aspects cliniques et thérapeutiques des sphénoïdites aiguës et chroniques de l'adulte

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Aspects cliniques et thérapeutiques des sphénoïdites aiguës et chroniques de l’adulte Clinical and therapeutic data of acute and chronic sphenoid sinusitis in adults T. Solans *, O. Urwald, M.-L. Guillotte-Vangorkum, J.-C. Mérol, M. Legros, A. Chays Service d’otorhinolaryngologie et de chirurgie cervicofaciale, Hôpital Robert Debré, avenue du Général-Koenig, centre hospitalier universitaire, 51092 Reims cedex, France MOTS CLÉS Sinusite sphénoïdale ; Céphalée ; Chirurgie endonasale KEYWORDS Sphenoid sinusitis; Headache; Endonasal surgery Résumé La pathologie infectieuse du sinus sphénoïdal est une pathologie rare parmi les atteintes des autres sinus de la face. Les auteurs rapportent neuf cas de sphénoïdites aiguës et chroniques et analysent les aspects cliniques, bactériologiques et thérapeuti- ques. Neuf patients ont été recensés rétrospectivement dans notre département, pen- dant une période de 8 ans. Les patients ont tous bénéficié d’un examen clinique, d’une endoscopie nasale et d’une tomodensitométrie qui a confirmé le diagnostic. Les patients ont tous été revus 1 mois après leur prise en charge puis tous les 3 mois pendant 1 an. Les auteurs ont retrouvé six sphénoïdites aiguës et trois chroniques. L’atteinte était plutôt unilatérale et diagnostiquée aux alentours de la quatrième décennie. Il existait une prédominance féminine. La céphalée (d’expression très variable) restait le symptôme le plus constant des infections aiguës et chroniques. La prise en charge a reposé sur l’antibiothérapie, associée à un traitement chirurgical dans trois cas. Staphylococcus aureus (56 %) fut la bactérie le plus fréquemment isolée dans la pathologie aiguë et Prevotella spp. (71 %) dans la pathologie chronique. Un cas de cécité bilatérale est rapporté. Le diagnostic de sphénoïdite est trompeur. Le praticien doit y penser en particulier devant toute céphalée ne faisant pas sa preuve. Le traitement des sphénoïdi- tes repose sur une antibiothérapie, probabiliste dans un premier temps, efficace sur Staphylococcus aureus et les bactéries anaérobies. De redoutables complications peuvent survenir. Le traitement chirurgical est indiqué en cas d’échec du traitement médical, d’apparition de complication neurologique ou ophtalmologique ou en cas d’infection mycotique. Une surveillance clinique régulière doit être organisée. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Infectious diseases of the sphenoidal sinus are rare among affections of other face sinuses. Nine cases of acute and chronic sphenoid sinusitis are analyzed in terms of clinical, bacteriological and therapeutic features. Nine cases were retrospectively regis- tered in our department over a period of eight years. All patients had undergone clinical examination, nasal endoscopy, and scanning for diagnostic confirmation; they were all * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (T. Solans). EMC-Oto-rhino-laryngologie 1 (2004) 251–257 http://france.elsevier.com/direct/EMCORL/ © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emcorl.2004.06.001

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Aspects cliniques et thérapeutiquesdes sphénoïdites aiguës et chroniques de l’adulte

Clinical and therapeutic data of acute and chronicsphenoid sinusitis in adults

T. Solans *, O. Urwald, M.-L. Guillotte-Vangorkum, J.-C. Mérol,M. Legros, A. ChaysService d’otorhinolaryngologie et de chirurgie cervicofaciale, Hôpital Robert Debré,avenue du Général-Koenig, centre hospitalier universitaire, 51092 Reims cedex, France

MOTS CLÉSSinusite sphénoïdale ;Céphalée ;Chirurgie endonasale

KEYWORDSSphenoid sinusitis;Headache;Endonasal surgery

Résumé La pathologie infectieuse du sinus sphénoïdal est une pathologie rare parmi lesatteintes des autres sinus de la face. Les auteurs rapportent neuf cas de sphénoïditesaiguës et chroniques et analysent les aspects cliniques, bactériologiques et thérapeuti-ques. Neuf patients ont été recensés rétrospectivement dans notre département, pen-dant une période de 8 ans. Les patients ont tous bénéficié d’un examen clinique, d’uneendoscopie nasale et d’une tomodensitométrie qui a confirmé le diagnostic. Les patientsont tous été revus 1 mois après leur prise en charge puis tous les 3 mois pendant 1 an. Lesauteurs ont retrouvé six sphénoïdites aiguës et trois chroniques. L’atteinte était plutôtunilatérale et diagnostiquée aux alentours de la quatrième décennie. Il existait uneprédominance féminine. La céphalée (d’expression très variable) restait le symptôme leplus constant des infections aiguës et chroniques. La prise en charge a reposé surl’antibiothérapie, associée à un traitement chirurgical dans trois cas. Staphylococcusaureus (56 %) fut la bactérie le plus fréquemment isolée dans la pathologie aiguë etPrevotella spp. (71 %) dans la pathologie chronique. Un cas de cécité bilatérale estrapporté. Le diagnostic de sphénoïdite est trompeur. Le praticien doit y penser enparticulier devant toute céphalée ne faisant pas sa preuve. Le traitement des sphénoïdi-tes repose sur une antibiothérapie, probabiliste dans un premier temps, efficace surStaphylococcus aureus et les bactéries anaérobies. De redoutables complications peuventsurvenir. Le traitement chirurgical est indiqué en cas d’échec du traitement médical,d’apparition de complication neurologique ou ophtalmologique ou en cas d’infectionmycotique. Une surveillance clinique régulière doit être organisée.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract Infectious diseases of the sphenoidal sinus are rare among affections of otherface sinuses. Nine cases of acute and chronic sphenoid sinusitis are analyzed in terms ofclinical, bacteriological and therapeutic features. Nine cases were retrospectively regis-tered in our department over a period of eight years. All patients had undergone clinicalexamination, nasal endoscopy, and scanning for diagnostic confirmation; they were all

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (T. Solans).

EMC-Oto-rhino-laryngologie 1 (2004) 251–257

http://france.elsevier.com/direct/EMCORL/

© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi: 10.1016/j.emcorl.2004.06.001

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seen again one month later and every three months during one year. The authors found sixacute and three chronic sphenoid sinusitis. The affection was almost unilateral anddiagnosed around the fourth decade, with a female predominance. The headache, whichexpression was very variable, was the most constant symptom of acute and chronicpathologies. Complications are possible and we report a bilateral blindness. The patientsreceived an antibiotic-based therapy, associated to a surgical approach in three cases.Staphylococcus aureus (56%) was the most frequently isolated bacteria in acute affectionsand Prevotella spp (71%) in the chronic ones. Diagnosing sphenoidal sinusitis is difficult; itshould always be considered by the physician when the patient reports a headache.Therapeutic management of sphenoid sinusitis remains the antibiotic therapy effective onStaphylococcus aureus and anaeroby bacteria. Surgical treatment is indicated in case offailure of the pharmacological therapy, in case of neurological or ophthalmologic compli-cation and in the event of mycotic infection. A regular clinical surveillance must beorganized.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction

Les pathologies infectieuses et inflammatoires iso-lées du sinus sphénoïdal ont de tout temps étédifficiles à diagnostiquer. Mais depuis quelques an-nées, les progrès des techniques radiologiques, en-doscopiques et microchirurgicales aident les prati-ciens à mieux les reconnaître, d’en faire unmeilleur bilan et ainsi de proposer des thérapeuti-ques plus précoces et plus ciblées.Les sphénoïdites aiguës et chroniques sont rares

comparées aux atteintes infectieuses des autressinus de la face. Leur incidence reste vraisembla-blement sous-estimée du fait de leur sémiologieextrêmement trompeuse.Ainsi, nous apparaît-il intéressant de rapporter

ici neuf observations de sphénoïdites aiguës ouchroniques isolées de l’adulte en insistant sur leursaspects cliniques, bactériologiques et thérapeuti-ques.

Patients et méthodes

D’août 1995 à février 2003, neuf patients adultesont été hospitalisés dans notre centre hospitalieruniversitaire pour sphénoïdite isolée aiguë ou chro-nique. Leurs dossiers ont été analysés rétrospecti-vement et nous avons cherché à évaluer :

• l’ensemble des symptômes présentés par lesdonnées de l’interrogatoire ;

• les résultats des examens cliniques et endosco-piques ;

• les données bactériologiques ;• les résultats des traitements médicaux ou chi-rurgicaux.Outre son tableau clinique, le diagnostic de

sphénoïdite a reposé sur des critères tomodensito-métriques :

• la sphénoïdite aiguë isolée est définie par laprésence d’une opacité complète ou d’un ni-

veau hydroaérique au sein d’un ou des deuxsinus sphénoïdaux sans épaississement des pa-rois osseuses avoisinantes ;

• un épaississement muqueux associé à un épais-sissement des parois osseuses conduit au dia-gnostic de sphénoïdite chronique.Les neuf patients ont été revus à 1 mois, puis

tous les 3 mois pendant 1 an après le diagnostic etla prise en charge.

Résultats

Les neuf patients se répartissaient en six femmes(66 %) et trois hommes (33 %). L’âge moyen était de42 ans avec des extrêmes allant de 18 à 75 ans. Ilexistait six cas de sphénoïdite aiguë (66 %) et troiscas de sphénoïdite chronique (33 %). Sept fois l’at-teinte était unilatérale.La répartition selon le côté était gauche dans

quatre cas (deux sphénoïdites aiguës et deux chro-niques), droite dans trois cas (deux aiguës et unechronique) et bilatérale dans deux cas (sphénoïdi-tes aiguës).

Résultats des sphénoïdites aiguës (six cas)

Tous les patients atteints de sphénoïdite aiguë seplaignaient de céphalées dont le siège et l’irradia-tion étaient très variables et donc non spécifiques(frontale : deux cas, hémiface : deux cas, en cas-que : deux cas, maxillaire : un cas, pariétale : uncas, vertex : un cas, auriculaire : un cas). Le délaimoyen entre l’apparition des symptômes et le dia-gnostic de sphénoïdite aiguë était de 18 jours, lesextrêmes allant de 3 jours à 2 mois. L’interroga-toire et l’examen clinique ont retrouvé d’autressymptômes associés (hyperthermie : trois cas,rhinorrhée purulente : un cas, plénitude d’oreille :un cas, vomissement : un cas, photophobie : un

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cas). Les six patients ont été hospitalisés au mo-ment du diagnostic pour bénéficier d’un traitementantibiocorticoïde. La corticothérapie a été admi-nistrée par voie parentérale à la dose de 1 mg/kg/jde méthylprednisolone pour une durée de 8 jours.Une seule patiente n’a pas bénéficié de ce traite-ment du fait d’un diabète compliqué de microan-giopathie et difficilement équilibré. L’antibiothé-rapie par voie parentérale a été prescrite de façonsystématique et probabiliste. Cinq fois elle consis-tait en l’administration d’amoxicilline plus oumoins associée à l’acide clavulanique. Un cas, prisen charge à l’entrée dans le service de maladieinfectieuse, a bénéficié d’un traitement par cef-triaxone et gentamicine en première intention (Ta-bleau 1). Un traitement chirurgical a été nécessairedans un seul cas, en raison de la réapparition de lacéphalée 15 jours après l’arrêt du traitement anti-biotique, et d’une récidive de sphénoïdite aiguëconfirmée par la tomodensitométrie. L’interven-tion a consisté en une sphénoïdotomie souscontrôle endoscopique permettant la réalisation deprélèvements à visée bactériologique dont l’ana-lyse a conclu à une infection par Haemophilus in-fluenzae. Aucune complication liée à la pathologieou au traitement n’a été constatée.

Résultats des sphénoïdites chroniques(trois cas)

Deux patients sur trois décrivaient des céphalées.Un patient se plaignait d’une obstruction nasaleavec rhinorrhée claire matinale, et une patiente estvenue consulter pour une baisse progressive del’acuité visuelle associée à la céphalée. Tous lespatients ont bénéficié d’un traitement médical.Une patiente a été traitée uniquement par corticoï-des locaux pendant 15 jours avec succès. Deuxautres patients ont été traités par antibiocorticoï-des : une corticothérapie par voie générale, à ladose de 1 mg/kg/j de méthylprednisolone était

associée à une monoantibiothérapie par voie oraled’amoxicilline + acide clavulanique à la dose de3 g/j. Ces deux patients ont été opérés 15 joursaprès la mise en route du traitement, par unesphénoïdotomie simple sous contrôle endoscopiqueet une sphénoïdotomie par voie endoseptale. L’in-dication dans le premier cas fut la persistance decalcifications sinusiennes d’origine mycotique ob-servables par un scanner de contrôle, et dans lesecond, l’absence de disparition des céphalées. Aucours de chaque intervention, un prélèvement àvisée bactériologique a été effectué ; Aspergillusfumigatus a été isolé dans un cas et aucun élémentpathogène dominant n’a pu être mis en évidencepour la deuxième sphénoïdite chronique. Une seulede nos patientes a présenté une complication liée àl’évolution de la maladie et potentiellement grave :il s’agissait d’une névrite optique bilatérale qui aévolué vers une cécité bilatérale malgré le traite-ment chirurgical.Au total, le prélèvement bactériologique n’a été

réalisé que dans trois de nos neuf cas.

Discussion

Épidémiologie

Les sphénoïdites isolées demeurent des infectionsrares, représentant moins de 3 % de l’ensemble desatteintes sinusiennes.1,2 La prédominance féminineest constatée3,4 mais sans aucune explication sé-rieuse à ce jour. L’atteinte unilatérale reste classi-que3,4,5, de 50 à 80 % des cas, chiffres concordantavec nos observations (77 %).Les pathologies infectieuses isolées du sinus

sphénoïde sont, en règle générale, des pathologiesde l’adulte, diagnostiquées entre la quatrième et lacinquième décennie.6,7,8 Peu d’études concernantles atteintes chez l’enfant ont été publiées. La plusimportante, à notre connaissance, est celle de La-

Tableau 1 Antibiothérapie des sphénoïdites aiguës.

Antibiothérapie initiale Nombre Évolution favorable j15 Traitement relais ChirurgieAmoxicilline + acide clavulanique 3g/j 2 cas 1/2 Amoxicilline + acide 1 casOfloxacine 400 mg/j clavulanique 3 g/j sphénoïdotomie10 jours i.v. per os 7 joursAmoxicilline + acide clavulanique 3 g/j 2 cas 2/2 Idem per os 7 jours -10 jours i.v.Amoxicilline 3 g/j 1 cas 1/1 Idem per os 7 jours -10 jours i.v.Ceftriaxone 2 g/j 1 cas 1/1 Ceftriaxone 2 g/j -gentamicine 160 mg/j 10 jours i.m.10 jours i.v.

i.v. : intraveineuse ; i.m. : intramusculaire.

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hat et al.9 rapportant une série de dix cas desphénoïdite isolée chez des enfants âgés de 8 à14 ans. Ces auteurs insistent sur les similitudessémiologiques entre enfants et adultes à la réserveprès de troubles de la conscience plus fréquentschez l’enfant.Des facteurs favorisants ont été décrits5,10,11,

qu’il s’agisse de causes locorégionales ou généra-les. Ainsi, les anomalies malformatives, les tumeursbénignes ou malignes, la présence de corps étran-gers peuvent entraîner une obstruction de l’ostiumsphénoïdal. Des causes iatrogènes (chirurgie sinu-sienne endoscopique, chirurgie et radiothérapied’une tumeur hypophysaire, intubation nasotra-chéale prolongée) peuvent également être incrimi-nées. Enfin, l’état général du patient et la présenced’un état d’immunosuppression11 prédisposent évi-demment à la survenue d’une infection sphénoïdale(corticothérapie au long cours, diabète, infectionpar le virus de l’immunodéficience humaine[VIH]).

Sémiologie

Le tableau clinique des sphénoïdites isolées aiguëset chroniques associe des symptômes variés, nonspécifiques et parfois trompeurs. Le maître symp-tôme reste la céphalée, constante au cours desinfections aiguës selon certains auteurs.5 Classi-quement, les patients la décrivent comme intense,rebelle aux traitements antalgiques usuels, souventmajorée par les changements de position. Le carac-tère insomniant n’est pas rare5,11,12, pouvantmême entraîner des réveils nocturnes. La localisa-tion et les irradiations de la céphalée, égalementtrès disparates, conduisent parfois le patient versune spécialité autre que l’otorhinolaryngologie :douleur occipitale, douleur péri et rétro-orbitaire,douleur du vertex, algies dentaires.1,3,5 En cas detableau aigu, l’hyperthermie est inconstante, 50 à70 % selon les séries11,13,14, et la rhinorrhée n’estretrouvée que dans moins d’un cas sur deux.5 Dansle cadre des sphénoïdites chroniques, la céphaléeisolée apparaît souvent comme le seul signe clini-que expliquant là encore la possible errance dia-gnostique.L’apparition de signes neuro-ophtalmologiques

(20 à 65 % selon les séries)3,8,11 est à recherchersystématiquement car ils peuvent témoigner de lasurvenue de complications potentiellement graves,plus fréquentes en cas de pathologie aiguë.15 Clini-quement, peuvent être recherchés des signes oph-talmologiques dits mineurs (flou visuel, photopho-bie, baisse de l’acuité visuelle), reflets d’unenévrite optique débutante. L’atteinte des nerfscrâniens constitue un degré de gravité plus impor-tant faisant redouter l’apparition d’un syndrome de

la fissure orbitaire supérieure, d’un syndrome del’apex orbitaire, voire d’un tableau complet dethrombophlébite du sinus caverneux.11 Dans notresérie, une seule complication a été observée, uneatteinte bilatérale du nerf optique entraînant unecécité bilatérale définitive malgré un traitementchirurgical précoce. Ce type de complication nefigure pas parmi celles publiées dans la littérature(méningite, abcès cérébral, abcès hypophysaire,troubles de la conscience, etc.).3,4,5,12

Diagnostic positif

Cliniquement, le caractère aigu d’un syndrome estdécrit en médecine lorsque son installation est detrès courte durée. Le symptôme est le plus souventvécu de façon intense par le patient. Le caractèrerapide et bruyant s’oppose au caractère chroniquequi, lui, se fait selon une installation plus lente etsouvent plus durable du symptôme.Il est très difficile de faire, à partir de simples

arguments cliniques, la distinction entre les sphé-noïdites isolées aiguës et chroniques. En effet,certaines infections aiguës peuvent passer inaper-çues au départ et se chroniciser, n’amenant lespatients à consulter que de long mois après le débutdes signes. De même, les infections sphénoïdalesisolées chroniques peuvent se révéler sur un modeaigu et l’interrogatoire retrouve alors souvent unlong passé de céphalées inexpliquées.De ce fait, certains auteurs ne différencient pas

ces deux formes.2 D’autres16,17 estiment qu’il estimportant de distinguer les deux formes puisque lesimplications thérapeutiques sont différentes.La tomodensitométrie s’impose comme l’exa-

men de référence pour confirmer le diagnostic desphénoïdite isolée.12 Elle objective, en cas d’at-teinte aiguë, des opacités homogènes intrasinu-siennes, de densité liquidienne, avec souvent pré-sence d’un niveau hydroaérique (Fig. 1). Laréalisation de coupes fines permettra de déceler unéventuel abcès sous-périosté. Dans le cadre de lapathologie chronique, la tomodensitométrie re-trouve un épaississement muqueux avec un épais-sissement des parois osseuses avoisinantes(Fig. 2).18 Les radiographies standards ne présen-tent plus d’intérêt car la superposition des tissusmous empêche une bonne visualisation du sinussphénoïdal.12,18 L’imagerie par résonance magnéti-que est indiquée quand il existe une lyse osseusedes parois sinusiennes visible sur la tomodensito-métrie ou pour déceler une complication locorégio-nale (thrombophlébite du sinus caverneux entreautres).12,18

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Bactériologie

Dans notre série, les prélèvements bactériologi-ques sont peu nombreux et ne permettent pas defaire une analyse statistique, mais des études ré-centes mettent en évidence des particularités éco-logiques des infections isolées du sinus sphénoï-dal.9,19 En effet, alors que Haemophilus influenzaeet Streptococcus pneumoniae prédominent dans lessinusites maxillaires et frontales, les résultats desétudes bactériologiques des sphénoïdites, y com-pris chez l’enfant9, concluent à une prédominancede Staphylococcus aureus dans les infections aiguëset de Prevotella spp. dans les infections chroniques(Fig. 3, 4).19 L’origine mycotique est estimée à 10 %de l’ensemble des sphénoïdites20, Aspergillus fumi-gatus étant alors l’agent fongique le plus fréquem-ment isolé.

Complications

De redoutables complications sont possibles du faitde la présence d’éléments nobles au voisinage dusinus infecté :

• structures nerveuses (nerfs optiques) ;• structures vasculaires (sinus caverneux).Parmi nos neuf patients, nous avons constaté une

cécité bilatérale. Il s’agit d’une patiente venueconsulter pour une baisse de l’acuité visuelle gau-che rapidement progressive. Le diagnostic est celuid’une sphénoïdite chronique aspergillaire. Malgrél’intervention chirurgicale et un contrôle tomoden-sitométrique très satisfaisant à 1 mois, il n’existepas de récupération de l’acuité visuelle gauche ets’installe même une atteinte similaire à droite. Lapatiente présente une cécité bilatérale 9 moisaprès le diagnostic de sphénoïdite.Les consultations ophtalmologiques successives

ont conclu à une relation de cause à effet entre lasphénoïdite aspergillaire et la cécité sans que laphysiopathologie de l’atteinte ait pu être précisée.

Figure 1 Aspect tomodensitométrique d’une sphénoïdite aiguë.Niveau hydroaérique droit du sphénoïde.

Figure 2 Aspect tomodensitométrique d’une sphénoïdite chro-nique. Épaississement muqueux sphénoïdal et condensation os-seuse avoisinante.

Figure 3 Bactériologie des sphénoïdites aiguës.

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Traitement

Le traitement est avant tout médical, associant, encas de sphénoïdite aiguë, en hospitalisation, unecorticothérapie par voie parentérale (1 à 2 mg/kg/jde méthylprednisolone) et une bi- ou triantibiothé-rapie administrée par voie parentérale (b-lactamine, quinolone, aminoside).1,2,5,6,9,10,11,18 Encas de possibilité de prélèvement à visée bactério-logique, le choix des molécules sera adapté secon-dairement aux résultats de l’antibiogramme. Ladurée du traitement parentéral est habituellementde 10 jours, relayé par un traitement par voie oralede 15 jours.10,11 L’administration du traitementantibiotique doit faire appel aux connaissances del’écologie des infections sinusiennes et sphénoïda-les en particulier.Pour tous les auteurs, la place du traitement

chirurgical semble limitée à des indications préci-ses : l’origine mycotique, l’existence ou la surve-

nue de complication, l’échec du traitement médi-cal. Le principe repose sur le drainage large de lacavité sinusienne. La simple sphénoïdotomie parvoie endonasale, après repérage du récessus sphé-noethmoïdal, reste la technique de référence enraison de son caractère rapide et de sa faible iatro-génie.21 De plus, dans ce type de chirurgie, l’éven-tuelle neuronavigation trouve là tout son intérêt,offrant au chirurgien une sécurité supplémentaire.La voie endoseptale, plus rarement employée, pré-sente l’inconvénient de mettre en contact le car-tilage septal et les différents agents pathogènes.Enfin, la sphénoïdotomie par voie externe sembleabandonnée dans cette indication depuis l’utilisa-tion de l’endoscopie. Le drainage chirurgical per-met ainsi de réaliser, dans de bonnes conditions,des prélèvements bactériologiques souvent diffici-les, voire impossibles à effectuer en consultation,d’ouvrir largement le sinus sphénoïdal, de le laveret de le drainer.La surveillance après traitement est systémati-

que par un contrôle clinique et endoscopique ens’assurant de la disparition de tous les symptômesfonctionnels initiaux. La place de l’imagerie decontrôle reste controversée.22,23 L’antibiothérapieétant probabiliste, nous réservons une tomodensi-tométrie de contrôle précoce en cas de persistancedes signes cliniques initiaux ou en cas d’apparitionde signes neurologiques ou ophtalmologiques. Horssigne clinique, une tomodensitométrie trop pré-coce ne donne pas de données certaines quant à laguérison. Il nous paraît raisonnable de la prescrireau-delà d’un délai de 6 mois pour confirmer laguérison et évaluer les éventuelles séquelles. Cetexamen constitue en outre une imagerie « de réfé-rence ».

Conclusion

La sphénoïdite isolée est une pathologie rare audiagnostic clinique difficile et aux complicationspotentiellement graves. Il faut savoir l’évoquer de-vant une sémiologie trompeuse, notamment devantune céphalée isolée et rebelle. Le diagnostic decertitude ne peut se passer de la tomodensitomé-trie. Le traitement médical doit être prescrit defaçon probabiliste, par une bi- ou une triantibiothé-rapie parentérale orientée contre Staphylococcusaureus et les germes anaérobies. Le traitementchirurgical, plutôt par simple sphénoïdotomie souscontrôle endoscopique, sera envisagé en casd’échec du traitement médical, en cas de survenued’une complication et en cas de pathologie mycoti-que. Chaque patient doit faire l’objet d’une sur-veillance régulière par un examen clinique et une

Figure 4 Bactériologie des sphénoïdites chroniques.

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endoscopie, complétée d’une tomodensitométriede contrôle à 6 mois ou plus précoce si les symptô-mes persistent malgré le traitement.

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257Aspects cliniques et thérapeutiques des sphénoïdites aiguës et chroniques de l’adulte