aux confins du monde physique et du monde psychique essai sur le thème du réferentiel

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Aux confins du monde physique et du monde psychique Essai sur le theme du referentiel par Andre ORY * Resume Cet article expose et analyse la notion de referenriel a laquelle Gonseth avail consacre son dernier livre. II distingue un referentiel personnel qui comporte deux aspects (referentiels naturel et cognitif) et un referentiel de groupe qui lui aussi presente diverses modalites (referentiels lin- guistique, social, ideologique, religieux, referentiel d’une communaute scientifique). Entre les referentiels personnels et les referentiels de groupe s’etablit une symbiose existentielle favorisant les interactions. Cette notion de referentiel peut Stre utilisee avec profit pour decrire et interpreter les relations que I’hommc entretient avec ses semblables, avec les collectivites dont il fait partie ct avec le milieu naturel dans lequel il se trouve engage. Summary This article presents and analyses the notion of reference frame, to which Gonseth devoted his last book. A personal reference frame involving two aspects (natural and cognitive reference frames) is distinguished from a group reference frame which also takes various forms (linguistic, social, ideological and religious reference frames, the reference frame of a scientific community). Personal and group reference frames are in an existential symbiosis fostering interactions. This notion of reference frame may be used to advantage in describing and interpreting the relations between man and his fellow man, his organizations, and his natural environment. Zusammenfassung Dieser Artikel erlautert und analysiert den Begriff des Bezugsrahmens (referentiel), dem Gonseth sein letztes Buch gewidmet hat. Er unterscheidet zwischen einem personlichen Bezugs- rahmen, der zwei Aspekte enthalt (den naturlichen und den kognitiven Bezugsrahmen), und eineni Gruppenbezugsrahnien, der seinerseits auch verschiedene Modalitaten aufweist (einen (in- guistischen, sozialen, ideologischen und religiosen Bezugsrahmen sowie den Bezugsrahmen einer *issenschaftlichen Gemeinschaft). Zwischen den personlichen Bezugsrahmen und den Gruppen- bezugsrahmen entsteht eine existentielle Symbiose, die Interaktionen begunstigt. Dieser Begriff des Bezugsrahmens kann mit Gewinn dazu verwendet werden, diejenigen Relationen zu beschrei- ben und zu interpretieren, die der Mensch zu seinesgleichen unterhalt sowie zu den Gemeinschaf- ten, denen er angehbrt, und zur naturlichen Umwelt, in der er sich vorfindet. * La Muree, CH-1864 Vers-I’Eglise. Dialectica Vol. 44, No 3-4 (1990)

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Page 1: Aux confins du monde physique et du monde psychique Essai sur le thème du réferentiel

Aux confins du monde physique et du monde psychique

Essai sur le theme du referentiel

par Andre ORY *

Resume Cet article expose et analyse la notion de referenriel a laquelle Gonseth avail consacre son

dernier livre. I I distingue un referentiel personnel qui comporte deux aspects (referentiels naturel et cognitif) et un referentiel de groupe qui lui aussi presente diverses modalites (referentiels lin- guistique, social, ideologique, religieux, referentiel d’une communaute scientifique). Entre les referentiels personnels et les referentiels de groupe s’etablit une symbiose existentielle favorisant les interactions. Cette notion de referentiel peut Stre utilisee avec profit pour decrire et interpreter les relations que I’hommc entretient avec ses semblables, avec les collectivites dont il fait partie ct avec le milieu naturel dans lequel il se trouve engage.

Summary This article presents and analyses the notion of reference frame, to which Gonseth devoted

his last book. A personal reference frame involving two aspects (natural and cognitive reference frames) is distinguished from a group reference frame which also takes various forms (linguistic, social, ideological and religious reference frames, the reference frame of a scientific community). Personal and group reference frames are in an existential symbiosis fostering interactions. This notion of reference frame may be used to advantage in describing and interpreting the relations between man and his fellow man, his organizations, and his natural environment.

Zusammenfassung Dieser Artikel erlautert und analysiert den Begriff des Bezugsrahmens (referentiel), dem

Gonseth sein letztes Buch gewidmet hat. Er unterscheidet zwischen einem personlichen Bezugs- rahmen, der zwei Aspekte enthalt (den naturlichen und den kognitiven Bezugsrahmen), und eineni Gruppenbezugsrahnien, der seinerseits auch verschiedene Modalitaten aufweist (einen (in- guistischen, sozialen, ideologischen und religiosen Bezugsrahmen sowie den Bezugsrahmen einer *issenschaftlichen Gemeinschaft). Zwischen den personlichen Bezugsrahmen und den Gruppen- bezugsrahmen entsteht eine existentielle Symbiose, die Interaktionen begunstigt. Dieser Begriff des Bezugsrahmens kann mit Gewinn dazu verwendet werden, diejenigen Relationen zu beschrei- ben und zu interpretieren, die der Mensch zu seinesgleichen unterhalt sowie zu den Gemeinschaf- ten, denen er angehbrt, und zur naturlichen Umwelt, in der er sich vorfindet.

* La Muree, CH-1864 Vers-I’Eglise.

Dialectica Vol. 44, No 3-4 (1990)

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Introduction

1. La science n’est pas vraiment objective. Qu’on le veuille ou non, elle porte en elle, dans sa forme et dans son contenu, la marque de ceux qui ont pour r61e de la creer et de la gerer.

Elle affirme cependant son intention d’objectivitk, une intention qui l’amene a faire son examen de conscience et a s’interroger sur les conditions subjectives de sa propre elaboration.

On est amen6 a se poser les questions suivantes: - Quelle est, dans la connaissance scientifique, la part imputable a la sub-

jectivite de l’homme de science - chercheur ou penseur - considere individuellement ?

- Comment se manifeste, dans cette subjectivite individuelle, celle du milieu culture1 ambiant?

Pour essayer d’y voir clair, Gonseth fait appel a la notion de referentiel, une notion assez banale au depart, mais qu’il va developper et transformer a sa manitre.

Cependant le rkferentiel gonsethien n’est pas lie a l’horizon particulier de la science. Tel que le conCoit son auteur, il va se reveler apte a jouer un rdle Pclairant dans toutes les situations ou se pose le probl6me de I’objectivite‘. C’est dire que son domaine d’intervention s’etendra a toutes les activites dans lesquelles l’homme se trouve engage en tant qu’etre pensant.

2. Dans son dernier ouvrage, intitule Le referentiel, univers oblige‘ de me‘diatisation I , Gonseth suggere que de nouvelles recherches soient entrepri- ses, dans differentes directions, sur le theme du referentiel.

On peut s’attendre a ce que l’etude approfondie de la fonction du referentiel perrnette de penetrer plus avant dans la connaissance de tous les aspects de I’Ctre en situation, qu’il s’agisse d’un Ctre collectif ou d’un Ctre individuel. (173) Le chapitre des rapports de coexistence ou d’incompatibilite entre referentiels, tant individuels que collectifs, est sans doute l’un des plus importants de la connaissance des hommes et des societes. I1 n’est encore qu’entr’ouvert. (144)

Le present expose va dans la sens de ce dtsir. En plus d’une vue d’ensemble de idees de Gonseth, on y trouvera un certain nombre d’inter- pritations, d’ajustements et de developpements inedits. Ces accommode- ments sont inspires, les uns, par des raisons inherentes au propos de Gonseth hi-meme, les autres, par le souci de prendre en compte les exigences d’une approche moderne des problemes en cause.

I Editions L’Age d’homme, 1975 - Toutes les citations donnees dans cette etude sont tirees de cet ouvrage (entre parentheses, les numeros des pages).

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Les amenagements concernent en particulier la maniere d’envisager les relations entre les personnes et les groupes, les connexions, le fait de la com- munication et celui de la symbiose existentielle qui prolonge, d’une certaine maniere, les vues de Gonseth sur les rapports entre referentiels. On notera aussi un affinement de la notion meme de referentiel (distinction entre refe- rentiel nature1 et referentiel cognitif). Au nombre des adaptations de moindre importance, il faut mentionner le remplacernent - la oh c’etait possible et utile - des concepts d’individu et de collectivite par ceux de personne et de groupe, moins charges de connotations reductionnistes. De meme, la notion de ((projet de vie)) (empruntee a Jacques Monod) a ete abandonnee au profit de celle d’elan structurant, qui n’est certes pas equivalente, mais qui repond mieux aux exigences de la situation.

Ces amenagements peuvent paraitre importants. Peut-ttre le sont-ils. 11s n’impliquent pas pour autant un changement d’orientation ou de methode. Nous y voyons, quant a nous, I’amorce d’une ((continuation)), au sens meme que Gonseth pretait a c e mot vers la fin de sa vie.

La notion de rkferentiel

Dans la vie de tous les jours, les exemples de systemes de reference (ou referentiels) sont nombreux: plans et cartes geographiques, horaires, pro- grammes, catalogues, lois et reglements, dictionnaires, textes d’auteurs.

Le meme mot designe, en geometrie analytique, un systkme d’axes de coor- donnees. En theorie de la relativite, il prend le sens d’universpropre a I’obser- vateur: le referentiel relativiste comporte, rappelons-le, trois dimensions spa- tiales et une dimension ternporelle.

Considerons encore le paysage (visuel, auditif, etc.) qui se prtsente a nous, ici et maintenant. Ce paysage est aussi un referentiel: il est notre paysage de rkfe‘rence. Nous nous en servons pour situer ce que nous voyons (ce que nous entendons, etc.) et pour nous situer nous-memes. Fait a relever: il nous est lie. I1 depend, pour chacun d’entre nous, de l’endroit oh nous nous trouvons, ainsi que de notre pouvoir de perception. En outre, son statut d’existence est double: iI est a la fois realite dans le monde et figuration en nous. Car ce qui se manifeste dans notre conscience, ce n’est pas le paysage en soi, mais seule- ment sa representation ou, si I’on veut, son image.

Le rkferentiel gonsethien

Gonseth part de la constatation que tout sujet, individuel ou collectif, porte en lui un systeme integre de references qui l’aide a regler son comporte- ment et a se situer dans le monde. C’est a ce systeme qu’il va s’interesser.

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Le referentiel a force de systeme de reference pour tous les horizons de realite et les for- mes d’activite que la situation comporte. (31) Le mot referentiel en vient a signifier I’ensemble (explicite ou implicite) des prealables faute desquels telle ou telle activite systematique ne pourrait avoir lieu. (22)

Le rkfkrentiel gonskthien est de nature plus intime que les referentiels con- ventionnels et I’univers relativiste dont il a ete question tout a l’heure. I1 fait partie integrante du sujet. Cependant celui-ci n’est en general pas conscient de son existence.

Un peu comme le paysage de reference, le referentiel gonsethien se pre- sente sous deux aspects: il est a la fois actualisation dans I’intimite des pro- cessus vitaux et figuration dans l’univers de la conscience. Selon l’aspect envisage, nous parlerons de rkfkrentiel naturel ou de rkfkrentiel cognitu. Ces deux aspects ne sont pas de m@me nature, mais ils sont lies. Le referentiel naturel conditionne l’ensemble des comportements du sujet. Le referentiel cognitif se manifeste - en plus du referentiel naturel, ou a sa place - dans les situations oh la conscience est impliquee: gestes contrbles, comportements rai- sonnes, activites mentales. Le premier sous-tend le second, bien souvent il s’y reflete, mais on ne saurait pour autant conclure a l’existence d’une veritable harmonie entre les deux aspects du referentiel gonsethien. On dtcouvre au contraire, chez la plupart des sujets, des zones plus ou moins etendues de non- concordance, voire de contradiction.

Le rklkrentiei personnel

La rkfkrentiel personnel conditionne aussi bien le comportement physique que le cours des pensees de la personne consideree. Les processus dans les- quels il intervient peuvent (mais ne doivent pas necessairement) obeir a la volonte consciente. Si l’on s’en rapporte aux observations qu’on a pu faire dans des domaines particuliers (recherche scientifique, psychologie de l’enfant), il semble bien que le referentiel personnel comporte ou implique: - un capital informationnel (qui se reflete dans la vision des choses, le

savoir-faire, le ccsavoir-communiquer))) - des structures in formationnelles (qui groupent et organisent les 616-

ments du capital, president a leur engagement dans l’action et dans la reflexion, et prefigurent les pouvoirs de la pensee)

- des activitks internes (integration d’elements nouveaux, auto-amenage- ment)

- des orientations fondamentales (ouverture a l’experience et a la com- munication, recherche d’une plus grande efficacite et d’une plus grande autonomie)

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Les choses se presentent comme si le sujet portait en h i , par dela son refe- rentiel, un Plan structurant, une sorte de vouloir Clementaire - vouloir-Stre, vouloir-devenir - susceptible de s’actualiser a travers l’organisation et le mode de fonctionnement du referentiel. Cette remarque n’est pas sans rap- peler les vues de Kepler qui, voici trois sikcles, attribuait a une ((force structu- rante,, (vis formatrix) le fait que l’esprit humain est capable de s’adapter - et mSme de se depasser - quand il est confront6 a un probleme apparemment au-dessus de ses forces.

Le referentiel ne connait pas de repos. Sans rel%che, dans l’intimite du sub- conscient, il remplit la fonction qui lui a ete assignee par la nature, un peu comme les poumons assurent la fonction de la respiration. Tout au long de son existence, I’organisme est parcouru par un flux ininterrompu de stimuli, vehiculant des informations destinees a Stre saisies par le referentiel, ou dis- tribuees par lui et portant sa marque. Ainsi, le referentiel est en perpetuelle activite, et en perpetuel devenir. Son histoire, c’est celle d’une succession de prises en compte, d’adaptations, de transformations, de restructurations et d’auto-dkpassements. C’est aussi celle d’une participation intime et perma- nents a I’&tre et au devenir du sujet. Le referentiel. . . se projette dans ses anticipations et se reflete dans la reconstruction de ses positions anterieures. (173) Une mutation de referentiel peut s’accompagner d’un progres dans I’objectivite du jugement et dans la justesse des comportements. (146)

Gonseth s’est intkresse a la genkse du referentiel et, notamment, a la maniere dont se constituent les pouvoirs de I’intelligence chez l’enfant (sens de I’espace et du temps, notions d’ordre linkaire, de causalite, etc.). Apres avoir constatk que certaines dispositions sont innees, il a releve que d’autres, tout aussi nkcessaires, doivent Stre acquises, et cela au prix d’un effort du sujet. I1 met en garde contre l’idee selon laquelle il existerait une ccharmonie pret- tablien entre l’univers subjectif de l’enfant et le monde reel. L’harmonie n’est pas prketablie: a la naissance, elle est seulement possible. L’enfant devra la conquerir, avec l’aide indispensable de son entourage.

D’une personne a l’autre, les referentiels diffkrent en fonction des disposi- tions physiques, des sensibilites, des vecus. Chaque individu possede son refe- rentiel bien a lui, parfaitement personnalise comme le sont les empreintes digi- tales et les genes chromosomiques. On peut donc s’attendre a rencontrer des refkrentiels plus ou moins elabores, plus ou moins efficaces, plus ou moins souples, plus ou moins adaptes aux exigences d’une activite determinte. On en trouve aussi qui presentent des deficiences et des malformations graves. Un refirentiel pathologique ne pourrait-il pas faire obstacle, et m&me gravement, a la poursuite d’une existence normale? (179)

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Les relations entre personnes dependent de l’existence de references com- munes. Une concordance insuffisante des referentiels peut engendrer des blocages et des malentendus; elle explique la peine qu’on eprouve parfois A se mettre “dans la peau” d’autrui. On a coutume de dire que ce ne sont pas les choses qui divisent les hommes, mais l’opinion qu’ils en ont. Le probleme de la compatibilite des opinions est donc aussi celui de la compatibilite des rkfe- rentiefs: il s’impose comme un probleme-clC a l’attention de ceux qui s’interes- sent a la nature et au mode de fonctionnement des relations entre personnes.

La personne face a son propre rkfkrentiel

L’intention d’objectivitk (cf. p. 230) implique que toute quCte de savoir, pour &tre admissible d’un point de vue scientifique, doit Ctre soumise de bout en bout au contr8le de la pensee discursive (ou, si l’on prefere, de la raison). La recherche doit (ou devrait) se dtrouler dam le cadre ccconnui) de la conscience, selon les modalitks ueconnues)) de la methode scientifique.

Dans une situation de recherche supposee idbale, le sujet (qui mtne l’enquste) tend a considkrer qu’il n’est pas present sur la scene de sa con- science. Son referentiel n’y est pas non plus, car ce n’est pas lui qui doit Ctre examine. Toute la place est occupte par l’objet (qui est vise par I’enquCte), ou par ce qu’on en sait. Cette situation constitue le prealable indiscute de toute demarche ((objective)); elle durera aussi longtemps que durera l’enquete.

Mais, dira-t-on, que se passe-t-il si le sujet pretend examiner sonproprerkjk- rentiel? L’objet Ctant indissociable du sujet, la situation que nous avons quali- fiee d’idkale n’est plus realisable. Faute de pouvoir se dedoubler, le sujet doit choisir: ou bien il renonce, ou bien il se rabat sur une mithode moins fiable que la methode scientifique traditionnelle.

Dans ce dernier cas, Gonseth envisage deux cheminements possibles: - la voie de f’intimitk, qui consiste en une simple introspection, sans pre-

tention d’objectivite au sens generalement admis - la voie de l’altkritk, qui est celle d’une observation indirecte, et qui

comporte l’intervention d’un assistant appelt a figurer le sujet (ou son referentiel) dans le r81e de l’objet.

Pour des raisons d’ordre methodologique, Gonseth donne la preference a la voie de l’alterite. I1 re lke toutefois que l’efficacite de la demarche dependra de la qualit6 du dialogue qui s’ktablira entre le sujet et son ((alter ego)).

Le rkfkrentiel de groupe

Pour faire figure de sujet, un groupe - quel qu’il soit - doit manifester, en permanence ou a l’occasion, un comportement sptcifique. I1 doit montrer

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autre chose que le comportement cumule des personnes qui le composent, tel qu’on pourrait l’imaginer en l’absence du contexte de groupe.

Quand cette condition est remplie, le groupe ne se contente plus d’addi- tionner les personnes: il les integre, les depasse et exerce une influence, parfois irresistible, sur le cours de leurs actes et de leurs pensees.

Un tel sujet peut Ctre ephemere, comme le public d’un stade, ou stable, comme la population d’un pays. I1 n’a pas besoin, pour exister, d’Ctre claire- ment delimite.

Dans la ligne de ce qui a ete dit plus haut (p. 231), nous appellerons rkfk- rentiel de groupe l’ensemble integre des references que le groupe porte en lui et dont il se sert, consciemment ou non, pour regler son comportement (externe et interne) et se situer dans le monde.

Le referentiel de groupe est extraordinairement vaste et complexe (surtout s’il appartient, comme nous le supposerons implicitement dans la suite, a un groupe de grande extension). 11 se reflete dans la langue, la culture, les struc- tures sociales, les institutions, la morale, les ideologies, les mythes. De prime abord, son approche peut paraitre relativement a ide, parce que certains phe- nomenes revelateurs se produisent devant nous, sous la forme de phenomenes sociaux, et non dans l’intimite de la conscience ou du subconscient, comme dans le cas du referentiel personnel. Mais l’avantage de cette situation est moins grand qu’il n’y parait.

Au vu des observations qu’on a pu faire dans des domaines particuliers (vie sociale, relations intercommunautaires, activites de recherche et de com- munication), on peut dire que le referentiel de groupe presente, pour l’essen- tiel, un profil semblable a celui du referentiel personnel: un capital informa- tionnel (qu’on peut interpreter comme un potentiel d’engagement), des struc- tures, des activites internes, des manikres d’Ctre. On constate d’ailleurs, entre referentiels personnels et referentiels de groupe, des correspondances, des connexions et des rapports existentiels sur lesquels il y aura lieu de revenir.

On voit ainsi se dessiner presque d’eux-msmes les grands elements d’un referentiel col- lectif que sont les religions, les traditions, les mceurs et les coutumes etablies, les struc- tures sociologiques, en mCme temps que les sentiments, les mythes et les vues sur I’homme qui leur sont associes, leur ensemble garantissant la survie (l’effectuation du projet d’exister) de la collectivite. (194) II arrive meme que, pour telle ou telle communaute ou dans telle ou telle circonstance, il [le referentiel] prenne la forme d’un referentiel collectif plus ou moins imperatif. Ici, on pensera tout naturellement au cas extreme des idkologies. (144)

Le referentiel de groupe se trouve stabilise, dans une certaine mesure, par l’existence d’innombrables documents concrets, ecrits ou autres, a travers les- quels il transparait, et qui sont congus pour durer, parfois mCme pour servir

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explicitement de references. Cependant, il assume sa fonction sans desemparer. Constamment en eveil, il se saisit des informations qui sont a sa portee (et dont les personnes ne sont pas necessairement conscientes), il les met en forme et se les incorpore, se remet hi-m@me en question, s’adapte, se transforme. Dans des cas extrsmes, les changements peuvent prendre le carac- tere de veritables mutations; on parle alors, parfois, de revolutions. Ainsi, inlassablement, le referentiel de groupe fait face a la situation, participant a 1’Ctre et au devenir du groupe. Son histoire fait partie integrante de l’histoire du groupe; sans doute en est-elle un des aspects les plus instructifs et les plus passionnants.

Parmi les groupes les plus stables, nombreux sont ceux qui sont suffisam- ment integres pour faire figure de sujets: ainsi, par exemple, la famille humaine, considerbe dans son ensemble; les grandes communautes linguis- tiques, culturelles et religieuses; les principales communautes territoriales (Etats, cantons, communes); les formations politiques (partis); les groupe- ments professionnels; la communaute scientifique. Ces groupes se che- vauchent, s’emboitent et s’entremdent de toutes les manieres, formant un tissu social extrsmement dense et complexe. Leur diversite se reflete dans l’eventail de leurs referentiels. C’est ainsi qu’un referentiel de groupe peut Ctre ouvert ou intolerant, dynamique ou rigide; il peut temoigner d’une certaine force d’assimilation, ou au contraire provoquer la segregation et l’isolement. L’Ctude des referentiels de groupe reste a faire. Sans doute contribuera-t-elle a mettre en lumiere certains aspects peu connus de la realit6 sociale et inter- communautaire.

Rkfkrentiels linguistiques

La langue vivante, fait collectif, est necessairement associee a une comrnu- nautP linguistique et a son referentiel (de groupe). Elle est elle-mCme un refe- rentiel (mais pas un referentiel gonskthien, a proprement parler). Nous dirons qu’elle est le refkrentiel linguistique de la communaute.

Le referentiel linguistique comprend la langue parlee, la langue ecrite, les oeuvres litteraires. I1 porte en h i le vecu de la communaute, sa culture, sa sen- sibilitk, ses aspirations.

A la fois vecteur de communication, facteur de cohesion et instrument au service de la pensee, la langue joue un r81e essentiel non seulement dans la vie de la communaute, mais aussi dans celle des personnes qui en font partie. Quand on sait les pouvoirs extraordinaires de la langue: expression, kvoca- tion et mCme anticipafion, on comprend l’influence, a la fois integrante et sti- mulante, qu’elle peut exercer sur ceux qui la parlent.

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On comprend aussi que le referentiel linguistique se trouve obligatoire- ment implique dans tous les referentiels (gomethiens) de son aire de diffusion, qu’il s’agisse de referentiels de groupe ou de rkferentiels personnels.

La coexistence de langues differentes implique des tlches de traduction. On conGoit que, pour faire de bonnes traductions, il ne suffira pas de maitriser les langues dans leurs formes et dans leurs structures: il faudra, en plus, savoir changer de rt!ft!rentiel. La reside, parfois, la plus grande difficulte.

L’usage en commun d’une langue de communication est, pour les humains, une condi- tion et une garantie de l’existence d’une communaute en tant qu’Ctre collectif. (194) Un dictionnaire de la langue franqaise, par exemple, n’est que partiellement, imparfai- tement et incompletement en possession de chacun de ceux qui parlent le franqais. I I n’en est pas moins, pour tous a la fois, une fonction d’unification et d’integration dont chacun benkficie, directement ou indirectement. (150) On peut se demander jusqu’a quel point les structures logico-mathematiques elemen- taires se trouvent prkfigurees d a m la langue dont elles emergeraient par une elabora- tion appropriee. (199)

Re feren t iel scientifique

La science est aussi un fait collectif. Structure vivante, elle est like existen- tiellement a un groupe, la communautt! scientifique (dont font partie ceux qui exercent une activitt scientifique) et a son referentiel. Elle est elle-m@me un referentiel. Nous dirons qu’elle est le refkrentiel scientifique du groupe.

Celui-ci englobe la science tout entiere avec son vocabulaire, ses symboles, ses theories, ses methodes et ses principes. I1 est sous-tendu par la volontt d’une ouverture active a I’expkrience et d’une parfaite communicabilitt!.

On se gardera de confondre le referentiel scientifique avec les rtferentiels conventionnels (systemes d’axes, systemes d’unites physiques, referentiel rela- tiviste, etc.) dont la science se sert habituellement dans son discours. Le rkfk- rentiel scientifique integre ces referentiels conventionnels, tout en ktant d’une autre nature et en les depassant largement.

Le referentiel scientifique intervient de maniere informante, structurante et orientante dans les activites humaines les plus diverses, allant de Partisanat a la recherche technologique de pointe. On ne peut plus, aujourd’hui, se passer d’un savoir scientifique, si modeste soit-il, ni d’une certaine com- prehension des choses de la science. De ce fait, le referentiel scientifique se trouve nkcessairement implique, d’une maniere ou d’une autre, dans tous les referentiels gonskthiens, qu’ils soient individuels ou collectifs.

Sur le plan interne, la science est constamment en travail, au sens ancien de ce mot, qui etait ccenfantement)). La travail scientifique comprend, d’une part, la recherche de nouvelles donnees et leur incorporation dans I’acquis;

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d’autre part, l’examen critique de cet acquis, ses adaptations et, le cas Ccheant, ses restructurations. L’ Histoire de notre civilisation conserve le sou- venir de transformations spectaculaires du referentiel scientifique: passage de la vision geocentrique a la vision heliocentrique de I’univers, avenement de la theorie de la relativite, etc.

Cependant, contrairement a ce que I’on croit trop souvent, la science n’est pas vraiment unifiee. Elle souffre du cloisonnement des disciplines et porte en outre la marque, dans chacune de ses parties, des personnes et des groupes qui la font vivre et progresser. L’accord ne se fait pas toujours sur ce que l’on peut (ou ce que l’on devrait) considerer comme scientifiquement etabii. La commu- naute scientifique n’est pas parfaitement intigree - elle ne peut pas I’&tre - et par consequent le referentiel qu’elle porte en elle presente par nature une certaine marge d’inde‘termination, qui vient s’ajouter aux espaces de doute generalement admis. En fait, les referentiels dont se reclament les hommes de science sont plus ou moins proches, mais non identiques; ils refletent les diffe- rents courants de pensee en presence sur la scene scientifique.

I1 faut envisager la recherche comme une activit6 collective, comme celle d’une commu- naute ayant a la fois, ainsi que toute communaute vivante, une extension synchronique et une extension diachronique. (160) L’expose encyclopedique d’une grande discipline ne peut plus guere @tre le fait d’un seul auteur. Fait a plusieurs, il peut Etre envisage comme une forme collective de savoir dont aucun des auteurs ni aucun praticien de la discipline ne dispose dans sa teneur exacte et dans sa totalite. 11 n’en demeure pas moins que l’existence mfmc de l’expose actualise, dans son ensemble, I’integration des savoirs particuliers en un savoir non pas commun, mais collectif. (150) . . . une communaute [scientifique] unie par le projet d’une recherche en commun. Ce projet n’annule pas, mais module plus ou moins profondement, le projet d’ftre un chercheur de chacun des membres de la communaute. (175)

Symbiose existentielle

Le groupe possede un pouvoir formatif et intkgrant a I’egard de la per- sonne. 11 s’impose a elle par la langue, la culture, le style de vie et, parfois, l’ideologie. Dans des cas extremes, I’adhesion de la personne au referentiel du groupe peut aller jusqu’h I’oubli de soi.

Aucun referentiel individuel ne peut s’ktablir si ce n’est comme partie prenante d’un certain referentiel collectif. (190) Qu’il s’agisse d’un milieu linguistique, d’un milieu doctrinal, d’un milieu ideologique, d’un milieu culturel, ce pouvoir [le pouvoir formatif du milieu] est partout present. Qu’il s’agisse de milieux plus restreints: une kcole, un courant, tel ou tel groupe form6 pour la defense en commun de certaines convictions ou de certains inter&, il est de regle, semble-t-il, que la simple participation inaugure une interdependance qui peut

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aller jusqu’a I’asservissement. Cela ne veut pas dire, d’ailleurs, que personne ne sache ou ne puisse s’en deprendre ou s’en liberer. (149) Du moment ou le langage entre en jeu, si rudimentaires qu’en soient encore les produc- tions, I’enfant ne peut plus Ctre dissocie de son milieu. (136)

Cependant, si forte que soit l’emprise du groupe sur la personne, celle-ci conserve, dans sa subjectivite, une marge d’autonomie appreciable. Peu importe, en l’occurence, l’etendue des libertes concretes que la corps social concede ou ne concede pas a I’individu: ce qui nous interesse ici, c’est I’implication du referentiel du groupe dans celui de la personne. Or cette implication ne peut Etre que partielle.

11 ne conviendrait pas d’imaginer le referentiel collectif cornrne un rnodele bien trace sur lequel les referentiels individuels serai,ent fidelement calques. I1 y a plus de differen- ces, plus de variations possibles d’un referentiel individuel a un autre qu’entre deux copies d’un meme rnodele. On touche certainernent plus juste en se representant le refe- rentiel collectif cornrne un rnodele universe/ dont la correspondance a ces actualisations individuelles ne serait que partielle et analogique. Cela revient a dire que chacun des referentiels particuliers n’est mis en correspondance qu’avec une partie du referentiel collectif et que cette correspondance ne peut etre que sommairement fidPle [. . .I Nous dirons que chacun des referentiels particuliers est purtie prenante par rapport au ref& rentiel collectif. (150)

Le groupe est tributaire de la personne - dans une mesure qui reste d’ail- leurs a preciser - pour ce qui touche a la connaissance du monde physique. De plus, la personne est le passage oblige de tout ce qui se pense et s’exprime. Un savoir collectif commence toujours pas un savoir individuel. Un projet collectif, pour autant qu’il soit formule, decoule necessairement d’un projet individuel. C’est dire que le referentiel personnel assume une fonction infor- mante et structurante a l’egard du referentiel de groupe. Ses pouvoirs vont de la simple participation a la cogestion.

Un referentiel collectif ne saurait persister (et se renouveler) si ce n’est comme integra- teiir de I’ensernble des referentiels individuels. (190)

Ainsi se trouvent explicitees, dans leurs grandes lignes, les conditions dans lesquelles s’etablit un equilibre de fait entre les principes d’autonomie et de participation. On est en presence d’une symbiose existentielle, caracterisee par le fait yue deux sujets de niveau different, la personne et le groupe, sont impli- ques en mEme temps, chacun a sa maniere, dans leur propre situation existen- tielle et dans celle de l’autre.

I1 faut poser que le statut du sujet comporte l’obligation et la faculte d’Ctre sujef duns une collectivitk dont le statut le depasse et que le statut de la collectivite cornporte, de facon cornplernentaire, l’obligation et la faculte d’uccueillir sans I’unnuler le statut du sujet particulier. (190)

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L’idee de referentiel [. . .] est au centre meme de tout projet de mettre le sujet en situa- tion, a la fois dans sa participation et dans sa non-alienation au monde. (173)

Cette situation donne a penser que la liberte de la personne est aussi nCces- saire a la socittt, que la cohesion sociale est indispensable a la personne.

L’kvolution des rtferentiels individuels et collectifs depend du dynamisme propre a chacun, des interferences resultant de leurs interconnexions et des contingences exterieures. Elle n’est ni globale, ni lineaire. D’une maniere tout a fait generale, on constate: - dans le cas des sujets individuels, un rythme d’evolution tres rapide

- dans le cas des grandes collectivites modernes, ce qu’il est convenu

C’est dire qu’avec le temps, les relations entre personnes et groupes sont soumises a une epreuve constante, qu’elles sont exposees a toutes sortes de distorsions, et qu’elles doivent etre sans cesse reequilibrees.

Une integration reussie de la personne dans les groupes dont elle releve est d’une grande importance pour tous. Cependant, du cbte de la personne, de graves difficult& peuvent apparaitre des l’enfance: Pour un referentiel individuel, i l y a trois ordres de risques au moins [. . .] Chacun d’eux est susceptible de compromettre a sa facon le projet d’exister du sujet individuel: - I1 y a tout d’abord les risques que nous continuerons d’appeler ctnaturels))[. . . I - I1 y a ensuite [. . .] les risques lies a une integration defectueuse, ma1 venue, en quel-

que sorte infirme, du referentiel individuel aux referentiels collectifs auxquels la situation h i impose de participer 1. . .]

- 11 faut enfin prendre en consideration [. . .] les risques inseparables de la formation d’un referentiel collectif. 11s tiennent, pour une part sans cesse croissante, a l’evolu- tion contradictoire des collectivites qui s’entrem@lent et se superposent au sein d’une m@me societk [. . .] (197)

I1 arrive aussi qu’une integration reussie se degrade avec le temps. La per- sonne, trop absorbee par ses occupations quotidiennes, ne participe que peu, ou pas du tout, aux transformations de la socitte. Un danger la guette alors: celui de ((retarder)), de devenir anachronique dans son comportement et dans sa maniere de penser. L’anachronisme peut n’etre pas trop gCnant pour l’homme de la rue; il est incompatible, en revanche, avec l’exercice de respon- sabilites (politiques, tconomiques, sociales) dans le monde tel qu’il est, et non tel qu’il a ete.

dans la prime enfance, plus lent par la suite;

d’appeler l’acceleration de I’histoire.

La double nature du rkferentiel

Lieu de rencontre privilegie du subjectvet de l’objectv, le referentiel par- ticipe a la fois de l’un et de l’autre. I1 se presente comme un univers de rnedia-

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tisation oh viennent se nouer les modalites du vouloir-Ztre et les conditions du pouvoir-2tre.

Si on envisage le referentiel sous son aspect naturel (cf. p. 232)’ on se trou- ve en presence d’une actualisation conjointe et integree des contingences du monde et des orientations de I’Ctre. De manitre tout a fait analogue, si on envisage le m&me refirentiel sous son aspect cognitif (ibid.), on reconnait en lui une figuration conjointe et integree des contingences du monde et des orientations de I’Ctre.

Le referentiel n’est ni entierement objectif, ni totalement subjectif: c’est un mixte sur lequel ce qui est du sujet et ce qui est du monde cherchent a s’accorder. (159) Mediateur existentiel, le referentiel realise un equilibre (ne faudrait-il pas dire un com- promis?) entre le subjectif et I’objectif. (147) Subjectif ou objectif selon la faqon dont on le regarde, le referentiel apparait lui-mCme comme un horizon de nature intermediaire. (172) Cette double nature du referentiel en fait un passage oblige. Que le sujet laisse venir le monde a lui par le truchement de certains flux informationnels, ou qu’il se porte vers le monde pour s’y inserer et pour y faire valoir son ccprojet d’exister)), c’est toujours sur un referentiel que se fait fa rencontre de ce qu’il est, de ce qui lui est propre, avec ce qu’il n’est pas, avec ce qui lui est etranger. Mais il faut se garder de her a l’expression ((passage oblige)) I’image d’une ligne ou d’une surface de separation. La jonction du subjectif et de l’objectif peut se faire partout, c’est-a-dire sur toute I’etendue et dans toute la profondeur de la connaissance capable de faire figure de prealable. (173)

Le referentiel, un concept d’avenir

L’intention de Gonseth, au depart, etait d’examiner les conditions subje- tives du travail scientifique. A cet egard, il n’est pas douteux qu’un progres ait ete realist. On comprend sans peine que toute theorie scientifique est tribu- taire du referentiel personnel de son auteur, ainsi que du referentiel scienti- fique du moment.

Cette double subjectivite “obligee” se repercute sur la representation que nous nous faisons du monde. Nous devons en &re conscients.

Par ailleurs, la notion de refhentiel, correctement utilisee, facilite la description et I’interpretation des relations que I’homme entretient avec ses semblables, avec les collectivitks dont il fait partie et avec le milieu naturel dans lequel il se trouve engage. On pourra donc s’en servir avec profit, de manikre explicite et structurante, dans le discours scientifique lui-meme, par exemple dans les domaines de la psychologie, de la psycho-sociologie et de la morale.

Le referentiel gonsethien est le fruit d’une longue et patiente reflexion, souvent tres technique, sur la validite et les fondements de la connaissance scientifique. Pourtant, une fois qu’on en a trouve l’acces, on est frappe par sa

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simplicite, par l’impression de nature1 et d’klegance qui s’en degage. I1 s’impose a l’esprit, comme une sorte d’hidence.

N’est-ce pas 18 le presage d’un be1 avenir?

Dialectica Vol. 44, No 3-4 (1990)