carcinome papillaire mammaire intrakystique

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J Radiol 2009;90:515-8 © Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2009 Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés corrélation anatomoradiologique sénologie Carcinome papillaire mammaire intrakystique A Salem (1), K Mrad (2), M Driss (2), R Hamza (1) et N Mnif (1) Observation Il s’agit d’une patiente de 67 ans, ménopausée depuis 17 ans sans traitement hormonal substitutif, qui consulte pour un nodule mammaire gauche apparu dans les suites d’un traumatisme ré- cent, direct et violent. Cette patiente a dans ses antécédents une sœur opérée d’un cancer du sein à l’âge de 50 ans. À l’examen clinique, il existe un nodule bien limité rétroaréolaire gauche mobile par rapport aux plans profonds de 4 cm de diamè- tre sans anomalie cutanée ou mamelonnaire associée. Une mammographie bilatérale est réalisée. Elle met en évidence des seins graisseux homogènes de densité type BIRADS 1. En rétroaréolaire gauche, il existe une masse ronde partiellement circonscrite de densité moyenne homogène sans calcification ni distorsion architecturale associée. Les contours de cette masse paraissent finement spiculés au niveau de la partie supérieure et externe (fig. 1). L’échographie mammaire retrouve cette masse rétroaréolaire gauche ronde de contours lobulés au niveau de son pôle supéroexterne, bien circonscrite par ailleurs, mesurant 37 mm de diamètre. Elle renforce fortement les échos en postérieur et ren- ferme un contenu complexe, liquidien transsonore, liquidien échogène avec un niveau liquide et un contenu hypoéchogène hétérogène latéralisé à droite de nature indéterminée (fig. 2). L’étude Doppler couleur montre une vascularisation accrue de la paroi kystique et de cette portion hétérogène qui s’étend dans le parenchyme glandulaire adjacent signant ainsi sa nature tissulai- re et son extension extrakystique (fig. 3). Il s’agit donc d’un kyste complexe rétroaréolaire gauche avec une portion charnue vascu- larisée, classé catégorie 4 de la classification BIRADS de l’ACR. Une cytoponction de la portion solide est réalisée. Elle est cellu- laire et montre un aspect assez monomorphe fait de cellules peu cohésives aux noyaux modérément atypiques. Par contre, la biopsie percutanée échoguidée, avec une aiguille 14 gauge, effec- tuée dans le même temps est peu représentative. Le matériel fria- ble est peu abondant ne ramenant que quelques amas de cellules tumorales qui flottent dans un matériel hémorragique (fig. 4). Une tumorectomie avec recoupe du lit tumoral est réalisée. La pièce opératoire est occupée par une formation kystique de 5 cm de grand axe, à contenu sanguinolent. Un bourgeon tumoral friable de 15 × 10 mm fait saillie dans la lumière, le reste de la pa- roi est lisse (fig. 5). L’examen anatomopathologique montre une prolifération épithéliale d’architecture papillaire sous-tendue par des axes grêles sur lesquels reposent plusieurs couches de cel- lules réalisant un aspect souvent compact, et délimitant par pla- ces de larges cavités glandulaires kystiques ; plus rarement, on observe une double couche épithéliale-myoépithéliale. Les cellu- les sont monomorphes, leur noyau est modérément atypique. Les mitoses atteignent dans certains champs au fort grossissement (× 400) 5 mitoses. Ces aspects sont ceux d’un carcinome papillaire intrakystique vraisemblablement développé sur un papillome (fig. 6). Les récepteurs hormonaux sont intensément positifs. L’immunomarquage par l’actine montre l’absence de cellules myoépithéliales. La recoupe du lit de tumorectomie est saine. Key words: Breast. Intracystic carcinoma. Imaging. Radio-histological correlation. Mots-clés : Sein. Carcinome intrakystique. Imagerie. Corrélations radio-histologique. (1) Service d’Imagerie médicale, Hôpital Charles Nicolle, Tunis, Tunisie. (2) Service d’anatomopathologie, Institut Saleh Azaïez, Tunis, Tunisie. Correspondance : A Salem E-mail : [email protected] Fig. 1 : Mammographie bilatérale : masse ronde partiellement cir- conscrite rétroaréolaire gauche dense sans calcification ni distorsion associée avec des contours indistincts au niveau du compartiment supéro-externe (flèche). a Incidence de face. b Incidence oblique. a b

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Page 1: Carcinome papillaire mammaire intrakystique

J Radiol 2009;90:515-8© Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2009

Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

corrélation anatomoradiologique

sénologie

Carcinome papillaire mammaire intrakystique

A Salem (1), K Mrad (2), M Driss (2), R Hamza (1) et N Mnif (1)

Observation

Il s’agit d’une patiente de 67 ans, ménopausée depuis 17 ans sanstraitement hormonal substitutif, qui consulte pour un nodulemammaire gauche apparu dans les suites d’un traumatisme ré-cent, direct et violent. Cette patiente a dans ses antécédents unesœur opérée d’un cancer du sein à l’âge de 50 ans.À l’examen clinique, il existe un nodule bien limité rétroaréolairegauche mobile par rapport aux plans profonds de 4 cm de diamè-tre sans anomalie cutanée ou mamelonnaire associée.Une mammographie bilatérale est réalisée. Elle met en évidencedes seins graisseux homogènes de densité type BIRADS 1. Enrétroaréolaire gauche, il existe une masse ronde partiellementcirconscrite de densité moyenne homogène sans calcification nidistorsion architecturale associée. Les contours de cette masseparaissent finement spiculés au niveau de la partie supérieure etexterne

(fig. 1)

.L’échographie mammaire retrouve cette masse rétroaréolairegauche ronde de contours lobulés au niveau de son pôlesupéroexterne, bien circonscrite par ailleurs, mesurant 37 mm dediamètre. Elle renforce fortement les échos en postérieur et ren-ferme un contenu complexe, liquidien transsonore, liquidienéchogène avec un niveau liquide et un contenu hypoéchogènehétérogène latéralisé à droite de nature indéterminée (fig. 2).L’étude Doppler couleur montre une vascularisation accrue de laparoi kystique et de cette portion hétérogène qui s’étend dans leparenchyme glandulaire adjacent signant ainsi sa nature tissulai-re et son extension extrakystique (fig. 3). Il s’agit donc d’un kystecomplexe rétroaréolaire gauche avec une portion charnue vascu-larisée, classé catégorie 4 de la classification BIRADS de l’ACR.Une cytoponction de la portion solide est réalisée. Elle est cellu-laire et montre un aspect assez monomorphe fait de cellules peucohésives aux noyaux modérément atypiques. Par contre, labiopsie percutanée échoguidée, avec une aiguille 14 gauge, effec-tuée dans le même temps est peu représentative. Le matériel fria-ble est peu abondant ne ramenant que quelques amas de cellulestumorales qui flottent dans un matériel hémorragique (fig. 4).Une tumorectomie avec recoupe du lit tumoral est réalisée. Lapièce opératoire est occupée par une formation kystique de 5 cmde grand axe, à contenu sanguinolent. Un bourgeon tumoralfriable de 15 × 10 mm fait saillie dans la lumière, le reste de la pa-roi est lisse (fig. 5). L’examen anatomopathologique montre une

prolifération épithéliale d’architecture papillaire sous-tenduepar des axes grêles sur lesquels reposent plusieurs couches de cel-lules réalisant un aspect souvent compact, et délimitant par pla-ces de larges cavités glandulaires kystiques ; plus rarement, onobserve une double couche épithéliale-myoépithéliale. Les cellu-les sont monomorphes, leur noyau est modérément atypique. Lesmitoses atteignent dans certains champs au fort grossissement(× 400) 5 mitoses. Ces aspects sont ceux d’un carcinome papillaireintrakystique vraisemblablement développé sur un papillome(fig. 6). Les récepteurs hormonaux sont intensément positifs.L’immunomarquage par l’actine montre l’absence de cellulesmyoépithéliales. La recoupe du lit de tumorectomie est saine.

Key words: Breast

.

Intracystic carcinoma

.

Imaging

.

Radio-histological correlation.

Mots-clés : Sein. Carcinome intrakystique. Imagerie. Corrélations radio-histologique.

(1) Service d’Imagerie médicale, Hôpital Charles Nicolle, Tunis, Tunisie. (2) Service d’anatomopathologie, Institut Saleh Azaïez, Tunis, Tunisie.Correspondance : A SalemE-mail : [email protected]

Fig. 1 : Mammographie bilatérale : masse ronde partiellement cir-conscrite rétroaréolaire gauche dense sans calcification ni distorsion associée avec des contours indistincts au niveau du compartiment supéro-externe (flèche).

a Incidence de face.b Incidence oblique.

ab

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Carcinome papillaire mammaire intrakystique

A Salem et al.

Fig. 2 : Échographie mammaire.a Masse bien circonscrite avec un niveau liquide (côté gauche du kyste : flèche) donnant un renforcement postérieur et un contenu

hypoéchogène hétérogène non déclive (côté droit du kyste : étoile).b Contours du kyste lobulés par endroits (flèche épaisse).

a b

Fig. 3 : Échographie doppler mammaire.a Vascularisation accrue de la paroi kystique et du contenu échogène hétérogène sus décrit témoignant de sa nature tissulaire.b Le tracé doppler met en évidence un flux artériel.

a b

Fig. 4 :a Cytoponction (Giemsa, × 400) : cellules peu cohésives abondantes modérément atypiques.b Biopsie percutanée (HE, × 200) : amas de cellules monomorphes dans des suffusions hémorragiques.

a b

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Discussion

Le carcinome papillaire intrakystique est une tumeur canalairemaligne rare, représentant 0,5 de l’ensemble des carcinomesmammaires (1-3). Il survient généralement après 40 ans avec unâge moyen qui varie de 55 à 67 ans selon les auteurs (2-4). Dansenviron 50 % des cas il est de siège central et plus précisémentdans la région rétroaréolaire comme c’est le cas dans notre obser-vation (4). La taille tumorale varie de 1 à 14 cm (5). Il est caracté-risé généralement par une croissance lente avec un bon pronosticcomparativement aux autres carcinomes canalaires (5). La survieglobale à cinq ans est de 83 à 96 % selon les auteurs (2, 3). Une tu-méfaction mammaire est souvent l’occasion du diagnostic ; clas-siquement ancienne ayant récemment augmenté de volumepouvant entraîner des ulcérations cutanées ou une tension dou-loureuse (3). Dans notre observation, l’antériorité de cette masseétait méconnue et s’est révélée suite à un traumatisme, prise à tortd’ailleurs pour un hématome. Cette tumeur peut se manifesterégalement par un écoulement mamelonnaire volontiers sanglantrapporté dans 22 à 34 % des cas (2, 3).À la mammographie, le carcinome papillaire intrakystique seprésente généralement comme une masse bien circonstruite ova-

laire ou lobulaire. Les contours sont généralement bien circons-crits mais parfois ils peuvent être par endroits masqués ou indis-tincts (2) observés par endroits sur la mammographie de notrepatiente ; les contours spiculés sont rares (4). Plusieurs diagnos-tics peuvent être évoqués devant cette masse : hématome, carci-nome canalaire infiltrant, carcinome mucineux, carcinome mé-dullaire… Le kyste et l’adénofibrome sont moins fréquents à cetâge et restent des diagnostics d’élimination. L’échographie mammaire révèle une ou plusieurs masses kysti-ques avec un renforcement des échos postérieurs. Il s’agit souventde kystes complexes avec une composante solide plus ou moinsimportante généralement nodulaire, hyperéchogène, appendue àla paroi interne du kyste (4). Le Doppler couleur élimine le dia-gnostic de kyste remanié à contenu épais et confirme le caractèretissulaire par la présence d’un pédicule vasculaire central avecdes vaisseaux nourriciers branchés traversant la portion solide in-trakystique (3, 6, 7) également retrouvée dans notre observation.Ces lésions papillaires ont tendance à saigner spontanément ex-pliquant ainsi le contenu échogène et les débris cellulaires décli-ves (7). La présence d’une importante portion solide et de signesde saignement intrakystique spontané est plus suggestive de car-cinomes papillaires que de papillomes bénins (7).La ponction échoguidée à l’aiguille fine du kyste ramène un li-quide sanglant ou couleur vieux sang et le kyste se reproduit ra-pidement après la ponction (3). La cytologie du liquide doit êtreinterprétée avec prudence en raison de la fréquence des faux né-gatifs (3-6). La biopsie de la lésion intéressant la portion solide estgénéralement plus informative. Dans notre cas, paradoxalement,c’est la cytoponction qui est richement cellulaire alors que labiopsie est peu représentative. L’étude macroscopique retrouve au sein d’un kyste à paroi épaisseet fibreuse, une formation tissulaire friable et hémorragique (3).Dans notre cas, on a une bonne corrélation entre la macroscopie etl’échographie : le contenu sanguinolent expliquant le niveau liqui-de et la portion charnue appendue à la paroi latérale droite du kys-te visible en échographie comme une formation hypoéchogènehétérogène vascularisée aux dépens de la paroi du kyste (fig. 7).Histologiquement, on distingue différentes entités dans le spectredes tumeurs papillaires intracanalaires : le papillome, le papillomeatypique et le carcinome papillaire intrakystique (8). Une même

Fig. 5 : Macroscopie de la pièce opératoire ouverte : formation kystique à surface lisse (têtes de flèche) focalement soule-vée d’un bourgeon tumoral friable (flèche blanche).

Fig. 6 : Aspect microscopique de la tumorectomie montrant un carcinome papillaire intrakystique (HE, × 200). a Composante solide.b Composante papillaire.

a b

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tumeur peut comprendre les trois aspects, ce qui reflète une pro-gression tumorale qui repose sur des bases moléculaires (9). Lasubtilité des différences morphologiques entre les trois entités etleur association possible font que l’examen sur biopsie à l’aiguillene peut être suffisant, l’exérèse chirurgicale est donc nécessaire(10). Une autre entité, le carcinome papillaire invasif, appartenantau groupe des carcinomes infiltrants, peut poser un réel problèmediagnostique différentiel car cette tumeur étant bien circonscrite,l’infiltration n’est pas toujours évidente. C’est l’aspect grêle homo-gène des axes conjonctivo-vasculaires qui doit y faire penser. La re-cherche de cellules myoépithéliales par immunohistochimie esttoujours négative. Collins (11) propose de regrouper ces tumeurssous le vocable de carcinome papillaire encapsulé. Ces carcinomessont caractérisés par leur excellent pronostic et la plupart desauteurs s’accordent à considérer qu’un traitement conservateur estsuffisant assurant l’exérèse de la totalité de la tumeur et le diagnos-tic de possibles lésions périphériques (2, 11-13), traitement réaliséchez notre patiente.

Conclusion

Le carcinome intrakystique représente une entité particulière decancer du sein par sa survenue à un âge avancé, sa croissance in-tracanalaire lente et son architecture papillaire. Le diagnostic estévoqué à l’échographie et confirmé par une cytoponction et unemicrobipsie percutanées intéressant la portion charnue. Le trai-tement est conservateur en l’absence de composante infiltranteenvahissant le parenchyme mammaire environnant.

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5. Soo MS, Williford ME, Walsh R, Bentley RC, Kornguth PJ. Pa-pillary carcinoma of the breast. AJR Am J Roentgenol 1995;164:321-6.

6. Ko KH, Kim EK, Park BW. Invasive papillary carcinoma of thebreast presenting as post-traumatic recurrent hemorrhagic cysts.Yonsei Med J 2006;47:575-7.

7. Ganesan S, Karthik G, Joshi M, Damodaran V. Ultrasound spec-trum in intraductal papillary neoplasms of breast. Br J Radiol2006;79:843-9.

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9. Di Cristofano C, Mrad K, Zavaglia K, Bertacca G, et al. Papillarylesions of the breast: a molecular progression? Breast Cancer ResTreat 2005;90:71-6.

10. Valdes EK, Tartter PI, Genelus-Dominique E, Guilbaud DA,Rosenbaum-Smith S, Estabrook A. Significance of papillary le-sions at percutaneous breast biopsy. Ann Surg Oncol 2006;13:480-2.

11. Collins LC, Carls VP, Hwang H, Barry TS, Gown AM, Schnitt SJ.Intracystic papillary carcinomas of the breast: a reevaluation usinga panel of myoepithelial cell markers. Am J Surg pathol 2006;30:1002-7.

12. Baron M, Ladonne JM, Resch B, D’Anjou J. Traitement du carci-nome papillaire intrakystique du sein. J. Le Sein, 2002, t. 12, n° 3,pp. 209-211.

13. Solorzano CC, Middleton LP, Hunt KK, Mirza N, et al. Treat-ment and outcome of patients with intracystic papillary carcinomaof the breast. Am J Surg 2002;184:364-8.

Fig. 7 : Confrontation des données échographiques (a) et de la pièce macroscopique (b).Paroi kystique lisse et régulière (flèches blanches).Portion charnue vascularisée aux dépends de la paroi latérale droite du kyste (étoiles blanches).Contenu épais hématique (têtes de flèches).

a b