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Service universitaire de formation tout au long de la vie APPROCHE ANTHROPOLOGIQUE DU VITILIGO (De l'expérience subjective des patients) Mémoire présenté par Isabelle RETBI Année civile 2015

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Service universitaire de formation tout au long de la vie

APPROCHE ANTHROPOLOGIQUE DU VITILIGO

(De l'expérience subjective des patients)

Mémoire présenté par

Isabelle RETBI

Année civile 2015

Remerciements :

Je tiens à remercier tout particulièrement Mme Draperi, Dr Houegbe et Mr Spoljar

pour m'avoir écoutée, conseillée et orientée dans ce travail. Un grand merci à Mme

Carré pour le temps et l'attention accordés à toutes mes sollicitations, bien au-delà de

notre entretien. Enfin, une pensée reconnaissante pour mes patients, sans qui rien

n'aurait été possible.

2

Plan

Introduction.

A. QuestionnementB. Qu'est ce que le vitiligo ?

a) Description médicaleb) Limites de la connaissance biomédicalec) Et en pratique ?d) Réflexions

C. Témoignages de patients a) Récits des entretiens :

Mme M. Mr S. Mme X.

b) Analyse des récits : Mme M. Mr S. Mme X.

c) Remarque sur les limites des témoignages.D. Entretien avec Mme Carré E. Discussion

a) Aspects collectifsb) Aspects individuels

Le vécu Un possible syndrome d'Orphée ?

c) Quelle intégration à notre pratique ?

Conclusion

3

Introduction :

En tant que médecin, la recherche d'un matériel anthropologique m'a porté

naturellement à m'arrêter sur ces "gens" qui viennent me voir quotidiennement en

consultation. Amenant avec eux "leur monde", dotés d'une certaine étrangeté de part

leur corps, leur discours et leur imaginaire, m'incitant par le cadre même et la

récurrence des rencontres, à construire un lien entre nous, ils m'ont semblé pouvoir

constituer un matériel anthropologique accessible. Le choix d'un objet d'étude a été

guidé par l'envie de travailler sur une situation "d'écueil" professionnel, moments

forcément pluriels dans la journée d'un généraliste. A l'origine de ce mémoire, il y a

un sentiment de perplexité né de cette constatation qu'une maladie est un phénomène

qui déborde de toute part la médecine. Le vitiligo, dermatose bénigne et relativement

fréquente se prête particulièrement bien à cette réflexion. Je vais donc me pencher

sur un groupe de patients atteints de vitiligo, pathologie qui éveille en moi une

certaine sensibilité.

Avec pour fil d'Ariane cette interrogation, "comment voir et entendre ces malades,

pour lesquels je suis médicalement démunie, autrement ?", partant de mes

connaissances médicales, je vais essayer d'enlever mes œillères afin d'aller à leur

rencontre. Cette démarche m'apparait tout à fait "impressionniste" par rapport à la

médecine contemporaine que j'ai apprise (Laplantine, 1997, p271)1. Comme ces

peintres qui juxtaposaient sur leurs toiles des touches colorées, accumulées en

"patés" d'allure chaotique, faisant naitre pour l'observateur à distance une forme ou

un instantané. Comme s'il me fallait légitimer ce travail, je convoque ici les mots de

Merleau Ponty :

« La science manipule les choses et refuse à les habiter. (…) Il faut que la pensée de

science- pensée de survol, pensée de l'objet en général- se replace dans un "il y a"

préalable, dans le site, sur le sol du monde sensible et du monde ouvré tels qu'ils sont dans

notre vie, pour notre corps, non pas ce corps possible dont il est loisible de soutenir qu'il est

une machine à information, mais ce corps actuel que j'appelle mien, la sentinelle qui se tient

silencieusement sous mes paroles et sous mes actes » (Merleau Ponty, 1964, p10)2

Parce que par ma formation et mon parcours je suis un des produits de cette

science.

4

A. Questionnement :

Pourquoi avoir choisi le vitiligo ? Parce que le vitiligo pose plusieurs difficultés

pour le moment sans solution à la communauté médicale. Sans cause précise établie,

d'évolution imprévisible et sans traitement réellement efficace à ce jour, c'est une

sorte de pied de nez au discours habituel de la médecine contemporaine. Privés de

notre regard et par là de notre "autorité", ramenés bon gré mal gré aux

préoccupations du malade, le vitiligo nous montre, de façon imparable, les limites du

biomédical dans la rencontre avec le patient. Il nous rappelle un souvenir pas si

lointain que ça : « Il y a des époques où la médecine scientifique n'ayant pas encore

fourni de "vraies" réponses, l'homme fabriquait du sens pour colmater ses

ignorances » (Herzlich, 1994, p202)3, et d'ailleurs il nous y oblige.

Restant sollicités par ces patients échouant dans nos consultations en mal d'un

interlocuteur pouvant les entendre (à défaut de les aider), venant à première vue nous

encombrer par le détail de leur quotidien et de leur vécu, ces patients nous entrainent

dans une autre rencontre qui vient infléchir notre regard par trop médical. Dans

l'interaction qui se met en place à les écouter, ils nous rappellent, si nous avions

tendance à l'oublier, tout « le paradoxe de la maladie, qui est à la fois la plus

individuelle et la plus sociale des choses » (Augé, 1994, p36)4. D'abord,

manifestation du biologique s'inscrivant dans un corps, venant alors jouer les trouble-

fêtes dans le cours d'une vie, l'interprétation du vitiligo peut dépasser le "simple"

cadre individuel, déjà support de sens en soi, pour devenir un signifiant dans le

rapport de l'individu à l'ordre social. Parfois même, par le stigmate physique qu'il

réalise, il en devient une métaphore, qui peut être douloureusement criante sur

certaines peaux et dans certains pays. Aidée par un entretien réalisé auprès d'une

psychologue ayant travaillé auprès de patients atteints du vitiligo et du témoignage

de trois patients de ma consultation, je tenterais d'approcher, à travers leurs mots, un

peu de l'expérience de la maladie que constitue le vitiligo et quelques aspects de sa

représentation.

5

B. Qu'est ce que le vitiligo ?

a) Description médicale :

Je vous propose comme premier regard, le mien, à savoir celui d'un médecin

généraliste.

Définissons tout d'abord ce mot. Vitiligo, nom masculin, vient du latin. Le

dictionnaire Gaffiot nous dit que "vitiligo" (féminin) signifie "tache blanche sur la

peau". Il est lui même issu de "vitium" (neutre), signifiant " défaut, imperfection,

défectuosité ". Vitium Corporis signifie "défaut physique", "difformité", "infirmité".

Voyons ce qu'en dit la médecine. Achromie acquise, le vitiligo consiste en

l'apparition de zones de peau dépigmentées, se manifestant le plus souvent de façon

symétrique et progressivement généralisée. Il touche la peau et les poils. Deux autres

formes sont aussi décrites : acrale (ou acrofaciale) et focale (ou segmentaire) (5).

En s'attardant sur son histoire (6), on peut lire qu'il correspond probablement à

l'Alphos retrouvé dans les écrits d'Hérodote, vers 449 avant J-C, historien

contemporain d'Hippocrate. Néanmoins, il n'a jamais été décrit en détail par ce

dernier. Il apparait dans les écrits de Celsius, philosophe romain du II m siècle après

J-C, sous son nom actuel. Longtemps classé parmi les maladies lépreuses au Moyen

Age, il continue d'endosser différents aspects avec les siècles : appelé Morphée

Blanche pour certains, ou maladie pustuleuse pour Lorry (médecin du XVIII m

siècle), voire encore décrit comme des tubercules blancs mêlés de papules sur la peau

pour d'autres, il n' a été décrit avec précision qu'en 1911 par Karl Pearson (7).

Retrouvé sur le papyrus d'Ebers (autour du XVI m siècle avant J-C) ou dans les livres

sacrés indiens datant de 1400 avant J-C, il semble connu depuis des "temps

immémoriaux. Objet (parmi d'autres) d'une interprétation plutôt sans équivoque chez

les Hébreux, comme impureté spirituelle mise sur le compte d'une punition des

Dieux et nécessitant réparation (Lévitique 13, 38), il a été l'objet d'une attention

particulière afin d'être discerné des cas de lèpre, considérés alors comme hautement

contagieux. C'est en Chine au VII m siècle après J-C que se fait définitivement la

différenciation entre vitiligo et lèpre, par la constatation d'une insensibilité cutanée

des taches de la lèpre, absente dans le vitiligo.

6

Relativement fréquent puisque sa prévalence est estimée entre 0.5 à 2 % de la

population mondiale, il apparait le plus souvent chez des sujets jeunes,

habituellement entre 20 et 30 ans. Sa survenue est considérée comme indépendante

de tout critère ethnique, racial, ou socioéconomique. Il fait partie des maladies

orphelines. On le retrouve parfois associé à d'autres pathologies auto-immunes.

D'évolution imprévisible dans son extension, il est considéré comme bénin, malgré la

sensibilité au soleil qu'il crée par l'absence de mélanine, n' augmentant pas pour

autant les cas de cancer de la peau.

Son traitement essaie de stimuler la production de mélanocytes. Dans tous les cas,

il "exige" la suppression des frictions locales favorisant l'apparition des plaques. Le

choix du traitement est orienté par la couleur de la peau tachée (de brun clair à blanc)

et par la persistance de poils colorés sur cette zone. En cas de plaque et de poils

blancs, aucun traitement médical ne peut être envisagé et les patients sont parfois

orientés vers une prise en charge chirurgicale, avec la greffe de mélanocytes. Dans

les autres cas, plusieurs possibilités sont proposées selon l'étendue des taches :

crèmes locales à base de corticoïdes ou d'immunosuppresseurs (comme le

tacrolimus), séances de laser excimer, photothérapie naturelle (héliothérapie) ou

puvathérapie sur peaux préalablement préparées par un photo sensibilisant

(psoralène), luminothérapie (UVB). Deux zones restent habituellement rebelles aux

traitements : les mains et les pieds. Ces traitements produisent une repigmentation en

forme de confettis, habituellement confluant, qui peut s'avérer partielle ou même

décevante par l'aspect qu'elle prend. Dans tous les cas, la cosmétique, via le

maquillage correcteur, rend service aux patients (8). Enfin, il y a une quinzaine

d'années, lors d'un voyage en Crète, j'ai rencontré une patiente dont le vitiligo

touchait plus de 50 % de sa surface corporelle, à qui on avait réalisé une

dépigmentation intégrale par utilisation d'hydroquinone, la confinant à rester à l'abri

du soleil pour le reste de sa vie.

b) Limites de la connaissance biomédicale :

Le vitiligo pose trois difficultés à la communauté médicale :

Tout d'abord, le problème de la cause : la communauté biomédicale

suggère que la maladie est due à la disparition des mélanocytes

7

épidermiques, dont l'origine probable est polygénique et

multifactorielle (sic !). Elle est l'objet actuellement de recherches en

génétique. Mais, à ce jour, la cause exacte reste inconnue. Une autre difficulté est celle de l'élucidation du mécanisme. Véritable

source de controverses, l'hypothèse auto-immune actuellement retenue

est renforcée par son association à d'autres endocrinopathies

(hypothyroïdie de Hashimoto, Diabète, maladie d'Addison…) et

maladies auto-immunes (pelade, anémie pernicieuse, polyarthrite

rhumatoïde, psoriasis, lupus, maladie inflammatoire du tube

digestif…). Mais en réalité : on ne sait pas qui de l'œuf et qui de la

poule…autrement formulé : l'hypothèse auto-immune est elle à

l'origine ou secondaire de la destruction mélanocytaire ? Le vitiligo reste "difficile" à traiter et son traitement, difficile à

évaluer. Les associations de patients jouent de ce fait un rôle

important. Elles assurent entre autre écoute, soutien, groupe de parole

et ateliers maquillage correcteur. En Inde, elle propose des services

qui témoignent de l'envahissement social de la maladie : organisation

de rencontres amoureuses et lien vers des offres d'emploi. Considéré

pendant des années comme une maladie psychosomatique avant d'être

proposé à l'étiologie auto-immune, le vitiligo suscite depuis quelques

années un regain d'intérêt du fait de son coté dévastateur sur le plan

psychologique (9). La diversité des pays d'origine des équipes ayant

écrit des articles (Europe, Inde, Japon, Iran, Asie Sud Est….) permet

d'envisager que le phototype de départ n'est pas le seul responsable de

leur souffrance. Est suggérée comme cause la société, dont la

perception de la défiguration par coloration inégale de la peau, reste

péjorative. Compte tenu du contraste observé entre les zones

dépigmentées et la peau saine, la défiguration obtenue est d'autant

plus visible dans les groupes caractérisés par une peau plus foncée. Le

préjudice social, proportionnel. Des études ont évalué les effets d'une

psychothérapie cognitive, constatant l'efficacité de cette prise en

8

charge. De fait, on peut supposer raisonnablement que toute prise en

charge psychothérapeutique serait plus efficace qu'aucune.

c) Et en pratique ?

Malgré toutes ces notions, il est manifeste qu'aux questions habituelles des

patients découvrant leur vitiligo : "qu'est ce que c'est ?", "d'où ça vient ?", "vais je

devenir tout blanc ?", et à leur corollaire : "enlevez moi ça !", les réponses s'avèrent

reposer sur un socle plutôt mouvant, et de ce fait peu rassurant. Pendant un temps,

pour mener ces consultations, j'ai surtout pris le parti d'expliquer aux patients leur

maladie en répondant scrupuleusement à leurs questions, sans pour autant masquer

nos ignorances. Prenant tout le temps nécessaire à cela, j'ai souvent eu le sentiment

que plus je les renseignais, plus je les noyais dans un flot d'informations imprécises.

Avec une impression de quelque chose qui m'échappait ou qui s'éloignait. A

plusieurs reprises, j'ai renvoyé vers le spécialiste, convaincue du bien fondé d'un

deuxième temps d'information et imaginant une consultation plus aboutie. Ressentant

un certain désarroi en fin de consultation, j'ai souvent tenté dans un élan de

paternalisme de les "rassurer", suggérant par exemple qu'une affection bénigne

n'avait pas de quoi inquiéter. Affirmation qui provoquait toujours mon soulagement

immédiat, mais qui était très décevante sur le patient, ce que dans le fond je

comprenais. Ou encore leur suggérant qu'il y avait "plus grave" à travers un "ce n'est

rien !", plutôt sans appel et qui semblait indiquer qu'un mal sans cause et sans

douleur n'était rien et que ce rien ne pouvait pas les faire souffrir. Soit une vraie

négation de ce pour quoi ils me consultaient.

Bref, à chaque fois, j'ai eu l'impression d'être "à coté de la plaque", de passer à

coté de "quelque chose". Perplexe, je me rendais compte que le temps dévolu à ces

consultations toujours très chronophages, n'y faisait rien : en ressortait une grande

insatisfaction, que je supposais être de part et d'autre. Dans ces conditions, comment

faire autrement ?

d) Réflexions

Une première réflexion se dégage de ce qui précède sous la forme d'une

interrogation : le vitiligo est il bien une maladie ? Après tout, une dermatose

caractérisée par un changement de couleur de la peau n'est elle pas "juste" une

9

anomalie ? La confusion régnant, une reprise des définitions s'est avérée édifiante.

Tout d'abord, qu'est ce qu'une anomalie ?

« Toutes les espèces vivantes offrent à considérer une multitude de variations dans la

forme et le volume proportionnel des organes (…). L'anomalie c'est le fait de variation

individuelle qui empêche deux êtres de pouvoir se substituer l'un à l'autre de façon

complète. (…) Mais diversité n'est pas maladie. L'anormal n'est pas le pathologique. (…)

L'anomalie peut être responsable de méfaits imaginaires. Tant que l'anomalie n'a pas

d'incidence fonctionnelle éprouvée par l'individu et pour lui (…), l'anomalie ou bien est

ignorée, ou bien est une variété indifférente, une variation sur un thème spécifique, (…) une

irrégularité comme il y a des irrégularités négligeables d'objets coulés dans un même

moule » (Canguilhem, 2010, p82-84)10.

La pigmentation cutanée, objet biologique, est la résultante de facteurs génétiques

fondés sur la production de mélanocytes, indexés sur le métissage des populations,

de l'environnement géo-climatique, d'un contexte social (conditions de vie et

alimentation), et d'un "destin" pathologique (de nombreuses pathologies pouvant la

modifier) (11). Une variation chromatique telle qu'une tache de vitiligo peut donc se

concevoir comme une anomalie, considération qui ne peut nier un aspect culturel sur

lequel nous tenterons de revenir. Cela en fait il pour une autant une pathologie ?

Doit-on ou non considérer cette tache blanche comme le symptôme central d'une

maladie ? Les mots de Canguilhem me sont venus en aide et ont ajusté mes

conceptions : « Pathologique implique pathos, sentiment direct et concret de

souffrance et d'impuissance, sentiment de vie contrariée. (…) La limitation forcée

d'un être humain à une condition unique et invariable est jugée péjorativement, par

référence à l'idéal humain qui est l'adaptation possible et voulue à toutes les

conditions imaginables (…) » (Canguilhem, 2010, p85-87)10

Si on peut dire avec lui que l'anormal n'est pas forcément pathologique, le

pathologique semble bien être l'anormal. A bien le suivre, une maladie correspond

alors à la substitution d'un ordre attendu ou aimé par un autre ordre, ce dernier

instituant une nouvelle dimension de vie, un nouvel ordre vital, un "nouvel état

global de l'être" (13) qui aboutit pour le patient à un mode de vie rétréci, modifiant

qualitativement et péjorativement l'existence. La maladie se caractérise par de

nouvelles constantes physiologiques faisant disparaitre les anciennes et par la mise

10

en place de nouveaux moyens pour obtenir des résultats apparemment inchangés.

Elle implique la référence à une norme à partir de laquelle se construit la valeur

vitale négative du patient. Quelle pourrait être cette norme ici ? La couleur de la peau

atteinte, remarquée tant par le patient que par le médecin à cause du contraste qu'elle

crée, et retenue comme un signe apparent et classant, ne me semble pas l'être

exactement. Par contre le contraste qui se crée, ou autrement dit la rupture de

l'harmonie habituelle du pigment de la peau, prenant grosso modo un aspect

comparable au pelage du léopard, semble être ce qui constitue le défaut. Il s'agirait

donc probablement plus d'une norme d'uniformité de la peau que d'une norme de

couleur. Elle s'appuie sur une réalité d'allure empirique, postulant de façon

unilatérale ce à quoi doit ressembler, le plus souvent, une peau.

Ainsi partant de l'expérience du patient et non plus exclusivement de notre savoir,

le vitiligo peut devenir une maladie et se vivre comme telle.

Mais alors en repensant à ma pratique, se pourrait-il que ce "quelque chose" à coté

duquel je passe sans le voir, celui qui s'éloigne à mesure que mon savoir se déroule

soit le patient ? Et que son évitement soit à l'origine de mon insatisfaction ?

Troublante question, qui m'interroge sur ma formation. Reconnue comme procédant

d'un réductionnisme biologique initial et du coup fondée sur une représentation

exclusivement objective du corps (12), cette formation, au caractère très scientifique,

nous a rendu oublieux du patient, globalement indifférents à son vécu et

exclusivement concentrés sur un être de la maladie. En postulant de manière

péremptoire que la maladie se situe dans le corps, elle nous contraint

progressivement à assimiler le patient comme source d'information des états de son

corps, et seulement ça….Une vraie supercherie ! Me remémorant mes débuts en

médecine, émaillés de sursauts de révolte et d'à-coups pénibles d'adaptation au

discours ambiant, je me suis rendue compte que cela n'avait finalement rien changé.

Ce regard s'insinue en nous, malgré nous et nous imprègne. Le patient finit par n'être

rien d'autre que ce "quelque chose" qui renseigne ou qui subit le flot d'informations

sur sa maladie, révélant par là notre égarement. Un absent pourtant bien présent, là,

devant nous, devenu une interface entre le médecin et la maladie. Il s'agit bien d'une

noyade…mais pas de celui qu'on croit. En même temps, une constatation me

préoccupe : comment se fait il que bon nombre de consultations se passent bien ?

11

Laplantine nous répond : parce que « patients et médecins sont issus de la même

culture, orientée vers la maitrise et la domination de la maladie (…) ils partagent"

l'idée de ce qu'est la médecine (une science exacte), le malade (un patient qui doit

guérir à tout prix), la maladie et la guérison (perception mécaniste….) » (Laplantine,

1997, p263)1. Evidemment…

Dans une journée de généraliste, les situations sont nombreuses où le vécu

phénoménologique du patient fait immanquablement son retour. Qualifiées de

"difficiles", elles font vaciller nos maigres certitudes. Parmi elles, la maladie dite

chronique, celle qui dure, avec ou sans traitement et ne mettant pas pour autant en jeu

le pronostic vital immédiatement. Aussi, les situations d'accompagnement de fin de

vie, avec une dimension bien plus dramatique. La solitude respective à laquelle nous

sommes souvent renvoyés mutuellement, patient et médecin, l'émotion galopante qui

nous enserre respectivement dans les situations les plus tragiques, et enfin la mise en

lumière de nos limites, nous dévoilant l'ampleur de notre impuissance, ne peuvent

donner lieu à un dialogue aisé, ce d'autant qu'il manque de pratique. Ces situations

trouvent un écho fulgurant dans cette phrase : « La spatialisation et l'extériorisation

du corps laissent de coté l'inscription de l'existence humaine dans une

temporalité » (Draperi, 2010, p45)13. A travers elles, il semble que l'humanité à

laquelle nous nous confrontons, nous déborde. Mais, ce qui est laissé de coté

habituellement, ou qui n'existe qu'en pointillé dans nos consultations, resurgit alors

avec une force décuplée : les personnes, le malade en péril mais aussi le médecin aux

abois, et leurs vécus respectifs (13). Faut-il attendre d'être médicalement démuni

pour rendre son importance à l'expérience subjective du patient ? Il y a dans une telle

attitude le reflet d'une tension, d'un conflit d'autorité entre le médecin et son patient.

Qui détient la vérité ? Celui qui souffre et propose son vécu phénoménologique ou

celui qui objective à partir de mesures et de modèles ? L'exemple relaté par

Aronowitz avec ses cas de "poliomyélite atypique" illustre bien le problème (14).

Le vitiligo "offre" une possibilité de s'essayer à faire autrement. Puisque notre

travail habituel "d'inspecteur du corps" se fait en un clin d'œil (indices évidents

servant de preuve sans qu'aucun test ne soit utile pour le diagnostic), et que le

traitement est plus affaire de spécialiste, nous pouvons prendre le temps d'écouter le

patient raconter son vécu. Aussi méconnue et obscure qu'elle nous apparaisse, aussi

12

peu fiable qu'elle soit à nos esprits scientifiques, aussi empêtrée dans une histoire et

des références personnelles, l'expérience de la maladie mérite peut être d'être intégrée

à notre travail (12). En mettant de coté nos appréhensions, et puisque notre formation

a toujours été faite d'apprentissage et de compagnonnage sur le terrain, le patient

pourrait peut être "récupérer" un rôle central. Laplantine reprend le qualificatif d'un

confrère pour désigner le sentiment d'un généraliste : un fantassin de première ligne.

Bien qu'il y ait dans cette expression, ce coté assez inquiétant du soldat mal préparé

et mal armé qui va au casse pipe, essayons malgré tout de nous en accommoder.

13

C. Témoignages de patients :

a) Récits des entretiens Mme M. :

Mme M. a 28 ans. C'est une femme originaire du Sud de la France avec la peau

mate. Nous nous connaissons bien, puisque je suis toute la famille. Elle se marie dans

quelques mois. Elle vient me voir en fin de journée, au début de l'hiver. Il est tard,

elle a attendu longtemps dans ma salle d'attente sans se décourager.

Elle aborde la consultation par un motif qui, finit elle par me dire après plusieurs

minutes n'est pas celui pour lequel elle vient me consulter. Après un silence, tout en

ne me quittant pas des yeux, elle dit : "ce n'est surement pas grand chose. C'est venu

avec l'été. Ca fait des mois que c'est là. J'ai attendu mais c'est toujours là. Ici (Elle me

montre les commissures labiales). Au départ, c'était juste là (elle me montre la

commissure gauche). J'ai cru que je m'étais tachée. J'ai frotté… mais rien n'a disparu.

Puis en me regardant dans le miroir de la salle de bain, je me suis rendu compte qu'il

y en avait aussi à droite. Avec les mois, c'est devenu indélébile. C'est monté aux yeux

(me montre les paupières). Quand je pleure, les larmes me brulent à cet endroit là

(me montre les canthi externes)…. Je n'ai pas mal ailleurs. Je me sens même plutôt

bien. C'est pour cela, je me suis dit que ce n'était sans doute rien. Si seulement ça

voulait bien partir….Je serais un homme… mais je suis une femme….. et ce n'est pas

très esthétique. Je me marie dans quelques mois, voyez vous, c'est mal placé….

surtout pour les autres….Heureusement que pour l'instant cela ne gène pas trop mon

mari..".

Ce qu'elle désigne en les montrant sans les décrire sont des petites taches blanches

de vitiligo, bien circonscrites et arrondies. Après un temps d'examen du corps entier à

la recherche de ce "ça", je retrouve les plaques du visage, très petites en taille mais

bien visibles car tranchant avec le grain de sa peau, et sur les doigts, qu'elle n'a pas

évoquées dans ses mots.

14

Mr S. :

Mr S. est un homme actif et athlétique de 37 ans, soigné, à la peau blanche et aux

origines familiales méditerranéennes. Venu pour la réalisation d'un certificat médical

pour la pratique du sport, j'observe lors de l'examen physique différentes plaques de

vitiligo sur le visage (autour des yeux et de la bouche), sur le dos des doigts et la face

interne des poignets, ainsi qu'une plaque plus large médio-thoracique gauche.

Présentes depuis plusieurs années, très discrètes sur sa peau à phototype clair,

cachées dans une barbe de 3 jours sur le visage, à ma question "cela vous gène t-il ?",

j'obtiens un "non" assuré, qu'il accompagne d'un geste de dédain d'une main gauche

balayant l'air.

Forte de cette réponse, j'aborde alors l'importance de la protection solaire et les

quelques possibilités thérapeutiques qu'il n'a pas encore testé d'après ce que je

comprends. En toute fin de consultation, il revient soudainement sur la plaque

blanche en regard du cœur, qu'il a qualifié au cours de mon inspection de "sa

moisissure". M'expliquant que cette dernière n'est probablement pas du vitiligo

puisqu'elle a présenté des squames et qu'elle a disparu grâce à un traitement

antifongique il y a de cela quelques années, il m'indique finalement qu'il souhaiterait

refaire ce traitement. Au bénéfice du doute, malgré l'absence de squame et bien que

l'aspect (hormis la taille) me semble tout à fait comparable aux autres plaques, je me

décide à refaire cette prescription en lui proposant de repasser me voir au décours du

traitement.

Il revient plusieurs semaines après, et me montre à nouveau son torse, où la

plaque récalcitrante n'a pas répondu au traitement. Le diagnostic provisoire de

mycose mis à mal, nous pouvons relier cette plaque au vitiligo. Si les autres plaques

restent négligeables à ses yeux, cette plaque plus large et non visible le plus souvent

car cachée sous ses vêtements, reste le lieu d'un impératif de traitement. Elle est pour

lui "mal placée car à l'endroit du cœur". Une défaillance qu'il considère comme

problématique, qu'il ne peut oublier et qui reste, à ses yeux, inquiétante pour qui la

verra.

15

Mme X.

Mme X, 60 ans, est d'origine chinoise. Parfaitement bilingue, suivie depuis des

années par un de mes collègues du cabinet, elle m'est adressée pour avis concernant

son vitiligo.

Très vite, la consultation se charge de mots et d'éclats, dominée par une colère

désespérée et une soif de reconnaissance. Pèle mêle, j'entends et je vois, avec en face

de moi une patiente fortement revendicatrice. A ma question "depuis quand présentez

vous du vitiligo", j'apprends qu'il est apparu à l'adolescence et qu'il est la cause de

tous ses maux. S'en suit une déferlante de mots : sans travail, elle me demande "qui

voudrait de ça" pour employée, vivant seule et sans enfant "qui voudrait de ça" pour

compagne ou comme mère, ayant raté sa vie elle change sa formule qui devient "qui

voudrait de ça pour réussir sa vie".

Un peu dépassée par une si profonde douleur, je tente de lui demander quel est

son dermatologue et si elle est soutenue… (je ne finirai pas ma phrase).

Particulièrement agacée, elle reprend les rennes de la consultation et me taxe d'un

"aucun médecin ne reconnait ma souffrance à sa juste valeur". Refusant l'aide

éventuelle d'un psychologue, elle est à la recherche d'un "vrai médecin". Quand je lui

demande de me dire ce qu'est un vrai médecin, j'obtiens la réponse suivante : "un

médecin qui accepterait de faire disparaitre ce qu'elle ne fait que subir depuis si

longtemps, ce que nous aurions tous pu faire disparaitre si nous l'avions bien voulu".

Brutalement et pour comme pour justifier son vécu, elle se lève. Sans attendre que

je le lui demande, elle se déshabille avec autorité et se met nue devant mon bureau

pour me montrer dans une violence qui m'apparait inouïe son corps, reprenant à

chaque segment exhibé sa formule "mais qui voudrait de ça ?"….ainsi donc levant et

agitant un bras, balançant ses seins à droite à gauche, écartant ses cuisses, gonflant

ses lèvres, secouant ses mains……bref, elle me montre un vitiligo développé se

détachant sur sa peau jaune.

Elle ne s'arrête que lorsqu'elle croise mon regard. S'affalant lourdement sur son

siège, elle se rhabille sans un mot.

16

b) Analyse de récits

Cette analyse des récits est une tentative de travail herméneutique, avec beaucoup

d'humilité et d'imperfections….Pour se faire, je me suis fortement appuyée sur le

travail de Good (12).

Mme M. :

Mme M. nous raconte la découverte de taches sur la peau, d'allure banale mais

visibles, qui s'installent et s'étalent dans le temps alors qu'elle est sur le point de se

marier.

La mise en intrigue est une dramatisation liée à l'envahissement progressif dans le

temps - celui assez long entre l'apparition et la consultation, le rythme à trois temps

du début de la consultation (faux motif, silence, description), la description au

rythme des découvertes successives et ascendantes- et dans l'espace aboutissant à une

gravité ressentie de façon croissante : d'anodin ("ce n'est surement pas grand chose"),

et d'isolé ("je me sens bien par ailleurs"), cela devient tenace ("indélébile") et même

douloureux ("ça me brule quand je pleure")..

Le monde de la patiente se réduit et devient un monde très visuel. Le langage

s'effrite et dans la description les mots manquent. Elle montre. Les taches qui ne

partent pas ("j'ai frotté..") s'inscrivent dans sa chair ("indélébile"). Elles créent un

monde nouveau celui de l'inesthétique peu compatible avec la femme ("je serais un

homme…mais je suis une femme"). Le regard domine tout. Il épie sur son visage la

moindre tache (épisode devant le miroir) et les réactions de son médecin pendant le

récit (me fixe intensément).

Son vécu se caractérise par un sentiment d'étrangeté : ce quelque chose qui s'étale

est étranger à elle et l'altère. Cela se manifeste dans les oppositions "je" et ce qu'elle

décrit : "j'ai attendu/c'est toujours là" ou encore "j'ai cru que je m'étais taché - j'ai

frotté/rien n'a disparu - c'est devenu indélébile"… Toujours dans le vécu, les taches

prennent des proportions envahissantes, qui vont déborder son corps pour devenir

gênantes par rapport au regard d'autrui. Elles constituent une menace qui risque de

venir entraver sa vie sociale dont un élément important s'apprête à avoir lieu : son

mariage. Il y a une amorce de démolition de son monde avec cette notion de monde

d'avant les taches et de monde d'après.

17

Les éléments "subjonctivants" du récit sont les portes qu'elle m'ouvre vers d'autres

possibilités : "ce n'est surement pas grand chose" à la recherche de ce que c'est et de

son origine (de toute façon pas grand chose) et ce "si seulement ça voulait bien

partir" qui envisage d'ores et déjà la guérison. On pourrait envisager d'autres

scénarios comme celui un autre diagnostic ici réversible (par exemple, un pityriasis

versicolor) ou comme une pratique obsessionnelle de la piscine (trop de chlore

décolore) ou comme d'avoir affaire à une femme au caractère original ou créatif l'été

quand il s'agit d'étaler la crème solaire sur son visage….

Le besoin de symbolisation l'amène dans mon cabinet pour que je nomme ce

qui lui arrive.

Analyse de Mr S. :

Il s'agit ici d'un homme pris en défaut lors d'une visite chez le médecin pour des

taches de dépigmentation qui ne sont pas le motif initial de la consultation.

La mise en intrigue est émaillée de rebondissements. Le premier temps du récit est

celui d'une vérification d'une certaine intégrité à des fins d'autorisation médicale pour

une performance sportive ("certificat médical pour la pratique du sport)". Histoire

d'en "avoir le cœur net". Premier rebondissement, si le cœur est sain, l'enrobage, la

peau, laisse des doutes. L'observation médicale montrent des taches et la curiosité

médicale interroge ("cela vous gène t-il ?"). Le second temps du récit est celui du

dédain. Les taches ne valent pas mieux que de vulgaires mouches, il les chasse

sportivement d'un revers de la main ("main gauche balayant l'air"). Un deuxième

rebondissement a lieu lorsque le patient avoue accorder à l'une des taches plus

d'importance ("il revient soudainement"). Il décide de livrer bataille et nous demande

de l'aide ("il souhaiterait refaire ce traitement"). C'est le troisième temps du récit qui

se met en place, celui du combat. Un nouveau match, dont il rappelle une victoire

antérieure ("a disparu grâce à un traitement antifongique"). La tache est désignée

comme son adversaire, il la nomme "sa moisissure". Ainsi il cherche à se

l'approprier, à la dominer pour se donner du "cœur à l'ouvrage". Un temps de

suspense se déroule, qui correspond au temps entre les deux consultations ("lui

proposant de repasser me voir au décours du traitement"). C'est un élément

subjonctivant du récit, laissant la place à différents scénarios possibles sur l'issue du

combat. Un dernier rebondissement a lieu dans la deuxième consultation : c'est la

18

tache qui a gagné ("la plaque récalcitrante"). C'est le revers de la médaille. C'est le

moment de la défaite. S'ouvre alors un nouveau monde pour le patient.

Le monde du patient est un monde de valeurs où l'apparence importe peu

comparée aux qualités du cœur ("une défaillance problématique"). Courage et vertu.

Intégrité et honnêteté. Nous ne sommes pas loin d'un monde chevaleresque. La tache

qui touche le cœur touche l'essence même de son être. Elle est de ce fait, fort "mal

placée". Par ailleurs ce qui se trame en silence et sans se voir est plus sournois que ce

qui est bruyant et observable à des kilomètres à la ronde. Tous les chevaliers savent

s'en méfier.

Le vécu du patient oscille entre des opposés : il y a ce qui est bien placé (hors

espace cardiaque) et ce qui est mal placé (devant le cœur), il y a ce que l'on voit et ce

qui se cache (vêtement, barbe), il y a ce qui est superficiel (mérite un "chasse

mouche") et ce qui est profond ("mérite un traitement"), il y a ce qui est grand et ce

qui est petit (taille des plaques). Cela donne l'impression incessante d'être sur une

frontière entre des mondes bien définis. La déstructuration de son monde nécessite la

présence d'un arbitre qu'il vient solliciter dans la deuxième consultation pour mettre

un terme au combat et peut être se résigner. Cette délimitation bien nette du monde,

cette dichotomie permet un sentiment de maitrise qu'il va perdre progressivement.

Analyse de Mme X. :

Nous rencontrons ici une femme dont la vie a été progressivement envahie par les

taches de vitiligo.

La mise en intrigue est une dramatisation caractérisée par la démolition

progressive de sa vie. La consultation suit un rythme à quatre temps : le premier

temps est celui de la recherche d'une reconnaissance par le corps médical. C'est un

temps où elle nous prend à témoin. Elle est assise et interpelle "mais qui voudrait de

ça ?" exposant ce qui l'a envahi, ce qui a gâché son existence, ce dont personne ne

veut : ni mari, ni enfant, ni employeur et ni même médecin. Cette dernière

affirmation amène le deuxième temps, celui de l'évaluation de notre volonté et de

notre capacité à exercer la médecine sur elle. Elle nous juge sans nous laisser la

parole (douloureux renversement de l'ordre des choses pour le médecin !).

Puisqu'aucun de nous ne peut la soulager, c'est qu'aucun de nous n'est digne de se

19

dire médecin. Cela introduit le troisième temps de la consultation, celui où "elle

reprend les rennes", où elle se lève et s'emploie à nous remplacer. Son déshabillage

"autoritaire", son "commentaire" froid et lapidaire, son "exhibition forcée et auto-

agressive" cherchent à nous montrer l'étendue (véridique) de son vitiligo mais au delà

démontre ce qu'est un (vrai ?) médecin. Vient le temps de la fin de la démonstration,

le quatrième. Elle "s'affale" sur le siège, dans un mouvement évocateur d'une chute.

Son vitiligo disparait progressivement sous les vêtements ("se rhabille"), les mots

s'effacent ("sans un mot"), elle semble s'éteindre.

Le vécu de la patiente domine toute la consultation. Il est ontologique. Son vécu

du corps est disproportionné, démesuré. Il forme un tout, une expérience totale, qui

déborde la patiente et envahit tous les domaines de sa vie : travail, vie sociale et

famille. Il y a de la révolte dans cette confrontation, dans ces refus, mais il y a aussi

une ambivalence dans cette phrase : "…ce qu'elle ne fait que subir depuis si

longtemps, ce que nous aurions tous pu faire disparaitre si nous l'avions bien voulu".

Ce "nous" concerne t-il la collectivité des médecins ou nous deux, elle et moi ? Si les

médecins n'arrivent pas à venir à bout de sa souffrance, est ce parce que la patiente a

le sentiment qu'elle se perdra si on la lui enlève et qu'elle s'y refuse ?

Son monde est celui du vitiligo. Vitiligo qu'elle ne nomme pas. Ce qui la possède

depuis son adolescence c'est ce "ça". Il y a une fusion entre lui et elle. C'est proche

du modèle de la maladie maléfique décrite par Laplantine. Les éclats de voix, la

violence verbale, la transe physique sont des éléments pouvant évoquer cette

possession. Le vitiligo l'habite. Il sort d'elle, de sa voix et de ses gestes. Il a

déstructuré sa vie, l'a rythmée, est devenu son compagnon de tous les instants, a

marqué son destin. La fin de la consultation quand elle s'affale sur son siège et se

rhabille en silence, cette façon de se tasser et de disparaitre traduit cet écrasement.

Enfin et malgré tout il se détache une téléologie dans ce récit. Celle qui la pousse

à chercher ce médecin, celle de trouver le "bon médecin" pouvant changer le cours

de son destin. C'est aussi l'élément subjonctivant du récit, celui qui ouvre tous les

horizons quand à sa quête et à son devenir.

c) Remarque sur les témoignages

20

Ces récits sont issus de consultations de médecine générale qui n'ont pas été

prévues pour s'intégrer dans un mémoire. Ces consultations sont uniques en dehors

de celles de MR S. Les récits ont été construits dans un second temps, pour les

besoins du mémoire. Ils sont basés sur mes écrits réalisés simultanément à leur

parole et même s'ils comportent le plus possible les expressions des patients qui me

consultent, ils sont passés par une phase de réécriture. On lit que l'objectif de la

narrativité est "dans le fond opaque du vivre, de l'agir et du souffrir". Le fait d'avoir

été remanié me semble en constituer un biais.

D. Entretien avec Mme Martine Carré

Depuis de nombreuses années, Mme Carré est bénévole à l'association française

du vitiligo. Elle intervient en tant que psychologue lors des groupes de parole et des

ateliers maquillage correcteur. Elle a mis en place une permanence téléphonique

hebdomadaire qu’elle a tenue pendant 10 ans. Cet engagement s'est fait à Paris mais

aussi sur les routes de France, lorsque l'association délocalisait les ateliers vers les

régions ayant des comités locaux.

La rencontre s'est déroulée comme un entretien ouvert, j'avoue un peu bricolé. En

fait j'ai souhaité une sorte de partage, à bâtons rompus, de son expérience au contact

des malades du vitiligo, autour de deux thèmes : leur perception du corps et leur(s)

représentation(s) du vitiligo.

Nous avons commencé par les représentations que les patients ont de leur vitiligo.

A l'aide de l'évocation de patients, nous avons dégagé quelques lignes directrices :

le vitiligo comme projection de l'histoire personnelle :1. une patiente originaire de Guadeloupe et vivant en métropole

un exil difficile, voyait dans la forme de sa tache son ile

d'origine. 2. beaucoup y voient la trace de la perte d'un être cher. Le vitiligo

marque le deuil d'une trace indélébile.

21

3. logé dans son sourcil devenu blanc, un patient l'interprétait

comme la trace de sa différence, "comme ça on se souvient de

moi" lui a-t-il dit. le vitiligo comme preuve de filiation : la présence de la tache signait la

preuve irréfutable de l'appartenance familiale, surpassant le test ADN. le vitiligo comme signe d'identité : L'apparition de la tache a signé

parfois l'entrée dans le monde des hommes, s'apparentant à un rite de

passage, que seule la nature décide. Comme l'exemple d'un jeune

garçon qui s'est réjouit de voir apparaitre le vitiligo sur son genou,

comme son père, le mettant définitivement du coté des hommes. le vitiligo, une souillure ? Dans certains coins du monde, le vitiligo est

perçu comme la maladie de "l'amour sale" d'après ce que racontait un

patient venant du Brésil. le vitiligo comme arme de protection ? Il y a eu cette histoire, réelle

ou imaginaire, d'un jeune homme piégé par une bande qui a utilisé son

vitiligo pour se sauver, en se désignant comme lépreux, pensant avoir

échappé ainsi à un viol collectif. Cette histoire est intéressante en ce

qu'elle montre la "croyance populaire" tenace sur la dyschromie, la

reliant à la lèpre, maladie honteuse restant affublée d'un fort pouvoir

contagieux.

Inscrites dans l'histoire personnelle, variables selon l'âge de survenue et

l'acceptation de chaque patient, ces représentations du vitiligo semblent être

connotées plus ou moins positivement. Certains le revendiquent comme une valeur

ajoutée, d'autres le déplorent comme l'inscription dans leur chair d'une souffrance.

Nous avons ensuite abordé la délicate question du statut du vitiligo : les patients

l'envisagent ils comme maladie ou comme anomalie ? Régulièrement débattue lors

des échanges entre les participants aux activités de l'association, Mme Carré rapporte

que pour beaucoup de patients, curieusement, une maladie ne doit son nom qu'au

handicap physique qui en découle. L'apparence, haut lieu de la superficialité, ne

semble pas à leurs yeux pouvoir être acceptée dignement comme possible handicap

si elle vient à se transformer. Comme ils disent, cela n'est pas "suffisamment

sérieux". En d'autres termes, en l'absence d'invalidité, de douleur physique,

d'amputation, de cannes, de sang ou de crachats, point de maladie ! A la suite de cela,

22

Mme Carre m'a confié son sentiment et celui qu'elle transmet aux patients. Signe

d’un dysfonctionnement interne entrainant une souffrance du patient, le vitiligo est, à

ses yeux, une maladie. Elle m'a d'ailleurs fait observer qu'il a été déclaré en Inde

troisième fléau national par le premier ministre, après la lèpre, et selon les discours

de référence la tuberculose ou le paludisme.

Quelle perception ont les patients de leur corps ? Pathologie qu'elle qualifie

d'"affichante", le vitiligo est selon elle une maladie du regard de l'Autre, ce regard

qui empêche le malade de vivre. Il est remarquable, m'a t elle dit, d'observer

comment les patients décrivent leurs lésions. Ils manquent de mots. Ils ne le situent

pas. Ils ne le décrivent pas. Ils le montrent. Elle me suggère que le vitiligo serait une

maladie du dire autant que du voir. Les patients qui en sont atteints après l'enfance

doivent emprunter le chemin du deuil d'un soi idéalisé afin de l'accepter. Trahis par

leur corps, qui d'après eux dévoile à tous faiblesses ou souffrances enfouies, perdant

ouvertement la maitrise d'eux-mêmes, elle a insisté sur cette difficile et lente

acceptation et ce qu'elle demande de « lâcher prise ». Elle a pu l'observer dans la

violence des patients envers leurs corps au début des ateliers maquillage correcteur,

moment où il est demandé au patient de se démaquiller d'abord, moment de « mise à

nu » qui s'apparente plus quelque fois à un règlement de compte avec soi devant le

miroir qu'à un moment de respect et de soin de ce corps.

D'après son expérience, il n'y a pas de proportion entre la surface dépigmentée et

la souffrance. Pas non plus de lien entre l’étendue de la dépigmentation et la non-

acceptation du malade. Quelques centimètres carrés peuvent faire autant souffrir

qu’une grande zone dépigmentée. Mme Carré a observé, sans pouvoir en donner une

explication, une zone de basculement dans l'acceptation, selon l'atteinte. Comme si

l'atteinte d'un endroit spécifique du corps rendait la maladie intolérable,

correspondait à « celle de trop ». Elle rapporte les qualificatifs empruntés par les

patients pour décrire leur corps. Le choix des mots utilisés semble traduire la

profondeur de la blessure narcissique ressentie. Le corps est : mutilé, amputé,

défiguré, monstrueux…Des mots qui prennent encore plus de poids avec le

phototype de départ et le stade de la maladie. Plus une peau est foncée, plus grande

sera la souffrance. Quand elle demande aux patients comment ils se rêvent, la

23

réponse semble unanime : en rêve, le patient n'a pas de tache. La maladie reste

extérieure, avec l'air de dire que « Soi n'est pas une peau ».

J'ai voulu connaitre un peu l'imaginaire des patients pour se désigner. Le registre

animalier est très utilisé : tantôt vache, un brin panda, parfois un air de chien

dalmatien, ou quelque chose de l'élégance de la girafe en passant par le drôle de

zèbre…. Un autre domaine plus alimentaire vient les décrire : la glace. Le double

parfum, "vanille chocolat". Ou même le triple, en été, "vanille chocolat et fraise"

(parce que les taches exposées au soleil brûlent au lieu de bronzer).

Les ateliers maquillage correcteur sont le moment d'une restauration, d'une

réconciliation avec soi même. Il s'agit pour les patients de « combler le manque », de

« boucher les trous » d'après ce qu'elle me rapporte. Elle m'a raconté l'important

travail « de dégradé » effectué par les maquilleurs entre la peau saine et la peau

atteinte. Un « travail sur la frontière ». Comme une restauration des limites. Ou

plutôt un déplacement. Une atténuation. Car, il ne s'agit pas pour les professionnels

de retrouver le teint initial du patient, mais bien un ton intermédiaire. Une nouvelle

homogénéité, plutôt que de rester sur un manque. Ces ateliers de maquillage dit

correcteur prennent parfois le nom de camouflage (terme anglais habituel). Je lui ai

fait cette remarque, contre laquelle elle s'est franchement élevée. Considérant le

camouflage comme un mode de défense correspondant à une tactique de guerre, elle

n'accepte pas que le regard de l'autre soit exclusivement perçu comme une menace.

En étendant notre discussion à ce qui se passait dans les autres pays, en cherchant

à savoir si la perception de cette maladie était en quelque sorte "culturelle", j'en suis

arrivée à me demander néanmoins si ce terme défensif de camouflage n'était pas au

moins pour les patients de certains pays plus juste au vue de la violence subie.

D'après elle, les pays occidentaux sont probablement les pays où l'acceptation sociale

du vitiligo est la plus facile. Au delà de la curiosité malsaine de quelques-uns, bien

que des exemples troublants rapportés par des patients donnent matière à réfléchir

sur la tolérance à la différence dans nos pays, ils sont sans commune mesure avec les

pays où la peau est plus sombre. Ayant reçu des patients venus du Moyen Orient, de

Colombie, d'Afrique subsaharienne, d'après les témoignages de « représentants » de

la Shweta association (association du vitiligo indienne) qu'elle a rencontrés lors des

journées internationales organisées par l'association, Mme Carré m'a livré un

24

témoignage lourd. Ainsi, cette femme, venue d'Arabie Saoudite spécialement pour

être maquillée pour le jour de son mariage, expliquant que sa belle famille ne devait

pas savoir « avant ». Ou ce jeune colombien de 17 ans porteur d'une forme de vitiligo

fluctuant modifiant son visage très régulièrement, et obligé de fuir son pays où il était

lapidé pour cause de « visage mouvant ». Ou encore comme cet africain « plus

heureux » consulté par les sages de son village dans les moments délicats car selon

eux élu des Dieux par cette blancheur. Enfin, comme ces nombreux témoignages et

articles écrits par des équipes de médecins indiens insistant sur le préjudice subi

particulièrement par les femmes atteintes dans la société indienne, dévoilant le rôle

social majeur du mariage. Le film Nital, sorti en 2006, raconte cela. Curiosités du

genre humain, entre mutants et chimères, parfois diabolisés ou dotés de pouvoirs

extraordinaires, objets de sorcellerie, ou simplement êtres humain au capital santé

défaillant, le vitiligo de part le monde peut être cause de rejet (réel ou imaginé), de

répudiation, de divorce. On peut se demander quel sort attend ces femmes, réduites à

la duperie, qui sont venues se maquiller avant leur mariage, une fois celui ci effacé ?

25

E. Discussion

a) Aspects collectifs :

L'ouverture recherchée par la rencontre avec Mme Carré, à travers la diversité des

histoires relatées, apporte une mise en perspective des trois entretiens réalisés auprès

de mes patients. Elle permet d'envisager un axe de réponse aux deux questions que je

me posais en début de mémoire : quelle part de dimension culturelle imprègne la

représentation des patients atteints de vitiligo et quelle articulation peut être faite

avec l'acceptation de la maladie ?

La lecture de Culture et pratiques de santé de Jodelet (15) permet d'étayer cette

réflexion. Parmi les différentes formes de culture décrites, on peut extraire, pour nos

besoins, celle des normes et valeurs en terme de modèle de conduite et de pensée

(systèmes de croyance, inculcations éducatives et impositions sociales), et celle en

prise avec le symbolique qui « met en lien et en loi les différents ordres constituant

la réalité sociale » (Jodelet, 2006, p20)15. Dans cette dernière, on retrouve les

"représentations dites culturelles" du corps et de la maladie ainsi que sa construction

sociale selon trois logiques (de différence, de référence et de temps). Le langage

(répertoire et code) est rappelé comme un des outils qui nous permet de les aborder.

Afin de préciser un peu mieux l'idée de représentation culturelle, j'emprunte les

mots de M. Godelier :

« une représentation culturelle est un produit de la pensée qui présente à la conscience

individuelle sous forme d'idées, d'images et de jugements, des réalités extérieures ou

intérieures à l'individu (…). Si un certain nombre d'individus partage les mêmes

représentations, on peut dire que dans ce cas ces représentations sont collectives sans avoir

besoin d'une conscience collective qui serait distincte de celle des individus (…). Toute

représentation, quelle qu'elle soit, est déjà en elle même une interprétation de ce qu'elle

représente et une interprétation est déjà une classification des faits.(…)Toute représentation

est affectée d'une valeur- positive, négative ou neutre- et cela parce que toute représentation

contient un élément d'interprétation du monde… » (Godelier, 2011, p14-15)16.

En reprenant tous les entretiens, il me semble qu'il se dégage des différents

ensembles, constitués à partir à la fois des interprétations des marques corporelles et

de leur valeur positive ou négative attribuée par les patients, des éléments de

26

représentation culturelle. On peut observer à quel point la maladie dépasse à la fois le

seul état corporel et le cadre individuel, et à quel point l'imaginaire collectif est

prégnant et fournit un sens dans l'interprétation (17). Cet imaginaire s'entend comme

ce qu'en propose Godelier, à savoir un monde idéel fait d'idées, d'images et de

représentations de la nature, de l'origine de l'univers, des êtres qui le peuplent, des

humains eux-mêmes, et qui sont inventées pour s'expliquer l'ordre ou le désordre

(18).

J'ai tenté un regroupement :

vitiligo-souillure ou vitiligo-impureté avec l'action conséquente (perçue

comme un risque) de répudiation d'une femme malade ou carrément le

rejet (ou la punition) comme expliqué dans l'Ancien Testament vitiligo-parchemin, inscription dans la chair des épreuves de la vie

(deuil, exil…), et substitut de mémoire, agissant tel un sceau, aux

allures figées, et porteur de conséquences pour l'avenir de ces patients. vitiligo-flétrissure, incompatible avec l'image de la femme (pour Mmes

M et X) et leurs conséquences empruntes de multiples craintes :

divorce, désaveu, désamour… vitiligo-signe d'identité, avec la reconnaissance ou la désapprobation de

ses pairs (la marque au genou du jeune garçon ou la tache de Mr S) vitiligo-monstruosité avec déshumanisation du visage du colombien

entrainant son exclusion de la société et obligeant son exil vitiligo-signe des Dieux avec la conséquence en terme de sollicitations

sur des sujets délicats de cet homme dans un village d'Afrique vitiligo-épidémie, utilisé pour se défendre contre des agresseurs et

rappelant son ancienne intrication avec la lèpre.

L'ensemble, d'ailleurs non exhaustif, de ces interprétations et de leurs

conséquences me semble convoquer, en plus de l'imaginaire collectif, les symboles

(toujours selon Godelier, ils s'entendent comme les réalités matérielles et pratiques

incarnant des réalités idéelles et leur conférant un mode d'existence concrète, visible

et sociale (18) et les schèmes de référence d'une société (17). On peut aussi essayer

d'utiliser les trois logiques d'Augé dans la définition sociale d'une maladie : la

référence sous jacente à un style de peau (la norme), la différence introduite par le

vitiligo (le défaut), et le temps dans lequel s'inscrivent les actions conséquentes.

27

Le choix des mots n'est peut être pas anodin non plus. En reprenant simplement la

définition du vitiligo, « taches blanches sur la peau » et à la lumière des

interprétations des patients, ces mots semblent lourds d'un sens autre que descriptif.

Je me suis demandée quelle pouvait être la définition du mot tache, pour que, victime

moi aussi de ma propre culture, j'adhère immédiatement à cette valeur négative

dénoncée par les patients. Voici ce qu'on peut lire dans le Littré : la tache est une

marque qui salit, qui gâte. Il y a au sens figuré une valeur péjorative à ce mot, de

l'ordre de la flétrissure. Est évoquée aussi la souillure, d'inspiration religieuse, la

tache du pêché. Sur un registre plus médical, la tache est une altération plus ou moins

circonscrite de la couleur de la peau, sans élevure ni dépression (définition parfaite

de l'aspect clinique du vitiligo). Plus loin, on peut aussi lire un autre sens figuré, que

l'on pourrait utiliser pour le corps, à savoir le défaut d'un ouvrage. La tache, enfin, est

tout ce qui blesse l'honneur. Dans un sens désuet, elle a valeur de qualité, bonne ou

mauvaise. Reste que toutes les représentations sont réunies dans ce mot tache : la

souillure, le pêché, le défaut. Est-ce pour cela qu'il est si difficile au patient de le

décrire et qu'il préfère montrer ?

L'aspect blanc de la tache me parait aussi révélateur quelque part d'un sens

collectif du fait que la perception de la couleur (comme le sens qui lui en est donné)

semble un produit culturel, d'ailleurs inculqué dès l'enfance. Chaque société "fait" la

couleur au gré des siècles. Elle la voit, la nomme et la classe, déclinant ses codes, ses

valeurs, organisant ses pratiques et ses enjeux de manière différente (19). Objet

qualifié "d'indéfinissable", "d'insaisissable" par ses spécialistes, mais à forte valeur

symbolique, la couleur a obligé la création d'échelles pour être caractérisée. Le blanc

y joue rôle ambivalent, un temps couleur principale (échelle d'Aristote), actuellement

exclu du cercle chromatique de Newton. Le blanc est pourtant une des couleurs les

plus anciennes, porteuse de symboles forts. Une partie de l'Eglise au Moyen Age

considérant la couleur comme étant du coté du masque, du diable et de ce qui cache

la refusait et réservait une place particulière au blanc, "couleur la moins colorée".

Cette représentation a-t-elle traversé les siècles ? Vient-elle atténuer les souillures

supposées de nos patients ? Par ailleurs, l'imaginaire antique a construit les trois

principaux symboles du blanc retrouvés un peu partout dans le monde : pureté,

innocence et lumière divine. Le blanc est à l'origine, au commencement du monde,

28

mais c'est par là aussi le symbole de la matière indécise, celui du monde des morts et

autres apparitions plus ou moins imaginaires (comme les fantômes ou les

revenants…). On imagine assez bien en quoi cet homme africain pouvait être

considéré comme choisi par les Dieux. Enfin le blanc est associé dans notre

vocabulaire à l'absence et au manque (autant de pages, voix, nuits blanches…). Si le

deuil se porte en noir en Europe, il est blanc en Asie et dans une partie de l'Afrique.

Cette couleur blanche vient elle renforcer inconsciemment les interprétations des

marques chez les patients vivant un deuil ou un exil ? (20).

Pour utiliser un vocabulaire bien médical, tous ces éléments collectifs semblent

être métabolisés par les patients avant d'en devenir des supports alimentant leurs

représentations individuelles. "Digérés", puis "assimilés" avant d'être "resservis"

dans leurs discours.

Enfin, peut être y a-t-il une part en lien avec la société dans l'acceptation de cette

maladie ? Sa visibilité me semble jouer un rôle important (Mme X et Mme M.).

Introduisant un changement dans l'aspect "public" du patient (mains, pieds et visage),

il devient un frein (mariage, divorce, répudiation, femme, confiance…) ou un

accélérateur (tache au genou ou sourcil blanc, l'homme africain) à l'accomplissement

d'une identité sociale, dont l'issue d'ailleurs le ramène sans cesse à sa maladie. Il est

instructif de reprendre les mots de C. Herzlich pour évoquer cette partie en prise avec

l'ordre social de l'acceptation d'une maladie :

« un malade vivra sa maladie comme destructrice si à partir de la privation d'activité que

la maladie entraine et qui s'accompagne tant de la destruction des liens avec les autres que

des pertes diverses dans ses capacités et dans ses rôles, il ne voit aucune possibilité de

restaurer son identité, totalement assimilée à l'intégration sociale (…) Au contraire la

maladie est vécue comme libératrice si le malade perçoit en elle l'occasion d'échapper à un

rôle social qui étouffe son individualité » (Herzlich, 2014, p65)17.

Godelier utilise une métaphore puissante et parle du corps comme d'une "machine

ventriloque" à la fois de la société et des forces et des désirs qui font l'inconscient. Il

lui donne une puissance de langage entre "gueuloir et murmure". Il le signale

certaines fois simplement traversé de ces éléments, d'autres fois travesti, déguisé, ou

carrément silencieux (18).

29

b) Aspects individuels : Le vécu :

Les analyses des trois témoignages m'ont en premier lieu emmenée sur le chemin

du vécu du vitiligo. C'est un des aspects qui m'a le plus interpellée. Chacun à sa

façon comprend que la chair est la modalité même de l'existence humaine (20), une

chair qui ici les trahit. C'est dans ce sentiment de trahison que se devine cette prise de

conscience. L'irruption du vitiligo chez mes trois patients les confronte avec la réalité

de leur corps, celui que Merleau-Ponty a appelé le corps propre (21). Un corps

maintenant modifié qui ne les quitte jamais, devenant "topie impitoyable", alors qu'il

est l'enceinte même de ce qu'ils sont.

L'intensité des ressentis s'explique peut être par la topographie particulière du

vitiligo, qui se situe non pas dans mais sur le corps. Cette dimension spatiale majorée

par le fait que toute la peau risque d'être touchée, avec pour toile de fond le fait que

la peau est justement le plus grand organe du corps (près de 2 m²) a probablement

une incidence. Intuitivement, chacun sait qu'elle constitue notre enveloppe colorée,

celle qui nous identifie devant l'observateur, mais aussi qu'elle est un organe

incontournable entre l'intérieur et l'extérieur, celui de la protection comme celui des

échanges, dont elle incarne précisément un sens essentiel, le toucher (22).

A travers les situations évoquées, le vécu du corps a tendance à osciller entre

l'intimité la plus profonde et l'altérité la plus radicale. Si le segment de corps atteint

passe du compagnon discret (le sourcil, l'ile de la Guadeloupe) au bourreau

omniprésent (Mme X), le vécu de la maladie est pour le moins ontologique. Ils sont

comme s'ils étaient un vitiligo à part entière. Qu'ils le maitrisent relativement comme

chez Mr S., ou qu'ils soient dominés absolument par lui comme pour Mme X. Le

vitiligo semble aller du simple décor auquel certains tiennent (sourcil, genou…) au

défaut qui les tient (mes trois patients). Il y a un rapport de domination qui s'établit

entre eux et lui. Parallèlement, mes trois patients se sentent comme "envahis". "Ce

vitiligo s'étale" mais il n'est pas eux. Petite bizarrerie du corps qui n'est plus tout à

fait comme avant, il provoque un sentiment d'étrangeté. Leur corps est ce qui leur est

proche et qui pourtant en même temps leur devient infiniment lointain.

Mais qu'est ce qui les envahit ? Question directe ou suggérée, mais question

toujours présente débouchant sur le vécu étiologique. Mme M et Mme X n'arrivent

30

pas à le nommer. Elles le désignent d'un pronom indéterminé. Leur ce. Leur ça ! Cet

autre extérieur à elles. Cet envahisseur exogène. Celui qui n'aurait pas du

s'exprimer…Leur corps semble le lieu d'évènements visibles et invisibles, autant que

désirés et indésirables. L'imagination quant à ce qu'est cet envahisseur ouvre la porte

sur toutes sortes de suppositions. Mais on sent bien que mieux nommé, il pourrait

faire naitre un moi plus intégré (12). Mr S. de son coté lui a trouvé un qualificatif

plutôt symbolique : "sa moisissure". Tel un microorganisme qui pousse à ses dépens

et vient agir à la manière d'un négatif avec le reste du corps sain. Pour tous les trois,

trouver l'étiologie semble être un temps essentiel. Dans ce besoin, on pourrait se dire

qu'ils partent à la recherche d'un mythe originel pouvant pour eux faire sens (12).

Un possible syndrome d'Orphée ?

A travers les récits, les patients mettent à l'épreuve les propos de Merleau-Ponty :

la permanence du corps propre (celui de la réalité), qui est le véhicule de l'être au

monde, va permettre de construire le monde (24). Que se passe t il lorsque le corps

change ?

Les traces indélébiles créées sur leur corps, bien qu'en surface, semblent perçues

comme un changement de matière. C'est une sorte de métamorphose, qui crée une

scission dans leur monde quotidien, modifie leurs perceptions corporelles et entame

leur identité. Il y a pour eux un avant vitiligo et un après. Avec lui apparait une

douleur de l'ordre de la perte de quelque chose d'idéal. Cette douleur semble

entrainer plusieurs mouvements psychiques chez mes patients avec, au centre, une

transformation de leur regard qui va évoluer dans un mouvement de va et vient entre

dedans et dehors. Je vais tenter de les détailler.

Le premier mouvement psychique semble être un mouvement de rétrécissement.

Leur regard interne se déforme pour ne les définir que par rapport à ces taches qui les

discréditent. Les patients se réduisent à elles, embrassant la valeur négative qu'elles

représentent symboliquement : ils sont salis (Mme M.), moisis (Mr S). Au risque de

devenir eux même souillure, difformité ou monstruosité. Cela aboutit à une auto-

dévaluation.

Le deuxième mouvement psychique semble être celui d'une fixité. Si la maladie

était une gorgone, elle serait la Méduse. Elle les pétrifierait de son regard, les

31

changerait en pierre. Immobilisés, en quelque sorte piégés dans leur temporalité, elle

provoque un incessant retour à ces taches auxquelles ils ne semblent pouvoir

échapper. Et pour cause, inexorablement, elles restent là, insensibles aux frottements

(Mme M.) ou aux crèmes antimycosiques (Mr S.). Cette immuabilité crée une

mémoire des taches qui va corrompre leur regard, hanté par elles et y revenant

inlassablement. « Qui voudrait de ça pour réussir sa vie ? » interroge Mme X.

Le troisième mouvement psychique pourrait être un mouvement projectif. C'est un

regard qui projette leur haine de ce qu'ils sont à l'égard de tous ceux qui les

regardent. Comme une supposition de l'hostilité de l'Autre. On a l'impression qu'ils

anticipent les réactions, mû par leurs propres craintes de rejet. Cette supposition a le

risque de devenir conviction, entravant à l'extrême toute la vie du patient, comme

chez Mme X. Elle risque d'aboutir à l'auto-exclusion. Mes trois patients l'illustrent à

des degrés différents. Qui aurait confiance dans un homme avec une tache devant le

cœur ? Qui voudrait de ça pour femme, mère ou employée ? Qui accepterait une

belle fille ou une mariée déjà tachée ?

Cette métamorphose déclenche une bataille sans fin pour restaurer quelque chose

de ce qu'ils ont perdu.

La démarche effectuée par mes patients me rappelle le mythe d'Orphée (25).

Tout d'abord dans leur demande de soins. Tels Orphée décidant de braver le

monde souterrain pour chanter à Hadès et Proserpine sa douleur de la mort de son

amour, Eurydice, mordue par un serpent, ils viennent me voir pour exprimer la

douleur de la perte de leur ancien corps, objet d'un amour idéal.

Ensuite dans le vécu qu'ils révèlent. Sur le chemin du retour dans le monde des

vivants, Orphée précède Eurydice. Mais n'y tenant plus, il se retourne pour la

contempler, et la perd à jamais. Ce regard vers l'arrière décrit dans le mythe, et

scellant le destin de leur amour, pourrait se transposer à mes patients. En effet le

mouvement de va-et-vient barrant l'acceptation de la maladie est sous tendu par une

oscillation du regard : d'un regard vers le passé regrettant leur corps d'avant les

taches à celui contraint par la fixité des plaques à se rappeler qu'elles sont

constitutives de leur réel au quotidien (ou de leur refoulé). Ce regard vers l'arrière

serait en quelque sorte ce qui les perd.

32

On a l'impression d'un va-et-vient incessant entre avenir et passé. Mais aussi entre

dedans et dehors puisque par sa topographie et sa visibilité, le vitiligo rappelle à quel

point pour se voir, les patients dépendent d'un autre corps, celui du miroir ou celui de

l'Autre (24). Le regard qu'ils portent sur l'image de leur corps (dedans) se révèle aussi

troublant que celui donnant lieu aux anamorphoses des peintres autour de la

Renaissance. Développées à partir de jeux de perspective et utilisant un miroir

courbe, ces dernières créaient une sorte de troisième dimension à l'origine d'une

image déformée, qui étonnait et intriguait ceux qui ne l'avait pas imaginée (au

dehors).

On comprend mieux les deux observations de Mme Carré. Celle qui évoque le

douloureux travail de deuil d'un soi idéalisé. Ainsi que celle qui fait allusion à la

violence devant le miroir de l'atelier maquillage, miroir leur renvoyant une image

contre laquelle ils luttent et que d'ailleurs ils refusent.

Mme Carré a aussi par ailleurs évoqué le piège du maquillage, pourtant acte de

renforcement narcissique, qui risque de ressembler, à force, à une duperie de l'autre

mais aussi, et peut être avant tout, de soi.

Enfin, dernièrement on a l'impression d'observer un glissement entre objet et sujet.

Ce glissement est évocateur de l'être et de l'avoir de Merleau-Ponty : du corps objet

(corps porteur de taches) au corps sujet (corps souillé). La quête de mes deux

patientes est celle d'un corps sans plaque. Or ce nouveau corps taché est décrié : il les

déshonore. On a l'impression qu'elles le vivent comme un corps avili, dégradé, pas

loin d'être vicié. Déchu, il ne peut plus être digne de leur amour. Se jugeant objet de

désamour, elles glissent vers une identité de sujet de désamour, et perdent (ou

risquent de perdre) l'amour des Autres. D'ailleurs Mme X me le demande : qui

voudrait de ça comme épouse et comme mère ? Mme M est, quant à elle, sur le seuil

de ce glissement. Mr S de son coté est discrédité dans son identité d'homme de cœur.

Il devient homme au cœur de pierre, indigne de ses valeurs d'origine.

d) Quelle intégration à notre pratique ?

33

Maintenant qu'un autrement est envisagé, je me suis demandée comment faire, en

pratique, pour accompagner ces patients, comment faire pour intégrer ce vécu

phénoménologique à notre exercice ? C'est Mme M. qui me l'a suggéré en voyant,

dans le regard de son futur mari, suffisamment de bienveillance pour ne pas trop en

souffrir.

En puisant, encore une fois, dans la mythologie et en reprenant la comparaison de

cette maladie à une gorgone, il m'est revenu l'aventure périlleuse de Persée, ayant

décidé de couper la tête de la Méduse, pour réparer une blessure d'orgueil infligée par

Polydecte. A cette fin, Persée est aidé par deux déités, Hermès et Athéna, deux anges

gardiens bienveillants. Protégé de son bouclier (sur les conseils d'Athéna), qui lui sert

de miroir pour éviter le regard foudroyant de la Méduse, équipé (grâce à Hermès),

d'une épée capable de transpercer ses écailles épaisses, et enfin, habillé d'un bonnet

le rendant transparent pour l'aider à s'enfuir, il peut affronter la Méduse et lui

trancher la gorge (26). Autrement dit, on ne part pas au combat sans arme et pour

cela il faut être entouré. Au delà de la famille et de l'entourage, que peuvent proposer

les soignants ?

A notre niveau, prodiguer un regard bienveillant permettrait de mettre en

confiance ces patients, qui pourraient, pour certains et avec le temps, partager un peu

de leur expérience subjective du vitiligo, comme l'ont fait Mme M. et Mr S., deux

patients que j'ai connus avant et après leur vitiligo. Nous avons le temps et la

récurrence des consultations de notre coté, en tant que généralistes, ainsi qu'un point

de vue global de nos patients. Une écoute attentive des récits pourrait permettre de

s'infiltrer dans leur monde. Se saisir et investir les éléments "subjonctivants" qui

émaillent les discours, et qui me semblent autant de clefs pour notre travail,

permettraient de détourner les patients de leurs pensées, en leur proposant un chemin

de réflexion inédit. Un petit pas de coté en quelque sorte.

Evidemment le travail de psychothérapie, qu'il soit en groupe de parole comme

proposé par l'association ou en individuel (quelles qu'en soient les modalités)

apparait comme un travail presque incontournable pour ceux dont l'acceptation est

difficile.

Enfin, au delà du soin pur, il y a tout le travail collectif qui va moduler

profondément l'acceptation et la qualité de vie des patients. Celui de communication,

34

en grande partie effectué par les associations et certaines équipes médicales,

permettrait une reconnaissance et la diffusion au sein de la société de cette

pathologie. Mettre en lumière des combats, comme celui du mannequin de la marque

Desigual, utiliser le cinéma comme en Inde (Nital), encourager la production

artistique comme CHU de Bordeaux (actuelle résidence de Sarah Connay),

médiatiser des challenges sportifs, me semblent avoir une portée sociétale. Enfin,

dans le domaine scientifique, le travail des équipes de recherche pourrait un jour

permettre de mieux comprendre cette maladie d'un point de vue biomédical, aspect

qui viendrait se mettre à coté de leur vécu, sans s'y substituer, et pourrait peut être les

aider à mieux la vivre.

35

Conclusion

L'expérience subjective des patients, objet inhabituel dans la culture biomédicale,

est une invitation à la rencontre du patient. Elle apparait comme un des pivots de la

relation médecin patient. Elle est, pourtant, dans notre pratique, souvent laissée de

coté.

Son approche et son utilisation, que nous maîtrisons mal, semblent riches de

nombreuses clefs pour notre pratique. En particulier, celle de redéfinir la maladie à

partir du patient et non plus exclusivement à partir de ses symptômes. Ce

renversement ne doit pas pour autant mettre de coté l'apport de la science dans la

connaissance et le traitement des maladies, mais il semblerait salutaire de les

réintégrer à notre travail.

L'expérience subjective de la maladie racontée par les patients ouvre la voie à une

meilleure compréhension de l'articulation entre le collectif et l'individuel qui

intervient dans les interprétations de cette maladie. Cette mise en lumière nous révèle

un peu de la culture qui nous compose et dans laquelle nous évoluons. Si elle permet

une approche plus exacte de la maladie et de son sens, elle nécessite d'accepter la

remise en question de nos croyances et de nos conceptions, pas toujours confortable

et dépassant le cadre purement biomédical.

Il me semble qu'à prendre en compte ce vécu, nous retrouverions alors la valeur

"humaine", l'aspect éthique et la dimension métaphysique initialement associée à la

médecine et dont nous sommes, parfois, bien curieusement éloignés.

36

Références bibliographiques

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Documents en ligne :

1. Shweta Association : http ://www.myshweta.org/2. Film "Nital" sur le site de youtube : https ://youtu.be/0XknqALB9tQ

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Résumé :

Le vitiligo, dermatose bénigne, permet une exploration de l'expérience subjective

des patients, objet habituellement boudé par les médecins. Il en découle une

compréhension élargie de cette maladie, enrichie par des éléments culturels propres

aux aspects collectifs et des éléments individuels appartenant au vécu

phénoménologique de la maladie. Cet enrichissement, dans notre approche de

médecin, a quelque chose d'inconfortable lors de sa mise en place par le fait qu'elle

nous révèle autant sur nous que sur nos patients, évinçant toute attitude à la fois trop

emprunte de certitudes et trop systématique dans notre travail. C'est une sorte de

double rencontre.

Mots clefs :

Vitiligo-Récit-Herméneutique-Représentation-Collectif-Individuel-Regards

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