentine, Brésil, Kenya, Panama, Pays-Bas,
République de Corée et Turquie.