cahiers du cinéma - iv

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CAHIERS DU CINÉMA N° 4 . REVUE DU CINÉMA ET DU TÉLÉCINÉMA . JUILLET-AOUT 1951

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Cahiers du Cinéma - IV

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  • CAHIERS

    DU CINMA

    N 4 . REVUE DU CINMA ET DU TLCINMA . JUILLET-AOUT 1951

  • Joan Fontaine et Joseph Cotten sont, avec Franoise Rosay, les vedettes du film de William Dieterl : LES AMANTS DE CAPRI (Sepfember Affa ir ) , qui sera prsent prochainement en exclusivit Paris. (Ho/ Wa//s-Paramounf)

  • FETES GARANTES, d'aprs l'uvre de WATTEAU. Ralisation de Jean AUREL. Commentaire d e , Georges RIBEMONT- D ESSA IG N E S dit p a r G ra rd PHILIPE.

    CUR D'AMOUR PRIS, d'aprs le Livre du ROI REN. Ralisation de Jean AUREL; Commentaire de Andr CHAM SO N dit

    par Maria CASAR5. '

    L'AFFAIRE MANET, le scandale de L'Olympia et l'uvre d ' d o u ard M A N E T . R alisation de Jean AUREL.Commentaire d'Emmanuel BERL dit p a r Franois PRIER.

    EN COURS DE TOURNAGE -/MAGES POUR DEBUSSy. Un essai de contre-point visuel associant le rythme des images celui de la musique, tent par Jean MITRY sur les uvres de DEBUSSY, essai poursuivant la voie ouverte par PACIFIC 231. Suivront sur ce mme sujet : REVER/E, d'aprs Claude DEBUSSY; NOCTURNE, d aprs CHOPIN, raliss galement par Jean MITRY.LES DSASTRES DE LA GUERRE. D'aprs les eaux-fortes de GOYA, ralis par Pierre KAST. Texte et musique de Jean GRMILLON.LA DAME A IA L/CORNE. Ralis par Jean AUREL d'aprs les tapisseries de la chosse la Licorne et de la Dame la Licorne.LE RIDEAU CRAMO/S/, Ralis par Alexandre ASTRUC. Une nouvelle cinmatographique d'aprs le chef d'uvre de Barbey D'AUREVILLY.

    ARGOS FILMS, 72, Champs-lyses BALzac 02-57 Producteur associ : LES FILMS DE L'ARC, 11 bis, rue Balzac

  • Une trs belle image de RIO GRANDE, le dernier film de John Ford, dont John Wayne et Maureen O'Hara sont les principaux interprtes. (Repubc-Pidurs Les Films F ernand Rivets)

  • C A H I E R S D U C I N M AR E V U E M E N S U E L L E OU C I N M A ET D U T L C I N M A

    146 CHAMPS-ELYSES PARIS [8) - LYSES 05 -3 8RDACTEURS EN CHEF : LO DUCA, J. DONIOL-VALCROZE ET A. BAZIN

    DIRECTEUR-GRANT L. KEIGEL

    T O M E I N ' 4 JU ILLE T-A O U T 1 9 5 1

    SOMMAIRELe nouveau cinma allemand :

    Chris M a r k e r ..................... Siegfried ef les Argousini................................Jacques de Ricaumont . tes dbuts du nouveau cinma allemand. Jacques N obcourt. . L'industrie du cinma a//em ancf.................

    Nino Frank, Andr Bazin,J e a n P i e r r e V i v e t ,A l e x a n d r e A s tru c , LoDuca, Jacques Doniol- .Valcroze, Pierre Kast . .Herman G. W einbsrg . .Jacques B. Brunius . . . .Franois C hola is ...............

    LES FILM S :Lo Duca................... ... .. . .Jacques Doniol-Valcroze Andr Bazin .....................

    Michel Mayoux Jean Quval . .

    41217

    25Le pour ef le contre ............................................Lettre de New York .............................................. ..... 32Lettre de L o n d re s .......................................................... 36Leffre de Berlin .................................................................39

    * * +

    Autour de MaefemoiseJ/e J u / / e .................................41La geste du sicle (La chute de B e r lin ) ................... ..... 43No-raJ/sme, O pra ef Propagande

    (Christ interdit!....................................... :................... 46Et mourir jN a p le s m illionnaire) . . .........................................51L'cei/f cPcmfruche ou du cacatos ?

    ILo rossignol de l'em pereur de. Chine) , . . 5 2Roberf J. F la h e r t y .................................................... ..... 53

    Les photographies qui illustrent ce numro sont dues l 'ob l ig e an ce de : Discina, Terra FiJm, D.FA, Jeannte Films, Columbia, Paramount, Vie Productions, J. A rthur Rank O rgan isa tion , Procinex, Sovexport, Omnium IrrternotfDna du Film, M lnerva.

    PRIX DU NUMRO : 2 0 0 FR.Abonnements 6 numros * France, Colonies : 1 ,000 francs * tranger : 1.200 franc* Adresser lettres, chques ou mandats aux " Cahiers du Cinma 146 Champi-lyses, Paris (8*J

    - Chques Postaux j 7890-76 PARISAUX ABONNS j Ce numro, JUILLET-AOUT, ne compte pas pour un numro double* Nos abonns recevront intgralement le nombre de numros souscrits.

    Au sommaire de; prochains numros : .Des articles dudiberti, Pierre Bost, Ren Clment, Lotte Eisner, Roger Leenhardt, Jacques Manuel, Claude Mauriac, Marcello Pagliero, Robert Pilati,

    Claude Roy, Maurice Scherer, Nicole Vedrs, Cesare Zavattini.Les articles n'engagent que leurs auteurs - Les manuscrits sont rendus.

    Tvs droits r iie rr is Copyright by LES DITIONS DE L'TOILE 25 Boulevard Eonnt-HouweUe, PARIS (J*) - R. C. 5n 362-525 I

    Notre ccm irlu ri ; Anita Bjork (bas FROKEN JUUE d t Alf S[btrg

  • ou le cinma allemand dans les chanesp a r

    CHRIS MARKEI

    Dans Ja comptition gnrale des films, la critique cinmatographique n intervient gure quau stade du huiticme-de-tinale. Les liminatoires lui chappent. Il serait malais de dfinir ce premier crible o les mystres de la distribution, de la curiosit, de la sympathie, de la renomme et de l anecdote dcident du dpart d un film, d un auteur ou d une cole, mais il est cerlain que lorsquil se flalle de choisir, le critique a gnralement affaire une matire qui est dj le rsultat d un choix. Il dcouvre ce

    Ci-dessus : S iegfried dans Les N tcbehoxgcn F r i tz IVansr (1933-24).

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    SIEGFRIED ET LES ARGOUSINS

  • qu on veut bien lui laisser dcouvrir, au hasard des sorties et des festivals, il fait son miel critique dans un moule demi durci, dont il peut seulement modifier les contours, et ses coups de tte ne sont que des coups de pouce. Grce un foudroyant dpart, d pour une bonne part lignorance o l on tait de son histoire relle, le cinma italien a brillamment pass l crit et les examinateurs lui sont acquis davance. En raison de son mauvais dpart, d presque uniquement aux circonstances, le cinma allemand continue de passer inaperu. En 1951, le cinma italien, mme lorsquil se prsente sous les espces au moins mineures d un Zampa, esl assur de sa distribution, de sa critique, d une certaine qualit d accueil et d attention, tandis que le travail d honmies de cinma de premier plan comme Staudte et Kautner est systmatiquement ignor. Celte indiffrence peut tre en partie l effet de l insatisfaction o nous laissent beaucoup de films allemands elle peut aussi en tre la cause. Le triomphe du no-ralisme italien doit tout de mme quelque chose aux encouragements qui l ont salu. L attitude de l tranger a permis dans une certaine mesure d imposer Rossellini et de Sica un pays qui n avait que trop tendance renouer avec Cabiria et Scipion l'Africain, Mais si aprs avoir donn l Allemagne, en 1947, son Paisa avec In Jenen Tagen, Helmut Kautner ne s est plus consacr qu des amnsett.es, il est permis d en rendre responsables ceux qui, en Allemagne et ailleurs, n ont pas su voir.

    Le cinma allemand est dans les chanes. Cette conspiration du silence n est pas le seul mal dont il souffre. Il partage les maux du cinma mondial : censure, crise du sujet (ceci tant, pour beaucoup la consquence de cela) et s'en adjoint d 'autres plus personnels : confusion des valeurs, hritage expressionniste, inculture du public, absence presque totale d une critique cinmatographique avertie et indpendante, complexe de culpabilit, erreur sur les comptences (il faudrait tout un article pour stigmatiser le rgne des professeurs dans le documentaire allemand). Parmi les argousins qui le tiennent enchan, les occupants jouent leur rle, moins par une intervention directe que par les consquences de la situation qu'ils crent.

    A ujourdhui, la vrit a vile fait de rallrapper le mensonge. La spara tion de l Allemagne en deux, un monstre en 1945, est devenue une ralit. Le cinma tmoigne de cet carllement, le caricature un peu dans la mesure o il devance, de part et d autre, une conscience populaire plus floue, mais en marque les jalons incontestables .Avec les exceptions d usage (un bon arlisan sans grandes proccupations idologiques comme Arthur- Maria Rabenalt, l auteur des Trois Codonas, peut la mme anne donner un film de cape et d pe l Est et un mlodrame raliste l Ouest) il y a maintenant une production-Esl et une production-Ouest caractrises. Dun fond commun, d une identit de problme au dpart, sont sorties deux expressions opposes. La ligne qui prend naissance en 1946 avec Die Mrder sind unter uns film conu l Ouest, tourn l 'E s t aboutit en 1951, l Est, la salire froce du bourgeois allemand avec Der Untertan, de Staudte l'Ouest, son autojustiicalion avec Hertiichen Zeiten de Gunther Neumann. Marques galement par la guerre, la dfaite, l angoisse de l avenir, la production-Esl s'efforce d!en dnoncer parfois

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  • sommairement les causes politiques et les responsabilits prcises, tandis que la production-Ouest accuse la fatalit, le Kaiser, Wotan, M- phisto, Adam et le Bon Dieu.

    En 1946-47, le cinma allemand tait domin spirituellement, par la prsence de la catastrophe, la ncessit de l affronter et d en sortir esthtiquement, par une stagnation de quinze ans qui le faisait renouer naturellement avec l expressionnisme. Les deux dominanlcs allaient de pair, et tout ce que la premire aprs-guerre contenait de prophtique l gard de la seconde s y trouvait brusquement clair. Je me souviens de mon motion, en voyant Die Mrder sind unter uns, devant la fascinant? ressemblance physique du protagonisle avec le personnage de la Mort dans Les Trois Lumires de Fritz Lang personnage qui disait les mmes choses : Je ne puis rien... Je ne fais qu obir des ordres suprieurs... Me s actes me font korreur, mais je dois obir... . Pendant cinq ans, pour obir des ordres suprieurs, le peuple allemand avait t le serviteur de la Mort. E t ce personnage de Mertens, mdecin militaire allemand assistant un massacre command par son capitaine, obsd par ce souvenir et cherchant s en dlivrer en abattant lofficier retrouv aprs la guerre, c tait l image que le peuple allemand se prsentait de lui-mme. Or l'e vritable conflit n tait pas entre Mertens et le capitaine Brckner. Mertens ne s tait pas collet avec Brckner pour lempcher de commander le massacre. Il s tait content, comme le capitaine le lui recommandait schement, d aller prendre le frais dehors . Mertens, qui avait claqu les talons et pivot d un quart-de-tour devant un Brckner suprieur, p r sentait maintenant comme un acte de justicier le fait d attendre revolver au poing un Brckner dsarm... En ralit, ce n tait pas tant Brckner quil voulait atteindre que lui-mme, le Mertens qui avait manqu de courage au moment voulu. Cest cet instant qu il voulait tuer, dont il voulait effacer la souillure, linstant o il savait el n avait rien fait le drame mme du peuple allemand.

    Die Morder sind unter uns ne concluait pas. Il posait bien le problme de la dlivrance (Mertens-peuple allemand dlivr du pch o il a t entran par Brckner-nazisme par l intercession d Hildegarde Knef-anti- nazisme) mais s achevait sur l incertitude o l Allemagne tout entire tait en 1946. Du moins le vit-on en France, o celte incertitude passa trop facilement pour de l inconscience. Ensuite, les hasards de la distribution montrrent Paris deux films mouvants, mais de second ordre, Affaire Blum et Ehe im Schalten, et une pochade, Berliner Ballade tandis que l Allemagne elle-mme dpchait aux festivals internationaux de grandes machines mysfagogiques du genre Liebe 47, on vangliques comme Die Nachlwache. Comme par un fait exprs, les films vritablement importants passaient travers. Ctaient W ozzech (1947) ou le phnomne de stagnation esthtique prenait une valeur de reconstitution en laboratoire et permettait l exprience d un film expresionniste sonore, aussi intressante dans son domaine que celle des russes sonorisant Polemkine. Ctait In Jenen Tagen, dj cit, o par une srie de sketches deux ou trois personnages, Kaulner faisait la petite chronique du nazisme en prtant sa voix une auto, depuis le jour de 1933 o elle conduit son dernier rendez- vous l amie d une artiste juif forc de s expatrier, jusquau retapage de sa

  • W olfgang StaucUe, Les assassins sont parmi nous.

    carosserie dans les ruines de Berlin. On pensait 'Pensa, et pas seulement en raison du parti-pris des sketches, de la rfraction des vnements historiques chez les petites gens. Ctait Paisa par la contingence du dcor, par le rajeunissement de la technique (tout tait tourn en extrieurs, les studios n'existaient plus, pas de projecteurs, pas de rflecteurs, une obligation constante d'improvisation) et aussi par le bouleversement du spectateur. Je ne connais pas un franais ayant vu ln Jenen Tagen qui n ait fait le rapprochement.

    Pour ce film, Kaulner avait un jeune assislant, Rudolf Jugerl, qui dbuta dans la mise en scne lanne suivante avec un film encore crit pa r Kautner, Film ohne Tiiel. Assez dsordonn, assez prestigieux, ce Film sans lilre tait un film sans film, ou plus exactement le film du film ce que les Amricains avaient tent timidement avec Hellzapoppin . Trois scnaristes dans une roulotte cherchaient imaginer un film : l histoire naissait, se dveloppait, se modifiait en cours de roule, s achevait brillamment avec trois films pour satisfaire tous les gots , parodiant tour tour lexpressionisme, l oprette et lui-mme (les scnaristes apparaissant l intrieur de l histoire, interviewant les personnages, etc.) au- del de sa russite, de sa lgret exemplaire, ce film venait son heure : il en finissait avec les deux dominantes. L hum our y dtruisait l obsession et l esthtique de la cataslrophe. fl prouvait que le cinma allemand rat- trappail son retard, et, par un progrs paradoxal, rejoignait, le cincmu occidental dans cet tat de crise o l ar! devient son propre sujet.

    Ce n est peut-tre pas tout--fait par hasard que ce tournant esthtique, cette liquidation des hritages et des influences, concide avec le tournant politique de l anne 1948 et le durcissement des positions de part el d autre de la ligne de dmarcation. Jusque l, Berlin tait encore une seule ville. Die Mrdcr, tourn dans la zone russe qui offrait plus de facilits, avait pu tre reu indistinctement l Ouest et l Est. (Les Amricains s'taient mme laments, un peu tard, de ne pas l avoir patronn).

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  • Georgr C. K laren , Wozzcck.

    Film ohne Tilel tait encore berlinois par une qualit d humour assez unique en Allemagne, mais en mme temps il dposait le bilan. Il fallait repartir sur de nouvelles voies. Le blocus aidant, la sparation allait se faire, et. les voies diverger.

    On connat la ficre formule : Ni droite, ni gauche , en avant ! En Vair ! semble dire plutt le cinma allemand de l Ouest. D 'o une consommation incroyable d'anges, de fantmes, d apparitions, de diables et de bons dieux. Lorsque par hasard les personnages d un film ne sont pas dans les nuages, c est, de foule vidence le ralisateur qui y est. Comme il devient extrmement difficile de faire la critique d une guerre q u on vous demande de recommencer contre le mme ennemi et su r les mmes thmes de propagande, comme toutes les voies de l 'avenir sont fermes, on s envole. Il s ajoute cela que lallemand n a que trop tendance m archer les pieds au plafond et que le wagnrisme en art rpond parfaitement son pathtique d'adolescent attard. Les Allemands avaient honte du dpouillement de In Jenen Tagen, de la lgret de Film ohne Tilel. Mais que d une pice sobre et tendue comme Draussen uon der Tiir, de Borchert, le ralisateur Liebeneiner fasse une incroj'able salade de ciel et d enfer, avec un prologue o Dieu en chapeau melon et le Diable en haut- de-forme dialoguent parmi les ruines, avec un mutil de dix mtres de haut poursuivant le hros su r des places dsertes, avec un rve en ngatif, une surimpression tous les dix mtres et un roulis sonore qui vous fait pousser des moules l intrieur des oreilles = cela s appelle Liebe 47, cela porte les couleurs allemandes aux festivals, et cela plat l'Allemand qui y trouve enfin, bien souligns l encre noire, les signes de l 'Art.

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  • il faut rpter que ce margouillis expressionniste, naturel-en 1945, n est plus innocent en 1949. Il n est pas gratuit, il n exprime pas un dsaccord entre une forme attarde et un fond actuel. Au contraire, il est trs exactement ce qui convient la dissolution des responsabilits, au prophtisme vague par lesquels l Allemagne de l Ouest lente de donner forme son dsarroi. Cest par le mme jeu de surimpressions mentales que l allemand remonte l chelle des culpabilits, pour s en dcharger finalement sur Dieu. .

    On pourrait dire beaucoup de choses sur un certain christianisme de la dfaite H y a des gens qui dcouvrent les cathdrales quand ils peuvent profiter du droit d asile, Ils s appellent Abellio, Malaparte. Le cinma allemand de lOuest, sous l impulsion directe des glises, n 'a pas nglig cette admirable porte de sortie. Et cela nous a valu des Nachtwache, des Fal- lende S te m o l Allemagne se donne elle-mme l absolution grand renfort d'anglisme et d infantilisme, avec des anges qui volent au bout de grosses licelles, et des enfants dont la mort cinmatographique est toute proche du sacrifice humain, line version lacise du pardon des offenses a conduit au thme de la rconciliation franco-allemande, et c est Es kommt ein Tag , l histoire du malheureux caporal Mombour, descendant de protestants migrs, qui, pendant la guerre de 70, aprs avoir tu son cousin franais, cantonne dans la famille dudit, conquiert le cur de sa cousine, or tout se dcouvre, mais, minute, la mre est l agonie, elle appelle son fils, oublions le pass, le cousin allemand met l uniforme du cousin franais, la mre croit voir son fils, meurt apaise, mais, horreur, les Franais attaquent, les uhlans ne reconnaissent pas leur caporal dguis, le massacrent, la cousine pleurante s abat sur le corps du cousin dfunt, la France femelle et l Allemagne mle collaborent dans le nant, fin. Le plus grave v'est que Es Kom mt ein Tag soit sign Jagerl. Que l auteur de Film ohne Tilel ait pu croire une minute un pareil scnario, doulons-en, pour l amour de lui. Maintenant, o sont passes l acuit, l intelligence de la vision, la lgret, l'agilit de la camra de Jugert ?

    K u rt Mactzig', Mariage dans l'ombre.

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  • (cette invraisemblable mobilit quil lui donnait dans Film ohne Tilel, o elle se balladait, venait regarder les gens sous le nez, faisait le lour des personnages, allait flairer les meubles... Apres la camra-je, la camra- stylo, c tait la camcra-chien}. Rien n est plus vain que la technique de leurs dernires uvres. A ct d eux, on devrait tre sensible aux trs grandes qualits de rcit d un film comme la Snderin, de Willy Forst. Mais comme on y voit une femme de mauvaise vie sous un jour relativement, favorable, lEglise s est dchane, l autocensure s est atomise et les vques ont lanc des commandos de jeunes fidles l assaut des salles. Par ses interdits comme par ses impulsions, l Eglise la plus retardataire d Europe exerce sur le cinma la mme influence dsastreuse que sur d autres activits.

    A regarder de prs la production-Ouest, en dnombrer les mythes, les trompe-lil, les rsidus hallucins, on serait tenter de se reporter au cinma allemand des annes 25, et de conclure je ne sais quelle fatalit du cinma allemand, vou de toute ternit la nuit et au mensonge. De l tendre cette fatalit au peuple allemand lui-mme,'il n 'y a pas loin, et les critiques trangers y sont souvent ports. Il est heureux que la pro- duclion-Est soit l pour prouver, indpendamment de ses qualits spcifiques, que cette fatalit n'existe pas, et que le cinma allemand peut aborder d autres thmes par d autres moyens. Deux concidences ne font pas une fatalit. Si deux fois de suite, aprs les premiers balbutiements techniques, aprs la conglation nazie, le cinma allemand a conquis sa m aturit au lendemain d une dfaite militaire, d une occupation trangre, d une crise intrieure, d une explosion de misre et de doute, on pourrait difficilement lui demander de ne pas en reflter quelque chose, et d exprimer une douceur de vivre q u il n a gure connue. L comme ailleurs, le destin n est que dans la complicit intrieure, et si les films occidentaux y cdent, les films orientaux de la DEFA se donnent pour but de le surm onter, Je cinma se montrant l, une fois de plus, le microcosme de gon rgime.

    L uvre de Wolfgang Staudte est l pour en tmoigner. J 'a i tendance considrer Staudte comme le premier metteur en scne d Allemagne d abord parce qu il est grand, parce qu'il casse les vitres quand il rit, parce que lui et sa femme sont les tres les plus libres et les meilleurs que j ai jamais rencontrs et parce q u on retrouve ses qualits dans ses films, et d abord sa trs grande honntet. Parti d une conscience encore vague et insatisfaite de sa culpabilit, l homme allemand esquiss dans les Mrder s approfondit dans flotalion. Si In Jenen Tagen tait Paisa, Ftolalion serait Anni Difficili. Mais on n y trouve ni le transfert de culpabilit des Morder, ni l amertume irresponsable des Annes. Cette dernire note serait donne plutt dans J len i ieh en Jeiteit, film occidental de Gun- ther Neumann, o le petit bourgeois allemand apparat dpass, noy dans un univers hostile. Dans Rolalion. le problme de la responsabilit pe r sonnelle est pos avec une humanit, une humilit pleines de grandeur. Les rapports du pre, ouvrier allemand au fond hostile au nazisme, et de sou fils, Hitlerjugend, qui ne se dnouent ni dans un conflit de gnrations sans espoir, ni dans un vague pardon, mais dans une volont commune de. faire l avenir, apportent un ton nouveau et singulirement noble ces

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  • inextricables rglements de comptes de l aprs-guerre. On nous dit que Rotation a t interdit, en France. J aimerais savoir si cest, vrai, et sous quel prtexte. Attendons en tout cas l accueil que notre censure fera a Der Unterlam , le film que Sfaudle achve en ce moment d aprs le roman de Heinricb Mann. Ce retour des sources littraires ne m arque nullement un recul : la vie d un bourgeois allemand, ses valeurs pseudo-fodales, !a faon dont il fait carrire ont beau se situer sous l Empire, le film est. d actualit. Il sort au moment o, en Allemagne Occidentale, les coteries d tudiants se reconstituent, o les associations d anciens officiers perptuent leurs traditions, o la bourgeoisie industrielle et financire reprend les commandes. C est sur la possibilit de films de cette force que l on peut juger une production. Il importe moins que le cinma d une jeune rpublique encore mal assure, oblige de mener de fronl cent activits galement importantes, un peu obnubile par l ascendant du voisin russe, commette des fautes de got et des pchs de simplisme. Si la forme du Ral der Gller, qui retrace l'histoire de l IG Farben, est facilement caricaturale, le fond n est pas si loin de la vrit historique .En revanche, la russite est ors d tre totale avec le merveilleux de Das halic Herz ou le ralisme de )ie lelzte Heuev. Le cinma allemand de l Est colle la ralit prsente, avec toutes ses scories, que le cinma de l Ouest contourne ou dissout. Dun ct,, la vie, avec tout ce quelle a de compromettant et dimpur, de l autre un nant barbouill de fleurs. Les cinmas allemands de l Ouesl cl de l Est sont deux frres l hrdit charge, mais l un s en lire en c r i vant des pomes (et en faisant de la prparation militaire), l autre en apprenant son mtier. II n est pas trs difficile de voir, au-del des apparences, de quel ct, pour le cinma comme pour le reste, est la promesse d une libert.

    Wolfgaiitf Staudte, Der Untcrtan*

  • W erocr KUnger, Rfle.

    LES DBUTS DU NOUVEAU CINMA ALLEMAND

    p a r

    J A C Q U E S D E R 1 C A U M O N T

    Dans le domaine du cinma, plus encore que dans celui des autres arts, 1945 tut vritablement en Allemagne 1 anne zro . Au lendemain de la.capitulation, il n existait plus de studios utilisables ( lexception de ceux de Geisclgasleig, prs de Munich, demeurs intacts), plus d appareils de prise de vues, plus d quipemenls techniques, plus de personnel qualifi. Les grands metteurs en scne de l poque nazie taient soit spars de leurs collaborateurs, soit dpourvus de moyens financiers, soit provisoirement tenus lcart pa r les Autorits d occupation.

    Cependant, en dpit de difficults qui paraissaient insurmontables : manque de matriel, pnurie d acteurs, d auteurs et de techniciens, impossibilit presque absolue des changes entre les quatre zones, trs vile des cinastes anciens migrs ou anti-nazis se grouprent dans les trois principaux centres de l industrie cinmatographique, Berlin, Mnich, Hambourg, avec la volont de ressusciter le film allemand sous une forme et dans un esprit nouveaux. Ds novembre 1945, le Prsident de l Administration centrale pour l ducation du peuple de la zone sovitique, Paul Wandel, runit en confrence Berlin Alfred Lindemann, Kurt Maetzig, Willi Schiller, Adolf Fischer et Karl Haaker, qui se joignirent Karl- Hans Bergmann W erner Hochbaum, W olfgang Staudte, Friedrich Wolf, Georg Klaren et Peter Pewas.

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  • En janvier 1946, alors que la reconstruction des ateliers de Babelsberg et de Johannisthal et la remise en lat des locaux de l Ufa Berlin taient peine commences, la Defa (Deutsche Film-Aktien-Gesellsehalt) laquelle ils taient dvolus, donnait le premier tour de manivelle de La premire de ses bandes d actualits bimensuelles u Le tmoin oculaire . Celle-ci fat projete dans la seconde quinzaine de fvrier, en mme temps qu un lm de court mtrage intitul Des enfants cherchent leurs parents qui permit plusieurs centaines d entre eux de retrouver leur famille, et son exportation reprsenta le premier change culturel de l Allemagne avec l tranger aprs sa dfaite. La Defa ne disposait alors ni de cabine ambulante pour l enregistrement du son ni d aulo pour les prises de vues. La demi- douzaine de techniciens qui formait l quipe initiale devait se rendre sur les lieux de son travail avec une charrette bras ou une voilure cheval, accompagne pour plus de sret par un soldat de l 'arm e russe.

    Le 17 mai suivant, au cours d une rcep lion Babelsberg, le Colonel Tutpanov, chef des services de propagande de l Administration militaire sovitique en Allemagne, remettait aux dirigeants de la Defa la premire licence de films qui et t accorde une socit allemande. A Hambourg Helmul Ivatner trouvait auprs des Anglais un appui semblable pour son film En ces jours l. et vers le mme temps se constituait Munich une firme sous contrle amricain, la Neue Deutsche Filmgesellschaft .

    Les conditions de travail restaient extrmement prcaires. Sans doute n y a-l-il rien eu, depuis Mlies, d aussi primitif que les prises de vues de nuit du premier grand film allemand daprcs guerre Les assassins sont parmi nous , tourn par Woifgang Staudte, place Slrausberg, dans le secteur oriental de Berlin, au milieu des ruines. Les appareils taient pour la plupart la proprit personnelle des operateurs qui les avaient sauvs par miracle de la destruction; les quipements et le reste du matriel avaient t rassembls pice par pice avec des peines infinies. Ils taient d ailleurs si dfectueux que la reproduction des paroles, de la musique et des bruits tait toujours ou brouille ou trop mince et que la confusion du

    G erhnrd Liunprccht, Qulune part Berlin.

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  • son gte ce film comme tous ceux de la mme priode, dont la phoLo en revanche esL souvent d une remarquable qualit.

    Cependant, lors du premier Congrs interzona] du cinma qui se tint Berlin du 6 au 9 juin 1947, les films E n ces jours-l (Camra, Hambourg), Les assassins sont parmi nous, Quelque pari Berlin et lfle (Defa, Berlin) taient dj termins. A cette date, la Defa avait produit elle seule 5 grands films, 16 films culturels, 50 films de court m trage et 56 bandes d actualits.

    Celte pauvret de moyens laquelle la nouvelle esthtique des cinastes allemands, assez proche de celle de l cole italienne, tait si heureusement adapte, devait contribuer, non moins q u elle, la naissance d 'un style original. La pnurie de studios, qui les obligeait multiplier les extrieurs, le manque d accessoires de dcors, la mdiocrit ou mme l'insuffisance des installations leur interdisaient le film grand spectacle, qui exige une mise en scne somptueuse et complique, et toutes les prouesses techniques quoi leurs prdcesseurs s 'taient complus. Tandis que pour ces derniers la richesse et la varit des dcors taient indispensables la russite d une uvre, ils convertirent leur indigence en vertu et, par got autant que par ncessit, dcidrent que le dpouillement serait la principale beaut de l 'criture cinmatographique. Aussi habiles la stylisation q u impropres au dcoupage, (presque tous, sauf Lamprecht, manquant de llan et de la souplesse q u il rclame), ils eurent frquemment recours la forme symbolique qui devint lun de leurs procds favoris; c est ainsi que Staudte dans Les assassins sont parmi nous, et Lam precht dans Quelque part Berlin, expriment par une vieille cuvette o des gouttes de pluie tombent travers un plafond crevass ou par un morceau de carton clou la fentre en guise de carreau la misre d un intrieur et le dlabrement d une vie avec beaucoup plus de force que par une succession d images. Adversaires acharns du thtre photographi o, ils rduisirent paralllement le dialogue l essentiel et s efforcrent de dcouvrir un mode d interprtation strictement visuel ou la parole, au lieu de se superposer, voire de.se substituer elle, se bornerait commenter la photo comme au temps du muet. Enfin, par l'effet des circonstances, ils durent en gnral renoncer au film vedettes, les grands acteurs disponibles tant rares, soit quils fussent disperss dans les diffrentes zones ou q u ils eussent t frapps par l 'puration.

    A l exception de quelques comdies dont, la meilleure est Les tranges aventures de Monsieur Fridolin B... de W olfgang Staudte, avec Axel von Ambesser dans le rle de ce Chariot germanique satire pleine de lgret et d 'hum our de la bureaucratie prussienne , et d une tentative im parfaite mais hallucinante dans le genre la fois du fantastique intrieur et de la critique sociale, W ozzeck de Georg Klaren, d aprs le clbre drame romantique de Bchner, tous les films des trois premires annes de l aprs-guerre sont ce que les Allemands nomment des films problm atiques . C est--dire que, sous forme de documentaires romancs, ils sont consacrs l tude, sinon la solution, des principaux problmes que l avnement puis l effondrement du nazisme ont imposs la conscience de l Allemand moyen : le traitement inflig aux Juifs par Hitler (Mariage dans VOmbr), le dsarroi des adolescents levs dans lidal hitlrien

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  • W o U y an g Staudtc;, L e s t ra n g e s a v e n tu r e s (Et nous nous retrouverons un jour), le retour des prisonniers et leur radaptation la vie civile (Quelque part Berlin, Terre libre, Au dessus de nous le ciel), le retour la terre (Hommes dans la main de Dieu, Film sans titre), le march noir (Rafle), la prostitution (Connaissance de rue), le retour des migres et leurs rapports avec leurs compatriotes (Entre hier el demain), l attitude des dmocrates lcgard des anciens nazis (Les assassins sont parmi nous)'.

    Tous ont au moins deux (rails communs : la nature optimiste de leur dnouement (sauf Mariage dans l'ombre qui s achve par l empoisonnement du couple) et le caractre simpliste de leurs personnages. Comme dans les mystres du Moyen-Age, l 'humanit s v divise en deux catgories : les bons et les mchants . Pas de milieu entre ces conditions extrmes, non plus que dvolution l intrieur mme de leurs limites. Les premiers sont rcompenss, les seconds sont punis moins que, touchs par une grce imprvisible, ils n utilisent les dernires squences pour s'amender, {parti auquel sagement la plupart se rsolvent. De tels revirements, trop subits pour n avoir pas l air de coups de thtre et qui peuvent paratre au critique tranger une assez grossire faute de psychologie, ne sont d ailleurs pas aussi invraisemblables chez un Allemand quils le seraient chez un Franais car le premier est aussi inconscient et impulsif que le second du moins en principe est lucide et consquent. On a cependant l impression que cette victoire tardive el souvent artificielle du bien sur le mal tait, le tribut que devaient payer les scnaristes leur conscience ou la censure pour avoir le droit de m ontrer pendant le reste du film une ralit compose de misre, de dsespoir et de vice dont le public dailleurs acceptait d autant moins volontiers la reprsentation quil tait dj contraint d en subir le spectacle quotidien. Leur souci non seulement de ne pas lui enlever son nergie mais de ]'inciter la vertu est parfois si manifeste que certaines bandes semblent l 'illustration de la fameuse devise des nations vaincues : Travail et famille (le terme de patrie tant encore (enu pour sditieux). Cest cette arrire-pense,

  • Milo Tnrbich, Terre libre.

    inslinclive ou impose, de propagande morale et, chez quelques-uns, politique, c est aussi leur manque de nuances comme de profondeur qui sont leurs plus graves dfauts. Us ont eu le mrite de choisir de grands sujets sans doute trop grands pour eux mais ils les ont traits sous une forme superficielle, ils n ont eu ni la matrise ni, cause des rigueurs ou des chicanes de la censure, la libert ncessaire pour les approfondir. On 'peut-tre simplement n ont-ils pas eu le courage de descendre jusquau fond de l abme qutait alors l me allemande.

    Ainsi le cinma allemand de 1945 1948 peut-il se dfinir en deux mots : il est national et temporel. Son domaine se limite aux problmes d un peuple et d une poque : les histoires qu il raconte sont des drames de lactualit et le comportement des personnages quil anime dpend essentiellement des conjonctures dans lesquelles la guerre puis la dfaite les ont jets.

    Les Allemands cependant se dtournrent assez vite d un genre qui correspondait leur gnie, mais non leur got. Us protestaient contre, ces films trop ralistes auxquels ils avaient donn le sobriquet de Trum- merfilm (films de ruines) et rclamaient des films d vasion. Aprs s tre engags dans une voie o et p s affirmer l originalit du nouveau cinma allemand sans doute la seule o elle le pourrait les cinastes l abandonnrent pour se consacrer des imitations de Hollywood, films comiques, films daventures ou oprettes. Mais des uvres telles que Quelque pari, Berlin. Les assassins sont parmi nous, ou Mariage dans l'ombre demeureront comme les tmoignages la fois d une des priodes les plus tragiques de l histoire d Allemagne el de l art auquel, avec des moyens techniques drisoires, quelques metteurs en scne ont atteint dans la repro duction des paysages, des visages et des destines de ce temps.

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  • LIN D U ST R IE DU CINMA ALLEMANDentre l 'anarchie et la nationalisation

    . . par

    JACQUES NOBCOURT

    Le rcent festival de Berlin a prouv en m arge des prsentations officielles, que s il existe des films allemands tourns depuis 1945 cest un abus de langage que de parler d un cinma allemand , Des metteurs en scne dirigent certes des acteurs de talent, en des studios dont les plateaux n ont pas encore leurs peintures sches, mais les exploitants projettent la douteuse Pcheresse de W illy Forst. L 'interdiction porte sur cette bande par le u Selbstkontrolle et mains organismes confessionnels ou politiques en assure la rentabilit. E t les. directeurs de salle consentent au plus admettre l talent de Marlne dont L Ange Bleu connait tous les triomphes. Mais la grande cole du cinma allemand est morte depuis 1933. Ses surgeons aujourd 'hu i sont rabougris, faute de sve. Cette carence dans l'invention d une esthtique originale, propre 1951, possde dans l art cinmatographique les mmes raisons qu 'au thtre ou en littrature : lorsquils refusent la facilit, le tout-venant, s ils se veulent absolument crateurs, les crivains, les metteurs en scne allemands raisonnent comme s'ils vivaient!encore en 1932. Et leur public les.suit. Us semblent peine sortis de l expressionisme, dcouvrent un surralisme mri, accouchent d uvres btardes telles que Der fallende S te m {Ltbile qui tombe) o leurs spectateurs applaudissent' un temprament neuf, l o les critiques trangers les mieux disposs ne peuvent voir au mieux quede la bonne volont. . .

    1 '

    Ne soyons pas abusivement injustes. Le terrain est terriblement sc, i! . manque d engrais et d eau : tant que le film allemand devra s enraciner dans une conomie aussi chaotique que la sienne actuellement aucun Grmillon, aucun Ren Clair ne sauraient y faire leurs armes. Notons pour n y plus plus revenir que la question engage assurment la politique gnrale de la Rpublique Fdrale comme, de l autre ct, celle de la Rpublique Dmocratique allemande. . :

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  • L a s dfaite de 1945 fut suivie d 'un nettoyage pa r le vide. Le cinma tait alors la quatrime industrie d Allemagne, aprs le fer. l acier et ls produits chimiques. La .Tobis et l UFA qui contrlaient peu prs seules le march du Reich s taient dsagrges d elles-mmes. L a lgislation allie d'occupation fit le reste en liquidant toute possibilit thorique d e . reconstituer brve chance les concentrations verticales, : production- distribution-exploitation, qui s alimentaient elles-mmes pa r autofinancement. L art cinmatographique allemand arrivait au bout de. son agonie de douze ans, le commerce de la pellicule pratiquement trangl, il ne restait plus entre les ruines quun vaste talage vide fractionn au dbut par les limites de zones, d occupation. Pour rduquer les Allemands d abord, puis tendre leurs propres marchs, les Allis eurent toute Iati- tude. Arrivs les derniers, depuis trois ans environ, dans leur propre pays, les Allemands ne parviennent pas rcuprer un fauteuil, peine un strapontin; Parler de paralysie actuelle du cinma allemand serait inexact car la paralysie suppose un objet organiquement constitu. ' Tel n est pas le cas. Tant que le cinma allemand n 'au ra pas retrouv certaines rgles de fonctionnement financier et commercial, nous ne pourrons pas en attendre d inspiration homogne et neuve. Des billets de loterie mlangs dans'ce gouffre marks, il ne sortira longtemps encore que des numros dont les lots sont de pure brocante. . - '

    . Un an aprs la ciute de Berlin, en mai .1946, l occupant sovitique confia la 'Deutsche Film A.G. (DEFA) le monopole de la production et de la distribution dans sa zone. Il dtenait d ailleurs 55 % du capital, qu il remit au gouvernement de Berlin-Pankow au dbut de 1945, les 45. % restant appartenant au parti socialiste-communiste. De l UFA, la DEFA n hritait pas seulement la formule, elle recueillait aussi l un des plus beaux instruments : les studios de Babelsberg et de Johannistal dans la banlieue de Berlin. Le gouvernement en tira grand parti dans lobservation du mot de Lnine : le cinma de tous les arts, est le plus im portant . Entre 1946 et 1950, une cinquantaine de grands films furent tourns et quelques centaines de courts mtrages ducatifs ou documentaires sur les ra lisations de la Rpublique orientale. Depuis le dbut de 191, 18 longs mtrages, 12 documentaires, 50 courts mtrages ont t raliss et dans des conditions financires fort larges puisquun film de 2.000 mtres cote en moyenne un million et demi deux millions de D. Marks, 500.000 ' 600.000. l Ouest). Alors quen Allemagne Occidentale un film sccs- aura '50 150 copies, un film moyen entre 30 et 50, les bandes d Allemagne Orientale sont assures ds leur sortie d couler de 500 1.500 copies dans les dmocraties populaires la Chine o u T U .R .S .S . Notre propos n est pas d ' tudier leur qualit artistique qui est grande souvent et dose mieux qu 'on ne s y attendrait l intention politique. Disons simplement que c est de Babefsberg que sortit le plus grand succs du. film allemand d aprs- guerre : Ehe im SchaUen [Mariage dans l'ombre) de Kurt Metzig, qui eut dix millions de spectateurs, prcdant Nachtwache (Veille de Nuit) d H arald Braun, tourn l Ouest qui en eut sept millions. Cette qualit artistique puisait quelque raison jusqu ces temps derniers dans le libralisme des -, dirigeants de la DEFA qui, fermant les yeux su r les opinions politiques des acteurs, n avaient pas scrupule faire tourner Babelsberg la vedette

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  • arrive tout droit de Geiselgasteig o un metteur en scne amricain venait de la diriger. L autocritique que fit en juin dernier, l un des dirigeants de la DE FA, lors du cinquime anniversaire de la socit, laisserait entendre que c en. est. fini du film formaliste : plus de joyeuses commres de W indsor , on multipliera maintenant les images admirables et lassantes su r la rforme agraire, les activistes. En un mot on duquera .

    L'extension du cinma franais en Allemagne occupe a beaucoup compt dans la renaissance du film allemand et ce fut probablement l une des plus dsintresses quant ses intentions commerciales. Ou du moins, celles-ci s affichrent moins que celles de nos Allis. Les premires salles peu prs intactes furent rouvertes pn juillet 1945 en zone franaise. Faute de films franais sous-titrs en allemand, on commena par projeter des films allemands saisis pa r les Domaines aprs la Libration de la France et sous-titrs en franais. Les choses s amnagrent lentement, un organisme de distribution nomm Rh'in-Danube reprit en. charge la partie commerciale de l exploitation et bientt on ne fit plus appel aux voitures de laitiers pour suppler les chemins de fer dfaillants dans le transport des copies. Des studios de synchronisation monts de toutes pices Ten- ningen et Remagen sortirent d excellents doublages avant de s ouvrir aux nouvelles productions locales.'Deux coles d oprateurs de projection formrent les remplaants du personnel dnazifi Enfin l usine Tobis- Klangfilm de notre zone fut la premire, et longtemps la seule de toute l Allemagne fabriquer pour les salles un outillage d quipement neuf. En Janvier 1946, 1 . International Film Allianz , socit de distribution allemande participation franaise, consolidait su r le terrain juridique les dbouchs possibles du cinma franais en Europe Centrale. Le public allemand

  • 150 producteurs eurent leur licence en 1948, 50 tentrent de l utiliser, 19 films enfin furent produits. En 1949, le jeu de la concurrence stabilisa un peu les choses, 27 producteurs financrent 54 films. En 1950, 79 films sortirent des dossiers de 56 producteurs, allemands s entend, car en ra lit , . lAllemagne Occidentale vit lanne dernire une vingtaine de films tourns

    dans ses studios par des firmes anglaises et amricaines. P our le 1" semestre 1951, les producteurs dignes de ce nom ne dpassent pas le nom bre de 60 alors que 268 dtiennent une licence. .

    . . Quon nous pardonne de parler chiffres. En l occurence, aucune priphrase ne donnerait la ralit la mme toffe qu eux. Or cette ralit, quelle est-elle ? Comment se. prsente aujourd 'hui le m arch allemand ?

    4.000 salles en Allemagne Occidentale ! Les experts allemands pensent qu elles peuvent absorber 200 films par an (contre 250 avant la guerre). Ils ajoutent qu en 1949, les Etats-Unis dans leurs 20.000 cinmas ne firent circuler que 479 bandes. Les experts amricains doublent le chiffre; les exploitants allemands doivent, bon an mal an, absorber 400 films. La solution moyenne : 300 films, se trouve vrifie p a r les faits. .

    Or,- cest plus de 1.000 productions, qui sont proposes p a r an. Pour la saison 1950-51 : 825 grands films, 28 documentaires de long mtrage, 160 de court mtrage-. Ajoutons qu un Allemand va au cinma onze fois par an (contre neuf fois pour le Franais).

    Le mcanisme de ce march n 'arrive pas dmarrer. La dcarlellisa- tion a en effet provoqu le remplissage du vide pa r une offre croissante de films trangers dont la rentabilit force au dbut a limit les nouveaux films allmands quant au nombre, quant la publicit puisqe les grandes salles n en veulent pas et quils ne disposent en tout tat de cause et sauf succs imprvisible que d courtes priodes de projection.

    Les gots du public enfin sembleraient s tablir ainsi : Comdie lgre : 23,4 %, Drame : 22.4 %, Aventures;: 19,3 %, Policier : 9,9''%, Musical. : 8 '%, Far-W est : 5,8 Historique : 3,8 %, ce qui ne trahit pas un bien vif attrait pour les genres o la qualit .trouve un accs ais. Les uvres les meilleurs du. cinma allemand'depuis 1947 sont difficiles classer. Au fond elles appartiennent au domaine d une histoire condamne la subjectivit pour permettre au public d en apprcier les ambitions parfois indiscrtes. . . .

    20 % des spectateurs, selon les techniciens grmaniques, prfrent les films allmands, tenus pour trop mdiocres par les autres. Encore une fois, les spcialistes amricains contestent le calcul et les,20 % deviennent chez eux 70 %. N y ont-ils pas quelque intrt ? .

    Voici un an en effet, la Motion Picture. Export Association (MPEA)- socit de distribution commune fonde W iesbaden par RKO, W arner.

    Parmount, Fox et Universal, proposa aux producteurs allemands de leur verser les bnfices raliss depuis 1945 par les films amricains en Allemagne, condition que les dits producteurs remettraient dsormais la MPEA 51 % des bnfices qeux-mmes ra lise raien t. 'L es Amricains avaient donc tout avantage surestimer l intrt que les Allemands portaient leur propre production: Acculs, les producteurs d Outre-Rhm

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  • acceptrent ce contrat draconien , qui, selon certaines estimations, leur procura 200 millions de marks, immdiatement investis dans la construction de studios et la rfection de salles.

    ' En dehors du quasi monopole dont avait joui la MPE sur le march allemand, les producteurs amricains avaient ralis 1/5 des films allemands par des semi-coproductions de tarifs fort bas, puisque ni les lois, amricaines ni les lois allemandes ne leur taient, appliques en matire de contingentement commercial. Mme quand les coproductions lurent rgularises (pour La ville cartele pa r exemple), les Allemands n eurent en pratique qu fournir figurants et plateaux. De ce mariage de raison, 40 films naquirent dans la saison 1950-51. . .

    Durant la mme priode, pour 220 films amricains proposs, 91 films allemands de .laprs-guerre, entrrent en course : 45 % de l offre, totale pour les premiers; 16 % pour les seconds. Le cinma amricain pouvait d autant plus facilement forcer l carte quau dbut de l occupation, toujours dans le souci de dcartelliser, les circuits de salle avaient t vendus aux enchres, les collectivits allemandes n ayant pas le droit de les racheter. Quel particulier, avant la rforme montaire et mme aprs, aurait pu runir assez de fonds pour reprendre un circuit, titre personnel ou comme homme de paille ? Les Allemands rappellent souvent quau Japon, les Etats-Unis ont acquis 500 salles sur 2.201). Ils comparent aussi ces deux, chiffres : avant quintervienne en 1933 le contrle Ses changes nazi, les'films imports ramassaient 3 millions de Reicbsmarks; en 1950, les films amricains ont gagn au moins 40 millions de D. Marks, bnfices nets pratiquement puisque ces bandes succs taient amorties depuis longtemps et que les frais de synchronisation devenaient peu prs ngligeables. Quels que soient ses motifs et mme ses justifications politiques, ce gigantisme du film amricain a provoqu petit petit une volution psychologique o le nationalisme allemand ne se trouve pas seul en cause.

    La campagne contre nous, disent les Amricains, est en matire de cinma fomente par d anciens lments nazis et des industriels de la Ruhr qui jourent dans l UFA un rle dterminant . Peut-tre. Mais l incident Orson Welles n avait l origine rien de commun avec cette campagne. L acteur recueillait 90 % des voix dans le box-office de la jeunesse aile- mande. Il fil un jour France-Dimanche des dclarations un peu inconsquentes sur le compte des Allemands. Immdiatement, les exploitants le boycottrent; certains affichrent mme : Off limits to Orson Welles . Et les Allemands s amusrent d apprendre que des magnats du cinma amricain se plaignaient que l'affaire leur fit perdre 250,000 dollars sur le march germanique.

    Encore : lorsquAnatole Litvak voulut tourner W rzbourg La Lgion des damns (devenue Dcision avant l'aube), la municipalit s y opposa formellement, alors qu Mnich et Mannheim, Litvak n avait pas rencontr d'entraves.

    Nous ne prtendons pas qu il s 'ag it l uniquement de ractions de dfense sans arrire-penses politiques. Mais une certaine faon dasphyxier la production artistique suscite, chez la victime une volont de protectionnisme. De celui-ci au nationalisme avec toutes ses consquences, la

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  • distance n est pas considrable, surtout dans le climat de l Allemagne de - ; 1951 qui voit s approcher l aube dune libert quelle estim avoir conquise. \

    . De cette aspiration au protectionnisme, la manifestation plus importante fut la Semaine du Ginma allemand organise dans toutes les villes de la Rpublique Fdrale du 29 septembre ou 6 octobre -1950,s sur le thme le cinma allemand est en pril . peu prs toutes ls salles ne prsentrent alors que des films nationaux. La palme du succs revint L Ange Bleu. La presse de tout bord consacra des pages illustres t des commentaires la manifestation soutenue d autre part par une abondante publicit commerciale. Une partie des recettes devait servir 'financer la production ' de films de qualit: Mais le succs fut en somme beaucoup moins large que ne l attendaient les promoteurs. Le caractre nationaliste tait trop marqu pour ne pas rebuter une partie des spectateurs. La consqene certaine fut en tout cas de . faire dcouvrir au public la mdiocrit de moyens du film allemand courant.. . .< '

    La M.P.E.A. sentit le vent du boulet.. Elle protesta mais son geste n aurait pas eu de porte s il ne s tait accompagn de la dmission du prsident du SPIO (Spitzenorgnisatioi), initiateur de cette semaine d u 1 cinma. Celui-ci, M. Kurt Oertel, surnomm le Hindenburg du cinma allemand , avait t interview par lUnited Press qui lui fit dire : le

    . gouvernement de Bonn essaie de boycotter les films amricains'et de battre ,en brche le principe. de la libre-concurrence . Oertel. dmentit', assez mollement. On le pria de dmissionner. Cet Hindenburg retrouva son bton, de marchal, la manivelle d une camra. Ancien metteur en scne, directeur d ne socit de production, il avait, grce la SPIO, organisme

    : fdrateur, introduit un peu d ordre dans la confusion du cinma allemand. Sa volont de multiplier les cin-club s s tait heurte celle des exploitants. AU'moment: de sa dmission, il envisageait le dveloppement de la

    . tlvision sous l gide du cinma. Ami. de Flaherty enfin, il entretenait de bons rapports avec les Amricains. Cela le perd it . 'Explo itan ts .e t produc-

    teurs l accusrent d tre vendu , tandis que le gouvernement de Bonn saisissait l occasion d ?vincer une personnalit capable de faire chec ses projets lointains d nationalisation du cinma.

    A combien revient en bref un film allem and? A 600 ou 700.000 D. Marks, dont 55.000 sont dj dpenss avant le premier tour de. manivelle. Ajoutons au chiffre global 20 % d impts, 22 % d intrts 'p a y e r la banque et la compagnie d assurances qui prte l a rgen t; la banque. Une copie cote 1250 marks, il eh sera fabriqu 50 au maximum. Avant la guerre, un film allemand passait dans 6.000 salles1 et l exportation couvrait 25 % des frais. En 1950-51, elle a fait rentrer 200.000 D.Marks dans la Rpublique fdrale, contre 30 millions de Reichsmarks a^ant la guerre. Certains scandales survenus des producteurs occasionnels n encouragent pias les crdits. Les studios improviss foisonnent encore : une usine dsaffecte Berlin-Spandau, des btiments de l arodrome de Goettingen, le casino des officiers Hambourg-W andsbeck. Les huit pla- teaux.de Geiselgasteig, les mieux amnags d Allemagne'occidentale, sont en effet rservs pratiquement aux productions amricaines et Bbelsberg

    ne sert qu la DEFA. - ,

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  • Aprs sa cration, le gouvernement de Bonn n attendit pas longtemps pour porter une oreille attentive aux dolances des reprsentants du . cinma qui lui paient chaque anne cent millions de D.Marks d impts. P ou r 1950-51; il leur accorda une subvention de 20 millions, dont le tiers seulement avait t attribu en mars. D autre part, i ls 'a p e r u t tout coup que ses douanes n avaient pas peru de droits sur les films trangers projets depuis cinq ans. Il rsolut tout rcemment d.e percevoir 20 m arks par kilog de pellicule partir de janvier 1951: La seule Eagle-Lion vient de verser ce titre 300.000 D.M. Ce sont l des expdients, des pices poses sur une chambre air qui fuit;partout ailleurs.

    Aussi la tendance tait-elle- ds 1950 de nationaliser deux stades l 'industrie-du film. Le gouvernement de Rhnanie du Nord-Westphalie, imit en cel pa r d 'autres gouvernements d tats, envisageait d une part de financer 40 % vingt films tourns su r son territoire, d accorder d autre part un crdit de six millions de D.M. pour reconstruire des salles. Toutes les initiatives ainsi provenues des tals devaient culminer dans un sous- secrtariat fdral au cinma dpendant directement du Chancelier. Tel tait du moins le projet d une personnalit qui occupait par hasard le poste de rdacteur en chef d un journal d actualits filmes. .

    Si les partisans de la libre entreprise accordent que le cinma allemand est trop dispers, ils rcusent le particularisme local jqua dj excit la solution propose. Ils proposent une concentration ds moyens pour dvelopper l 'exportation et redoutent avant tout, une intervention de l 'tat dans l expression artistique. .

    Le gouvernement, lui, avait une ide fixe : Nous ne nous laisserons pas conduire pa r le bout du nez. Si les Amricains sont aussi peu raisonnables, nous saurons sauver le film allemand par une action d E ta t , disait le prsident de la commission Presse-Radio-Cinma au Bundestag qui ajoutait d ailleurs l autre volet du dyptique : ..le cinma allemand attend le secours du gouvernement,mais il n a toujours pas soumis de propositions coordonnes et ralisables . . > - '

    Des ttonnements, ou, si lon veut, des actions de patrouille, ont prcd depuis plusieurs mois la grande offensive gouvernementale. Des ngocia,- tions pour rduire 150 films par an l importation des films amricains, semblent s tre perdues dans les sables. Un projet d aide la qualit-'fut vaguement agit sous-forme de subventions aux auteurs de scnario. Il est bien vrai d ailleurs que matriellement les crivains allemands ne' sont gure encourags travailler pour le cinma. Le ministre de l intrieur offrit gnreusement un prix.de 15.000 D.Marks la meilleure production.

    Les exploitants russirent ba rre r la route l 'tablissement d 'un quota de 12 20 semaines par an pour les films allemands datant de moins de deux ans. ' . .

    Les autres solutions de fortune continuaient : course aux festivals (Mnich, Berlin), chasse aux marchs d exportation, surtout accords de coproduction avec le Brsil, la Suisse et la France. Avec notre pays, le meilleur exemple est celui du mariage d Alcina et d une firme d Hambou'rg

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  • qui ont dj engendr L Aiguille Rouge dE. Reinert, viennent de terminer le Barbe-Bleue de Christian Jaque, qui aura cot 900.000 D.Marks et 90 millions de francs, tournent actuellement Nez de Cuir et ' annoncent Thrse Etienne. La trouvaille de la combinaison rside dans l adoption de la rgion autrichienne du Thiersee pour le tournage. Elle permet une conomie de 60 70 % des irais techniques. .

    Mais le gouvernement nourrit de grands espoirs et de vastes desseins. Le 23 juin 1951, les ministres des Finances des tats et quelques banquiers intresss; examinrent, sous la prsidence du ministre fdral des F inan ces, trois textes essentiels.,L 'un projetait la fondation d une banque du cinma ' au capital de 9 millions de D.Marks, mesure jusqualors interdite par le dcret alli sur les grandes banques, lequel en l occurence soumettait, peu prs l ensemble de la production au financement de l tranger puisque les biens de IUFA taient d 'au tre part confisqus. Le second texte reprenait le projet soumis en 1950 par l union des producteurs et fixait le quota des films allemands 23 %. Enfin, on envisage un impt dit du sou du film qui pourrait apporter par an 50 millions de D. Marks.

    Toutes ces mesures devraient tre' ralises avant l automne pour empcher, dirent quelques-uns que comme l Abssinie, lAllemagne occidentale ne prsente que des films trangers . Dans la coulisse, des p e r sonnalits trop fidles certaines traditions proposaient quelques annexes assez suspectes : la fondation d une socit commerciale jointe la banque, pour distribuer et exploiter les films, et celle d un tribunal'd honneur qui purerait la profession de.ses aigrefins, pour commencer.

    Tendances 'par trop dangereuses et.'qui traduisent bien le dsarroi o se dbat l conomie allemande entre les vieux souvenirs d un dirigisme qui ne profita matriellement qu quelques personnalits extracinmatographiques, mais parait encore garant d ordre et de stabilit dans la cration, et dautre part un libralisme,dont e seul fruit est trop videmment l a n a r chie et la strilit sousi couvert de sauvegarder la concurrence.

    Cette querell, ce drame du cinma allemand, ne sont certes point piirs. L accord avec la M .P.E.A . qui retire a priori la moiti des bnfices aux Allemands condamne m ort les plus petits, producteurs. Des autres, il

    . exige des films bon march, sans dcors de qualit, avec des, acteurs dbutants, sur des intrigues assez bassement attrayantes pour le . public

    . courant. 60 % de la production allemande comporte des films succs facile. Le nationalisme vient se mler d autre part aux' proccupations commerciales pour obtnir la. limitation des films trangers. Mais la route du cinma allemand court actuellement entre deux* prils : ou bien il se cohre peu peu sous la tutelle d une SPIO rnove, c est--dire de quelques hommes pour qui un film cest dabord de l argent . Ou bien il en passe par les fourches caudines du gouvernement, avec toutes les consquences politiques et morales que cela comporte pour l avenir.

    Trouvera-t-il l issue ? Il n en est pas d 'autre que celle-ci : un lan crateur jailli de la conscience d une gnration. Mais en Allemagne, celle des hommes de trente quarante ans parait bien strilise dans tous les domaines de l esprit. ^

    24

  • LE POURET

    LE CONTRE

    sr ' _ $ D ix minutes

    j p ~ de cinmaH orloge. ,

    Ctock. Thurmuhr. f.

    Les pires film s que jaie 'jamais vus , ceux qui m'endorment, crit Man Ray, contiennent d ix ou quinze minutes merveilleuses; les meilleurs filins que jaie jamais vus ne contenaient que d ix ou quinze minutes valables . .

    Ce propos a ladmirable, la viche ambiguit des rponses des oracles. On en saisit mal le sens, car il semble bien quil puisse en comporter plusieurs. Mais on est remu par ses harmoniques, et on lui trouve (moi, du moins) une vrit assez fulgurante.

    Premire interprtation : quelle que soit la qualit d un film, il y a eu dans son travail de com position un processus qui menait fatalement des m oments, d incandescence. Devant la part de Dieu, comme devant la loi, tout le monde est gal. ,

    Premier distinguo : les quinze m inutes merveilleuses des pires films le sont-elles pour les mmes raisons que sont valables les quinze minutes dans les meilleurs films ? Mlons-nous 1or- chons et serviettes, ou, pour tre prcis, l auteur dun navet russit-il ses quinze minutes merveilleuses sans sen

    douter,' l auteur d un chef d uvre en sen doutant ? Mieux encore, ne trouvons-nous pas valables les quinze m inutes du chef duvre pour des m otifs directement esthtiques, merveilleuses les quinze m inutes du navet pour des motifs mta-esthiiques (humour inconscient, excs dans l insistance, la ideur insigne, etc...) ? Cela nous amne une seconde interprtation : le sp ec tateur (jentends le spectateur qui sait vivre les films, y tenir son rle in d is pensable de troisime dimension) d is poserait tout au plus d une quinzaine de minutes, de capacit d enthousiasme ou diutrt; mais, pareil en quelque sorte au buveur invtr que tout alcool inspire, il peut offrir ces quinze minutes de large rceptivit aussi bien aux chefs' duvre quaux navets.

    Second distinguo : chefs duvre et navets se valent' et c est bien arbitrairement que nous dressons une barrire entre les uns et les autres; ou, l in verse, chefs duvre ou navets, le c i nma comporte toujours organiquement les mmes possibilits dexaltation.

    ' Je ne crois pas que jaie fini danalyser le propos de Mn Ray. Il est s t i mulant dans la mesure mme o il offre tant d'interprtations possibles et on le sent pourtant tout fait juste. Son poids tent surtout au laps de temps quil fixe : d ix quinze minutes.

    Bien entendu, on peut aussi prtendre quil n a pas le moindre sens commun, car, voyons, rflchissez un peu, Folies de femmes est une chose, Clo- chemerle une autre, et patati et patata.

    Mallarm disait : un coup de ds jamais n abolira l hasard. Un film serait-il un coup de ds ? Hasard ou

    25

  • part de Dieu ? Dieu est-il, cinm atographiquement parlant, Deus ex m ach in a ? Et ainsi de suite... Nino F rank

    P. S. A ce propos, les meilleures m in u tes .d e Sunset Boulevard ne sont- elles pas paradoxalement les seules qui ne soient pas de Wilder, cest--dire celles o lon voit la projection de fragments de Queen K e lly de Stro- lieim ? .

    " ' * : '

    Il est vident que Man Ray joue sur les mots,' le , merveilleux du quart dheure n est pas de mme nature que lexcellnce ou la sottise attribue aux films. Ou, si l on veut, dans un cas il parle du Cinma, dans V nuire des films et son aphorisme suppose quil n y a gure de rapports entre le. fait quun filin soit bon ou mauvais et celui de contenir du. cinma . On voit la conception du cinma dont Man Ray semble se rclamer et quelle n a point de commune mesure avec l intelligence ou le talent dune m ise en scne. Elle est le cinma pur dont le mythe a hant lancienne Avant-garde. De mme pourrait-on dire avec et .aprs les surralistes : une page des petites : annonces d un quotidien du' soir contient toujours deux ou trois Alexandrins admirables trois pages de Victor- Hugo ne contiennent pas plus de deux ou trois Alexandrins admirables . Pli- 'dre tout entire, ce compte nen possde en effet quune cinquantaine de valables, c est--dire beaucoup moins que la collection dune anne de France-Soir. Jaccorderais volontiers Man Ray compte tenu de lexagration rthrique de la boutade quil a raison, mais il faudrait formuler ces deux remarques. ' /

    1 Que l auteur de VEtoile de Mer ne doit plus beaucoup aller' au cinma pour conserver un aussi solide optimisme. Jattends quil mindique le quart dheure merveilleux, de La Belle Image de M. Claude Heymann. Il est vrai que La Belle Image ne relve pas du pire m a is-d e l lgante mdiocrit qui. ne semble pas prevue dans la formule. Faut-il comprendre quentre les trs mauvais films- et les trs bons s tend, le marais des films moyens, des tides que le Dieu du Cinma vom it de sa bouche ? En ce sens, il se peut quil y ait plus de. Cinma d a n s-u n film ' de M. w il ly Rozier. Mais je cro irais plutt que Man Ray se rfre ses souvenirs du muet, cette poque de lenfance cinmatographique o la

    part de Dieu tait immense. Certains films contemporains participent encore de ce cinma involontaire. Le systm e d production du Western de srie C par exemple en raison mme de son anonymat et de son absence d originalit dans l application de la prosodie russit encore souvent le quart dheure merveilleux. Mais cet exemple est p res que unique. En dehors de ce p h n o mne structurel on ne peut plus gure compter que sur l excs de btise d un producteur, ,sur la distraction du n - metteur en scne ou sur un manque de talent vraiment insolite pour glaner quelques m inutes de cinma pur. a arrive, m ais ce n est tout de1 mme plus la rgle gnrale. . .

    2 Que , totalement ou partiellem ent vrai, laphorisme de Man Ray ne peut quand m m e servir de point de dpart- une esthtique valable. Faut-il d escen dre l. quart d heure de Cinma ou les deux heures de F ilm ? Un bon film sans son quart dheure nest-il donc rien ? Je crains que ne sopposent ic i ceux qui prfrent les bons films aux tenants dun inconscient cinmatogra-

    . phique. Que celui-ci ait exist et quil se m anifeste encore ic i et l nous nous en rjouissons avec eux. Mais, je note que Mail Ray qui dcl le m ervei- leux dans les navets ne reconnat que- d u . valable aux meilleurs films. Lest avouer quil prfre le quart d heure involontaire ae la bande m b- cile; Sil n y a que ce quart dheure qui compte dans le salut cinm atographique les derniers ne sont pas loin dtre les prem iers et La main qu i lue pour dix minutes de vraie terreur d vient plus importante que le Diable au

    . Corps. Je suis tout prt rver d un film de cinm a pur qui ne, com prendrait quun montage des minutes m erveilleuses de dizaines de films b ons ou mauvais m ais je me refuse considrer, lobtention du quart dheure com m e le but du cinma. Sil est toujours p erm is

    ; de souhaiter la grce de Dieu, i l est vain de l attendre, mieux il est dangereux de la rechercher. Ce fut en partie le propos de lancienne Avant-garde. La m orale de lentreprise c est que Man Ray reconnat''im plicitem ent que lui et ses amis ne pouvaient, tous comptes faits, surpasser lin con sc ieh l cinmatographique de Berthomieu. Heureusement poiir le cinma, et quoi-, quen dise Man Ray, il nest pas in d if frent que leurs films aient t m eil leurs. An d r Bazin

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  • II ne peut videmment tre question de prendre la lettre le propos de Mau Ray. Qui oserait affirmer, par exem ple, que Les Dames du Bois de Boulogne ne contient que dix minutes valables et qui pourrait trouver d ix m inutes merveilleuses dans Bel Amour, pour ne citer que le plus rcent des navets ?

    Toutefois, dans une tude compare du cinma et de la littrature, cette boutade peut ouvrir une voie : les p ires films policiers . dispensent souvent plus dagrments que les romans de la mme catgorie, et quel film, mme le plus parfait, nous procure- un plaisir aussi total que la lecture d un roman de Proust , ou de D ostoiewski ?

    Nino Frank parle juste titre de la part de Dieu . Incontestablement cette part est beaucoup plus im portante dans les arts plastiques, comme la peinture , ou le cinma, que dans la ; cration intellectuelle. . On comprend aisment pourquoi.

    Au cinma, cette mme part,- de Dieu voit son rle se rduire dans la mesure mme o les problmes techn iques s rsolvant peu peu,, se cod ifiant, les auteurs de films se proccupent davantage du contenu intellectuel de leurs uvres. -

    Ce qui revient dire que la remarque de Man Ray, prise clans son sens large, sapplique bien m ieux au cinma muet quaux films modernes. J e a n - P ie r r e V ivet

    ,. . *

    Adapter Les Frres Karam azov ou bien faire un film sur la production industrielle revient, peu prs la mme chose on pense d abord, le cinma vient ensuite... Il est bien vident quun ' metteur en scne qui on a donn tourner un scnario de film B sait trs bien quil ne pourra pas faire :un grand film... et lesprit dbarrass de ces dangereuses vellits il sattachera tout simplement placer quelques minutes de cinma pur comme Fargues oblig de faire des articles sur la bijouterie ou la confiserie essayait de se consoler en glissant dans ce pensum quelques mots rares glans dans le dictionnaire des synonymes... ,

    Les romans policiers de Graham Greene sont meilleurs que ses romans thologiques, Paludes vaut plus que Les Nourritures Terrestres, etc... Tout cela est bien connu. Au cinma le problme

    se complique du /'fait quon peut toujours sauver un film en gchant systmatiquement les lments sur lesquels on ne peut rien (le scnario, ou les acteurs, ou le dialogue) au profit d un seul... Sternberg le savait bien qui n oubliait jamais : a) qui f tait, oprateur* b) quil tait amoureux de Marlne

    Dietrich... Le meilleur film de l)my- trick est Murder m y siveet, non pas

    Crossfire ou Giue u s t h i s Day... m ais, mystre, Les Am bersons et The L ady of Shaagai, li lm to u rn sur un argum ent stupide, on t une va leur rigoureu sem ent gale... - .

    Autre chose : le cinma est mi- chemin entre la littrature et les arts plastiques. Man Ray tait photographe d abord, surraliste ensuite, ce qui explique tout. Mais la peinture pure est une invention du vingtime sicle et le cinma a trop confondu son avant . garde avec celle d un art qui avait dj derrire lui Lonard de Vinci et . Rembrandt...

    Le baroque, qui est historiquement' une exaspration form elle du c la ss i

    cism e, est aussi un m o y en d exp res sion... le p arad ox e du c inm a, c est peut-tre que son ex p ress ion ne peut tre que baroque, c est--dire qui l ex prim e dautant p lus quil est p lu s for mel. 'Alexandre As truc ....

    Hom ard . . . Lobstej'- Bummer, ni.

    Il m arrive, les -jours de cafard, d avoir des inquitudes rtrospectives sur le gnie de notre cher Orsou Welles et de me demander si nous n avons pas tout de mme un peu exagr, si notre enthousiasme n est pas partiellement le fruit d une conjoncture historique, si nous ne nous sommes ( pas laisss avoir , s i le bonhomme tait bien aussi formidable que nous lavons cri sur les toits.

    27

    Orson

    Welles

  • Ceci dit, des circonstances in d p e n dantes de ma volont m ayant cart plus dun an durant de la frquentation du cinma, jy suis revenu avec une certaine fracheur ,de jugement que l exercice habituel du mtier mousse plus ou moins. Jai eu la chance, pour ; ma rentre sur les Champs-Elyses, de tomber sur deux films amricains int;_ ressants : Ail about Eue et Sunset Bon- ' levard. Jy ai pris grand plaisir m ais je me suis demand, propos surtout .du film de B illy W ilder dont la technique voque systmatiquement celle de Wel- les, si The Magnificent Ambersons ntait tout de mme pas beaucoup meilleur. Et bien maintenant je suis tranquille pour un bout de temps : nous ne nous sommes pas tromps sur son compte. Il n y a effectivement, rien eu de plus important Hollywood depuis dix ans que M. Orson Welles.'Et de trs loin. Ce sont des choses quil n est pas indiffrent de redire. A n d r B a z i n !

    ' C o u p e r e t . C C n S U T CC K o p p cf . Eackmcsser, . .

    Nous ne devons pas oublier un instant que le cinma - - le vrai cinma, le seul qui puisse compter - est guett actuellement par le plus stupide des tueurs gages. : la censure. Une censure anonyme , dailleurs, sans res; ponsables et sans responsabilits. On a pass sous silence, par exemple, l in terdiction pure et simple, sans l ombre dune justification, du Cuirass Potem-

    ' kine. Combien, parmi les 186 confrres de lAssociation - Franaise de la Critique de Cinma, en ont parl ? La prsentation du Cuirass Potemtine, classique entre les classiques, tait publique-et la censure aurait donc pu trouver des excuses. Ce premier pas accompli, le second devenait invitable : la mme censure a interdit un autre film qui devait tre projet titre strictement priv et professionnel : La Chine libre . Il s agit peut-tre dun pouvantable navet, mais c est nous d en juger. De ce pas, la critique deviendra un art confidentiel et' mme procdera par dductions (ce qui ne serait pas nouveau, mais pour dautres raisons). Lo D u c a .

    J o u r n a l .

    N cwspaper . ; Zeungy f .

    Quelle que soit lindiffrence que lon prouve lgard de la grande presse, il est im possible de ne p a s mentionner le scandaleux article de Raymond Cartier sur Chaplin paru dans Paris-Match (N 116, 9 juin 1951). ' Son parti pris imbcile, sa faon de conter le prodigieux itinraire de C h a plin comme une histoire difiante p o u r dames patronnesses, sa m conn ais sance totale des donnes h istoriques et psychologiques de luvre de Chaplin donnent posteriori une. ide avanta geuse des grands reportages. sur les U.S.. que Raymond Cartier p u b lie dans chaque numro de lhebdoma-, daire en question. Quand on songe au tirage- et au nombre de lecteurs de Paris-Match on frmit en pensant la multiplication des germes de n ia ise ries dposes ainsi dans les esprits n on \ prvenus des lecteurs trop presss p ou r . rflchir ou trop nafs pour son ger mettre en doute l autorit de la ch ose cr ite .1 (voir p ices jointes 1).

    J. D o n i o l - V a l c h o z e ,

    . iMoton.,S h e e p . H um m cl, m.f

    rfTV ' . . ' .

    Personnellement, jai peu le got des certitudes qui ne sont pas rem ises en

    28

    r~ . -

    Edward

    Dmytryk

    Chaplin

    et

    la Presse

  • question chaque matin. Moulins a pri- res, tables de la loi et ditoriux ne sont pas mon aflaire.

    La brusque conversion d E d ward Dmytryk, qui doit amuser bien des gens, ne relve pas, je le crains, dun examen rationnel des fondements du marxisme. Je peux trs bien com prendre que des gens rvisent leurs opinions. Des policiers en tiers n arrangent pas les choses. M. Dmytryk ne cesse pas davoir du talent parce quil sest rtract pour sortir de prison et retrouver du travail. Je ne me sens pas dou pour dcouvrir dans ses uvres passes les germes de sa trahison d aujourdhui, petit jeu habituel des . croyants fermes-comme-un-roc.

    Car il s agit bien de trahison. M. Dmytryk a purement et simplement donn un certain nombre de ses confrres, dont les policiers ignoraient les opinions subversives, confrres

  • Le destin des tmoins hollywoodiens qui ont rvl leur pass de communistes devant la Commission des activits- anti-amricaines semble un; peu. plus reluisant depuis que, la semaine . dernire, lun dentre eux, Edw ard Dmytryk a retrouv du travail. Pour les autres cela navait pas encore tourn aussi bien. Sterling Haydn et Richard Collins tournaient au moment o ils furent appels tmoigner. Hay- den avait la vedette de S kid iaiv et Collins crivait.le scnario de Bucking String en collaboration avec Sylvia Richards. Ils purent finir leur travail mais ils n ont rien retrouv' d atr depuis. Quant -Marc Lawrence il na plus travaill non plus depuis son t-, moignage du 24 avril. -

    Larry Parks qui est, de tous les tmoins ayant avou leur appartenance communiste, celui qui a la plus haute

    , cote au Box Office, a t la grande v ic time la p lu s1 marquante de ces vnements. Non seulement il na plus eu dengagements depuis son tmoignage du 21 mars, mais son contrat avec la Columbia a etc rompu par consentement mutuel . Son dernier film Love I.s Belter Than E vcr na pas t autoris sortir. et ne le sera sans doute jam ais /P ark est le seul tmoin

    . ayant avou qui ait exprim quelque dgot donner les noms de ses anciens camarades du parti.

    Lengagement de Dmytryk la semkine dernire par les producteurs indpendants Kings Brothers, pour diriger Mutiny, un film sur la guerre de 1812 dont le tournage doit commencer^'le 5 juin, est le premier symptme du dsir de ^industrie cinmatographique de fa ire ,une distinction entre les ex-coni- munistes qui ont coopr avec la Commission et ceux qui ont prfr garder le silence. Cs derniers sont nettement retranchs de la communaut. A tel titre que la semaine dernire la R.K.O. a engag Brian Don- levy pour reprendre, dans Slaughter Trail, le rle qui avait t entirem ent. tourn par Howard da Silva; toutes les scnes o jouait da Silva seront refaites. .

    Le prcdent Dmytryk est particulirement significatif car il tait un des dix qui en 1047 refusrent de; rpondre devant la Commission, refus qui e conduisit en prison. Son dernier film Hollyw oodien avait t Crossfire en 1947; depuis il avait dirig deux films en Angleterre. Le 25 avril dernier il

    revint devant la commission, reconnut - son ancienne appartenance au p arti et nomma ses anciens camarades com m unistes. . . ' .

    Les raisons philosophiques (sic) de ce changement d position, dit-il l autre jour, furent l entre en' guerre des Etats-Unis en Core. Sur un plan pJus personnel il expliqua que dautre part il avait nourrir une, femme et un enfant. Aprs que les Kings Brothers eurent rendu public leur contrat avec D m ytryk,. John S. Wood, le prsident de la Commission, v in t - H ollyw ood et dans un interview accord au Daily Variety dclara que c e t . engagement serait dune "rand aide pour la Commission, car il prouvait quil ne serait pas tenu rigueur un homme de sou tmoignagne, si son abandon du com munisme tait vraiment sincre, quil ne serait pas priv du droit de faire .

    'sa vie Hollywood . : (Thomas F. Brady. o t t o b k to r e s , 20 mai 1951).

    ' Washington* 22 mai. Jos Ferrer, laurat de IAcadmie Award, s est, accus dignorance et de lgret d e vant la Commission des activ its'an tiamricaines pour avoir laiss utiliser son nom titre de propagande sur de nombreuses listes du feont communiste depuis une demi-douzaine d annes. Il jura cependant quil navait jamais t . membre du parti n i mme sym pathisant avec ses ides et quil souhaitait que ce parti soit mis hors la loi (new york times, 23. mai 1951).

    , ' ' ' I - ' . ' . .

    Le clbr crivain Budd Scliul- berg a tmoign volontairement devant l a . Commission des activits anti-amricaines et rvla quil devint com m uniste en 1939, mais quil quitta le parti quand on voulu lui dicter ce quil devait crire, Il cita son cas com m e un exemple typique du contrle que ls communistes amricains voulaient' exercer sur les crivains linstar des Russes. Lcrivain (37 ans) expliqua la. Commission que la prem ire pression exerce su r1 lui fut le fait de Richard Collins et de John Howard

    Lawson, scnaristes, et de V.J. Jrme quil avait identifi comme un fonctionnaire du parti. Interrog sur ses,

    autres collgues, communistes, Schul- berg nomma Waldo Sait, Ring Lardner-

    : Jr. Lester Cole, John Bright, Paul Jarrico et Gordon 'Kahn, scnaristes; Herbert Biberman, ra lisateur'et Meta

  • Reis Rosenberg, agent de publicit. II raconta qu'il fut amen au parti par

    . Stanley Lawrence qui tait alors, le , chef du mouvement Hollywood et qui fut tu dans la Brigade Abraham Liu- coin en combattant aux cts des gouvernementaux durant la guerre d Espagne.' (Rosenberg rcemment convoqu, reconnut quil avait t membre du parti et qu?il avait dmissionn. Sait et Jarrico invoqurent la Constitution

    pour nc:pas repondre . (.P. Trussell, e w .Y o i iK i m e , 23 mai 1951). ,

    . '

    Washington, 24 m a i . Frank Tuttle, i ralisateur 3.000 dollars par semaine (sic), qui a dirig plus de 70 films dont Tueur gages, a dpos volontairement devant la Commission des activits anti-amricaines. Il a. reconnu quil avait t membre du parti communiste

    . pendant dix ans avant de raliser que e communisme tait une

  • L E T T R E DE N E W - Y O R K - . ' p a r - ,

    HERMAN G. WEINBERG" . ' i ' ' ;

    Herman G. Weinberg qui est un des animateurs de la F ilm Library du Musum of M odem Art de New-York ainsi qu'un producteur-ralisateur (il vient de produire et de superviser Knife Thrower) gui n'a jamais cess de dfendre une intelligente avant-garde et un cinma m dpndant des grands , courants commerciaux a bien voulu accepter de nous envoyer chaque mois une Lettre de New-York~ o il donnera; nos lecteurs la prim eur des principaux vnements cinmatographiques d outre-Atlantique. .

    _ New-York, juillet 1951Les trois films amricains les plus importants de la saison dt : The Bravo

    Bulls, Ace in the Hole et A Place in the Sun, reprsentent l effort le plus intressant fourni par Hollywood depuis AU About Eve et Sunset Boulevard.

    Th Brave Bulls est l histoire dun matador qui, parvenu au sommet de la gloire perd soudain confiance en lui et connat la peur et l hsitation chaque fois quil pntre dans l'arne. Il faudra la mort d un vieux matador encorn par un taureau destin au jeune torador pour que celui-ci retourne combattre afin de venger son vieux camarade et retrouve son courage de jadis.

    Ainsi rsume, cette histoire a l air dun trs classique mlo mais il en est tout autre la vision du film qui est pre, cruel et mouvant. Le choc psychologique que cause au jeune homme la mort du vieux matador na rien ici dun coup de thtre facile et illustre le vieil adage : cc Cest toi mme quil faut vaincre dabord ; le jeune bestiaire vainct sa peur quand il comprend quil na pas le choix. . . .

    Tourn entirement Mexico par Robert Rossen, dont on na pas oubli l admirable All the. Kings Men, The Brav Bulls est empreint dune' sorte dhumour, noir et adopte une attitude nettement anti-hroque envers ce jeu fatal que la Passionaria qualifiait l poque de la guerre civile espagnole; de cc barbare hritage Maure, de dcadence et d meurtre . '

    La colre sourde cpiz couve dans le film contre cette forme,de cirque popu- . laire sexprime, entre autres, par les mots que le hros adresse au taureau quil sapprte tuer pour venger son ami : cc Eux, dit-il en dsignant la foule qui rclame du sang et hurle la mort, eux ne savent pas ce que cest que dtr?. ainsi l un en face de l autre... toi et moi seuls le savons et, ce disant, il reprend, les paroles de Blasco Ibanez la fin A'Arnes Sanglantes quand pour montrer la vritable bte des courses de taureaux il dsigne la foule.

    ' ........................ . * . v . '

    Ace in the Hole est inspir dun fait divers authentique qui dfraya la chronique en 1920. Un certain Floyd Collins fut emprisonn dans une grotte plusieurs jours durant. Toute la presse sapitoya sur son sort mais il tait mort lorsque l on parvint l atteindre. . .

    Billy Wilder sest souvenu de cet incident pour raconter l histoire dun journaliste peu scrupuleux qui, chass de partout, se rhabilite. (si l on

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  • The Brave Bus, scne de travail. P ou r la ra lisation d 'u n e scne d o nnan t le point de vue d u torador, le cam eram an Jam es W ang low e accroche l appareil de prises de vues la cein tu re du m atador L u is Vasquez. On reconnat au centra , le ralisateur, Robert Rossen, et droite Lin te rp rle

    principal, Mel Fe rre r ,

    peut dire) et reconquiert la notorit en transformant un accident similaire (et qui allait passer inaperu) en catastrophe nationale, freinant le sauvetage de l emmur afin de gagner quelques jours de publicit supplmentaire. La foule est draine vers ce spectacle morbide et l atmosphre autour de la grotte devient celle dune fte foraine au fur et mesure quaffluent de tous les coins du pays les curieux qui veulent assister aux efforts des sauveteurs, efforts ralentis pour les raisons que l on sait. Finalement lorsquil apparat que la victijne de cette monstrueuse cure va mourir, le journaliste, prenant soudain conscience de sa culpabilit fait venir un prtre pour confesser le pauvre diable. Lhomme meurt. Le journaliste boulevers repousse les curieux et leur crie de rentrer chez eux le spectacle tant termin . ,

    La seule fausse note du film est sa lin : la femme de l emmur poignarde le journaliste dans une crise dhystrie. Jusqu cette scne, le film a l honntet et le ralisme brutal que l on pouvait attendre de Wilder. Le chtiment du charlatan n est quune concession l office Johnston : le journaliste tant responsable de la mort du pauvre diable doit tre puni. La morale est satisfaite mais cela ne prouve rien et n ajoute rien ce que Wilder a tent de dire. Ce dnouement thtral est artificiel et mutile. A ce m the H o le demeure cependant un dur morceau de critique sociale et la chose est assez rare aujourdhui Hollywood pour mriter dtre signale. Lensemble du film son

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  • liiily W ilder, Acc ht the Hole : K irk Itoup tas e t Jai S te r l in g Ce film v ie r t d tre slec tionn pourpour a B iennale de Venise.

    dialogue, son ambiance, la peinture des caractres tout cela est trs a amricain dans le meilleur sens du mot : quand le cinma amricain ose tre agressif, violent, il produit des chefs duvre. Cest pourquoi des films comme Double Indemnity, I lVas a Fugitive frorn a Chain Gang, Sunset Boulevard , AU about Eve, Ace in the Hole sont tous des uvres dont le principal moteur psychologique est la haine et possdent de ce fait un tranchant de rasoir.

    * . -

    La haine est galement l lment dominant du clbre roman de Thodore Dreiser An American Tragedy : haine dune certaine socit, haine dune famille, qui, faussant compltement le sens des valeurs chez un jeune homme sans caractre, le rendent incapable daffronter sainement l existence.

    Port une premire fois l cran par Josef von Sternberg avec son titre original, ce roman vient dtre a film une seconde fois par George Stevens sous le titre : A Place in the Sun jug plus convenable. I l a t jug plus convenable aussi de laisser la haine de ct, ce dont videmment ptit le film qui est en quelque sorte une version expurge du livre de Dreiser. Le jeune homme en question se trouve amen choisir entre deux jeunes filles avec lesquelles il est galement engag : l une est riche, belle et il la dsire; l autre est pauvre, lgre et il ne la dsire plus. Cette dernire se noie accidentellement au cours dune promenade en barque. Le jeune homme est inculp,

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  • George Stevens, A Place in th e S u n : M outgom ery Clift et K lizabeth Taylor.

    condamn et excut pour un crime quil n a pas commis mais auquel il avait pens. Ces quelques lignes rsument la vritable tragdie quexpose le livre et quand le film sen tient ce thme principal il atteint une relle et poignante intensit.

    La ralisation est techniquement ingnieuse, l histoire est commente en marge la fois par le son et l image ce qui est peu courant Hollywood. Mais, outre que le volumineux ouvrage en deux volumes de Dreiser a t adapt de faon ne pas dpasser la longueur dun film standard, ce qui nous prive de toute l tude de l atmosphre dans laquelle vit le jeune homme, tude indispensable la comprhension du drame qui va s abattre sur lui, le dnouement a t adouci de faon regrettable : pendant quil marche vers la chaise lectrique nous voyons en surimpression les images de sa courte aventure avec la jolie hritire, vocation qui tend sans doute laisser le spectateur sur une meilleure impression du genre : Aprs tout il n est pas tellement plaindreque a, il a serr cette belle fille dans ses bras___ etc... . Je doute fort quunjeune homme marchant la mort ait des penses aussi idylliques. Et tout naturellement on se surprend essayer dimaginer ce quaurait fait Eisenslein avec cette histoire si ses ngociations avec la Paramount avaient abouti et si il avait pu porter l cran sa version personnelle du roman la seule qui ait t approuve par Dreiser. Les passages connus de cette adaptation sont admirables et Eisenstein avait tenu voquer toute la jeunesse du hros et peindre minutieusement tout le climat social dans lequel il vivait.

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  • L E T T R E D E L O N D R E Sp a r

    JACQUES B. BRUNIUS

    Londres, Juillet 1951

    White Corridors. Il sagit des corridors blancs dun hpital. Je ne suis pas all voir White Corridors sans quelque apprhension. Les histoires dhpital, de mdecins et dinfirmires en proie, non moins que les acteurs (-ices), danseurs (-euses) et chanteurs (-antatrices) au sempiternel conflit amour- carrire, ne me font point accourir. Toutefois je les supporte gnralement

    * mieux que les histoires de peintres (tolrables parfois si on ne voit que le verso de leurs toiles), ou pire, de compositeurs de musique (buste de B., tortur, sur la chemine).

    En revanche les noms du metteur en scne et des interprtes mattiraient. Pat Jackson, sans contrat et inactif depuis plusieurs annes Hollywood, n avait rien montr depuis Western Approaches, un des meilleurs documentaires de guerre et l un des rares films o la couleur ntait jamais gnante, encore quelle fut superflue. White Corridors est donc son premier film depuis son retour, et son premier film de fiction .

    .Je ne suis pas fch davoir brav mes craintes. Pat Jackson m a, non seulement intress, mais mu, et, ce qui n est pas ngligeable, donn penser sur divers sujets. Entendons nous : je ne crois pas quon trouve dans son film matire vaticinations la mode sur le langage cinmatographique daprs- demain aprs-midi. Point non plus de personnalit fulgurante ou ambigu, apparente ou dans la coulisse. Nul mythe en formation ou en dliquescence. Il s agit simplement dun film bien fait, sur une histoire bien construite, remarquablement bien construite mme, avec chos, symtries discrtes, leitmotiv peu appuy, et un dnouement prsentant tous les caractres de la ncessit. Cest peut-tre dailleurs le dnouement qui prsente le plus doriginalit, en ce que l histoire finit la fois mal et bien.

    Un petit garon meurt dune septicmie rsistante la pnicilline. Le mdecin qui, en le soignant, sest inocul par accident (du moins il le dit) la mme infection, exige alors quon essaye sur lu i le nouveau prodnit sur lequel il exprimentait au laboratoire, produit encore considr comme dangereux, et dont l efficacit sur les tres