À propos d’un cas de prurit et de thrombopénie induits par la rifampicine

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84 Lettres à la rédaction À propos d’un cas de prurit et de thrombopénie induits par la rifampicine Regarding a case of rifampicin-induced pruritus and thrombocytopenia Mots clés : Prurit ; Purpura ; Thrombopénie ; Rifampicine ; Tests cutanés Nous avons lu avec intérêt l’article sous presse de Neino Mourtala Mohamed et al. [1], relatant un purpura thrombo- pénique induit par la rifampicine, au neuvième jour après l’initiation d’une quadrithérapie antituberculeuse, cette thrombopénie ayant été précédée d’un prurit généralisé de chronologie accélérée (second jour du traitement). Comme l’indiquent les auteurs, ce type de réaction est relativement rare, même s’il n’est pas exceptionnel [2,3]. Cette thrombopénie résulte fort probablement d’une réac- tion d’hypersensibilité (HS) de type II de la classification de Gell & Coombs, liée à des anticorps (IgM/IgG) cyto- toxiques/opsonisants spécifiques de la rifampicine [3,4], et ne peut en aucun cas résulter d’une réaction d’HS retardée (HSR, médiée par les lymphocytes T). Les auteurs suggèrent, sur la positivité des tests cuta- nés à lecture immédiate, que le prurit initial pourrait être rapporté à une réaction d’HS immédiate (HSI, IgE-médiée) à la rifampicine. Cette hypothèse paraît peu probable pour plusieurs raisons : on estime que le délai entre une première exposition à un antigène/allergène et le début de la production des anticorps spécifiques est au minimum de 2 à 3 jours et peut atteindre plusieurs semaines selon les antigènes et le patrimoine génétique des individus [5,6]. Ce délai est tout à fait compatible avec l’apparition des anticorps cytotoxiques/opsonisants probablement responsables de la thrombopénie, mais, en l’absence de sensibilisation antérieure (connue), le délai de 24 heures entre le début du traitement et l’apparition du prurit est beaucoup trop bref pour permettre une sensibilisation et la produc- tion d’IgE spécifiques. Rien ne permet toutefois d’exclure que la patiente ait été sensibilisée par des applications antérieures et oubliées de gouttes ophtalmiques et/ou auriculaires contenant de la rifampicine/rifamycine ; des réactions cutanées bénignes à modérément sévères, parmi lesquelles des prurits isolés, sont rapportées chez 0,5 à 5 % des patients traités par la rifampicine et, le plus souvent, régressent spontanément malgré la poursuite du traitement [7—9] ; la positivité des tests cutanés à lecture immédiate effec- tués avec la rifampicine pure (prick-test) et diluée au 1/1000 e —1/10 e (IDR) résulte très certainement d’un effet irritant bien connu de la rifampicine. Dans notre expé- rience pédiatrique (non publiée), confirmée par celle d’autres auteurs [10,11], la concentration maximale à ne pas dépasser, au risque d’obtenir de nombreuses réponses faussement positives, est de 0,002 à 0,006 mg/mL, ce qui correspond à une dilution au 1/10 000 e . En conclusion, les auteurs rapportent le cas d’une patiente ayant présenté un prurit accéléré, probablement lié à une réaction d’HS non allergique/non spécifique, puis une thrombopénie de chronologie retardée, probablement liée à une réaction d’HS de type II, lors d’un premier traitement par la rifampicine. Chez cette patiente, les tests cutanés à lecture immédiate à la rifampicine auraient probablement été négatifs s’ils avaient été effectués à des concentrations plus faibles/des dilutions plus impor- tantes de rifampicine, et un dosage des anticorps sériques (IgM/IgG) spécifiques de la rifampicine (bien difficile à obtenir, il faut bien le reconnaître) aurait probablement per- mis de confirmer le mécanisme immunopathologique de la thrombopénie. Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela- tion avec cet article. Références [1] Neino Mourtala Mohamed A, Tummino C, Gouitaa M, et al. Purpura thrombopénique induit par la rifampicine chez une patiente non sensibilisée : à propos d’un cas. Rev Mal Respir 2013, http://dx.doi.org/10.1016/j.rmr.2013.03.009 . [2] Lee CH, Lee CJ. Thrombopenia: a rare but potentially serious side effect of initial daily and interrupted use of rifampicin. Chest 1989;96:202—3. [3] Martinez E, Collazos J, Mayo J. Hypersensitivity reactions to rifampicin: pathogenetic mechanisms, clinical manifestations, management strategies, and review of the anaphylactic-like reactions. Medicine 1999;78:361—9. [4] Averbeck M, Gebhardt C, Emmrich E, et al. Immunologic prin- ciples of allergic diseases. J Dtsch Dermatol Ges 2007;5:15—28. [5] Bach JF, Lesavre P. L’immunité humorale : les anticorps et le complément. In: Bach JF, Lesavre P, editors. Immunologie. Paris: Flammarion Med Sci; 1981. p. 101. [6] Roitt I, Brostoff J, Male D. La réponse anticorps. In: Roitt I, Brostoff J, Male D, editors. Immunologie fondamentale et appliquée. Montréal: MEDSI; 1986. p. 8.1. [7] Girling DJ, Hitze KL. Adverse reactions to rifampicin. Bull World Health Organ 1979;57:45—9. [8] Grosset J, Leventis S. Adverse effects of rifampicin. Rev Infect Dis 1983;5:S440—50. [9] Holdiness MR. Adverse cutaneous reactions to antituberculosis drugs. Int J Dermatol 1985;24:280—5. [10] Buergin S, Scherer K, Häusermann P, et al. Immediate hyper- sensitivity to rifampicin in 3 patients: diagnostic procedures and induction of clinical tolerance. Int Arch Allergy Immunol 2006;140:20—6. [11] Broz P, Harr T, Hecking C, et al. Non-irritant concentra- tions of ciprofloxacin, clarithromycin and rifampicin. Allergy 2012;67:647—52. C. Ponvert Service de pneumo-allergologie, département de pédiatrie, université Paris Descartes, hôpital Necker-Enfants—Malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France Adresse e-mail : [email protected] Rec ¸u le 22 juillet 2013 ; accepté le 12 aoˆ ut 2013 Disponible sur Internet le 30 octobre 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.rmr.2013.08.005

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tests cutanés à lecture immédiate à la rifampicine auraientprobablement été négatifs s’ils avaient été effectués àdes concentrations plus faibles/des dilutions plus impor-tantes de rifampicine, et un dosage des anticorps sériques(omt

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[5] Bach JF, Lesavre P. L’immunité humorale : les anticorps et le

ots clés : Prurit ; Purpura ; Thrombopénie ;ifampicine ; Tests cutanés

Nous avons lu avec intérêt l’article sous presse de Neinoourtala Mohamed et al. [1], relatant un purpura thrombo-énique induit par la rifampicine, au neuvième jour après’initiation d’une quadrithérapie antituberculeuse, cettehrombopénie ayant été précédée d’un prurit généralisé dehronologie accélérée (second jour du traitement).

Comme l’indiquent les auteurs, ce type de réaction estelativement rare, même s’il n’est pas exceptionnel [2,3].ette thrombopénie résulte fort probablement d’une réac-ion d’hypersensibilité (HS) de type II de la classificatione Gell & Coombs, liée à des anticorps (IgM/IgG) cyto-oxiques/opsonisants spécifiques de la rifampicine [3,4], ete peut en aucun cas résulter d’une réaction d’HS retardéeHSR, médiée par les lymphocytes T).

Les auteurs suggèrent, sur la positivité des tests cuta-és à lecture immédiate, que le prurit initial pourrait êtreapporté à une réaction d’HS immédiate (HSI, IgE-médiée)

la rifampicine. Cette hypothèse paraît peu probable pourlusieurs raisons :on estime que le délai entre une première exposition àun antigène/allergène et le début de la production desanticorps spécifiques est au minimum de 2 à 3 jours et

peut atteindre plusieurs semaines selon les antigènes etle patrimoine génétique des individus [5,6]. Ce délai esttout à fait compatible avec l’apparition des anticorpscytotoxiques/opsonisants probablement responsables dela thrombopénie, mais, en l’absence de sensibilisationantérieure (connue), le délai de 24 heures entre le débutdu traitement et l’apparition du prurit est beaucoup tropbref pour permettre une sensibilisation et la produc-tion d’IgE spécifiques. Rien ne permet toutefois d’exclureque la patiente ait été sensibilisée par des applicationsantérieures et oubliées de gouttes ophtalmiques et/ouauriculaires contenant de la rifampicine/rifamycine ;des réactions cutanées bénignes à modérément sévères,parmi lesquelles des prurits isolés, sont rapportées chez0,5 à 5 % des patients traités par la rifampicine et, le plussouvent, régressent spontanément malgré la poursuite dutraitement [7—9] ;la positivité des tests cutanés à lecture immédiate effec-tués avec la rifampicine pure (prick-test) et diluée au1/1000e—1/10e (IDR) résulte très certainement d’un effetirritant bien connu de la rifampicine. Dans notre expé-rience pédiatrique (non publiée), confirmée par celled’autres auteurs [10,11], la concentration maximale à nepas dépasser, au risque d’obtenir de nombreuses réponsesfaussement positives, est de 0,002 à 0,006 mg/mL, ce quicorrespond à une dilution au 1/10 000e.

En conclusion, les auteurs rapportent le cas d’uneatiente ayant présenté un prurit accéléré, probablement

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IgM/IgG) spécifiques de la rifampicine (bien difficile àbtenir, il faut bien le reconnaître) aurait probablement per-is de confirmer le mécanisme immunopathologique de la

hrombopénie.

éclaration d’intérêts

’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article.

éférences

[1] Neino Mourtala Mohamed A, Tummino C, Gouitaa M, et al.Purpura thrombopénique induit par la rifampicine chez unepatiente non sensibilisée : à propos d’un cas. Rev Mal Respir2013, http://dx.doi.org/10.1016/j.rmr.2013.03.009.

[2] Lee CH, Lee CJ. Thrombopenia: a rare but potentially seriousside effect of initial daily and interrupted use of rifampicin.Chest 1989;96:202—3.

[3] Martinez E, Collazos J, Mayo J. Hypersensitivity reactions torifampicin: pathogenetic mechanisms, clinical manifestations,management strategies, and review of the anaphylactic-likereactions. Medicine 1999;78:361—9.

[4] Averbeck M, Gebhardt C, Emmrich E, et al. Immunologic prin-ciples of allergic diseases. J Dtsch Dermatol Ges 2007;5:15—28.

complément. In: Bach JF, Lesavre P, editors. Immunologie.Paris: Flammarion Med Sci; 1981. p. 101.

[6] Roitt I, Brostoff J, Male D. La réponse anticorps. In: RoittI, Brostoff J, Male D, editors. Immunologie fondamentale etappliquée. Montréal: MEDSI; 1986. p. 8.1.

[7] Girling DJ, Hitze KL. Adverse reactions to rifampicin. Bull WorldHealth Organ 1979;57:45—9.

[8] Grosset J, Leventis S. Adverse effects of rifampicin. Rev InfectDis 1983;5:S440—50.

[9] Holdiness MR. Adverse cutaneous reactions to antituberculosisdrugs. Int J Dermatol 1985;24:280—5.

10] Buergin S, Scherer K, Häusermann P, et al. Immediate hyper-sensitivity to rifampicin in 3 patients: diagnostic proceduresand induction of clinical tolerance. Int Arch Allergy Immunol2006;140:20—6.

11] Broz P, Harr T, Hecking C, et al. Non-irritant concentra-tions of ciprofloxacin, clarithromycin and rifampicin. Allergy2012;67:647—52.

C. PonvertService de pneumo-allergologie, département de

pédiatrie, université Paris Descartes, hôpitalNecker-Enfants—Malades, 149, rue de Sèvres,

75015 Paris, France

Adresse e-mail : [email protected]

Recu le 22 juillet 2013 ;accepté le 12 aout 2013

Disponible sur Internet le 30 octobre 2013

ttp://dx.doi.org/10.1016/j.rmr.2013.08.005