affaire riza et autres c. bulgarie
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
(Requêtes no 48555/10 et 48377/10)
ARRÊT
STRASBOURG
13 octobre 2015
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la
Convention. Il peut subir des retouches de forme.
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 1
En l’affaire Riza et autres c. Bulgarie,
en une chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Nona Tsotsoria,
Zdravka Kalaydjieva
Krzysztof Wojtyczek, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 septembre 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes dirigées contre la
République de Bulgarie : la première, no 48555/10, introduite par un citoyen
bulgare, M. Rushen Mehmed Riza, et un parti politique bulgare, Dvizhenie
za Prava i Svobodi (Mouvement pour les droits et libertés – « le DPS ») et
la seconde, no 48377/10, introduite par 101 autres ressortissants bulgares,
dont les noms, dates de naissance et lieux de résidence figurent en annexe.
La Cour a été saisie de ces deux requêtes le 14 août 2010 en vertu de
l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Tous les requérants ont été représentés par Me S.O. Solakova, avocate
à Sofia. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté
par ses agentes, Mmes N. Nikolova et A. Panova, du ministère de la Justice.
3. M. Riza et le DPS, d’une part, et les 101 autres requérants, d’autre
part, alléguaient en particulier que la décision de la Cour constitutionnelle
bulgare d’annuler les résultats électoraux dans 23 bureaux de vote ouverts à
l’étranger lors des élections législatives bulgares de 2009 avait porté une
atteinte injustifiée respectivement à leur droit de se porter candidat et à leur
droit de voter, droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1 à la
Convention.
4. Le 4 avril 2011, la requête no 48555/10, introduite par M. Riza et le
DPS, a été communiquée au Gouvernement. Le 8 juillet 2014, la requête
no 48377/10, introduite par 101 ressortissants bulgares, a également été
communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la
Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en
même temps sur la recevabilité et sur le fond des requêtes.
5. Le 10 février 2015, la chambre a décidé de joindre les deux requêtes,
comme le lui permet l’article 42 § 1 du règlement de la Cour et d’inviter la
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juge élue au titre de la Bulgarie, Z. Kalaydjieva, de participer à l’examen
ultérieur de l’affaire en vertu de l’article 26 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Le contexte général de l’affaire
6. Les 101 requérants, dont les noms figurent en annexe, sont des
ressortissants bulgares d’origine turque ou/et de confession musulmane qui
résident ou ont résidé en Turquie. Ils ont tous exercé leur droit de vote lors
des élections législatives bulgares de 2009 dans 17 des bureaux de vote
ouverts sur le territoire turc, pour lesquels les résultats électoraux ont par la
suite été contestés par le parti politique RZS et annulés par la Cour
constitutionnelle bulgare.
7. Selon les données officielles du dernier recensement de la population
effectué en Bulgarie en 2011, 588 318 personnes ont déclaré appartenir à
l’ethnie turque, soit 8,8 % des personnes ayant répondu à cette question, et
577 139 personnes ont déclaré être de confession musulmane. Depuis la fin
des années 1980, les membres de ces communautés ont été impliqués dans
d’importants mouvements migratoires à la suite desquels plusieurs d’entre
eux se sont installés en Turquie. La Cour ne dispose pas d’informations
provenant de sources officielles sur le nombre exact des citoyens bulgares
d’origine turque ou de confession musulmane résidant, de manière
temporaire ou permanente, en Turquie. Les estimations de ce nombre
varient considérablement et se situent, en général, entre 300 000 et
500 000 personnes, toutes classes d’âge confondues.
8. Le DPS fut fondé en 1990. Ses statuts le définissent comme un parti
politique libéral qui a pour but de contribuer à l’unité de tous les citoyens
bulgares et à la protection des droits et libertés des minorités en Bulgarie
tels que garantis par la Constitution et les lois nationales ainsi que par les
instruments internationaux ratifiés par la République bulgare.
9. Dès sa création, le DPS participa à toutes les élections législatives et
municipales en Bulgarie. Il fit élire des députés au Parlement national à
toutes les élections législatives organisées depuis 1990. Entre 2001 et 2009,
il participa à deux gouvernements de coalition successifs. Plusieurs de ses
dirigeants et adhérents appartiennent aux minorités turque et musulmane de
Bulgarie.
10. M. Riza est né en 1968 et réside à Sofia. Membre du DPS, il en est
également l’un des vice-présidents et il est membre du bureau exécutif
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central du parti. Il est actuellement député à l’Assemblée nationale, élu sur
la liste de son parti.
11. Ces deux requérants affirment que la majorité des citoyens bulgares
qui résident actuellement en Turquie ont voté pour le DPS aux élections
législatives organisées au cours des vingt dernières années.
B. Les élections législatives bulgares du 5 juillet 2009
12. Par un décret du 28 avril 2009, le président bulgare fixa au 5 juillet
2009 la date des élections de la 41e Assemblée nationale. La loi électorale
introduisit pour la première fois un système électoral mixte : 31 députés
devaient être désignés au scrutin majoritaire dans des circonscriptions
uninominales et 209 à la proportionnelle au niveau national dans
31 circonscriptions plurinominales.
13. Les citoyens bulgares résidant à l’étranger avaient le droit de voter
aux élections législatives, mais uniquement pour les partis et coalitions, et
leurs voix étaient prises en compte dans la répartition proportionnelle des
mandats entre les formations politiques au niveau national (paragraphe 64
ci-dessous). Après avoir reçu l’accord des autorités compétentes des pays
concernés, les représentations diplomatiques bulgares ouvrirent 274 bureaux
de vote dans 59 pays, dont 123 en Turquie.
14. Le 20 mai 2009, la commission électorale centrale enregistra le DPS
comme participant aux élections législatives. Le DPS présenta des listes de
candidats dans plusieurs circonscriptions plurinominales et uninominales. Il
fut également inclus dans le bulletin conçu pour le vote des citoyens
bulgares résidant à l’étranger. M. Riza fut placé en deuxième position sur la
liste des candidats de son parti pour la 8e circonscription plurinominale
(Dobrich).
15. Parmi les 101 requérants (voir la liste en annexe), 13 requérants
(nos1, 13, 17, 21, 26, 30, 39, 51, 59, 74, 75, 89 et 94) soutiennent qu’ils
avaient tous remis en personne des déclarations préalables d’intention de
vote dans les représentations diplomatiques bulgares en Turquie. Les
diplomates bulgares leur auraient demandé de participer à des commissions
électorales locales à Istanbul, Bursa, Çerkezköy, Çorlu et İzmir en tant que
présidents, secrétaires ou membres ordinaires, ce qu’ils auraient accepté. Ils
auraient été convoqués le 4 juillet 2009 dans les locaux des représentations
diplomatiques et consulaires bulgares, où des diplomates bulgares les
auraient renseignés sur les formalités à respecter au cours de la journée
électorale, notamment sur la manière de remplir les listes électorales.
Certains requérants affirment qu’ils n’ont reçu à ce sujet qu’une seule
instruction, qui serait la suivante : les personnes se présentant le jour du
scrutin sans être préinscrites devaient être inscrites sur les pages
additionnelles de la liste des électeurs et le dernier nom ajouté le jour du
scrutin devait être suivi d’un « Z ».
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16. Ces 13 requérants soutiennent que leur nom ne figurait pas sur la
liste du bureau de vote où ils devaient officier en tant que membre d’une
commission électorale. Ils indiquent tous avoir voté dans leurs bureaux de
vote respectifs en se faisant inscrire le jour du scrutin et en apposant leur
signature en face de leurs nom et prénom. Ils assurent en outre avoir
soigneusement marqué leur choix sur leur bulletin de vote sans y apposer
d’autres signes et avoir glissé celui-ci dans l’urne.
17. Les 13 requérants exposent par ailleurs que la journée électorale
s’est déroulée sans problème particulier. Ils indiquent que leurs
commissions respectives étaient composées de ressortissants bulgares
habitant leurs villes respectives et de représentants du ministère bulgare des
Affaires étrangères. Selon ces requérants, certains bureaux de vote ont reçu
la visite de l’ambassadeur et du consul général bulgare, d’autres ont fait
l’objet de reportages réalisés par des équipes de la télévision et de la radio
publiques bulgares, et aucune irrégularité n’a été constatée. À la fin de la
journée électorale, les commissions locales auraient procédé au
dépouillement, rempli les procès-verbaux nécessaires et remis les papiers
électoraux aux représentants diplomatiques bulgares.
18. Les 88 autres requérants affirment qu’à l’époque des faits ils
résidaient en Turquie. Quelques-uns d’entre eux auraient envoyé des
déclarations préalables d’intention de vote aux représentations
diplomatiques bulgares, mais on ne leur aurait pas indiqué en retour dans
quel bureau de vote ils pouvaient voter. Le jour du scrutin, tous ces
requérants se seraient ainsi présentés dans le bureau de vote le plus proche
dans leurs villes respectives. Leur nom aurait été ajouté de façon manuscrite
aux listes d’électeurs et, après avoir exercé leur droit de vote, ils auraient
apposé leur signature à côté de leur nom.
19. D’après les informations disponibles sur le site de la commission
électorale centrale (http://pi2009.cik.bg), à l’issue des élections du 5 juillet
2009, six partis et coalitions politiques ont dépassé le seuil de 4 % des votes
exprimés et ont été intégrés dans la répartition proportionnelle des mandats
à l’Assemblée nationale : le parti GERB, la Coalition pour la Bulgarie, le
parti DPS, le parti Ataka, la Coalition bleue et le parti RZS.
20. Le DPS totalisa 610 521 voix, soit 14,45 % des suffrages valides, ce
qui lui conféra la position de troisième parti politique du pays. Il obtint
61,18 % des votes à l’étranger, soit 93 926 voix, dont 88 238 dans les
bureaux ouverts sur le territoire turc. Il emporta largement les élections dans
les 17 bureaux de vote – à Istanbul, Bursa, Çerkezköy, Çorlu et İzmir – où
les 101 requérants avaient voté. Par une décision du 7 juillet 2009, la
commission électorale centrale attribua au DPS 33 mandats au Parlement en
application du système proportionnel de représentation, auxquels
s’ajoutèrent cinq mandats remportés dans les circonscriptions uninominales
au scrutin majoritaire.
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21. À la suite de la répartition des mandats obtenus par le DPS au niveau
national dans les 31 circonscriptions plurinominales, le parti fit élire un seul
député dans la 8e circonscription. Toutefois, à la suite d’un recours introduit
devant la Cour constitutionnelle par une autre formation politique, la
Coalition bleue, et d’un recomptage des voix dans un bureau de vote de la
19e circonscription, la commission électorale centrale procéda à une
nouvelle répartition entre les 31 circonscriptions plurinominales des
mandats obtenus par les partis politiques au niveau national. Le DPS obtint
alors un deuxième mandat dans la 8e circonscription, où M. Riza figurait en
deuxième position sur sa liste de candidats, et perdit un des deux mandats
initialement remportés dans la 19e circonscription plurinominale. Le
12 octobre 2009, M. Riza fut déclaré élu à l’Assemblée nationale. Il prêta
serment en tant que député et devint membre du groupe parlementaire de
son parti. Le 20 janvier 2010, il fut élu membre de la commission
parlementaire d’éthique et de lutte contre la corruption et les conflits
d’intérêts.
C. La procédure de contestation des résultats électoraux devant la
Cour constitutionnelle
1. L’introduction du recours par le parti RZS
22. Le 21 juillet 2009, le président et trois membres du parti politique
RZS (Red, Zakonnost, Spravedlivost – « le Parti de l’ordre, de la légalité et
de la justice »), tendance droite conservatrice, demandèrent au procureur
général d’introduire devant la Cour constitutionnelle le recours prévu par
l’article 112 de la loi électorale en vue de faire annuler l’élection de sept
députés du DPS, en raison de plusieurs irrégularités qui auraient eu lieu
dans les 123 bureaux de vote ouverts sur le territoire turc. Les quatre
demandeurs dénonçaient plusieurs violations de la législation électorale en
relation avec la constitution desdits bureaux de vote et le déroulement du
scrutin dans ceux-ci : la règle imposant l’ouverture d’un bureau de vote
pour chaque centaine de déclarations préalables d’intention de vote n’aurait
pas été respectée sur le territoire turc ; certains électeurs auraient exercé leur
droit de vote une fois sur le territoire national et une deuxième fois dans un
bureau de vote ouvert sur le territoire turc ; des données inexactes auraient
été consignées dans les procès-verbaux rédigés par les commissions
électorales concernant le nombre des votants dans les bureaux de vote en
question ; 23 de ces bureaux auraient accueilli plus de 1 000 électeurs, ce
qui aurait été impossible dans la pratique, compte tenu de la durée de la
journée électorale et du temps nécessaire pour l’accomplissement des
formalités nécessaires pour chaque électeur ; et les commissions électorales
de ces bureaux de vote auraient dans certains cas admis dans l’isoloir des
personnes sans pièce d’identité bulgare valide. Les demandeurs invitaient la
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Cour constitutionnelle à vérifier l’authenticité des demandes préalables de
vote émises sur le territoire turc, à effectuer des vérifications des listes
électorales établies sur le territoire bulgare où les personnes désirant voter
en Turquie avaient leur adresse permanente et à constater la nullité des
procès-verbaux rédigés par les commissions électorales responsables des
bureaux de vote ouverts sur le territoire turc. D’après les demandeurs, le
grand nombre d’irrégularités commises dans le processus électoral dans les
123 bureaux de vote en question imposait l’annulation des voix obtenues
dans ceux-ci, annulation qui aurait entraîné la modification des résultats
électoraux et le retrait des mandats à sept députés du DPS.
23. Le 22 juillet 2009, le procureur général transmit la demande du
dirigeant et des membres du parti RZS à la Cour constitutionnelle.
2. La phase initiale de la procédure devant la Cour constitutionnelle
24. Le 11 août 2009, la Cour constitutionnelle déclara ce recours
recevable et désigna comme parties à la procédure l’Assemblée nationale, le
Conseil des Ministres, le ministère des Affaires étrangères, la commission
électorale centrale, la direction nationale responsable des données
concernant l’état civil des citoyens et deux organisations non
gouvernementales. Elle adressa des copies de la demande et des documents
pertinents aux parties à la procédure et leur accorda vingt jours pour
présenter leurs observations sur le fond de l’affaire. Elle demanda à la
direction nationale responsable des données concernant l’état civil des
citoyens d’établir combien d’électeurs avaient voté une fois sur le territoire
national et une deuxième fois sur le territoire turc, et l’invita à présenter des
copies certifiées des listes des votants et des procès-verbaux de vote des
bureaux ouverts sur le territoire turc. Le président de la Cour
constitutionnelle, R.Y., et le juge B.P. signèrent la décision de recevabilité,
tout en exprimant une opinion séparée. Ils soutinrent que le procureur
général aurait dû saisir la juridiction constitutionnelle d’une demande
motivée et non pas simplement transmettre la demande d’annulation formée
par le parti politique RZS.
3. Les premières observations écrites du groupe parlementaire du DPS
25. Le 18 septembre 2009, le groupe parlementaire du DPS à
l’Assemblée nationale présenta ses observations écrites sur l’affaire. En
premier lieu, il contestait la recevabilité du recours formé par les quatre
demandeurs. Selon eux : le procureur général avait omis de procéder à une
appréciation préalable du bien-fondé de ladite demande et l’avait
simplement transmise à la Cour constitutionnelle ; le recours avait été
introduit tardivement, après la prestation de serment des députés visés ; les
sept députés du DPS mentionnés dans la demande avaient été désignés de
manière aléatoire puisque les votes à l’étranger auraient compté uniquement
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pour la répartition proportionnelle des mandats entre les différents partis au
niveau national et non pour telle ou telle liste de candidats. En second lieu,
le groupe parlementaire du DPS soutenait que la demande était mal fondée
pour les raisons suivantes : les conditions légales pour la constitution des
123 bureaux de vote en cause auraient été remplies ; les cas de double vote
auraient été très peu nombreux et, en raison du secret du scrutin, il aurait été
impossible de déterminer pour quel parti exactement ces personnes avaient
voté ; le nombre de personnes figurant sur les listes électorales
additionnelles établies le jour même du scrutin aurait été supérieur à celui
des électeurs préinscrits au motif que le nombre de personnes désirant
exercer leur droit de vote aurait largement dépassé le nombre d’électeurs
ayant manifesté préalablement leur intention de voter à l’étranger ; dans
plusieurs des bureaux de vote ouverts à l’étranger, le nombre de votants
aurait dépassé le millier de personnes et cela n’aurait pas été le cas
uniquement dans les bureaux de vote ouverts en Turquie.
4. Les rapports d’expertise recueillis par la Cour constitutionnelle
26. Le 6 octobre 2009, à la demande de RZS, la Cour constitutionnelle
ordonna une triple expertise qui devait permettre de répondre aux questions
suivantes : i) quel était le nombre de déclarations préalables d’intention de
vote soumises pour le territoire turc, de quelles villes provenaient-elles et
leur nombre correspondait-il au nombre des bureaux de vote constitués ?
ii) les pièces d’identité des électeurs ayant voté dans les 123 bureaux de
vote en question étaient-elles en cours de validité ? iii) les nombres de
votants consignés dans les procès-verbaux rédigés le jour des élections
correspondaient-ils au nombre total des électeurs préinscrits et des
personnes inscrites sur les listes le jour du vote, et y avait-il des bureaux de
vote où aucune des personnes préinscrites n’avait exercé son droit de vote ?
iv) quel était le nombre maximum de personnes qui pouvaient voter dans
un bureau de vote pendant la journée électorale ? Les trois experts furent
autorisés à consulter tous les documents relatifs aux élections sur le
territoire turc qui avaient été remis à la commission électorale centrale par le
service diplomatique du ministère des Affaires étrangères.
27. Le rapport initial d’expertise fut soumis à la Cour constitutionnelle
quelque temps après. Les experts y indiquaient qu’il y avait eu au total
27 235 déclarations préalables d’intention de vote pour le territoire turc :
5 127 de ces déclarations avaient été reçues à l’ambassade de Bulgarie à
Ankara, 15 556 au consulat général à Istanbul et 6 552 au consulat général à
Edirne. Les services diplomatiques bulgares avaient ouvert 28 bureaux de
vote dans la région d’Ankara, 72 dans la région d’Istanbul et 23 dans la
région d’Edirne. Les experts constataient que certains bureaux de vote
avaient été ouverts sans que le nombre minimum de 100 déclarations
d’intention de vote eût été atteint.
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28. Les experts ne furent pas en mesure de répondre à la deuxième
question, relative à la validité des pièces d’identité bulgares des votants en
Turquie. Ils indiquèrent que l’accomplissement de ces vérifications aurait
pris un temps considérable et aurait nécessité un accès à la base de données
de la population administrée par le ministère de l’Intérieur. Ils observèrent
de surcroît que, dans plusieurs cas, les commissions électorales locales
avaient simplement mentionné le type de document présenté, carte
d’identité ou passeport, sans en consigner le numéro.
29. Concernant la troisième question, les experts répondirent qu’il y
avait de très légères différences – entre une et cinq personnes – entre les
nombres de votants consignés dans les procès-verbaux de vote et les
nombres de votants inscrits sur les listes électorales. D’après les experts, il
pouvait s’agir d’omissions par inadvertance. Par ailleurs, toujours selon eux,
dans 116 bureaux de vote, les listes électorales additionnelles, dressées le
jour même du scrutin et contenant les données des personnes qui s’étaient
présentées ce jour-là sans avoir été préinscrites, ne portaient pas les
signatures du président et du secrétaire de la commission électorale locale.
Les experts notaient que les données personnelles des électeurs figurant sur
ces listes avaient été écrites à la main et apparemment sans précipitation, ce
qui aurait nécessité un temps considérable. Ils indiquent en outre que, dans
un certain nombre de bureaux de vote, aucune des personnes préinscrites
n’avait voté. Concernant quelques autres bureaux de vote, il n’y aurait pas
eu de procès-verbal archivé ou la première page de celui-ci aurait manqué.
30. Quant à la quatrième question posée par la Cour constitutionnelle,
les experts conclurent, sur la base d’une reconstitution des formalités
nécessaires pour accueillir un électeur et recueillir son bulletin, que le temps
minimum nécessaire pour voter était de l’ordre de cinquante secondes.
Compte tenu de la durée totale de la journée électorale, à savoir treize
heures, les experts estimaient qu’un bureau de vote pouvait accueillir au
maximum 936 électeurs. Le nombre maximum de votants ainsi établi avait
été dépassé dans 30 des bureaux de vote ouverts en Turquie.
31. La direction nationale responsable des données concernant l’état
civil des citoyens soumit à la Cour constitutionnelle les résultats de son
enquête sur les cas de double vote. Elle indiqua que 174 personnes avaient
voté plusieurs fois et que 79 doubles votes avaient été constatés sur le
territoire turc.
32. Le 27 janvier 2010, la Cour constitutionnelle décida d’interroger les
trois experts sur un point supplémentaire : elle leur demanda de recalculer
les résultats électoraux en supprimant la totalité des voix obtenues dans
23 bureaux de vote et une partie de celles recueillies dans un autre bureau,
tous sur le territoire turc. Il s’agissait notamment de : i) toutes les voix de
18 bureaux de vote où aucun des votants préinscrits n’avait voté et où les
listes additionnelles des votants ne portaient pas les signatures des membres
des commissions électorales locales et, de ce fait, n’avaient pas la force
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probante de documents officiels ; ii) toutes les voix d’un bureau où il
manquait le procès-verbal de vote ; iii) toutes les voix de deux autres
bureaux de vote où la première page des procès-verbaux était manquante ;
iv) toutes les voix d’un bureau où il manquait la liste des électeurs
préinscrits ; v) 86 voix pour le DPS de personnes figurant sur la liste
additionnelle non signée d’un autre bureau où ce parti avait recueilli toutes
les voix et où 124 personnes préinscrites avaient voté ; vi) toutes les voix
d’un autre bureau de vote où la liste des électeurs préinscrits n’avait pas été
archivée et où la liste électorale additionnelle n’avait pas été signée par les
membres de la commission électorale locale.
33. Le 2 février 2010, les experts présentèrent leurs conclusions
supplémentaires à la Cour constitutionnelle. Dans la partie introductive du
rapport, ils précisaient qu’ils étaient appelés à soustraire du résultat électoral
les voix obtenues dans les bureaux où : i) aucun des électeurs préinscrits
n’avait voté et la liste électorale additionnelle ne portait pas les signatures
des membres de la commission électorale locale ; ii) le procès-verbal de
vote n’avait pas été archivé ; iii) il manquait la première page du
procès-verbal de vote. Le rapport présentait les estimations concernant les
voix recueillies dans 23 bureaux de vote : i) dans 18 de ces bureaux, aucun
des électeurs préinscrits n’avait voté et la liste additionnelle des électeurs
n’était pas signée ; ii) pour un autre bureau de vote, il n’y avait pas de
procès-verbal archivé et la liste additionnelle des électeurs n’était pas
signée ; iii) pour trois autres bureaux, il manquait la première page du
procès-verbal et la liste additionnelle des électeurs n’était pas signée ; iv) le
procès-verbal d’un autre bureau de vote ne mentionnait pas sur sa première
page le nombre de personnes qui avaient voté et aucun des électeurs
préinscrits n’avait voté. Les experts estimèrent qu’il fallait exclure des
résultats électoraux un total de 18 351 voix, dont 18 140 pour le DPS. La
commission électorale centrale procéda à la nouvelle répartition provisoire
des mandats entre les partis politiques sur la base du rapport d’expertise.
5. Les autres observations et demandes écrites adressées à la Cour
constitutionnelle
34. Le 9 février 2010, le groupe parlementaire du DPS déposa des
observations supplémentaires dans lesquelles il contestait le choix des
critères définis par la Cour constitutionnelle pour exclure du comptage des
voix les votes des bureaux susmentionnés. Les députés du DPS indiquaient
que le résultat du vote était déterminé sur la base des données figurant dans
les procès-verbaux de vote et non sur celle des listes électorales. Ils
ajoutaient que la législation électorale n’imposait pas au président et au
secrétaire des commissions électorales locales constituées à l’étranger
d’apposer leur signature au bas des listes additionnelles des votants dressées
le jour du scrutin. En tout état de cause, d’après eux, les omissions des
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membres de l’administration électorale ne pouvaient pas entraîner
l’annulation des votes des électeurs.
35. Le 15 février 2010, la commission électorale centrale présenta ses
conclusions à la juridiction constitutionnelle. Elle y précisait que, selon les
projections mathématiques, l’annulation des voix recueillies dans les
23 bureaux de vote visés dans les conclusions supplémentaires des experts
entraînerait pour le DPS la perte d’un mandat qui serait attribué au parti
politique GERB et que, dans la 8e circonscription plurinominale, le candidat
du DPS placé en deuxième position sur la liste du parti, M. Riza, perdrait
son mandat de député.
36. La commission électorale centrale adressa à la Cour constitutionnelle
les observations formulées par cinq de ses 25 membres sur le fond de
l’affaire. Ces cinq membres y émettaient l’avis que les arguments mis en
avant par les demandeurs et les conclusions des experts ne pouvaient pas
justifier une éventuelle annulation des suffrages recueillis dans les bureaux
de vote en cause. Ils exposaient en particulier que les listes de votants pour
les bureaux ouverts à l’étranger avaient été dressées par les représentants
diplomatiques bulgares accrédités sur la base des déclarations préalables
d’intention de vote qu’ils auraient obtenues. Ils indiquaient que, cependant,
aucune information préalable n’avait été donnée quant à la répartition des
électeurs en question dans les bureaux de vote, les intéressés pouvant se
rendre dans tout bureau de vote ou choisir de ne pas voter du tout, ce qui
expliquait à leurs yeux pourquoi dans certains bureaux aucun électeur de la
liste principale n’avait voté. Les membres de la commission électorale
estimaient que cela ne devait pas entraîner l’invalidation des bulletins des
autres électeurs qui avaient voté dans le même bureau. Ils précisaient que,
selon la législation interne, les documents électoraux devaient être
empaquetés et scellés par les commissions électorales locales puis envoyés
à la commission électorale centrale. Toutefois, à la réception des documents
électoraux venant de Turquie, il aurait été constaté que les emballages
contenant les documents avaient déjà été ouverts puis scellés une deuxième
fois par les services diplomatiques du ministère des Affaires étrangères. En
tout état de cause, l’absence, par la faute des services diplomatiques
bulgares ou des membres des commissions électorales locales, de
documents électoraux provenant de l’étranger n’aurait pas été de nature à
justifier l’annulation des voix recueillies dans ces bureaux, étant donné que
les résultats électoraux venant de l’étranger se seraient basés sur les données
transmises par des télégrammes diplomatiques envoyés à la commission
électorale centrale. Enfin, les membres de la commission électorale, se
référant à la législation interne, estimaient que l’absence de la signature
d’un membre de la commission électorale sur un procès-verbal de vote ou
sur les documents l’accompagnant n’invalidait pas celui-ci et ne constituait
pas un motif d’annulation des votes du bureau concerné. D’après eux, le
nouveau calcul des résultats électoraux était fondé sur des arguments qui
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n’avaient pas été invoqués dans la demande adressée à la Cour
constitutionnelle.
37. Le 15 février 2010, le DPS et six de ses députés demandèrent à la
Cour constitutionnelle l’autorisation de se constituer partie à la procédure en
cause. Dans cette demande, le DPS indiquait endosser entièrement les
observations soumises par son groupe parlementaire le 18 septembre 2009
et le 9 février 2010. Le 16 février 2010, M. Riza demanda l’autorisation de
se constituer partie à la procédure. Pour démontrer qu’il avait un intérêt à
participer à la procédure en cause, il se référait expressément à l’expertise
supplémentaire ordonnée par la haute juridiction et à la nouvelle répartition
des mandats effectuée par la commission électorale centrale sur la base des
conclusions des experts. Toutes ces demandes restèrent sans réponse.
6. L’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 février 2010
38. Le 16 février 2010, la Cour constitutionnelle, siégeant en chambre
du conseil, adopta sa décision dans l’affaire en cause. Elle prononça son
arrêt le même jour.
39. La Cour constitutionnelle rejeta les exceptions d’irrecevabilité
soulevées par le groupe parlementaire du DPS dans ses observations du
18 septembre 2009 (paragraphe 25 ci-dessus). Elle estimait en premier lieu
que la procédure de saisine avait été respectée. Elle observait ensuite qu’il
s’agissait d’un litige relatif à la contestation de résultats électoraux et non de
l’éligibilité d’un candidat, ce qui lui permettait d’examiner l’affaire même si
les députés concernés avaient prêté serment et exerçaient déjà leurs
fonctions. Elle joignit au fond de l’affaire la troisième exception
d’irrecevabilité tirée de l’absence de lien direct entre le vote à l’étranger et
l’élection des sept députés du DPS désignés dans la demande initiale. Les
juges R.N. et B.P. exprimèrent des opinions séparées quant à la recevabilité
de la demande d’annulation des résultats électoraux. Ils estimaient que le
procureur général s’était borné à transmettre la demande du parti RZS au
lieu de formuler lui-même une demande motivée d’annulation des élections.
40. Jugeant opportun de clarifier d’emblée la portée de l’affaire, la Cour
constitutionnelle précisa qu’elle était invitée à constater l’illégalité de
l’élection d’un certain nombre de députés du DPS en raison de plusieurs
irrégularités qui auraient été commises dans les bureaux de vote ouverts sur
le territoire turc. Selon elle, eu égard à la spécificité du système électoral
bulgare, où les voix des citoyens bulgares résidant à l’étranger étaient prises
en compte uniquement pour la répartition proportionnelle des mandats entre
les partis politiques au niveau national, il n’était pas possible de déterminer
par avance quels seraient les députés concernés par l’invalidation d’une
partie ou de la totalité des voix sur le territoire turc. Ainsi, dans le cadre de
cette affaire, la Cour constitutionnelle estima qu’elle était appelée à
déterminer s’il y avait eu des irrégularités sérieuses du processus électoral
dans les 123 bureaux de vote ouverts en Turquie. D’après elle, le constat de
12 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
telles irrégularités pouvait entraîner une modification des résultats
électoraux, une nouvelle répartition des mandats entre les partis politiques et
l’annulation du mandat des députés qui n’étaient pas expressément visés par
la demande initiale introduite par le dirigeant et quelques candidats du parti
RZS aux élections législatives.
41. La Cour constitutionnelle rejeta tous les arguments exposés dans la
demande introductive d’instance. Elle constata d’abord que l’article 41,
alinéa 8, point 3, de la loi électorale donnait carte blanche aux représentants
diplomatiques bulgares à l’étranger pour ouvrir autant de bureaux de vote
qu’ils le jugeaient nécessaire pour le bon déroulement des élections.
42. Elle estima de surcroît que le point de savoir si tel ou tel électeur
avait voté sans pièce d’identité bulgare en cours de validité était dépourvu
de pertinence pour l’issue de la procédure, le secret du vote ne permettant
pas d’établir pour quel parti exactement la personne concernée avait voté.
43. La Cour constitutionnelle indiqua que les experts avaient constaté
que dans certains bureaux de vote aucune personne de la liste électorale
principale n’avait voté, alors que dans d’autres bureaux seulement quelques
personnes de cette liste avaient voté. Elle précisa que, selon les experts, les
noms ajoutés le jour du scrutin étaient écrits lisiblement, apparemment sans
précipitation, ce qui semblait quelque peu douteux compte tenu de leur
grand nombre et de la pression à laquelle auraient été soumis les membres
des commissions électorales ce jour-là. Pour la Cour constitutionnelle, il
s’agissait cependant de simples soupçons qui n’auraient pas démontré de
manière catégorique que les résultats dans lesdits bureaux de vote avaient
été truqués.
44. La Cour constitutionnelle releva aussi que les experts étaient arrivés
à la conclusion que le nombre maximal de votants pour un bureau de vote
était de 936. Elle estima cependant que, en l’absence d’indications concrètes
sur des irrégularités qui auraient été commises lors du processus électoral
dans les bureaux où il y avait eu plus de 1 000 électeurs, ce n’était pas une
raison pour invalider les résultats électoraux. En tout état de cause, selon
elle, le secret du vote ne permettait pas de déterminer pour qui les personnes
inscrites après le numéro 936 sur la liste des électeurs avaient voté.
45. Pour ces motifs, la Cour constitutionnelle rejeta la demande
d’annulation des mandats des sept députés expressément visés dans la
demande initiale du dirigeant et des candidats du parti RZS.
46. Elle décida cependant de soustraire des résultats obtenus
respectivement par chacun des partis politiques tous les votes recueillis dans
23 bureaux ouverts en Turquie, soit un total de 18 358 voix, dont 18 140
pour le DPS. Elle indiqua que, dans ces bureaux de vote, aucun électeur
préinscrit sur les listes électorales principales n’avait voté, ou qu’il
manquait le procès-verbal de vote ou la première page de celui-ci, qui
certifiait que les personnes préinscrites avaient voté. Elle précisa que, dans
les 23 bureaux en question, les listes additionnelles d’électeurs établies le
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 13
jour du scrutin ne portaient pas la signature du président et du secrétaire de
la commission électorale locale, ce qui ne leur aurait pas conféré la force
probante d’un document officiel. Ainsi, pour la Cour constitutionnelle, elles
ne pouvaient pas servir de preuve démontrant que les personnes inscrites
avaient voté. Cette approche aurait également permis de déterminer
combien de voix devaient être soustraites du résultat électoral de chaque
parti ou coalition et de procéder à une redistribution des mandats des
députés à l’Assemblée nationale.
47. La Cour constitutionnelle rejeta les objections supplémentaires
soulevées par le groupe parlementaire du DPS le 9 février 2010
(paragraphe 34 ci-dessus). Elle estima que les irrégularités relevées dans les
listes électorales des différents bureaux de vote affectaient également la
régularité du procès-verbal rédigé par la commission électorale à l’issue du
scrutin puisque ce procès-verbal contenait les données relatives au nombre
exact des personnes qui avaient voté dans le bureau en question et que
c’était sur la base de ce document que les résultats électoraux avaient été
déterminés. S’il était vrai que la législation interne n’obligeait pas de
manière expresse les membres des commissions électorales locales
constituées à l’étranger à signer les listes électorales additionnelles, le
modèle de liste électorale additionnelle approuvé par le président de la
République en application de la loi électorale prévoyait ces signatures. Pour
la Cour constitutionnelle, il s’agissait donc d’une condition légale de
validité de ces documents officiels. En tout état de cause, la signature
constituait l’un des éléments essentiels et évidents de tout document officiel.
Ainsi, l’absence de ces signatures sur les listes électorales additionnelles
établies dans les 23 bureaux de vote privait ces documents de leur caractère
de preuve officielle de l’exercice du droit de vote des personnes inscrites.
48. La Cour constitutionnelle déclara que les votes en question étaient
valides au regard de la législation interne, mais qu’ils devaient être
soustraits des résultats électoraux en raison de l’irrégularité des listes
électorales et des procès-verbaux de vote. Elle estima qu’il fallait procéder à
une nouvelle répartition des sièges à l’Assemblée nationale. Pour ces
motifs, et après avoir pris en compte les calculs préalables présentés par la
commission électorale centrale, la Cour constitutionnelle révoqua les
mandats de trois députés au Parlement national, dont celui de M. Riza. Elle
enjoignit à la commission électorale centrale de procéder à une nouvelle
répartition des sièges à l’Assemblée nationale en soustrayant des résultats
électoraux les 18 358 votes émis dans les 23 bureaux de vote en question.
49. En exécution de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, par une décision
du 19 février 2010, la commission électorale centrale déclara trois autres
candidats élus. En conséquence de cette nouvelle répartition des sièges, le
DPS fut le seul parti à perdre un siège de député et le parti GERB, qui avait
gagné les élections législatives, obtint un mandat supplémentaire.
14 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
D. Les recours introduits par M. Riza et le DPS
50. Le 4 mars 2010, le DPS et trois de ses députés à l’Assemblée
nationale introduisirent à leur tour le recours prévu par l’article 112 de la loi
électorale et contestèrent la légalité de l’élection des trois députés que la
commission électorale centrale avait déclarés élus par sa décision du
19 février 2010. M. Riza introduisit le même recours en son nom.
51. Les 31 mars et 27 avril 2010, la Cour constitutionnelle jugea les
deux recours irrecevables au motif que le litige en cause avait déjà fait
l’objet d’une procédure devant elle, qui avait abouti à son arrêt du 16 février
2010.
E. Autres circonstances pertinentes
52. La 41e Assemblée nationale, constituée après les élections
législatives du 5 juillet 2009, exerça ses fonctions jusqu’au 15 mars 2013,
date à laquelle elle fut dissoute par décret présidentiel.
53. Le 12 mai 2013 eurent lieu les élections pour la 42e Assemblée
nationale. Lors de ces élections, le DPS obtint 400 460 voix, soit 11,31 %
des suffrages valablement exprimés. Il obtint 51 784 voix sur le territoire de
la Turquie. Il fit élire 36 députés à l’Assemblée nationale et constitua le
troisième groupe parlementaire. M. Riza fut élu député de la
8e circonscription plurinominale, où il était tête de liste de son parti.
54. La légalité de ces élections législatives, concernant en particulier les
bureaux de vote ouverts sur le territoire de la Turquie, fut contestée devant
la Cour constitutionnelle par un groupe de 48 députés du parti GERB. Ces
députés demandèrent l’annulation des élections dans les 86 bureaux de vote
ouverts en Turquie en raison de plusieurs irrégularités alléguées du
processus électoral : selon eux, les bureaux de vote avaient été constitués
sur la base de déclarations préalables d’intention de vote qui auraient été
falsifiées ; ils avaient ouvert leurs portes en l’absence du nombre minimum
requis des membres des commissions électorales ; des personnes non
identifiées avaient sillonné les quartiers peuplés de citoyens bulgares en
Turquie, avaient obtenu les cartes d’identité bulgares de plusieurs électeurs
et les leur avaient restituées la veille des élections en leur disant qu’ils
avaient voté ; plusieurs électeurs n’avaient pas présenté de pièce d’identité
bulgare valide ; le nombre de votants dans un certain nombre de bureaux
avait dépassé 936, ce qui aurait été irréaliste compte tenu du temps
nécessaire pour l’accomplissement des formalités liées au processus
électoral ; il y avait eu plusieurs cas de double vote ; les listes des électeurs
inscrits le jour du scrutin n’avaient pas été correctement remplies et
n’avaient pas été signées par le président et les autres membres de la
commission électorale. La demande en cause se référait expressément à la
motivation de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 février 2010.
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 15
55. Par un arrêt du 28 novembre 2013, la Cour constitutionnelle rejeta le
recours des 48 députés du parti GERB. Elle examina et rejeta, sur la base
des preuves recueillies, toutes les allégations de violation de la législation
électorale soulevées par les demandeurs. Elle constata, entre autres, que les
membres compétents de toutes les commissions électorales constituées sur
le territoire de la Turquie avaient apposé leur signature à la fin des listes des
électeurs ajoutés le jour du scrutin, ce qui conférait à ces documents la force
probante de documents officiels.
56. Au cours de la 42e législature, le DPS participa à la création d’un
gouvernement de coalition qui démissionna en juillet 2014. À la suite de ces
événements, la 42e Assemblée nationale fut dissoute le 6 août 2014 par
décret présidentiel.
57. Les élections pour la 43e Assemblée nationale eurent lieu le
5 octobre 2014. Le DPS obtint 487 134 voix, soit 14,84 % des votes
valablement exprimés, et fit élire 38 députés au Parlement. Aucun recours
recevable ne fut intenté devant la Cour constitutionnelle pour contester ces
résultats électoraux. Le DPS est actuellement le troisième parti politique du
pays et le deuxième parti d’opposition.
58. M. Riza fut élu député à la 8e circonscription où il était tête de liste
du DPS.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. La loi électorale de 2001
59. À l’époque des faits, l’élection des députés au Parlement national
était régie par la loi électorale de 2001, qui fut modifiée à plusieurs reprises.
60. L’article 5 de la loi autorisait le président à fixer la date des élections
législatives et à approuver les modèles des différents documents électoraux.
61. Par un décret du 7 mai 2009, paru au Journal officiel le lendemain, le
président bulgare a approuvé les modèles des différents documents
électoraux.
1. Le système électoral bulgare
62. Ladite loi, telle que modifiée en 2009, prévoyait la mise en place
d’un système électoral mixte : 31 députés étaient élus au scrutin majoritaire
dans des circonscriptions uninominales et 209 au scrutin proportionnel dans
31 circonscriptions plurinominales en fonction des votes obtenus par les
listes des candidats des partis politiques participant aux élections (article 6,
alinéas 1-3, de la loi).
63. Les 209 sièges obtenus selon le système proportionnel étaient
répartis d’après la méthode de Hare-Niemeyer (article 6, alinéa 5, de la loi)
en trois étapes successives : 1) répartition des sièges entre les partis
16 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
politiques au niveau national ; 2) répartition des sièges obtenus par chaque
parti dans les 31 circonscriptions plurinominales ; 3) répartition des sièges
entre les partis politiques dans chaque circonscription plurinominale.
64. Les calculs mathématiques de la première étape répartissaient les
209 mandats entre les partis politiques qui avaient dépassé le seuil de 4 %
de tous les votes valides. La somme de tous les votes valides obtenus sur le
territoire du pays et à l’étranger par les partis qualifiés était ensuite divisée
par 209 afin d’obtenir le quotient électoral nécessaire pour l’attribution d’un
siège au Parlement. Ensuite, les votes obtenus par chaque parti étaient
divisés par le quotient électoral ainsi obtenu afin de déterminer le nombre
de sièges attribués à chacun d’entre eux. Les quelques sièges non attribués à
l’issue de ces opérations étaient répartis suivant la méthode du plus fort
reste.
65. Les calculs de la deuxième étape répartissaient les mandats obtenus
par chaque parti à l’issue de la première étape parmi les 31 circonscriptions
électorales. À cette étape, les votes obtenus uniquement sur le territoire du
pays par chaque parti étaient divisés par le nombre de sièges attribués à ce
parti pour obtenir le quotient électoral nécessaire à l’attribution d’un siège
dans les circonscriptions. Ensuite, les votes obtenus par chaque parti dans
chaque circonscription étaient divisés par le quotient électoral du parti afin
de déterminer le nombre de sièges attribués à ce parti dans chaque
circonscription. Les quelques sièges non répartis à l’issue de ces opérations
étaient répartis suivant la méthode du plus fort reste. À l’issue de cette
deuxième étape, le nombre de mandats préalablement calculés pour les
circonscriptions en fonction de la population de celles-ci pouvait soit
correspondre au nombre de mandats attribués, soit le dépasser, soit être
inférieur. En cas de correspondance des deux nombres, la répartition des
mandats dans la circonscription en cause était définitive. L’étape suivante
concernait uniquement les circonscriptions où le nombre des mandats
répartis ne correspondait pas au nombre des mandats prédéterminés.
66. La troisième étape des calculs permettait d’ajuster le nombre des
mandats attribués dans chaque circonscription en fonction de la pondération
électorale des sièges obtenus par chaque parti, l’avantage revenant aux
sièges ayant le plus grand poids électoral. L’ajustement s’opérait dans les
limites du nombre des mandats attribués pour chaque parti au niveau
national et du nombre prédéterminé des mandats pour chaque
circonscription plurinominale. À l’issue de cette dernière étape de calculs et
d’ajustement, les 209 sièges au Parlement étaient répartis dans leur totalité
entre les partis politiques et dans les 31 circonscriptions plurinominales du
pays.
2. L’administration des élections
67. La loi prévoyait la mise en place d’une administration électorale
spécialisée à trois niveaux hiérarchiques : une commission électorale
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 17
centrale ; 31 commissions électorales régionales (районни избирателни
комисии) et des commissions électorales locales pour chaque bureau de
vote (секционни избирателни комисии). Les commissions locales
comprenaient un président, un vice-président, un secrétaire et des membres
ordinaires (article 14 de la loi). Elles étaient composées de représentants de
différents partis politiques et la loi interdisait qu’un parti politique fût
majoritaire dans la composition d’une commission locale (article 20,
alinéa 4, de la loi). Le président et le secrétaire de la commission locale
devaient représenter les intérêts des différents partis politiques (ibidem).
68. Les commissions locales étaient chargées de superviser le scrutin
dans leurs bureaux de vote respectifs, de procéder au comptage des voix, de
dresser un procès-verbal de vote, d’envoyer celui-ci aux commissions
régionales et de remettre les bulletins de vote et les autres documents
électoraux à l’administration municipale (article 25 de la loi).
3. Les listes électorales et les procès-verbaux de vote
69. Les listes électorales pour chaque bureau de vote ouvert sur le
territoire national étaient générées d’office par l’administration municipale
en fonction de l’adresse permanente de l’électeur et portaient les signatures
du maire et du secrétaire de mairie (article 26, alinéa 1, de la loi électorale).
La commission électorale locale était chargée de vérifier si les personnes
qui se présentaient pour voter étaient inscrites sur les listes électorales. En
vertu du décret présidentiel du 7 mai 2009 approuvant les modèles des
documents électoraux, l’administration municipale était obligée de tracer
une ligne après le dernier nom porté sur la liste des électeurs préinscrits. Le
jour du scrutin, la commission électorale locale avait le droit d’ajouter sous
cette ligne le nom de tout électeur qui aurait dû figurer sur la liste électorale
en question mais qui avait été omis par l’administration municipale. La liste
des électeurs ajoutés « sous ligne » devait être signée par le président et le
secrétaire de la commission électorale locale.
70. L’article 36, alinéa 9, de la loi prévoyait également une « liste
électorale additionnelle » sur laquelle les commissions électorales locales
inscrivaient, le jour du scrutin, tout votant qui ne figurait pas sur la liste des
préinscrits et qui était muni d’une autorisation de voter dans un lieu où il
n’avait pas son adresse permanente. Cette liste additionnelle devait être
signée par le président et le secrétaire de la commission électorale locale
(article 36, alinéa 9, de la loi). Le modèle de liste électorale additionnelle,
approuvé par le président, prévoyait également la signature du président et
du secrétaire de la commission électorale locale.
71. En vertu des articles 92 et 94 de la loi électorale, les commissions
locales devaient consigner les résultats du vote de leurs bureaux respectifs
dans un procès-verbal de vote établi en trois exemplaires. Celui-ci devait
être signé par tous les membres de la commission locale, mais le refus d’un
de ses membres de le signer n’en entraînait pas la nullité (article 95,
18 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
alinéas 1 et 5, de la loi). Avant d’ouvrir l’urne, les membres de la
commission locale devaient inscrire dans le procès-verbal les données
identifiant le bureau de vote, les heures d’ouverture et de fermeture de
celui-ci, le nombre de votants de la liste des électeurs préinscrits, le nombre
de personnes inscrites sur la liste additionnelle établie le jour du scrutin, le
nombre total des votants selon les listes, le nombre d’autorisations de vote
en dehors du lieu habituel de résidence (article 96 de la loi). Selon le modèle
de procès-verbal de vote approuvé par le président de la République, ces
données figuraient sur la première page du document. Le modèle de
formulaire prévoyait une case pour le nombre des votants de la « liste
principale », c’est-à-dire la liste des préinscrits, une autre case pour le
nombre des votants inscrits le jour du scrutin sur la feuille supplémentaire
de la « liste principale », c’est-à-dire sur la liste « sous ligne »
(paragraphe 69 ci-dessus, in fine) et une case pour la liste électorale
additionnelle, c’est-à-dire le nombre des votants qui avaient au préalable été
autorisés à voter dans un lieu autre que celui où ils avaient leur adresse
permanente (paragraphe 70 ci-dessus). Cette première page du
procès-verbal devait être signée par tous les membres de la commission
électorale locale.
72. Après le comptage des voix, la commission électorale locale devait
consigner les données suivantes dans le procès-verbal de vote : le nombre
de bulletins présents dans l’urne ; le nombre de bulletins nuls ; le nombre de
bulletins valables ; le nombre de voix pour chaque liste de parti ou
candidat ; le nombre de plaintes déposées et de décisions prises sur ces
plaintes (article 100 de la loi). Ces données figuraient sur la deuxième page
du modèle de procès-verbal approuvé par le président de la République.
Cette page devait également porter les signatures des membres de la
commission électorale locale.
73. Le président, le secrétaire et un membre de la commission électorale
locale devaient remettre ensemble deux exemplaires du procès-verbal ainsi
rédigé et signé à la commission électorale régionale. Tous les autres
documents électoraux – listes électorales, bulletins, autorisations de vote –
devaient être remis à l’administration municipale (article 101 de la loi
électorale).
4. Les élections législatives en dehors du territoire national
74. Les citoyens bulgares résidant à l’étranger ne perdent pas leur droit
de voter aux élections législatives et ils peuvent exercer leur droit sur le
territoire national ou dans les bureaux de vote ouverts à l’étranger.
75. L’article 41, alinéa 8, de la loi électorale autorisait les représentants
diplomatiques bulgares à l’étranger à ouvrir des bureaux de vote dans les
villes où se trouvaient les missions diplomatiques bulgares, dans les villes
pour lesquelles ils avaient reçu au moins cent déclarations préalables
d’intention de vote, ainsi que dans toute autre ville à leur discrétion. Ils
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 19
étaient également responsables de l’établissement des listes électorales sur
la base des déclarations préalables d’intention de vote soumises par les
citoyens bulgares résidant sur le territoire du pays concerné (article 37,
alinéa 1, de la loi). Le second alinéa de l’article 37 permettait aux citoyens
bulgares résidant à l’étranger de se faire inscrire sur les listes électorales par
les commissions électorales locales le jour du scrutin.
76. Dans un arrêté (решение) du 10 mai 2009, la commission électorale
centrale précisa les modalités d’organisation et de déroulement des scrutins
à l’étranger. Pour les bureaux de vote ouverts à l’étranger, les commissions
électorales locales étaient formées par décision du représentant
diplomatique bulgare compétent. Celui-ci était tenu de respecter les règles
de composition des commissions électorales prévues par la loi électorale.
Néanmoins, ces commissions électorales pouvaient inclure des
fonctionnaires de la représentation diplomatique bulgare et des
fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères.
77. À la fin de la journée électorale, les commissions locales procédaient
au comptage des voix et dressaient un procès-verbal qu’elles remettaient
avec tous les autres documents électoraux aux services diplomatiques
bulgares du pays concerné. Les résultats de chaque bureau de vote ouvert à
l’étranger étaient envoyés à la commission électorale centrale par un
télégramme diplomatique. Les procès-verbaux de vote ainsi que les autres
documents électoraux étaient adressés par les services diplomatiques
bulgares à la commission électorale centrale.
B. La contestation des résultats électoraux devant la Cour
constitutionnelle
78. En vertu de l’article 149, alinéa 1, point 7, de la Constitution, la
Cour constitutionnelle était habilitée à examiner les litiges portant sur la
légalité de l’élection des députés à l’Assemblée nationale. L’article 112 de
la loi électorale permettait aux candidats aux élections législatives et aux
partis politiques ayant participé au scrutin de contester devant la Cour
constitutionnelle l’élection d’un ou de plusieurs députés à l’Assemblée
nationale dans un délai de quatorze jours à compter de la date de
proclamation des résultats électoraux. Ce recours devait être introduit par
l’intermédiaire d’un des organes qui avaient le droit de saisir la Cour
constitutionnelle : le président, le Conseil des ministres, la Cour suprême de
cassation, la Cour suprême administrative, le procureur général ou un
cinquième des députés de l’Assemblée nationale.
79. La procédure suivie devant la Cour constitutionnelle est décrite dans
la loi sur la Cour constitutionnelle (« la loi ») et dans le règlement relatif à
l’organisation et au fonctionnement de la Cour constitutionnelle (« le
règlement »). Les deux textes ont été publiés au Journal officiel.
20 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
80. La Cour constitutionnelle dispose du pouvoir discrétionnaire de
constituer les parties à la procédure et elle informe celles-ci de
l’introduction d’un tel recours (article 21, alinéa 1, du règlement). Elle
accorde aux parties un délai pour la présentation des observations sur la
recevabilité et le fond de l’affaire (article 18, alinéa 2, de la loi).
81. La Cour constitutionnelle siège en formation de chambre en
l’absence des parties à la procédure, à moins qu’elle ne décide de tenir une
audience publique (article 21, alinéa 1, de la loi, et article 27, alinéas 1 et 2,
du règlement).
82. Elle peut demander la présentation de tout document ou élément de
preuve nécessaire à l’examen de l’affaire et peut ordonner des expertises
(article 20 de la loi et article 29, alinéas 2 et 3, du règlement). Les parties à
la procédure ont le droit de consulter les preuves recueillies par la Cour
constitutionnelle (article 29, alinéa 4, du règlement).
83. La procédure devant la Cour constitutionnelle se déroule en deux
phases : la première, consacrée à la recevabilité du recours, et la seconde,
concernant le fond de la demande (article 25, alinéa 1, du règlement).
Cependant, les questions portant sur la recevabilité du recours peuvent être
soulevées et débattues à tout moment de la procédure (alinéa 2 du même
article).
84. Les décisions d’irrecevabilité et les arrêts de la Cour
constitutionnelle sont définitifs (article 14, alinéa 5, de la loi, et article 33,
alinéa 4, du règlement). Quand la Cour constitutionnelle s’est déjà
prononcée par une décision ou par un arrêt sur un litige particulier, elle ne
peut plus être saisie d’un recours ayant le même objet (article 21, alinéa 5,
de la loi, et article 35, alinéa 2, du règlement).
85. La loi électorale de 2001 ne prévoyait pas la tenue de nouvelles
élections en cas d’annulation, par arrêt de la Cour constitutionnelle, du
scrutin dans un ou plusieurs bureaux de vote. Le code électoral de 2011, qui
a abrogé la loi électorale de 2001, prévoyait, dans son article 264, alinéa 5,
la tenue de nouvelles élections parlementaires uniquement en cas
d’annulation des résultats électoraux dans leur totalité. En cas d’annulation
partielle des résultats électoraux en raison d’une contestation réussie de
l’élection de députés individuels, la commission électorale centrale
procédait à une nouvelle répartition des sièges au Parlement sans la tenue de
nouvelles élections (article 264, alinéa 6, du même code). Cette dernière
approche a également été adoptée par le nouveau code électoral de 2014,
dans son article 306, alinéas 4 et 5.
C. La contestation des décisions de la commission électorale centrale
86. En vertu de l’article 23, alinéa 1, point 17, de la loi électorale, la
commission électorale centrale proclamait les résultats du scrutin et délivrait
les certificats nécessaires aux candidats élus à l’Assemblée nationale. Les
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 21
alinéas 3 et 4 du même article de la loi électorale énuméraient les décisions
de cette commission qui pouvaient être contestées devant la Cour
administrative suprême ; la décision de proclamation des résultats
électoraux n’en faisait pas partie.
87. Le 21 juillet 2009, la Cour administrative suprême fut saisie par un
candidat aux élections législatives d’un recours contre une décision de la
commission électorale centrale qui avait refusé de rectifier une erreur
manifeste de comptage des voix dans sa base de données électronique. Dans
un arrêt rendu le 23 juillet 2009 (Решение № 9976 от 23.07.2009г. по адм.
д. № 9830/09 на ВАС IV о.), la quatrième section de la haute juridiction
administrative observa que les décisions de la commission électorale
centrale concernant la rectification d’erreurs manifestes dans sa base de
données électronique ne figuraient pas parmi les décisions qui étaient
expressément soumises au contrôle de la Cour administrative suprême en
vertu de l’article 23, alinéas 3 et 4, de la loi électorale. Cependant, elle se
déclara compétente pour examiner l’affaire en question au motif que les
alinéas 3 et 4 de l’article 23 de la loi électorale ne créaient pas une
exception au principe établi à l’article 120 de la Constitution, selon lequel
les citoyens et les personnes morales ont le droit de contester les actes et
actions de l’administration qui les concernent. La Cour administrative
suprême se prononça ensuite en faveur du plaignant et renvoya le dossier à
la commission électorale centrale pour réexamen. Elle observa par ailleurs
que si la rectification subséquente du nombre des voix s’avérait décisive
pour le résultat final des élections, les personnes concernées pourraient
introduire devant la Cour constitutionnelle le recours prévu par l’article 112
de la loi électorale (paragraphe 78 ci-dessus).
D. La subvention de l’État accordée aux partis politiques
88. La loi de 2005 sur les partis politiques prévoit une subvention
étatique annuelle pour le fonctionnement des partis politiques qui sont
représentés au Parlement, ou qui ont obtenu au moins 1 % des voix aux
élections législatives précédentes (articles 25 et 26 de la loi).
89. En vertu de l’article 27, alinéa 1, de la loi, tel qu’il était en vigueur
en 2009, la subvention était calculée sur la base de 5 % du salaire minimum
brut pour chaque voix valable obtenue aux élections législatives
précédentes. À la date du 1er janvier 2010, le salaire minimum s’élevait à
240 levs bulgares (soit environ 122 euros (EUR)).
90. L’article 27, alinéa 1, de cette loi fut modifié le 1er janvier 2012 : la
subvention de l’État est toujours proportionnelle au nombre de voix valables
obtenues par le parti aux élections précédentes, mais la somme unitaire par
voix est désormais fixée annuellement dans le budget de l’État.
22 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
III. LES TRAVAUX PERTINENTS DE LA COMMISSION
EUROPÉENNE POUR LA DEMOCRATIE PAR LE DROIT
91. À ses 51e et 52e sessions des 5 et 6 juillet et 18 et 19 octobre 2002, la
Commission européenne pour la démocratie par le droit (dite Commission
de Venise) a adopté ses lignes directrices en matière électorale et un rapport
explicatif précisant celles-ci. Les deux documents susmentionnés
constituent ensemble le Code de bonne conduite en matière électorale de la
Commission de Venise, qui a été approuvé en 2003 par l’Assemblée
parlementaire et par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil
de l’Europe.
92. Les parties pertinentes de ce code se lisent ainsi :
Lignes directrices
« 2. Le suffrage égal
Le suffrage égal comprend : (...) l’égalité de décompte (...) ; (...) l’égalité de la force
électorale (...) ; l’égalité des chances (...).
3.3. L’existence d’un système de recours efficace
a. L’instance de recours en matière électorale doit être soit une commission
électorale, soit un tribunal. Un recours devant le Parlement peut être prévu en
première instance en ce qui concerne les élections du Parlement. Dans tous les cas, un
recours devant un tribunal doit être possible en dernière instance.
b. La procédure doit être simple et dénuée de formalisme, en particulier en ce qui
concerne la recevabilité des recours.
c. Les dispositions en matière de recours, et notamment de compétences et de
responsabilités des diverses instances, doivent être clairement réglées par la loi, afin
d’éviter tout conflit de compétences positif ou négatif. Ni les requérants, ni les
autorités ne doivent pouvoir choisir l’instance de recours.
d. L’instance de recours doit être compétente notamment en ce qui concerne le droit
de vote – y compris les listes électorales – et l’éligibilité, la validité des candidatures,
le respect des règles de la campagne électorale et le résultat du scrutin.
e. L’instance de recours doit pouvoir annuler le scrutin si une irrégularité a pu
influencer le résultat. L’annulation doit être possible aussi bien pour l’ensemble de
l’élection qu’au niveau d’une circonscription ou au niveau d’un bureau de vote. En
cas d’annulation, un nouveau scrutin a lieu sur le territoire où l’élection a été annulée.
f. Tout candidat et tout électeur de la circonscription ont qualité pour recourir. Un
quorum raisonnable peut être imposé pour les recours des électeurs relatifs aux
résultats des élections.
g. Les délais de recours et les délais pour prendre une décision sur recours doivent
être courts (trois à cinq jours en première instance).
h. Le droit des requérants au contradictoire doit être sauvegardé.
i. Lorsque les commissions électorales supérieures sont instances de recours, elles
doivent pouvoir rectifier ou annuler d’office les décisions des commissions
inférieures. »
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 23
Rapport explicatif
« 2. Le suffrage égal
10. L’égalité en matière électorale comprend divers aspects. Certains relèvent de
l’égalité de suffrage, valeur commune au continent, d’autres vont plus loin et ne
peuvent pas être considérés comme la traduction d’une norme générale. Les principes
qui doivent être respectés dans tous les cas sont l’égalité de décompte, l’égalité de la
force électorale et l’égalité des chances. Par contre, l’égalité des résultats, par la
représentation proportionnelle des partis ou des sexes, par exemple, ne peut être
imposée. (...)
3.3. L’existence d’un système de recours efficace
92. Afin que les règles du droit électoral ne restent pas lettre morte, leur non-respect
doit pouvoir être contesté devant un organe de recours. Cela vaut en particulier du
résultat de l’élection, dont la contestation permet d’invoquer les irrégularités dans la
procédure de vote ; cela vaut aussi d’actes pris avant l’élection, en particulier en ce
qui concerne le droit de vote, les listes électorales et l’éligibilité, la validité des
candidatures, le respect des règles de la campagne électorale et l’accès aux médias ou
le financement des partis.
93. Deux solutions sont envisageables.
– Les recours sont traités par des tribunaux – ordinaires, spéciaux ou
constitutionnels.
– Les instances compétences sont des commissions électorales. Ce système présente
de réels avantages du fait que ces commissions sont très spécialisées et, donc, plus au
fait des questions électorales que les tribunaux. Il est néanmoins souhaitable, à titre de
précaution, de mettre en place une forme de contrôle juridictionnel. Dès lors, le
premier degré de recours sera la commission électorale supérieure, et le deuxième le
tribunal compétent.
94. Le recours devant le Parlement, comme juge de sa propre élection, est parfois
prévu, mais risque d’entraîner des décisions politiques. Il est admissible en première
instance là où il est connu de longue date, mais un recours judiciaire doit alors être
possible.
95. La procédure de recours devrait être la plus brève possible, en tout cas en ce qui
concerne les décisions à prendre avant l’élection. Sur ce point, il faut éviter deux
écueils : d’une part, que la procédure de recours retarde le processus électoral ; d’autre
part, que, faute d’effet suspensif, les décisions sur recours qui pouvaient être prises
avant ne soient prises après les élections. En outre, les décisions relatives aux résultats
de l’élection ne doivent pas tarder, surtout si le climat politique est tendu. Cela
implique à la fois des délais de recours très courts et que l’instance de recours soit
tenue de statuer aussitôt que possible. Les délais doivent cependant être assez longs
pour permettre un recours, pour garantir l’exercice des droits de la défense et une
décision réfléchie. Un délai de trois à cinq jours en première instance (aussi bien pour
recourir que pour statuer) paraît raisonnable pour les décisions à prendre avant les
élections. Il est toutefois admissible que les instances supérieures (Cours suprêmes,
Cours constitutionnelles) se voient accorder un peu plus de temps pour statuer.
96. Par ailleurs, la procédure doit être simple. La mise à la disposition des électeurs
désirant former un recours de formulaires spéciaux contribue à la simplification de la
procédure. Il est nécessaire d’écarter tout formalisme, afin d’éviter des décisions
d’irrecevabilité, notamment dans les affaires politiquement délicates.
24 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
97. En outre, il faut absolument que les dispositions en matière de recours, et
notamment de compétence et de responsabilités des diverses instances, soient
clairement réglées par la loi, afin d’éviter tout conflit de compétences positif ou
négatif. Ni les requérants, ni les autorités ne doivent pouvoir choisir l’instance de
recours. Le risque de déni de justice est en effet accru s’il est possible de recourir
alternativement auprès des tribunaux et des commissions électorales ou en l’absence
de délimitation claire des compétences entre plusieurs tribunaux – par exemple les
tribunaux ordinaires et la Cour constitutionnelle. (...)
98. Les litiges liés aux listes électorales, qui relèvent par exemple de la compétence
de l’administration locale agissant sous contrôle des commissions électorales ou en
collaboration avec elles, peuvent être traités par des tribunaux de première instance.
99. La qualité pour recourir doit être reconnue très largement. Le recours doit être
ouvert à tout électeur de la circonscription et à tout candidat qui se présente dans
celle-ci. Un quorum raisonnable peut toutefois être imposé pour les recours des
électeurs relatifs aux résultats des élections.
100. La procédure doit avoir un caractère judiciaire, en ce sens que le droit des
requérants au contradictoire doit être sauvegardé.
101. Les pouvoirs de l’instance de recours sont également importants. Il doit lui
être possible d’annuler le scrutin si une irrégularité a pu influencer le résultat, c’est-à-
dire modifier la répartition des sièges. Ce principe général doit être affiné, en ce sens
que le contentieux de l’annulation ne doit pas forcément porter sur l’ensemble du
territoire, voire l’ensemble de la circonscription ; au contraire, l’annulation doit être
possible par bureau de vote. Cela permettra à la fois d’éviter deux situations
extrêmes : l’annulation de la totalité d’un scrutin alors que les irrégularités sont
limitées géographiquement ; le refus d’annuler le scrutin si l’étendue géographique
des irrégularités est insuffisante. L’annulation du scrutin doit entraîner la répétition de
l’élection sur le territoire où l’élection a été annulée.
102. Lorsque les commissions électorales supérieures sont instances de recours,
elles doivent pouvoir rectifier ou annuler d’office les décisions des commissions
électorales supérieures. »
EN DROIT
I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 3 DU
PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
93. M. Riza et le DPS allèguent que l’annulation des résultats électoraux
dans 23 bureaux de vote a porté une atteinte injustifiée à leur droit de se
présenter aux élections garanti par l’article 3 du Protocole no 1 à la
Convention. Sous l’angle du même article, les 101 autres requérants (dont
les noms figurent en annexe) allèguent que l’annulation de leurs votes a
constitué une violation de leur droit électoral actif. Invoquant en outre
l’article 13 de la Convention, M. Riza et le DPS soutiennent que le droit
interne ne leur offrait aucune voie de recours susceptible de remédier à la
violation alléguée de leurs droits.
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 25
94. La Cour observe d’emblée qu’il y a lieu de distinguer la présente
espèce de l’affaire Grosaru c. Roumanie (no 78039/01, §§ 55-56,
CEDH 2010), dans laquelle le litige postélectoral impliquant le requérant
n’avait jamais fait l’objet d’un examen par une instance judiciaire. Dans
cette affaire, la Cour s’est livrée à un examen séparé du grief tiré de l’article
13. En revanche, dans des affaires concernant des litiges postélectoraux où
le droit national confiait l’examen de ces litiges aux juridictions judiciaires,
la Cour a choisi d’aborder la question uniquement sous l’angle de l’article 3
du Protocole no 1 (Kerimova c. Azerbaïdjan, no 20799/06, §§ 31-32,
30 septembre 2010, et Kerimli et Alibeyli c. Azerbaïdjan, nos 18475/06 et
22444/06, §§ 29 et 30, 10 janvier 2012).
95. Dans la présente affaire, l’examen du litige électoral a été confié à la
juridiction constitutionnelle, qui s’est prononcée par un arrêt définitif. À la
lumière des faits spécifiques de l’espèce, et à l’instar de sa position dans les
arrêts Kerimova et Kerimli et Alibeyli (précités), la Cour estime qu’aucune
question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 13 de la Convention.
Elle prendra cependant en compte les spécificités de la procédure suivie
devant la Cour constitutionnelle bulgare aux fins de son analyse des griefs
tirés de l’article 3 du Protocole no 1, qui est ainsi libellé :
« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles
raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la
libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »
A. Sur la recevabilité
1. Sur l’épuisement des voies de recours internes
a) Arguments des parties
96. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours
internes. Il indique que M. Riza et le DPS auraient pu introduire un recours
fondé sur l’article 112 de la loi électorale pour contester les nouveaux
résultats électoraux obtenus après l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui
avait annulé le vote dans 23 bureaux ouverts en dehors du territoire national.
97. Le Gouvernement est d’avis qu’il existait par ailleurs un autre
recours interne effectif que ces requérants auraient pu exercer : selon lui, ils
auraient pu contester devant la Cour administrative suprême la décision de
la commission électorale centrale proclamant les nouveaux résultats des
élections législatives. Il renvoie à cet égard à un arrêt de la Cour
administrative suprême du 23 juillet 2009 (paragraphe 87 ci-dessus).
98. Ces deux requérants répondent qu’ils ont bien utilisé la première
voie de recours suggérée par le Gouvernement dès lors qu’ils auraient saisi
à leur tour la Cour constitutionnelle d’une demande de contestation des
nouveaux résultats électoraux découlant de la décision d’annuler le vote
dans 23 bureaux de vote ouverts en Turquie. Ils indiquent que la Cour
26 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
constitutionnelle a refusé de reconsidérer son précédent arrêt et qu’elle a
rejeté leurs recours comme irrecevables.
99. Quant au second recours évoqué par le Gouvernement, à savoir une
plainte devant la Cour administrative suprême, les deux requérants estiment
qu’il n’aurait pas été suffisamment effectif et disponible dans leur cas. Ils
exposent que le principe général d’un contrôle judiciaire des actes de
l’administration par les juridictions administratives, auquel le
Gouvernement se serait référé, trouve à s’appliquer seulement dans la
mesure où la législation interne ne prévoit pas une voie de recours spéciale
pour tel ou tel litige lié à un acte de l’administration. Or l’article 112 de la
loi électorale de 2001 aurait prévu un recours spécial pour contester la
légalité des résultats électoraux, à savoir le recours devant la Cour
constitutionnelle. Les intéressés concluent que les tribunaux administratifs
auraient déclaré irrecevable tout recours qu’ils auraient pu former contre la
décision de la commission électorale centrale.
100. Les deux requérants indiquent ensuite que la décision de la
commission électorale centrale du 19 février 2010 a été prise en exécution
de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 février 2010. D’après eux, le
second recours suggéré par le Gouvernement aurait donc donné à la Cour
administrative suprême la possibilité d’invalider l’arrêt de la Cour
constitutionnelle, ce qui, à leurs yeux, aurait été difficilement conciliable
avec le principe fondamental de la prééminence du droit. Par ailleurs, les
intéressés indiquent que le Gouvernement n’a invoqué aucun arrêt de la
Cour administrative suprême qui eût été prononcé dans le cadre d’une
procédure de contestation d’une décision de la commission électorale
centrale rendue en application d’un arrêt de la Cour constitutionnelle. Selon
eux, le Gouvernement a ainsi failli à son obligation de démontrer
l’effectivité et la disponibilité de ce recours.
b) Appréciation de la Cour
101. La Cour rappelle que la règle énoncée à l’article 35 § 1 de la
Convention impose aux requérants l’obligation d’utiliser en premier lieu les
recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne
de leur pays pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils
allèguent. Lesdits recours doivent exister à un degré suffisant de certitude,
en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et
l’accessibilité voulues (voir, parmi beaucoup d’autres, Salman c. Turquie
[GC], no 21986/93, § 81, CEDH 2000-VII, et İlhan c. Turquie [GC],
no 22277/93, § 58, CEDH 2000-VII).
102. Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de
convaincre la Cour que le recours qu’il suggère était effectif et disponible
tant en théorie qu’en pratique a l’époque des faits. Une fois cela démontré,
c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le
Gouvernement a bien été employé ou que, pour une raison quelconque, il
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 27
n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que
certaines circonstances particulières le dispensaient de l’obligation de
l’exercer (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil
des arrêts et décisions 1996-IV). De surcroît, un requérant qui a utilisé une
voie de recours interne apparemment effective et suffisante ne saurait se
voir reprocher de ne pas avoir essayé d’en utiliser d’autres qui étaient
disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès (Aquilina
c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH 1999-III).
103. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe que les deux
requérants ont introduit le premier recours invoqué par le Gouvernement, à
savoir celui prévu par l’article 112 de la loi électorale : en mars 2010, le
DPS et M. Riza ont contesté devant la Cour constitutionnelle l’élection des
trois députés visés par la décision de la commission électorale centrale du
19 février 2010 (paragraphe 50 ci-dessus). La juridiction constitutionnelle a
déclaré leurs plaintes irrecevables au motif qu’elles avaient le même objet
que l’affaire qui avait donné lieu à son arrêt du 16 février 2010
(paragraphe 51 ci-dessus). La Cour relève que la loi sur la Cour
constitutionnelle et le règlement relatif au fonctionnement de celle-ci
énoncent sans ambiguïté que la haute juridiction constitutionnelle ne peut
pas examiner un litige ayant le même objet qu’un autre litige déjà résolu par
elle (paragraphe 84 ci-dessus). Les plaintes des deux requérants étaient donc
d’emblée vouées à l’échec.
104. Dans ces circonstances, la Cour estime que le recours prévu à
l’article 112 de la loi électorale manquait de l’effectivité requise au regard
de l’article 35 § 1 de la Convention. Elle doit dès lors examiner la question
de savoir si l’autre recours invoqué par le Gouvernement, à savoir celui
devant la Cour administrative suprême, que les deux requérants n’ont pas
exercé, pouvait passer pour suffisamment établi et accessible au regard de
ce même article de la Convention.
105. Le Gouvernement suggère notamment que les requérants auraient
pu contester la décision de la commission électorale centrale du 19 février
2010 devant la Cour administrative suprême et obtenir ainsi le réexamen des
résultats électoraux. La Cour observe que la loi électorale énumérait en son
article 23, alinéas 3 et 4, les décisions de la commission électorale centrale
qui pouvaient être contestées devant la Cour administrative suprême et que
les décisions de proclamation de résultats électoraux n’en faisaient pas
partie (paragraphe 86 in fine ci-dessus).
106. Le Gouvernement se réfère à un arrêt de la Cour administrative
suprême du 23 juillet 2009 dans lequel la haute juridiction administrative a
cependant accepté d’examiner un litige qui portait sur une décision de la
commission électorale centrale qui n’était pas incluse dans la liste figurant à
l’article 23, alinéas 3 et 4, de la loi, au motif que ces dispositions
législatives ne créaient pas une exception à la règle constitutionnelle selon
laquelle les actes de l’administration pouvaient être contestés devant les
28 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
juridictions administratives. Il semble donc affirmer que ce recours était
suffisamment établi et accessible pour constituer une voie interne effective
que les requérants devaient utiliser, nonobstant le libellé de l’article 23,
alinéas 3 et 4, de la loi électorale.
107. La Cour observe quant à elle que le litige qui avait donné lieu à
l’arrêt de la Cour administrative suprême du 23 juillet 2009 avait pour objet
une allégation relative à une erreur manifeste dans la base de données
électronique de la commission électorale centrale (paragraphe 87 ci-dessus)
tandis que le litige concernant les requérants en l’espèce portait sur la
question de savoir si les voix de 23 bureaux de vote devaient être soustraites
du score électoral final en raison de certaines irrégularités commises le jour
du scrutin. S’il est vrai que le raisonnement de la Cour administrative
suprême dans cet arrêt semble suggérer que la liste des décisions de
l’administration électorale susceptibles de recours devant elle n’était pas
exhaustive, le Gouvernement n’a présenté aucun autre arrêt permettant à la
Cour de conclure que la Cour administrative suprême aurait accepté
d’examiner un éventuel recours introduit par les deux requérants contre la
décision du 19 février 2010 par laquelle la commission électorale centrale
avait proclamé les nouveaux résultats des élections législatives. La Cour
note par ailleurs que les motifs de ce même arrêt du 23 juillet 2009 semblent
suggérer le contraire : la Cour administrative suprême a affirmé que le
recours le plus approprié pour contester les résultats des élections
législatives était celui prévu à l’article 112 de la loi électorale, à introduire
devant la Cour constitutionnelle (paragraphe 87 ci-dessus, in fine). Dès lors,
la Cour estime qu’il n’a pas été prouvé que le recours devant la Cour
administrative suprême fût accessible et suffisamment établi en droit et en
pratique pour remédier aux violations de l’article 3 du Protocole no 1
alléguées par M. Riza et le DPS.
108. Au vu des motifs exposés ci-dessus, la Cour estime qu’il y a lieu de
rejeter l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée
par le Gouvernement en ce qui concerne M. Riza et le DPS.
2. Sur le respect des autres conditions de recevabilité
109. Le Gouvernement conteste la qualité de victime de M. Riza, du
DPS et des 101 autres requérants.
110. Il indique en particulier que M. Riza a participé aux élections
législatives de 2009 en tant que candidat de son parti dans une
circonscription plurinominale constituée sur le territoire bulgare où les
sièges auraient été répartis suivant le système proportionnel. Selon le
Gouvernement, les électeurs bulgares résidant à l’étranger, notamment en
Turquie, ont voté non pas pour les listes de candidats proposés par les partis,
mais pour les partis politiques eux-mêmes. Ainsi, les électeurs ayant voté
pour le DPS dans les bureaux en question n’auraient pas donné leurs voix
expressément à M. Riza. De ce fait, ce dernier n’aurait pas pu prétendre
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 29
valablement que la décision ayant abouti à l’invalidation des voix obtenues
par son parti dans 23 bureaux de vote ouverts en Turquie avait eu un impact
négatif direct sur son droit de participer aux élections législatives en tant
que candidat.
111. Le Gouvernement soutient que le DPS ne peut pas non plus se
prétendre victime d’une violation de son droit de se porter candidat aux
élections, au motif qu’il aurait participé au scrutin dans les mêmes
conditions que tous les autres partis et coalitions. En participant activement
à la vie politique du pays et aux élections, le parti aurait implicitement
accepté d’obéir aux règles de répartition des sièges et de ne pas tirer profit
d’éventuelles irrégularités commises dans le processus électoral. L’arrêt
litigieux de la Cour constitutionnelle aurait constaté de telles irrégularités et
y aurait remédié, et cette décision aurait abouti à l’annulation de l’élection
de candidats d’autres partis politiques. Ainsi, la mesure contestée n’aurait
pas visé exclusivement le DPS et n’aurait pas été appliquée de manière
disproportionnée et tendancieuse.
112. Pour ce qui est des 101 autres requérants ayant voté dans des
bureaux de vote pour lesquels les résultats ont été annulés par la Cour
constitutionnelle, le Gouvernement soutient que leur droit de vote n’a
nullement été atteint. Il indique en particulier que l’État avait mis sur pied
l’organisation nécessaire et qu’il a permis aux intéressés d’exercer leur droit
de vote dans leur pays de résidence. D’après le Gouvernement, les votes de
ces requérants n’ont pas été déclarés nuls par l’arrêt de la Cour
constitutionnelle : cet arrêt, adopté dans le cadre d’une procédure qui aurait
offert toutes les garanties contre l’arbitraire, aurait simplement fait
soustraire du résultat final des élections tous les votes exprimés dans les
bureaux où les 101 requérants auraient voté en raison du non-respect de
l’exigence légale imposant aux responsables de la commission électorale
d’apposer leur signature sur les listes additionnelles des électeurs. Dès lors,
l’arrêt de la Cour constitutionnelle n’aurait pas porté atteinte de manière
directe et suffisamment sérieuse au droit électoral actif de ces requérants.
113. Invoquant les mêmes arguments, le Gouvernement soutient, à titre
subsidiaire, que la requête des 101 électeurs doit être rejetée pour
incompatibilité ratione materiae, pour défaut manifeste de fondement,
voire, en application de l’article 35 § 3 b) de la Convention, pour absence de
préjudice important.
114. La Cour constate que toutes ces exceptions se fondent en une seule,
à savoir la contestation de la qualité de victime des requérants. Elle
considère que cette question est étroitement liée à la substance même des
griefs soulevés par les intéressés sous l’angle de l’article 3 du
Protocole no 1. Elle estime donc qu’il y lieu de joindre cette exception à
l’examen du fond des griefs de M. Riza, du DPS et des 101 autres
requérants.
30 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
115. Constatant que les griefs des requérants tirés de l’article 3 du
Protocole no 1 ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35
§ 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif
d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Les requérants
116. Les requérants allèguent que l’arrêt de la Cour constitutionnelle du
16 février 2010 a donné lieu à une atteinte injustifiée à leurs droits garantis
par l’article 3 du Protocole no1.
117. M. Riza aurait pris part au scrutin législatif de 2009 en tant que
candidat inscrit sur la liste du DPS dans la 8e circonscription plurinominale,
à Dobrich. À l’issue de ces élections, il aurait été déclaré élu à l’Assemblée
nationale et son parti, le DPS, aurait été représenté par 38 députés au
Parlement national, dont 33 en vertu de la répartition proportionnelle des
sièges. L’arrêt litigieux de la Cour constitutionnelle aurait par la suite
modifié les résultats électoraux : le DPS aurait vu son score électoral
diminuer de 18 140 voix, ce qui aurait abouti à la perte d’un de ses sièges au
Parlement national, à savoir celui de M. Riza. Pour M. Riza et le DPS, cette
situation s’analyse en une ingérence dans l’exercice de leur droit de
participer aux élections législatives en tant que candidats.
118. Les 101 autres requérants auraient exercé leur droit de vote aux
élections législatives bulgares. Ils auraient choisi de voter dans 17 des
bureaux de vote ouverts sur le territoire de la Turquie. Or, par son arrêt du
16 février 2010, la Cour constitutionnelle bulgare aurait invalidé les
élections dans 23 des bureaux de vote ouverts sur le territoire turc, dont
ceux où les intéressés avaient voté. Leurs votes auraient ainsi été annulés.
Les 101 requérants considèrent que cette situation s’analyse en une
ingérence dans l’exercice de leur droit de participer aux élections
législatives en tant qu’électeurs.
119. Les requérants soutiennent que le processus décisionnel qui a
abouti à la modification du résultat des élections n’était pas entouré de
garanties suffisantes contre l’arbitraire. La procédure suivie en l’espèce par
la Cour constitutionnelle aurait été conçue pour l’examen de la
constitutionnalité de la législation adoptée par le Parlement : elle aurait été
totalement inadaptée à l’examen d’un litige électoral et, de surcroît, elle
aurait été insuffisamment réglementée. Dans le cas d’espèce, l’objet exact
du litige n’aurait pas été déterminé dès le début de la procédure, mais il
l’aurait été seulement au moment du prononcé de l’arrêt de la Cour
constitutionnelle. Le fait que la Cour constitutionnelle a rejeté un à un tous
les arguments invoqués par les demandeurs, mais qu’elle a décidé d’annuler
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 31
les élections dans 23 bureaux de vote pour des vices de forme mentionnés
pour la première fois au cours de la procédure dans un rapport d’expertise,
et ce à l’initiative des experts, démontrerait une absence de clarté et de
prévisibilité à cet égard. Ainsi, les demandeurs auraient été exemptés de
l’obligation d’apporter la preuve des irrégularités prétendument commises
dans lesdits bureaux de vote. La Cour constitutionnelle se serait approprié le
pouvoir d’enquêter et de se prononcer d’office sur le respect de toutes les
conditions de régularité du scrutin dans tous les bureaux de vote dans
lesquels les citoyens bulgares résidant en Turquie avaient voté.
120. La procédure devant la juridiction constitutionnelle n’aurait pas un
caractère contradictoire. Ni le DPS ni M. Riza n’auraient été parties à la
procédure en dépit de leurs demandes expresses et malgré le fait que, selon
eux, le litige les concernait directement. Le seul document du dossier auquel
ils auraient eu accès aurait été la demande introductive d’instance qui leur
avait été transmise par les députés du DPS à l’Assemblée nationale. Ces
requérants n’auraient pas pu prendre connaissance des autres pièces versées
au dossier, des arguments additionnels exposés par les demandeurs, des
preuves recueillies au cours de la procédure et des questions factuelles et
juridiques s’étant posées devant la Cour constitutionnelle. Ils auraient été
privés de toute possibilité de défendre leurs droits et intérêts légitimes dans
le cadre de la procédure. De surcroît, le droit interne n’aurait prévu aucun
recours contre l’arrêt litigieux de la Cour constitutionnelle.
121. Le DPS, M. Riza et les 101 autres requérants allèguent que les
irrégularités du processus électoral constatées dans l’arrêt de la Cour
constitutionnelle étaient minimes et qu’elles ne pouvaient entraîner
l’invalidation ni des suffrages exprimés dans les bureaux de vote concernés
ni du processus électoral lui-même. Or la Cour constitutionnelle n’aurait pas
examiné la question de savoir si l’impact des irrégularités constatées était
suffisamment sérieux pour imposer l’invalidation des élections dans les
23 bureaux de vote en question.
122. Les requérants estiment qu’aucune de ces irrégularités n’était
indicative d’une fraude électorale. La loi électorale n’obligerait pas le
président et le secrétaire de la commission électorale locale responsable
d’un bureau de vote ouvert à l’étranger à apposer leur signature au bas de la
liste des électeurs inscrits le jour même du scrutin. Une telle exigence
existerait pour les « listes additionnelles » qui étaient dressées uniquement
dans les bureaux de vote ouverts sur le territoire national. Ce serait pour
cette raison que presque toutes les listes électorales constituées le jour du
scrutin dans les bureaux de vote en Turquie n’auraient pas porté ces
signatures. Par ailleurs, cette même exigence n’aurait pas été respectée dans
des bureaux de vote sur le territoire national, et ce, d’après eux, sans que la
validité du processus électoral dans ceux-ci en fût affectée. Dans ces
circonstances, l’affirmation de la Cour constitutionnelle selon laquelle les
32 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
signatures en cause étaient un élément essentiel et évident pour la validité
des listes électorales aurait été tout à fait arbitraire.
123. Les requérants soutiennent que les documents électoraux essentiels
pour le calcul des résultats électoraux à l’étranger étaient le procès-verbal de
vote signé par les membres de la commission électorale locale et le
télégramme diplomatique envoyé par les représentations bulgares dans le
pays concerné. Ils précisent que les deux documents contenaient les
informations sur le nombre de votants, le nombre de bulletins nuls et le
nombre de voix recueillies par chaque parti. Associés à la liste des électeurs
contenant les données d’identification et la signature de chaque votant, ainsi
qu’aux bulletins déposés dans l’urne, ces documents auraient été suffisants
pour détecter toute fraude électorale, quelle qu’elle fût. Tous ces documents
auraient été disponibles pour les 23 bureaux de vote et aucune fraude
électorale n’aurait été mise en évidence.
124. Les requérants ajoutent que la Cour constitutionnelle a retenu deux
autres irrégularités : l’absence de procès-verbal ou de sa première page. Or,
ce serait non pas la première mais la deuxième page du procès-verbal qui
contiendrait les informations essentielles pour le calcul des résultats, à
savoir le nombre de votants, celui des bulletins valides et celui des bulletins
nuls, et la répartition des suffrages entre les partis politiques. Dans les cas
où aucune des deux pages du procès-verbal n’aurait été archivée, il y aurait
toujours eu le télégramme diplomatique qui reproduisait ces mêmes
données. Ces documents auraient bien été conservés pour les 23 bureaux de
vote en question.
125. La Cour constitutionnelle elle-même aurait reconnu que les
suffrages recueillis dans les 23 bureaux de vote étaient valides, mais elle
aurait décidé de les soustraire du résultat électoral en raison d’omissions qui
n’auraient été imputables ni aux électeurs, dont les 101 requérants de la
présente affaire, ni à M. Riza ni au DPS. Par ailleurs, les médias auraient
rapporté de nombreux cas d’omissions similaires, comme la destruction par
inadvertance par le personnel d’entretien de l’ambassade de Bulgarie à
Washington de tous les documents électoraux des bureaux de vote ouverts
sur le territoire des États-Unis. Or la régularité du processus électoral sur le
territoire américain n’aurait jamais été remise en cause et les voix obtenues
dans ces bureaux de vote auraient été prises en compte pour la répartition
des sièges à l’Assemblée nationale.
126. Pour ces motifs, les requérants invitent la Cour à constater que
l’ingérence litigieuse dans l’exercice de leurs droits respectifs de participer
aux élections législatives en tant que candidats/en tant qu’électeurs ne
poursuivait aucun but légitime et qu’elle était totalement injustifiée au
regard de l’article 3 du Protocole no 1.
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 33
b) Le Gouvernement
127. Le Gouvernement conteste en premier lieu l’existence d’une
ingérence dans l’exercice par les requérants des droits garantis par l’article 3
du Protocole no 1.
128. Il indique que le DPS a participé aux élections législatives de 2009
en présentant de nombreux candidats dans les circonscriptions uninominales
et plurinominales, et que M. Riza figurait sur la liste des candidats de ce
parti dans la 8e circonscription plurinominale. Il nie l’existence d’un lien
direct entre l’invalidation du scrutin dans les 23 bureaux de vote sur le
territoire turc et l’annulation du mandat de député de M. Riza. Il estime que
cette décision n’a aucunement altéré le poids politique du DPS qui, précise-
t-il, est resté le troisième parti politique bulgare par le nombre de députés
élus à l’Assemblée nationale.
129. En ce qui concerne les 101 autres requérants, le Gouvernement est
d’avis qu’ils ont exercé leur droit de voter et que leurs votes n’ont pas été
déclarés nuls par la Cour constitutionnelle. Au contraire, selon le
Gouvernement, la juridiction constitutionnelle a expressément souligné
qu’il s’agissait de votes valides qui n’auraient toutefois pas pu être
comptabilisés en raison de manquements graves commis par les membres
des commissions électorales responsables des bureaux dans lesquels les
intéressés avaient voté.
130. À titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que, même si l’on
admet l’existence d’une ingérence dans le droit électoral passif de M. Riza
et du DPS et dans le droit électoral actif des autres requérants, celle-ci était
justifiée eu égard aux arguments exposés ci-après.
131. Ainsi, le Gouvernement expose que le droit de voter et le droit de
se présenter aux élections sont garantis par la Constitution bulgare et que, à
l’époque des faits, le processus électoral était réglementé par la loi
électorale de 2001. La répartition des sièges à l’Assemblée nationale aurait
été effectuée sur la base de l’ensemble des suffrages valides. Dès lors, il
aurait été essentiel pour la régularité du scrutin de ne prendre en compte que
les votes valides pour la détermination des résultats électoraux. Pour le
Gouvernement, cela garantissait la protection tant du droit de voter que de
celui de se porter candidat dans la mesure où cela aurait permis d’assurer
que les députés au Parlement national fussent élus grâce au soutien véritable
des électeurs.
132. Le Gouvernement ajoute que la législation électorale bulgare avait
été appliquée de manière claire et prévisible par les juridictions internes.
D’après lui, l’arrêt de la Cour constitutionnelle contesté par les requérants
avait pour but d’assurer à la fois le respect de la législation électorale et
celui de la légalité du scrutin.
133. Le Gouvernement indique en outre que, d’après la loi électorale, la
Cour constitutionnelle était l’organe compétent pour examiner la légalité de
l’élection des députés. Dans le cadre de ses prérogatives et poursuivant les
34 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
buts légitimes susmentionnés, la juridiction constitutionnelle se serait livrée
à un examen minutieux des conditions de régularité du scrutin dans les
bureaux ouverts sur le territoire turc. Elle aurait ordonné deux expertises et
en aurait recueilli les résultats, et elle aurait reçu et pris en compte les
observations de tous les intéressés. Sur la base de toutes les preuves
rassemblées, elle aurait relevé des omissions graves dans les documents
électoraux, notamment dans les listes électorales et dans les procès-verbaux
de vote, qui, selon elle, avaient affecté la régularité du processus électoral et
imposaient l’exclusion des voix obtenues dans 23 bureaux de vote, dont les
17 bureaux où les 101 requérants en la présente affaire avaient voté. La
modification du résultat électoral aurait abouti à une nouvelle répartition
proportionnelle des sièges et à l’annulation des mandats de trois députés
appartenant à des formations politiques différentes, à savoir le DPS, le parti
RZS et la Coalition bleue. Ainsi, le poids de la modification des résultats
électoraux aurait été réparti entre plusieurs participants aux élections
législatives, et ni le DPS ni M. Riza ne pourraient prétendre valablement
que l’arrêt litigieux avait pour conséquence de porter atteinte exclusivement
à leurs droits et intérêts légitimes.
134. D’après le Gouvernement, il n’y a aucun indice d’arbitraire dans la
manière dont l’arrêt en question a été adopté et motivé. La Cour
constitutionnelle n’aurait fait qu’appliquer la législation électorale interne.
L’ingérence alléguée dans l’exercice des droits de se porter candidat et de
voter n’aurait pas porté atteinte à l’essence même de ces droits ; elle aurait
poursuivi un but légitime et aurait respecté une juste mesure de
proportionnalité entre l’intérêt commun et les droits des requérants.
135. Le Gouvernement ajoute que les autorités bulgares sont
déterminées à combattre les pratiques électorales qui seraient incompatibles
avec un régime démocratique et qui seraient poursuivies pénalement, telles
que l’achat de votes ou encore le « tourisme électoral », consistant à
organiser le déplacement à l’étranger d’un nombre considérable d’électeurs
pour altérer les résultats du scrutin.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux découlant de la jurisprudence de la Cour
136. La Cour rappelle que l’article 3 du Protocole no 1 consacre un
principe fondamental dans un régime politique véritablement démocratique
et revêt donc dans le système de la Convention une importance capitale
(Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, § 47, série A no 113 ;
Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, § 103, CEDH 2006-IV). Le rôle de
l’État en tant qu’ultime garant du pluralisme implique l’adoption de
mesures positives pour « organiser » des élections démocratiques dans des
« conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le
choix du corps législatif » (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 54).
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 35
137. L’article 3 du Protocole no 1 n’engendre aucune obligation
d’introduire un système électoral déterminé tel que la proportionnelle ou le
vote majoritaire à un ou à deux tours. Les États contractants disposent d’une
large marge d’appréciation en la matière. Les systèmes électoraux cherchent
à répondre à des objectifs parfois peu compatibles entre eux : d’un côté,
refléter de manière à peu près fidèle les opinions du peuple, de l’autre
canaliser les courants de pensée pour favoriser la formation d’une volonté
politique d’une cohérence et d’une clarté suffisantes. Dès lors, la phrase
« conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le
choix du corps législatif » implique pour l’essentiel le principe de l’égalité
de traitement de tous les citoyens dans l’exercice de leur droit de vote et de
leur droit de se présenter aux élections. Il ne s’ensuit pourtant pas que tous
les bulletins doivent avoir un poids égal quant au résultat, ni tout candidat
des chances égales de l’emporter. Ainsi, aucun système ne saurait éviter le
phénomène des « voix perdues » (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 54).
138. En vertu de la jurisprudence de la Cour, les mots « libre expression
de l’opinion du peuple » signifient que les élections ne sauraient comporter
une quelconque pression sur le choix d’un ou de plusieurs candidats et que,
dans ce choix, l’électeur ne doit pas être indûment incité à voter pour un
parti ou pour un autre. Le mot « choix » implique qu’il faut assurer aux
différents partis politiques des possibilités raisonnables de présenter leurs
candidats aux élections (Yumak et Sadak c. Turquie [GC], no 10226/03,
§ 108, CEDH 2008). La Cour a jugé également que, une fois le choix du
peuple librement et démocratiquement exprimé, aucune modification
ultérieure dans l’organisation des élections ne saurait remettre en cause ce
choix, sauf en présence de motifs impérieux pour l’ordre démocratique
(Lykourezos c. Grèce, no 33554/03, § 52, CEDH 2006-VIII).
139. L’article 3 du Protocole no 1 implique également des droits
subjectifs, dont le droit de voter et celui de se porter candidat à des élections
(Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, §§ 46-51).
140. Le droit de voter, c’est-à-dire l’aspect « actif » des droits garantis
par l’article 3 du Protocole no 1, ne constitue pas un privilège. Au
XXIe siècle, dans un État démocratique, la présomption doit jouer en faveur
de l’octroi de ce droit au plus grand nombre (Hirst c. Royaume-Uni (no 2)
[GC], no 74025/01, § 59, CEDH 2005-IX). Certes, l’article 3 du
Protocole no 1 ne prévoit pas la mise en œuvre par les États contractants de
mesures favorisant l’exercice de ce droit par les expatriés depuis leur lieu de
résidence. Cependant, puisque dans un État démocratique la présomption
doit jouer en faveur de l’octroi du droit de vote au plus grand nombre, de
telles mesures cadrent avec cette disposition (Sitaropoulos et
Giakoumopoulos c. Grèce [GC], no 42202/07, § 71, CEDH 2012).
141. Quant au droit électoral passif, celui-ci ne se limite pas à la simple
possibilité de participer aux élections en tant que candidat. Une fois élue, la
personne concernée a également le droit d’exercer son mandat (Sadak et
36 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
autres c. Turquie (no 2), nos 25144/94, 26149/95 à 26154/95, 27100/95 et
27101/95, § 33, CEDH 2002-IV ; Lykourezos, précité, § 50, in fine). De
surcroît, la Cour a admis que, lorsque la législation électorale ou les
mesures prises par les autorités nationales restreignent le droit des candidats
pris individuellement de se présenter à une élection sur la liste d’un parti, le
parti concerné peut, en cette qualité, se prétendre victime d’une violation de
l’article 3 du Protocole no 1, indépendamment de ses candidats (Parti
travailliste géorgien c. Géorgie, no 9103/04, §§ 72-74, CEDH 2008).
142. La Cour rappelle ensuite que les droits garantis par l’article 3 du
Protocole no 1 ne sont pas absolus. Il y a place pour des « limitations
implicites », et les États contractants disposent d’une ample marge
d’appréciation en la matière (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 52,
Ždanoka, précité, § 103, Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 33,
CEDH 2002-II). Il appartient cependant à la Cour de statuer en dernier
ressort sur l’observation des exigences de l’article 3 du Protocole no 1 ; il lui
faut s’assurer que les conditions auxquelles sont subordonnés le droit de
voter ou le droit de se porter candidat à des élections ne réduisent pas les
droits dont il s’agit au point de les atteindre dans leur substance même et de
les priver de leur effectivité, qu’elles poursuivent un but légitime et que les
moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés (Mathieu-Mohin et
Clerfayt, précité, § 52, Ždanoka, précité, § 104).
143. La Cour doit veiller à ce que le processus décisionnel concernant
l’inéligibilité ou la contestation de résultats électoraux soit entouré d’un
minimum de garanties contre l’arbitraire. En particulier, les décisions en
cause doivent être prises par un organe présentant un minimum de garanties
d’impartialité. De même, le pouvoir autonome d’appréciation de cet organe
ne doit pas être excessif ; il doit être, à un niveau suffisant de précision,
circonscrit par les dispositions du droit interne. Enfin, la procédure doit être
de nature à garantir une décision équitable, objective et suffisamment
motivée, et à éviter tout abus de pouvoir de la part de l’autorité compétente
(Podkolzina, précité, § 35 ; Kovatch c. Ukraine, no 39424/02, §§ 54-55,
CEDH 2008 ; Kerimova, précité, §§ 44-45). La Cour rappelle également
qu’en vertu du principe de subsidiarité il ne lui appartient pas de se
substituer aux juridictions internes dans l’appréciation des faits ou dans
l’interprétation du droit interne. Dans le contexte particulier des litiges
électoraux, elle n’est pas appelée à déterminer si les irrégularités du
processus électoral alléguées par les parties représentent des violations de la
législation interne pertinente (Namat Aliyev c. Azerbaïdjan, no 18705/06,
§ 77, 8 avril 2010). Son rôle pour déterminer s’il y a eu une ingérence
injustifiée dans « la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du
corps législatif » se limite à établir si la décision rendue par l’organe interne
avait un caractère arbitraire ou manifestement déraisonnable (Babenko
c. Ukraine (déc.), no 43476/98, 4 mai 1999, Partija « Jaunie Demokrati » et
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 37
Partija « Musu Zeme » c. Lettonie (déc.), nos 10547/07 et 34049/07,
29 novembre 2007, et Kerimli et Alibeyli, précité, §§ 38-42).
b) Application de ces principes à la présente espèce
i. Sur l’existence d’une ingérence dans l’exercice des droits garantis par
l’article 3 du Protocole no 1
144. La Cour estime qu’il y lieu de répondre d’abord à la question de
savoir si la situation dont se plaignent les requérants s’analyse en une
ingérence dans l’exercice de leurs droits garantis par l’article 3 du
Protocole no 1.
- En ce qui concerne le droit électoral actif
145. La Cour observe que les 101 requérants, dont les noms figurent en
annexe, résidaient à l’époque des faits en Turquie. Ils ont voté aux élections
législatives du 5 juillet 2009 dans 17 des bureaux de vote ouverts sur le
territoire turc. Leurs votes ont été initialement pris en compte pour le calcul
du seuil électoral de 4 %. Les suffrages de ceux d’entre eux qui avaient voté
pour les six partis qualifiés ont ensuite été pris en compte dans la répartition
des mandats entre ces partis politiques au niveau national (paragraphe 64
ci-dessus).
146. Par son arrêt du 16 février 2010, qui fait l’objet de la présente
affaire, la Cour constitutionnelle bulgare a décidé d’annuler les élections
dans 23 bureaux de vote ouverts par les représentations diplomatiques
bulgares sur le territoire turc et de soustraire des résultats électoraux les
suffrages obtenus dans ces bureaux, soit au total 18 358 voix. Parmi ces
votes se trouvaient ceux des 101 requérants dont la liste figure en annexe,
les 17 bureaux de vote où ils avaient voté faisant partie des 23 bureaux où
les élections ont été annulées.
147. Le Gouvernement soutient que la situation en cause ne s’analyse
pas en une ingérence dans l’exercice du droit de voter garanti à ces
101 requérants : il argue que ceux-ci ont exercé leur droit de vote, mais que
leurs voix n’ont pas comptés dans la répartition des sièges à l’Assemblée
nationale au motif que le processus électoral dans leurs bureaux de vote
aurait été entaché de graves irrégularités. La Cour ne partage pas cet avis.
148. En effet, le droit électoral actif, tel qu’il est garanti par l’article 3 du
Protocole no 1, ne se limite pas uniquement aux actes consistant à choisir
ses candidats favoris dans le secret de l’isoloir et à glisser son bulletin de
vote dans l’urne. Il implique également la possibilité pour chaque votant de
voir son vote influer sur la composition du corps législatif, sous réserve du
respect des règles établies par la législation électorale. Admettre le contraire
reviendrait à vider de leur substance le droit de voter, le processus électoral
et, en fin de compte, l’ordre démocratique lui-même.
38 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
149. À partir de ces constats, la Cour relève que l’arrêt litigieux de la
Cour constitutionnelle a eu un impact direct sur le droit de voter des 101
requérants en question. Leurs votes ont été exclus des résultats électoraux :
ils n’ont pas été comptabilisés pour le calcul du seuil électoral de 4 %, et
celles des 101 voix qui avaient été en faveur des six premiers partis aux
élections n’ont pas été prises en compte pour la répartition des mandats
entre ces partis politiques au niveau national (paragraphe 64 ci-dessus).
- En ce qui concerne le droit électoral passif
150. La Cour observe que M. Riza et le DPS ont participé aux élections
législatives bulgares du 5 juillet 2009 : le DPS a été enregistré par la
commission électorale centrale en tant que parti prenant part au scrutin, il a
présenté plusieurs candidats dans les circonscriptions plurinominales et
uninominales constituées sur le territoire bulgare et il a été inclus dans le
bulletin de vote spécialement conçu pour le scrutin devant se dérouler en
dehors du territoire national ; M. Riza figurait en deuxième position sur la
liste des candidats de son parti dans la 8e circonscription plurinominale à
Dobrich (paragraphe 14 ci-dessus). Après la proclamation initiale des
résultats électoraux et une première répartition des sièges, le 7 juillet 2009,
le DPS a obtenu 33 sièges à l’Assemblée nationale en vertu du système
proportionnel et 5 autres en vertu du système majoritaire (paragraphe 20
ci-dessus). M. Riza n’a pas été élu au Parlement (paragraphe 21 ci-dessus).
Toutefois, à la suite d’un recours devant la Cour constitutionnelle introduit
par le candidat d’un autre parti politique et qui a finalement été couronné de
succès, une nouvelle répartition proportionnelle des sièges a eu lieu : le DPS
a perdu un de ses deux sièges dans la 19e circonscription plurinominale,
mais il a obtenu un deuxième mandat dans la 8e circonscription
plurinominale, qui est revenu à M. Riza en tant que numéro deux de la liste
des candidats de son parti dans cette dernière circonscription (ibidem).
Ainsi, à la date du 12 octobre 2009, le score électoral du DPS était de
610 521 voix, le parti comptait 38 députés au Parlement national, dont
M. Riza. Il a par la suite été élu membre d’une des commissions
permanentes de l’Assemblée nationale.
151. L’arrêt de la Cour constitutionnelle a affecté la situation de ces
deux requérants qui ont participé en tant que candidats aux élections en
question. Le DPS a vu son score électoral diminuer de 18 140 voix. La
nouvelle répartition des sièges qui s’en est suivie a entraîné des
changements dans la composition du Parlement national : le DPS a perdu un
siège au Parlement pourvu selon le système proportionnel au profit du parti
politique qui avait gagné les élections et M. Riza s’est vu retirer son mandat
de député (paragraphes 48 et 49 ci-dessus). Ainsi, le score électoral réalisé
par le parti requérant selon le système proportionnel a chuté d’environ 3 % ;
son groupe au Parlement est passé de 38 députés à 37 et M. Riza a été déchu
de ses fonctions de représentant à l’Assemblée nationale.
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 39
- Conclusion de la Cour
152. Au vu des circonstances susmentionnées, la Cour estime que la
situation dénoncée par les requérants s’analyse en une ingérence dans
l’exercice de leurs droits respectifs de voter et de se porter candidat aux
élections législatives garantis par l’article 3 du Protocole no 1. Elle
considère également que ces mêmes arguments lui imposent de rejeter
l’exception tirée par le Gouvernement du défaut de qualité de victime des
requérants (paragraphe 114 ci-dessus).
ii. Sur la justification de l’ingérence en cause
153. La Cour doit donc s’assurer que ladite ingérence n’a pas réduit les
droits électoraux actif et passif des requérants au point de les atteindre dans
leur substance même et de les priver de leur effectivité, qu’elle poursuivait
un but légitime et que les moyens employés ne se sont pas révélés
disproportionnés au but poursuivi.
154. La Cour constate que les parties sont en désaccord quant à la
finalité des mesures contestées. Les requérants estiment que l’annulation de
l’élection dans 23 bureaux de vote ouverts à l’étranger ne poursuivait aucun
but légitime, tandis que le Gouvernement soutient que le contrôle exercé par
la Cour constitutionnelle tendait à assurer le respect de la législation
électorale.
155. La Cour observe pour sa part que la procédure devant la Cour
constitutionnelle, qui a abouti à l’arrêt contesté par les requérants, était
fondée sur l’article 149, alinéa 1, point 7, de la Constitution et sur
l’article 112 de la loi électorale de 2001. Ces dispositions permettaient à
tout candidat aux élections législatives de contester la légalité de l’élection
des députés à l’Assemblée nationale (paragraphe 78 ci-dessus).
Concrètement, ce type de litige porte souvent sur le respect des règles
entourant le vote et son dépouillement dans un ou plusieurs bureaux de vote,
et peut aboutir à l’invalidation d’une partie du scrutin et à une modification
du score électoral de chaque candidat individuel ou parti politique. Or, dans
les systèmes électoraux proportionnels, la modification du score électoral
des formations politiques, parfois même dans un seul bureau de vote, peut
aboutir à une nouvelle répartition des sièges à la législature et avoir pour
résultat une augmentation ou une diminution du nombre des sièges attribués
aux différents partis ou coalitions. C’est exactement ce qui s’est produit en
l’espèce. La procédure litigieuse a été déclenchée par le président du parti
politique RZS et trois de ses candidats qui cherchaient à contester la légalité
de l’élection de sept députés du DPS au scrutin proportionnel dans le cadre
du système électoral bulgare. Les demandeurs ont dénoncé plusieurs
irrégularités du processus électoral commises dans les 123 bureaux de vote
où les citoyens bulgares résidant en Turquie avaient exercé leur droit
électoral (paragraphe 22 ci-dessus). Dès lors, la Cour accepte que la
procédure devant la Cour constitutionnelle avait pour but légitime d’assurer
40 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
le respect de la législation électorale et donc la régularité du scrutin et des
résultats des élections.
156. La Cour estime qu’il y a lieu d’établir ensuite si la procédure
décisionnelle a été entourée de suffisamment de garanties contre l’arbitraire.
Pour ce faire, elle doit établir si elle a satisfait aux exigences posées dans sa
jurisprudence constante (paragraphe 143 ci-dessus).
157. Les requérants soutiennent que la procédure suivie devant la Cour
constitutionnelle n’était pas adaptée à l’examen des litiges postélectoraux.
L’application des règles procédurales prévues par la loi sur la Cour
constitutionnelle et par son règlement a abouti, selon eux, à une procédure
sans objet clairement déterminé, qui serait restée inaccessible au DPS et à
M. Riza et qui aurait été insusceptible d’appel (paragraphes 119 et 120
ci-dessus). Le Gouvernement estime que ces deux requérants ont été
associés à la procédure dans la mesure nécessaire à la défense de leurs
intérêts dès lors que la Cour constitutionnelle aurait pris en compte leurs
observations et y aurait répondu dans son arrêt du 16 février 2010
(paragraphe 133 ci-dessus).
158. La Cour observe d’emblée que la partie requérante ne conteste ni
l’indépendance ni l’impartialité de la Cour constitutionnelle bulgare saisie
du litige postélectoral en cause. Elle n’aperçoit quant à elle aucune raison de
parvenir à une conclusion différente à cet égard.
159. La Cour constate ensuite que la loi sur la Cour constitutionnelle
bulgare et le règlement de celle-ci ne prévoient qu’un seul type de
procédure pour tous les litiges soumis à cette juridiction. Ainsi, les mêmes
règles procédurales trouvent à s’appliquer aux affaires portant sur la
compatibilité des dispositions législatives internes avec la Constitution et
aux contestations de la régularité d’élections législatives et de résultats
électoraux. La Cour n’est pas appelée dans la présente affaire à se prononcer
in abstracto sur la compatibilité de ce choix du législateur avec la
Convention ou ses Protocoles. Elle se bornera uniquement à examiner si, en
l’espèce, la procédure en cause a permis aux requérants de défendre de
manière effective leurs intérêts légitimes en tant que participants aux
élections législatives.
160. Dans la plainte initiale à l’origine de la procédure litigieuse, le
dirigeant du parti politique RZS et trois de ses membres ont contesté la
régularité de l’élection de sept députés du DPS, dénonçant des violations
graves de la législation électorale dans tous les bureaux de vote ouverts sur
le territoire turc (paragraphe 22 ci-dessus). La procédure s’est soldée par
l’annulation des élections dans 23 des 123 bureaux de vote visés et par le
retrait de son mandat à M. Riza, qui n’était pas concerné par la plainte
initiale. La Cour observe que cela résulte de l’effet cumulatif de trois
éléments spécifiques du système électoral bulgare : la répartition à la
proportionnelle au niveau national de 209 sièges de députés entre les partis
politiques ; la prise en compte des voix obtenues à l’étranger uniquement
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 41
dans cette répartition des sièges au niveau national ; la répartition ultérieure
des sièges obtenus par chaque parti dans les 31 circonscriptions
plurinominales constituées sur le territoire bulgare. Compte tenu de ces
particularités du système électoral bulgare, la décision de savoir s’il y avait
lieu d’annuler un ou plusieurs mandats de députés et précisément lesquels
dépendait du nombre de suffrages invalidés et de leur répartition entre les
différents partis. La Cour constitutionnelle devait donc établir d’abord si le
processus électoral avait été entaché de défauts suffisamment graves pour
entraîner l’annulation des résultats du scrutin. La juridiction
constitutionnelle a choisi de limiter la portée territoriale de son examen sur
l’observation de la législation électorale uniquement aux bureaux ouverts
sur le territoire turc parce que ces bureaux étaient expressément visés dans
la plainte initiale dont elle avait été saisie. La Cour ne saurait remettre en
question ce choix de la juridiction interne.
161. L’ensemble des observations des parties et tous les rapports
d’expertise présentés devant la Cour constitutionnelle concernaient la
question de savoir s’il y avait eu des irrégularités du processus électoral
dans les bureaux de vote ouverts en Turquie et, le cas échéant, si elles
étaient suffisamment graves pour justifier l’annulation des résultats
(paragraphes 22, 25-37 ci-dessus). Le raisonnement suivi par la Cour
constitutionnelle bulgare dans son arrêt du 16 février 2010 était axé sur ces
mêmes questions (paragraphes 38-48 ci-dessus). La Cour estime que ce sont
autant d’éléments qui démontrent que l’objet du litige devant la Cour
constitutionnelle, à savoir l’irrégularité alléguée du processus électoral dans
tous les bureaux de vote ouverts sur le territoire turc, était connu de tous les
participants à la procédure dès le début de celle-ci.
162. Le libellé de l’article 112 de la loi électorale de 2001 donnait à
penser qu’un litige portant sur l’irrégularité alléguée de l’élection d’un
député opposerait nécessairement ce dernier aux personnes physiques ou
morales contestant son élection (paragraphe 78 ci-dessus). La partie
requérante tire argument de cette disposition et semble affirmer que le DPS
et M. Riza auraient dû être parties à la procédure dès le début de celle-ci et,
en tout état de cause, après qu’ils en avaient expressément fait la demande
le 15 et le 16 février 2010. Force est de constater cependant que l’article 21,
alinéa 1, du règlement de la Cour constitutionnelle donne à la haute
juridiction le pouvoir discrétionnaire de déterminer les parties à la
procédure devant elle (paragraphe 80 ci-dessus). C’est dans l’exercice de ce
pouvoir que la juridiction constitutionnelle a désigné un certain nombre
d’institutions et d’organes étatiques et deux organisations non
gouvernementales comme parties à la procédure (paragraphe 24 ci-dessus).
163. Il est vrai que la Cour constitutionnelle n’a pas répondu à la
demande formulée par le DPS et par M. Riza d’être parties à la procédure.
En revanche, l’Assemblée nationale a été constituée partie à la procédure
dès le 11 août 2009 (paragraphe 24 ci-dessus). La Cour ne saurait remettre
42 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
en question ce choix de la haute juridiction constitutionnelle. En raison des
particularités du système électoral bulgare (paragraphes 62-66 ci-dessus), il
n’était pas possible d’établir par avance quel parti ou quel candidat
individuel serait affecté par la décision finale. Dans ce contexte, la
désignation de l’Assemblée nationale comme partie à la procédure devant la
Cour constitutionnelle paraissait une démarche logique puisque tous les
députés étaient potentiellement concernés par le futur arrêt de cette
juridiction et que tous les partis politiques qui avaient participé à la
répartition des sièges à la proportionnelle y étaient représentés.
164. À la date de la désignation formelle du Parlement comme partie à la
procédure, le DPS disposait d’un groupe parlementaire de 38 députés.
M. Riza, qui est vice-président du parti, a rejoint les rangs de son groupe
parlementaire en octobre 2009 (paragraphes 20 et 21 ci-dessus). Les deux
requérants reconnaissent que c’est par l’intermédiaire du groupe
parlementaire que les organes du parti et M. Riza ont obtenu copie de la
plainte introductive d’instance (paragraphe 120 ci-dessus). La Cour constate
que le groupe parlementaire du DPS a joué un rôle beaucoup plus actif dans
la procédure litigieuse devant la Cour constitutionnelle que ne l’admettent
les requérants. Par le biais du Parlement national, le groupe parlementaire
de ce parti a soumis des observations tant sur la recevabilité que sur le fond
de l’affaire, dans lesquelles il combattait les arguments exposés dans la
plainte des demandeurs (paragraphe 25 ci-dessus). La Cour constitutionnelle
a répondu à ces observations dans son arrêt du 16 février 2010
(paragraphes 39-48 ci-dessus). Le groupe parlementaire du DPS a
également pris position sur l’expertise complémentaire ordonnée par la
Cour constitutionnelle le 27 janvier 2010 en contestant les critères retenus
pour exclure des résultats électoraux les suffrages recueillis dans 23 bureaux
de vote ouverts sur le territoire turc (paragraphe 34 ci-dessus). Ces critères
se sont par la suite révélés décisifs pour l’issue du litige (paragraphes 46-48
ci-dessus).
165. À la lumière de ces éléments, la Cour relève qu’au cours de la
procédure devant la Cour constitutionnelle, le groupe parlementaire du DPS
a activement défendu les intérêts du parti politique qu’il représentait et de
M. Riza, qui en était membre. Qui plus est, il apparaît qu’au travers du
Parlement national, qui avait officiellement la qualité de partie à la
procédure, le groupe parlementaire et donc les deux requérants ont eu accès
à tous les documents versés au dossier et ont été régulièrement informés de
l’état de la procédure (voir en particulier le contenu de leurs demandes
individuelles d’autorisation de se constituer parties à la procédure,
paragraphe 37 ci-dessus). Au vu des circonstances de l’espèce, et
nonobstant le fait que les deux requérants n’ont pas été formellement partie
à la procédure litigieuse, la Cour estime qu’ils ont effectivement participé à
celle-ci par l’intermédiaire du groupe parlementaire du DPS et qu’ils ont eu
la possibilité d’exposer leurs arguments contre l’annulation des résultats
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 43
électoraux dans les bureaux de vote ouverts sur le territoire turc et de
contester de manière effective les arguments exposés par les demandeurs.
166. Le DPS et M. Riza se plaignent également que l’arrêt de la Cour
constitutionnelle était insusceptible de recours. La Cour observe à cet égard
qu’aucune disposition de la Convention ou de ses Protocoles n’oblige les
États contractants à mettre en place un double degré de juridiction pour les
litiges électoraux, et encore moins de prévoir un recours contre les arrêts des
juridictions constitutionnelles lorsqu’ils choisissent de confier à celles-ci
l’examen des litiges postélectoraux. Il y a lieu de préciser également que,
dans son code de bonne conduite en matière électorale, la Commission de
Venise préconise la mise en place d’une possibilité d’appel devant un
tribunal uniquement lorsque les décisions en première instance sont rendues
par des organes spécialisés tels que les commissions électorales
(paragraphe 92 ci-dessus).
167. Tous les requérants contestent les raisons retenues par la Cour
constitutionnelle pour annuler le scrutin dans 23 bureaux de vote. La Cour
rappelle qu’il ne lui appartient pas de se substituer aux juridictions
nationales dans l’appréciation des faits ou dans l’application du droit
interne, en l’occurrence le droit électoral bulgare. Elle doit cependant
s’assurer que la décision rendue par l’organe interne n’avait pas un caractère
arbitraire ou manifestement déraisonnable (paragraphe 143 ci-dessus).
168. La Cour observe que la juridiction constitutionnelle bulgare a
relevé les irrégularités suivantes dans les documents électoraux pour
justifier l’annulation du scrutin dans les 23 bureaux de vote en question :
l’absence de procès-verbal de vote archivé pour un bureau ; l’absence de la
première page du procès-verbal de vote ou l’absence d’information sur cette
même page concernant le nombre des votants ; l’absence des signatures du
président et du secrétaire de la commission électorale locale au bas de la
liste des électeurs inscrits le jour du scrutin (paragraphe 46 ci-dessus). La
Cour constitutionnelle bulgare a admis que le procès-verbal de vote
représentait le document essentiel pour l’établissement de la réalité du vote
dans tel ou tel bureau électoral et que l’absence de la première page de ce
document et des signatures au bas de la liste électorale additionnelle
affectait la force probante de ce document quant à la réalité du vote dans le
bureau en question (paragraphes 46 et 47 ci-dessus).
169. La Cour constate que le procès-verbal de vote, tel qu’il est conçu
par la législation bulgare, joue un rôle double dans le processus électoral : il
contient sur sa deuxième page les résultats du vote et c’est sur la base de ces
données que la commission électorale centrale détermine le résultat
électoral (paragraphe 72 ci-dessus) ; il consigne aussi, sur sa première page,
le nombre de personnes inscrites sur la liste électorale et le nombre de
personnes qui ont réellement voté le jour du scrutin (paragraphe 71
ci-dessus), et sert ainsi de base de comparaison avec les listes électorales
pour l’établissement de divers types de fraude électorale, par exemple le
44 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
bourrage d’urne ou encore l’ajout d’électeurs fictifs sur les listes des
votants. En l’occurrence, le procès-verbal archivé manquait pour un seul
bureau de vote sur le territoire turc ; pour trois autres bureaux, la première
page des procès-verbaux n’avait pas été conservée ; pour un autre bureau de
vote, le procès-verbal ne consignait pas le nombre de personnes qui avaient
voté le jour du scrutin (paragraphe 33 ci-dessus).
170. La Cour observe que c’est uniquement dans le dernier de ces cinq
bureaux de vote que l’irrégularité concernant le procès-verbal a, selon toute
probabilité, été commise le jour du scrutin par les membres de la
commission électorale locale et qu’elle peut dès lors être considérée comme
un indice de fraude électorale. Étant donné que les documents électoraux
provenant de l’étranger étaient d’abord remis aux représentants
diplomatiques bulgares à la fin de la journée électorale et seulement ensuite
envoyés à la commission électorale centrale en Bulgarie (paragraphe 77
ci-dessus), il n’est pas exclu que le procès-verbal du premier de ces bureaux
de vote et la première page des procès-verbaux des trois autres bureaux
aient été égarés à ce stade. Or la Cour constitutionnelle n’a pas exploré cette
éventualité, et ce malgré les informations fournies par quelques-uns des
membres de la commission électorale centrale qui avaient affirmé que les
documents électoraux provenant de Turquie avaient été préalablement
ouverts puis de nouveau scellés avant d’être envoyés à la commission
(paragraphe 36 ci-dessus).
171. Sans chercher à établir si les procès-verbaux de ces quatre bureaux
de vote avaient effectivement été complétés, signés et remis dans leur
intégralité aux services diplomatiques bulgares en Turquie par les
commissions électorales locales respectives, la Cour constitutionnelle s’est
contentée de constater leur absence, totale ou partielle, dans les archives des
organes étatiques compétents, ce qui a automatiquement entraîné
l’annulation des résultats dans ces quatre bureaux de vote. La haute
juridiction constitutionnelle a ainsi fondé cette partie de sa décision sur un
constat factuel qui ne démontrait pas à lui seul que le processus électoral
dans ces quatre bureaux avait été entaché d’une quelconque irrégularité.
172. La Cour constitutionnelle a décidé d’annuler les élections dans
18 autres bureaux de vote au motif que les listes des électeurs inscrits le jour
même du scrutin ne portaient ni la signature du président ni celle du
secrétaire de la commission électorale locale. Dans son arrêt, elle a reconnu
que la loi électorale ne l’imposait pas expressément. Elle a cependant
considéré que la signature était un élément essentiel et évident de tout
document officiel et que le modèle de « liste électorale additionnelle »
approuvé par un décret présidentiel prévoyait ces signatures (paragraphe 47
ci-dessus). La juridiction constitutionnelle a ainsi appliqué par analogie les
dispositions relatives aux « listes électorales additionnelles » et « aux listes
sous ligne » dressées dans les bureaux de vote ouverts sur le territoire
national (paragraphes 69 et 70 ci-dessus) au cas particulier des listes
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 45
d’électeurs non préinscrits établies le jour du scrutin dans les bureaux de
vote ouverts à l’étranger. Elle a annulé les élections dans les 18 bureaux de
vote au motif que les irrégularités constatées dans les listes électorales
avaient irrémédiablement affecté la force probante des procès-verbaux du
scrutin.
173. Il ressort des pièces du dossier que tous les documents électoraux
provenant de ces 18 bureaux de vote (bulletins, procès-verbaux, listes
électorales) avaient été conservés et mis à la disposition des experts et des
membres de la Cour constitutionnelle. La Cour observe que l’absence des
deux signatures est la seule irrégularité relevée dans ces documents
électoraux. Qui plus est, la Cour constitutionnelle a reconnu dans son arrêt
que l’absence des signatures des responsables de la commission électorale
locale mettait uniquement en cause la force probante des listes électorales
et, par conséquent, la véracité des données incluses dans les procès-verbaux
de vote, et non la validité des suffrages.
174. Certes, l’inobservation des exigences de forme concernant les listes
électorales peut indiquer une fraude touchant la composition du corps
électoral. La Cour considère cependant que tel n’était pas nécessairement le
cas dans le contexte spécifique de la présente affaire. Force est de constater
qu’à l’époque des faits, la législation électorale bulgare comportait des
lacunes quant aux formalités à respecter lorsque les commissions électorales
locales constituées à l’étranger inscrivaient des électeurs sur les listes
électorales le jour même du scrutin. La Cour constitutionnelle a été
confrontée à ce problème dans la présente affaire et elle a eu recours à une
application par analogie de la loi électorale pour combler le vide juridique
laissé par le législateur (paragraphes 47, 69 et 70 ci-dessus). Or les 18 listes
électorales en cause n’étaient pas les seules où il manquait les deux
signatures en question. Il s’agissait en effet d’une omission de forme
récurrente puisque les listes électorales additionnelles dressées dans 116 des
123 bureaux de vote ouverts sur le territoire turc n’avaient pas été signées
par les présidents et les secrétaires des commissions électorales
(paragraphe 29 ci-dessus), ce qui représentait environ 42 % de tous les
bureaux de vote ouverts à l’étranger (paragraphe 13 ci-dessus). La Cour
considère que ces données ne font que corroborer son constat selon lequel la
législation interne n’était pas suffisamment claire sur ce point particulier.
Dans ces circonstances, elle estime que cette omission, qui est de nature
purement technique, ne démontre pas à elle seule que le processus électoral
dans ces 18 bureaux de vote était entaché d’irrégularités qui justifiaient
l’annulation des résultats électoraux.
175. La Cour constitutionnelle a retenu un critère additionnel pour
annuler les résultats électoraux dans ces 18 bureaux, à savoir le fait
qu’aucun électeur préinscrit n’y avait exercé son droit de vote. La Cour
observe cependant que la législation interne n’oblige pas les citoyens
bulgares à voter le jour du scrutin, même s’ils avaient préalablement
46 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
exprimé leur intention d’exercer leur droit de vote. Il s’agissait donc d’un
critère supplémentaire qui en soi ne permettait pas de déceler une
irrégularité particulière du processus électoral. La Cour constitutionnelle l’a
utilisé pour éliminer les seuls votes des électeurs figurant sur les listes
additionnelles non signées.
176. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le processus
décisionnel suivi par la Cour constitutionnelle bulgare n’était pas conforme
aux standards élaborés dans la jurisprudence de la Cour (paragraphe 143
ci-dessus). En particulier, la juridiction constitutionnelle a exposé des motifs
purement formels pour annuler l’élection dans 22 bureaux de vote. De plus,
les éléments retenus par cette juridiction pour motiver cette partie de sa
décision ne figuraient pas, de manière suffisamment claire et prévisible,
dans le droit interne et il n’a pas été démontré qu’elles eussent altéré le
choix des électeurs et faussé le résultat électoral.
177. En ce qui concerne le dernier bureau de vote, où les résultats ont été
annulés pour absence de mention du nombre des votants sur la première
page du procès-verbal (voir paragraphes 169 et 170 ci-dessus), la Cour
observe que la loi électorale bulgare en vigueur à l’époque des faits, faisant
abstraction des recommandations du Code de bonne conduite en matière
électorale de la Commission de Venise (paragraphe 92 ci-dessus), ne
prévoyait pas la possibilité d’organiser de nouvelles élections en cas
d’annulation du scrutin (paragraphe 85 ci-dessus). Une telle possibilité n’a
été introduite dans la législation interne qu’en 2011 et la règle ne trouvait à
s’appliquer que dans le cas où les résultats électoraux avaient été annulés
dans leur totalité (ibidem). Force est de constater que l’impossibilité
d’organiser de nouvelles élections n’a nullement été prise en considération
par la Cour constitutionnelle pour déterminer si l’annulation des résultats
électoraux, dans les circonstances spécifiques de l’espèce, serait une mesure
proportionnelle au regard de l’article 3 du Protocole no 1 dont le but est
d’assurer la libre expression de la volonté des électeurs.
178. La Cour ne perd pas de vue que l’organisation de nouvelles
élections sur le territoire d’un autre pays souverain, fût-ce dans un nombre
limité de bureaux de vote, est susceptible de se heurter à des obstacles
diplomatiques ou opérationnels importants et d’entraîner des coûts
supplémentaires. Elle estime cependant que la tenue de nouvelles élections
dans ce dernier bureau de vote, où il y avait de sérieux indices
d’irrégularités dans le processus électoral commises par la commission
électorale le jour du scrutin (voir paragraphe 170 ci-dessus), aurait permis
de concilier le but légitime de l’annulation des résultats électoraux, à savoir
la préservation de la légalité du processus électoral, avec les droits
subjectifs des électeurs et des candidats aux élections parlementaires. La
Cour observe que cet élément, non plus, n’a été pris en compte dans l’arrêt
de la Cour constitutionnelle bulgare.
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 47
179. Pour ces motifs, la Cour considère que l’annulation des résultats
électoraux dans les bureaux de vote en question par la Cour
constitutionnelle bulgare, le retrait à M. Riza de son mandat de député et la
perte pour le DPS d’un siège au Parlement attribué à la proportionnelle ont
constitué une ingérence dans l’exercice par les 101 requérants de leur droit
électoral actif et par M. Riza et le DPS de leur droit électoral passif. Compte
tenu des carences constatées du droit interne, et de l’absence de toute
possibilité d’organiser de nouvelles élections, l’arrêt litigieux, qui reposait
sur des arguments purement formels, a causé une atteinte injustifiée aux
droits des 101 requérants et de M. Riza et du DPS de participer aux
élections législatives respectivement en tant qu’électeurs et en tant que
candidats. Il y a donc eu deux violations distinctes de l’article 3 du
Protocole no 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA
CONVENTION
180. Le DPS allègue que la modification du résultat électoral lui a fait
perdre une partie de la subvention de l’État qui lui revenait en tant que parti
représenté au Parlement national. Étant donné qu’il n’a pas pu se constituer
partie à la procédure devant la Cour constitutionnelle et que le droit interne
ne prévoyait aucun autre recours judiciaire pour contester la réduction de
cette subvention, le DPS se plaint de n’avoir pas eu accès à un tribunal pour
défendre ce droit qu’il qualifie de « civil ». Il invoque l’article 6 § 1 de la
Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal
indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses
droits et obligations de caractère civil (...).».
181. Le Gouvernement combat cette thèse et conteste en particulier
l’applicabilité de l’article 6 de la Convention en l’espèce. Il soutient que le
droit des partis politiques d’obtenir ladite subvention n’est pas un « droit
civil » au regard de l’article 6, mais un droit de caractère politique. Par
ailleurs, la réduction alléguée de la subvention due au DPS serait résultée de
la modification apportée au résultat électoral du parti à la suite des
irrégularités constatées dans le processus de vote. Aussi s’agissait-il
clairement, pour le Gouvernement, d’un litige électoral et non d’un litige
portant sur un droit de caractère civil.
182. La Cour rappelle que l’article 6 de la Convention trouve à
s’appliquer seulement s’il y a « une contestation sur des droits et obligations
de caractère civil » ou « une accusation en matière pénale ». Dans la
présente affaire, le parti politique requérant, le DPS, se plaint de n’avoir pas
pu porter le litige qui aurait été déterminant pour le montant de sa
48 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
subvention de l’État devant un tribunal offrant toutes les garanties
procédurales consacrées à l’article 6.
183. La Cour observe que la subvention étatique en question était versée
aux partis politiques en fonction de leurs résultats électoraux aux élections
législatives précédentes et que son montant était proportionnel au nombre
de suffrages valides obtenus par les partis (paragraphes 88 et 89 ci-dessus).
En l’espèce, la réduction alléguée de la subvention étatique allouée au DPS
était la conséquence directe de l’annulation, pour des raisons d’irrégularités
constatées dans le processus électoral, des 18 140 voix obtenues par le parti
dans 23 bureaux de vote. Il s’agissait donc d’un litige électoral, dont l’issue
aurait produit des effets sur le patrimoine du requérant.
184. Selon la jurisprudence constante de la Cour, les litiges électoraux,
même s’ils ont un enjeu patrimonial pour les requérants, n’entrent pas dans
le champ d’application de l’article 6 de la Convention parce qu’ils n’ont
trait ni à une « contestation sur un droit de caractère civil » ni à « une
accusation en matière pénale » (Pierre-Bloch c. France, 21 octobre 1997,
§§ 51 et 53-59, Recueil 1997-VI ; Cheminade c. France (déc.), no 31599/96,
CEDH 1999-II). Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae
avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et doit
être rejeté en application de l’article 35 § 4.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
185. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer
qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie
lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. ».
A. Dommage
186. Le premier requérant, M. Riza, réclame 60 155 EUR pour préjudice
matériel, précisant que ce montant est l’équivalent du salaire de député au
Parlement national qu’il aurait perçu pendant quatre ans. Il demande
également 15 000 EUR pour préjudice moral.
187. Pour dommage matériel, le deuxième requérant, le DPS, demande
une somme égale au montant qu’il aurait perçu au titre de la subvention de
l’État pendant quatre ans si les 18 140 voix recueillies par le parti dans les
23 bureaux de vote en question n’avaient pas été exclues de son score
électoral. Il présente deux estimations de cette somme effectuées selon deux
méthodes de calcul différentes qui sont, à ses dires, fonction des
changements de la législation interne en matière de calcul et de paiement de
la subvention étatique versée aux partis politiques (paragraphes 88-90
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 49
ci-dessus) : 395 507 EUR, selon la première méthode ; 335 740 EUR, selon
la seconde.
188. Les 101 autres requérants estiment que le constat d’une violation de
leur droit garanti par l’article 3 du Protocole no 1 constituerait en soi une
satisfaction équitable suffisante.
189. Le Gouvernement s’oppose aux prétentions de M. Riza et du DPS.
Il invite la Cour à déclarer que le constat d’une violation fournirait une
satisfaction équitable suffisante. À titre subsidiaire, il soutient que les
revendications des deux premiers requérants sont excessives et non étayées.
190. Pour ce qui est du préjudice matériel, la Cour observe que M. Riza
et le DPS ont réclamé à ce titre des sommes représentant, selon eux, le
manque à gagner découlant de l’arrêt litigieux de la Cour constitutionnelle
bulgare pour une période de quatre ans, soit la totalité du mandat de la 41e
législature. La Cour estime que ces prétentions ne sont pas suffisamment
étayées en raison notamment des circonstances suivantes.
191. Elle observe, en premier lieu, que ces deux requérants ont fondé
leurs estimations sur la présomption que la 41e Assemblée nationale
fonctionnerait jusqu’à la fin de son mandat de quatre ans. Or cette
assemblée a été dissoute par décret présidentiel avant le terme de son
mandat (paragraphe 52 ci-dessus). Elle observe, en deuxième lieu, que
M. Riza, comme tout autre député au Parlement national, n’était pas assuré
d’aller au terme de son mandat de quatre ans et qu’il n’a pas précisé quel
était le montant de ses revenus substitutifs pendant la période comprise
entre le retrait de son mandat et la fin de la 41e législature. En troisième lieu,
la Cour note que le constat de violation dans la présente affaire découle non
seulement de l’annulation des élections dans les bureaux de vote en
question, mais également de l’absence de toute possibilité d’organiser de
nouvelles élections (paragraphes 176-178 ci-dessus). Ainsi, la Cour n’est
pas en mesure de calculer le manque à gagner du DPS en se fondant sur la
différence entre les votes annulés et les votes dont le parti aurait bénéficié à
l’issue d’éventuelles nouvelles élections.
192. La Cour estime, dès lors, qu’il y lieu de rejeter les prétentions de
ces deux requérants concernant le dédommagement d’un préjudice matériel.
193. En ce qui concerne le dédommagement du préjudice moral allégué,
compte tenu des circonstances spécifiques de l’espèce, la Cour estime que le
constat de violation du droit de voter des 101 requérants figurant en annexe
et le constat de violation du droit de M. Riza de participer aux élections en
tant que candidat constituent une satisfaction équitable suffisante pour le
dommage moral subi par eux.
B. Frais et dépens
194. Le DPS sollicite encore 5 300 EUR pour frais et dépens, somme
qui correspondrait aux honoraires de l’avocat engagé pour la procédure
50 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
devant la Cour. Les 101 autres requérants réclament 3 400 EUR pour frais
et dépens, somme correspondant, selon eux, aux honoraires de l’avocat
engagé pour la procédure devant la Cour.
195. Le Gouvernement est d’avis que les sommes demandées à ce titre
par les requérants sont excessives et non étayées.
196. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent
établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.
197. En l’espèce, la Cour observe que tous les requérants ont été
représentés par le même avocat et que les arguments soulevés par ces
derniers sont, pour la plupart, identiques. Compte tenu de ces circonstances,
des documents présentés et de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime
raisonnable la somme de 6 000 EUR et l’accorde conjointement au DPS et
aux 101 autres requérants.
C. Intérêts moratoires
198. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires
sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Décide de joindre au fond l’exception du Gouvernement concernant la
qualité de victime des requérants au regard des griefs tirés de l’article 3
du Protocole no 1 à la Convention et la rejette ;
2. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés de
l’article 3 du Protocole no 1 et irrecevable pour le surplus ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 3 du Protocole no 1
en ce qui concerne le droit de voter des 101 requérants dont les noms
figurent en annexe de l’arrêt ;
4. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 3 du
Protocole no 1 en ce qui concerne le droit de se présenter aux élections
de M. Riza et du DPS ;
5. Dit à l’unanimité,
a) que le constat de violation constitue une satisfaction équitable
suffisante pour la violation du droit de voter des 101 requérants dont les
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 51
noms figurent en annexe et pour la violation du droit de se présenter aux
élections de M. Riza ;
b) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du
jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la
Convention, 6 000 EUR (six mille euros), conjointement au DPS et aux
101 requérants dont les noms figurent en annexe, plus tout montant
pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants sur cette somme, pour
frais et dépens, à convertir en levs bulgares, au taux applicable à la date
du règlement ;
c) que, à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce
montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la
facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable
pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le
surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 octobre 2015, en
application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-Passos Guido Raimondi
Greffière Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la
Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées
suivantes :
– opinion concordante du juge Wojtyczek ;
– opinion en partie dissidente de la juge Kalaydjieva.
G.R.A.
F.E.P.
52 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
ANNEXE
Liste des requérants en l’affaire no 48377/10
1. Emrula Fikret HASAN né en 1988, résidant à Kanyak
2. Fahrie Hasanova ABILOVA née en 1956, résidant à Cherkovna
3. Mehmed Mehmed ADEM né en 1970, résidant à Dropla
4. Ahmed Mustafa AHMED né en 1953, résidant à Osenovets
5. Beyzat Myustedzheb AHMED né en 1963, résidant à Golyam Porovets
6. Fatme Ismail AHMED née en 1938, résidant à Dzhebel
7. Hasan Sali AHMED né en 1936, résidant à Dzhebel
8. Niyazi Mehmedov AHMEDOV né en 1952, résidant à Gorna Hubavka
9. Ikbale Yumerova AHMEDOVA née en 1961, résidant à Pristoe
10. Fikri Mehmed ALI né en 1968, résidant à Guliyka
11. Esat Mustafa ALIOSMAN né en 1965, résidant à Balabanovo
12. Reshad Ferad ALIOSMAN né en 1956, résidant à Duhovets
13. Stefka Yulianova ANGELOVA née en 1978, résidant à Yakim Gruevo
14. Kalin Asenov ASENOV né en 1959, résidant à Yablanovo
15. Marin Asenov ASENOV né en 1954, résidant à Podayva
16. Velyo Zafirov AVRAMOV né en 1952, résidant à Kliment
17. Shaban Sali BALABAN né en 1961, résidant à Balabanovo
18. Mahir Muharem BILYAL né en 1961, résidant à Sredoseltsi
19. Emil Semov BONEV né en 1951, résidant à Vazovo
20. Mehmet BOYADZHA né en 1991, résidant à Zarnevo
21. Yakim Angelov DAMYANOV né en 1963, résidant à Duhovets
22. David Borisov DAVIDOV né en 1948, résidant à Todorovo
23. Remzi Ibryam DERVISH né en 1971, résidant à Bagriltsi
24. Ilyaz Myumyun DURMUSH né en 1937, résidant à Ptichar
25. Syuleyman Hyusein DZHELIL né en 1949, résidant à Duhovets
26. Nevin Yusnyu DZHINDZHI GERDZHIK née en 1977, résidant à Dulovo
27. Shevked Myumyun EMURLA né en 1955, résidant à Kardzhali
28. Zahari Minkov FIDANOV né en 1951, résidant à Duhovets
29. Yuliyan Zamfirov GAYGYOV né en 1956, résidant à Ratlina
30. Imren Sabri GORAL née en 1984, résidant à Semerdzhievo
31. Myumin GYULER né en 1990, résidant à Chernooki
32. Dincher Remzi HADZHIMEHMED né en 1974, résidant à Dzhebel
33. Myumyun Ahmed HADZHIMEHMED né en 1952, résidant à Balabanovo
34. Ismail Mehmed HALIM né en 1949, résidant à Pchelina
35. Shevked Ahmedov HALIMOV né en 1954, résidant à Izgrev
36. Ahmed Hyusein HAMZA né en 1950, résidant à Ratlina
37. Martin Martinov HARIZANOV né en 1947, résidant à Mortagonovo
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 53
38. Sami Shakirov HASANOV né en 1942, résidant à Yasenovets
39. Hikmet Kasim IBRYAM né en 1952, résidant à Kubrat
40. Ibryam Raim IBRYAM né en 1946, résidant à Bezmer
41. Mehmed Myumyun IBRYAM né en 1957, résidant à Chernooki
42. Filip Ivanov IGNATOV né en 1955, résidant à Orlyak
43. Iliya Mirchev ILIEV né en 1942, résidant à Sredkovets
44. Rumen Ananiev ILIEV né en 1954, résidant à s. Kliment
45. Ali Mustafa ISA né en 1954, résidant à Yablanovo
46. Ayshe Hamza ISA née en 1954, résidant à Yablanovo
47. Maya Martinova ISAYEVA née en 1952, résidant à Shumen
48. Ismail Adem ISMAIL né en 1946, résidant à Isperih
49. Emine Hyusein KARAMOLLA née en 1979, résidant à Benkovski
50. Nedko Filipov KARDZHIEV né en 1958, résidant à Venets
51. Aynur Ismail KASIM née en 1981, résidant à Zarnevo
52. Ahmed Shaban KUPLEDIN né en 1938, résidant à Mortagonovo
53. Emil Yordanov KYOSEV né en 1944, résidant à Provadiya
54. Mustafa Kyazamov KYUCHUKHASANOV né en 1949, résidant à
Yablanovo
55. Elif Ibryamova KYUCHYUKHASANOVA née en 1952, résidant à
Yablanovo
56. Emil Milkov MANOV né en 1953, résidant à Sredkovets
57. Beyram Kerim MEHMED né en 1955, résidant à Kitanchevo
58. Hyuray Mehmed MEHMED né en 1989, résidant à Dropla
59. Lyutfi Zakir MEHMEDEMIN né en 1951, résidant à Mortagonovo
60. Ahmed Karani MEHMEDOV né en 1963, résidant à Hitrino
61. Sali Ibryamov MEHMEDOV né en 1938, résidant à Veselina
62. Aygyul Mehmed MESRUR née en 1967, résidant à Boil
63. Genadiy Asenov METEV né en 1961, résidant à Beli Lom
64. Nikolay Marinov MIHAILOV né en 1961, résidant à Sokolartsi
65. Boyan Evgeniev MIHAYLOV né en 1957, résidant à Bistra
66. Snezhina Milanova MITEVA née en 1953, résidant à Ratlina
67. Stiliyan Mladenov MLADENOV né en 1947, résidant à Beli Lom
68. Redzheb Akif MUHAREM né en 1954, résidant à Kapinovtsi
69. Ema Asenova MURATOGLU née en 1970, résidant à Zarnevo
70. Sali Ahmedov MUSOV né en 1944, résidant à Ratlina
71. Ahmed Ibryam MUSTAFA né en 1950, résidant à Kardzhali
72. Efraim Dzhemail MUSTAFA né en 1939, résidant à Kliment
73. Mustafa Esat MUSTAFA né en 1989, résidant à Balabanovo
74. Mustafa Fikret MUSTAFA né en 1981, résidant à Targovishte
75. Ahmed Durmush MYUMYUN né en 1954, résidant à Kardzhali
76. Bayryam Beysim MYUMYUN né en 1963, résidant à s. Izgrev
77. Ismet Myumyunov MYUMYUNOV né en 1970, résidant à Spoluka
78. Lefter Marinov OGNYANOV né en 1952, résidant à Yablanovo
79. Mladen Slavov OGNYANOV né en 1951, résidant à Haskovo
80. Syuleyman Mustafa OSMAN né en 1956, résidant à Chernooki
81. Vadet Nazif OSMAN né en 1952, résidant à Duhovets
82. Miroslav Sabev PRESIYANOV né en 1951, résidant à Konop
83. Svetlin Naydenov RADEV né en 1957, résidant à Todorovo
54 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE
84. Hyusein Hyusein REDZHEB né en 1949, résidant à s. Duhovets
85. Redzheb Shakir REDZHEB né en 1933, résidant à Takach
86. Nevise Hasan RUFAD née en 1971, résidant à Dzhebel
87. Ivaylo Nikiforov SABEV né en 1959, résidant à Nozharovo
88. Syuleyman Mehmed SADAK né en 1948, résidant à Kardzhali
89. Byulent Ahmed SADETIN né en 1985, résidant à Kitnitsa
90. Yakub Shaban SALI né en 1950, résidant à Isperih
91. Sali Salimehmed SALISH né en 1954, résidant à Aytos
92. Marko Minchev SEVDALINOV né en 1962, résidant à Ludogortsi
93. Ibryam Arifov SHAKIROV né en 1949, résidant à Ardino
94. Fari Redzheb SHEVKED né en 1960, résidant à Rani list
95. Mitko Andreev TODOROV né en 1933, résidant à Cherencha
96. Anton Asenov TSENKOV né en 1934, résidant à Kliment
97. Shamsidin Salim VELI né en 1951, résidant à Duhovets
98. Shefkie Shefket VELI née en 1965, résidant à Shumen
99. Nadzhi Samiev YAHOV né en 1954, résidant à Isperih
100. Mincho Adriyanov YOSIFOV né en 1960, résidant à Duhovets
101. Alben Varadinov YURUKOV né en 1955, résidant à Ratlina
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE – OPINIONS SÉPARÉES 55
OPINION CONCORDANTE DU JUGE WOJTYCZEK
1. Dans la présente affaire, j’ai voté pour constater une violation de
l’article 3 du Protocole no 1, toutefois je ne suis pas convaincu par le
raisonnement développé par la majorité.
2. La majorité suit le schéma de raisonnement suivant : constatation de
l’existence d’une ingérence dans le droit protégé, puis examen de la
question de savoir si l’ingérence est justifiée. Cette façon de procéder
suscite en l’espèce un certain nombre d’interrogations.
Premièrement, la constatation d’une ingérence dans un droit présuppose
une définition précise du contenu du droit concerné et de son champ
d’application. En effet, le schéma fondé sur l’analyse de l’ingérence
comprend habituellement trois éléments : définition du contenu du droit en
question et de son champ d’application (en allemand : Schutzbereich),
établissement de l’existence d’une ingérence (Grundrechtseingriff) et
vérification de la légitimité de l’ingérence (Rechtfertigung). Or, dans la
présente affaire, le premier élément (définition du contenu du droit et du
champ d’application) fait partiellement défaut.
Deuxièmement, l’approche décrite, développée par la jurisprudence et la
science des droits fondamentaux allemandes, est très utile pour les droits qui
admettent des limitations. Un tel droit, tel que défini par la Convention, est
un droit prima facie qui protège son titulaire contre les ingérences
illégitimes, et dont le contenu définitif dépend en réalité de l’étendue des
limitations pouvant être imposées en conformité avec la Convention. Le
contenu spécifique de certains droits peut rendre le schéma exposé ci-dessus
inapplicable. Il en est ainsi en particulier dans le cas des droits pour lesquels
les limitations ne sont pas permises : pour ce type de droits, la constatation
d’une ingérence équivaut à une constatation de la violation du droit en
question sans qu’il y ait à s’interroger sur la légitimité de l’ingérence.
L’article 3 du Protocole no 1 tel qu’il est libellé met l’accent sur les
garanties objectives des élections libres plus que sur les droits subjectifs des
citoyens. Il permet néanmoins d’inférer de ces garanties objectives
l’existence de garanties des droits individuels de voter et de se porter
candidat aux élections parlementaires. Toutefois, le contenu exact de ces
droits subjectifs doit être établi à la lumière de la garantie objective
d’élections libres. Ainsi, le droit électoral actif est le droit de voter dans le
cadre d’élections libres et d’influer par le vote sur la composition du
parlement. Le droit électoral passif est le droit de concourir pour un siège au
parlement dans une élection libre. La notion même d’élections libres
présuppose un certain nombre d’éléments, parmi lesquels on peut citer à
titre d’exemple l’égalité des chances entre les candidats et les partis et une
procédure électorale qui aboutit à ce que le résultat officiel des élections
reflète fidèlement le vote des électeurs. Il découle aussi de l’article 3 que le
56 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE – OPINIONS SÉPARÉES
suffrage universel et les limitations du champ personnel des droits
électoraux actif et passif peuvent s’analyser selon le schéma exposé
ci-dessus (champ d’application, ingérence, justification). Par contre, ce
schéma tripartite ne semble pas adéquat pour appréhender les irrégularités
de la procédure électorale qui remettent en cause la sincérité du scrutin.
Par ailleurs, il faut souligner que l’élection du corps législatif est une
procédure longue et compliquée qui démarre avec la convocation
d’élections et qui se termine avec les décisions de justice définitives statuant
sur les contestations éventuelles de l’issue du scrutin. Tant que le juge
électoral n’a pas statué, la procédure électorale n’est pas achevée. Les
résultats proclamés par une commission électorale et contestés devant un
juge électoral ne peuvent pas constituer le point de référence pour apprécier
les ingérences portées dans les droits protégés par l’article 3 du
Protocole no 1.
Si l’argumentation de la majorité ne commence pas avec la définition du
droit électoral actif, une telle définition est néanmoins formulée dans l’arrêt
avec une précision suffisante pour les besoins de l’examen de la présente
affaire : le droit électoral actif est le droit de voter et d’influer sur la
composition du corps législatif (paragraphe 148). Le fait que certains votes
émis de façon valide par les électeurs n’aient pas été comptabilisés peut
s’analyser en une ingérence dans l’exercice par ces personnes du droit
électoral actif.
Par contre, la motivation de l’arrêt ne propose pas de définition du droit
électoral passif et de ce fait la conceptualisation de l’ingérence à ce droit
semble défaillante. Pour la majorité, le fait que le score électoral du
Mouvement pour les droits et libertés ait été diminué et que M. Riza ait
perdu son siège par suite de la décision de la Cour constitutionnelle
constitue en soi une ingérence dans l’exercice par ces deux requérants de
leur droit électoral passif. Il est difficile de suivre cette partie du
raisonnement. La décision du juge de réviser les résultats d’un scrutin
proclamés par une commission nationale est un élément important de la
procédure électorale qui conduit à établir le résultat définitif des élections.
Le fait qu’un candidat perde son mandat ou qu’un parti perde des voix et
des sièges par rapport à une première proclamation officielle des résultats à
la suite de la décision d’une juridiction électorale ne constitue pas en soi une
ingérence dans l’exercice du droit électoral passif. Dans la présente affaire,
l’ingérence dans le droit électoral passif du Mouvement pour les droits et
libertés et de M. Riza ne consiste pas en une diminution d’un score électoral
par le juge par rapport au résultat officiel proclamé auparavant mais résulte
d’un certain nombre d’irrégularités commises au cours des élections, qui
débouchent sur une situation dans laquelle les résultats définitifs officiels ne
reflètent pas fidèlement la réalité du scrutin.
3. L’élection parlementaire tenue en 2009 en Bulgarie a été évaluée par
l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (Republic of
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE – OPINIONS SÉPARÉES 57
Bulgaria Parliamentary Elections, 5 July 2009, OSCE/ODIHR, Limited
Election Observation Mission Final Report, Warsaw 30 September 2009) et
par le Conseil de l’Europe (Observation des élections législatives en
Bulgarie (5 juillet 2009), Commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée,
16 septembre 2009, Doc. 12008). Selon les conclusions générales de ces
rapports, elle a respecté les principales normes internationales, toutefois un
certain nombre de difficultés ont été constatées. Le rapport de l’OSCE
indique notamment ceci : « According to the law, there is no obligation to
register to vote and therefore no formal voter list for voters abroad is
compiled. Thus, any citizen may vote at a PEC [Precinct Election
Commission] abroad upon presenting a Bulgarian passport or military
identification. This was perceived by some interlocutors as a possible
mechanism for multiple voting. Some 57,346 individuals pre-registered at
embassies and were then deleted from the domestic voter lists ». On y
trouve la recommandation suivante : « Out-of-country procedures should be
further regulated to include safeguards against possible multiple voting ».
Le Comité ad hoc du Bureau de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de
l’Europe estime quant à lui dans son rapport que « l’utilisation de bulletins
de vote par correspondance et le vote à l’étranger ont été largement
considérés comme des mécanismes possibles de vote multiple » (§ 28).
4. La présente affaire fait apparaître toute une série d’irrégularités liées
au vote à l’étranger qui ont abouti à un litige portant sur la validité et la
comptabilisation de 18 358 votes dans 23 bureaux électoraux de Turquie :
absence de procès-verbal, absence de première page du procès-verbal ou
absence de signature sur certains documents, au bas de la liste des électeurs
inscrits. La majorité relève aussi, à très juste titre, un certain nombre des
déficiences de la législation électorale en vigueur en 2009, notamment le
manque de précision de la loi électorale sur un certain nombre de points
ainsi que le fait que le juge électoral ne pouvait pas décider la tenue de
nouvelles élections.
Toutefois, la motivation de l’arrêt de la Cour repose sur l’idée que les
irrégularités du processus électoral avaient un caractère mineur et ne
justifiaient pas la décision de ne pas prendre en considération les 18 358
bulletins de votes en question. Selon la majorité, la Cour constitutionnelle
aurait dû décider de comptabiliser ces bulletins sauf pour un bureau de vote,
où il aurait été nécessaire d’organiser de nouvelles élections. Si l’on suit ce
raisonnement, la violation de l’article 3 du Protocole no 1 par la Bulgarie
résulte de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle.
À mon avis, les problèmes du point de vue de l’article 3 du
Protocole no 1 ne commencent pas au stade du contrôle juridictionnel des
élections mais bien en amont. À la lumière des rapports de l’OSCE et du
Conseil de l’Europe, il faut se garder de sous-estimer le poids des
irrégularités commises pendant le vote et lors du décompte des voix dans les
bureaux électoraux en question. Ces irrégularités ont pu avoir un certain
58 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE – OPINIONS SÉPARÉES
impact sur le résultat des élections. Il est difficile de déterminer avec
certitude quel était le nombre exact de suffrages obtenus réellement par les
différentes listes en compétition dans les bureaux de vote concernés et si les
18 358 bulletins provenant de ces bureaux correspondent à des votes valides
et reflètent fidèlement les résultats du scrutin. Il serait en tout cas plus
prudent de parler dans ce cas de « bulletins de vote » que de « votes ».
La Cour constitutionnelle bulgare, saisie par un parti politique, s’est
sentie dans l’obligation de réagir face aux irrégularités révélées. Il faut
souligner en même temps que, dans le contexte des différentes
imperfections de la loi électorale bulgare, la marge de manœuvre de la haute
juridiction était limitée. Elle se trouvait confrontée au choix suivant :
admettre la validité des bulletins des votes dans les bureaux en question,
annuler les élections dans ces bureaux, ou admettre la validité des bulletins
des votes dans certains de ces bureaux et annuler les élections dans d’autres.
Aucune de ces trois solutions ne semble pleinement satisfaisante, et de ce
fait le contrôle juridictionnel ne pouvait pas réparer les irrégularités
commises à des stades antérieurs de la procédure électorale.
Dans les conditions décrites ci-dessus, la violation de l’article 3 du
Protocole no 1 résulte des imperfections de la loi et des irrégularités qui ont
été commises lors des différentes étapes de la procédure électorale et qui
n’ont pas pu être réparées de façon satisfaisante au stade du contrôle
juridictionnel de l’élection. Ce n’est pas l’arrêt de la Cour constitutionnelle
considéré isolément mais le processus électoral dans son ensemble qui ne
répond pas complètement aux normes découlant de l’article 3 du
Protocole no 1 et qui justifie un constat de violation de cette disposition.
5. Le code de bonne conduite en matière électorale de la Commission de
Venise préconise la possibilité d’annuler en partie ou en totalité une élection
et de décider la tenue de nouvelles élections. Toutefois, cette solution n’est
pas exempte, elle non plus, d’un certain nombre d’inconvénients. Une
nouvelle élection présente nécessairement de nouveaux enjeux et de
nouveaux thèmes de campagne et elle induit des comportements électoraux
différents. Ces différences sont particulièrement aiguës si les suffrages
exprimés à des dates différentes sont comptabilisés ensemble au niveau
national dans le but de répartir des sièges entre les listes de candidats. De
plus, en cas de nouvelles élections organisées à l’étranger, il faut tenir
compte, outre les difficultés signalées à très juste titre au paragraphe 178 de
la motivation de l’arrêt, d’autres problèmes. La composition du corps
électoral à l’étranger peut varier rapidement en fonction des déplacements
des électeurs. Il faut prévoir aussi des mécanismes efficaces qui empêchent
les électeurs ayant déjà voté une première fois sur le territoire national ou à
l’étranger, dans des bureaux de vote où l’élection n’a pas été annulée, de
voter une deuxième fois.
Dans ces conditions, il est essentiel de mettre en place une législation
claire et précise, prévoyant des garanties efficaces de la régularité de toutes
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE – OPINIONS SÉPARÉES 59
les étapes de la procédure électorale, de manière à réduire autant que
possible le risque qu’il soit nécessaire de contester les résultats des élections
devant le juge.
60 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE – OPINIONS SÉPARÉES
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
DE LA JUGE KALAYDJIEVA
(Traduction)
Je suis d’accord avec la majorité pour dire que l’examen fait par la Cour
constitutionnelle bulgare de la régularité du scrutin constitue une ingérence
dans l’exercice par les requérants du droit à des élections démocratiques
garanti par l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention. Cette ingérence
concernant un stade achevé du processus électoral, j’estime que, par
définition, elle était justifiée aux fins de faire en sorte que le processus
électoral respecte dûment toutes les procédures qui sont au cœur de
l’autorité dont les électeurs investissent les élus. La majorité n’a exprimé ni
doutes ni préoccupations à cet égard.
Toutefois, le fait même qu’il y ait eu « ingérence » dans, ou restriction
des droits individuels, ne suffit pas en lui-même à conclure qu’il y a
nécessairement eu violation de ces droits. Avant de parvenir à une telle
conclusion, il faut normalement vérifier la légalité de la mesure et son
caractère proportionné ou non au regard de l’objectif légitime poursuivi. À
cet égard, je ne suis toujours pas convaincue que l’exercice par une Cour
constitutionnelle de la compétence en question et/ou les droits garantis par
l’article 3 du Protocole 1 se prêtent à pareille analyse, analyse à laquelle, en
fait, la majorité n’a pas procédé.
Au lieu de cela, elle a estimé opportun (paragraphes 153 à 179), tout en
réaffirmant formellement le principe établi selon lequel les exigences de
l’article 6 ne sont pas applicables aux décisions des juridictions
constitutionnelles, d’apprécier au regard des critères inapplicables de cette
disposition la manière dont la Cour constitutionnelle avait exercé sa
compétence. Cette analyse qui s’arrête juste un pas avant de déclarer la
décision litigieuse arbitraire, commence par mettre en doute la nécessité
initiale d’accepter la demande d’examen de la régularité du processus
électoral, examine la portée de cet examen et le caractère suffisant ou non
du raisonnement de la Cour constitutionnelle, critique la procédure
appliquée par cette cour, et atteint son point culminant en rejetant
l’interprétation du droit interne faite par les juges nationaux, avant de
parvenir à la conclusion globale que cette « ingérence a emporté violation »
à l’égard de tous les requérants du droit à des élections démocratiques.
À mon avis, et si l’on suit la jurisprudence de notre Cour, chacune de ces
questions relève exclusivement de la compétence de la Cour
constitutionnelle et ne devrait pas y être soustraite. Je trouve d’une certaine
ironie le fait d’être obligée pour la première fois dans ma dernière opinion
dissidente de rappeler que la CEDH ne peut se substituer aux juridictions
nationales compétentes si elle veut demeurer fidèle au principe selon lequel
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE – OPINIONS SÉPARÉES 61
son propre rôle est subsidiaire. Pourtant, s’il y a jamais eu lieu de le faire,
c’est bien aujourd’hui.
Comme mon éminent collègue le juge Wojtyczek, je considère que la
présente affaire ne concerne ni un « dysfonctionnement flagrant » de la
Cour constitutionnelle dans l’exercice qu’elle a fait de sa compétence pour
garantir le respect des règles électorales, ni une conclusion arbitraire ou
erronée portée par elle dans l’affaire dont elle était saisie. À cet égard, je
suis totalement d’accord avec la conclusion du juge Wojtyczek selon
laquelle « [c]e n’est pas l’arrêt de la Cour constitutionnelle (Решение № 2
от 16.02.2010 г. на КС по к. д. № 10/2009 г.) qui ne répond pas
complètement aux standards découlant de l’article 3 du Protocole no 1 ».
Pour moi, les aspects problématiques de la situation au regard des droits des
requérants garantis par l’article 3 du Protocole no 1 trouvent leur racine et
leur limite dans l’absence de possibilité d’organiser un nouveau scrutin. Je
n’ai aucun doute sur le fait qu’en l’espèce, la majorité serait parvenue à des
conclusions différentes s’il avait été possible pour les requérants de
participer à un nouveau scrutin organisé pour corriger les vices de procédure
constatés par la Cour constitutionnelle.
L’article 3 du Protocole no 1 prévoit d’abord et avant tout une
« obligation positive » pour les États d’« organiser des élections libres »
dans des « conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple
sur le choix du corps législatif », ce qui implique les droits subjectifs de
voter et de se porter candidat aux élections.
À mon regret, je ne peux suivre mes éminents collègues dans leur
conclusions en l’absence d’analyse appropriée de la portée de l’obligation
positive d’« organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au
scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de
l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif » et de la mesure dans
laquelle cette obligation a été respectée en l’espèce, des distinctions devant
être opérées dans la portée et la nature des droits individuels garantis par
cette disposition et de l’effet potentiel de la décision de la Cour
constitutionnelle prise seule ou combinée avec l’absence de possibilité
d’organiser un nouveau scrutin pour la mettre en œuvre.
J’ai voté en faveur du constat de violation des droits des 101 requérants
de la requête no 48377/10 pour des raisons reposant sur l’humble tentative
de procéder à cette analyse différente. Le dispositif de la décision de la Cour
constitutionnelle indique expressément (paragraphe 48 de l’arrêt) que « les
votes en question étaient valides au regard de la législation interne, mais
qu’ils devaient être soustraits des résultats électoraux en raison de
l’irrégularité des listes électorales et des procès-verbaux de vote ». La
manière dont je comprends cette décision au regard de la Convention est
que même si les votes étaient valides en eux-mêmes, ils n’avaient pas été
exprimés « dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion
du peuple sur le choix du corps législatif » et qui permettent la vérification
62 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE – OPINIONS SÉPARÉES
de la liberté de cette expression, et il fallait donc que l’intégralité du
processus soit écartée. Or, en l’absence de possibilité de procéder à une
nouvelle élection à même de redresser ces dysfonctionnements, il n’a pas
été envisagé de restaurer la possibilité pour les 101 requérants d’exercer leur
droit d’influer sur le choix du corps législatif. Ainsi, n’ayant pas répondu à
l’obligation positive d’« organiser [un nouveau tour d’]élections libres »
dans des « conditions qui assurent la libre expression de l’opinion [des
requérants et de plus de 18 000 autres électeurs] sur le choix du corps
législatif », la mise en œuvre de la décision de la Cour constitutionnelle a eu
pour effet définitif et direct d’ignorer totalement le droit des requérants de
voter.
L’article 3 du Protocole no 1 protège aussi le droit de M. Riza et du parti
DPS de se porter candidats aux élections, un droit qui diffère, de par sa
nature et sa portée, du droit électoral actif. Pour autant, cette disposition ne
garantit pas le droit d’obtenir un siège au Parlement comme ces deux
requérants semblent le prétendre. Il est à noter avant tout que l’on ne peut
pas dire dans les circonstances de l’espèce, où le scrutin était proportionnel,
que l’annulation de l’élection initialement annoncée de M. Riza et de son
siège de candidat du parti requérant aient été le résultat direct de
l’annulation du scrutin dans les circonscriptions concernées. La situation
aurait peut-être été différente si M. Riza avait gagné un siège pour le parti
requérant dans la circonscription concernée dans le cadre d’un scrutin
majoritaire.
Or la majorité semble baser son constat de violation des droits de ces
deux requérants sur la prémisse qu’en annulant le résultat qui était en leur
faveur, la Cour constitutionnelle a pris une décision qui a nui de manière
directe et injustifiée à leur droit de se porter candidats à des élections. Je ne
peux suivre mes collègues dans cette conclusion, car je ne vois pas de lien
de causalité entre la décision de la Cour constitutionnelle et le préjudice
subi par les requérants. M. Riza et son parti ne se trouvent pas dans la même
situation que les 101 requérants de la requête no 48377/10, dont le droit de
vote a été directement touché : l’article 3 du Protocole no 1 ne garantit pas
un droit à être élu, et la majorité n’a pas expliqué en quoi la décision de la
Cour constitutionnelle avait porté atteinte au droit d’être candidat à des
élections ou limité ce droit de telle sorte qu’elle aurait été contraire aux
exigences de l’article 3 du Protocole no 1. Pour les raisons exposées
ci-dessus, je ne peux me ranger à l’avis de la majorité à l’égard de cette
décision, et je partage au contraire celui du juge Wojtyczek, selon lequel
« [c]e n’est pas l’arrêt de la Cour constitutionnelle (...) qui ne répond pas
complètement aux standards découlant de l’article 3 du Protocole no 1 ».
S’il est vrai que le résultat de cette élection, qui avait été remportée par
les requérants, a été annulé, cette décision reposait sur des vices de
procédure établis et ne portait nullement atteinte au droit des deux
requérants de se porter candidats à des élections au niveau national ou
ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE – OPINIONS SÉPARÉES 63
local : par exemple, la validité de l’inscription du parti requérant et la place
de M. Riza sur la liste correspondante n’ont pas été remises en cause.
L’examen de la situation de ces deux requérants aurait dû à mon avis
porter, comme dans les requêtes des 101 électeurs, sur l’effet de la mise en
œuvre de la décision de la Cour constitutionnelle sur le droit des intéressés à
des élections libres, en l’occurrence le droit de se porter candidats dans les
mêmes conditions que les autres, et non sur leur situation d’anciens
gagnants ou de gagnants potentiels de l’élection. Alors que le respect de
l’engagement d’organiser des élections (ou de nouvelles élections) libres
aurait été apte à remédier à la situation des 101 électeurs en restaurant
directement leur possibilité effective de voter, on voit mal comment un
nouveau scrutin aurait eu pour résultat certain la réélection de M. Riza et
l’obtention par son parti du même nombre de sièges au parlement que lors
du premier scrutin. La Cour ne peut spéculer sur l’issue potentielle d’une
nouvelle élection dans les circonstances intrinsèquement aléatoires qui sont
celles d’un système électoral de scrutin proportionnel tel que celui en cause
en l’espèce. Les deux requérants candidats ne se plaignent pas d’avoir été
privés de la possibilité de se porter candidats aux élections dans le cadre
d’un deuxième tour, et la mesure dans laquelle leurs chances de remporter
un nouveau scrutin relèvent de la portée de l’article 3 du Protocole no 1 est
discutable.
En l’espèce, l’absence de possibilité d’organiser un nouveau scrutin pour
corriger les défaillances établies du premier scrutin a clairement porté aux
droits des 101 requérants électeurs une atteinte touchant l’essence même de
ces droits et les privant de toute effectivité. En revanche, il n’en va pas
nécessairement de même du droit des requérants Riza et DPS de se porter
candidats à une élection au scrutin proportionnel : l’article 3 du
Protocole no 1 garantit un droit individuel de se porter candidat aux
élections, mais non un droit à les remporter.