automédication des rugbymen amateurs

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Science & Sports (2011) 26, 242—245 MISE AU POINT Automédication des rugbymen amateurs Self-medication in amateur rugby players Y. Abitteboul a,, C. Boisson a , D. Rivière b , S. Oustric a a Département universitaire de médecine générale, faculté de médecine de Toulouse-Toulouse Rangueil, université Paul-Sabatier, 133, route de Narbonne, 31062 Toulouse cedex, France b Service d’exploration de la fonction respiratoire et de médecine du sport, hôpital Larrey, 24, chemin de Pouvourville, TSA 30030, 31059 Toulouse, France Disponible sur Internet le 19 août 2011 MOTS CLÉS Sport ; Dopage ; Information aux patients Résumé L’activité de médecine générale amène à rencontrer quotidiennement des spor- tifs amateurs chez lesquels l’automédication peut faire courir un risque de positivité lors de contrôle antidopage. Une enquête transversale avec un sondage d’une cohorte par auto- questionnaire anonyme a été réalisée dans le département du Lot pour juger du niveau d’automédication des rugbymen amateurs. À partir des 206 questionnaires recueillis, on constate que l’automédication est une pratique courante chez ces sportifs. Elle est positi- vement corrélée au niveau et au nombre d’heures de pratique. L’asthénie et la baisse des performances sont les raisons les plus souvent invoquées et sont des signes cliniques à recher- cher par le médecin et le pharmacien. Le rôle d’information au patient lors de la prescription et de la délivrance des médicaments est à revaloriser auprès du patient sportif. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Sport; Doping; Patient information Summary General practitioners daily meet amateur rugby players in whom self-medication can lead to positivity in doping control. A cross-sectional survey with a study of a cohort by self-administered, anonymous questionnaire was conducted in the department of Lot to judge the level of self-medication of amateur rugby players. From the 206 questionnaires collected, it appears that self-medication is common among these athletes. It is positively correlated to the level and number of hours of practice. The fatigue and decreased performance are the reasons most often cited and are clinical signs to look for the doctor and pharmacist. The role of patient information when prescribing and dispensing is to upgrade in the population involved in sport. © 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (Y. Abitteboul). 1. Introduction L’automédication se définit comme la gestion par le sportif de son capital santé sans intervention d’un professionnel de 0765-1597/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.scispo.2011.07.010

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cience & Sports (2011) 26, 242—245

ISE AU POINT

utomédication des rugbymen amateurs

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. Abitteboula,∗, C. Boissona, D. Rivièreb, S. Oustrica

Département universitaire de médecine générale, faculté de médecine de Toulouse-Toulouse Rangueil, université Paul-Sabatier,33, route de Narbonne, 31062 Toulouse cedex, FranceService d’exploration de la fonction respiratoire et de médecine du sport, hôpital Larrey, 24, chemin de Pouvourville, TSA0030, 31059 Toulouse, France

isponible sur Internet le 19 août 2011

MOTS CLÉSSport ;Dopage ;Information auxpatients

Résumé L’activité de médecine générale amène à rencontrer quotidiennement des spor-tifs amateurs chez lesquels l’automédication peut faire courir un risque de positivité lorsde contrôle antidopage. Une enquête transversale avec un sondage d’une cohorte par auto-questionnaire anonyme a été réalisée dans le département du Lot pour juger du niveaud’automédication des rugbymen amateurs. À partir des 206 questionnaires recueillis, onconstate que l’automédication est une pratique courante chez ces sportifs. Elle est positi-vement corrélée au niveau et au nombre d’heures de pratique. L’asthénie et la baisse desperformances sont les raisons les plus souvent invoquées et sont des signes cliniques à recher-cher par le médecin et le pharmacien. Le rôle d’information au patient lors de la prescriptionet de la délivrance des médicaments est à revaloriser auprès du patient sportif.© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSSport;Doping;Patient information

Summary General practitioners daily meet amateur rugby players in whom self-medicationcan lead to positivity in doping control. A cross-sectional survey with a study of a cohort byself-administered, anonymous questionnaire was conducted in the department of Lot to judgethe level of self-medication of amateur rugby players. From the 206 questionnaires collected, it

appears that self-medication is common among these athletes. It is positively correlated to thelevel and number of hours of practice. The fatigue and decreased performance are the reasonsmost often cited and are clinical signs to look for the doctor and pharmacist. The role of patientinformation when prescribing and dispensing is to upgrade in the population involved in sport.© 2011 Elsevier Masson SAS. All

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (Y. Abitteboul).

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765-1597/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droitsoi:10.1016/j.scispo.2011.07.010

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. Introduction

’automédication se définit comme la gestion par le sportife son capital santé sans intervention d’un professionnel de

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Automédication des rugbymen amateurs

la santé par des moyens médicamenteux ou autres : c’estle self-care. En France, l’automédication se concoit plutôtcomme la prise d’une substance que le sportif juge adaptéen réponse à un symptôme qu’il ressent sans recours à unavis médical.

Cette attitude permet d’évoquer le problème de la per-formance individuelle qu’elle soit sportive, professionnelle,ou autre améliorée sciemment ou non par une autoprescrip-tion. Les produits utilisés en automédication ont comme tousmédicaments des effets indésirables, des contre-indicationset peuvent pour certains modifier favorablement ou pas laperformance sportive. En effet, un des dangers potentiels del’automédication pour le patient sportif est de rendre posi-tif un contrôle antidopage pouvant mettre en danger unecarrière sportive actuelle ou à venir.

Le sport est aujourd’hui l’un des composants majeursdu quotidien de la société francaise par ses dimensionssocioéducatives, par les emplois qu’il génère et par lesenjeux qui parfois s’attachent à la réussite d’une nation auplus haut niveau de la compétition internationale.

Il est considéré, particulièrement par les médecins defamille comme un rôle préventif et thérapeutique intégréà la pratique médicale quotidienne. Il est apparu essen-tiel d’étudier le comportement des sportifs de bon niveauamateur vis-à-vis de leur santé pour deux raisons :• l’activité de médecine générale amène à rencontrer régu-

lièrement ce type de patients ;• cette population est susceptible de fréquenter le sport de

haut niveau.

L’objet ce travail est de savoir à quel niveau les spor-tifs de bon niveau amateur pratiquent l’automédication,de connaître leurs sources d’information, et d’appro-visionnement, le risque dopant de ces médicaments.

Les médicaments utilisés traitent la plupart du temps despathologies percues comme mineures [1].

Enfin, il sera évalué les facteurs motivationnels de lapratique de l’automédication.

2. Sujets et méthodes

Le protocole de travail est une étude descriptive par uneenquête transversale avec un sondage d’une cohorte parauto-questionnaire anonyme.

La population de l’enquête est représentée par dessportifs rugbymen hommes de catégorie seniors, majeurs,licenciés, pratiquant le rugby au niveau amateur fédérale1, 2, 3 dans le département du Lot. C’est une population desportifs non professionnels et le niveau appelé fédérale 1,est le dernier niveau avant l’accès à l’élite plus médicali-sée, plus surveillée donc plus sensibilisée au problème dessubstances dopantes.

Le critère principal étudié est : quel est le niveaud’automédication des rugbymen amateurs ?

Les critères secondaires sont :• quelle est la connaissance du pouvoir dopant des médi-

caments lors de l’automédication et de leur dangerpotentiel sur la santé ?

• quel est le désir d’information sur le risque dopant desmédicaments utilisés en automédication ?

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a

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Les questionnaires ont été distribués par un médecinnquêteur pendant tout le mois de mars 2007, à la fin d’unntraînement collectif, après accord de l’entraîneur et durésident du club. Le but et le déroulement de l’enquêtetaient explicités aux joueurs selon un propos introductifcrit et joint à chaque questionnaire insistant particulière-ent sur l’anonymat de l’enquête.Le médecin enquêteur était présent sur les lieux lors du

emplissage de tous les questionnaires. Il a particulièrementxpliqué aux sportifs la définition de l’automédication étu-iée, à savoir la prise de médicament en dehors de toutonseil médical et/ou en dehors de tout motif de prescrip-ion antérieure.

Le questionnaire utilisé comprend six items distincts :item 1 : les caractéristiques sociodémographiques dusportif ;item 2 : les caractéristiques du rugbyman ;item 3 : les spécificités de l’automédication par les médi-caments, les vitamines et les compléments alimentairesutilisés ;item 4 : les raisons, les sources d’informations etd’approvisionnement et les motifs médicaux del’automédication ;item 5 : le comportement du sportif, sa connaissanceet son désir d’information face aux risques dopants desmédicaments ;item 6 : les substances prises en automédication par unequestion ouverte ;

. Résultats

’analyse a concerné 206 questionnaires ne comptant quees hommes majeurs. L’âge moyen est de 26 ans (RC : 26 ;C 95 % [25,34—26,66]), pratiquant de cinq à sept heures deugby hebdomadaires. L’échantillon comprend 20 % qui pra-iquent en fédérale 1, niveau le plus élevé avant le niveaurofessionnel, 25 % en fédérale 2, et 55 % en fédérale 3.

Le niveau d’étude des sportifs observés est : collège,9 %, lycée56,8 %, université 40,3 %.

La répartition suivant les postes de jeu est : avants 56,6 %t arrières 43,4 %.

Le taux d’automédication des sportifs est de 80 % doncdentique à celui de la population générale.

Les motifs d’automédication sont présentés dans laig. 1.

Le taux d’automédication par des vitamines et desompléments alimentaires est de 48,5 % et supérieur à laopulation générale.

Les principales substances médicamenteuses prisesn automédication sont les analgésiques et les anti-nflammatoires non-stéroïdiens.

Les différentes substances prises sont présentées dans laig. 2.

Les principales sources d’approvisionnement utilisées pares sportifs sont la pharmacie d’officine 64 %, la pharmacieamiliale 50,3 %, et l’entourage sportif 21 %.

Les notices des médicaments utilisés ne sont toujoursues que par 38,8 % des rugbymen.

Plus le niveau sportif augmente, plus l’automédicationugmente, ce qui avait déjà été montré [2], et plus les

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Figure 1. Motifs de santé motivant l’automédication (%).

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3 ,9

4 ,9

4 ,9

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proté ines

hom éopath ie

sirops antitussifs

my ore laxants

ton iques avec c a fé ine

anti asthm atiques

g luc oc or tic o ides

phy to thérap ie

m édic am ents à visée d igestive

déc ongestionnant à usagesy stém ique avec pseudoéphédr ine

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analgésiques

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igure 2. Substances médicamenteuses prises en automédicationquestion ouverte et facultative).

portifs pensent pouvoir être contrôlés par un test antido-age (p < 0,05).

Plus le nombre d’arrêt de sport augmente et plus’automédication augmente (p < 0,05).

Plus le nombre d’heures de rugby augmente et plus’automédication augmente (p < 0,05).

L’asthénie et la baisse de performances sont les deuxrincipaux motifs d’automédication en fédérale 1 et 2p < 0,05).

. Discussion

es médecins de famille sont et seront en première ligneans le suivi des sportifs non professionnels, pour lesathologies courantes ainsi que pour les pathologies ostéoar-

iculaires spécifiques des rugbymen.

La médecine de famille de premier recours se substitueouvent aux praticiens spécialistes de médecine du sport,ncore trop peu nombreux dans tous les pays européens.

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Y. Abitteboul et al.

L’automédication semble augmenter dans le temps aussiien dans la population générale que chez les sportifs de trèson niveau amateur (dix fois plus qu’il y a 15 ans). [3,4].

Les politiques de santé publique favorisent cette pratiqueour diminuer les coûts de la santé et réserver la consulta-ion médicale aux motifs les plus graves.

Le niveau de conscience sur d’éventuelles conséquencesédicosportives de l’automédication n’augmente malheu-

eusement pas avec le niveau sportif.La consommation de vitamines et ou de compléments

limentaires est plus élevée dans la population sportiveue dans la population générale [5]. Ces substances sontutoprescrites soit de facon préventive soit à visée théra-eutique pour répondre à un ou plusieurs symptômes. Cettettitude des rugbymen étudiés soulève ainsi le problème desonduites dopantes [6] chez les sportifs amateurs. En effet,es substances utilisées, sans justifications médicales et sansreuves d’efficacité scientifique ne sont-elles pas le préludel’utilisation de substances interdites et délétères pour la

anté du sportif ?Les sources d’approvisionnement viennent dans un tiers

es cas de l’entourage immédiat du sportif (paramédicaux,ntraîneurs, dirigeants, coéquipier) [7].

Les sources d’information pour s’automédiquer sont ; sonxpérience personnelle (66 %), l’entourage familial (41 %)uis l’entourage sportif (33 %).

Paradoxalement, l’information utilisée par les rugbymenmateurs qui utilisent l’automédication ne passe pas par lesrofessionnels de santé, seuls capables de fournir des don-ées basées sur des preuves et de prévenir les conduitesopantes.

La fatigue physique et mentale, puis la baissees performances sportives sont les motifs principaux’automédication cités par les rugbymen [8] sans négligeres autres causes révélées par les médications utilisées quiont susceptibles de rendre un contrôle antidopage positif.es causes d’automédication ne semblent pas spécifiques dueul rugby, mais de nombreux autres sports amateurs néces-itant des charges de travail physique se majorant au fil desécennies.

La charge du travail sportif demandée [9] et le plus hautiveau pratiqué serait un facteur incitatif à l’utilisation desroduits en automédication.

. Conclusion

’automédication peut être aussi une des réponses au dépas-ement de soi et au culte de la performance chez les sportifsmateurs Du fait de ses dangers potentiels et du risque deonduite dopante chez les rugbymen amateurs, l’étude de’automédication des sportifs de bon niveau nous est appa-ue essentielle.

Le médecin de famille est amené à rencontrer cesportifs régulièrement et peut ainsi jouer son rôle derévention dans le cadre du soin primaire en collabora-ion étroite avec les médecins spécialisés en médecine du

port.

Le rôle de l’encadrement médical des sportifs amateursourrait être renforcé dans le cadre de la prévention pri-aire.

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Automédication des rugbymen amateurs

Une signalétique spécifique visible pourrait être envisa-gée sur toute boite de médicament pouvant entraîner uncontrôle antidopage positif.

Des travaux de recherche seraient à mener auprès dessportifs amateurs de haut niveau pratiquant d’autres disci-plines sportives. Ces travaux auraient pour but de mesurerle niveau de l’automédication, ses conséquences sur la santéindividuelle et collective et les attentes des sportifs étudiésen termes d’information et de prévention.

6. Conclusion pratique pour le médecin defamille

La conclusion pratique est résumée comme suit :• l’automédication est une pratique courante chez les spor-

tifs amateurs de notre enquête et s’accentue avec leniveau sportif et le nombre d’heures de pratique sportivehebdomadaire ;

• l’asthénie et la baisse des performances sont dessignes cliniques à rechercher par le médecin et lepharmacien ;

• l’entourage familial et sportif a un rôle prépondérant dansle conseil et le choix des médicaments lors d’une automé-dication ;

• le rôle d’information au patient lors de la prescription etde la délivrance des médicaments est obligatoire sur leplan déontologique et législatif. Il est à revaloriser auprèsdu patient sportif ;

• la délivrance du certificat médical de non contre-indication à la pratique du rugby et la gestion desblessures au cours de la saison est un moment privilégié

pour aborder la problématique de l’automédication et deses conséquences ;

• un double message est à adresser aux rugbymenamateurs :

[

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◦ l’automédication peut être dangereuse pour la santé dusujet ou pour sa pratique sportive, et risque de positiverun contrôle antidopage,

◦ il est nécessaire de consulter un médecin spécialisé enmédecine du sport ou à défaut son médecin de familleafin d’obtenir un conseil éclairé et approprié.

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

éférences

1] Montastruc JL, Baylery H, Géraud M, Lapeyre-mestre M.Pharmacovigilance de l’automédication. Therapie 1997;52:105—10.

2] Laure P. Doping in amateur adult athletes ages 15 or over. JPerform Enhancing Drugs 1998;2:16—20.

3] Agostini P. L’automédication des étudiants en éducation phy-sique et sportive de Grenoble. Résultats d’une enquête.Grenoble 1;1990 [thèse pharmacie].

4] Laure P. Enquête sur les usagers de l’automédication : de lamaladie à la performance. Thérapie 1998;53:127—35.

5] Lapeyre-Mestre M, Sulem P, Niezboralala M, et al. Conduitedopante en milieu professionnel : étude auprès d’un échan-tillon de 2106 travailleurs de la région toulousaine. Therapie2004;59:615—23.

6] Peyret J, Montastruc JL, Montastruc P. Drug consumption insports and school medicine. Therapy 1991;46:255—6.

7] Laure P. Doping in sport: doctors are providing drugs. Br J SportsMed 1997;31(3):258—9.

8] Laure P. Le dopage : données épidémiologiques. Presse Med

2000;29(24):1365—72.

9] Garcin M, Mille-Hamard L, Billat V. Use of acetamino-phen in young subelite athletes. J Sports Med Phys Fitness2005;45(4):604—7.