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26/11/13 Bruno Ledoux, collectionneur de l'impossible<br/> www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2012/08/03/01006-20120803ARTFIG00313-bruno-ledoux-collectionneur-de-l-impossible.php?print=true 1/4 LE FIGARO MAGAZINE Bruno Ledoux, collectionneur de l'impossible http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2012/08/03/01006-20120803ARTFIG00313-bruno-ledoux-collectionneur-de-l-impossible.php Mécène, entrepreneur, producteur, voyageur fasciné par le cours du temps, Bruno Ledoux possède l'une des plus grandes collections de souvenirs de la Révolution française et de l'épopée impériale. Dans l'étroit cabinet plongé dans l'obscurité, les formes d'un glaive se dessinent. La rare lumière qui filtre des persiennes n'éclaire que ce qui brille, puis, à mesure que les yeux s'habituent à la pénombre, d'autres trésors se révèlent. Pour la première fois avant son prochain transfert au palais du roi de Rome 1 à Rambouillet, au sein du futur musée que Bruno Ledoux se prépare à créer, son incroyable collection est dévoilée. Au milieu de mannequins de cire à l'effigie de Talleyrand, de Napoléon Ier ou de Roustan, son fidèle mamelouk, apparaissent des pièces essentielles de l'histoire de France. Un souvenir émouvant: la chemise que Louis XVI enleva la veille de périr sur l'échafaud, le 21 janvier 1793. Comme dans les caves du château de Moulinsart, des centaines d'objets, de tableaux, de livres et de documents sont exposés dans les vitrines de ce grand collectionneur de souvenirs historiques. Voici, par exemple, à portée de main, l'un des authentiques chapeaux de Napoléon 2 , la chemise retirée par Louis XVI avant d'aller à l'échafaud, les habits de Louis XVII 3 au Temple, ou les soldats de plomb du roi de Rome, le fils de l'Empereur et de Marie-Louise d'Autriche, mais aussi la table de travail de la chambre de Napoléon à Sainte- Hélène. Encore un pas et le trône impérial de Napoléon Ier, l'un des cinq connus, est là, juste à côté d'une des premières représentations peintes de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Sous verre étincellent les pistolets de Napoléon incrustés d'or par Boutet, à côté des assiettes de Sèvres du service des quartiers généraux emporté par l'Empereur dans son exil et des pièces d'orfèvrerie de Biennais, l'artisan qui illumina la cour impériale de ses créations et de ses bijoux. Au mur, les portraits de Bonaparte par Greuze, de Joséphine par Bouvier et de Napoléon par Gérard nous dévisagent, tandis que l'on tourne les Entre un mannequin à l'effigie de Talleyrand et l'un des trônes (réalisé par Jacob Desmalter) impériaux de Napoléon Ier: Bruno Ledoux. Il se prépare à créer un musée à Rambouillet, dans le palais du roi de Rome.

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LE FIGARO MAGAZINE

Bruno Ledoux, collectionneur de l'impossible

http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2012/08/03/01006-20120803ARTFIG00313-bruno-ledoux-collectionneur-de-l-impossible.php

Mécène, entrepreneur, producteur, voyageur fasciné par le cours du temps, Bruno Ledoux possède l'une des

plus grandes collections de souvenirs de la Révolution française et de l'épopée impériale.

Dans l'étroit cabinet plongé dans l'obscurité, les formes d'un glaive se dessinent. La rare lumière qui filtre des persiennes n'éclaire quece qui brille, puis, à mesure que les yeux s'habituent à la pénombre, d'autres trésors se révèlent. Pour la première fois avant son

prochain transfert au palais du roi de Rome1 à Rambouillet, au sein du futur musée que Bruno Ledoux se prépare à créer, sonincroyable collection est dévoilée. Au milieu de mannequins de cire à l'effigie de Talleyrand, de Napoléon Ier ou de Roustan, son fidèlemamelouk, apparaissent des pièces essentielles de l'histoire de France.

Un souvenir émouvant: la

chemise que Louis XVI enleva la

veille de périr sur l'échafaud, le

21 janvier 1793.

Comme dans les caves du château de Moulinsart, des centaines d'objets, de tableaux, de livres et de documents sont exposés dans lesvitrines de ce grand collectionneur de souvenirs historiques. Voici, par exemple, à portée de main, l'un des authentiques chapeaux de

Napoléon2, la chemise retirée par Louis XVI avant d'aller à l'échafaud, les habits de Louis XVII 3au Temple, ou les soldats de plomb duroi de Rome, le fils de l'Empereur et de Marie-Louise d'Autriche, mais aussi la table de travail de la chambre de Napoléon à Sainte-Hélène. Encore un pas et le trône impérial de Napoléon Ier, l'un des cinq connus, est là, juste à côté d'une des premièresreprésentations peintes de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Sous verre étincellent les pistolets deNapoléon incrustés d'or par Boutet, à côté des assiettes de Sèvres du service des quartiers généraux emporté par l'Empereur dans sonexil et des pièces d'orfèvrerie de Biennais, l'artisan qui illumina la cour impériale de ses créations et de ses bijoux. Au mur, lesportraits de Bonaparte par Greuze, de Joséphine par Bouvier et de Napoléon par Gérard nous dévisagent, tandis que l'on tourne les

Entre un mannequin à l'effigie de Talleyrand et l'un des trônes (réalisé par Jacob Desmalter) impériaux de Napoléon Ier: Bruno Ledoux. Il se prépare à créer un musée àRambouillet, dans le palais du roi de Rome.

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pages de l'unique maquette préparatoire de La Description de l'Egypte, un monument de l'édition. Dans un coin, le dernier cigare de

Churchill4 sèche dans son étui de cuir monogrammé, posé contre les célèbres jumelles du général de Gaulle5.

La collection historique et sa bibliothèque, constituées en une dizaine d'années seulement, sont stupéfiantes. «J'ai commencé paracheter un fragment de poème, Clisson et Eugénie, écrit par Napoléon dans sa jeunesse. C'était en 1999, se souvient Bruno Ledoux.Puis j'ai acquis le manuscrit de l'annonce de la victoire de la bataille d'Eylau et celui de la victoire de Friedland. Ensuite, j'ai continuéinlassablement, traquant l'objet le plus rare, à l'image de ce trône impérial provenant d'une très ancienne collection privée et dont onne connaissait l'existence que par le tableau peint par Robert Lefèvre pour l'hôtel de ville de Paris.»

Les mannequins de cire de Napoléon Ier, de «Madame Mère» et de Roustan, devant la table

de travail de la chambre de Sainte-Hélène.

Un homme épris de liberté qui aime mélanger les genres

Mais, s'il a pris du plaisir à tenir dans ses mains de nombreux objets emblématiques de la Révolution française et de l'épopéeimpériale, Bruno Ledoux entend désormais faire partager sa passion. «Dans le palais du roi de Rome, à Rambouillet, dont je viensd'acheter l'une des deux ailes, seront exposés de nombreux objets personnels de l'Empereur et de sa famille, mais aussi d'autressouvenirs historiques restés, jusqu'ici, dans le secret de collections privées, explique-t-il. Un objet, si infime soit-il, permet de donnerde la chair à l'Histoire et offre une perspective souvent inédite sur la personnalité de son propriétaire. Il fait sentir l'humanité desgrands hommes. En cela, il est un outil majeur de la muséographie contemporaine. Ici, dans ce lieu unique, ma collection prendraréellement tout son sens. Une approche que j'aimerais partager avec un partenaire, mécène ou entreprise.» Un nouveau projetd'envergure pour un homme épris de liberté qui aime mélanger les genres et s'amuse à casser les codes.

Fondateur et associé du groupe immobilier Colbert, Bruno Ledoux, 47 ans, propriétaire de l'immeuble de la rue Béranger qui hébergeLibération, est devenu l'actionnaire de référence du journal avec Edouard de Rothschild. Voilà pour l'état civil et la raison sociale. Maisce n'est là qu'une infime facette du personnage. Mécène, entrepreneur, producteur, voyageur, l'homme entrecroise au quotidien sesdifférentes vies. Plus souvent en polo et jean qu'en costume, perpétuellement en scooter, Bruno Ledoux promène sa longue silhouettedans les lieux les plus improbables, depuis Windsor jusqu'aux «maquis» de l'Oubangui et aux sentiers de la jungle de Papouasie. Dansl'hôtel particulier parisien qu'il occupe avec sa famille, le ton est donné et les repères, immédiatement brouillés. Une fois le discretporche franchi, le visiteur est plongé dans l'étrange atmosphère d'une maison de maître de la Belle Époque.

À l'intérieur, chaque objet est à sa place, comme s'il n'avait pas bougé depuis le temps des dandys et des grandes réceptions de Boni de

Castellane6. Pourtant, avant l'installation de Bruno Ledoux, les lieux n'étaient qu'un taudis. Sur plusieurs étages, la visite se poursuit,avec l'étrange sensation d'évoluer dans une maison hors du temps. Bruno Ledoux s'amuse. «À l'exception de quelques souvenirs defamille, dont ceux de mon grand-père, Albert Ledoux, ambassadeur de France et représentant personnel du général de Gaulle pourl'Amérique du Sud pendant la guerre, la très grande majorité du mobilier rassemblé a été acheté et mis en scène pour restaurerl'esprit des grandes demeures où tous les objets s'entassaient de génération en génération», explique-t-il en souriant. Lui vit au dernierétage avec Alexia et Olivia, ses deux filles, et sa femme, née Sonia de Maigret, petite-fille de Michel Poniatowski, qui a partagé tous sesrêves.

Bruno Ledoux dans son «salon des voyages», un espace personnel où des souvenirs

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d'expéditions lointaines côtoient des éléments du Concorde.

Le décor change. Tout est soudain épuré, fonctionnel, clair et ouvert sur la ville. Dans le salon, photos et souvenirs d'expéditionscôtoient le siège du pilote du Concorde et un réservoir de Mig 21. Un univers où la notion du temps se perd encore un peu plus. Né ausein d'une grande famille d'industriels, d'origine protestante, fondatrice de l'entreprise Peñarroya, devenue Metaleurop, premierproducteur mondial de plomb et de cuivre, Bruno Ledoux suit le cursus honorum classique de la haute bourgeoisie parisienne: collègeSaint-Louis-de-Gonzague, lycée Janson-de-Sailly. Son père, centralien, diplômé en physique nucléaire, homme d'affaires, essayiste(auteur de Du savoir à l'inconnaissable) et fin connaisseur de la Révolution et de l'Empire, lui donne très jeune le goût pour l'histoire.Du côté maternel, il est issu de militaires qui participent à toutes les guerres françaises, à l'image de son aïeul, le général Détrie, quiremporte le célèbre combat du Cerro del Borrego, au Mexique, ou de son autre grand-père, le colonel Roger Détrie, commandant del'aéroport de Maison-Blanche à Alger, qui arrêta Ben Bella.

En fils de bonne famille, il suit une ligne droite et devient ingénieur alors qu'il sait parfaitement qu'il n'est pas fait pour cela. Il faitmath sup, math spé et les Arts et Métiers, mais aurait préféré faire Sciences-Po. Il entre alors en troisième année d'économie àDauphine, rattrape les cours, passe sa maîtrise (il finira même par y enseigner), puis entame un troisième cycle à la London School ofEconomics. Son parcours est sans faute. Le jeune homme intègre la filiale anglaise de Total et s'occupe de plates-formes pétrolières enmer du Nord. Mais il s'ennuie et préfère hanter les salles des ventes de Sotheby's et Christie's situées à deux pas de ses bureaux.

À 26 ans, il rentre à Paris et, avec une multitude de prêts étudiants, commence par acheter un, puis deux studios dans l'espoir de sefaire un peu d'argent. Puis il se prend au jeu et multiplie les appartements qu'il rénove. Logeant dans un petit studio rue Chappe avecSonia, associé avec son meilleur ami, Bertrand Ameil, sans un sou ni l'un ni l'autre, ils se débrouillent pour acheter L'Ami Butte, petit

hôtel meublé et dernière vraie pension de famille de Montmartre7. Il y rencontre le nain Pieral, Michou ou encore Dalida8. Mais il estexproprié et achète une boucherie qu'il transforme en crêperie, L'Utrillo. On y déguste la crêpe Van Gogh, la Picasso et même la crêpeLedoux, sa première invention en quelque sorte. Il finit par posséder des restaurants, continue d'acquérir des appartements et achèteavec son épouse le joaillier Técla, rue de la Paix, aux héritiers du fondateur.

Le palais du roi de Rome à Rambouillet. Propriétaire d'une des deux ailes, Bruno Ledoux va y

créer un musée.

Quand arrive la crise immobilière de 1985, rejoint par un parent de sa femme, Pierre de Maud'huy, il réussit à faire l'acquisition depetits immeubles, puis profite de l'arrivée des fonds anglo-saxons sur le marché français. Les banques le suivent. À partir des années

2000, il prend des participations dans des opérations de plus en plus importantes, achète les tours Mercuriales9, construit le golf deSaint-Tropez et traite avec le premier ministre marocain pour l'extension de la ville d'Essaouira-Mogador. L'homme va vite et gagne dutemps, de l'indépendance. C'est une obsession. Avec son ami Thierry Lacan, il invente Ice Rocks, les premières barquettes de glaçonsd'eau de source sécurisée, avec lesquels il remporte de nombreux prix, puis il cède le brevet à un entrepreneur canadien.

Le Bodyjet, un jetpack

révolutionnaire à

propulsion par réaction et à

commandes électriques

À 35 ans, il commence sa collection et part avec sa femme un mois chez les Pygmées Aka entre la République centrafricaine et le

Congo10. Un choc. Puis il repart en expédition en Irian Jaya, zone presque inexplorée, à la rencontre des tribus papous. «Plus nous nousenfoncions dans la jungle, plus nous remontions le temps, raconte Bruno Ledoux. Ce fut un des moments les plus forts de ma vie.» Le

goût du voyage ne le quitte plus. En 2010, il part avec ses filles dans la vallée de l'Omo entre le Soudan11 et l'Ethiopie12 et se rendra

avec elles, cette année, jusqu'au camp de base de l'Everest. Coproducteur du premier film de Maïwenn13, Pardonnez-moi, il travailleactuellement à l'écriture d'un scénario sur la vie de Mme Tussaud et conçoit avec le designer australien Marc Newson le Bodyjet, un

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réacteur dorsal révolutionnaire à propulsion par réaction et à commandes électriques. Un rêve de gosse.

Aujourd'hui, Bruno Ledoux est prêt à repartir de zéro, à céder la quasi-totalité de ses actifs et à revendre son hôtel particulier pourvoyager sans contraintes avec Sonia, qui poursuit avec succès une carrière dans la mise en scène au théâtre, et retrouver ses sensationsde jeunesse et d'insouciance. «Je suis peut-être à la moitié de ma vie. Je refuse de vivre dans une prison dorée. Car le bien-êtrematériel n'a de sens pour moi que s'il crée de la liberté et non de la contrainte. Après avoir joué en ma faveur, le temps est de plus enplus difficile à maîtriser. La maîtrise du temps et de l'espace, voilà ce qui fait battre mon coeur.»

LIRE AUSSI:

» Yorke, incroyable fou du volant14

» Jeanne Augier, la Dame du Negresco15

» Loup gris, l'Indien normand16

Liens:

1 http://fr.wikipedia.org/wiki/Palais_du_Roi_de_Rome

2 http://plus.lefigaro.fr/tag/napoleon

3 http://plus.lefigaro.fr/tag/louis-xvi

4 http://plus.lefigaro.fr/tag/churchill

5 http://plus.lefigaro.fr/tag/general-de-gaulle

6 http://fr.wikipedia.org/wiki/Boniface_de_Castellane_%281867-1932%29

7 http://plus.lefigaro.fr/tag/montmartre

8 http://plus.lefigaro.fr/tag/dalida

9 http://fr.wikipedia.org/wiki/Tours_Mercuriales

10 http://plus.lefigaro.fr/tag/congo

11 http://plus.lefigaro.fr/tag/soudan

12 http://plus.lefigaro.fr/tag/soudan

13 http://plus.lefigaro.fr/tag/maiwenn

14 http://www.lefigaro.fr/international/2012/07/26/01003-20120726ARTFIG00552-lyndon-yorke-merveilleux-fou-du-volant.php

15 http://www.lefigaro.fr/arts-expositions/2012/07/20/03015-20120720ARTFIG00339-jeanne-augier-la-dame-du-negresco.php

16 http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2012/07/05/01016-20120705ARTFIG00741-loup-gris-l-indien-normand.php

journaliste 4 abonnés

Cyril Hofstein

Journaliste