anne hampson autour d un jour

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harlequin, série club

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Page 1: Anne Hampson Autour d Un Jour
Page 2: Anne Hampson Autour d Un Jour

AUTOUR D'UN JOUR

ANNE HAMPSON

Secrétaire particulière de Bart Nash, célèbre auteur d'ouvrages sur la

nature. Kim parcourt le monde et surtout les pays exotiques. Son séjour

en Afrique du Sud promettait d être fort agréable... C'était compter sans

Rock Linton. le voisin et ami de Bart. Célibataire endurci, arrogant et

très prétentieux, il n'accorde aux femmes qu'un intérêt très vague.

Pourtant, il lui suffit de poser les yeux sur une jeune fille pour qu'elle

rêve de devenir Mme Linton...

Kim n'a-t-elle pas l'audace de ne pas succomber à son charme ?

Page 3: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 3 –

Cet ouvrage a été publié en langue anglaise

sous le titre :

SWEET IS THE WEB

La loi du II mars 1957 n'autorisant aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41,

d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé

du copiste et non destinées à une utilisation collective, et, d'autre part, que les

analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute

représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement

de l'auteur, ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1er de

l'article 40). - -

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, consti-

tuerait 'donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code

pénal,.

© 1977, Anne Hampson.

© 1981, Harlequin S.A. Traduction française.

ISBN 2-86259-740-6

ISSN 0223-3797

Page 4: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 4 –

1

Le vent charriait le parfum entêtant des frangipaniers.

Montée sur Sammy, le joli cheval gris que lui avait acheté

son employeur, Kim remontait au trot l'allée de Katania

Lodge. Ses longs ^cheveux blonds volaient sur ses épaules,

illuminés par le soleil africain. De petites mèches bouclées

tombaient sur son front. Ses grands yeux bleus et limpides

étaient bordés de longs cils recourbés. Ils s'assombrirent

lorsque Kim aperçut le puissant étalon bai attaché à un arbre

devant la maison. Celui de...

Rock Linton... Le patron despotique des plus grandes ex-

ploitations de bois de la région... Le riche propriétaire qui se

faisait servir par une douzaine de domestiques... Le céliba-

taire endurci dont plus d'une femme aurait aimé arracher les

yeux gris comme de l'acier, pour se venger... Rock Linton

était là. Il rendait visite à l'employeur de Kim, un célèbre

auteur de livres sur la nature.

En descendant de cheval, Kim songea au hasard qui l'avait

amenée à travailler pour Bartlet Nash. Elle avait regretté de

ne pas être morte avec les trois autres passagers d'une voi-

ture heurtée de plein fouet par un camion fou. Son père, sa

mère et son fiancé avaient été tués sur le coup. Désespérée,

elle avait erré les jours suivants dans la campagne autour de

Derby comme une âme en peine. Elle ne s'était pas attendue

à rencontrer quelqu'un dans ces grandes étendues de terre

Page 5: Anne Hampson Autour d Un Jour

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déserte, et surtout pas un homme qui rampait ! Elle avait

failli tomber sur Bartlet, Bart comme l'appelaient ses amis.

En murmurant des excuses, il s'était vite relevé. Son regard

perçant avait tout de suite discerné sur le visage de Kim les

signes d'une tragédie. Dix minutes plus tard, elle lui avait

confié son malheur dans les moindres détails. Ayant trouvé

une personne qui l'écoutait, elle avait parlé, parlé, se déchar-

geant un peu de son immense chagrin.

— Mon enfant, avait dit l'homme avec compassion, êtes-

vous seule au monde à présent ?

— Oui, je n'ai plus personne, avait-elle répondu, la gorge

serrée.

Les larmes avaient, une fois de plus, inondé son visage.

— Et pour comble de malchance, je dois quitter la maison

où j'habite. Le propriétaire veut la vendre.

Bartlet Nash avait alors réagi d'une manière surprenante.

Après avoir rangé la loupe dont il s'était servi pour observer

un scarabée dans l'herbe, il avait ramassé son sac à dos et

glissé son bras sous celui de Kim. À partir de cet instant, il

avait pris la situation en main, sortant la jeune fille d'une

sombre détresse pour la ramener à la lumière de la vie.

— Voilà, Sammy, tu es libre jusqu'à demain matin, déclara

Kim, s'arrachant à ses souvenirs pour parler au brave cheval.

La bête lui offrit sa tête par-dessus la barrière blanche pour

une caresse, puis, avec un petit hennissement, elle courut à

l'autre bout de l'enclos.

Kim la suivit des yeux un moment; elle se dirigea ensuite

vers la maison en se replongeant dans ses songeries... Ce

jour-là, elle avait marché un moment avec Bart, puis il l'avait

Page 6: Anne Hampson Autour d Un Jour

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invitée à monter dans sa voiture. Elle s'était laissé convaincre

d'aller chez lui.

Là, il l'avait forcée à prendre un repas et finalement, il lui

avait offert de rester pour la nuit.

Toute la conduite de Bart, dès le lendemain, avait été ten-

due vers un seul but : distraire Kim de sa détresse, du moins

dans la mesure du possible. Sans secrétaire depuis un mois,

il éprouvait des difficultés à remplacer celle qui l'avait quitté

; il avait proposé l'emploi à Kim. La jeune fille travaillait à

cette époque dans les bureaux d'un grand magasin. Depuis

l'accident, son état dépressif avait nécessité un congé.

En gravissant les marches qui menaient à la terrasse, elle

se rappela l'incompréhension de son patron. Il n'avait pas

tardé à lui laisser entendre qu'elle devait se remettre au plus

vite ou donner sa démission. Kim avait accepté la proposi-

tion de Bart, et cet homme déplaisant ne l'avait jamais revue.

D'une gentillesse extrême, Bart lui avait dit :

— Le travail s'est accumulé pendant ce mois où je n'avais

pas de secrétaire. Pour commencer, vous dactylographierez

mes notes. Cela ne demande aucune concentration et vous

n'avez pas besoin de vous inquiéter pour les fautes. Il ne

s'agit pas du texte définitif de mon livre.

Peu de temps après, elle s'était installée dans la belle mai-

son de Bart. Sa femme de ménage, aussi bonne et attention-

née que lui, tentait l'impossible pour amener un sourire sur

le visage de la jeune fille. Bart s'était occupé personnelle-

ment de vendre son mobilier et il avait entreposé chez lui ce

que Kim souhaitait garder. Il avait réglé tous ses problèmes

et s'était efforcé d'adoucir son sort. En signe de gratitude,

Page 7: Anne Hampson Autour d Un Jour

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elle avait promis de travailler pour lui aussi longtemps qu'il

en aurait besoin, c'est-à-dire très certainement jusqu'au jour

de sa retraite. Ainsi, durant les huit dernières années, elle

avait parcouru avec lui des milliers de kilomètres, le suivant

d'un continent à l'autre. A présent, à l'âge de vingt-six ans,

elle se trouvait en Afrique du Sud pour une dizaine de mois

et peut-être davantage. Elle aidait Bart dans ses recherches

et elle tapait ses notes. Par ailleurs, elle veillait un peu sur

son ménage. Ici, il n'avait en effet pas jugé Utile d'engager

des domestiques. Une fois son livre terminé, il s'envolerait

avec Kim vers d'autres horizons afin d'entreprendre un nou-

vel ouvrage.

Revenant à la réalité présente, Kim resta un petit moment

immobile, contemplant le jardin autour d'elle. Il avait plu

durant la nuit et la terre mouillée exhalait une forte odeur.

Toutes les plantes étaient bien vertes et fraîches. Seules les

fleurs les plus délicates avaient souffert des importantes

chutes d'eau. Des insectes bourdonnaient dans les buissons

d'hibiscus. Un oiseau lança un appel mélodieux en s'envolant

d'un chêne rabougri pour aller se poser gracieusement sur

un haut peuplier.

Kim se détourna de ce spectacle et pénétra directement

dans le salon par la baie vitrée qui donnait sur la terrasse.

Rock braqua immédiatement sur elle son habituel regard

métallique, ce regard qui semblait voir à travers ses vête-

ments. Il lui décocha en même temps son tout aussi habituel

sourire ironique et s'enquit d'une manière désinvolte :

— Comment va Miss Mason, ce matin ? Vous êtes-vous

bien promenée ?

Page 8: Anne Hampson Autour d Un Jour

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Elle haussa les épaules avec un imperceptible dédain,

comme chaque fois qu'elle avait affaire à lui.

— Très bien promenée, monsieur Linton, fit-elle. J'ai vu

que vous étiez venu à cheval. Vous allez repartir sous la

pluie.

Cette remarque, lancée sur un ton presque joyeux, sous-

entendait qu'elle était ravie de s'imaginer Rock trempé jus-

qu'aux os. Elle méritait une riposte. Au moment où son in-

terlocuteur, l'expression durcie, se préparait à la remettre à

sa place, Bart intervint. Une ride de contrariété lui barrait le

front :

— J'aimerais que vous vous comportiez d'une façon plus

amicale l'un envers l'autre et que vous vous appeliez par vos

prénoms. Miss Mason ! Monsieur Linton ! J'en ai assez de

ces manières ridicules !

La ride se creusa sur le front de Bart, tandis qu'il cherchait

à comprendre cette hostilité :

— Vous vous connaissez depuis plus de trois mois déjà.

Pourquoi vous dressez-vous toujours ainsi l'un contre l'autre

?

Ses yeux bruns étudièrent tour à tour le visage de Kim et

celui de Rock.

— On croirait que vous vous détestez. Vous ne parlez pas,

vous aboyez quand vous êtes ensemble !

— Je n'aboie pas, protesta Kim.

Elle s'empressa, en revanche, de lever la tête d'une façon

significative vers le ciel où s'étaient accumulés de gros

nuages gris. Le soleil avait disparu et l'averse était proche.

Page 9: Anne Hampson Autour d Un Jour

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— Vous n'aboyez pas, vous mordez! affirma méchamment

Rock.

— Je suis très étonné, poursuivit Bart, Kim se montre tou-

jours tellement aimable envers tout le monde !

Elle ne put s'empêcher de rougir de cette réflexion, et sa

réaction n'échappa pas à Rock. H lui jeta un coup d'œil amu-

sé.

— Je n'aboie pas, insista-t-elle, indignée, en feignant de

n'avoir pas entendu la remarque de Rock. Je n'ai rien à me

reprocher en ce qui concerne M. Linton.

— Voyons, vous ne pouvez pas nier les faits, objecta Bart.

Pour être juste, vous êtes autant en cause l'un que l'autre.

Serrez-vous donc la main et tirez un trait sur votre mésen-

tente.

Bart soupira avec impatience, cette situation l'irritait.

— Au fait, ajouta-t-il, s'apercevant soudain qu'il ignorait le

plus important, qu'est-ce qui a provoqué cette animosité ?

Kim et Rock se dévisagèrent tandis qu'ils évoquaient cha-

cun pour soi la scène de leur première rencontre...

Kim flânait au bord de la petite rivière qui traversait le do-

maine de Rock. Accoutumée à se promener partout dans sa

campagne natale, autour de Derby, il ne lui était même pas

venu à l'idée qu'elle s'était introduite dans une propriété

privée. Et d'ailleurs, elle ne faisait vraiment aucun mal. Elle

avait simplement longé le charmant cours d'eau aux rives

fleuries qui, s'était-elle dit alors, intéresserait sûrement Bart

dans un avenir prochain. Son livre contenait en effet un

chapitre consacré à la flore aquatique.

Page 10: Anne Hampson Autour d Un Jour

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— Hé, là-bas! avait crié une voix masculine. Oui êtes-vous?

Que faites-vous ici ?

Le ton désagréable l'avait immédiatement piquée au vif.

Quel homme arrogant et vaniteux! Elle allait lui donner une

leçon. Douée d'un bon esprit de repartie, elle lui avait répon-

du d'une manière volontairement provocante :

— Que le maître des lieux ne s'inquiète pas, je ne fais que

passer et je n'abîme rien !

Un lourd silence avait suivi. Kim ne s'était guère privée de

détailler celui qui n'avait pas réussi à l'intimider. Il était

brun, avec un front haut, des sourcils sévères à peine arqués,

un nez droit, une bouche au pli un peu mystérieux, qui ne

manquait pas de sensualité, et un menton fort, carré, indi-

quant beaucoup d'orgueil. Il mesurait bien un mètre quatre-

vingts, et son corps d'athlète lui conférait une grande pres-

tance. Il paraissait âgé d'une trentaine d'années. Sa peau

bronzée était celle d'un homme qui passait la plus grande

partie de son temps dehors, exposé aux puissants rayons du

soleil africain. Kim avait levé la tête pour affronter sans peur

les yeux gris, à l'éclat pourtant inquiétant. Bon gré mal gré,

elle avait dû admettre qu'un charme profond émanait de cet

odieux personnage.

— Qui êtes-vous? avait-il répété d'une voix ferme, très

ferme, et Kim s'était sentie faiblir en dépit de sa détermina-

tion.

— J'habite à Katania Lodge. Je travaille pour un écrivain

qui s'est installé ici pour quelque temps.

— Ah oui ! Les Joynsons lui ont loué leur maison, avait

murmuré Rock, presque pour lui-même.

Page 11: Anne Hampson Autour d Un Jour

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Kim avait eu l'impression qu'il en voulait à ses voisins

d'être partis pendant un an en laissant leur propriété à un

homme qui — d'après ce qu'il avait entendu dire — ratissait

toute la région centimètre par centimètre avec sa loupe, afin

d'étudier les insectes et les fleurs. Ce travail ne devait pas lui

paraître sérieux. Kim l'avait tout de suite deviné, même

avant de savoir que Rock exploitait des forêts, d'immenses

forêts dont il vendait le bois.

— Eh bien, chère demoiselle, avait-il déclaré après un cer-

tain temps de réflexion, sachez que je ne veux plus vous

revoir sur mes terres.

Il avait pris un air dur, et pincé les lèvres d'une manière

rébarbative.

— Si jamais je vous reprends par ici, j'irai dire deux mots à

votre patron. Gare à vous !

D'un geste de la main, il avait ordonné à la jeune fille de

partir en lançant encore :

— Allez, filez !

Bouillonnante de colère, elle s'était pourtant suffisamment

maîtrisée pour se rendre compte que son abominable inter-

locuteur était dans son droit. Elle s’était détournée si vio-

lemment que, se prenant les pieds dans des racines, elle était

tombée à plat ventre. Mains sur les hanches, Rock avait

laissé libre cours à un rire bruyant, sans esquisser le moindre

geste pour lui venir en aide.

— Oh, vous...

Cet homme était un vrai goujat! La fureur avait empêché

Kim de trouver ses mots. Impuissante, elle avait secoué sa

robe couverte de boue.

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— Quel dommage que vous ne soyez pas tombée dans la

rivière! s'était écrié Rock. Dans le temps, quand on voulait

punir une femme, on lui mettait la tête sous l'eau. Je regrette

que l'on ait renoncé à ce genre de châtiments. Il serait très

utile pour apprendre à des créatures de votre espèce à rester

à leur place.

Sans laisser à Kim le temps de répliquer, il lui avait tourné

le dos et s'était éloigné rapidement à grands pas.

Et maintenant, bien calé dans son fauteuil, il l'observait

avec amusement. Il se chargea en souriant malicieusement

de répondre à la question de son ami :

— Nos relations n'ont pas très bien commencé, Bart. Ap-

prenez que Miss Mason se promenait chez moi sans permis-

sion. Elle en a été bien punie car elle est tombée dans la

boue. La leçon lui a servi, elle n'a plus jamais remis les pieds

sur mes terres... du moins pas à ma connaissance, ajouta-t-il

en lui décochant un clin d'œil narquois.

Elle évita aussitôt son regard, se souvenant des propos

qu'elle avait entendus au Chameleon Club. En prenant l'air

dans les jardins de l'établissement, elle avait surpris, sans le

vouloir, une conversation entre deux de ses amies :

— Rock Linton est la grossièreté personnifiée. J'aurais vou-

lu le gifler quand il a dit que les femmes devaient rester à

leur place, à l'arrière de la maison, avait affirmé la première.

— Cela signifie la cuisine, avait répondu l'autre en poussant

un soupir plein de nostalgie malgré son indignation. Quel

dommage qu'il soit ainsi ! Reconnaissez qu'il est irrésistible

et qu'il émane de lui une force presque magnétique. Ce serait

le mari idéal à...

Page 13: Anne Hampson Autour d Un Jour

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— Sottises ! avait coupé la première. En ce qui me con-

cerne, je ne voudrais pas être l'esclave d'un tel homme.

— Allons, Susan, soyez honnête, vous n'avez d'yeux que

pour lui depuis des années.

— Vous plaisantez, Linda !

— Pas du tout, je sais ce que je dis. Et je soutiens qu'il serait

un mari sensationnel si seulement il ne se montrait pas si

insolent et méprisant envers les femmes.

— C'est un célibataire endurci. Il m'a confié lui-> même

que celle qui parviendrait à le faire renoncer à sa liberté

n'était pas encore née.

A ces mots, la nommée Susan avait éclaté de rire :

— Comme j'aimerais voir l'arrogant Rock Linton pris au

piège ! Il est vraiment très sûr de lui. Qu'elle vienne, celle qui

lui prendra sa liberté !

Depuis cette nuit-là, Kim avait eu l'occasion de se faire elle-

même une opinion sur Rock. Contrairement à ses prévisions

lors de leur première rencontre, il s'était lié d'amitié avec

Bart. Mais l'opinion de Kim rejoignait celle de Susan et de

Linda. Elle aurait bien voulu le voir tomber amoureux. Elle

n'attendait que cette occasion pour se moquer de lui. Quel

plaisir de se l'imaginer, enfin dompté, obligé de garder pour

lui ses insolences sur les femmes.

S'amusant secrètement de cette pensée, elle l'étudia à la

dérobée. II se laissait aller confortablement en arrière dans

son fauteuil, ses longues jambes étendues devant lui. Il arbo-

rait, comme toujours, cet air de satisfaction suffisante qui

agaçait infailliblement Kim. Il se croyait bien à l'abri derrière

son image de célibataire imprenable. Il semblait même ex-

Page 14: Anne Hampson Autour d Un Jour

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cessivement fier d'être aussi bien protégé qu'une forteresse.

Oh oui ! songea presque haineusement Kim, elle aurait aimé

voir tout son système de défense s'écrouler devant le charme

ravageur d'une femme.

Hélas, pour le moment, Rock la fixait d'un air dur, lourd

d'ironie. Elle poussa un soupir et reporta son attention sur

Bart. Il méditait sur les mauvaises relations qui s'étaient

instaurées entre Rock et elle.

— C'est une honte, murmura-t-il, oui, une honte que vous...

— Que nous soyons ennemis, Bart? s'enquit la jeune

femme.

Elle était curieuse de savoir ce que Rock allait trouver à

dire.

— Le terme est un peu fort, Miss Mason. Nous ne sommes

pas des amis, c'est tout, affirma-t-il.

Encore une fois, il se moquait d'elle, d'une manière subtile,

insaisissable, qui la rendait enragée. Elle ne tenait plus en

place sur le canapé où elle s'était installée.

— Pour moi, c'est la même chose, monsieur Linton, répli-

qua-t-elle avec raideur.

Rock déclara alors sur un ton faussement grave :

— Je vois que vous ne saisissez pas les nuances, ma chère.

A bout d'arguments, Kim dut s'incliner. Le ciel de plus en

plus sombre lui offrit une certaine consolation.

— La tempête menace, décidément, annonça-t-elle d'un air

ravi en glissant à Rock un coup d'œil en coin.

— Vous voulez que je parte, n'est-ce pas? fit-il.

— Rock, que dites-vous ! s'indigna Bart. Jamais ma secré-

taire n'oserait se montrer aussi inhospitalière !

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— Vraiment ?

Les sourcils levés, Rock feignit l'incrédulité. Il plissa les

yeux d'une manière rusée.

— Vous la connaissez très mal, Bart, malgré les huit années

que vous avez passées avec elle.

Déchiffrant son expression, Kim aurait juré que Rock ajou-

tait mentalement : « Huit ans! Mon Dieu, comment avez-

vous pu la supporter si longtemps ? »

Il partit quelques minutes plus tard. Kim constata avec

plaisir que les nuages continuaient à s'amasser dans le ciel.

Elle souhaita un déluge capable d'emporter Rock et son

intolérable arrogance.

Elle retrouva son ennemi le samedi suivant. Vêtue d'une

ravissante robe longue présentant un dégradé très réussi de

bleus, elle pénétra dans le hall du club et tomba immédiate-

ment sur le visage bronzé et moqueur de l'homme qu'elle

détestait le plus au monde. Il avait une allure folle, dut-elle

s'avouer avec rage. Le superbe hâle de sa peau contrastait

avec la blancheur de son col. Et ses belles mains ressortaient

aussi sur les poignets de sa chemise.

— Bonsoir, Miss Mason, fit-il sur un ton froid et imperson-

nel.

Il lui accorda un regard blasé et porta paresseusement ses

doigts devant sa bouche pour étouffer un bâillement.

— Bart ne vous accompagne-t-il pas aujourd'hui ?

Kim ôta tranquillement son manteau de velours et le prit

sur son bras avant de répondre :

— Mais si, bien sûr. Je ne viens jamais ici toute seule.

Page 16: Anne Hampson Autour d Un Jour

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— Pourquoi ? Vous connaissez suffisamment de jeunes

gens pour ne pas avoir à craindre de faire tapisserie. D'ail-

leurs je crois apercevoir Val Hudson. Il guette mon départ

pour se précipiter vers vous.

Avec un humour vraiment déplacé, il ajouta :

— Le pauvre garçon, comme il est mal inspiré !

Se mordant les lèvres pour ne pas éclater, Kim le fusilla du

regard.

— Etes-vous obligé de vous montrer toujours blessant?

questionna-t-elle d'une voix tremblante. Quel plaisir pervers

tirez-vous d'une conduite-aussi odieuse ?

Il ne lui fit pas l'honneur de s'excuser, mais émit plutôt un

petit rire satisfait :

— J'aime voir les femmes faire la preuve de leur infériorité.

Kim fronça les sourcils et lui demanda ce que cette belle

déclaration signifiait exactement. Nullement embarrassé,

Rock lui expliqua avec une complaisance ironique :

— En vous mettant en colère, vous avez montré votre fai-

blesse.

— Je ne me suis pas mise en colère ! protesta-t-elle vive-

ment, lui laissant à peine le temps de finir sa phrase.

Tout en parlant, elle fut consciente d'attirer l'attention des

gens qui se trouvaient autour d'eux. Ils seraient sûrement

ravis de s'amuser à ses dépens. Rock avait suivi son regard et

il devina aisément ses pensées. Comme il lui décochait un

sourire narquois, elle adopta une expression très digne et

déclara en prenant garde de ne pas élever la voix :

— Je n'ai pas l'intention de rester ici pour subir vos in-

sultes.

Page 17: Anne Hampson Autour d Un Jour

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Il esquissa une moue incrédule :

— Je suis sûr que vous savez vous défendre. Vous n'allez

tout de même pas abandonner le combat sans essayer d'avoir

le dernier mot !

Pourquoi s'acharnait-il sur elle à ce point? Kim ne parve-

nait pas à comprendre ses motifs. Il y en avait pourtant.

Rock Linton ne faisait jamais rien sans raison.

— Puisque vous attendez une riposte, la voici : vous êtes

odieux avec votre stupide préjugé à l'égard des femmes et

votre toute aussi stupide fierté d'homme. Votre petit esprit

n'a-t-il jamais pensé que sans une femme pour vous mettre

au monde, vous ne seriez pas là?

Rock l'écouta sans se départir de son calme. Son air impas-

sible et supérieur acheva de la dégoûter.

— Odieux, stupide, petit esprit... Vous n'avez pas peur des

adjectifs, Miss Mason ! Je l'avais déjà remarqué. J'espère de

tout cœur que Bart ne commet pas une erreur en vous lais-

sant une certaine liberté quand vous tapez ses manuscrits.

Blanche de rage, Kim se contint au prix d'un suprême ef-

fort. Elle lui lança un regard furibond et. se refusant à pro-

noncer un mot de plus, elle s'éloigna en tenant la tête droite

comme une reine. Elle alla déposer son manteau au vestiaire.

Val l'attendait à la sortie. Sa courtoisie et son regard fran-

chement admiratif lui apportèrent un réconfort dont elle

avait réellement besoin. Grâce à lui, elle ne tarda pas à re-

trouver sa bonne humeur et elle oublia Rock Linton.

Val ressemblait d'une manière frappante à son fiancé. La

même stature, les mêmes yeux bleus et vifs, les mêmes che-

veux blonds et une bouche aussi tendre et rieuse... Il l'avait

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attirée dès leur première rencontre. Au fil des semaines, elle

avait commencé à se poser des questions. Val lui plaisait-il

uniquement parce qu'il lui rappelait son fiancé disparu ? Elle

pouvait analyser ses sentiments en toute sérénité, sa douleur

s'étant apaisée avec les années.

Pourtant, malgré ses efforts, elle ne parvenait pas à voir

clair en elle-même. Cela n'avait, au fond, pas d'importance.

Elle s'entendait bien avec Val, de nombreux points communs

les rapprochaient et, entre eux, la conversation était toujours

intéressante et animée. Val travaillait dans l'exploitation de

ses parents mais il espérait pouvoir se consacrer un jour à un

métier plus intellectuel. Celui d'écrivain le tentait, aussi Bart

l’avait-il une fois invité à Katania Lodge afin de discuter avec

lui.

Le jeune homme offrit son bras à Kim et l'entraîna vers le

bar où ils ne tardèrent pas à être rejoints par Bart. Ensuite,

Kim et Val dansèrent et se servirent à dîner au buffet. Du

coin de l'œil, la jeune fille épiait Rock. Très homme du

monde, il se partageait galamment entre les femmes jeunes

et les femmes plus âgées. Au moment où elle constatait avec

soulagement qu'il n'avait pas la moindre intention de l'invi-

ter à danser, elle se retrouva dans ses bras.

— Toujours de mauvaise humeur ? railla-t-il.

Elle préféra ne pas répondre et se concentrer sur ' l'exécu-

tion des pas compliqués qu'il lui imposait sans doute exprès.

Si elle s'était trompée, il en aurait été trop content. On avait

toujours admiré sa grâce et son sens du rythme, et elle se

montra à la hauteur de sa réputation. Lorsque la musique

cessa, Rock la considéra avec attention et elle ne put lui

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cacher la lueur ravie que le plaisir de danser avait allumée

dans ses yeux.

— J'ai beaucoup apprécié cette danse, lui dit-il. Vous êtes

une excellente cavalière.

Une telle déclaration de la part de Rock la surprit considé-

rablement.

— J'ai si peu l'habitude de vos compliments que je ne sais

quoi dire, fit-elle sur un ton de défi.

Cette réaction déclencha un éclat de rire. Susan, qui se te-

nait non loin avec son partenaire, le séduisant Roger Van der

Walte, se retourna et regarda Rock d'un air songeur. Kim se

souvint de la discussion qu'elle avait entendue. Linda avait

prétendu que son amie Susan était amoureuse de Rock de-

puis des années...

— Voyons, Miss Mason, rétorqua celui-ci sans se soucier

des yeux doux que lui faisait Susan, il est inutile de répondre

à un compliment.

— Il me semble pourtant qu'il n'est pas dans votre nature

d'en faire, poursuivit Kim, décidée à avoir le dernier mot.

Avec un sourire indulgent, Rock la reprit dans ses bras et

l'entraîna dans une valse.

— Détrompez-vous, je ne suis pas avare de louanges quand

elles sont méritées.

— Quel sens aigu de la justice ! répliqua-t-elle ironique-

ment.

Sans prendre la peine de relever cette pointe, Rock la con-

duisit d'autorité sur la terrasse à la fin de la danse. Se retrou-

vant dehors avant d'avoir compris ce qui lui arrivait, Kim

apprécia l'air frais sur ses joues brûlantes.

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— On étouffait à l'intérieur, déclara Rock en lui offrant un

fauteuil.

Elle s'assit docilement, intriguée par le comportement de

son compagnon. Il s'installa en face d'elle et, à son expres-

sion, elle vit qu'il réfléchissait. Pensait-il à ses arbres? se

demanda-t-elle. Comment employait-il sa fortune ? Dans

cette région d'Afrique, on avait peu d'occasions de faire des

dépenses. Sa maison était splendide, du moins extérieure-

ment. Kim n'y était jamais entrée, mais Bart lui avait raconté

qu'elle était un chef-d'œuvre de luxe et de raffinement.

C'était une construction de style colonial entourée d'un jar-

din fastueux. Et, au-delà du jardin, s'étendaient d'un côté les

forêts de Rock, et de l'autre côté, le long de la route, des

pâturages occupés par des moutons mérinos et par des bo-

vins.

Kim considéra le propriétaire de toutes ces richesses. Il se

leva à ce moment-là pour observer un petit animal qui tra-

versait la pelouse. Sa stature était vraiment imposante et il se

dégageait de lui une sorte de raideur sévère que démentait la

souplesse avec laquelle il se mouvait. Il en coûtait vraiment à

Kim de reconnaître la superbe prestance de Rock. En

s'avouant combien elle était montée contre cet homme, elle

esquissa un sourire. Il se retourna juste alors pour se ras-

seoir et il surprit son expression.

— Qu'est-ce qui vous amuse, Miss Mason ?

Reprenant sa place, il croisa négligemment les jambes. Elle

aurait bien voulu savoir comment il aurait réagi si elle lui

avait dit qu'elle l'admirait. Mais Rock était déjà suffisam-

Page 21: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 21 –

ment imbu de sa personne, il ne fallait pas flatter davantage

sa vanité.

— J'ai ri à cause d'une idée qui m'a traversé l'esprit, expli-

qua-t-elle avec désinvolture en contemplant le ciel parsemé

d'étoiles.

L'air était imprégné d'un doux parfum de chèvrefeuille. Le

chant des cigales s'élevait des manguiers qui bordaient les

jardins du club. Avec un soupir d'aise, Kim se laissa aller en

arrière dans son fauteuil. Elle s'étonna de se sentir aussi

sereine et détendue en compagnie de l'odieux Rock Linton.

Evidemment, l'identité de l'homme qui se trouvait en face

d'elle importait peu, par une nuit si belle et si douce. Elle se

rendait à peine compte de sa présence.

Elle songea à Val, et une tendre émotion s'empara aussitôt

d'elle. Elle aurait préféré qu'il fût là, à la place de Rock, ce

cher Val qui ressemblait tant à Richard...

Soudain le passé resurgit, et l'aiguillon du chagrin trans-

perça Kim comme si l'accident s'était seulement produit la

veille... On avait frappé à sa porte... Quand elle avait ouvert,

un agent de police lui avait demandé si elle était bien Kim

Mason... Son expression l'avait glacée d'effroi... Et il lui avait

dit combien il était malheureux d'avoir à lui apprendre la

terrible nouvelle...

— A quoi, diable, pensez-vous? Vous avez l'air sinistre, fit

Rock, et elle secoua la tête pour chasser ses souvenirs.

— Je pensais à des choses affreuses, répondit-elle en se for-

çant à sourire. On ne peut rien contre ce qui est gravé dans la

mémoire...

Page 22: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 22 –

Elle s'interrompit, étonnée de s'être presque laissé aller à

se confier à Rock. L'espace d'un instant, elle avait oublié que

leurs relations étaient davantage constituées de querelles

que de confidences.

— Vous êtes bien jeune pour avoir de mauvais souvenirs,

affirma-t-il.

— Je ne suis pas aussi jeune que vous le croyez, monsieur

Linton.

— Quel âge avez-vous ?

— Vingt-six ans.

Il hocha la tête :

— Je ne vous donnais pas moins.

— Ce n'est pas très flatteur, je...

Kim s'arrêta au milieu de sa phrase, regrettant cette réac-

tion de coquetterie. Amusé, Rock attendait la suite mais elle

se garda bien de poursuivre.

— Il aurait été bien niais de ma part de dire que vous pa-

raissez plutôt vingt et un ans, puisque je sais que vous tra-

vaillez avec Bart depuis huit ans, expliqua-t-il finalement.

Comme il la fixait avec intensité, elle se leva pour dissimu-

ler sa gêne.

— Il est temps de rejoindre les autres, fit-elle. Rock l'imita

et resta un instant immobile, une main posée sur le dossier

de sa chaise. Kim admira la lune argentée dans le ciel im-

mense et constellé d'étoiles. Rock ne voyait rien de tout cela

car il la regardait ; il regardait sa silhouette fine et élégante,

sa chevelure brillante, sa peau d'ivoire et ses grands yeux. Il

s'attarda sur le tendre renflement de sa poitrine, souligné

par la coupe parfaite de sa robe.

Page 23: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 23 –

Et subitement, pour une raison mystérieuse, il s'arracha à

sa contemplation et retrouva son habituel ton brusque :

— Vous avez raison, Miss Mason, il est temps de rejoindre

les autres.

Page 24: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 24 –

2

Au cours de la soirée, le hasard conduisit Kim à la table de

Susan et elles bavardèrent amicalement :

— J'aimerais faire votre travail, déclara Susan. Tout ce qui

concerne la nature me passionne.

— J'ai de la chance que Bart m'ait proposé cet emploi, re-

connut-elle.

— Vous avez sûrement beaucoup voyagé.

Kim hocha la tête. Elle suivit des yeux un couple de dan-

seurs très gracieux qui attirait l'attention de l'assistance.

— Notre prochaine destination sera l'Amérique du Sud.

— C'est fantastique ! s'exclama Susan en admirant, elle

aussi, les deux danseurs.

Son regard s'attarda ensuite sur une autre silhouette et elle

demanda presque sans le vouloir :

— Que pensez-vous de Rock Linton? Vous êtes ici depuis

assez longtemps pour avoir une opinion. Je crois d'ailleurs

qu'il s'est lié d'amitié avec Bart.

Kim confirma les excellents rapports qui existaient entre

son employeur et Rock, mais pour le reste, elle se montra

très prudente :

— En fait, je ne le connais pas vraiment, fit-elle sur un ton

détaché. Lorsqu'il vient à Katania Lodge, il discute avec Bart

et je reste rarement avec eux.

Page 25: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 25 –

Susan semblait songeuse. Regardant dans la même direc-

tion qu'elle, Kim vit Rock en grande conversation avec Bart

et avec Rendall Kilber, un homme qui venait de s'installer

dans une propriété proche de celle de Val.

— C'est un être insaisissable, murmura-Susan, un céliba-

taire endurci, et pourtant...

Elle s'absorba dans ses pensées et Kim s'entendit affirmer

malgré elle :

— Vous n'avez pas l'air de croire qu'il restera toujours céli-

bataire.

Pourquoi avait-elle fait cette remarque ? Elle s'aperçut

qu'elle souhaitait provoquer les confidences de son amie.

Elle voulait savoir si elle était réellement amoureuse de

Rock, comme Linda le prétendait.

— Il est anormal qu'un homme ne se marie pas, expliqua

Susan.

— Eh bien Oui... sans doute, approuva-t-elle vaguement.

— Il place sa liberté au-dessus de tout. J'ai même l'impres-

sion que s'il avait à choisir entre son indépendance et toutes

ses forêts, il préférerait renoncer à ses terres.

Kim secoua la tête avec incrédulité.

— Quelle folie ! Je...

Elle s'interrompit, soudain consciente de l'absurdité de la

conversation.

— Je suis certaine que si un jour il tombe amoureux, il se

débattra comme un diable contre ses sentiments, expliqua

Susan.

Kim ne put s'empêcher d'éclater de rire en constatant com-

bien la jeune femme prenait ce sujet au sérieux.

Page 26: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 26 –

— Jusqu'à présent, le cas ne s'est pas présenté, glissa-t-elle.

— Non, pas à ma connaissance, du moins. Jamais aucune

femme n'a réussi à l'intéresser, ne serait-ce que pendant

quelque temps.

Susan se tut, laissant la parole à sa compagne, mais celle-ci

suivait de nouveau les évolutions des danseurs.

— Si une jeune fille parvenait à séduire Rock, nous aurions

une occasion de nous amuser. J'aimerais bien être témoin de

la lutte, dit finalement Kim parce que la politesse lui com-

mandait de poursuivre la discussion. Je me demande d'ail-

leurs quelle forme prendrait celle-ci.

— Il se comporterait d'une manière odieuse envers la jeune

personne, supposa Susan. Il l'accablerait de sarcasmes et

d'insultes; il prendrait avec elle son air dédaigneux et iro-

nique.

— En adoptant une telle attitude, il risquerait de perdre

celle qu'il aime, ajouta Kim.

— En effet, et il te mériterait. Mais je me demande si ce ne

serait pas son but.

— Pourtant, s'il est amoureux d'elle...

Kim fronça les sourcils tandis qu'elle s'efforçait de se repré-

senter la situation. Les visions qui se dessinèrent dans son

esprit l'amusèrent.

— Ce qui se passera ensuite sera très drôle, expliqua-t-elle

d'un air satisfait. Si l'élue repousse Rock, il se verra contraint

de la supplier de l'épouser. Vous imaginez-vous le comique

de la scène ?

-— Vous avez prononcé le mot « supplier » ! lança Susan.

Croyez-vous vraiment l'orgueilleux Rock Linton capable de

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– 27 –

supplier quelqu'un... et surtout une femme? Mon Dieu, il

préférerait probablement se jeter du haut d'une falaise !

Kim dut admettre que son amie avait raison. Celle-ci conti-

nuait tout bas, presque pour elle-même :

— De toute façon, il se tient suffisamment sur ses gardes

pour ne jamais arriver à de telles extrémités. Il ne laissera

pas ses sentiments se développer. S'il éprouvait la moindre

attirance pour quelqu'un, il la combattrait immédiatement.

La passion avec laquelle Susan s'entretenait de ce sujet prê-

tait à sourire. Kim l'écouta toutefois avec courtoisie. Tou-

jours très grave, son interlocutrice poursuivit :

— D'ailleurs, il n'aurait pas besoin de supplier. N'importe

quelle femme accepterait de l'épouser sans se faire prier, au

contraire !

— Pas moi, en tout cas. Pour rien au monde je ne me ma-

rierais avec un homme comme lui.

— Vraiment ?

Très surprise, Susan considéra un moment Kim en silence

avant de déclarer :

— Oui, au fond, vous avez raison. Je le trouve extrêmement

séduisant. Il possède un charme supérieur à celui de là plu-

part des hommes, mais il ne faut pour rien au monde se

consumer d'amour pour lui,

— Il est trop autoritaire et dominateur, affirma Kim.

— Certes, confirma Susan. Sa pauvre épouse aurait à peine

le droit de respirer.

Elle exagérait un peu mais ses propos contenaient un fond

de vérité. Kim plaignait la malheureuse qui prendrait le

risque de s'unir à cet homme redoutable. Elle pourrait se

Page 28: Anne Hampson Autour d Un Jour

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vanter d'être l'épouse d'un être hors pair, être fière de sortir

en sa compagnie et toutes les autres femmes braqueraient

sur elle des regards pleins d'envie. En échange, quelles con-

ditions de vie devrait-elle accepter? Toute personne sensée

réfléchirait sûrement avant de s'engager. Mais Rock rencon-

trerait peut-être un jour celle qui, dénuée de toute méfiance,

tomberait dans le piège ?

Le lendemain, Kim chevaucha avec Sammy dans les envi-

rons de Katania Lodge. Elle emprunta une route déserte qui

traversait un bois et débouchait sur un village d'indigènes.

Le soleil la bombardait de ses rayons, mais elle s'était habi-

tuée à la forte chaleur et n'en souffrait plus. Elle s'était levée

tôt, poussée comme chaque matin par le désir d'assister au

fantastique spectacle de l'aube. Un éventail écarlate se dé-

ployait à l'horizon, annonçant l'apparition de l'astre du jour.

Kim avait ensuite mis à profit les heures les plus fraîches de

la matinée pour travailler, puis elle était sortie comme de

coutume à onze heures. Elle se promenait d'ordinaire jusqu'à

midi.

Jetant un coup d'œil à sa montre, elle constata qu'il était

temps de rentrer. Elle fit demi-tour, et Sammy repartit au

trot en sens inverse. Malgré ses lunettes de soleil, Kim était

éblouie. Elle approchait de Katania Lodge quand elle aperçut

Rock. Ses ouvriers étaient en train d'abattre un gigantesque

acajou et il surveillait les opérations. Il portait un pantalon

bleu marine et une chemise à carreaux. Son corps élancé,

fort et musclé, était celui d'un homme menant une vie saine

au grand air. Les manières arrogantes, qu'il adoptait, étaient

Page 29: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 29 –

insupportables, mais cet orgueil était du moins justifié. Rock

était conscient de ses qualités exceptionnelles, et il estimait

probablement qu'aucune femme n'était digne de lui. Kim

sourit soudain, en se rendant compte qu'elle essayait de

deviner ses pensées. Qui pouvait se vanter de savoir ce qui se

passait dans sa tête ?

Lorsqu'il la vit, il lui adressa un signe négligent de la main.

Elle se contenta d'incliner la tête et poursuivit son chemin

vers Katania Lodge. Bart était installé sur la terrasse, un bloc

sur ses genoux. Kim alla enfermer Sammy dans son enclos

puis revint en courant vers lui. Elle était charmante avec ses

joues rougies par l'effort et ses cheveux ébouriffés.

— J’ai fait une promenade merveilleuse, affirma-t-elle en

anticipant sa question. Merci mille fois, mon cher Bart, de

m'avoir acheté Sammy.

— Je suis heureux chaque fois que je peux vous faire plai-

sir.

— M'avez-vous préparé des notes à taper après le déjeuner?

— Je n'ai pas fait grand-chose, avoua-t-il d'un air soucieux.

J'ai de plus en plus de mal à travailler.

— Que vous arrive-t-il ?

— Je ne sais pas.

Il posa sur Kim un regard triste :

— Il est peut-être temps que je prenne ma retraite. Ma car-

rière aura été bien assez longue.

— Le pensez-vous vraiment ?

Kim ne parvint pas à cacher sa consternation.

— C'est la première fois que vous me parlez ainsi, ajouta-t-

elle. :

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– 30 –

— Hier encore, expliqua Bart, je ne songeais pas à cesser

mes activités. Mais ce matin, je me suis battu avec mon texte,

je cherchais mes mots, je...

Il haussa les épaules et poursuivit d'une voix lasse :

— Je m'étais promis d'abandonner dès que mon travail

commencerait à me peser.

— Est-ce réellement devenu le cas ?

— Oui, Kim, je peine pour faire ce livre. Elle secoua la tête,

refusant de le croire.

— C'est simplement un mauvais jour. Demain, tout ira bien

de nouveau.

— Non, non, ma chère.

— Alors vous devriez vous reposer. Que diriez-vous d'un

petit séjour au bord de la mer ?

— Je vais me reposer, mais ici.

La jeune fille était inquiète. Depuis qu'elle connaissait Bart,

il s'était toujours montré dynamique et enthousiaste. Elle le

questionna sur sa santé, mais il lui répondit évasivement.

Elle devait veiller sur lui, le seul être au monde qui se sou-

ciait d'elle et lui donnait de l'affection. De son côté, Bart

n'avait qu'elle, et la gentille femme de ménage qui s'occupait

en permanence de sa maison en Angleterre.

Rock passa le même jour, au cours de l'après-midi. Il ap-

portait à Bart des revues qu'il lui avait promises, contenant

des articles sur des plantes africaines rares.

S'attendant à son habituel salut méprisant, Kim fut sur-

prise. Au lieu de son rictus ironique, il la gratifia d'un large

sourire.

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— Bonjour, Miss Mason. Vous êtes-vous bien promenée ce

matin ?

— Très bien, monsieur Linton, je vous remercie. Bart fron-

ça une fois de plus les sourcils et déclara avec irritation :

— Ici, tous les gens s'appellent par leurs prénoms. Je crois

vous l'avoir déjà fait remarquer.

Rock esquissa une grimace comique :

— Puisque Bart semble contrarié par cette situation, nous

devrions peut-être exaucer son souhait.

Kim considéra son interlocuteur avec étonnement. A son

grand mécontentement, elle se sentit rougir.

— Bon, si... si vous le désirez, monsieur Linton.

— C'est Bart qui le désire, Miss Mason, précisa-t-il sur un

ton provocant.

Ses yeux gris brillaient du plaisir de plonger Kim dans

l'embarras. Bart poussa une exclamation exaspérée.

— Pour l'amour de Dieu, comportez-vous donc plus norma-

lement ! Kim, qu'avez-vous à vous tortiller et à rougir ainsi ?

— A mon avis, glissa Rock, ravi de son insolence, il lui fau-

dra des semaines pour prononcer mon prénom sans devenir

pivoine et sans baisser les yeux.

— Que croyez-vous ? lança-t-elle, furieuse... Rock! Rock !...

Alors, ai-je rougi? Ai-je baissé les yeux en disant votre nom ?

— Non, Kim, vous vous êtes seulement mise en colère,

comme toujours.

Bart s'empressa de les interrompre :

— Silence, silence! Vous avez déjà accompli un progrès.

J'espère que bientôt, vous ne vous chamaillerez plus et ce

sera parfait. Vous vous conduisez comme des enfants.

Page 32: Anne Hampson Autour d Un Jour

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Il posa sur Rock un regard légèrement teinté de reproche :

— Kim se met rarement en colère. Je ne vois pas pourquoi

vous lui avez fait cette remarque.

— Moi non plus, reconnut-il contre toute attente.

Soudain, ses yeux examinèrent Kim avec attention. Il sem-

bla réfléchir et se troubler un peu.

Plus tard, lorsque Bart eut quitté le salon, il aborda de lui-

même le sujet qui tracassait Kim :

— Comment trouvez-vous Bart ces temps-ci ?

La question était habilement posée de manière à ne pas

l'alarmer. Kim s'affola pourtant tout de suite :

— Pensez-vous qu'il soit souffrant ? L'expression sombre

de Rock ne la rassura pas. Il s'était profondément attaché à

l'homme malgré leur grosse différence d'âge. Ils étaient tous

les deux très intelligents et cultivés, et ils échangeaient leurs

idées avec beaucoup de plaisir.

— J'ai l'impression qu'il est malade, déclara finalement

Rock. J'aimerais qu'il voie un docteur, je vais lui en parler.

— Oh oui, faites-le, je vous en prie ! Aujourd'hui, il m'a dit

qu'il songeait à prendre sa retraite.

Contrairement à ce que Kim aurait cru, la nouvelle n'éton-

na pas Rock. Il hocha la tête comme si cette information

cadrait exactement avec ce qu'il savait déjà.

— L'autre jour, il m'a confié qu'il travaillait de plus en plus

lentement.

Bart revint à ce moment-là dans le salon et, se tournant

vers lui, Rock lui dit :

— Nous parlions justement de vous, Kim et moi. Ne vou-

driez-vous pas voir un médecin ?

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— Pourquoi? Je suis seulement fatigué.

— Il faut trouver la cause de cette fatigue, rétorqua-t-il très

tranquillement. Une explication est nécessaire, surtout lors-

qu'il s'agit d'un homme aussi énergique que vous.

— Non, Rock, c'est inutile. Je me suis tout simplement

surmené. J'ai promis à Kim de me reposer et je vais m'y

employer pendant une quinzaine de jours.

Rock n'insista pas, mais avant de partir, il glissa à l'oreille

de Kim qu'il se chargeait d'envoyer un docteur à Katania

Lodge le plus tôt possible.

Le lendemain matin, Bart pria sa secrétaire de se rendre à

Tengaville pour chercher des livrés qu'il avait commandés

quelques semaines auparavant;

— Faut-il que je revienne immédiatement? s'enquit-elle.

Il secoua la tête et elle répondit à son interrogation muette

:

— Si cela ne vous dérange pas, j'aimerais aller chez le coif-

feur. Mes cheveux ont poussé et je ne supporte pas de les

avoir si longs par cette chaleur.

— Faites-les couper, Kim, bien sûr. Je vous attendrai, ne

vous inquiétez pas.

Elle partit au volant de la voiture de Bart. Arrivée à Tenga-

ville, elle se gara sur le parking du club. Les livres n'étaient

pas arrivés, le libraire espérait les recevoir le jeudi suivant.

Kim ressortit donc du magasin les mains vides. Chez le coif-

feur, on lui demanda de revenir trois quarts d'heure plus

tard, car elle n'avait pas pris rendez-vous.

Elle tua le temps en se promenant dans la rue principale de

la ville. Malgré sa courte jupe en coton qui révélait des

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jambes magnifiquement bronzées, et son corsage sans

manches et très décolleté, elle ne tarda pas à avoir très

chaud. Elle décida de se mettre à l'ombre dans un café où elle

but avec délices une limonade glacée. Par la fenêtre, elle

voyait le feuillage en dents de scie des cocotiers se balancer

doucement sous le ciel bleu. Elle allait se laisser aller confor-

tablement en arrière contre le dossier de sa chaise quand une

apparition la tira de son bien-être. Avec une tranquille fami-

liarité, Rock se dirigea vers sa table et lui demanda la per-

mission de s'asseoir.

— Je vous en prie, monsieur... Rock, corrigea-t-elle d'une

voix ferme en surprenant une lueur moqueuse dans ses yeux.

— Comment va notre ami ? s'enquit-il aussitôt.

— Je le trouve toujours fatigué. Rock hocha la tête d'un air

méditatif.

— Le docteur passera demain à Katania Lodge.

— En avez-vous informé Bart ?

— J'ai l'intention de passer l'avertir ce soir.

— C'est vraiment très gentil de votre part de vous occuper

ainsi de lui, déclara-t-elle,

La serveuse vint prendre la commande de Rock. Après son

départ, celui-ci se cala bien sur son siège et examina Kim

d'un œil critique. En signe de défi, elle soutint son regard.

Leur hostilité n'avait pas diminué. Le fait de partager les

mêmes préoccupations au sujet de la santé de Bart ne suffi-

sait pas à les rapprocher. Non, jamais leurs relations n'évo-

lueraient vers l'amitié. Un instant, elle crut que Rock allait

donner le signal de la bagarre en lançant une première re-

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marque ironique mais, inexplicablement, la lueur agressive

déserta ses yeux et il ne dit rien... absolument rien.

Kim se rappela les paroles de Susan : « ... Si un jour il

tombe amoureux, il se débattra comme un diable contre ses

sentiments. ».

Pourquoi évoquait-elle ces propos juste en cet instant ?

Sans doute parce qu'elle constatait une fois de plus la beauté

virile et le charmé remarquable de Rock. C'était un vrai mi-

racle qu'un tel homme ait réussi à rester célibataire.

Il lui demanda pour quelle raison elle se trouvait en ville, et

elle se surprit à lui répondre sur un ton plus aimable qu'à

l'ordinaire.

— Nous nous conduisons très bien aujourd'hui, fit-il obser-

ver d'une manière sarcastique.

— Cela ne va pas durer si vous vous mettez à faire de l'iro-

nie, rétorqua-t-elle aussitôt.

— Et voilà! lança-t-il alors. Non seulement vous n'êtes pas

très féminine, mais vous êtes encore coléreuse et très suscep-

tible.

— Est-ce tout? questionna Kim en restant admirablement

maîtresse d'elle-même.

— Je ne crois pas, répliqua-t-il en riant et en feignant de lui

chercher d'autres défauts.

— Vous êtes un mufle vaniteux, monsieur Linton, annonça-

t-elle d'une voix calme.

L'insulte n'eut pas d'autre effet que de l'amuser.

— Je vois que nous ne nous appelons plus par nos pré-

noms, constata-t-il. Un de ces jours, quelqu'un vous donnera

la leçon que vous méritez.

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Il avait présenté cette menace comme une plaisanterie,

mais Kim s'empourpra violemment.

— Je voudrais bien savoir pourquoi vous êtes venu à ma

table ! lança-t-elle pour dissimuler sa confusion.

— J'ai eu la folie de croire que vous n'essaieriez pas de dé-

clencher une dispute en public, expliqua-t-il sur un ton faus-

sement suave.

— Je n'ai rien déclenché! protesta-t-elle avec dignité.

Rock haussa les épaules et vida d'un trait la moitié de son

verre.

— Changeons de sujet. Dites-moi plutôt combien de temps

il faudra à Bart pour terminer son livre... s'il le termine.

Kim ne savait pas si elle devait lui répondre ou le quitter

sans un mot, comme elle en avait envie. Par égard pour Bart

dont il était l'ami, elle décida de ne pas faire d'éclat. D'ail-

leurs, la manière dont Rock avait parlé l'intriguait. Il sem-

blait accorder une certaine importance à la date à laquelle

Bart finirait son livre...

Sans doute le regretterait-il quand il quitterait l'Afrique,

car il avait beaucoup d'estime pour lui. Kim, au contraire, ne

lui manquerait sûrement pas.

— Il finira son livre, assura-t-elle. Je ne peux toutefois pas

évaluer le temps qui lui sera nécessaire. Il a loué Katania

Lodge pour un an. Il trouvera ensuite une autre maison si

besoin est.

— Il écrit toujours dans des pays exotiques, n'est-ce pas ?

— Presque toujours. Nous avons eu l'occasion de faire un

séjour magnifique aux îles Fidji.

— Je vous envie ; vous êtes une femme privilégiée.

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— Si Bart prend sa retraite, je serai dans l'obligation de

chercher un autre travail, déclara-t-elle tandis que Rock

reposait son verre vide sur la table.

— Espérons qu'il ne la prendra pas de sitôt, fit-il sèche-

ment.

Kim fut surprise par ce brusque changement de ton. L'hu-

meur de Rock s'était altérée de la même manière l'autre soir,

sur la terrasse du club. Pourquoi cet homme se serait-il sou-

cié de la retraite de Bart ? Cela ne le concernait pas plus que

le problème d'emploi qu'elle poserait à Kim.

— Je dois partir, annonça-t-elle. J'ai rendez-vous chez le

coiffeur pour me faire couper les cheveux.

Elle prit quelques mèches entre deux doigts et mima le

mouvement des ciseaux.

— Ils s'ont beaucoup trop longs.

— Je ne suis pas de votre avis, déclara Rock, lui manifes-

tant un intérêt inattendu. C'est une longueur qui vous va très

bien.

— Je vous remercie, dit-elle par pure politesse, mais je vais

quand même les faire couper très courts.

Jetant un coup d'œil à sa montre, elle se leva, lui souhaita

un bon après-midi et partit en toute hâte afin de ne pas arri-

ver en retard.

Quelques minutes plus tard, elle était assise dans un fau-

teuil du salon de beauté. Lorsque le coiffeur lui demanda ce

qu'elle souhaitait, elle s'entendit répondre à sa grande stupé-

faction :

—- Je ne veux pas que vous les coupiez. Egalisez-les seule-

ment.

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3

Bart était en train de dicter un texte à Kim. Il s'interrompit

soudain et chercha des papiers dans un classeur.

— Comme c'est triste ! murmura-t-il.

Il avait pris récemment l'habitude de penser tout haut. Kim

supposa qu'il songeait aux espèces animales en voie de dis-

parition à cause d'une chasse trop intense. Elle ne compre-

nait pas non plus ces hommes qui s'acharnaient sur les bêtes

par pur plaisir de tuer.

Le médecin était passé quelques semaines plus tôt et son

diagnostic était rassurant. Bart ne souffrait d'aucune maladie

grave. Il lui fallait seulement du repos. D'après lui, il s'agis-

sait simplement de surmenage.

— Mais tous les auteurs se surmènent! avait-il affirmé pour

se défendre. Comment voulez-vous vous arrêter de travailler

quand votre esprit déborde d'idées ?

— J'insiste, malgré tout, pour que vous réduisiez vos activi-

tés, avait déclaré le docteur.

Se tournant vers Kim, qu'il avait prise pour la fille de Bart,

il avait ajouté :

— Veillez à ce qu'il ne travaille pas plus de cinq heures par

jour.

— Je ferai de mon mieux, avait-elle répondu sans trop y

croire.

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En huit ans, elle avait eu l'occasion de se rendre compte à

quel point Bart était obstiné.

En partant, le docteur l'avait prise à part pour lui répéter

qu'elle n'avait aucune raison de s'alarmer :

— Ne vous inquiétez surtout pas. S'il respecte mes conseils,

il retrouvera bientôt sa forme.

Le lendemain, Kim avait eu un entretien avec Rock. Il lui

avait promis de l'aider à raisonner Bart, et elle pouvait

compter sur lui.

— Avez-vous noté ce que j'ai dit au sujet des derniers élé-

phants vivant dans les forêts de Knysna ? lui demanda sou-

dain celui-ci, la tirant de ses pensées.

Kim hocha la tête d'une manière affirmative et il reprit sa

dictée. Lorsqu'il eut terminé, elle alla immédiatement taper

le texte. S'étant assez vite acquittée de cette tâche, elle décida

ensuite de revoir une dizaine de pages d'un autre chapitre

qui exigeaient des corrections. Bart entra dans son bureau au

moment où elle commençait ce travail. Il la pria de retourner

pour lui à la librairie de Tengaville.

— Je suis impatient de lire les deux nouveaux livres que j'ai

commandés. Et surtout, ne vous dépêchez pas de revenir si

vous avez envie de flâner, ajouta-t-il avec un gentil sourire.

Pourquoi ne feriez-vous pas des courses ? Vous m'avez parlé

d'une robe et d'un parfum qui vous tentaient.

Kim lui rendit son sourire et considéra son bon visage avec

affection. Bart la traitait davantage comme sa fille que

comme une employée. Célibataire, n'ayant plus aucune fa-

mille, il avait accueilli Kim chez lui à bras ouverts. Sa com-

pagnie le rendait heureux, autant sur le plan privé que pro-

Page 41: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 41 –

fessionnel. Bien souvent, à la fin d'une journée de travail, il

l'avait remerciée II la félicitait d'être la meilleure collabora-

trice qu'il eût jamais eue. Depuis qu'elle le secondait, préten-

dait-il, son œuvre avait progressé d'une manière remar-

quable.

— J'essaierai cette robe, dit-elle, sachant qu'en se faisant

plaisir, elle lui faisait plaisir aussi. Mais pour te reste, je

devrai attendre. Noël approche, j'aurai besoin de mon ar-

gent.

— Vous n'allez tout de même pas vous refuser ce parfum

qui vous plaît tant ! insista-t-il.

— Si, il est trop cher.

— Permettez-moi de vous l'offrir, Kim, s'empressa-t-il de

proposer sur un ton suppliant.

Il connaissait le caractère très indépendant de la jeune

femme et son désir de ne rien devoir à quiconque. Cette fois,

elle ne voulut pas le décevoir :

— Merci, Bart, j'accepte volontiers.

Le visage de son interlocuteur s'illumina. .

— Et j'espère bien que quand vous aurez ce cadeau, vous

vous en servirez !

Kim éclata de rire :

— J'hésite toujours à utiliser des produits si coûteux. J'ai

l'impression de les gâcher.

— Pourquoi donc ? Quand le flacon sera vide, nous en

achèterons un autre.

Quelques minutes plus tard, Bart lui donnait un chèque en

blanc et l'invitait à acheter le parfum qu'elle désirait sans se

soucier du prix. Elle rêvait d'une marque célèbre, une vraie

Page 42: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 42 –

folie. Elle n'était même pas sûre de la trouver dans une petite

agglomération comme Tengaville. Elle parvint pourtant à se

la procurer facilement et, ne voulant pas abuser, elle se con-

tenta du petit modèle. Ensuite, elle se mit à la recherche

d'une robe. En fin de compte, elle se laissa séduire par un

ensemble pantalon en toile légère, ce qui lui évita d'avoir à

choisir entre une robe pour tous les jours et une tenue de

soirée. Susan entra peu de temps après elle dans le magasin,

et elles furent ravies du hasard qui les réunissait.

— Je voudrais un corsage, mais je vais avoir du mal à trou-

ver ce que je cherche.

— Pourquoi ?

— Il faut qu'il soit à la fois habillé et agréable à porter sous

ce climat. Malheureusement, les chemisiers habillés ont

toujours des manches longues.

— Est-ce pour une cérémonie ?

Susan regardait d'un air insatisfait les vêtements que lui

présentait la vendeuse.

— Non, pas du tout. J'aimerais simplement renouveler un

peu ma garde-robe avant l'arrivée de ma cousine. Je la con-

nais, elle est toujours vêtue avec un chic inouï.

Susan ponctua ses paroles d'une grimace amusante. La

vendeuse continuait à lui montrer d'autres corsages, atten-

dant avec espoir — et avec beaucoup de patience — de réus-

sir une vente.

— Quand voire cousine doit-elle arriver ? interrogea Kim.

— La semaine prochaine... Vendredi exactement.

— Va-t-elle rester longtemps ici ?

Page 43: Anne Hampson Autour d Un Jour

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— Six semaines, et même peut-être davantage si elle se

plaît parmi nous.

— Avec un peu de chance, elle sera donc encore là à Noël.

— Je ne le pense pas, répondit la jeune femme en effec-

tuant un rapide calcul de dates. Dans sa lettre, elle me dit

qu'elle vient en principe pour six semaines, et qu'elle prolon-

gera éventuellement sa visite de huit jours tout au plus. Et si

je ne me trompe pas, Noël est dans deux mois.

— En effet.

— Alors, elle sera repartie.

Tout en parlant, Susan examinait toujours de nouveaux

corsages.

— Ma cousine est la jeune fille la plus vivante et la plus atti-

rante que j'aie jamais vue, poursuivit-elle. Tous les hommes

tombent à genoux devant elle, mais elle se montre si difficile

qu'à mon avis, elle finira par ne pas se marier.

— Si je comprends bien, déclara Kim, elle a toutes les quali-

tés : la jeunesse, la beauté et le dynamisme.

— Oh oui, les bonnes fées se sont penchées sur son ber-

ceau. Elle porte des habits de haute couture, et les bijoux

avec l'aisance d'une reine; elle sait comment flatter l'orgueil

des hommes, et elle se sert à merveille de ses grands yeux

bleus pour lès émouvoir...

Susan s'interrompit et éclata de rire. — J'en ai assez dit.

Vous avez deviné que je l'envie beaucoup, je suppose ?

— Pas du tout. Votre description m'a beaucoup intéressée.

Je me réjouis de faire la connaissance de cette personne

extraordinaire. Comment s'appelle-t-elle ?

Page 44: Anne Hampson Autour d Un Jour

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— Ravella. C'est étrange, ce nom démodé pour une jeune

fille si moderne;

— J'ai l'impression qu'elle va faire des ravages dans notre

club, glissa Kim.

— Sans aucun doute. Les hommes des environs ne se dou-

tent pas encore de la surprise qui les attend; Ici, ils n'ont pas

l'occasion de voir tous les jours une déesse blonde.

La curiosité de la secrétaire ne cessait de croître :

— Comment est-elle ? Petite, grande ?...

— Elle est de taille moyenne et elle peut se vanter d'avoir

une silhouette de mannequin.

— Et que fait-elle dans la vie ?

Kim se rendit soudain compte qu'elle posait beaucoup trop

de questions. Susan ne s'en plaignait pas en tout cas. Elle

semblait, au contraire, ravie de bavarder tout en faisant ses

achats.

— Elle n'a pas besoin de gagner d'argent, expliqua­t-elle

avec complaisance. Son père, c'est-à-dire mon oncle, brasse

des affaires très importantes. Ravella n'a jamais travaillé. Il

lui faudrait un mari capable de lui assurer le train de vie

auquel elle est habituée.

— Est-ce qu'elle vient seule? demanda Kim.

Elle commençait à être gênée, car son amie continuait de

refuser les chemisiers que lui montrait la vendeuse. Elle lui

en avait déjà proposé une dizaine sans succès et Susan ne se

préoccupait même plus de répondre à ses questions :

— Oui, Ravella vient seule. Ma tante avait prévu de l'ac-

compagner, mais mon Oncle est tombé malade. Elle ne veut

pas le quitter maintenant.

Page 45: Anne Hampson Autour d Un Jour

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Susan accepta finalement d'essayer un corsage rose que

Kim avait décroché, jugeant qu'il pouvait lui convenir.

— Ah oui, je veux bien passer celui-ci, fit-elle. Kim resta

seule tandis qu'elle suivait la vendeuse dans une cabine.

Dix minutes plus tard, les deux jeunes femmes sortaient du

magasin, l'une avec son corsage, l'autre avec son ensemble.

— Je dois passer à la librairie, annonça Kim. Bart a com-

mandé des livres.

— Je viens avec vous, affirma aussitôt Susan. Ma mère m'a

demandé de lui acheter des revues.

Kim se renseigna sur les livres de Bart. Ils étaient peut-être

arrivés. Le vendeur lui demanda dix minutes pour déballer la

livraison qu'il venait de recevoir. En attendant, elle feuilleta

des magazines avec Susan. Celle-ci tourna vivement la tête

en remarquant l'expression soudain différente de Kim. Déci-

dément, c'était le jour des coïncidences : Rock Linton péné-

trait à son tour dans la librairie.

— Bonjour, Rock ! lança Susan avec un grand sourire.

Comment se fait-il que vous ayez quitté vos chers arbres à

cette heure de la journée ?

Arborant comme toujours son air impassible et sûr de lui, il

se dirigea à grands pas vers les deux jeunes femmes. Son

regard se posa sur le charmant visage de Susan, puis sur

Kim. Comme il fronçait imperceptiblement les sourcils, elle

se sentit rougir. Il étudia sa coiffure et constata qu'elle

n'avait pas fait couper ses cheveux. Il se demandait sans

doute pourquoi elle avait renoncé à son projet. Il ne fit toute-

fois aucun commentaire et l'intéressée en fut soulagée.

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— Que recherchent ces jeunes dames ? fit-il, négligeant

d'expliquer les raisons de sa présence à Susan. Des livres de

cuisine ? Des patrons pour coudre ?

L'éclat ironique de ses yeux s'accentua lorsqu'il vit la colère

gagner Kim.

— Non ? N'est-ce pas ce que vous cherchez ?

— Non ! cria presque Kim, se reprochant immédiatement

d'être entrée dans son jeu.

Elle s'empara d'une revue de tricot dont la couverture re-

présentait un gros bébé joufflu. Le brandissant sous le nez de

Rock, elle déclara en contrôlant mieux ses intonations :

— Regardez, cela pourrait peut-être vous intéresser. Il y a

des hommes qui tricotent, vous savez ! Il paraît que c'est

excellent pour les nerfs.

Susan éclata de rire, dissipant la tension qu'avaient provo-

quée ces paroles. Un peu déçue, Kim dut se contenter de

surprendre une lueur menaçante dans les yeux gris de Rock.

S'ils avaient été seuls, ses propos auraient sans nul doute

suscité l'une de leurs fameuses querelles.

— Et vous Rock, quel genre de livre désirez-vous? s'enquit

Susan.

Elle levait vers son beau visage viril un regard franchement

admiratif. Malgré ses manières décontractées et la désinvol-

ture qu'elle affichait, Kim voyait clair en elle. La présence de

Rock lui inspirait une profonde émotion.

— Je voudrais un roman facile à lire, affirma-t-il. J'ai envie

de me détendre.

Il parcourut des yeux l'étagère la plus proche de lui.

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— Avez-vous un ouvrage à me conseiller, chère amie? La

jeune femme secoua la tête :

— Je n'ai jamais le temps de lire. Il y a toujours quelque

chose à faire chez moi.

Rock haussa les épaules et s'éloigna. Il s'arrêta de l'autre

côté du magasin devant un présentoir. Kim avait mis à profit

les derniers instants pour effectuer une sélection de revues.

Elle les tendit à sa compagne :

— Est-ce que cela conviendrait à votre mère ? Susan exa-

mina rapidement les titres et approuva son choix :

— Oui, c'est parfait.

Jetant un coup d'œil à sa montre, elle ajouta :

— Il faut que je parte, Kim. Je suis désolée de ne pas pou-

voir rester avec vous plus longtemps.

— Je vous en prie. J'attends encore cinq minutes pour sa-

voir si les livres de Bart sont arrivés et je rentre aussi chez

moi.

Dès que Susan fut sortie de la librairie, Rock rejoignit Kim.

Il lui mit un volume entre les mains, et elle n'eut pas tout de

suite la présence d'esprit de le refuser. Avec un homme pa-

reil, il fallait pourtant toujours se méfier.

— J'ai pensé que cet ouvrage vous serait utile, déclara-t-il

en retenant difficilement son rire.

Malgré elle, Kim regarda la couverture. Il y était écrit en

lettres dorées : « Le grand livre de la politesse et des bonnes

manières. »

— Vous êtes... abominable ! lança-t-elle à défaut de trouver

un qualificatif encore plus virulent.

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— Je suppose que vous éprouveriez une extrême satisfac-

tion à me le jeter à la figure, déclara-t-il.

Elle se ressaisit plus vite qu'il ne l'avait prévu et parvint à

répondre sur un ton doucereux :

— En effet, monsieur Linton. Je ne peux toutefois pas m'of-

frir ce genre de plaisir dans un magasin. Je vous rends donc

votre livre, et je me permets de vous suggérer de commencer

par le lire vous-même.

A sa grande surprise, Rock se divertit grandement de son

ironie, décevant ses espoirs. Elle avait compté le blesser. Elle

aurait voulu le mettre hors de lui, lui prouver que les femmes

n'étaient pas les seules à perdre leur sang-froid à cause d'une

remarque désobligeante, ainsi qu'il l'avait prétendu. Mais il

lui avait aussi affirmé qu'il restait toujours maître de lui-

même, et il le resta.

Il reprit le livre qu'elle lui tendait d'une main un peu trem-

blante et proposa :

— Kim, pour une fois, ne nous laissons pas aller à notre

penchant pour la dispute. Faisons une trêve d'un quart

d'heure. Je vous invite à prendre le thé.

Elle ouvrit de grands yeux étonnés. Elle ne le reconnaissait

pas. Même sa voix était transformée. Ce n'était plus celle de

l'arrogant Rock Linton qui cherchait toujours à l'écraser et à

gagner la bataille. Il avait employé un ton persuasif auquel il

était très difficile de résister. Elle se surprit à dire :

— Merci, monsieur Linton...

Il l'interrompit en pointant sur elle un index gentiment

menaçant :

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— Rock. Je croyais que nous étions d'accord pour nous ap-

peler par nos prénoms. Bart serait déçu s'il vous entendait.

Tout était changé chez lui, même l'expression de ses yeux,

pendant qu'il prononçait ces paroles. Kim ne comprenait

plus rien à son attitude.

— J'ai du mal à... à vous appeler Rock étant donné le style

agressif de nos relations, confessa-t-elle, après un petit si-

lence embarrassé.

— Vous venez de prononcer mon nom d'une manière

charmante, affirma-t-il en posant sur elle un regard lumi-

neux qui la plongea dans un état étrange.

Son cœur se mit à battre un peu plus vite et lorsqu'il lança

une plaisanterie sur leurs relations, elle s'aperçut avec éton-

nement qu'elle ne lui en voulait pas de se moquer d'elle.

Pourquoi n'éprouvait-elle plus le désir de lui rendre sar-

casme pour sarcasme et de se venger? Elle se borna à chan-

ger de sujet :

— Je suis venue chercher des livres pour Bart. Le vendeur

est allé voir s'il les a reçus.

— Quand ont-ils été commandés? s'enquit Rock.

En apprenant la date, il fronça les sourcils.

— Je serais étonné qu'ils soient déjà là. Quel genre de livres

était-ce ?

— Il y en a un sur la végétation de l'Afrique du Sud, et

j'ignore le sujet de l'autre.

Le vendeur revint dans le magasin à ce moment-là et s'ex-

cusa de ne pas encore avoir les ouvrages.

— Pouvez-vous repasser la semaine prochaine ? demanda-

t-il à Kim.

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— Oui, certainement.

— Je pense les avoir jeudi, ou au plus tard vendredi.

— Je peux prêter un livre sur la végétation de l'Afrique du

Sud à Bart, offrit Rock quand ils furent dans la rue. Venez

chez moi, je vous le donnerai.

— C'est très gentil de votre part. Bart sera content.

Ils pénétrèrent dans un salon de thé où il commanda d'au-

torité des gâteaux en plus de la boisson promise. Lorsque le

plateau bien .garni arriva, il se servit avec modération, pre-

nant une simple galette. Kim fut au contraire incapable de

résister à une magnifique pâtisserie coiffée de crème. -

— N'avez-vous pas peur pour votre ligne ?

Elle était assise en face de lui et il étudia longuement son

buste élancé.

— Je peux manger tout ce que je veux sans grossir, annon-

ça-t-elle d'un air dégagé en plantant avec gourmandise sa

fourchette dans le gâteau.

La confusion l'emportait cependant sur son appétit Rock

ne répondit rien, mais il continua de l'observer d'une ma-

nière curieuse. Elle ne l'avait encore jamais vu dans d'aussi

bonnes dispositions à son égard. Cette nouvelle attitude la

déconcertait. Rock n'était plus l'homme qu'elle détestait

violemment et cette découverte ne contribua qu'à accroître

son émoi. Pour la première fois, elle se sentit en position de

faiblesse. Jusqu'à présent, même si elle n'avait pas souvent

réussi à marquer des points contre lui, elle s'était jugée ca-

pable de lui tenir tête. Mais à présent...

— A quoi pensez-vous? s'enquit-il soudain.

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— Je me pose des questions, fit-elle vaguement. Il secoua la

tête :

— Je vous remercie pour cette réponse, mais je. ne suis pas

très avancé.

Elle émit un petit rire et se justifia saris chercher à mentir :

— Je ne peux vous confier qu'une partie de mes réflexions.

— Soit, je me contenterai des miettes, répliqua-t-il, se mo-

quant d'elle sans méchanceté.

— Je me demandais à quoi attribuer ce changement d'hu-

meur, monsieur... Rock.

— Quel changement d'humeur ?

Il releva les sourcils d'un air interrogateur.

— Je vous prie d'être plus claire.

— Eh bien, je ne retrouve pas votre attitude de supériorité

habituelle, déclara-t-elle. Pour une fois, je n'ai pas l'impres-

sion d'être une pauvre, une méprisable, une misérable

femme, tout juste bonne à être réduite en esclavage.

Kim ne comprit pas ce qui l'avait poussée à parler ainsi.

Elle ne désirait pourtant pas provoquer une dispute. L'ombre

d'un sourire éclaira les traits de son compagnon tandis qu'il

répliquait :

— Pourquoi montrez-vous les dents, Kim ? Vous ne savez

pas manier l'ironie.

Au lieu de répondre, elle avala une bouchée de gâteau.

— D'ailleurs, ajouta-t-il, seul un homme qui n'a peur de

rien pourrait faire de vous une esclave.

Elle accueillit cette déclaration en riant. Une sorte d'ins-

tinct l'avertissait que la gaieté lui conférait un charme sup-

plémentaire. Elle percevait un éclat nouveau dans les yeux

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gris et froids de Rock. Son rire y faisait apparaître une lueur

différente, plus chaude.

— L'homme qui me réduira en esclavage n'est pas encore

né, affirma-t-elle .tranquillement en terminant sa pâtisserie.

— N'êtes-vous pas un peu trop sûre de vous? lança-t-il sur

un ton de défi. Prenez gardé de ne pas tenter le diable. Un

jour, peut-être plus tôt que vous ne le pensez, vous trouverez

votre maître.

Kim regarda celui qui osait lui tenir de tels propos, et les

battements de son cœur s'accélérèrent pour la seconde fois

en cet après-midi.

—A vous entendre, je devine que la fin de notre trêve ap-

proche, observa-t-elle au lieu de répondre par une remarque

piquante à ses propos insolents.

— Vous battez en retraite ! s'exclama-t-il alors, en affichant

un mépris indulgent. Voilà une conduite typiquement fémi-

nine : vous vous esquivez quand vous êtes sur le point de

perdre. Puisqu'il en est ainsi, je vous répète, ma chère, que

vous êtes bien trop sûre de vous. L'homme qui saura vous

donner une leçon n'est peut-être pas très loin.

La veille encore, Kim aurait explosé en entendant ce genre

de discours. Elle n'en fit rien et s'appliqua plutôt à respirer à

fond. Puis elle s'exprima de sa voix la plus douce, comptant

ainsi rendre Rock honteux de lui avoir parlé brutalement :

— Vous faites preuve d'une délicate attention en prêtant un

livre à Bart. Il en sera ravi. Etes-vous certain que je ne vous

dérange pas en allant le chercher chez vous maintenant ? Je

peux passer demain matin si cela vous convient mieux.

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Elle était très fière de lui avoir prouvé qu'elle pouvait ré-

pondre à ses attaques par la politesse et l'amabilité.

Hélas, il feignit de ne rien remarquer et se borna à déclarer

platement :

— Si vous me gêniez aujourd'hui, je ne vous aurais pas pro-

posé de venir.

Il guetta sa réaction et elle comprit que sa réponse était

calculée. Il voulait lui montrer que son opération de charme

n'avait pas de prise sur lui. Il la considérait comme une ten-

tative presque enfantine. Décidément, même quand elle

avait décidé de conserver son calme, il parvenait à la rendre

furieuse. Quel homme exaspérant! Elle avait beau tout es-

sayer, elle ne réussissait jamais à remporter la moindre pe-

tite victoire sur lui !

— Je vois que vous avez fini votre thé. Je suis prête à partir,

fit-elle sur un ton coupant.

— Quelle mouche vous pique tout d'un coup ?

— Que voulez-vous dire ? Il soupira bruyamment :

— Vous n'êtes plus la même qu'il y a quelques minutes, ex-

pliqua-t-il en fixant sur elle un regard pénétrant.

— Je ne vois toujours pas de quoi vous parlez, soutint-elle

avec obstination.

Rock pinça les lèvres. L'envie ne lui manquait visiblement

pas de secouer Kim pour lui faire comprendre plus vite ce

qu'il avait en tête.

— Il y a un instant, vous étiez charmante, et maintenant

vous vous montrez désagréable. J'avais l'impression que

vous faisiez un effort d'amabilité, mais votre mauvais carac-

tère reprend le dessus sans prévenir.

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Kim ouvrit de grands yeux. Elle resta silencieuse le temps

d'analyser ces étranges remarques. N'était-elle pas, elle aus-

si, déconcertée par le comportement de Rock ? Il ne se pri-

vait pas non plus de passer brusquement d'un ton à l'autre,

d'une attitude à l'autre. En outre, il se montrait souvent

d'une grossièreté inexcusable envers elle. Ayant honnête-

ment exposé ses pensées, elle attendit sa réponse. L'avait-

elle enfin touché? Non, pas le moins du monde. Une expres-

sion bien connue d'amusement mêlé d'espièglerie détendit

ses traits, et il annonça d'une voix suave, destinée à la rendre

folle de rage et d'impuissance :

— Puisque vous êtes prête, partons.

Il accompagna Kim jusqu'à l'endroit où elle avait garé sa

voiture.

— La mienne est là-bas, déclara-t-il en la lui montrant du

doigt. Vous n'aurez qu'à me suivre.

Il attendit qu'elle fût installée et ajouta encore avant de re-

gagner son propre véhicule :

— Je ne conduirai pas trop vite.

Elle roula derrière lui sur la route sinueuse. Comme tou-

jours, les étendues de prairies brunes attiraient son regard.

Ce paysage sauvage l'émouvait. Au loin, elle distinguait un

moutonnement de collines et encore au-delà, la masse

sombre des montagnes. La brume bleutée des fins d'après-

midi africaines enveloppait la campagne. Sur la droite appa-

rurent les forêts de Rock, d'immenses espaces occupés par

des acajous, des ébéniers et plusieurs autres essences très

précieuses.

Page 55: Anne Hampson Autour d Un Jour

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La voiture de Rock quitta la route et s'engagea dans une

allée bordée de manguiers au bout de laquelle se dressait une

demeure d'un blanc immaculé. Le grand-père de Rock l'avait

baptisée Lusaka. Imitant le véhicule qui la précédait, Kim

ralentit. Un parfum de chèvrefeuille et de balsamine effleura

ses narines bien avant qu'elle fût descendue de voiture. Elle

resta un long moment immobile, la main sur la poignée de la

portière, à contempler autour d'elle la splendeur de la végé-

tation tropicale luxuriante. Des coloris fantastiques éblouis-

saient, de puissantes odeurs l'étourdissaient.

Elle reconnut certains arbres et certaines fleurs. Il y avait

des orangers, des bougainvillées, des hibiscus dont les

teintes éclatantes se détachaient sur un feuillage sombre.

Des lis voisinaient avec des rosiers grimpants portés par un

treillis.

— C'est magnifique! fit-elle, le souffle coupé, sans pouvoir

détacher ses yeux de ce spectacle. Rock... Je n’ai jamais rien

vu d'aussi beau !

Cet enthousiasme ne le flatta pas outre mesure.

— Si vous voulez bien me suivre à l'intérieur de la saison, je

vous donnerai le livre, fit-il, coupant court «six exclamations

émerveillées de Kim.

Elle revint à la réalité et monta derrière lui cinq marches de

pierre, passa sous un portique à colonnes surmonté de fleurs

violettes. Rock l'introduisit dans un charmant salon dont les

immenses fenêtres donnaient d'un côté sur les jardins, de

l'autre sur la piscine. Le feuillage des palmiers se balançait

doucement au-dessus des eaux bleues dans lesquelles il se

reflétait. Vers l'est, loin à l'horizon, se dressaient les mon-

Page 56: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 56 –

tagnes. Et tout le terrain entre la maison et ces montagnes,

des hectares et des hectares de denses forêts, appartenait à

Rock. Kim aperçut ses ouvriers au travail parmi les arbres les

plus proches.

Après les avoir observés pendant quelques instants, elle

reporta son attention sur la pièce dans laquelle elle se trou-

vait. Elle y reconnut l'aménagement luxueux et raffiné dont

lui avait parlé Bart. Des tapis persans étaient disposés sur un

magnifique plancher soigneusement ciré. D'exquises pièces

en porcelaine ornaient une grande cheminée. Un goût sûr

avait présidé au choix des meubles. Des bouquets arrangés

avec art occupaient plusieurs vases en cristal taillé. Une

horloge sonna dans un coin du salon et Kim regarda sa

montre. E était déjà tard. Le soleil se couchait. Un fil d'or

soulignait les nuages dans le ciel. Au bout d'un court mo-

ment, Rock revint, un livre à la main.

— Merci, dit la jeune fille en le glissant dans son sac et elle

se prépara à partir.

— Est-ce que Bart se repose suffisamment chaque jour ?

s'enquit le maître de maison.

— Oui. Je suis agréablement surprise car il se montre

vraiment très raisonnable.

Le visage de Rock n'exprimait aucun sentiment particulier.

— Soyez prudente sur la route, conseilla-t-il d'une manière

détachée. Les pluies de ces derniers jours ont creusé de dan-

gereuses ornières.

— Je ferai attention. Au revoir, Rock, et encore merci pour

le livre.

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Au volant de la grande voiture de Bart, Kim s'éloigna de

Lusaka. Dans le rétroviseur, elle vit l'homme, toujours de-

bout à la place où elle l'avait quitté. Il ne bougea pas avant

d'avoir perdu le véhicule de vue.

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– 58 –

4

Kim s'examina une dernière fois dans le miroir, puis rejoi-

gnit Bart dans le hall. Il la complimenta vivement sur sa

tenue. Elle portait une robe en soie blanche très décolletée.

Le haut épousait parfaitement son buste et le bas était joli-

ment évasé.

— Aimez-vous mon parfum ? demanda-t-elle quand il eut

enfin fini de s'extasier sur l'allure que lui donnait cette robe.

— Il est... Mmm, j'aimerais avoir quarante ans de moins !

Elle fut ravie de le voir aussi gai.

— C'est le parfum que vous m'avez offert la semaine der-

nière. Je l'adore !

Bart se lança encore dans des commentaires élogieux sur sa

coiffure, sur son beau collier et sur le bracelet assorti. Par

discrétion, il s'abstint de parler du magnifique sac de soirée

doré, constitué de fines mailles serrées, dont il avait fait

cadeau à Kim trois ans plus tôt à l'occasion de Noël.

— Je me demande si Rock... commença-t-il, mais il n'alla

pas jusqu'au bout de sa phrase.

Kim leva sur lui un regard étonné :

— Que voulez-vous dire ?

— Oh, rien, fit-il en balayant cette interrogation d'un geste

de la main. Je pensais seulement...

Il s'interrompit de nouveau et, ouvrant la porte, il déclara :

— Si vous êtes prête, Kim, nous allons partir.

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Elle s'installa auprès de lui dans la voiture, le laissa démar-

rer, et attendit d'être sur la route pour reposer sa question :

— Que vouliez-vous dire à propos de Rock ?

— A propos de Rock ? répéta Bart en feignant de ne pas

comprendre.

— Bart, voyons, que me cachez-vous?

—- Je ne vous cache rien, ma chère Kim. Vous êtes en train

de monter en épingle une simple broutille.

Il changea de vitesse avant d'ajouter :

— Je ne sais même plus ce que je disais. Je me demandais

sans doute s'il viendrait ce soir au club.

— Ne vient-il pas tous les samedis ?

— Oui, mais... il a peut-être d'autres occupations. On ne

sait jamais...

— Est-ce tellement important pour vous de le rencontrer

aujourd'hui ? interrogea-t-elle, s'étonnant elle-même d'insis-

ter tant sur ce sujet.

Certes, le comportement de Bart l'intriguait. Elle avait

l'impression qu'il cherchait à dissimuler quelque chose.

— Oui, je souhaite le voir ce soir, accorda-t-il en se dépor-

tant de l'autre côté de la route pour dépasser une famille

africaine.

Il y avait le père, la mère et trois petits enfants noirs dont

les phares firent briller les grands yeux. Ils rentraient dans

leur village situé au bout de la route que Kim empruntait

chaque jour avec Sammy.

— Je veux parler à Rock du livre qu'il m'a prêté, lui expli-

qua Bart.

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– 60 –

— Je vois, murmura la jeune fille ; mais en vérité elle ne

voyait rien du tout.

Bart semblait faire des mystères et son attitude occupa

l'esprit de Kim pendant un moment. Le cours de ses pensées

changea toutefois quand ils pénétrèrent dans les jardins du

club. De nombreuses voitures étaient déjà garées sur le par-

king. Kim chercha aussitôt celle de Rock. Le propriétaire de

Lusaka n'était pas encore arrivé.

Bart comptait beaucoup d'amis parmi les membres du club.

Il ne tarda pas à être séparé de Kim qui, de son côté, fut très

vite accaparée par Susan. Elle était impatiente de lui présen-

ter enfin la fameuse « déesse blonde » dont elle lui avait

annoncé la visite. Ravella avait l'air de sortir d'une luxueuse

revue de mode aux pages glacées. Kim ouvrit de grands yeux.

Elle ne s'était encore jamais trouvée en présence de Tune de

ces créatures à la beauté miraculeuse que les lectrices des

magazines contemplent avec envie. Ravella était splendide,

et elle était là.

Ses grands yeux bleus scintillaient comme des étoiles der-

rière ses longs cils. Un magnifique collier, où alternaient les

diamants et les saphirs, ornait son cou gracieux. Sa robe en

lamé or, un peu moulante, révélait l'admirable harmonie de

ses formes. Elle était fendue sur un côté à partir du genou et

Kim la jugea très féminine. Puis son regard se posa sur les

doigts minces aux ongles impeccablement manucures. Ra-

vella portait deux bagues somptueuses : un gros diamant à la

main droite et à la main gauche, un saphir clair entouré de

diamants plus petits. Sa voix s'accordait à cet ensemble

éblouissant, constata Kim avec une pointe involontaire de

Page 61: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 61 –

jalousie. Comment rester insensible à la conjonction de tant

de qualités chez une seule personne ? Uniquement grâce à sa

voix, Ravella aurait pu envoûter n'importe quel homme.

Susan n'avait vraiment pas menti.

Profitant de quelques secondes de tête-à-tête avec Kim,

celle-ci glissa :

— Je m'amuse beaucoup en voyant la réaction des gens à

qui je présente Ravella.

— Elle semble déjà connaître tout le monde. Etes-vous ar-

rivées depuis longtemps?

— Oui, nous sommes venues tôt.

La jeune fille revint vers Kim et sa cousine.

— Susan, vous m'aviez dit qu'il y a des jeunes gens intéres-

sants ici. Je n'en vois aucun.

— Et Dick Farnham ? Il est brun, il est grand, il est beau,

que désirez-vous de plus ? répliqua Susan en se moquant

gentiment de Ravella.

Celle-ci esquissa une moue charmante :

— II me laisse complètement indifférente. De nos jours, les

hommes n'ont vraiment pas l'air virils.

— Et Val ? Ah non, j'oubliais qu'il a un faible pour Kim.

Cette dernière haussa les épaules avec désinvolture. Une

légère rougeur envahit cependant ses joues.

— Nous sommes simplement amis, déclarait-elle, incapable

de trouver un démenti plus original.

— Pour le moment! précisa Susan en lui décochant un clin

d'œil malicieux.

Page 62: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 62 –

Oui, Val lui plaisait, s'avoua Kim. Mais elle songea aussi à

Bart qu'elle avait promis de ne pas quitter tant qu'il aurait

besoin de ses services.

— Aimez-vous Val ? s'enquit Ravella.

Les sourcils froncés, elle examina son interlocutrice comme

pour évaluer- ses chances d'attirer un homme plus remar-

quable, puis elle affirma sur un ton peu convaincu :

— Oui, il n'est pas mal.

— Et John Paterson ? poursuivit Susan sans se décourager.

Il a beaucoup de succès.

— Mais je le trouve ridicule avec sa petite voix d'adolescent

! objecta Ravella.

— Si je comprends bien, il vous faut un homme du type fort

et dominateur, avec une carrure d'athlète et une voix grave.

Eh bien, le voici !

Susan invita Ravella à se retourner, et sur un ton un peu

plus sec qui trahissait une nuance de dépit, elle continua sa

présentation :

— Voici l'homme qui se rapproche le plus de la perfection.

Il est grand, fort, doté d'une voix extrêmement masculine...

qui peut à l'occasion prendre des accents redoutables. Voici

Rock Linton ! Regardez bien, mademoiselle la difficile !

Rock se tint un bref instant sur le seuil. Il parcourut l'assis-

tance d'un regard circulaire, avant de s'avancer. Susan en-

traîna Ravella à sa rencontre, et Kim les suivit.

— Rock, je vous avais parlé de ma cousine. Ravella Spal-

ding... Rock Linton.

Kim observa l'expression de l'arrivant tandis qu'il exami-

nait la jeune fille de la tête aux pieds. Il lui tendit enfin la

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– 63 –

main, et elle abandonna ses fins doigts blancs entre les siens.

Elle semblait sous le choc de la force qui émanait de lui.

— Je suis enchanté de faire votre connaissance, Miss Spal-

ding.

La voix était froide, et le regard dur. Une imperceptible

ride se dessina sur le front de Ravella. Elle avait sans doute

affaire au premier homme qui ne tombait pas immédiate-

ment sous son charme. Quand elle leva les yeux vers lui, il

fut aisé d'y lire qu'elle était en tout cas tombée sous le sien.

Mais Rock ne s'intéressait déjà plus à elle. Il aperçut Kim à

ses côtés et prit son ton le plus impersonnel pour lui dire :

— Bonsoir, Kim. Bart est-il venu avec vous ?

— Oui, il est là-bas. Il parle avec M. et Mme Holt.

— Et comment va-t-il ?

Rock ne manquait jamais de s'inquiéter de la santé de Bart.

Rassurée par l'amélioration qu'avaient déjà amenée quelques

semaines de repos, Kim affirma :

— Il va bien, merci.

— Tant mieux, fit Rock, puis il jeta un nouveau regard cir-

culaire dans la salle et repéra une personne qu'il désirait

rejoindre.

Il murmura une excuse et s'éloigna. Ravella se tourna alors

vers sa cousine. Ses jolies lèvres esquissaient une grimace :

— Il n'est pas très aimable. Se comporte-t-il toujours ainsi ?

Susan leva les yeux au ciel :

— Oui, nous les femmes, nous devons nous résigner. Rock

Linton ne nous juge pas dignes de plus d'égards. Je suis

désolée pour vous, ma chérie. Il faut que je vous présente un

homme plus abordable. Rock est un célibataire endurci.

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— Il est... fascinant, déclara tout bas Ravella, perdue dans

ses songes. Un célibataire endurci î Je ne peux pas le croire.

— Il a pourtant une trentaine d'années et je ne l'ai jamais

vu intéressé par une femme.

— Qu'en savez-vous ?

— Je vis ici depuis toujours. Je suis au courant de tout ce

qui se passe dans la région. Aucune d'entre nous ne peut se

vanter d'avoir retenu son attention, même brièvement.

Ravella secoua la tête d'un air sceptique. Elle ne parvenait

pas à détacher ses yeux de l'énigmatique personnage qui se

tenait à quelque distance, superbe dans son costume blanc.

— Ne me dites pas que cet homme ne connaît pas les

femmes l lança soudain Ravella. L'amour n'a aucun secret

pour lui, c'est évident !

— Ecoutons la voix de l'expérience ! plaisanta Susan. Ve-

nez, je vous offre à boire à Kim et à vous, et vous pourrez

nous éblouir en nous racontant vos nombreux exploits sen-

timentaux !

Elles éclatèrent toutes les trois de rire, attirant sur elles les

regards de Rock et de son interlocuteur, Ralph Astbury, un

commerçant de Tengaville. John Paterson les rejoignit, et ils

se dirigèrent ensemble vers le bar à la suite des jeunes

femmes.

Rock baissa les yeux sur Kim et lui ordonna sans plus de

cérémonie :

— Allez nous réserver une table.

Son ton impérieux et sa main tendue d'une manière autori-

taire indiquaient qu'il ne doutait pas d'être obéi.

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— Regardez s'il y en a une par là, un peu à l'écart de cette

foule.

Etonnée de se montrer si docile, la jeune fille s'exécuta

immédiatement. Elle n'avait jamais vu tant de monde au

club. Elle apprit par la suite que la nouvelle de l'arrivée de

Ravella s'était répandue comme une traînée de poudre. Tout

le monde s'était dérangé pour voir la « déesse blonde ».

Elle trouva une table et adressa un signe à Susan. Celle-ci

vint seule, là nouvelle venue s'étant laissé accaparer par un

vieux célibataire qui lui parlait de sa jeunesse et de ses suc-

cès auprès des femmes. Sans doute amusée, elle déployait

pour lui tout son charme. Aucun homme, songea Kim, ne

pouvait rester insensible à la manière dont sa chevelure

dorée ondulait sur ses épaules. Susan saisit son regard admi-

ratif et s'écria :

— Elle est belle, n'est-ce pas ?

— Très belle.

— La dernière fois que je l'ai vue, il y a quatre ans, je la

trouvais déjà ravissante. Mais à vingt-deux ans, elle l'est

encore davantage.

— Et elle ne s'est jamais attachée à un homme ?

— Non, pas à ma connaissance. Elle est bien trop exigeante,

comme je vous l'ai déjà dit. D'ailleurs, vous avez pu vous en

rendre compte vous-même ce soir. Aucune des personnes

que je lui ai présentées ne lui a plu.

— Si, Rock lui a plu, affirma Kim.

Elle le chercha des yeux. En train de commander les bois-

sons, il leur tournait le dos. Elle considéra un instant ses

larges épaules.

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— Elle l'a trouvé « fascinant », c'est le terme qu'elle a em-

ployé.

Comment pouvait-on trouver Rock fascinant? Jusqu'à pré-

sent, Kim l'avait jugé exaspérant. Ses airs de supériorité, son

arrogance, ses préjugés absurdes à propos des femmes

l'avaient toujours irritée.

Suivi de John et de Ralph, il s'approchait avec deux verres.

Le seul pli ironique de sa bouche arracha à Kim un soupir

agacé. Il l'entendit et lui répondit par un sourire provocant.

Ravella vint enfin vers le groupe. Son regard alla plusieurs

fois de Rock à Kim, et elle parut songeuse. Puis John lui

adressa la parole et elle chassa ses pensées pour tourner vers

lui un visage lumineux :

— Combien de temps nous ferez-vous le plaisir de rester

parmi nous, Miss Spalding ?

— Je suis là pour six semaines.

Elle considéra de nouveau Rock et ajouta de sa voix mélo-

dieuse :

— Six semaines ou peut-être davantage. Cela dépend...

Tout le monde était suspendu à ses lèvres.

— De quoi cela dépend-il ? s'enquit-il.

Ravella haussa les épaules d'une façon charmante :

— Si je trouve la vie suffisamment attrayante ici, je prolon-

gerai mon séjour.

Elle battit des paupières et ses longs cils jetèrent des

ombres adorables sur ses joues.

— Attrayante ! répéta Ralph, étonné. Qu'entendez-vous par

là ?

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— Eh bien, j'estime que l'on doit s'amuser, surtout en va-

cances. Susan ne peut pas me consacrer tout son temps car

elle a beaucoup de travail chez elle. Aussi j'espère parvenir à

me distraire autrement...

Son regard se posa une fois de plus sur le visage de Rock

avec insistance. Son expression était aussi indéchiffrable que

s'il avait porté un masque. Il prit son verre sur la table sans

un mot.

— Je dispose de beaucoup de temps libre, s'empressa de

déclarer John. Je serais ravi de- vous faire visiter la région.

Ce n'était pas du tout la proposition que Ravella attendait,

et Kim dut s'avouer qu'elle n'en était pas mécontente. La

jeune fille se faisait des illusions si elle croyait pouvoir char-

mer ce célibataire endurci, jaloux de son indépendance. Elle

répondit à John avec son plus beau sourire :

— C'est très gentil de votre part, mais je ne voudrais pas

m'imposer.

— Vous imposer ! Ma chère Miss Spalding, si vous accep-

tiez, je serais le plus heureux des hommes.

Susan se mordit les lèvres pour ne pas éclater de rire et

Kim en fit autant. D'un regard sévère, Rock lui adressa un

avertissement silencieux. En quel honneur se permettait-il

de la rappeler à l'ordre ?

— Moi aussi, je peux vous consacrer certaines journées,

offrit Ralph. Si vous le désirez, Miss Spalding...

— Appelez-moi Ravella, je vous en prie!

— Eh bien... Ravella, poursuivit Ralph, je vous emmènerai

où vous voulez.

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— Je vous remercie, fit-elle sans manifester beaucoup d'en-

thousiasme.

Kim guettait la réaction de Rock. Les deux autres hommes

avaient fait preuve d'une telle galanterie qu'il ne pouvait pas

rester en arrière. II garda pourtant le silence. Plus tard, tan-

dis que la jeune fille dansait avec lui, elle se risqua à observer

:

— Vous n'avez pas été très aimable envers Ravella. N'au-

riez-vous pas pu lui proposer une sortie ? Les gens de la

région ont la réputation d'être hospitaliers et serviables.

— J'espère qu'ils ne vous ont pas déçue ! plaisanta son

compagnon.

— Vous savez bien que je ne parle pas de moi.

— Non, vous parlez de la fée aux boucles d'or et aux yeux de

saphir.

— Quel poète ! Vous me surprenez.

— Vous maniez toujours aussi mal l'ironie, répliqua-t-il. Si

vous étiez ma sœur, je crois que je vous tirerais les oreilles de

temps à autre.

Cette réflexion ne manqua pas de mettre Kim en colère et

elle s'écarta de son cavalier. D'un bras ferme, il la ramena

contre lui. Elle prit alors pleinement conscience de son corps

puissant et musclé, de la main d'acier qui était posée sur son

dos. Elle voulut parler, mais aucun son ne sortit de sa gorge

nouée par une étrange émotion. Son cœur battait d'une ma-

nière désordonnée contre la poitrine de Rock, et celui-ci s'en

apercevait sûrement. Kim était si troublée qu'elle n'arrivait

plus à danser.

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— Je... je vous demande pardon, balbutia-t-elle en essayant

de se ressaisir. Je... je ne suis plus le rythme.

— Si vous ne vous mettiez pas en colère pour un rien, cela

n'arriverait pas.

— C'est vous qui me mettez en colère !

— Vous êtes trop susceptible.

— Non, il n'y a qu'avec vous que je m'énerve ainsi.

— C'est vrai. Bart m'a assuré que vous êtes l'amabilité et la

douceur même.

— Voudriez-vous m'excuser je n'ai plus envie de danser. Je

préfère aller retrouver des gens bien élevés.

— Ne dites pas de sottises, Kim. Rock se pencha vers elle et

l'examina :

— Vous êtes toute rouge et hors de vous. Ce qu'il vous faut,

c'est un peu d'air. Allez, dehors !

Il s'agissait d'un ordre et, sans écouter ses protestations,

Rock s'empara de son bras et l'entraîna sur la terrasse. Au

lieu de s'arrêter là, il lui fit descendre les marches et la con-

traignit à l'accompagner dans le parc. S'il n'y avait pas eu les

incessantes allées et venues des gens qui sortaient ou en-

traient dans la salle, elle se serait débattue.

— Je ne comprendrai décidément jamais votre comporte-

ment, déclara-t-elle en maîtrisant parfaitement les accents

de sa voix.

Elle ne maîtrisait pas, en revanche, les frémissements d'ex-

citation qui parcouraient son corps.

— Vous n'avez pas besoin de comprendre, fit Rock sur un

ton suave.

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Il n'avait toujours pas lâché son bras, mais il le serrait un

peu moins fort.

— Alors, ne vous sentez-vous pas mieux dehors, à l'air frais

?

— Si.

— Vous voyez ! On étouffait à l'intérieur. Je n'ai jamais vu

une telle foule au club.

Il avançait doucement, réglant son pas sur celui de Kim. Et

même à cette allure tranquille, ils s'étaient déjà bien éloignés

du club.

— Avez-vous des projets pour Noël, Bart et vous ? s'enquit-

il au bout d'un petit moment.

— Nous resterons à Katania Lodge. Je lui avais proposé de

partir quelques jours, mais cela ne le tente pas. Il a beaucoup

changé depuis quelque temps. Le docteur m'a dit de ne pas

m'inquiéter. Il m'a cependant recommandé de veiller à ce

qu'il n'oublie pas une seule fois ses médicaments.

— Ne vous faites pas de souci, beaucoup de gens doivent

prendre des remèdes.

Revenant sur le sujet de Noël, Rock ajouta :

— Je donne une fête et vous êtes naturellement invités tous

les deux,

— Je vous remercie, Rock. Je ne m'attendais pas à ce que...

— N'oubliez pas que je suis l'ami de Bart, coupa-t-il. Je n'ai

pas l'intention de vous abandonner le soir de Noël.

— Ferez-vous un arbre ? demanda Kim, curieuse de savoir

si elle retrouverait en Afrique certains aspects de ses Noëls

anglais.

— Je n'en ai encore jamais eu.

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En voyant une lueur de nostalgie dans les yeux de Kim,

Rock fut pris d'une gentille impulsion :

— Accepteriez-vous d'en décorer un pour moi ?

Quel homme étrange et imprévisible, songea-t-elle, sur-

prise par ce mouvement de bonté.

— Aimeriez-vous vraiment en avoir ?

— Ce sera nouveau pour moi. Les amis qui viendront à ma

fête en profiteront aussi.

— Dans ce cas, je m'en occuperai volontiers. Bart a l'habi-

tude d'avoir un arbre de Noël. C'est la première fois que nous

ne sommes pas en Angleterre pour la fin de l'année.

La voix de Kim était empreinte d'une note de regret. Les

fêtes de Noël revêtaient tant d'importance dans son pays.

Avec Bart, elle s'amusait comme une enfant à offrir et à rece-

voir des cadeaux. A midi, ils mangeaient un repas froid pré-

paré la veille, puis ils partaient pour une traditionnelle pro-

menade. Les joues rouges, les mains gelées, ils retrouvaient

ensuite avec joie la grande maison. Un feu brûlait dans la

cheminée du salon. Il y régnait une douce atmosphère. Dans

un coin, le sapin scintillait. Kim y avait accroché avec amour

des guirlandes lumineuses, des oiseaux, de petits person-

nages bariolés et toutes sortes d'objets miniatures.

Le soir, Bart invitait quelques amis. La table était magnifi-

quement dressée et un présent attendait chacun d'entre eux

sur l'arbre. Après le dîner, la conversation se poursuivait

avec entrain et Bart mettait de la musique. Et, à la fin, on se

séparait sur le seuil de la porte. Si, par chance, il neigeait, le

plaisir était vraiment complet. Jamais Kim n'oublierait ces

beaux Noëls.

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Rock l'arracha soudain à ses souvenirs en lui demandant si

elle appréciait toujours leur promenade. Elle lui en voulut

d'avoir interrompu le cours si agréable de ses pensées.

— Je suis contente de prendre l'air, répliqua-t-elle sans

pouvoir s'empêcher de se montrer sèche. Est-ce ce que vous

voulez savoir ?

— N'êtes-vous pas également contente d'être avec moi ?

Sur un ton de défi, elle lança alors :

— Pour quelle raison devrais-je l'être ?

— Ma chère, déclara calmement Rock, j'ai bien envie de

vous enseigner la politesse et de vous faire prendre cons-

cience que vous êtes une femme.

Kim aurait pu le gifler pour ces paroles. Devinant qu'il les

avait prononcées dans le but de la provoquer, elle combattit

son désir de revanche et changea de sujet. Elle évoqua Ravel-

la, et l'empressement avec lequel John et Ralph lui avaient

offert leur compagnie.

— N'êtes-vous pas un homme civilisé, comme eux ? Vous

auriez dû, vous aussi, lui proposer votre compagnie.

— Je peux encore le faire, répondit-il aussitôt en jetant à

Kim un étrange regard en biais. Elle est peut-être plus amu-

sante que les autres.

— Vous qui méprisez les femmes, avouez qu'elle est d'une

beauté extraordinaire.

— C'est exact.

— Celui qui l'épousera pourra vraiment être fier.

— Essaieriez-vous de me gagner à l'idée du mariage ? plai-

santa-t-il. Vous ne seriez pas la première, croyez-moi!

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— Vaniteux personnage ! lança Kim dans un accès d'irrita-

tion.

Elle voulut dégager son bras, mais Rock avait deviné ses

intentions et il la retint fermement. Elle frissonna de nou-

veau, de tout son corps, tandis qu'il l'amenait près de lui. Ils

ralentirent et continuèrent à marcher côte à côte. Kim était

consciente de la haute stature qui la dominait. La lune bril-

lait à travers le feuillage des arbres. De mystérieux bruits

nocturnes et des parfums enivrants ajoutaient au charme du

moment. Un oiseau chanta. Le battement rythmé d'un tam-

tam, primitif et émouvant, résonnait dans le lointain.

Kim oublia tout pour vivre ces instants avec plénitude. Elle

s'étonna d'être ici, seule avec Rock, l'homme auquel l'oppo-

saient d'incessantes querelles, le célibataire endurci qui avait

retiré jusqu'au moindre espoir à toutes les femmes de son

entourage. Elles ne tentaient plus de le séduire, sachant

qu'elles perdraient leur temps. Kim contempla son profil.

Les traits nets se découpaient sur le clair de lune.

— Il y a un banc là-bas. Voudriez-vous vous asseoir? de-

manda-t-il en désignant du doigt un point sur leur gauche.

Elle inclina la tête en signe d'acquiescement. L'attitude de

Rock l'intriguait de plus en plus, ces temps-ci. Parfois, il

semblait ne pas pouvoir s'empêcher de se montrer aimable

envers elle. Et pourtant, il l'avait habituée à un mépris amu-

sé, ou à une froideur distante qui lui donnait l'impression

d'être totalement négligeable à ses yeux. Mais en ce mo-

ment... Quelle était exactement l'humeur actuelle de Rock ?

Il n'avait certainement pas souhaité cette promenade avec

elle dans une atmosphère aussi romantique. Pourquoi

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l'avait-il entraînée de force hors dès locaux du club ? S'il y

faisait trop chaud pour lui, il aurait pu sortir seul.

Kim renonça à comprendre. La paix nocturne, les odeurs

délicieuses, la lune argentée dans le ciel africain, tout cela

était trop beau. Il ne fallait pas gâcher ces merveilleuses

minutes avec des questions.

Lorsqu'ils atteignirent le banc, une nouvelle surprise l'at-

tendait. Rock sortit son mouchoir et l'essuya avant de la

laisser s'asseoir.

— Je ne veux pas que vous salissiez cette robe ravissante.

— Merci, Rock.

Le silence régna entre eux pendant un moment ; puis Rock

lui reparla de l'arbre de Noël qu'elle devait garnir.

— Je me procurerai l'arbre, mais je vous laisse choisir les

décorations. Vous trouverez de très jolies choses à Tenga-

ville. Allez-y, et achetez tout ce qu'il vous faudra pour réali-

ser une splendeur.

— Me donnez-vous carte blanche ?

Comme il faisait un signe affirmatif, Kim secoua la tête :

— Je n'ose pas accepter, Rock. Je risque de faire des folies.

— Mais non, répliqua-t-il. Une femme sait parfaitement

régler ce genre d'affaires.

L'occasion était vraiment trop belle. Elle ne put s'empêcher

de la saisir :

— Ainsi, vous reconnaissez que les femmes se débrouillent

mieux que les hommes dans certains cas ?

— Tiens, tiens... Vous recommencez ! Ma chère Kim, vous

êtes la femme la plus insupportable que la malchance ait

jamais placée sur mon chemin.

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— Ce n'est pas la première fois que vous me gratifiez d'un

compliment de cette nature.

— Et sans doute pas la dernière non plus.

— Alors, ne vous étonnez pas si je vous rends la pareille.

Kim ne comprenait pas elle-même pourquoi elle réagissait

d'une manière aussi vindicative. Pour une raison mysté-

rieuse, elle avait envie de réveiller la violence de son interlo-

cuteur.

— Ne vous est-il jamais venu à l'esprit que je pourrais vous

faire payer votre insolence... et d'une façon dont vous vous

souviendrez longtemps ?

La voix de Rock contenait un sévère avertissement. Tour-

nant la tête, Kim découvrit une expression dure sur son

visage. Elle aurait dû se méfier et modérer ses reparties.

Poussée par un désir déraisonnable de le défier, elle lança

avec raideur :

— Je ne vois vraiment pas ce que vous pourriez faire. Jus-

qu'à présent, vos actions ne m'ont jamais marquée, et je...

— Est-ce possible ? coupa-t-il sur un ton menaçant.

En parlant, il se leva du banc.

— Vous ne voyez vraiment pas, ma chère. Eh bien, vous

auriez dû mieux m'écouter lorsque je vous disais que si vous

étiez ma sœur, je vous tirerais parfois les oreilles. Mais vous

n'êtes pas ma sœur, et je vais vous rappeler que vous êtes

une femme !

Il se dressait au-dessus d'elle, terrible, et il tendit la main

pour s'emparer de son poignet. Kim se trouva soudain de-

bout. Rock la tenait contre lui. Non, il l'écrasait plutôt.

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Il glissa une main sous son menton et elle détourna préci-

pitamment la tête pour déjouer ses intentions. Cette déro-

bade ne servit qu'à le provoquer davantage. Kim sentit tout

d'un coup ses doigts sur sa nuque. Il les referma sur une

poignée de cheveux et tira si violemment qu'elle poussa un

cri.

— Laissez-moi ! Je...

Des lèvres dures et impérieuses étouffèrent le reste de ses

paroles. Rock l'embrassait presque sauvagement sans se

soucier de meurtrir sa bouche. Elle tenta de se débattre, mais

en vain. Elle ne pouvait pas lutter contre la force de cet

homme. S'immobilisant enfin, elle garda son visage docile-

ment levé vers le sien.

— Vous ne résistez plus ? lança-t-il sur un ton de triomphe.

Aurais-je atteint mon but ?

—Quel but ? questionna Kim avec froideur.

— Je voulais vous rappeler que vous êtes une femme, ré-

pondit-il en riant.

— Vous vous êtes conduit comme une brute, vous pouvez

être fier !

— Attention, ma chère...

La voix était douce mais lourde dé menaces.

— Un ou deux baisers ne pourraient bien constituer qu'un

commencement, la première leçon.

— Vraiment ? rétorqua-t-elle d'un air méprisant.

— Oui... Vraiment.

La voix de Rock prit une intonation plus coupante :

— Et chaque leçon sera plus difficile que la précédente.

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— Vous parlez par énigmes, fit Kim, toujours très dédai-

gneuse. Je vous prie de me ramener au club. Je n'ai aucune

envie de discuter avec vous.

— Ah, je parle par énigmes !

Il émit un petit rire, puis ses traits s'assombrirent de nou-

veau :

— Ma chère, vous êtes mûre pour la deuxième leçon.

Kim n'eut pas le temps de lui échapper. Une main impi-

toyable la ramena contre lui et l'autre descendit avec audace

le long de sa gorge. Les lèvres de Rock emprisonnèrent les

siennes aussi brutalement que la première fois. Elle se débat-

tit furieusement, d'autant plus furieusement que des émo-

tions inconnues l'envahissaient. Elle se sentait sur le point de

céder à la violence passionnée de son ennemi. Celui-ci

s'amusa de ses vaines tentatives. Son rire résonna un instant

au-dessus d'elle dans l'air parfumé, mais le répit fut bref. Il

pencha de nouveau la tête pour l'embrasser encore. Son

étreinte était irrésistible et, épuisée par ses efforts pour se

libérer, Kim finit par s'abandonner à lui. Ses lèvres quittè-

rent celles de la jeune femme pour venir se promener sur son

cou, puis sur la naissance de sa poitrine. Pourquoi portait-

elle une robe aussi décolletée ? De sa vie, elle ne s'habillerait

jamais plus ainsi !

— Détendez-vous, murmura Rock. Laissez-vous aller à vos

penchants féminins.

— Arrêtez ! Oh, je vous déteste, Rock Linton! Je vais dire à

Bart quel homme vous êtes !

— Je crois plutôt que vous garderez cet épisode pour vous,

déclara-t-il, nullement démonté par ses menaces. C'est bien

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la dernière chose que vous lui raconterez, ou à qui que ce

soit, d'ailleurs.

Il se moquait d'elle. S'était-il aperçu qu'elle pleurait? Les

larmes qu'elle avait désespérément essayé de retenir per-

laient au bord de ses paupières, prêtes à couler sur ses joues

brûlantes.

— Bart vous tient en grande estime. Je vais lui démontrer

qu'il se trompe. Je lui dirai que vous m'avez manqué de res-

pect, comptez sur moi !

— Lui direz-vous aussi que vous avez répondu à mes bai-

sers ?

Kim serra les poings :

— C'est faux, vous mentez !

Elle n'aurait pas dû contre-attaquer. Elle comprit son er-

reur, mais trop tard. Rock allait maintenant vouloir lui prou-

ver qu'il la tenait entièrement en son pouvoir.

— J'ai l'impression qu'il faut passer à la troisième leçon.

Vous êtes une mauvaise élève, Kim.

— Non... Je vous en prie...

Les larmes roulèrent sur son visage. Dans l'obscurité, Rock

ne les vit pas. De toute façon, il ne se serait sans doute pas

laissé attendrir. II se montrait si cruel.

— Je vais crier, l'avertit-elle.

— Allez-y. Nous sommes tellement loin du club que per-

sonne ne vous entendra.

Il la reprenait déjà dans ses bras. Elle tremblait, son cœur

battait à tout rompre. Rock la serrait, la broyait délibérément

contre lui pour étouffer toute tentative de révolte. Le corps

frêle de Kim se raidit un bref instant, puis elle s'avoua vain-

Page 79: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 79 –

cue. Lorsqu'il lui ordonna de lever son visage vers lui, elle se

surprit à lui offrir ses lèvres avec une soumission qui fut une

vraie révélation pour elle.

— Kim, petite sorcière, chuchota-t-il d'une voix vibrante.

J'ai bien envie de passer à la quatrième leçon.

Une véritable panique s'empara d'elle car elle savait à pré-

sent à quoi s'en tenir... Il avait éveillé en elle de folles sensa-

tions qu'elle n'avait encore jamais éprouvées, même pas avec

Richard, son fiancé. Cet homme vivant en Afrique, à l'air

libre, au Contact de peuplades primitives, déployait une

ardeur dévastatrice, presque sauvage. Susan s'avançait bien

imprudemment en prétendant que Rock Linton ne connais-

sait rien à l'amour. Sa cousine avait fait preuve de plus de

perspicacité. Il interrompit soudain le cours de ses pensées

en se penchant de nouveau sur elle.

— Non, ne vous débattez pas, sinon vous savez ce qui vous

attend.

Ses gestes et sa voix étaient impérieux. Kim ne chercha pas

à se soustraire à ce comportement dominateur. Les larmes

coulèrent sur ses joues tandis qu'elle attendait sans bouger

ni parler le baiser de Rock. Quand il sentit les larmes, il

s'écarta d'elle. D'un doigt, il effleura la peau douce sous ses

yeux et cette imprévisible manifestation de tendresse émut

Kim.

— Vous... pleurez, fit-il, toute sa brusquerie ayant disparu.

Elle tenta d'avaler la petite boule qui l'étranglait.

— Pourquoi ?

— Avez-vous besoin de me le demander ?

— N'oubliez pas que vous m'avez défié.

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– 80 –

— Pas à ce point-là, murmura-t-elle d'une voix tremblante.

Il y eut un bref silence. L'arrogant Rock Linton était inca-

pable d'éprouver des remords. Il ne songeait sûrement qu'à

savourer son odieux triomphe.

— Pas à ce point, c'est vrai, reconnut-il enfin.

— Je... je suppose que vous... vous êtes très fier de vous !

Après un autre petit silence tendu, il répliqua :

— Voulez-vous des excuses ?

— Cela ne vous ressemblerait pas ! lança-t-elle avec amer-

tume.

Pourquoi la tenait-il toujours dans ses bras ? Elle n'osait

pas se dégager par surprise et s'enfuir.

— Je serais très étonnée si vous vous excusiez.

— Eh bien, soyez étonnée ! Je vous demande pardon, Kim.

Vous m'avez provoqué, mais je n'aurais pas dû me conduire

ainsi.

— Je voudrais rentrer maintenant, annonça-t-elle d'un air

sombre.

— Les gens verront que vous avez pleuré.

De nouvelles larmes menaçaient d'inonder son visage.

— Je... je ne me sens pas bien. J'aimerais retourner chez

moi.

— C'est impossible. Tout le monde se demanderait ce qui

vous arrive et Bart s'inquiéterait.

— Alors que faire ? s'enquit-elle sur un ton très las. Elle

était désemparée. Désemparée, le-terme était bien faible.

Elle était bouleversée comme si elle venait de vivre des évé-

nements extraordinaires. Des émotions confuses se bouscu-

Page 81: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 81 –

laient en elle, et ses inutiles tentatives pour résister à Rock

l'avaient épuisée.

— Commencez par vous essuyer les yeux, lui conseilla-t-ii.

Nous allons marcher un peu pour vous donner le temps de

vous remettre.

— Je vous remercie, fit-elle, en laissant percer une certaine

ironie.

— Avez-vous un mouchoir ?

— Non. Il est dans mon sac à main et je ne l'ai pas emporté.

— Prenez donc le mien.

Rock sortit son mouchoir. Comme il s'en était servi pour

nettoyer le banc, il l'ouvrit afin de regarder s'il était sale. Puis

il le replia et releva le visage de Kim avec une grande dou-

ceur. Surprise, elle ne bougea pas tandis qu'il essuyait ses

joues et ses yeux.

— Alors, cela va mieux maintenant ?

— Un peu, répondit-elle à la manière d'une enfant. Tout ne

s'arrange pas comme par miracle parce que vous avez effacé

la trace de mes larmes !

— Ecoutez, Kim, je suis désolé. Venez; marchons un peu.

Il lui prit le bras sans brutalité et elle n'éprouva pas le désir

de se dégager. Le contact de Rock lui avait ôté toute force. Ils

s'éloignèrent encore davantage du club et elle ne tarda pas à

émettre le désir de revenir sur ses pas.

— Le temps que nous regagnions la salle, j'aurai retrouvé

un air normal, affirma-t-elle.

— Bien, si vous le désirez, accorda-t-il en témoignant beau-

coup de bonne volonté.

Page 82: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 82 –

Avait-il des regrets ? Il s'était excusé, mais Kim ne croyait

pas vraiment à ses remords. Et pourtant, son attitude ac-

tuelle prouvait qu'il voulait se faire pardonner. Eh bien non,

jamais elle ne lui pardonnerait son comportement! Jamais!

Aussi longtemps qu'elle vivrait, elle haïrait Rock Linton.

Page 83: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 83 –

5

Lorsque Kim et Rock revinrent dans les locaux du club, ils

se dirigèrent immédiatement vers le buffet joliment décoré

de fleurs. La jeune femme jetait des regards furtifs autour

d'elle pour voir si les gens ne l'observaient pas avec curiosité.

Personne ne remarqua qu'elle avait pleuré.

— Tout va bien, Kim, il n'y a pas trace de larmes sur votre

visage, assura Rock en lui souriant.

Pour lui prouver qu'elle ne lui avait pas pardonné, elle ne

répondit pas à son sourire et se détourna.

Ravella s'approcha à ce moment-là et glissa d'autorité son

bras sous celui de Rock. Il se dégagea aussitôt et s'écarta

d'elle. La réaction du terrible célibataire ne la décourageant

apparemment pas, elle lança :

— Quel buffet magnifique ! Rock, puis-je dîner à votre table

?

— Vous pouvez dîner avec nous, dit-il en insistant sur le

dernier mot.

— Nous ! Qui est avec vous? s'enquit-elle en inspectant les

alentours.

— Kim. Et Bart viendra probablement aussi. Regardant

par-dessus les larges épaules de son interlocuteur, Ravella

aperçut Kim. Une assiette à la main, elle avait avancé plus

vite que Rock sans parvenir à la remplir. Ignorant Ravella,

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– 84 –

celui-ci se remit à longer le buffet et il arriva de nouveau à la

hauteur de Kim.

— Je n'ai pas faim, déclara-t-elle d'une voix lasse. Je vous

prie de m'excuser, mais je vais m'asseoir dans un endroit

tranquille. Je vous laisse en compagnie de Ravella.

Elle se sentait mal, ses jambes pouvaient à peine la porter.

— Et que dois-je faire si je n'ai pas envie de dîner en sa

compagnie ?

Rock avait parlé à voix basse. Du coin de l'œil, il surveillait

la ravissante jeune fille. Elle finissait de se servir en bavar-

dant avec un homme.

— Pourquoi n'avez-vous pas faim ? demanda Rock à Kim.

Vous avez sûrement oublié ce qui s'est passé, à présent.

Elle leva sur lui des yeux étincelant de fureur :

— Vous avez peut-être oublié, vous, mais moi pas! Je ne

suis pas du tout à mon aise.

Il la considéra un instant et fronça les sourcils.

— Je vous trouve un peu rouge, commença-t-il.

— Rock, vous n'avez rien dans votre assiette ! lança Ravella

sur un ton enjoué.

Elle l'avait interrompu et il esquissa une moue agacée. Il se

montra toutefois assez poli pour répondre aimablement :

— Je n'ai pas très faim.

— Ah, vous êtes là ! s'écria Bart en venant vers Kim et

Rock. Etes-vous allés vous promener ? Je vous ai cherchés

partout.

— Nous sommes sortis prendre l'air, fit Rock sans paraître

désireux de fournir de plus amples explications.

Page 85: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 85 –

Bart hocha la tête. Son expression intrigua Kim. Il semblait

ravi de l'idée qui lui traversait l'esprit en cet instant.

— Vous avez eu raison, approuvait-il. On étouffe ici.

— Etes-vous descendus dans les jardins? s'enquit Ravella

en fixant sur Kim un étrange regard. Il fait vraiment très

chaud ici. J'aurais aimé que quelqu'un me propose de mar-

cher un peu dehors.

— Je suis sûr que John n'aurait pas demandé mieux, affir-

ma Bart d'un air suave. J'ai remarqué qu'il ne vous a pas

quittée des yeux de toute la soirée. Hélas, vous ne l'avez pas

encouragé. Vous devriez, ma chère. C'est un jeune homme

qui déborde de qualités.

Kim se détourna en poussant un soupir, et Bart enchaîna

aussitôt sur un ton soucieux :

— Que se passe-t-il ? Ne voulez-vous pas dîner ? Regrettant

de l'avoir inquiété, elle se ravisa :

— Je n'ai pas très faim, mais je vais quand même prendre

un sandwich. ...

— C'est bien. Rock, où nous installons-nous ? Tiens, il y a

une petite table pour nous trois là-bas.

Il partit vers cette table sans laisser à Kim ou à Rock le

temps de lui dire que Ravella désirait dîner avec eux. Fu-

rieuse, son visage arborant une expression de contrariété, la

belle jeune fille pivota sur ses talons et engagea la conversa-

tion avec John qui passait justement près d'elle.

Kim prit un sandwich comme elle l'avait annoncé. Rock

l'imita et ils rejoignirent Bart.

— Nous serons tranquilles ici, déclara celui-ci. Rock inclina

la tête en signe d'assentiment.

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– 86 –

— Je n'ai jamais vu une telle foule au club, excepté à Noël.

Bart examinait Kim avec curiosité. Elle se demanda s'il de-

vinait le trouble dans lequel Rock l'avait plongée. Pouvait-il

imaginer le récent comportement de l'homme qu'il admirait

tant ? Son regard se posa ensuite sur lui, et Kim surprit de

nouveau ce demi-sourire qu'elle connaissait bien. Pour une

raison mystérieuse, Bart était content.

Rock repartit afin de chercher des boissons pour ses amis

et pour lui-même. Pendant son absence Kim entendit Ravel-

la s'exclamer tout près d'elle :

— Quelle bousculade ! Dire que dans ses lettres, ma cou-

sine prétendait vivre dans un endroit très calme !

En compagnie de John, elle s'efforçait de repérer une table

libre. Se sentant un peu coupable, Kim dit à Bart :

— Ravella voulait dîner avec nous. Ne pourrions-nous pas

lui faire une petite place ainsi qu'à John ?

Bart esquissa une moue qui l’étonna beaucoup. Il poussa

toutefois aussitôt sa chaise, et Kim adressa un signe à John.

— Oh, merci ! fit-il en posant immédiatement son assiette

sur la table.

Il parvint à trouver deux chaises supplémentaires et, une

fois assise, Ravella parut avoir oublié l'affront qu'elle avait

subi. Son éblouissant sourire réapparut. Naturellement,

Rock revint avec seulement trois tasses de thé. Il offrit ga-

lamment à Ravella d'aller lui chercher une boisson.

— Je prendrai du café, s'il vous plaît.

— Et vous, John ?

— Du thé.

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– 87 –

Quelques instants plus tard, ils étaient enfin tous réunis.

Ravella souriait toujours, révélant à Rock ses dents parfaites.

Elle battait coquettement des paupières et l'épiait sans cesse

derrière- ses longs cils. Pour le moment, il restait insensible

à son charme. Combien de temps résisterait-il? se demanda

Kim. Elle était curieuse de connaître la suite des événements.

Ravella réussirait-elle à séduire le terrible Rock ? Si elle était

partie avec lui dans les jardins à sa place, elle se serait sans

doute volontiers laissée aller dans ses bras. Kim le considéra

et les paroles de Susan lui revinrent en mémoire. Elle avait

prétendu que si Rock tombait amoureux, il se débattrait

contre ses sentiments. Se débattait-il actuellement ?

— Kim, vous ne mangez pas, remarqua Bart, la tirant de ses

songeries.

Elle dut faire un effort pour lui sourire. La petite migraine

qui avait commencé à son retour dans la salle était devenue

très pénible à supporter. Kim avait chaud et elle se sentait

faible.

Elle mordit à contrecœur dans le sandwich pour faire plai-

sir à Bart. Rock l'observait avec une expression soucieuse.

Elle aurait voulu le foudroyer du regard pour lui montrer

qu'elle n'avait pas oublié son odieuse conduite. Mais elle n'en

avait même plus la force. Elle rêvait de pouvoir se coucher

dans des draps frais. -

Voyant que sa tasse était vide, il lui proposa aimablement

un autre thé.

— Volontiers, Rock, merci.

Ravella avait aussi fini son café. Alors qu'il ne lui avait rien

demandé, elle déclara d'elle-même :

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— Je ne veux plus rien pour l'instant, Rock. Vous m'offrirez

un verre plus tard au bar.

Elle secoua la tête d'une manière gracieuse et sa chevelure

dorée balaya ses épaules nues.

Rock ne lui répondit pas. Pendant qu'il était parti chercher

le thé de Kim, Bart étudia Ravella en fronçant impercepti-

blement les sourcils. Kim aurait juré qu'il calculait ses

chances de vaincre les résistances de son ami. Apparem-

ment, il ne lui souhaitait pas d'y parvenir et Kim ne comprit

pas les raisons de son hostilité. Bart ne perdrait pas l'amitié

de Rock, même si ce dernier tombait sous le charme de la «

déesse blonde ».

Lorsqu'il revint, Ravella bavarda uniquement avec lui, né-

gligeant totalement les autres. Il en semblait contrarié et

pourtant, il manifesta un certain intérêt à l'égard de la jeune

fille. Avec ses grands yeux, ses mains qu'elle agitait d'une

manière adorable en parlant, ses mines savantes, comment

aurait-elle pu le laisser indifférent ? Que Rock tombe amou-

reux fou de Ravella! Au moment où Kim formait ce vœu, une

vague d'émotions déferla en elle et elle se souvint des ins-

tants d'abandon qu'elle avait vécus dans ses bras. Ses baisers

et ses caresses la hantaient. Le seul fait d'y penser la troubla

et elle ne put s'empêcher de lever les yeux sur le responsable

de son émoi. Son regard croisa le sien et elle fût consciente

d'être percée à jour par cet homme auquel rien n'échappait.

Si elle avait été en pleine possession de ses moyens, elle

l'aurait toisé avec mépris. Mais elle parvint seulement à

détourner la tête, et elle poussa un soupir tant sa migraine la

faisait souffrir.

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– 89 –

— Avons-nous fini ? s'enquit Bart. Je vous propose de lais-

ser nos places aux gens qui attendent.

Ils se levèrent tous les cinq pour aller s'installer près de la

piste de danse. Rock invita Ravella à danser; John s'éloigna,

et Bart resta seul avec Kim. Une ride de contrariété barrait

son front :

— Je n'aime pas du tout cette jeune fille. Pas du tout !

Kim acquiesça distraitement. Elle avait la bouche sèche et

une fatigue de plus en plus intense la privait de toute réac-

tion. Pourquoi se sentait-elle si mal ? Au bout d'un moment,

elle admit la vérité. La perspective de voir Rock s'éprendre

de sa ravissante cavalière lui était insupportable.

— Est-ce que nous dansons, Kim ? lui demanda Bart.

— Oui... si vous voulez, fit-elle sans réussir à feindre l'en-

thousiasme.

Une fois debout, elle ne tarda pas à être franchement in-

commodée par la chaleur. Une sorte de brouillard flottait

devant ses yeux. Ses jambes lui semblaient lourdes comme

du plomb et Bart finit par remarquer son état.

— Que se passe-t-il, Kim ? Je ne vous trouve pas en forme.

— Déjà dehors, avec Rock, je ne me suis pas sentie très

bien.

Bart la guida habilement entre les couples de danseurs :

— Venez sur la terrasse, l'air vous fera du bien. Kim aurait

préféré rentrer à Katania Lodge, mais elle n'en dit rien, ne

voulant pas écourter la soirée de Bart. Il se plaisait tellement

ici, à bavarder avec ses amis. D'ailleurs, dehors, son malaise

se dissipa un peu. Bart l'observait avec anxiété et elle le ras-

sura.

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– 90 –

— Je vous imaginais déjà au lit avec une grippe, avoua-t-il.

— Comme il fait bon ! lança-t-elle en aspirant l'air à pleines

bouffées.

Ils restèrent assis quelques minutes sur la ferrasse et le vi-

sage de Bart revêtit à nouveau une expression soucieuse.

— Je crois que nous allons rentrer.

— Mais...

— Il me semble que vous seriez beaucoup mieux dans votre

lit, soutint-il. Vous êtes plus malade que vous ne l'avouez...

Non, laissez-moi parler. Je vous connais. Je parie que vous

ne vouliez pas gâcher ma soirée en demandant à partir main-

tenant.

Abattue, elle ne répondit pas. Bart l'abandonna un instant

pour aller chercher son manteau et saluer tout le monde de

sa part.

— Je n'ai pas pu dire au revoir à Rock, déclara-t-il quand il

revint. Il est en train de danser avec cette... avec Ravella. Je

n'ai pas osé bousculer tout le monde à seule fin de l'avertir

de notre départ.

En arrivant à Katania Lodge, Kim s'aperçut qu'elle avait

laissé son beau sac de soirée au club. Presque en larmes, elle

dit à Bart :

— Il est sur la chaise que j'ai occupée pendant le diner, j'en

suis sûre: Je ne comprends pas comment j'ai pu l'oublier.

Elle se rappela cependant que durant le repas, elle avait

concentré toute son attention sur Rock et Ravella. Elle avait

voulu savoir si le charme de l'a jeune fille pourrait pousser

Rock hors de ses retranchements. Un peu plus tard, elle les

avait regardés danser. Ils étaient, chacun dans son genre,

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– 91 –

doués de qualités exceptionnels les et ils formaient le couple

idéal. Bien des regards s'étaient posés sur eux et elle n'avait

pas eu de mal à deviner ce que les gens pensaient.

— Ne vous inquiétez pas pour votre sac, Kim, fît Bart d'une

voix apaisante. Quelqu'un l'a sûrement ramassé et vous le

retrouverez.

— Oui...

Elle aurait pourtant préféré retourner le chercher immé-

diatement. Bart resta un moment avec elle, lui offrit une

boisson qu'elle accepta pour lui faire plaisir, et lui conseilla

de se coucher :

— Vous allez dormir maintenant.

— Oui, Bart. Demain, je serai de nouveau en pleine forme.

— Je l'espère, je l'espère...

Ces espoirs furent déçus car la jeune femme se réveilla ma-

lade. Elle était inondée de sueur et la douleur paralysait tous

ses muscles. Elle ne parvint pas à appeler Bart tant elle avait

la gorge sèche. Par chance, il se leva tôt et son premier souci

fut de venir voir comment elle se portait.

— Vous êtes malade ! s'exclama-t-il immédiatement.

Il toucha le front de Kim et le trouva brûlant.

—Que vais-je faire ? lança-t-il, affolé et indécis. Le docteur

?... L'hôpital ?.. Rock ?... Oui, Rock !

Il sortit en trombe de la chambre et Kim l'entendit malme-

ner le moteur de sa voiture comme il ne l'avait jamais fait.

Elle somnola pendant son absence. Des claquements de

portières la tirèrent de son inconscience. De violents maux

de tête la tourmentaient et elle chercha en vain un endroit

frais sur l'oreiller. Rock pénétra dans la chambre. Elle le vit

Page 92: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 92 –

se pencher au-dessus d'elle, poser la main sur son front, lui

prendre le pouls, puis il lui remonta les couvertures sous le

menton.

— J'ai trop chaud, protesta-t-elle faiblement, mais il l'em-

pêcha de se découvrir.

— Je vais chercher le docteur, dit-il à Bart qui était resté un

peu en retrait et attendait anxieusement le verdict. Ne la

laissez pas seule et veillez à ce qu'elle ne repousse pas ses

couvertures. Elle a attrapé une fièvre. Je ne pense pas que ce

soit méchant.

— Oh, j'espère que vous dites vrai ! s'écria Bart.

— Mais ce sera un mauvais moment à passer pour Kim,

ajouta-t-il en partant.

Bart s'assit auprès d'elle. L'inquiétude le faisait paraître dix

ans de plus que son âge. Il vieillissait bien mal depuis

quelque temps. Ces tristes considérations se mêlèrent dans

l'esprit de Kim à la perte de son sac. Du coup, cette dernière

affaire prit des proportions démesurées et elle se mit à pleu-

rer.

— Mon sac ! Je suis impardonnable de l'avoir oublié !

— Du calme, ma chère Kim. J'irai le chercher aujourd'hui

même.

— On ne le retrouvera pas, gémit-elle, inconsolable.

Rock revint moins d'une heure après, annonçant l'arrivée

prochaine du médecin. Dès qu'il vit les larmes sur les joues

de Kim, il en demanda la raison.

— Elle a oublié son sac au club hier soir et elle est persua-

dée qu'on ne le retrouvera pas, expliqua Bart.

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— Je vais à Tengaville cet après-midi. Je vous le ramènerai,

promit-il alors.

Bart le remercia vivement :

— J'avais offert à Kim d'aller le chercher, mais je vous suis

reconnaissant de m'épargner ce déplacement.

Il considéra la malade d'un air soucieux :

— Je préfère ne pas la quitter un seul instant.

Lorsque le médecin l'examina, il fit la grimace. Kim

l’entendit déclarer à Bart :

— Elle serait mieux à l'hôpital. Enfin, nous allons essayer

d'éviter de la transporter.

— Rock m'avait pourtant assuré qu'il n'y avait pas lieu de

s'alarmer de cette fièvre ? fit Bart d'une voix qui en disait

long sur son inquiétude.

— Ce n'est pas très grave, admit le docteur en préparant

une piqûre, mais les prochains jours vont être très pénibles

pour cette jeune personne.

Après la piqûre, il déclara encore :

— Elle voudra se découvrir. Ne la laissez surtout pas faire.

— Comptez sur moi, affirma Bart.

Rock rapporta le sac en début de soirée et les remercie-

ments de Kim furent aussi hors de proportions que l'avaient

été ses lamentations. Il écouta patiemment ses manifesta-

tions répétées de gratitude. Finalement, il la pria quand

même de cesser de s'agiter dans son propre intérêt.

— C'est la première fois que je la vois dans cet état, expli-

qua Bart, profondément affecté.

— Elle n'est pas en danger, répondit Rock.

— Je le sais, mais je ne supporte pas de la voir souffrir. :

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– 94 –

Kim suivait la conversation à travers un épais brouillard.

Elle constata une fois de plus que Bart la considérait comme

sa fille. S'inquiétait-ii de ce que deviendrait Kim une fois

qu'il aurait pris sa retraite ? Elle savait qu'il ne l'abandonne-

rait pas froidement en lui demandant de se chercher un

nouvel emploi. Et pourtant, elle n'avait pas le choix. Un autre

travail représentait la seule solution pour elle. A cette idée,

une sensation d'écrasement, autant physique que morale,

l'envahit. Ses yeux s'emplirent encore une fois de larmes.

— Ma chère Kim, qu'y a-t-il ? s'écria aussitôt Bart. Pour-

quoi pleurez-vous ?

Elle gémit malgré elle :

— Si... si vous prenez votre retraite... je ne... je ne sais pas...

ce que... je deviendrai.

— Est-ce qu'elle délire ? s'enquit Bart, très affolé.

— Pas du tout. Le futur la tracasse, répliqua Rock sur un

ton si tragique qu'elle éclata en pleurs pour de bon.

Bart la consola de son mieux puis il proposa à son ami de le

suivre dans la pièce voisine. Les deux hommes s'éloignèrent

et Kim finit par s'endormir sur une pensée troublante. Bart

semblait désirer parler en tête à tête avec Rock. Quel était le

sujet de cette importante discussion que la malade ne devait

pas entendre ?

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– 95 –

6

La fièvre ne laissa aucun répit à Kim durant trois jours.

Bart refusait de s'éloigner de son lit et Rock, lors de ses fré-

quentes visites à Katania Lodge, ne manquait pas de lui faire

des reproches,

— Il faut que vous preniez un peu de repos, l'entendit dé-

créter Kim sur un ton impérieux.

Elle venait de s'éveiller. Les deux hommes ne s'en étaient

pas aperçus et ils continuèrent à parler librement.

— Allez vous allonger. Je reste assis auprès d'elle pour que

vous soyez rassuré.

— Je ne veux pas abuser de votre temps, Rock.

— Vous êtes épuisé, déclara-t-il d'un air très contrarié.

Couchez-vous, je passerai l'après-midi avec elle.

Après le départ de Bart, Kim se tourna dans son lit, et elle

tenta de repousser les couvertures. Rock les remit en place.

— J'ai trop chaud, se plaignit-elle. Je voudrais qu'on m'en-

lève au moins une couverture.

Ignorant sa requête, Rock lui demanda :

— Comment vous sentez-vous aujourd'hui ?

— Mieux.

— Votre température est redevenue presque normale. Le

docteur me l'a appris à l'instant.

— L'avez-vous rencontré ?

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– 96 –

— Oui, je l'ai croisé. Il partait quand je suis arrivé. Le plus

dur est passé maintenant.

Son regard attentif examina le visage de Kim. Elle songea

avec désespoir qu'elle devait avoir une mine affreuse. Une

question la tracassait :

— Ai-je rêvé, ou êtes-vous bien venu plusieurs fois par jour

depuis que je suis malade ?

Elle s'étonna de parler avec tant de naturel. Rock se souve-

nait sûrement de ce qui s'était passé dans les jardins du club.

Pour Kim, au contraire, la scène semblait appartenir à une

époque très reculée et imprécise. Elle estimait que l'incident

n'avait plus aucune importance, ni pour lui ni pour elle-

même. Lorsqu'elle serait complètement rétablie, leurs rela-

tions reprendraient comme avant. Ils se querelleraient de

nouveau, chacun cherchant les mots les plus durs pour atta-

quer l'autre.

— Vous ne vous attendiez pas à ce que je vienne? demanda

Rock en réponse à sa question.

— Non.

Elle poussa un soupir. Au cours de ses visites, il l'avait sû-

rement vue dans un triste état. Elle ne se douta pas, toute-

fois, qu'il l'avait aussi entendue délirer et qu'elle lui avait

livré sans le savoir bien des détails sur son passé.

— C'est très gentil de votre part de ne pas nous avoir aban-

donnés, Bart et moi. Je ne mérite pas votre gentillesse, ajou-

ta-t-elle d'une voix un peu tremblante,

— Je n'ai pas toujours été gentil avec vous, reconnut-il, l'air

sombre.

— Oh, je l'ai un peu cherché, avoua-t-elle.

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— Vous ne parlerez plus ainsi quand vous serez rétablie !

lança-t-il, en riant.

— Je ne me suis pas souvent montrée aimable à votre

égard, poursuivit-elle sans tenir compte de sa remarqué.

J'étais agressive, désagréable, n'est-ce pas ?

Comme elle était encore très abattue, Rock lui adressa un

petit sourire. Si elle avait été dans son état normal, il ne lui

aurait sûrement pas dit :

— N'y pensez plus. Vous êtes moins coupable que moi.

— La première fois que nous nous sommes rencontrés, je

me suis mal conduite. Si j'avais admis que j'étais en faute,

vous ne vous seriez sûrement pas montré aussi brutal, J'au-

rais dû m'excuser d’avoir pénétré sur vos terres.

Rock ne put s'empêcher de sourire dé ces paroles.

— Avec cette fièvre, vous n'êtes plus vous-même. Où est

votre combativité ? Je me demande si je ne vous préférais

pas plus querelleuse !

— Je me sens encore très faible, déclara-t-elle. Mais en vé-

rité, elle n'éprouvait plus la moindre envie de se disputer

avec Rock.

— Oui, vous êtes faible, répliqua-t-il avec un grand sérieux.

Et méfiez-vous, la fièvre vous a épuisée, aussi vous risquez

d'être un peu dépressive. Ne vous tourmentez pas pour des

faits sans importance. Après ce genre de maladie, on ne voit

pas les choses de la même manière.

Kim accueillit cet avertissement en silence. Toutes sortes

de pensées avaient en effet traversé son esprit fatigué.

— Vous avez sans doute raison. Je me fais, par exemple,

tellement de souci à cause de Bart. II...

Page 98: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 98 –

Elle n'eut pas la force de terminer sa phrase. L'évocation de

ce problème amena une soudaine expression de gravité sur

le visage de Rock. Il cherchait apparemment ses mots. C'était

étonnant de la part d'un homme qui avait toujours assailli

Kim de promptes et brutales reparties.

— A mon avis, vous ne devriez pas vous inquiéter à propos

de la retraite de Bart, fit-il finalement sur un ton étrange. Il

est normal qu'il songe à s'arrêter de travailler.

— Oui, je le sais bien.

— Il a écrit beaucoup de livres.

— Vingt-neuf exactement. Celui qu'il rédige en ce moment

sera le trentième.

— C'est admirable.

— Oui, d'autant plus qu'ils sont tous excellents. Kim bâilla

malgré elle. Rock le remarqua et n'osa pas poursuivre la

conversation. Lorsqu'elle sortit sa main pour étouffer un

second bâillement, il s'en empara et la remit sous les couver-

tures.

— Ne vous découvrez pas.

— Non... non, murmura-t-elle docilement.

Elle éprouvait tout d'un coup le besoin de dormir. Parler

constituait à présent un grand effort. Sentant le regard de

Rock sur elle, elle eut envie d'enfouir jusqu'à son visage sous

les couvertures. Et pourtant, elle étouffait déjà de chaleur.

— J'ai sommeil, avoua-t-elle au bout de quelques instants

avec un soupir.

Lorsqu'elle se réveilla, elle découvrit Bart à la place de Rock

dans le fauteuil auprès d'elle. Il était en train de lire une page

de son manuscrit et il y apportait une correction. Kim re-

Page 99: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 99 –

marqua avec un serrement de cœur que sa main tremblait.

Un pressentiment l'envahit, tin important changement allait

se produire dans sa vie, elle l'aurait juré. Elle n'avait toute-

fois aucune idée de la forme que prendrait son avenir, et sa

faiblesse actuelle l'empêchait d'y réfléchir.

— Etes-vous réveillée, ma chère Kim ?

Bart l'enveloppa d'un sourire. Il affichait un air heureux qui

intrigua la jeune femme. Pourquoi manifestait-il des signes

aussi intenses de satisfaction ? Il était très content du der-

nier chapitre de son livre, supposa-t-elle.

— Avez-vous bien avancé dans votre travail ? s'enquit-elle.

— Je n'ai pas fait grand-chose, avoua-t-il. Comment vous

sentez-vous ?

— Beaucoup mieux. Le pire est passé, Rock me l'a dit.

— Oui, dans une semaine vous serez tout à fait rétablie.

— Je ne resterai sûrement pas encore couchée huit jours.

— Nous verrons ce que le docteur décidera demain. Il vous

permettra peut-être de vous lever un peu.

Rock repassa le soir même et il prit place près du lit de

Kim. A la grande confusion de la malade, Bart quitta la

chambre quelques minutes plus tard. Sans savoir pourquoi,

elle s'était mise à appréhender de rester seule avec Rock.

Déjà avant sa maladie, la compagnie de cet homme imprévi-

sible avait commencé à la plonger dans un étrange malaise.

Et malgré des périodes d'inconscience, elle avait perçu sa

présence à son chevet durant ces derniers jours. La conver-

sation qu'elle avait eue avec lui plus tôt dans la journée

l'avait marquée. Il avait fait preuve de douceur à son égard,

introduisant une nuance d'amitié dans leurs relations. Et

Page 100: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 100 –

sans vraiment comprendre la raison de ses craintes, Kim

s'affolait malgré elle de ces nouveaux rapports.

— Vous avez bien meilleure mine, fit-il aimablement en

posant sur elle le regard le plus tendre qu'elle ne lui ait ja-

mais vu.

— Je me sens mieux. Demain, je demanderai au docteur la

permission de me lever quelques heures.

Il sourit de cette intention :

— Je crois, ma chérie, qu'après une demi-heure, vous irez

vous recoucher de vous-même.

Ma chérie... Les nerfs brusquement en alerte, Kim considé-

ra Rock. Avait-elle mal entendu ? Les yeux gris avaient perdu

leur éclat moqueur. La voix avait renoncé à ses intonations

cassantes. Il n'y avait plus trace de mépris à l'égard des

femmes dans le comportement de Rock. Et il ne se contentait

pas de cacher provisoirement ce mépris par pitié pour la

malade. Il la regardait au contraire avec une sorte... d'admi-

ration.

— Etes-vous sûr que... que je serai fatiguée au... au bout

d'une demi-heure ? balbutia-t-elle.

Il lui fallait parler, dire n'importe quoi pour dissimuler

l'émoi que lui causait l'incroyable attitude de Rock et les

deux mots auxquels elle ne pouvait toujours pas croire.

« Ma chérie. » Pourquoi avait-il prononcé ces mots-là ?

Que signifiaient-ils ?

Une idée stupéfiante traversa l'esprit de la jeune femme.

Elle la repoussa aussitôt. Rock n'avait tout de même pas pu

s'éprendre d'elle, et surtout pas pendant qu'elle était malade.

Elle avait une mine si affreuse.

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— Oui, répondit-il, je vous garantis que vous serez épuisée

au bout d'une demi-heure.

— Avez-vous déjà attrapé une telle fièvre, Rock ?

— Bien sûr !

La manière dont il l'affirma indiquait qu'il avait même

souffert d'accès beaucoup plus graves.

— C'est pénible, n'est-ce pas ?

Elle continuait à parler pour cacher son émotion. Ma chérie

! Ces deux mots la poursuivaient. Et la gentillesse de Rock

persistait ! Pourquoi? Certes, il lui avait manifesté un grand

dévouement durant sa maladie, mais il s'agissait à présent

d'autre chose.

— Oui, c'est pénible, accorda-t-il. Je comprends ce que

vous avez enduré, Kim.

Un sourire irrésistible illumina soudain ses traits virils.

Toutes sortes de souvenirs se précipitèrent dans la mémoire

de Kim. Elle se rappela le trouble qu'il avait semé en elle à

plusieurs reprises. Elle se rappela son humeur étrange dans

le salon de thé. Les sentiments de dépit qu'elle avait éprou-

vés en le voyant danser avec Ravella lui revinrent à l'esprit. Il

y avait aussi la brusque émotion qui s'était emparée d'elle

quand elle avait, elle aussi, dansé avec Rock... Il avait sûre-

ment perçu les battements désordonnés de son cœur contre

sa poitrine. Et puis, la scène la plus inoubliable de toutes

s'était produite dans lés jardins du club. Rock lui avait révélé

des sensations enivrantes...

— A quoi pensez-vous, Kim ? interrogea-t-il d'une voix

calme mais impérieuse.

Page 102: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 102 –

Surprise en pleine rêverie, elle revint à la réalité en rougis-

sant et secoua précipitamment la tête :

— Je ne peux pas vous le dire. Mes pensées n'appartien-

nent qu'à moi.

Une lueur entendue apparut dans les yeux gris.

— Il s'agissait de vous et de moi, affirma-t-il. Votre regard

était perdu dans les souvenirs.

Kim tenta de se défendre :

— Qu'en savez-vous ? Ce sont peut-être des souvenirs très

anciens.

Mais Rock ne s'en laissa pas conter.

— Je suis sûr que vous pensiez au passé immédiat. Les évé-

nements plus éloignés perdent peu à peu leur consistance.

— Rock, fit-elle, songeant qu'elle avait peut-être déliré à

cause de la fièvre, êtes-vous au courant de ce qui est arrivé à

mes parents et à mon fiancé?

— Oui, Kim. Ce n'est pas Bart qui me l'a dit, mais vous-

même pendant que vous étiez malade.

— Ai-je beaucoup parlé ?

— Oui, beaucoup.

Elle se sentit fondre devant la tendresse et la compassion

qui se peignirent sur les traits de Rock.

— Maintenant, je sais combien vous avez souffert, ajouta-t-

il.

Kim hocha la tête en signe d'acquiescement.

— Et mes souvenirs sont restés très précis, contrairement à

ce que vous croyez.

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— Ils sont précis, mais ils ne vous apparaissent que d'une

manière très fugitive.

Rock avait raison. Kim l'approuva en silence et il répéta

alors sa question :

— Vous pensiez à moi, n'est-ce pas ?

Elle esquissa un petit signe d'assentiment et détourna vite

son regard. Ses forces l'abandonnant, elle quitta la position

assise pour s'allonger de nouveau.

— Oui, je pensais à Vous, murmura-t-elle, pleinement

consciente que des instants d'une importance capitale se

préparaient.

— Pensiez-vous à nos querelles ? questionna-t-il avec une

pointe d'humour.

— Non, fit-elle, toujours incapable de croiser son regard.

La proximité de Rock et un étrange sentiment d'attente la

rendaient nerveuse et tendue.

— A quoi alors

Sans lui laisser le temps de répondre, il lui proposa de l'ai-

der à se rasseoir.

— Oui, s'il vous plaît.

Il la souleva et la tint contre lui le temps d'arranger les

oreillers.

— Voilà.

— Merci, Rock.

Une nouvelle vague de confusion déferla sur Kim, encore

plus violente que les précédentes. Le contact des mains de

Rock l'avaient électrisée. Elle avait le souffle coupé et tous

ses doutes sur ses sentiments à l'égard de l'homme qu'elle

avait encore si récemment détesté, s'envolèrent soudain.

Page 104: Anne Hampson Autour d Un Jour

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— Pensiez-vous aux moments agréables? lui demanda-t-il,

suivant toujours son idée.

Il regagna son fauteuil sans détacher son regard du visage

empourpré de Kim. Il l'observait avec une insistance particu-

lière et, à cause de ses questions de plus en plus insidieuses,

les battements du cœur de la jeune femme s'accéléraient.

_ Elle affronta courageusement les yeux gris qui la jj

fixaient et avoua :

— Oui, Rock, je pensais aux moments agréables.

| — Il n'y en a pas eu beaucoup, mais je vous promets, ma

chérie, qu'ils seront très nombreux à partir de maintenant.

Après un bref silence, il ajouta :

— Kim, acceptez-vous de m'épouser ?

— Vous épouser !

Son intonation trahissait toute la profondeur de son incré-

dulité et pourtant, elle bondissait déjà intérieurement de

joie.

— Je... je ne sais pas quoi vous dire.

Etait-ce toujours la fièvre ? Elle se révélait incapable de

réagir.

— Dites-moi seulement que vous acceptez de devenir ma

femme.

— Oui, oui, je comprends bien. Rock haussa les sourcils

d'un air vexé.

— Quelle réponse romantique ! Enfin, je suis coupable.

Vous êtes trop fatiguée pour témoigner d'un enthousiasme

qui me flatterait.

Page 105: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 105 –

Il faisait de l'ironie, mais très gentiment, et il était parfai-

tement sérieux au fond de lui-même. Il se montra tendre

aussi quand il décida :

— Kim, vous allez vous allonger de nouveau. Après une

telle conversation, vous avez besoin de dormir.

Il retira les oreillers supplémentaires et elle se coucha doci-

lement. Lorsqu'elle rencontra son regard, un sourire hésitant

se dessina sur ses lèvres frémissantes.

— Je ne vous ai pas dit que je vous aimais, n'est-ce pas ?

Malgré sa timidité, elle était parvenue au bout de sa phrase.

— Non, ma chérie, mais je l'ai deviné.

Kim s'écria malgré elle :

— Comment ?

— Comment ai-je deviné que vous m'aimez? Il la gratifia

d'un sourire amusé.

— Plusieurs signes m'ont mis sur la piste : votre coiffure

par exemple.

— Ma coiffure ! répéta-t-elle sans comprendre.

— N'aviez-vous pas l'intention de vous faire couper les che-

veux ?

Elle rougit d'une manière attendrissante tandis que cette

affaire lui revenait en mémoire.

— Vous me préfériez avec les cheveux longs, rap-pela-t-elle.

— En effet. Et mon opinion vous a incitée à les garder ainsi.

— J'ai tout de même demandé au coiffeur de me raccourcir

les cheveux de quelques centimètres ! protesta-t-elle pour le

taquiner.

— Attention, surveillez vos paroles, sinon vous allez voir !

Elle se recroquevilla en riant sous ses couvertures.

Page 106: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 106 –

— Si vous avez l'intention d'être un mari dominateur, je...

Rock ne la laissa pas terminer sa phrase :

— C'est exactement ce que j'ai l'intention d'être. Il est en-

core temps de refuser.

Il avait parlé sur un tel ton d'humour que Kim éclata de rire

pour de bon malgré sa fatigue.

— Non, Rock, fit-elle en feignant une soumission totale, je

ne refuse pas.

— Vous êtes donc prête à m'obéir en tout. Très bien !

Commençons tout de suite. La nuit tombe, il faut que vous

dormiez.

Il se leva et vint déposer un doux baiser sur ses lèvres.

— Reposez-vous bien, ma chérie, je repasserai demain ma-

tin.

Kim le rappela alors qu'il atteignait la porte. Elle décou-

vrait avec horreur et stupéfaction qu'elle n'avait absolument

pas songé à Bart. L'émoi et l'épuisement étaient sans doute

responsables de cet oubli.

— Rock, je ne peux pas me marier tant que Bart n'aura pas

pris sa retraite. J'ai juré de rester avec lui aussi longtemps

qu'il aurait besoin de moi. Je crois qu'il va bientôt cesser de

travailler. Voulez-vous bien attendre ?

— Ne vous inquiétez pas. J'ai parlé avec lui. Il a décidé de

s'arrêter après le livre qu'il est en train de préparer.

— Vraiment ?

Kim fronça les sourcils d'un air songeur.

— Vous avez tout arrangé avec lui. A vous deux, vous avez

combiné ce mariage et sa retraite !

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– 107 –

Elle se souvint du soir où Bart avait entraîné Rock hors de

sa chambre pour lui parler en tête à tête. Une ride se creusa

aussitôt sur son front. Des idées déplaisantes, contrastant

douloureusement avec son bonheur présent, assaillirent son

esprit. Elle était toutefois trop abattue pour entamer une

discussion serrée avec Rock.

— Quelle curieuse manière de présenter la situation ! répli-

qua-t-il d'une voix changée, qui n'invitait pas la jeune femme

à poser davantage de questions. Nous avons en effet parlé,

Bart et moi. Il m'a informé de son désir de prendre sa re-

traite, et je lui ai appris que je souhaitais faire de vous ma

femme.

Il laissa planer un petit silence, trop bref pour permettre à

Kim de glisser une remarque, et il ajouta :

— Et maintenant, ma chérie, il faut que je vous laisse.

Elle se força à sourire malgré l'anxiété qui persistait en elle.

— Oui, Rock, je vais dormir.

Elle l'entendit fermer la porte avec douceur, puis elle se

tourna et se retourna dans son lit, en essayant de chasser les

horribles doutes qui s'étaient infiltrés dans son esprit. Elle

désirait plus que tout épouser Rock, mais... Pourquoi éprou-

vait-elle un tel malaise ? Un problème diffus, qu'elle n'arri-

vait pas à cerner ni à se formuler, la tracassait pourtant.

— Mon Dieu, soupira-t-elle, cette maladie m'a vraiment

épuisée ! Je vois tout en noir. Quand j'irai mieux, je serai

sûrement folle de joie.

Elle ferma les yeux sur cette note d'espoir et sombra dans

un sommeil sans rêves.

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– 108 –

7

La nouvelle des fiançailles se répandit très vite et les félici-

tations affluèrent. Le prochain mariage du célèbre célibataire

de la région suscita un grand étonnement.

— Je me demande comment vous avez fait pour réussir à

séduire Rock, déclara Susan en s'excusant immédiatement

de tenir des propos aussi déplacés.

— Je ne le sais pas moi-même, avoua Kim, désolée pour

son amie dont elle sentait la tristesse.

— Il s'est décidé pendant que vous étiez malade, n’est-ce

pas ?

— Oui, c'est exact.

Kim venait de rencontrer son amie à Tengaville. Elle était

partagée entre le désir de s'enfuir pour éviter une conversa-

tion pénible, et celui de passer un moment avec une per-

sonne dont elle appréciait la compagnie.

— Avez-vous le temps de boire quelque chose avec «ci ?

s'enquit-elle finalement.

Susan acquiesça et elles longèrent ensemble la rue bordée

de palmiers jusqu'au café. Lorsqu'elles furent assises, Susan

lui demanda :

— Quand doit avoir lieu le mariage ?

— Avant Noël, répondit Kim.

— Mon Dieu ! Rock est vraiment pressé !

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Elle considéra les grands yeux bleus de Kim, sa chevelure

soyeuse, puis un soupir lui échappa.

— Rock Linton, le célibataire endurci, est brutalement

tombé amoureux. Il n'a pas combattu ses sentiments comme

je l'avais prévu.

Elle émit un petit rire forcé qui serra le cœur de sa com-

pagne.

Des ombres planaient sur son bonheur. Il ne s'agissait pas

seulement de la jalousie bien compréhensible de Susan. Des

doutes obsédaient Kim.

Lorsque Richard lui avait fait la cour dans le passé, tout

avait été simple. Il était venu la voir chaque soir chez ses

parents et elle l'avait attendu avec impatience. Elle s'était

réjouie à la perspective de l'épouser. Mais cette fois...

Son mariage avec Rock lui inspirait plutôt des craintes. Elle

l'aimait, elle répondait avec passion à ses baisers, sa pré-

sence l'enivrait. Mais dès qu'il s'éloignait elle avait l'impres-

sion de ne pas connaître toute la vérité.

Une serveuse apporta les boissons, et Kim parla avec Susan

de son mariage, de Ravella et de Noël. La discussion ne

manqua pas d'agrément, et pourtant les jeunes femmes se

sentirent toutes les deux mal à l'aise. Au bout d'un moment,

Susan lança :

— Il faut que je m'en aille. Je dois nettoyer le poulailler.

— Ce n'est pas un travail pour vous !

— Si, je fais un peu tout à la ferme. D'ailleurs, mon père me

laisse un bon pourcentage sur les ventes. Il me conseille

d'ouvrir un compte à la banque et de mettre de l'argent de

côté en vue de...

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– 110 –

Elle hésita puis termina courageusement :

— ... en vue de mon mariage. Cela arrivera bien un jour.

Kim baissa la tête. Dès que l'addition fut réglée, les deux

amies ressortirent sous le ciel bleu. Susan retourna vers sa

voiture et Kim partit faire des courses. Bart l'avait priée de

lui acheter du papier et diverses autres fournitures de bu-

reau. A sa grande surprise, elle rencontra Ravella en entrant

dans la papeterie.

— Bonjour ! Comment se fait-il que vous ne soyez pas avec

votre cousine ? questionna-t-elle.

— Je suis venue avec Clive et Jack Steyn.

Kim ne put dissimuler son étonnement. Les frères Steyn,

de quelques années plus jeunes que Rock, se montraient fort

peu sociables, et on les avait jusqu'à présent classés comme

lui dans la catégorie des hommes qui ne se marieraient ja-

mais.

— Vous êtes venue avec les frères Steyn ! Vous en avez de la

chance ! s'exclama Kim.

— Je ne crois pas, répliqua froidement Ravella. Lorsque

Susan est partie, je me suis ennuyée. Alors je suis passée

chez eux pour leur demander de m'emmener au cas où ils

iraient à Tengaville. Il n'y a rien d'extraordinaire dans tout

cela.

En parlant, Ravella examinait Kim d'un air sombre.

— J'ai appris vos fiançailles avec Rock.

La jeune fille se contenta de hocher la tête.

— On a essayé de me faire croire qu'il méprisait les

femmes, mais je n'ai pas été dupe. Ce genre d'homme finit

toujours par tomber amoureux.

Page 111: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 111 –

N'appréciant pas du tout l'aigreur de ces remarques, Kim

déclara sur un ton sec :

—Je regrette de devoir vous laisser, j'ai des courses à faire.

Ravella lui accorda un demi-sourire :

— Je suppose que vous irez danser au club samedi pro-

chain.

— Certainement.

— Alors, à samedi !

Ravella tourna aussitôt les talons. Ses cheveux d'or volèrent

gracieusement autour d'elle avant de retomber sur ses

épaules.

De retour à Katania Lodge, Kim fut frappée par les traits

tirés de Bart. Malgré sa lassitude, il semblait pourtant absor-

bé par son travail. Lorsque la jeune femme lui donna ses

fournitures, il la gratifia d'un pâle sourire :

— Merci, ma chère Kim.

— Etes-vous obligé d'achever ce livre ? questionna-t-elle

avec une pointe d'anxiété.

—Je ne me suis pas engagé, expliqua-t-il. Ce serait pour-

tant une grande satisfaction pour moi de le terminer, car il

s'agit du dernier.

Il laissa échapper un soupir douloureux.

— Et que ferez-vous après, Bart ?

— Je vais retourner en Angleterre et mener une vie paisible

à la campagne, dans ma maison.

Kim revit en pensée la jolie demeure entourée de prairies,

et bordée d'un côté par une rivière, dé l'autre par un bois.

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– 112 –

— Nous viendrons vous rendre visite, Rock et moi, affirma-

t-elle.

— Je vous recevrai avec joie.

Il détourna brusquement la tête et Kim se demanda s'il

voulait lui cacher une expression de souffrance.

— Etes-vous malade, Bart ?

— Malade ! répéta-t-il en ramenant immédiatement son

regard sur elle. Mais non! Je suis simplement fatigué.

— Si vous étiez malade, et si vous aviez besoin de moi, je

repousserais la date de mon mariage.

Il haussa les sourcils avec étonnement :

— Croyez-vous vraiment que Rock vous laisserait changer

la date à votre gré ? Mon enfant, il n'est pas de ceux qui cè-

dent aux caprices d'une femme.

— Vous parlez comme Rock lui-même ! répliqua Kim.

— Tout à fait ! lança-t-il en riant.

Elle fut soulagée de retrouver son employeur comme elle

l'avait toujours connu durant ces huit dernières années, gai

et enclin à la plaisanterie.

— Bart, vous ne m'avez jamais dit à quoi servent les com-

primés que vous prenez.

— Il s'agit d'un banal remontant, fit-il d'une manière éva-

sive, et il ne s'expliqua pas davantage.

Elle le quitta pour aller préparer le thé. Bart aimait couper

ses après-midi de travail, en bavardant un moment avec elle

autour d'une tasse de thé.

— Est-ce que Rock vient ce soir ? lui demanda-t-il dix mi-

nutes plus tard alors qu'ils étaient installés sur la terrasse.

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– 113 –

Une lumière aveuglante illuminait le jardin et la campagne

environnante. C'était la saison la plus chaude de l'année, et

Rock avait déclaré qu'ils risquaient d'étouffer à Noël.

— Oui, il doit passer ce soir, répondit-elle.

Une fois de plus, elle se souvint de l'impatience avec la-

quelle elle avait attendu les visites de son premier fiancé.

Rien n'était pareil avec Rock. Elle ne frémissait pas d'avance

à l'idée de le revoir, elle ne rêvait pas de promenades au clair

de lune. Un soupir lui échappa et elle s'aperçut trop tard que

Bart l'observait.

— Vous ne rayonnez pas de bonheur, fit-il. Qu'est-ce qui ne

va pas ?

— Chacun de nous se fait du souci pour l'autre, déclara-t-

elle.

— Je ne vois pas pourquoi vous vous inquiéteriez à mon

sujet, objecta Bart.

Elle reposa sa tasse avant de fixer sur lui un regard em-

preint de gravité.

— Vous avez changé ces derniers temps et vous le savez

bien.

— Je suis fatigué. Je ne cesse de le répéter depuis des se-

maines. Travailler devient trop pénible pour moi. Il ne faut

pas oublier que je vais avoir soixante et onze ans.

Kim l'avait pourtant oublié. L'énergie et la jeunesse de ca-

ractère de son employeur avaient jusqu'à présent semblé

défier le poids des années.

— Oui, vous avez le droit de vous reposer, accorda-t-elle en

le considérant avec affection. Vous avez toujours été si dy-

namique que je ne me rendais pas compte de votre âge.

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— Acceptez-vous de croire à présent que je ne suis pas ma-

lade mais seulement fatigué ?

— Oui, mon cher Bart.

— Bien.

Il prit un gâteau sur le plateau et changea de sujet :

— Si nous parlions de votre mariage ! Rock paraît désireux

de vous épouser au plus vite. Je ne vois pas de raison d'at-

tendre. Et vous ?

Il admirait le charmant visage de Kim, le bleu intense de

ses yeux, le joli contour de ses lèvres pleines. Il guettait sa

réponse avec un sourire.

— Non... non, je ne vois pas de raison d'attendre, reconnut-

elle avec tiédeur.

L'expression de Bart devint alors soucieuse :

— Est-ce que vous aimez Rock ?

Le regard de Kim s'illumina aussitôt.

— Bien sûr ! lança-t-elle avec enthousiasme. Si je ne l'ai-

mais pas, je ne me marierais pas avec lui.

— Mais alors, qu'est-ce qui vous tracasse? insista-t-il.

— Je ne sais pas. Je suis peut-être triste à l'idée de me sé-

parer de vous.

— Il ne faut pas penser à moi. C'est de vous qu'il s'agit pour

le moment. J'étais désespéré en songeant à ce que vous alliez

devenir quand...

Il s'interrompit brutalement et s'en voulut d'avoir dévoilé

ses préoccupations dont il s'était jusqu'à présent soigneuse-

ment gardé de parler à Kim. Ces paroles ne contribuèrent

qu'à renforcer les doutes de la jeune femme.

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— Ce n'est pas ce que je voulais dire, ma chère Kim, ajouta-

t-il dans le but trop visible de rattraper son erreur. Voilà ce

qui arrive quand on discute d'une chose en réfléchissant à

une autre.

— A quoi pensiez-vous en me parlant ?

— Je me demandais si je ne devrais pas consacrer deux

chapitres de mon livre aux insectes.

Kim le considéra d'un air sceptique et il ne tarda pas à bais-

ser les yeux. Dans son embarras, il se mit à jouer avec les

miettes de gâteau sur son assiette.

Il avait donc été « désespéré »... A cause de ce mot, Kim se

perdait dans un labyrinthe de questions. Se laissait-elle en-

traîner par son imagination ? Rock l'avait avertie qu'à la

suite de sa maladie, elle aurait tendance à s'exagérer l'impor-

tance de certains détails et à tout voir en noir. Elle devait

lutter contre ces symptômes de dépression, surtout lorsqu'il

s'agissait de son mariage.

Elle regarda de nouveau Bart et le terme « désespéré » re-

vint la hanter. Lui-même avait regretté de l'avoir prononcé.

Et pourtant, il n'y avait pas de raison de dramatiser une

petite maladresse de langage. Elle reprit sa tasse et la vida en

décidant de vaincre le pessimisme dont elle souffrait depuis

sa fièvre.

Rock arriva dans la soirée. Dans son veston blanc et son

pantalon bleu marine, il évoquait la perfection masculine. A

l'idée d'être celle qu'il avait choisie pour la vie, Kim éprouva

un profond bonheur. Comme elle avait de la chance! Toutes

les femmes de la région avaient rêvé de lui. Et c'était pour

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– 116 –

elle qu'il renonçait maintenant à sa liberté de célibataire.

Cela tenait du miracle !

— Je vous trouve beaucoup mieux aujourd'hui, ma chérie,

déclara-t-il en s'installant dans un fauteuil en face d'elle."

Bart était parti se changer et il n'était pas encore revenu de

sa chambre. Kim se trouvait seule avec Rock et, avant de

s'asseoir, il l'avait embrassée. Elle croyait sentir encore ses

lèvres fermes sur les siennes.

— Oui, je vous trouve beaucoup mieux, répéta-t-il. Elle ac-

quiesça avec un sourire.

— Je me sens parfois encore un peu faible, maïs je suis

presque entièrement rétablie.

— Bientôt nous serons mariés et je pourrai veiller sur vous,

affirma Rock d'une voix tendre, aussi tendre que la lueur qui

réchauffait le gris de ses yeux. J'ai discuté avec Bart et nous

nous sommes mis d'accord. Vous viendrez travailler avec lui

ici tous les jours jusqu'à ce qu'il ait terminé son livre. Est-ce

que Cet arrangement vous convient ?

— Bien sûr. Vous savez que je ne peux pas l'abandonner.

— Vous l'ai-je jamais demandé ?

Rock se leva et, prenant les mains de Kim, il la tira avec

douceur hors de son fauteuil.

— Il faut que je vous embrasse encore. Tant pis si Bart nous

surprend !

Avec des frémissements de plaisir, Kim se laissa aller dans

ses bras. Elle oublia tous ses doutes au moment où elle lui

offrit ses lèvres. Il l'embrassa tendrement d'abord, puis de

plus en plus passionnément. Son ardeur se communiquait à

elle, du feu circulait dans ses veines. Elle découvrait l'amour,

Page 117: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 117 –

une force qui surgissait du fond d'elle-même, aussi sauvage

que cette terre africaine. S'abandonnant avec volupté à l'ar-

dente étreinte de son fiancé, elle perdit toute notion de l'en-

droit où ils se trouvaient. Mais Rock, reprenant non sans

difficulté le contrôle de lui-même, la relâcha enfin et con-

templa ses yeux lumineux et ses joues brûlantes.

Avec un sourire, il lui déclara sans se soucier d'accroître

son trouble :

— Le désir est peint sur votre visage, mon amour. Je veux

que vous deveniez ma femme au plus tôt. Je vous l'ai déjà dit

plusieurs fois mais vous avez toujours évité de me répondre.

Quand nous marions-nous? Maintenant, j'exige une date !

Elle lui rendit son sourire, presque timidement, mais

toutes ses hésitations l'avaient quittée. Elle ne souhaitait

plus qu'une chose : être avec Rock, dans ses bras, livrée à ses

caresses et à ses baisers.

— Votre date sera la mienne, fit-elle sur un ton heureux.

N'aviez-vous pas dit avant Noël ?

— Avant Noël ! Sûrement ! Croyez-vous que j'attendrais

davantage ? Il y a une couturière à Tengaville. Elle travaillera

nuit et jour s'il le faut, pour vous faire une robe de mariée

dans les plus brefs délais.

— Oui, je la connais.

— Eh bien, allez la voir dès demain et...

Rock s'interrompit à l'arrivée de Bart. Celui-ci toussa assez

fort sur le seuil de la porte pour s'annoncer, puis il s'avança

dans la pièce.

— Bonsoir, comment allez-vous, Bart ?

— Bien. Prendrez-vous un apéritif ?

Page 118: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 118 –

Son regard attentif remarqua immédiatement l'émotion de

Kim, sa rougeur, ses doigts qu'elle nouait et dénouait ner-

veusement. Il étudia ensuite Rock et ne manqua pas de noter

le contraste. Debout à quelques pas de sa fiancée, il se mon-

trait calme et maître de lui. D émanait de son attitude une

assurance voisine de l'arrogance. Kim vit Bart froncer les

sourcils à ce spectacle. Elle aurait parié qu'il était en train de

penser :

« Est-ce que ma petite Kim sera heureuse avec un homme

pareil ?»

Ils sortirent tous les trois sur la terrasse et, quand ils eu-

rent pris l'apéritif, Bart proposa :

— Voudriez-vous dîner avec nous, Rock ?

Il accepta volontiers. Ravie, Kim s'éclipsa aussitôt pour se

changer. Rock l'ayant complimentée sur son parfum

quelques jours plus tôt, elle l'utilisa abondamment. Il lui

avait demandé :

— Quel est ce parfum ?

Lorsqu'elle lui en avait dit le nom, il avait haussé les sour-

cils et fait une remarque surprenante de sa part :

— N'est-ce pas le parfum le plus cher du monde ?

— En effet. C'est Bart qui me l'a offert, s'était-elle empres-

sée d'expliquer. Comment se fait-il que vous connaissiez son

prix ?

— J'ai dû le voir dans une revue de mode.

— Vraiment ! Je ne peux pas le croire !

— Les hommes en lisent parfois pour savoir ce qui plaît à

leurs compagnes.

Page 119: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 119 –

Où était le mépris dont Rock avait encore si récemment

accablé les femmes ? En se regardant une dernière fois dans

la glace avant de rejoindre les deux hommes, Kim s'émerveil-

la du changement extraordinaire qui s'était opéré en lui.

L'amour l'avait métamorphosé...

Lorsqu'elle arriva sur la terrasse, son employeur se leva

pour lui servir à boire et Rock la contempla longuement.

— Vous êtes ravissante, déclara-t-il en souriant. Rougis-

sante, se sentant soudain très timide, elle murmura :

— Merci.

Conscient de sa confusion, Bart s'empressa de meubler le

silence qui suivit.

— Avez-vous fixé la date de votre mariage ? Son regard alla

de l'un à l'autre, puis il ajouta :

— J'espère, ma chère Kim, que vous vous conformerez à la

tradition en vous mariant en blanc.

— Bien sûr.

Tout en considérant son fiancé, elle songeait malgré elle à

un autre homme, au pauvre Richard qui avait trouvé la mort

dans des circonstances tragiques à vingt-quatre ans. Une

ombre ternit un bref instant l'éclat de ses yeux.

— Nous nous marierons dans une quinzaine de jours, an-

nonça Rock.

Kim ne put réprimer un petit sursaut.

— Cela ne me laisse pas beaucoup de temps, fit-elle d'une

voix hésitante.

On sentait pourtant qu'elle était enchantée et une expres-

sion amusée égaya les traits fermes de son fiancé.

Page 120: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 120 –

— Vous vous marierez donc quelques jours avant Noël.

C'est une bonne idée, approuva Bart.

— Nous donnerons une fête comme les gens de la région

n'en ont jamais vue, expliqua Rock. Quand j'ai demandé à

Kim de décorer mon arbre de Noël, je ne me doutais pas

qu'elle deviendrait ma femme avant la fin de l'année.

— Vous vous montriez si agressifs l'un envers l'autre, répli-

qua Bart d'un air méditatif.

— Ce n'était pas bien méchant, n'est-ce pas, Kim ?

— Pas au point de compromettre notre avenir, en tout cas.

Je dois avouer que je cherchais sans arrêt à vous mettre en

colère.

— Pourquoi donc ?

— Un jour, vous m'avez dit que les femmes prouvent leur

infériorité en perdant leur calme pour un rien. Vous m'avez

aussi affirmé que vous, au contraire, vous restiez toujours

maître de vos réactions. J'aurais voulu vous démontrer que

vous aviez une trop haute opinion de vous-même.

— Je vois ! lança-t-il en riant.

Cependant, elle frémit à cause du ton sur lequel il prononça

les paroles suivantes :

— Je ne vous conseille pas de me mettre hors de moi, Kim.

Vous le regretteriez, je vous le garantis.

Bart lui adressa un clin d'œil plein d'humour :

—Avec ce genre de discours, vous risquez d'affoler cette

chère petite !

Elle se força à sourire, mais elle savait que Rock n'avait pas

plaisanté. Elle savait aussi qu'il valait mieux ne pas provo-

quer sa colère.

Page 121: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 121 –

Après le dîner, son patron s'excusa. Il souhaitait travailler

un moment à son livre. Rock et Kim partirent se promener

dans le jardin, main dans la main, et ce simple contact trou-

bla la jeune femme. La nuit était douce et imprégnée de

parfums enivrants. Les rayons argentés de la lune traver-

saient le feuillage des palmiers, dessinant une mosaïque

mouvante sur l'herbe sombre. Rock s'arrêta sous un tamari-

nier et attira sa fiancée contre lui. Elle se laissa aller avec joie

entre ses bras. D'abord tendres, ses lèvres se firent de plus en

plus insistantes et Kim se trouva entièrement soumise à la

fougue croissante de Rock, aux mains qui exploraient son

corps, aux baisers qui couvraient sa gorge.

— Kim... comme vous êtes désirable ! chuchota-t-il d'une

voix grave et vibrante.

Il la serrait à l'étouffer.

— Dire que je dois attendre encore quinze jours ! Non, je

vous veux avant !

Effrayée par ces paroles, elle tenta de se dégager, mais elle

était comme une enfant livrée à un géant. Lorsqu'il détacha

un instant ses lèvres des siennes, elle parvint à murmurer :

— Rock... vous me faites mal.

Il relâcha immédiatement son étreinte et Kim put enfin

reprendre son souffle. La tempête d'émotions qu'il avait

soulevée en elle se calma peu à peu.

— Pardonnez-moi, ma chérie, fit-il gentiment, et il se pen-

cha pour déposer sur sa bouche un léger baiser empreint

d'amour et de respect.

Quand ils se remirent à marcher, il garda la main de Kim

dans la sienne. Ils traversèrent le jardin en silence, chacun

Page 122: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 122 –

était absorbé par ses propres pensées. Kim ne doutait plus ni

d'elle ni de Rock à présent. Les doigts de son fiancé cares-

saient doucement le dos de sa main, et son profil, se dessi-

nant au clair de lune, lui parut soudain beaucoup moins

sévère qu'à l'ordinaire.

— Etes-vous aussi heureuse que moi ? lui demanda-t-il,

tandis qu'ils atteignaient la rangée de tamariniers et d'aca-

cias qui bordaient le fond du jardin.

Au-delà commençait la nature sauvage et secrète. Impres-

sionnée par ces immensités, Kim se serra contre lui.

— Non, ma chérie, reprit-il, vous n'êtes sûrement pas aussi

heureuse que moi.

La tête contre l'épaule de Rock, elle se demanda comment

on pouvait mesurer le bonheur,

— J'explose de joie, affirma-t-elle, puis elle éclata de rire.

La formule n'est pas très romantique, n'est-ce pas ?

— Pas du tout, mon amour ! J'espère que vous ferez mieux

la prochaine fois !

Cessant soudain de la taquiner, il la questionna d'un air

grave :

— Pensez-vous encore à vos premières fiançailles ?

Elle inclina la tête et répondit en toute franchise :

— Oui, ce soir même, l'image de Richard a encore surgi de

ma mémoire.

Ses beaux yeux illuminés par la lune soutinrent sans faiblir

le regard de Rock.

— Je ne me rappelle plus exactement ses traits, ajouta-t-

elle avec une certaine tristesse. Ceux de mes parents

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m'échappent aussi d'ailleurs. Si je n'avais pas de photogra-

phies, il ne me resterait plus rien.

— J'aimerais les voir, déclara-t-il.

Elle fut touchée par cette requête et s'empressa d'y accéder

:

— Bien sûr, je vous les montrerai. Mes parents étaient des

gens merveilleux.

Rock considéra son beau visage avec admiration.

— Vous en êtes la preuve, affirma-t-ii sur un ton élogieux.

— Ils étaient jeunes quand ils sont morts.

Une profonde expression de compassion se peignit sur le

visage de Rock.

— Comme vous avez dû souffrir !

— Sans Bart, je ne sais pas ce que je serais devenue. Je

l'aime comme un père.

— Et il vous aune aussi.

En prononçant ces mots, Rock poussa un soupir presque

douloureux qui surprit Kim.

— Venez, ma chérie, nous devons rentrer, décida-t-il.

— Rock... Qu'y a-t-il ?

— Rien. Pourquoi vous inquiétez-vous soudain ? Il n'y a

absolument rien.

Il avait parlé sur un ton si léger que Kim se reprocha

d'avoir, encore une fois, été le jouet de son imagination.

— Je vous aime, Rock ! lança-t-elle avec fougue pour conju-

rer toutes les ombres.

— Moi aussi, je vous aime.

Page 124: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 124 –

Il resserra son bras autour des épaules de Kim, et elle

s'abandonna à un profond sentiment de bien-être et de sécu-

rité.

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– 125 –

8

Le repas de mariage était en train de se terminer dans les

salons du club. Kim et Rock avaient repoussé la date de leur

voyage de noces afin de ne pas être absents pour les fêtes.

Radieuse dans sa robe blanche, Kim se préparait à partir

avec son mari. L'intimité de Lusaka les attendait à l'issue de

ce grand jour. Elle n'aurait jamais osé demander à Susan

d'être sa demoiselle d'honneur si celle-ci ne s'était pas géné-

reusement mise à sa disposition :

— Vous n'avez pas d'amies intimes ici, lui avait-elle déclaré.

N'hésitez pas à faire appel à moi si je peux vous être utile.

Un peu surprise, Kim s'était aussitôt écriée sans réfléchir :

— Accepteriez-vous d'être ma demoiselle d'honneur ?

Susan avait répondu très simplement :

— Vous vous êtes sûrement aperçue comme tout le monde

que Rock me plaisait, mais j'ai toujours su qu'il n'était pas

pour moi. Sachez que je me ferai un plaisir de remplir ce

rôle.

L'autre fut Linda, et Clive Steyn fut l'un des deux char-

mants garçons d'honneur.

— Avez-vous remarqué combien Clive s'est intéressé à Su-

san ? demanda Kim à son mari tandis qu'ils regagnaient

Lusaka en voiture.

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— Je n'avais d'yeux que pour ma ravissante épouse, affir-

ma-t-il galamment. Non, ma chérie, je n'ai rien remarqué.

N'essayez pas de les marier. Clive est un célibataire endurci.

— Vous en étiez un aussi ! ne put s'empêcher de lancer

Kim.

— Moi ? fit-il en feignant l'étonnement.

— Clive et Susan vont très bien ensemble, soutint Kim.

— Je viens de vous dire que Clive ne se mariera jamais.

— Pourquoi ?

— Je n'en sais rien, c'est ainsi.

— Vous affirmez donc des choses que vous êtes incapable

de justifier ! reprocha-t-elle.

— Essaieriez-vous par hasard de déclencher une querelle ?

Elle éclata d'un rire heureux :

— Non, mon cher Rock, pas cette nuit.

En prononçant ces paroles, elle s'empourpra et il ne man-

qua pas de s'en apercevoir :

— Vous rougissez ?

— Non ! répliqua-t-elle.

— Ne mentez pas, je le vois bien.

— Rock, tenteriez-vous par hasard de déclencher une que-

relle ? fit-elle sur un ton faussement sévère.

— Faites-moi penser à vous donner une fessée dès que

nous serons arrivés ! plaisanta-t-il en retour.

— Pour en revenir à Clive, je l'ai trouvé charmant. Il est un

peu timide et réservé pour le moment, mais je suis sûre qu'il

se mariera.

Page 127: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 127 –

— Vous avez peut-être raison, ma chérie, répondit-il en évi-

tant une ornière que les phares de la voiture avaient révélée

juste à temps.

— Quelle belle nuit ! s'exclama Kim.

— Oui, l'immense lune africaine illumine le ciel. Nous ne

tirerons pas les rideaux de notre chambre, mon amour.

Kim rougit de nouveau. Elle était si émue qu'elle ne put

parler. Le reste du trajet se passa en silence. Rock ne le rom-

pit qu'après avoir aidé sa femme à descendre de voiture.

— Je vous souhaite une longue vie de bonheur, déclara-t-il

en la prenant dans ses bras.

Il la porta jusqu'à leur chambre, une pièce magnifique qu'il

avait réaménagée en un temps record. Kim et Bart n'avaient

pas compris comment il avait réussi à faire venir aussi vite ce

mobilier exquis de Johannesburg.

— Kim... murmura-t-il en la déposant sur le sol et en con-

templant son corps harmonieux. Kim... Jamais une jeune

mariée n'a été aussi ravissante que vous.

Il l'attira soudain contre lui et l'embrassa avec passion.

Puis sa main se posa sur son dos et Kim sentit qu'il tirait

lentement sur la fermeture Eclair de sa robe. L'étoffe blanche

glissa à terre.

— Mon amour, chuchota-t-il en pressant ses lèvres dans la

chevelure parfumée, le moment que j'attendais est enfin

venu.

Kim noua ses bras autour de son cou et effleura tendre-

ment ses lèvres.

— Je vous remercie de m'aimer, mon cher Rock, répondit-

elle d'une voix qui vibrait de désir et d'émotion.

Page 128: Anne Hampson Autour d Un Jour

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Elle enfouit son visage contre sa poitrine. Le cœur de Rock

battait très fort. A partir de cette nuit, elle allait connaître le

bonheur de dormir dans ses bras.

Le jour de Noël arriva. Kim et Rock se levèrent tôt, prirent

leur petit déjeuner sur la terrasse et allèrent chercher Bart à

Katania Lodge. Rock avait eu la bonne idée de l'inviter à

découvrir ses cadeaux en même temps qu'eux à Lusaka. Kim

était touchée par la délicate attention de son mari. Il avait

deviné de lui-même qu'elle souhaitait la présence de leur ami

en ce moment heureux.

— Quelle splendeur ! s'extasia-t-il en voyant l'arbre de

Noël. Ma chère Kim, vous vous êtes surpassée cette année.

Bart semblait ravi et il avait bonne mine. Kim se sentit

vraiment comblée par la vie.

— Venez voir vos cadeaux ! lança-t-elle.

Il se dirigea vers l'arbre et entreprit de détacher un paquet

qu'elle y avait attaché avec un ruban rouge.

Il y eut ensuite un concert d'exclamations. Elle avait acheté

pour Bart une statuette en jade représentant une danseuse

qu'il avait beaucoup admirée. De Rock, il reçut un somp-

tueux livre abondamment illustré. Quant à lui, il offrit à la

jeune femme une magnifique montre en or et à Rock, un

cahier relié en cuir repoussé, destiné à lui servir de journal

intime pour la nouvelle année. Les deux carafes à liqueur en

cristal taillé et argent que Kim avait eu la surprise de trouver

dans une boutique poussiéreuse de Tengaville firent grand

plaisir à Rock. De son côté, il arracha des cris de joie à Kim

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– 129 –

avec le bracelet, les boucles d'oreilles et le collier qu'il lui

avait choisis.

Il avait prévu un déjeuner Sur la rivière qui traversait sa

propriété. Le repas fut à la fois gai et paisible tandis que le

bateau de Rock glissait doucement sur les eaux tranquilles.

Le ciel était d'un bleu intense au-dessus d'eux. Heureuse-

ment, le feuillage des arbres qui bordaient la rivière les pro-

tégeait des puissants rayons du soleil. Kim n'oublierait ja-

mais cette journée merveilleuse, le parfum de la végétation

luxuriante sur les rives, les couleurs éclatantes des orchidées,

les beaux chants de Noël que diffusait le magnétophone de

Rock. C'était le paradis. Et lé soir, il donnait un grand dîner

qui constituerait encore une occasion de se réjouir.

Bien des heures plus tard, Kim se tenait avec lui sur le seuil

de Lusaka. Les derniers invités venaient de prendre congé et

ils regardaient leurs voitures disparaître au bout de l'allée.

— Ma chérie, avez-vous été aussi heureuse que moi aujour-

d'hui ? s'enquit Rock.

— Ce fut une journée extraordinaire ! répondit-elle avec

enthousiasme. Avez-vous remarqué combien Bart était con-

tent ? Je l'ai trouvé rajeuni de dix ans.

A sa grande surprise, Rock ne partagea pas aussitôt sa sa-

tisfaction. Il hésita, puis déclara finalement sur un ton bi-

zarre :

— Oui, il m'a paru très en forme.

Kim leva les yeux vers lui et se retourna dans ses bras pour

le regarder bien en face :

— Rock, que me cachez-vous ?

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– 130 –

— Rien, fit-il en la serrant davantage contre lui. Vous posez

de bien curieuses questions, ma chérie. Venez, nous allons

prendre un dernier verre.

Le lendemain, il y eut un bal au club. Ravella, qui avait dé-

cidé de rester pour lés fêtes, était toujours le point de mire

avec ses robes élégantes, ses bijoux, et son sourire charmeur.

Toutefois, tandis que Rock était parti chercher des boissons,

elle se montra désagréable envers Kim.

— Avez-vous passé un bon Noël? lui demanda-t-elle. Vous

avez été obligée d'inviter votre employeur. Je n'apprécierais

pas à votre place d'être envahie ainsi pendant ma lune de

miel.

Malgré son irritation, Kim garda son calme. Elle expliqua à

Ravella qu'elle partait en voyage de noces dans quelques

jours, et lui demanda à son tour comment elle avait passé

cette fête.

— Très bien, je vous remercie. Nous avons été invitées par

les frères Steyn, Susan et moi.

— Je croyais qu'ils ne recevaient jamais personne ! s'étonna

Kim.

—Clive s'intéresse beaucoup à Susan, déclara sèchement

son interlocutrice.

Kim ne put réprimer un sourire ravi.

— On dirait que cela vous fait plaisir.

— Peut-être, fit-elle évasivement en espérant que Rock

n'allait pas tarder à revenir avec les boissons.

— Ils ne sont pas du tout assortis, pas plus que vous et...

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Ravella s'interrompit brusquement, mais elle savait très

bien que Kim avait compris. C'était d'ailleurs sûrement ce

qu'elle avait désiré. Tant de méchanceté choqua la jeune

femme. Heureusement, Rock réapparut à cet instant. Il lui

tendit un verre et, voyant la jolie Ravella, il lui proposa poli-

ment :

— Puis-je aller vous chercher à boire ?

— Non, merci, répliqua-t-elle sur un ton coupant, et elle

s'éloigna sans ajouter un mot aimable.

Kim ne parvint pas à oublier les paroles malveillantes de la

jeune fille. Elles réveillaient les doutes qui l'avaient assaillie

durant sa convalescence. Elle avait réussi à les écarter, et

voici qu'ils la hantaient de nouveau. Il fallut un compliment

de Rock pour lui changer les idées :

— Vous êtes en beauté ce soir, ma chère Kim. Rejoignons

Susan et Clive. Je commence à me demander si ce jeune

homme ne va pas finir par se marier.

— Je vous l'avais dit ! lança-t-elle.

— Je vous permets de savourer votre triomphe ! plaisanta-

t-il.

L'imprévisible Ravella se mêla presque aussitôt à leur petit

groupe. Elle se montrait soudain charmante. Comme si elle

regrettait le comportement plutôt brutal qu'elle venait

d'avoir, elle déclara :

— Rock, si votre offre est encore valable, j'aimerais bien

boire quelque chose.

— A vos ordres, répondit-il galamment.

Elle se tourna ensuite vers Clive et lui décocha son plus

beau sourire. D'une main, elle repoussa une mèche de ses

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– 132 –

cheveux d'or. Ses ongles, songea Kim, auraient été dignes

d'une réclame pour un vernis.

— Clive, vous n'avez pas encore dansé avec moi, fit-elle en

minaudant.

Susan fronça les sourcils et jeta à Kim un regard éloquent.

Clive était sur le point de s'éclipser pour laisser les trois

femmes entre elles. Il se ravisa soudain, en se rappelant sans

doute que Ravella était l'invitée de Susan, et il lui dit avec

courtoisie :

— Je vais réparer cet oubli... M'accorderez-vous la pro-

chaine danse ?

— Très volontiers.

Dès qu'ils furent partis, Susan laissa éclater son méconten-

tement :

— J'ai hâte qu'elle retourne chez elle ! Elle commence à

m'agacer.

Elle parut brusquement honteuse de ses propos.

— Je ne devrais pas parler ainsi, mais avec vous je ne me

gêne pas, ajouta-t-elle.

— Quand s'en va-t-elle ? demanda Kim.

— Dieu seul le sait ! J'ai l'impression qu'elle a jeté son dé-

volu sur Clive.

— Oh non ! s'écria Kim, et elle regretta aussitôt cette ex-

clamation maladroite.

— Ce sera le deuxième homme qui me plaît et que je n'au-

rai pas, déclara Susan avec résignation. Et jamais deux sans

trois !

Kim était navrée pour son amie :

— Ne dites pas cela, Susan.

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— N'ayez pas de peine pour moi. J'ai toujours su que Rock

n'était pas pour moi. Quant à Clive, il m'était indifférent.

Mais depuis quelque temps, nous avons beaucoup discuté

ensemble et j'ai appris à le connaître. Je crois qu'il est venu

ici ce soir pour me voir. Vous savez que jusqu'à présent, il ne

fréquentait pas le club et...

Susan s'arrêta au beau milieu de ses explications et pointa

un doigt sur Rock :

— Il a oublié la boisson de Ravella. Regardez, il est en

grande conversation avec Bart.

Kim regarda dans la direction indiquée et affirma :

— Ils s'entendent très bien tous les deux. Quand il retour-

nera en Angleterre, Bart manquera beaucoup à Rock.

— On m'a dit qu'il voulait prendre sa retraite.

— Oui, il va s'installer définitivement dans sa belle maison

à la campagne.

— Je suppose que vous irez lui rendre visite avec votre ma-

ri.

— Bien sûr !

— J'aimerais connaître l'Angleterre, je... Mais que fait donc

Ravella ? lança soudain Susan sur un ton incrédule.

— Elle danse avec Clive, répondit Kim.

— Non, elle ne danse plus. Elle...

Susan ne parvint pas à terminer sa phrase tant elle était

stupéfaite. L'étonnement se peignit aussi sur le visage de

Kim quand elle vit Ravella près de Bart et de Rock. Les deux

hommes lui tournaient le dos et ne s'apercevaient pas qu'elle

écoutait leur conversation. La jeune fille ne paraissait nulle-

ment gênée de son indiscrétion.

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— Comment ose-t-elle se conduire ainsi ? lança Kim.

— Leur discussion doit être passionnante. Je me demande

ce qu'ils sont en train de raconter, déclara Susan.

A cet instant, Clive rejoignit les deux femmes et leur expli-

qua :

— Ravella n'a brusquement plus envie de danser. J'allais

l'accompagner au bar quand j'ai été accosté par John Pater-

son. Elle est là-bas. Elle attend probablement que Rock aille

lui chercher une boisson.

Pendant qu'il parlait, Bart et Rock se séparèrent. Ni vu ni

connu, Ravella se dirigea rapidement vers sa cousine et ses

deux amis. Rock arriva quelques secondes plus tard.

— Voulez-vous danser ? demanda-t-il à Kim. Ravella la

fixait d'un air étrange. Elle se sentit tout à coup mal à l'aise

et son époux remarqua son changement d'expression.

— Qu'y a-t-il, ma chérie?

— Rien... rien...

— Vous n'en paraissez pas très-convaincue.

Il s'arrêta au bord de la piste de danse et, resserrant son

bras autour de la taille de Kim, il répéta :

— Qu'y a-t-il ?

— Rien, soutint-elle plus fermement.

Elle aurait été incapable de dire ce qui la tracassait exacte-

ment. Pouvait-elle confier à Rock que les manières de Ravel-

la lui gâchaient sa soirée ?

Pendant le dîner, elle s'aperçut que la jeune fille faisait ou-

vertement du charme à Rock. C'en était trop !

Rock le remarqua aussi et il en parut étonné, comme Susan

et Clive qui étaient assis de l'autre côté de la table. Chaque

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– 135 –

fois qu'il parlait avec sa femme, Ravella s'interposait. Pour la

première fois, Kim ressentit les brûlures de la jalousie. Au

bout d'un moment, furieuse à la fois contre Rock et contre

Ravella, elle engagea la conversation avec Val, qui avait pris

place à côté d'elle. Le jeune homme avait été déçu en appre-

nant ses fiançailles avec Rock, mais il avait honnêtement

reconnu que Kim et lui n'avaient jamais dépassé le stade de

l'amitié.

A présent, il était content de bavarder avec elle. Il ne se

doutait pas le moins du monde des tristes appréhensions qui

assombrissaient son bonheur.

A la fin du dîner, obéissant à une impulsion, Kim s'éclipsa

seule dans les jardins. Tous ses doutes étaient revenus.

D'horribles incertitudes envahissaient son esprit. Elle mar-

cha droit devant elle, incapable d'apprécier le charme du

paysage. Soudain, elle se raidit en entendant des voix de

l'autre côté de la haie. Susan et Ravella discutaient...

— J'avais vu que vous écoutiez la conversation de Bart et de

Rock, disait Susan. J'étais loin de penser que Bart n'a plus

que quelques mois à vivre.

Quelques mois ! Une affreuse douleur déchira la poitrine

de Kim. Bart ! L'homme qui avait remplacé ses parents, qui

s'était comporté comme un père envers elle ! Elle crut qu'elle

allait tomber.

— C'est son cœur, expliqua Ravella. Le docteur l'a prévenu

et il était très inquiet pour Kim. Rock lui a rendu un grand

service en l'épousant. Je suppose qu'il l'a supplié de le faire

pour qu'elle ne reste pas seule au monde.

Page 136: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 136 –

— Je ne crois pas que Rock serait allé aussi loin, même par

amitié, affirma Susan. Je suis sûre qu'il aime Kim.

Après le ton aigre de Ravella, sa voix exprimait au contraire

beaucoup de compassion.

— Vous vous trompez, Susan. Je les ai entendus, vous pou-

vez me faire confiance. Bart remerciait Rock d'avoir épousé

Kim comme il le lui avait demandé. II a pris des dispositions

pour qu'elle hérite de sa fortune, mais il estime que l'argent

ne suffit pas. Grâce à Rock, il peut mourir tranquillement car

Kim ne restera pas seule. C'est exactement ce qu'il disait,

Susan. Et il a ajouté que Kim ne devait jamais rien savoir de

ses arrangements avec Rock.

— Et que disait-il, lui ? s'enquit Susan.

Il y eut un étrange silence. Kim se demanda si Ravella

n'avait pas perçu sa présence derrière la haie.

Quelle idée absurde ! La jeune fille répondit quelques se-

condes plus tard :

— Il a repoussé les remerciements de Bart. Il était temps

qu'il se marie, a-t-il affirmé, pour avoir un héritier. Et il a

déclaré à Bart que Kim lui convenait aussi bien que n'im-

porte quelle autre femme.

Ces mots s'enfoncèrent comme des poignards dans le cœur

de Kim. Elle convenait aussi bien que n'importe quelle autre

femme ! Rock ne tenait donc pas du tout à elle. Il se servait

simplement d'elle pour avoir un fils ! Tout s'éclairait à pré-

sent. Les révélations de Ravella l'aidaient à reconstituer le

puzzle. Bart avait employé le terme « désespéré » en parlant

de l'inquiétude que lui inspirait l'avenir de Kim. Durant sa

Page 137: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 137 –

maladie, il était sorti de sa chambre pour discuter avec Rock

en tête à tête. Et bien d'autres éléments complétaient ces

deux-là.

Elle découvrait avec consternation que les deux hommes

avaient soigneusement préparé l'affaire. Au début, supposa-

t-elle, Rock avait refusé de l'épouser, puis il avait réfléchi. Il

n'avait pas le courage de laisser mourir son ami avec de tels

soucis. Comme il lui fallait une femme à plus ou moins brève

échéance, il s'était résigné. Toute la tendresse qu'il manifes-

tait n'était donc qu'une odieuse comédie. Kim eut du mal à le

croire et pourtant c'était vrai.

Tout devenait parfaitement clair... et horrible.

Les projets, les espoirs, le bonheur de Kim, tout s'écroulait.

Son mari ne l'aimait pas et Bart allait mourir. Elle fondit en

larmes. Le destin s'acharnait sur elle. Après l'accident qui

avait tué ses parents et son fiancé, un nouveau drame l'acca-

blait.

— C'est trop, murmura-t-elle. Je ne peux pas perdre Bart.

Pas Bart !

Susan et Ravella poursuivaient leur conversation. Kim par-

vint à s'éloigner sur ses jambes tremblantes. Elle entendit

encore Susan déclarer :

— Pauvre Kim! Pourvu qu'elle n'apprenne jamais que ce

mariage a été arrangé pour elle !

Quelques jours après, Rock décida d'avoir une discussion

avec sa femme. Il la considérait d'un regard dur, étincelant

de colère.

Page 138: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 138 –

— Que se passe-t-il ? gronda-t-il. Vous avez refusé de partir

en voyage de noces S Vous prétendez que vous êtes malade

et vous insistez pour dormir seule ! Vous ne voulez plus

sortir avec moi...

Il s'interrompit et reprit plus doucement :

— Vous cherchez tous les moyens pour m'éviter.

— Souhaitez-vous vraiment ma compagnie? demanda Kim

d'une voix blanche.

Depuis la conversation qu'elle avait surprise, elle avait

beaucoup souffert. Au début, elle avait cru pouvoir cacher sa

peine et continuer à mener une vie normale. Mais au bout

d'une semaine, la douleur l'avait emporté sur ses résolutions.

Une fois les fêtes de fin d'année passées, elle avait prétendu

qu'elle était trop fatiguée pour partir en voyage de noces.

Puis, ne pouvant plus supporter une intimité sans amour,

elle avait changé de chambre. Pour commencer, et malgré un

mécontentement bien visible, Rock s'était abstenu de tout

commentaire. Pour Kim, la situation était sans issue. Elle

restait éprise de lui mais, ayant été trompée, elle éprouvait

aussi à son égard une sorte de haine.

— Est-ce que je souhaite votre compagnie ? répéta-t-il d'un

air incrédule. Avez-vous perdu la raison, Kim ? Je suis votre

mari.

Comme il jouait bien la comédie! songea-t-elle. Il se rap-

procha d'elle et examina son visage défait.

— Kim, fit-il plus bas, que se passe-t-il, ma chérie ? Pour-

quoi ne me répondez-vous pas ?

Elle lui permit de la prendre dans ses bras, et même de dé-

poser un baiser sur ses lèvres sans couleur.

Page 139: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 139 –

— Confiez-vous à moi, insista-t-il.

— Je ne peux pas.

— Il y a donc bien quelque chose. Elle se contenta d'incliner

la tête.

— Kim, il faut tout me dire !

Elle s'écarta de lui et ne se retourna pas avant d'avoir mis

entre eux toute la largeur de la pièce. Elle avait tout à coup

envie de se venger, de le faire souffrir autant qu'elle souffrait.

D'un ton sec, sans songer aux conséquences de ses paroles,

elle lança :

— Je ne vous aime pas, Rock. C'est tout.

Un affreux silence s'installa dans la pièce.

— Vous ne...

Les yeux gris de Rock avaient presque viré au noir.

— Je ne vous crois pas ! Il y a autre chose !

Aussi pâle que son corsage blanc, Kim secoua la tête avec

obstination. Puisqu'elle ne pouvait pas dire la vérité à Rock,

elle était déterminée à le persuader qu'elle ne l'aimait pas.

Elle ne voulait pas troubler les derniers mois de la vie de

Bart. Après sa mort, elle pourrait parler.

— Nous nous disputions toujours, n'est-ce pas ? Notre ma-

riage est une folie, nous aurions dû le savoir dès le début.

J'étais malade quand vous m'avez demandé de vous épouser.

J'attribue l'accord regrettable que je vous ai donné à l'état

dans lequel je me trouvais...

— Taisez-vous! hurla Rock.

La fureur faisait tressaillir les coins de sa bouche. Kim se

souvint qu'il lui avait conseillé de ne jamais se risquer à le

mettre hors de lui. Elle n'avait plus peur. Il pouvait s'empor-

Page 140: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 140 –

ter, la battre même s'il le désirait. Sa souffrance avait atteint

un tel degré que plus rien n'avait d'importance.

— Cessez de me mentir et dites-moi ce qui ne va pas !

Au prix d'un immense effort, il parvint à se contenir.

Il faisait jour et ils se trouvaient dans le salon de Lusaka.

Kim en fut soulagée malgré elle. Si la même scène s'était

produite la nuit, dans l'intimité...

Mais la nuit arriva et Kim entra dans sa chambre après

avoir pris un bain et enfilé une ravissante chemise de nuit

qui la rendait irrésistible. Quelques instants plus tard, la

porte s'ouvrit violemment et Rock apparut. Elle vit immédia-

tement qu'il était furieux.

— Cet après-midi, déclara-t-il sur un ton menaçant, vous

avez pris le thé avec Val !

— Et alors ? Ces derniers temps vous vous êtes bien amusé

avec Ravella au club.

— C'est faux!

Kim ne trouva rien à répondre. Elle devait admettre que

Rock n'était pas coupable. Sachant qu'il n'aimait pas sa

femme, Ravella jugeait à nouveau intéressant d'essayer de le

séduire. La vie devait lui plaire ici car elle ne manifestait

toujours pas le désir de repartir chez elle. Elle avait jeté son

dévolu sur Rock, et secondairement sur Clive Steyn. Flatté

d'être apprécié par une jeune fille aussi belle que Ravella,

Clive délaissait Susan pour elle. Il ne se rendait pas compte

qu'elle se servait seulement de lui pour passer le temps,

quand Rock n'était pas là pour la distraire.

Sévère, celui-ci attendait en cet instant des explications et

Kim finit par murmurer :

Page 141: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 141 –

— Ce qui se passe entre Ravella et vous n'a, de toute façon,

aucune importance. Elle m'a vue cet après-midi avec Val.

C'est sûrement elle qui vous a mis au courant. Vous avez

parlé tous les deux ce soir.

Us étaient allés prendre l'apéritif chez les Paterson et,

comme toujours, Ravella avait usé de tout son charme pour

retenir l'attention de Rock.

— Je ne veux plus que vous retrouviez Val en tête à tête,

avez-vous bien entendu?

Rock fixait sur Kim un regard étincelant et elle rougit, sou-

dain intimidée comme avant son mariage. Depuis plusieurs

nuits, elle n'avait pas dormi avec lui et il était en train de

contempler les courbes harmonieuses de son corps, visibles à

travers le tissu très fin du déshabillé.

— Je prendrai le thé avec qui bon me semble, affirma-t-elle

d'une voix calme. Veuillez me laisser à présent, Rock, je suis

fatiguée.

— Fatiguée, vraiment !

En deux enjambées, Rock atteignit le milieu de la chambre.

Kim recula craintivement jusqu'au moment où elle sentit le

lit contre ses jambes.

— Venez ici, ordonna-t-il.

Elle retint son souffle. Malgré la colère qui déformait le vi-

sage de son mari, elle se sentait poussée vers lui par une

vague d'amour. Mais elle devait tenir bon, résister au désir

qui l'envahissait... Et pourtant... Elle rêvait de se jeter dans

ses bras et de s'abandonner à ses caresses.

— Je vous ai prié de sortir.

Page 142: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 142 –

Elle s'étonna d'avoir trouvé la force de prononcer cette

phrase. Elle était écartelée. D'un côté, elle haïssait Rock, de

l'autre, elle l'aimait au point de lui céder d'un instant à

l'autre.

Un rictus tordit les lèvres de Rock.

— Croyez-vous que je vais partir maintenant ?

Son regard se promena avec une insistance insolente sur la

jolie silhouette de Kim.

— Je suis votre époux. Venez ici. Je vous conseille de

m'obéir, Kim. Je ne plaisante pas !

Soudain, elle fondit en larmes. Elle pensait à Bart et regret-

tait de ne pas pouvoir passer avec lui les derniers mois de sa

vie. Elle était obligée de l'abandonner pour rester auprès de

son mari, un homme qui ne l'aimait pas. Un vent de révolte

souffla sur elle, et elle releva la tête. Non, elle ne faiblirait

pas, elle ne se laisserait pas attendrir. Elle fixa sévèrement

Rock à travers ses larmes et s'écria :

— Sortez ! Ne voyez-vous donc pas que je ne veux pas de

vous !

Un terrible silence suivit ses paroles. Brusquement, Rock

franchit la courte distance qui le séparait de Kim. Elle poussa

un petit cri étranglé lorsqu'il tendit les bras, s'empara d'elle

et l'attira brutalement contre lui. Ses mains se promenèrent

avec audace sur son corps tandis qu'il l'embrassait passion-

nément. En dépit de son chagrin, en dépit de ses réticences,

elle fut sensible à ces gestes destinés à la reconquérir. Quand

Rock la relâcha, elle frémissait sans pouvoir le cacher. Sub-

juguée, elle le regarda ôter sa robe de chambre, revenu vers

Page 143: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 143 –

elle et éteindre la lumière. Il la reprit dans ses bras et l'en-

traîna irrésistiblement sur le lit.

Le lendemain, Kim se rendit comme tous les jours à Kata-

nia Lodge. Bart lui sourit et, levant les yeux de sa machine à

écrire, elle s'efforça de lui sourire en retour. Au prix d'im-

menses efforts, elle parvenait à feindre le bonheur devant lui,

à jouer la comédie de l'amour quand elle venait le voir avec

Rock. Elle devait aussi faire semblant de se réjouir de la

parution de son dernier livre tout en sachant qu'il serait

mort avant. Elle devait rire et paraître enthousiaste, alors

qu'elle avait envie de pleurer.

— Qu'y a-t-il, Bart ? demanda-t-elle en immobilisant ses

doigts sur le clavier.

— J'ai décidé de faire un voyage organisé dans les parcs

nationaux du pays.

Kim ouvrit de grands yeux.

— Un voyage ! répéta-t-elle en songeant que sa santé ne lui

permettait pas de réaliser un projet aussi fatigant.

D'un autre côté, Bart avait très souvent exprimé le souhait

de voir les animaux sauvages dans leur cadre naturel. Pour-

quoi ne satisferait-il pas un désir qui lui tenait tant à cœur ?

Kim s'inquiéta cependant. Que deviendrait-elle pendant

son absence ? Elle avait encore du travail pour plusieurs

jours, mais ensuite? Au fond, seuls les derniers plaisirs que

Bart pouvait s'offrir comptaient. Il semblait décidé et elle

n'osa pas entamer ses résolutions.

Rock les rejoignit dans l'après-midi, et Kim s'intéressa

d'une oreille distraite à la conversation des deux hommes.

Page 144: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 144 –

Mais quand Bart reparla de son voyage, elle dressa l'oreille.

Elle aurait juré que Rock était au courant et qu'il faisait sem-

blant d'apprendre la nouvelle.

Etait-ce un nouveau complot ? Que lui cachaient-ils encore

? Elle comprenait que Bart ait souhaité lui dissimuler la

gravité de son état. Elle ne lui en voulait pas de ses men-

songes. Il prétendait que le médecin le trouvait simplement

fatigué et s'était contenté de lui prescrire du repos. Grâce aux

indiscrétions de Ravella, Kim savait que les comprimés qu'il

prenait étaient destinés à soutenir son cœur. Rock, quant à

lui, était au courant depuis le début. Elle ne lui en voulait pas

non plus puisqu'il gardait le silence à la demande de son ami.

Mais tout cela n'expliquait pas ce nouveau mystère. Rock

n'avait vraiment pas paru très surpris par les projets de Bart.

II en avait de toute évidence déjà discuté avec lui... et il n'en

avait rien dit à Kim.

Comme par le passé, il estimait sans doute que leurs rela-

tions ne la concernaient pas. D'ailleurs, plus les jours pas-

saient, plus le fossé se creusait entre eux. Kim avait l'impres-

sion qu'elle ne parviendrait pas à surmonter une si pénible

épreuve, le chagrin allait la briser. Elle avait déjà prévu ce

qu'elle ferait après la mort de Bart. Elle quitterait l'Afrique et

l'homme qui l'avait épousée dans le seul but d'avoir un héri-

tier.

— Quand voulez-vous partir en voyage ? s'enquit Rock en

souriant à son ami.

Avant de s'installer dans un fauteuil, il déposa un baiser

sur le front de Kim pour sauver les apparences.

Page 145: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 145 –

— Bientôt, Rock, très bientôt, répondit Bart en considérant

avec joie cette marque de tendresse qu'il témoignait à Kim.

— Et votre livre ?

— Il peut attendre. Kim doit entreprendre certaines re-

cherches pour moi. Elle aura le temps de tout mettre au

point d'ici mon retour.

— Combien de temps serez-vous absent ? demanda-t-elle

en dissimulant de son mieux son anxiété.

Dans son pessimisme, elle ne savait pas si elle le reverrait

vivant. A cette pensée, une vive douleur l'étreignit. Son de-

voir et ses sentiments lui commandaient d'aller avec Bart. Il

comptait beaucoup plus pour elle que Rock.

— Je serai absent une quinzaine de jours... si tout va bien,

répondit-il.

Un silence tendu suivit ces paroles. Bart et Rock échangè-

rent un étrange regard. Que tramaient-ils tous les deux ?

Kim prit une profonde inspiration et déclara d'une manière

très nette :

— Bart, étant votre secrétaire, j'estime que je devrais partir

avec vous. Rock n'y verra pas d'objection, n'est-ce pas, mon

chéri ?

Mon chéri ! Ces deux mots lui avaient coûté un immense

effort. Elle s'attendit à une réplique discrètement teintée

d'ironie de la part de Rock. A sa grande surprise, elle vit la

consternation se peindre sur son visage... et aussi sur celui

de Bart !

— Non, fit presque brutalement ce dernier, c'est impossible

!

— Pourquoi ?

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– 146 –

Elle était décidée à insister, à forcer les deux hommes à dé-

voiler leur secret.

— Parce que vous êtes mariée, ma chère Kim.

— Je viens de vous dire que Rock est d'accord.

— Il n'a pas encore donné son avis.

Bart lança un nouveau regard bizarre à Rock, et celui-ci

déclara d'une voix calme mais empreinte d'autorité :

— Je préfère que vous n'alliez pas avec Bart. Cette inconce-

vable exigence la mit dans une violente fureur qu'elle s'effor-

ça de cacher à l'écrivain.

— Bart a besoin de moi, soutint-elle. Vous savez très bien

qu'il est fatigué ces temps-ci.

Elle prétendit qu'elle devait veiller sur lui et l'empêcher

d'abuser de ses forces. Elle se retint difficilement de crier à

ses deux interlocuteurs qu'elle était au courant de tout. Il lui

fallut beaucoup de courage pour réussir à taire les pensées

qui la tracassaient depuis de nombreux jours.

— Je n'ai pas besoin de vous, affirma Bart. Je vous en prie,

ma chère Kim, ne vous obstinez pas. Je veux partir seul... Il

faut que je parte seul.

Elle le considéra attentivement et elle en conclut qu'il pen-

sait ce qu'il disait. Il ne souhaitait pas sa compagnie... De son

côté, Rock ne tenait pas vraiment non plus à l'avoir auprès

de lui. Pour la seconde fois de sa vie, Kim se sentit complè-

tement abandonnée à elle-même dans un monde indifférent.

Page 147: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 147 –

9

Le samedi suivant, Kim se prépara pour aller au club. Elle

ne voulait pas sortir, mais Rock avait insisté, prétendant

qu'elle avait besoin de distractions.

— Vous avez passé toute la semaine devant votre machine à

écrire, déclara-t-il. Un changement vous fera du bien.

— Je passe mes semaines devant une machine à écrire de-

puis des années. C'est mon travail, objecta-t-elle.

Rock poussa un soupir agacé.

— Je sais ce que je dis, vous vous êtes surmenée ces jours-

ci.

— Pensez ce que vous voulez, répondit-elle en haussant les

épaules.

Rock avait pourtant raison. Ces journées avaient épuisé

Kim. Pour permettre à Bart de partir avec l'esprit tranquille,

elle avait fourni un énorme travail. Le chapitre qu'il rédigeait

actuellement posait, par malchance, de nombreux pro-

blèmes. Il avait apporté beaucoup de corrections au texte et

Kim avait été obligée de le dactylographier plusieurs fois.

Elle avait remarqué l'inquiétude et l'énervement de Bart, et

tenait à lui présenter un chapitre impeccable avant son dé-

part.

Rock et elle passèrent le chercher à Katania Lodge.

Dès son arrivée au club, il se mêla à un groupe d'amis, lais-

sant Kim seule avec son mari. Celui-ci lui offrit de danser sur

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– 148 –

un ton froid et impersonnel. Plus tard, lorsqu'il dansa avec

Ravella, il déploya au contraire tout son charme. Il ne cessa

de lui sourire, ils bavardèrent avec animation en évoluant à

travers la salle, et tous les regards se portèrent sur ce couple

d'une beauté hors du commun. Rock avait trouvé une cava-

lière à son goût et Kim était soulagée de ne plus avoir à sup-

porter sa présence. Pourtant, à force de voir les gens la con-

sidérer avec pitié, elle finit par ressentir un certain dépit de

cette situation et elle décida de se consoler avec Val. Il ne

demandait pas mieux que de danser et de dîner avec elle,

puis de se promener en sa compagnie dans les jardins du

club. Choqué par le comportement de Rock, il eut toutefois le

tact de ne pas le montrer. De même, Susan lança gentiment :

— Ravella est une vraie coquine ! Heureusement, Kim, vous

n'êtes pas d'un tempérament jaloux !

Derrière son sourire, Kim perçut une grande pitié. Un sou-

pir lui échappa malgré elle et elle aurait aimé confier à son

amie les tourments qu'elle endurait depuis quelque temps.

Clive se joignit à eux et il invita Susan à danser. Elle les

suivit des yeux d'un air méditatif, puis sourit à Val.

— Vous êtes perdue dans vos pensées, lui dit-il.

— Je songeais à Susan et à Clive.

Val hocha la tête :

— Ils semblent se plaire beaucoup. J'en suis très contente.

— Jusqu'à présent, Clive ne s'est jamais montré très so-

ciable, et son frère non plus d'ailleurs.

— Comment se fait-il que deux hommes aussi jeunes soient

en possession d'une si grande exploitation ? questionna Kim.

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– 149 –

— Leurs parents se sont retirés des affaires pour s'installer

à Johannesburg, et ils leur ont laissé la ferme. Clive aime

beaucoup ce genre de vie, mais Jack préférerait une profes-

sion plus intellectuelle.

— Comme vous, affirma Kim, se rappelant que Val avait

envie d'écrire des livres.

— En effet, et je n'ai pas renoncé à mes projets. Bart m'a

donné des conseils très précieux.

Kim considéra pendant quelques instants Susan et Clive.

— A votre avis, s'enquit-elle, Jack vendrait-il sa part de

l'exploitation à Clive si celui-ci se mariait ?

— C'est tout à fait possible, accorda Val.

— De son côté, Susan est faite pour vivre dans une ferme,

précisa Kim.

— je le sais. Son père lui confie de plus en plus de respon-

sabilités dans la sienne.

Le jeune homme s'interrompit une seconde et observa les

deux silhouettes harmonieuses de Rock et de Ravella.

—- Je crois que Susan attend avec impatience le départ de

sa cousine.

— Ravella est ici depuis longtemps maintenant.

— Oui, fit Val en observant Kim. Elle est plutôt dange-

reuse...

— Ne vous êtes-vous pas laissé séduire comme les autres ?

lança Kim sur un ton faussement détaché dont Val ne fut pas

dupe.

— Non, pas moi, assura-t-il. Elle ne mérite pas toute cette

admiration.

Page 150: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 150 –

Kim ne répondit pas et peu après, elle se dirigea vers la

piste de danse avec son ami. En passant près de Rock, qui

n'avait toujours pas changé de cavalière, elle croisa son re-

gard. Il brillait de l'éclat ironique que Kim y avait si souvent

vu avant son mariage. Rock se distrayait avec Ravella sans se

soucier de voir sa femme avec Val.

Et pourtant, lorsqu'ils eurent regagné Lusaka un peu après

minuit, il aborda ce sujet :

— J'ai l'impression que vous ne vous êtes pas ennuyée en

compagnie de votre chevalier servant.

Son expression était indéchiffrable. Kim manifesta plus de

vivacité qu'elle ne l'aurait voulu pour répliquer :

— Vous ne vous êtes pas ennuyé non plus avec Ravella.

— C'est vrai, admit-il.

— Elle ne réussit tout de même pas à éblouir tout le monde,

ne put s'empêcher de déclarer Kim.

— Vous faites allusion à Val, je suppose ?

Elle inclina la tête. Debout devant la fenêtre ouverte, elle

contempla le paysage nocturne, immense et paisible.

— Oui, je songeais à lui. Il ne là jugé pas digne d'intérêt.

Rock s'approcha aussi de la fenêtre.

— Votre ami ne partage donc pas mes goûts ?

— Apparemment non.

— Alors... vous avez parlé de moi !

— Votre nom n'a pas été prononcé une seule fois, déclara

sèchement Kim.

— Kim, fit Rock après un long silence, que s'est-il passé ?

Vous ne m'auriez pas épousé si vous ne m'aimiez pas, j'en

suis sûr !

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– 151 –

Il avait parlé très calmement, mais la jeune femme perçut

une note d'anxiété dans sa voix.

— Je vous ai déjà dit, commença-t-elle en faisant semblant

d'être agacée, que j'étais malade quand j'ai accepté de me

marier avec vous. Je n'étais pas dans mon état normal sinon

je n'aurais sûrement pas voulu devenir votre femme.

— N'avez-vous rien à ajouter? questionna brutalement

Rock. N'éprouvez-vous aucun regret ?

— Aucun, bien sûr, fit-elle en se tournant vers lui. Si, je re-

grette de vous avoir épousé !

— Mon Dieu !

Le visage de Rock était aussi paie que le sien.

— Je n'aurais jamais cru qu'un jour vous prononceriez de

telles paroles ! Que devons-nous faire à votre avis ?

Etait-il résigné ? Souhaitait-il un divorce à l'amiable ? Di-

vorcer ! Des larmes brouillèrent le regard de Kim à cette

pensée. Pour elle, le mariage représentait un engagement

éternel. Elle en avait toujours été persuadée et elle n'aurait

jamais épousé un homme qu'elle n'aimât pas de tout son

cœur et de toute son âme. C'était ainsi qu'elle aimait Rock, et

pourtant, par la faute de celui-ci, leur union était condam-

née. Il l'avait gravement trompée en lui faisant croire qu'il

était épris d'elle... Comme elle lui en voulait d'une telle mal-

honnêteté ! Une fois le cher Bart disparu, elle lui rapporterait

la conversation qu'elle avait surprise entre Susan et Ravella.

Mais à présent, c'était Rock qui parlait, répétant sa question

:

— Que devons-nous faire, Kim ?

— Il n'y a qu'une seule solution, répliqua-t-elle sèchement.

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– 152 –

De violentes émotions parurent secouer Rock. Elle crut

même voir que ses lèvres tremblaient, mais elle n'en fut pas

sûre. Peut-être était-il contrarié parce que son plan ne se

déroulait pas comme prévu.

— Suggérez-vous une séparation ? interrogea-t-il.

— Je demande le divorce.

— Nous n'irons pas jusque-là.

— Je me passerai de votre accord. Je suis décidée.

— Vous...

Il serra les dents, mais Kim affronta sa colère sans faiblir.

Elle était habituée à sa violence désormais. Après la mort de

Bart, elle ne serait plus obligée de la supporter. Bart ! Si

seulement elle pouvait passer avec lui les derniers moments

de sa vie ! Hélas, pour ne pas lui causer une horrible peine,

elle était contrainte de feindre d'être heureuse avec Rock.

Pourquoi Bart l'avait-il laissée épouser un homme qui ne

l'aimait pas ? C'était incroyable et pourtant vrai. Il lui sem-

blait encore entendre les paroles de Ravella. Rock l'avait

choisie comme il aurait choisi n'importe quelle autre

femme...

Et soudain, toute cette affaire lui parut étrange. Si Rock

avait vraiment dit à Bart : « Kim me convient aussi bien que

n'importe quelle femme », jamais Bart n'aurait consenti à ce

mariage. Non, c'était impensable. Bart éprouvait trop d'af-

fection pour Kim, il la considérait comme sa fille. Ravella

aurait-elle menti? Dans quel but ? Si encore elle s'était

adressée directement à Kim, elle aurait au moins eu le plaisir

de prendre une petite revanche sur la femme qui avait eu la

chance d'épouser Rock. Mais Ravella avait parlé à sa cousine,

Page 153: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 153 –

et elle se doutait bien que Susan ne répéterait jamais rien à

Kim.

A force de réfléchir, celle-ci découvrit d'autres anomalies.

Ravella ne l'avait-elle pas vue sortir seule dans les jardins du

club ? N'avait-elle pas entraîné exprès sa cousine de l'autre

côté de la haie ?

— Kim, à quoi pensez-vous ? demanda soudain Rock.

— Je cherche à comprendre quelque chose, avoua-t-elle.

Elle fronçait les sourcils.

— Dites-moi quoi, proposa Rock.

Elle secoua la tête.

— C’est inutile, vous ne pourriez pas m'aider.

— Essayons ! fit-il sur un ton persuasif,

— Vous souvenez-vous d'avoir parlé avec Ravella lors du

bal de Noël au club? questionna-t-elle.

— Je ne vois pas où vous voulez en venir.

— C'est sans importance, affirma-t-elle.

— Si, de toute évidence, c'est important pour vous. De quoi

parlez-vous exactement ?

— De la conversation que vous avez eue avec Ravella du-

rant le dîner.

— Durant le dîner... Oui, j'étais avec Ravella, et vous en

face, avec Val.

— C'est exact. Vous souvenez-vous de ce qui s'est passé

quand j'ai quitté la table ?

— Vous êtes partie très rapidement et...

— П ne s'agit pas de moi. Qu'a fait Ravella ensuite? ques-

tionna Кип avec une certaine nervosité.

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– 154 –

— Ravella?

Rock considéra Kim d'un air étrange, comme s'il craignait

qu'elle n'eût pas tous ses esprits.

— N'a-t-elle pas quitté la table tout de suite après moi?

— Kim, que cherchez-vous à prouver ?

Elle poussa un profond soupir, regrettant d'avoir trop

parle.

— Je voudrais savoir si Ravella a quitté la table tout de

suite après moi, répéta-t-elle.

— Il faut que vous ayez un motif très grave pour tant insis-

ter sur ce point.

— Oui... Oui, en effet.

Rock posa sur elle un regard pénétrant.

— Ne consentiriez-vous pas à vous expliquer un peu plus,

Kim ?

Elle s'y refusa d'un mouvement de la tête.

— Je voudrais savoir si Ravella est sortie dans les jardins

avec Susan peu de temps après que j'eus quitté la table. Je ne

peux rien dire d'autre.

Rock parut soudain à bout de patience :

— Pour l'amour du ciel, cessez de faire des mystères !

— Je vous demande pardon, fit-elle en se tournant de nou-

veau vers la fenêtre.

Des considérations troublantes l'assaillaient. Comment

avait-elle pu ajouter si facilement foi aux propos de Ravella ?

A présent, elle les trouvait pour le moins curieux. Comme un

détective, elle s'efforça de reconstituer la scène. Ravella

s'était levée de table juste après elle. Elle avait entraîné sa

cousine dans les jardins sous prétexte de lui parler. Pourquoi

Page 155: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 155 –

donc avait-elle, quitté Rock dont elle appréciait tant la com-

pagnie ? Celui-ci avait apparemment oublié l'incident mais

en fin de compte, Kim n'avait pas besoin de son témoignage.

Elle devinait enfin ce qui s'était passé. Ce fut comme une

illumination qui là glaça d'effroi. Le petit discours de Ravel-

la, tout chargé de venin, lui avait, en fait, été destiné. Tout

concordait. A un moment, Kim avait eu l'impression que la

jeune fille l'épiait à travers la haie. Il ne s'agissait pas d'un

sentiment absurde, au contraire !

Ravella n'avait pas parlé pour sa cousine, mais pour Kim !

Elle avait habilement manœuvré. Pourquoi ? Kim n'éprouva

aucune difficulté à répondre à cette question. Ravella avait

jeté son dévolu sur Rock. En écoutant la conversation de

Bart et de Rock, elle avait appris que ce dernier avait épousé

Kim pour rendre service à son ami et pour avoir, par la

même occasion, un héritier. Découvrant que Rock n'était pas

vraiment amoureux de sa femme, elle avait retrouvé l'espoir

de le séduire. Pour mettre le maximum de chances de son

côté, elle avait eu l'idée de dresser Kim contre son mari.

Comment pouvait-on se comporter d'une manière aussi

monstrueuse ?

Non, ce n'était pas possible, se dit Kim, consternée I par

ses découvertes. Pourtant, à présent, elle était sûre i de son

interprétation. Ravella avait en outre certainement agrémen-

té la conversation de remarques de son cru. Sachant que Kim

l'écoutait, elle avait sans doute déformé les propos des deux

hommes afin de mieux la blesser. Rock n'avait peut-être pas

déclaré que Kim lui convenait aussi bien que n'importe

Page 156: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 156 –

quelle femme. Ces paroles avaient eu pour but d'humilier la

jeune femme, de provoquer plus sûrement sa révolte...

— Kim, fit Rock avec douceur et gravité, dites-moi à quoi

Vous pensez, je vous en prie. J'ai la conviction que si vous

acceptiez de me parier, nous pourrions éclaircir la situation.

Il avait raison, mille fois raison! Hélas, Kim se trouvait

dans l'impossibilité de se confier à lui. Pour protéger Bart,

l'être qui lui était le plus cher au monde, il lui fallait se taire.

Elle devait laisser cet homme merveilleux mourir en paix.

Or, en parlant à Rock, elle prenait un risque. N'allait-il pas

avertir Bart qu'elle était au courant de leurs arrangements

secrets?

En vérité, elle jugeait son mari assez avisé pour ne pas en-

treprendre une action aussi maladroite. Comme elle, il pla-

çait la tranquillité de Bart au-dessus de tout. Toutefois, elle

n'osa pas rompre son silence. D'ailleurs que gagnerait-elle à

lui raconter ce qu'elle avait si malencontreusement appris ?

Une autre semaine s'écoula. Le mois de janvier rut très

chaud et des pluies torrentielles saccagèrent, à plusieurs

reprises, les plantes les plus fragiles des jardins. Bart prépa-

rait son voyage. Kim lui avait demandé des explications et

elle avait été surprise par l'imprécision de sa réponse.

— Je ne vous trouve pas très enthousiaste, déclara-t-elle.

Avez-vous déjà réglé tous les détails de votre séjour ?

A la vue des traits tirés de Bart, des grands cernes sous ses

yeux, elle fut envahie par un violent désespoir. Quel drame !

Et... Si le docteur s'était trompé ? S'il s'était montré trop

pessimiste ? Non, si Rock n'avait pas eu toute confiance en

Page 157: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 157 –

son diagnostic, il aurait poussé Bart à consulter un autre

médecin. L'amitié qu'il éprouvait pour lui l'aurait incité à

tenter l'impossible.

— Rock s'occupe de tout pour moi, fit Bart d'une voix hési-

tante. Il m'a rapporté une brochure de l'agence de voyages de

Tengaville, Où l'ai-je mise ?..... Ah oui, dans le tiroir de mon

bureau ! Voulez-vous reprendre, Kim ? Nous allons la regar-

der. Je suis tout excité à la perspective de partir.

Kim le trouva plutôt abattu mais, sans un commentaire,

elle partit chercher le dépliant. Bart l'ouvrit sur la table.

— Voilà ! Je vais en avion à Johannesburg. Rock me con-

duit naturellement jusqu'à l'aéroport. Je suppose qu'il vous

en a informée.

Kim se contenta d'incliner la tête. Elle songeait à la valise

que Bart avait commencé à remplir. Il comptait n'en empor-

ter qu'une seule. Aurait-il assez de vêtements pour quinze

jours ?

— Je vais donc à Johannesburg et de là, le groupe part le

lendemain. Nous voyagerons dans des jeeps comme sur cette

photographie, vous voyez ? reprit-il gaiement. Le jour même,

nous découvrirons nos premiers animaux sauvages. Et le

lendemain... Tenez, lisez vous-même la brochure.

— Je préférerais venir avec vous, déclara Kim sans regarder

le document qu'il avait poussé vers elle. Je n'aime pas vous

savoir seul loin d'ici.

— Je ne serai pas seul î II s'agit d'un voyage organisé.

Elle hocha la tête d'un air embarrassé.

— Je ne suis tout de même pas tranquille, Bart. Tout aurait

été tellement plus simple si elle avait pu lui dire qu'elle était

Page 158: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 158 –

au courant de sa maladie de cœur et qu'elle voulait rester

avec lui jusqu'au bout ! Elle devait malheureusement se

taire. Bart avait tant désiré lui épargner du chagrin! Il comp-

tait sur Rock pour la soutenir dans l'épreuve que lui inflige-

rait sa mort.

— Vous n'avez nullement besoin de vous inquiéter, affirma-

t-il. Je prendrai soin de moi.

Il jeta un coup d'œil à sa montre et ajouta :

— Sauvez-vous maintenant, sinon Rock va m'accuser de

vous accabler de travail. Vous vous êtes donné beaucoup de

mal ces derniers jours, je vous en remercie. Nous sommes

enfin arrivés au bout de ce chapitre et je partirai l'esprit

libre.

Sur ces paroles, il s'absorba dans ses pensées. Il semblait

déjà parmi ses chers animaux sauvages, loin de Katania

Lodge.

— Vous avez raison, il est temps que je rentre, annonça

Kim en dissimulant de son mieux sa tristesse.

Et pourtant, une peine immense l'étreignait. Elle avait ten-

té de revenir sur le sujet du divorce avec Rock. Il s'était mis

dans une telle colère qu'elle s'était résignée à ne plus en

parler pour le moment. Elle projetait de quitter son mari et

de régler cette question quand elle serait de retour en Angle-

terre.

— Au revoir, Bart, dit-elle en abandonnant à regret

l'homme qu'elle aimait comme son père.

Elle se dirigea vers l'enclos de Sammy et lui murmura des

paroles affectueuses :

— Que tu es gentil, Sammy !

Page 159: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 159 –

Elle caressa l'encolure de ranimai et se mit en selle. Les

yeux pleins dé larmes, elle s'éloigna de Katania Lodge.

Rock se trouvait sur la terrasse lorsqu'elle arriva à Lusaka.

Quand il tourna la tête vers elle, elle retint son souffle.

Comme il était beau et viril avec ses traits nets et sa haute

taille ! Elle se blottit instinctivement contre lui dès qu'il lui

tendit les bras. Sa tête arrivait tout juste à la hauteur du

menton de Rock.

— Je vais m'occuper de Sammy, offrit-il.

Il descendit les marches de la terrasse en une seule enjam-

bée et ajouta :

— Etes-vous fatiguée ?

— Non, je n'avais plus grand-chose à faire aujourd'hui, et

Bart est content d'avoir terminé son chapitre.

— Tant mieux !

Rock s'éloigna avec Sammy. Le cœur serré, Kim le suivit

des yeux. Pourquoi ne l’aimait-il pas autant qu'elle l'aimait ?

Certes, il se montrait toujours très bon pour elle et, si elle

n'avait pas appris la vérité, elle aurait sans doute mené une

vie très agréable auprès lui. Sans les indiscrétions de Ravella,

elle serait encore merveilleusement heureuse. Le comporte-

ment de Rock ne lui aurait jamais permis de soupçonner

qu'il ne l'aimait pas vraiment. Non, à le voir, elle avait plutôt

l'impression qu'il l'adorait. Il avait même osé le lui dire plu-

sieurs fois. Quel comédien ! Lorsqu'il revint, elle lui deman-

da :

— J’aimerais partir avec Bart, est-ce possible?

Il secoua fermement la tête :

— Il n'en est pas question.

Page 160: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 160 –

Son ton inflexible et son expression dure accablèrent Kim.

Elle regretta amèrement de ne pas être libre de prendre elle-

même ses décisions.

— Je suis inquiète, fit-elle d'une voix tremblante. II... il ne

faut pas qu'il oublie ses comprimes, il...

Elle s'interrompit, craignant de se trahir.

— Il pensera à ses médicaments, vous n'avez aucune raison

de vous faire du souci.

Nullement rassurée, Kim insista :

— Mais il est devenu si distrait !

Elle imaginait la conséquence fatale d'un oubli. Victime

d'une défaillance cardiaque, le cher Bart ne reviendrait pas

de son voyage. Elle leva sur Rock des yeux pleins de larmes.

Elle vit qu'il avait pitié d'elle. S'il l'avait prise dans ses bras

en cet instant, elle se serait mise à sangloter et lui aurait

avoué qu'elle savait tout. Mais il ne bougea pas, et resta près

de la balustrade de la terrasse, les lèvres pincées, les traits

figés.

— Je peux seulement vous répéter que vous n'avez pas be-

soin de vous inquiéter, déclara-t-il finalement avec un sou-

pir.

Il détourna précipitamment la tête, comme s'il voulait lui

cacher son expression. Elle ouvrit la bouche pour parler,

mais à cet instant il ramena de nouveau son regard sur elle et

la prit de vitesse :

— Avez-vous envie de dîner au club ?

— Oui, fit-elle faiblement.

— Alors, allez mettre cette jolie robe lilas qui vous va si

bien.

Page 161: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 161 –

Avant de pénétrer dans la maison, Kim considéra son mari.

L'espace d'une seconde, elle crut discerner de l'amour dans

ses yeux, un amour profond et sincère. Mais l'instant sui-

vant, il lui offrait son profil dur et indéchiffrable.

Elle prit un bain, s'habilla et se parfuma. Munie de son sac

de soirée favori et de son manteau en velours, elle s'installa

dans le salon pour attendre Rock. Il apparut quelques ins-

tants plus tard, vêtu d'un veston blanc et d'un pantalon bleu

clair.

— Vous êtes ravissante, déclara-t-il en contemplant la te-

nue élégante, la chevelure soyeuse et la grâce de sa femme.

Son ton indiquait une sorte de retenue, il n'osait pas laisser

éclater son admiration, semblait-il.

La voiture roula presque sans bruit sur la route, ses phares

perçant l'obscurité. Le conducteur ne disait pas un mot et

Kim se prit à regretter d'avoir accepté de sortir. Son exis-

tence se déroulait vraiment différemment de ce qu'elle avait

imaginé. Elle aurait dû se méfier au lieu de tomber si naïve-

ment dans le piège du mariage. Oui, elle était tombée dans

un piège ! Rock s'était montré impatient de l'épouser. En

réalité, il n'avait songé qu'à tranquilliser Bart le plus vite

possible.

Arrivé au club, il gara la voiture, aida Kim à en descendre et

garda son bras sous le sien tandis qu'ils pénétraient à l'inté-

rieur du hall. Comme il y avait très peu de monde, ils purent

choisir leur table dans le restaurant.

— Par ici, proposa Rock en désignant un petit coin bien iso-

lé par de hautes plantes.

Page 162: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 162 –

Cette intimité, cette table éclairée par des bougies et ornée

de fleurs, l'argenterie étincelante et les verres en cristal ému-

rent Kim. Elle eut soudain envie de pleurer sur le bonheur

qu'elle aurait pu connaître et qu'elle ne connaîtrait jamais.

Ils s'assirent et composèrent leur repas. Pendant que Rock

passait la commande au serveur, Kim creusa l'idée qui venait

de lui traverser l'esprit... Avait-elle encore le temps de réali-

ser un plan aussi audacieux ? se demanda-t-elle.

— A quoi pensez-vous ? lança Rock, l'interrompant au mi-

lieu de ses calculs.

— Je pense à Bart et à son voyage. Avez-vous retenu sa

place longtemps à l'avance ?

— Non, c'était inutile. Il aurait pu s'inscrire à la dernière

minute. Son départ approche.

— Oui, fit Kim d'un air songeur. Il sera content de voir en-

fin les animaux dans leur environnement naturel. Il en rêvait

depuis des années.

Rock l'approuva d'un hochement de tête et ils bavardèrent

encore ainsi pendant une dizaine de minutes. Le dîner se

révéla très agréable. Kim dissimula parfaitement ses soucis

et Rock se montra extrêmement aimable.

En traversant la profonde nuit africaine pour revenir à Lu-

saka, Kim comprit qu'elle aurait du chagrin en quittant ce

pays. Elle avait appris à l'aimer et, pendant une brève pé-

riode de bonheur, elle avait cru qu'elle y passerait sa vie.

— Etes-vous contente de votre soirée ? s'enquit Rock.

Son intonation trahissait Une certaine anxiété. Il semblait

redouter que Kim se fût ennuyée en sa compagnie.

— Très contente, répondit-elle.

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– 163 –

— Tant mieux, affirma-t-il en plongeant son regard dans le

sien. Ma chère Kim; si seulement je savais ce qui vous

éloigne de moi !

Quand ils arrivèrent à Lusaka, elle déclara sur un ton un

peu sec :

— Bonne nuit, Rock. A demain.

Il parut hésiter. Ils n'avaient pas dormi ensemble depuis

plusieurs jours. Elle désirait plus que tout, en cet instant, se

blottir dans ses bras... mais il ne l'aimait pas. Jamais plus

elle ne serait à lui, sauf par là force,

— Bonne huit, répliqua-t-il finalement. Dormez bien, Kim.

Il se détourna et entra dans sa chambre. Sa jeune épouse

resta encore un moment à l'endroit où il l'avait laissée. Les

larmes perlaient au bord de ses paupières et d'un instant à

l'autre, elle allait éclater en sanglots.

Page 164: Anne Hampson Autour d Un Jour

– 164 –

10

Kim se rendit à Tengaville très tôt, le lendemain matin. Elle

était d'abord allée à cheval à Katania Lodge et elle avait de-

mandé à Bart la permission de faire des courses avant de

commencer à travailler.

— Bien sûr, ma Chère, partez faire vos courses, lui avait-il

généreusement dit.

Elle lui avait emprunté sa voiture, l'avait garée sur le par-

king du club et avait couru jusqu'à l'agence de voyages.

La personne qui la reçut était très désireuse de lui rendre

service, et elle lui promit de faire diligence afin de lui réser-

ver une place pour le même voyage que Bart. Elle lui deman-

da de repasser le lendemain dans lé but démettre tous les

papiers en règle.

— Je vous prie de ne dire à personne que je pars avec M.

Nash, déclara Kim. Je... je veux lui faire une surprise.

L'homme la considéra d'un air étrange. Il était visiblement

étonné, mais le visage fermé de sa cliente le dissuada de lui

poser des questions. .

— Très bien, répondit-il, vous pouvez compter sur ma dis-

crétion.

— Merci.

Elle repartit en songeant au problème des bagages et trou-

va rapidement une solution :

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– 165 –

— Vous n'aurez pas assez d'une valise, affirma-t-elle à Bart

un peu plus tard dans la matinée. Je vais vous en préparer

une seconde.

— C'est inutile, je vous assure ! lança-t-il avec une expres-

sion étrange qu'il crut dissimuler en se détournant.

Elle feignit de n'avoir rien remarqué et se contenta de dire :

— J'insiste, Bart. Je vous connais, je sais que vous aimez

changer souvent de tenue.

— Bon, accorda-t-il après un moment d'hésitation, prépa-

rez une seconde valise si vous le désirez.

Deux bagages attendaient donc Kim et son mari quand ils

vinrent chercher Bart le samedi suivant pour le conduire à

l'aéroport.

— Deux valises ! fit Rock en fronçant les sourcils. A son vi-

sage, Kim vit qu'il regrettait d'avoir laissé échapper cette

exclamation.

— Oui, expliqua Bart sur un ton apaisant, Kim a tenu à ce

que j'emporte davantage de vêtements.

Dès leur arrivée à l'aéroport, ils firent enregistrer ces ba-

gages, puis Rock entraîna ses deux compagnons au bar. Kim

était si énervée et anxieuse qu'elle avait du mal à saisir son

verre sans en renverser le contenu. Parviendrait-elle à exécu-

ter son plan ? Bien souvent, elle avait vu des gens se présen-

ter à l'embarquement d'un avion à la dernière minute. Pour-

quoi pas elle ?

— Vous êtes pâle, Kim, observa Bart. Je vais faire un beau

voyage ; ne vous inquiétez pas pour moi.

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– 166 –

— Je ne me sens pas très bien, déclara-t-elle sans regarder

les deux hommes. Ne vous étonnez pas si je disparais tout à

coup dans les lavabos.

— Mon Dieu, je suis navré ! s'écria Bart. Pourquoi vous

êtes-vous mise dans un état pareil ? Vous n'avez vraiment

aucune raison de vous rendre malade.

— Ce n'est rien. Mes nerfs me jouent un petit tour, rien de

plus, affirma-t-elle.

Ses nerfs étaient en vérité mis à rude épreuve. Elle avait

conçu un plan délicat à réaliser. Elle avait réussi à se faire

inscrire pour, le même voyage que Bart. Ses affaires, placées

dans l'une des valises de celui-ci, se trouvaient sans doute

dans l'avion à présent. La première partie du plan s'était

déroulée au mieux. Elle avait failli échouer quand Bart avait

soudain voulu ouvrir ses bagages.

— Tout est bien rangé, avait-elle affirmé. Vous n'ayez pas

besoin de regarder. Il ne manque rien.

Il avait éclaté de rire :

— Très bien ! Vous avez pris beaucoup d'assurance depuis

que vous êtes mariée !

La seconde partie du pian présentait de plus grandes diffi-

cultés. Kim savait du moins exactement ce qu'elle devait

faire. Lorsque tous trois eurent fini leurs verres, elle déclara :

— Nous partirons dès qu'on vous appellera dans la salle

d'embarquement, Bart. J'ai horreur d'assister aux décollages

et aux atterrissages, vous me connaissez ?

— Oui, partez, je vous en prie, fit-il, et Rock acquiesça aus-

si.

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– 167 –

Jusqu'ici tout se passait bien. Quand Bart les quitterait,

Kim n'aurait plus qu'à faire semblant d'être malade et à se

précipiter vers les lavabos. Rock irait l'attendre dans la voi-

ture...

Kim venait de parcourir entièrement l'avion deux fois de

suite et sans réussir à repérer Bart. Elle avait baissé la tête et

rabattu son chapeau sur ses yeux pour monter dans l'appa-

reil sans être reconnue. Elle savait pourtant qu'il ne l'aurait

sûrement pas remarquée car, aussitôt qu'il était installé à sa

place, il se plongeait dans un livre. Il ne l'avait jamais avoué,

mais il redoutait toujours le décollage et il préférait être

occupé pendant qu'il avait lieu. Où se trouvait-il à présent ?

Kim se décida à s'asseoir. Cette fois, elle était malade pour

de bon. Essayant de se rassurer, elle se dit que Bart était

entré dans les toilettes pendant qu'elle regardait d'un autre

côté. Elle s'exhorta au calme. Rock avait sûrement découvert

le message qu'elle lui avait laissé sur le tableau de bord de sa

voiture. Elle n'aurait tout de même pas voulu qu'il s'inquiète

sans savoir ce qu'elle était devenue. Il était certainement,

entré dans une colère terrible. Tant pis. L'important pour

Kim était d'accompagner Bart. Mais où était-il ?

Au bout d'un moment, elle finit par s'adresser à une hô-

tesse. Celle-ci partit consulter la liste des passagers et revint

lui annoncer que le nom de Bart n'y figurait pas.

Consternée, Kim ouvrit de grands yeux :

— Il n'est pas à bord de l'avion ? Mais c'est impossible !

— Je vous assure qu'il n'est pas ici, soutint l'hôtesse.

— Il n'a pourtant pas pu se tromper d'avion ! s'écria Kim.

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– 168 –

— Non, fit son interlocutrice. Etes-vous absolument sûre

qu'il s'est embarqué pour un vol ?

— Oui...

Kim fut soudain saisie d'un doute horrible.

— Nous l'avons accompagné, mon mari et moi, ajouta-t-

elle. Nous l'avons quitté au moment où les passagers de cet

avion étaient appelés dans la salle d'embarquement.

— Vous ne pouvez donc pas affirmer qu'il est monté dans

l'appareil.

— Non, murmura Kim de plus en plus songeuse. L'hôtesse,

sollicitée par d'autres passagers, dut s'excuser et elle aban-

donna Kim. La jeune femme était en proie à une vive confu-

sion. Bart n'avait préparé qu'une seule valise pour un voyage

de quinze jours. Cela ne lui ressemblait pas du tout. De si

modestes bagages lui auraient suffi tout au plus pour une

semaine.

En repassant près d'elle avec un chariot de boissons l'hô-

tesse la tira de ses réflexions. Elle en profita pourl'interroger

de nouveau :

— Est-ce que d'autres avions ont décollé à la même heure

que celui-ci ?

— Il n'y avait qu'un vol pour Durban, répondit-elle. C'est

un petit aéroport, vous savez.

Durban ? Non, Bart n'était sûrement pas allé à Durban.

Pourquoi lui aurait-il raconté qu'il se rendait à Johannes-

burg pour participer à un voyage organisé si ce n'était pas

vrai ? Le problème de l'unique valise qu'il désirait emporter

continuait à tracasser Kim. D'autres détails commencèrent à

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– 169 –

lui paraître étranges. Bart n'avait rien lu pour préparer son

voyage. D'ordinaire, il se documentait toujours beaucoup sur

les régions qu'il allait visiter. Et Rock avait manifesté un

violent étonnement en découvrant qu'il partait finalement

avec deux valises. Il s'attendait de toute évidence à n'en voir

qu'une. Pourquoi ?

Une peur soudaine s'insinua en Kim. Ces temps-ci, son

existence était troublée par des secrets et des mystères. Le

voyage de Bart cachait quelque chose. A présent, elle en était

persuadée. Même si cela avait été possible, il ne se serait

jamais trompé d'avion.

Arrivée à Johannesburg, Kim se rendit à l'hôtel où devaient

se réunir les membres du voyage. Malgré elle, elle croyait

encore au miracle et espérait y retrouver Bart. Pénétrant

dans le hall, elle s'adressa à l'employé de la réception. Il lui

indiqua le salon où le guidé responsable du voyage attendait

les participants.. Il s'agissait d'un Africain de haute taille qui

parlait un anglais impeccable. Après avoir écouté ses explica-

tions, il consulta sa liste et secoua la tête. Kim avait compris

avant d'avoir reçu sa réponse.

— Je ne vois personne du nom de Bartlet Nash, déclara-t-il.

Puis-je vous aider ?

— Il faut que je rentre chez moi, annonça Kim d'une voix

éteinte.

— Vous renoncez à votre voyage ! Vous avez payé, Miss

Mason. Vous vous désistez trop tard pour être remboursée.

— Tant pis, répliqua-t-elle.

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– 170 –

Conséquence de toutes ces émotions, une grande fatigue

l'envahit. Elle venait de s'apercevoir enfin que Bart et Rock

avaient encore une fois agi derrière son dos. Bart ne courait

certainement aucun danger là où il était parti, se dit-elle

pour se rassurer. Elle n'avait cependant aucune raison d'en-

treprendre le voyage sans lui.

— Je dois rentrer chez moi le plus vite possible, répéta-t-

elle.

Elle avait l'intention de sommer Rock de tout lui raconter

cette fois. Les deux hommes s'étaient vraiment mal compor-

tés envers elle. Ils l'avaient trompée. Pour la première fois,

elle avait l'impression de n'être qu'une employée pour Bart.

Il n'était pas obligé de la tenir au courant de tous ses faits et

gestes et il venait de le prouver.

— Bien, Miss Mason, si vous êtes décidée à repartir, je vais

me renseigner sur le prochain vol.

— Je vous remercie, vous êtes très gentil, fit-elle en consi-

dérant le guide avec reconnaissance.

— Je suis surtout désolé de n'avoir pas réussi à vous con-

vaincre de faire ce voyage.

Par bonheur, il n'insista pas davantage sur ce sujet et se

borna à ajouter :

— Vous serez quand même obligée de passer la nuit ici.

Kim monta directement dans sa chambre. Elle ne redes-

cendit pas pour le dîner et dormit d'un sommeil agité. Le

lendemain matin, elle apprit qu'elle n'avait pas d'avion pour

rentrer chez elle avant trois jours.

— Trois jours ! s'écria-t-elle, horrifiée.

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— Il n'y a plus de place avant, je me suis renseigné, expli-

qua le guide.

Elle pressa sa main contre sa bouche pour retenir des san-

glots d'anxiété et de colère. Où était Bart ? Rock le savait

sûrement.

— Je le déteste ! lança-t-elle tout haut une fois qu'elle eut

regagné sa chambre. Comment a-t-il pu oser me tromper à

ce point ?

Elle décrocha le téléphone et indiqua au standardiste le

numéro de son mari. Quelques instants plus tard, elle obtint

la communication. Elle n'était pas d'humeur à se contrôler :

— Où est Bart ? interrogea-t-elle, folle de rage.

— Ne vous inquiétez pas, je...

— Où est-il ? cria-t-elle dans l'appareil.

Ne recevant pas de réponse, elle s'alarma soudain.

— Est-ce que... Est-il...?

Non, il ne lui était certainement rien arrivé.

— Dites-moi où est Bart, je l'exige !

— Kim, je vous rejoins ce soir, annonça Rock d'une voix

apaisante. J'étais sur le point de vous appeler. J'ai pu obtenir

une place dans le prochain avion pour Johannesburg et je...

— Où est Bart ? Vous pouvez rester à Lusaka, je n'ai pas

besoin que vous veniez me chercher. Ne prenez pas cette

peine ; j'ai déjà un billet pour le vol qui part dans trois jours.

Je ne veux pas vous voir, je veux voir Bart. Pourquoi faites-

vous tant de mystères? hurlât-elle sur un ton presque hysté-

rique. Où est-il ?

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— Bon, je vais trahir la promesse que je lui avais faite. Je

crois que les circonstances le justifient... Bart est entré à

l'hôpital de Durban pour... subir une opération du cœur.

Après un long silence consterné, Kim répéta en tremblant

de tous ses membres :

— A l'hôpital ? Pourquoi ne... ne m'en avez-vous pas avertie

?

— Bart ne voulait pas vous le dire. Nous venons de nous

marier, il craignait d'assombrir votre bonheur....

Il y eut encore un long silence, puis Rock ajouta :

— Ecoutez, Kim, je vous expliquerai tout ce soir. Je serai

avec vous pour le dîner.

— Entendu.

Elle raccrocha sur cette parole très sèche.

Tout de suite après, elle appela l'hôpital de Durban. On lui

répondit seulement que l'opération de Bart aurait lieu le

lendemain.

Rock arriva à sept heures et demie. Dès qu'il vit Kim dans

le hall de l'hôtel, il s'écria :

— Petite sotte ! Comment avez-vous osé me donner tant de

soucis !

Elle le fusilla du regard :

— De quel droit parlez-vous de soucis ! C'est moi qui ai des

soucis ! Vous vous êtes bien moqué de moi ! Je…

— Ne pourrions-nous pas poursuivre cette conversation

dans votre chambre ? coupa Rock sur un ton glacial. Cela

vous amuse peut-être de vous donner en spectacle, mais pas

moi !

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D'un pas rageur, Kim se dirigea vers l'ascenseur. Quelques

instants plus tard, elle faisait face à son mari dans l'intimité

de sa chambre.

— Si j'avais su ce que vous complotiez, je vous aurais en-

fermée à clé ! gronda-t-il.

Pâle et bouleversée, elle parvint pourtant à rétorquer :

— Vous vous faites des illusions ! Croyez-vous pouvoir

m'emprisonner ? J'aurais réussi à m'échapper, faites-moi

confiance !

Rock se détourna avec impatience et jeta son pardessus sur

le lit.

— Voulez-vous savoir pourquoi Bart s'est décidé à entrer à

l'hôpital ? demanda-t-il d'une voix neutre.

— Oui, bien sûr.

Elle se posta à la fenêtre pour lui cacher ses larmes. Il ne

devait pas voir combien elle souffrait de l'état actuel de leurs

relations. Elle l'avait attendu pendant une heure en bas, dans

le hall. En dépit du bon sens, elle avait espéré une réunion

dans l'amabilité et la gentillesse. Elle s'était promis de se

montrer, indulgente, d'écouter les explications que Rock lui

fournirait pour excuser son comportement. Mais au lieu de

s'excuser, il était entré dans l'hôtel comme un fou, l'air fu-

rieux, et il l'avait traitée de « petite sotte ». Elle n'avait évi-

demment pas pu s'empêcher de riposter avec la même vio-

lence. Si quelqu'un avait des raisons de se fâcher, c'était bien

elle.

—Pourquoi Bart s'est-il décidé à entrer à l'hôpital ? répéta-

t-elle.

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Un silence pesant régna pendant quelques instants dans la

pièce. Rock commença enfin à parler et, en l'écoutant, Kim

sentit toute sa colère la quitter. Stupéfaite, confondue, elle fit

inconsciemment quelques pas pour se rapprocher de son

mari.

— Ainsi, vous n'aviez pas confiance dans le diagnostic du

médecin de Tengaville et vous avez pris contact avec un

spécialiste de Durban ! Vous avez tout organisé depuis le

début !

Rock hocha la tête. Il se tenait droit, les mains dans les

poches. Une sombre expression durcissait ses beaux traits.

— Mais quand Bart a-t-il vu ce spécialiste ? demanda Kim.

— Un jour où il vous a envoyée faire des courses pour lui à

Tengaville. Le spécialiste était venu en avion et je l'avais reçu

chez moi, à Lusaka. Comme je viens de vous le dire, Bart

tenait absolument à vous éviter des soucis. Il ne voulait pas

que vous vous inquiétiez. J'ai conduit le médecin à Katania

Lodge et il l'a examiné. Il a estimé que Bart avait une chance

de guérir à condition de se faire opérer. Mais d'un autre côté,

il risque de né pas survivre à cette opération.

Rock haussa les épaules :

— Vous savez le reste. Je vous ai tout raconté.

Sidérée, Kim murmura presque pour elle-même :

— Cela s'est passé avant notre mariage.

— Evidemment, répondit Rock en la regardant sans com-

prendre la raison de cette remarque. Qu'est-ce que cela peut

bien faire ?

Elle avança encore d'un pas vers son mari et prit une

grande inspiration avant de déclarer :

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— Vous saviez donc avant notre mariage que Bart avait une

chance de guérir.

— Oui, fit-il en fronçant les sourcils. J'espère que vous n'al-

lez pas vous lancer encore une fois dans l'une de vos incom-

préhensibles enquêtes.

Si la situation avait été moins grave, Kim aurait souri. Elle

retrouvait l'homme qu'elle avait connu avant son mariage,

avec sa brusquerie, ses paroles méprisantes et son air supé-

rieur.

— J'ai appris que Bart vous avait prié de m'épouser, décla-

ra-t-elle sans se départir de son calme.

— Vous êtes au courant ! Mais comment ?

— Je vous l'expliquerai plus tard. Dites-moi d'abord pour

quelle raison vous l'avez fait.

L'espace d'une seconde, il parut surpris, puis il écarquilla

les yeux, comme s'il venait de faire une découverte ahuris-

sante.

— Vous savez que Bart m'a demandé de vous épouser, c'est

bien cela ?

Il leva la main d'une manière autoritaire lorsque Kim vou-

lut parler et poursuivit :

— Je parie que dans votre pauvre petite tête, vous vous êtes

imaginé que je m'étais marié pour rendre service à Bart.

Sur ces mots, il éclata si bruyamment de rire que Kim pres-

sa ses mains contre ses oreilles.

— Ai-je l'air d'un homme qui commet ce genre de bêtises ?

— N... non, reconnut-elle en laissant retomber ses bras.

Rock...

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Elle avança encore d'un pas, mais il ne bougea pas. Il sem-

blait terriblement sévère.

— Je... je crois que... que j'ai fait une…

Elle essaya d'avaler la petite boule qui l'étranglait, mais en

vain, et elle termina sa phrase dans un soufflé :

— ... une erreur impardonnable.

Rock croisa les bras et considéra d'un air menaçant la jeune

femme qui baissait la tête.

— Approchez, ordonna-t-il.

Kim restant immobile, il répéta :

— Approchez... sinon je vais me fâcher. Venez ici !

Elle obéit aussitôt en rougissant violemment.

— Je suis désolée...

— Désolée ! coupa-t-il. Croyez-vous pouvoir effacer avec un

mot tous les tourments que vous m'avez infligés ! Je vous

préviens, Kim, j'ai l'intention de vous apprendre la raison

dès que nous serons rentrés à Lusaka. Racontez-moi immé-

diatement comment vous avez su que Bart m'a demandé de

vous épouser.

Cette fois encore, elle s'exécuta aussitôt. Pendant qu'elle

parlait, elle fut obligée d'affronter le regard de Rock car il lui

tenait la tête levée vers lui.

— Au bout d'un certain temps, j'ai compris que Ravella

s'était arrangée pour que j'entende sa conversation avec sa

cousine, dit-elle pour finir.

Elle n'osa pas tenter de détourner la tête car Rock arborait

une expression terrible,

— Comme je vous admire d'avoir deviné les intentions de

Ravella ! fit-il sur un ton ironique. Pourriez-vous m'expli-

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quer pourquoi vous ne m'avez pas tout de suite rapporté ses

propos ? N'avez-vous pas eu l'idée de tirer la situation au

clair ? Je vous ai priée à plusieurs reprises de vous confier à

moi. Cela nous aurait évité bien des souffrances.

— Oui... Vous avez raison. Je... je regrette de...

Elle poussa un petit cri car Rock, dans sa colère, n'avait pu

s'empêcher de la secouer brutalement.

— Racontez-moi tout ! commanda-t-il.

— Vous savez tout, balbutia-t-elle.

Des larmes perlaient au bord de ses paupières.

— Je... j'avais l'intention de... de vous quitter quand Bart...

— Me quitter!

Il la secoua de nouveau. Elle se souvint de l'avertissement

de Rock. Elle devait se garder de le mettre hors de lui, mais il

était trop tard.

— Vous vouliez me quitter ! gronda-t-il. Croyez-moi, Kim,

je vous aurais retrouvée et fait passer l'envie de me jouer un

tel tour !

Elle recula en entendant ces paroles.

— Si vous continuez à vous montrer si violent, je ne rentre-

rai pas avec vous à Lusaka, déclara-t-elle en rassemblant son

courage pour se défendre.

— Souhaitez-vous vraiment que nous nous séparions ?

Se séparer de Rock ! Ne plus vivre auprès de lui ! Eperdue,

elle se mordit les lèvres, et Rock ne lui laissa pas le temps de

chercher une réponse. Estimant qu'il l'avait assez punie, il

l'attira contre lui et l'embrassa tendrement.

— Petite folle, murmura-t-il, adorable petite sotte!

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Il l'embrassa de nouveau, avec une passion qui dissipa tous

les doutes et tous les malentendus.

— Kim, ma chérie... que vais-je faire avec une femme

comme vous ?

— Aimez-moi, fit-elle dans un souffle.

Un peu plus tard, ils s'installèrent dans le coin le plus isolé

du restaurant de l'hôtel. Là, ils finirent de s'expliquer. Bart

avait en effet demandé à Rock de se marier avec Kim. Mais

celle-ci apprit qu'il n'avait pas accédé à sa requête par pure

amitié. II était amoureux d'elle.

— Je dois avouer qu'au début j'ai combattu mon désir de

vous épouser, avoua-t-il avec un sourire en posant sur Kim

un regard ému. Je menais une vie de célibataire très facile et

agréable. Je ne voulais pas y renoncer à cause d'une femme.

Mais je me suis très vite rendu compte que je ne pouvais pas

me détacher de vous. J'ai lutté tout en sachant la bataille

perdue d'avance.

Rougissante, elle déclara avec un petit rire confus :

— Je suis très heureuse que vous ayez perdu la bataille.

— Moi aussi, ma chérie.

— Si seulement Bart pouvait guérir...

La voix lui manqua un instant, puis elle ajouta :

— ... Mon bonheur serait complet.

— Il faut avoir de l'espoir, affirma Rock d'un air grave. Et si

l'opération ne réussissait pas, je serais là pour vous consoler.

A partir de maintenant, je serai toujours auprès de vous pour

vous soutenir dans les épreuves.

Elle hocha la tête et lui sourit avec confiance.

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— Je le sais, Rock. Et vous, vous pourrez toujours compter

sur moi.

Après le dîner, ils se promenèrent un peu dans le parc de

l'hôtel et ils s'endormirent ensuite tendrement dans les bras

l'un de l'autre.

Une semaine plus tard, ils étaient pleinement rassurés.

L'opération de Bart avait réussi.

— Il a bonne mine, n'est-ce pas ? lança Kim tandis qu'elle

sortait de sa chambre, à l'hôpital, avec son mari. Et c'est

grâce à vous, Rock !

La main dans la main, ils longeaient le couloir blanc.

— Je ne pourrai jamais assez vous remercier, ajouta-t-elle.

— Ne me remerciez pas, mais gardez-moi votre amour pour

toujours, répondit-il du fond du cœur.

A la porte de l'hôpital climatisé, ils furent accueillis par le

chaud soleil africain. La réponse de Kim s'éleva dans l'air

parfumé :

—- Vous aimer sera la tâche la plus douce de ma vie.