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A PROPOS DU HÉRAPEL : HEINRICH BÔCKING ET LE DESTIN D'UNE PRESTIGIEUSE COLLECTION ARCHÉOLOGIQUE En décembre 1827, un Sarrois répondant au nom de B ocking(l l, conseiller supérieur des mines de SarrebruckCZ) et amateur éclairé d'antiquités, entreprend une opération de fouilles sur le site de l'ag- glomération gallo-romaine du Hérapel à CocherenC3l. Cette prise de contact avec le terrain, l'entraîne peu après à déplacer son atten- tion de quelques centaines de mètres dans la première section du Kohlberg de Folkling qui jouxte le Hérapel et abrite la nécropole de la localité antique. Il y découvrira plusieurs centaines de sépul- tures. Vraisemblablement très à l'aise dans une région frontalière de la Lorraine germanophone, B ocking p oursuit ses travaux jusqu'en avril 1829. Il réussit à se constituer durant ces quelques fructueux mois de recherches, une des plus importantes et des plus presti- gieuses collections de mobiliers antiques jamais issue d'un site archéologique lorrain. Au grand désespoir de toutes les générations d'archéologues et d'érudits qui suivirent, B ocking emporta cette dernière en Sarre dans la plus stricte légalité. Il suffisait en effet au XIXe siècl e de disposer, moyennant une indemnisation financière, d'une autorisation du propriétaire du terrain à fouiller, pour acqué- rir les découvertes(4). Bocking expl ora la nécropole pendant environ onze mois. Une amplitude largement suffisante pour que l'écho de son succès fran- chisse l'horizon local et attire l'attention des chercheurs français. Ce ne fut malheureusement pas le cas. La collection résultant de ces travaux resta dans l'ombre du personnage et fit, au contraire, l'ob- jet d'une surprenante désaffection. Il faut bien reconnaître que nous savions peu de choses sur B ocking dont on ignorait, outre le prénom, la véritable dimension publique. Ce n'est que soixante ans plus tard, en 1889 durant l'Annexion, que le professeur F X. Kraus mettra fin à son occultation, en citant brièvement la collection Bocking dans s on ouvrage Kunst und Altertum in Elsass-Lothrin- 1) A l'exception de quelques apports nouveaux, l'essentiel de cette biographie est puisé dans l'excellent article consacré par Fritz Hellwig à Heinrich Bcking. Voir Hellwig 1984. 2) A ce moment il ne l'est pas encore et n'exercera en fait jamais cette fonction qu'il obtiendra à titre purement honorifique (voir plus loin). 3) Moselle Est, région de Forbach. 4) Le vide juridique français portant sur la protection du patrimoine archéologique sera comblé par la loi du 27 septembre 1941, promulguée par le régime de Vichy, soit plus d'un siècle après ces faits. 229

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A PROPOS DU HÉRAPEL : HEINRICH BÔCKING ET LE DESTIN D'UNE

PRESTIGIEUSE COLLECTION ARCHÉOLOGIQUE

En décembre 1827, un Sarrois répondant au nom de Bocking(l l , conseiller supérieur des mines de SarrebruckCZ) et amateur éclairé d'antiquités, entreprend une opération de fouilles sur le site de l 'ag­glomération gallo-romaine du Hérapel à CocherenC3l . Cette prise de contact avec le terrain, l 'entraîne peu après à déplacer son atten­tion de quelques centaines de mètres dans la première section du Kohlberg de Folkling qui jouxte le Hérapel et abrite la nécropole de la localité antique. Il y découvrira plusieurs centaines de sépul­tures.

Vraisemblablement très à l 'aise dans une région frontalière de la Lorraine germanophone, Bocking poursuit ses travaux jusqu'en avril 1829. Il réussit à se constituer durant ces quelques fructueux mois de recherches, une des plus importantes et des plus presti­gieuses collections de mobiliers antiques j amais issue d 'un site archéologique lorrain. Au grand désespoir de toutes les générations d'archéologues et d'érudits qui suivirent, Bocking emporta cette dernière en Sarre dans la plus stricte légalité . Il suffisait en effet au XIXe siècle de disposer, moyennant une indemnisation financière, d'une autorisation du propriétaire du terrain à fouiller, pour acqué­rir les découvertes(4) .

Bocking explora la nécropole pendant environ onze mois. Une amplitude largement suffisante pour que l'écho de son succès fran­chisse l 'horizon local et attire l 'attention des chercheurs français. Ce ne fut malheureusement pas le cas. La collection résultant de ces travaux resta dans l 'ombre du personnage et fit, au contraire, l 'ob­jet d'une surprenante désaffection. Il faut bien reconnaître que nous savions peu de choses sur Bocking dont on ignorait, outre le prénom, la véritable dimension publique. Ce n'est que soixante ans plus tard, en 1889 durant l'Annexion, que le professeur F. X. Kra us mettra fin à son occultation, en citant brièvement la collection Bocking dans son ouvrage Kunst und Altertum in Elsass-Lothrin-

1) A l'exception de quelques apports nouveaux, l 'essentiel de cette biographie est puisé dans l'excellent article consacré par Fritz Hellwig à Heinrich Bi:icking. Voir Hellwig 1984. 2) A ce moment il ne l'est pas encore et n'exercera en fait jamais cette fonction qu'il obtiendra à titre purement honorifique (voir plus loin). 3) Moselle Est, région de Forbach. 4) Le vide juridique français portant sur la protection du patrimoine archéologique sera comblé par la loi du 27 septembre 1941, promulguée par le régime de Vichy, soit plus d 'un siècle après ces faits.

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gen(s) . Il faudra encore attendre les démarches de Jean-Baptiste Keune et les publications d'Emile Huber du début du XXe siècle pour voir enfin apparaître des documents écrits et des planches photographiques. Ces dernières sont d'ailleurs restées inédites en France jusqu'en 1995C6l .

L'enquête que nous avons menée en Allemagne et plus parti­culièrement à Berlin en 1996 et 1997, dans le cadre des travaux du Centre de Recherche « Histoire et Civilisation » de l'Université de Metz(7) , met en évidence plusieurs confusionsCSl et livre une image

5) Kraus 1892, III, p . 201 et IV, p. 66. 6) Voir pl. 2, a et b . C'est Jean-Louis Coudrot conservateur au musée de Metz jusqu'en 1992, aujourd'hui conservateur du musée de Châtillon-sur-Seine qui me remit ces clichés qu'il avait découverts dans la photothèque du musée de Metz. En me permettant d'accé­der à la matière que contenaient ces photographies, il eut un rôle déterminant et imprima un réel élan à ma recherche sur les fouilles anciennes d'Heinrich Bi:icking si peu docu­mentées à cette époque. Pour cette marque de confiance et pour ses encouragements je lui dois beaucoup. Je lui en garde une profonde reconnaissance . J'exprime également mes remerciements au musée de Metz pour m'avoir autorisé à publier les photographies en question. 7) Le soutien du Centre de Recherche « Histoire et Civilisation » dirigé par Alfred Wahl professeur d'histoire contemporaine, les conseils et l'impulsion de Jeanne-Marie Dema­rolle, présidente de la Société d'Histoire et d'Archéologie de la Lorraine, directeur de la recherche en cours sur les pratiques funéraires chez les Médiomatriques, ont énormément contribué au succès des différents voyages d 'étude à Berlin. Je tiens à leur exprimer mes plus sincères remerciements pour leur précieux appui. 8) Confusions portant en particulier sur l'amalgame fait entre << l 'Antiquarium der Ki:inig­lichen Museen >> et le << Ki:inigliches Museum für Vi:ilkerkunde », sur l'auteur de la vente, la date de la vente et sur le prénom de Bi:icking. En ce qui concerne ce dernier, il s 'agit bien d'Heinrich Bi:icking et nom pas de Gustav Bi:icking (voir Hoffmann 1995 pp. 37-70) . L'erreur trouve son origine dans l'interprétation erronée d'une note sommaire et ambiguë attribuée au Professeur Krohn (de « l'Historischer Verein für die Saargegend zu Saar­brücken ») . Cette note est portée en marge d'une copie manuscrite (conservée par le musée de Metz), d'un extrait de << I'Inventorium der Terrakottensammlung des Ki:iniglichen Antiquariums » (voir plus loin), qui recense les pièces de la collection Bi:icking. Ce manus­crit fut reproduit à partir d 'une copie empruntée à << l 'Historischer Verein für die Saar­gegend zu Saarbrücken ». La note a pour thème la provenance d 'une série de parures en or et d'un vase en bronze de la collection Bi:icking, que Ed. Gerhard attribua par erreur au Hérapel dans son article : « Ein Etrusskischer Goldschmuck aus den Mosellanden », paru en 1856 dans les Jahrbücher des Vereins von A/terthumsfreunden im Rhein/ande (Voir Gerhard 1856) . La note dit : << Unter diese Abschrift ist von Prof. Krohn, wie es scheint, folgender Zusatz angehangt : Herr Gustav Bi:icking, welcher die Gegenstande zum teil selbst aufgefunden hat, macht hierzu folgende Bemerkungen . . . » ; soit en français : << A cette copie était jointe la note suivante, du Professeur Krohn semble t-il : M. Gustave Bi:icking, lequel avait découvert lui-même une partie des objets, fait à ce propos les remarques suivantes . . . » . On en déduisit que les propos recueillis étaient ceux de l'auteur des fouilles, et par suite, Gustave Bi:icking était donc aussi le fouilleur du Kohl berg. La correction de cette méprise fut faite par Mme Verena Croon (descendante d'Heinrich Bi:icking par sa mère) lors de notre première rencontre à Berlin en décembre 1996. L'article de Ed. Gerhard, obtenu entre temps, permet de comprendre la confusion. Ce der­nier a bien attribué les dites parures en or et le vase en bronze au Hérapel. La correction lui fut signifiée par Heinrich Bi:icking lui-même. Elle est développée dans les pages 194 à 196 du même numéro des Jahrbücher des Vereins von Alterthumsfreunden im Rhein/ande sous << Nachtragliches zu S. 131 ff ». Dans ces quelques lignes de Ed. Gerhard, apparaît clai­rement que c'est un des fils d'Heinrich Bi:icking, qui a dirigé la fouille d'une nécropole à tumulus dans le canton de Birkenfeld à Schwarzenbach où furent en réalité découverts les parures en or et le vase en bronze. Dans cette courte notice, le rôle de ce fils n'est qu'ex­plicite et son prénom n'est pas cité. C'est le Professeur Krohn qui ajoute involontairement à la confusion, en insérant ces données en marge de « l ' lnventorium der Terrakottensammlung». De fait, l'un des fils d'Heinrich Bi:icking s 'appelait Gustav Adolf (voir plus loin dans la biographie) .

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Heinrich Bocking, peint par Louis Krevel, sans doute entre 1835 et 1838, durant son second mandat municipal. On distingue au second plan quelques pièces de sa collection d ' antiquités, parmi lesquels deux verres provenant de la nécropole du Kohlberg (Folkling en Moselle) , retiennent tout particulièrement l ' attention. Il s ' agit du cornet tronconique à pied, orné de verre appliqué (en haut à droite) et de la bouteille en forme de tête (au milieu à gauche, partiellement masquée par le vase) . D ' autres vestiges, telles que la bouteille globulaire à col en enton­noir (en haut à droite) , proviennent vraisemblablement de la nécropole du Kohl­berg mais leur identification précise reste délicate. Cette œuvre est aujourd'hui exposée dans la Galerie d 'Art Ancien du << Saarland Museum >> de Sarrebruck. J 'exprime mes plus sincères remerciements au Dr. Christoph Trepesch, Conservateur au << Saarland Museum >> pour m 'avoir obligeamment autorisé à prendre quelques photogra­phies du portrait d 'Heinrich Bi:icking et à les publier.

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radicalement différente du problème. Aussi semble-t-il utile de faire le point sur l 'historique de la collection de même que sur le vague conseiller supérieur des Mines qui s'est révélé être Heinrich Bocking, une figure emblématique de la Sarre et de Sarrebruck.

Heinrich Bôcking (1785-1862), maire de Sarrebruck et passionné d'antiquités

Heinrich Bocking naquit d'une famille rhénane, dont l'origine se trouve sur les rives de la Moselle dans le Hunsrück. Quatrième enfant d 'une famille qui devait en compter quatorze, il vit le jour le 1 er juin 1785 à Trarbach<9l . Son père Adolf Bocking pratiquait le commerce du charbon et du sel à Coblence. Sa mère, Ernestine Clara Scheibler, était issue d'une famille de drapiers. En dépit d'un cadre familial très favorable, Heinrich eut une enfance troublée par les développements militaires de la Révolution française et de trop fréquents changements de précepteurs. En 1793, la famille qui s'était retirée à Trèves, fuit l 'avance française et se réfugie à Coblence, puis à Hanau(lOl . En 1794, elle revient rive gauche du Rhin et s ' installe à Sarrebruck où le père décède subitement. La mère se retire alors avec ses enfants dans la famille. Heinrich est placé à lserlohn(ll l , chez son oncle Friederich Scheibler, qui le forme au commerce durant quatre ans. A lserlohn, il prend conscience des lacunes de son éducation et de son instruction au contact des jeunes gens de la société bourgeoise. Par des cours du soir et de nom­breuses lectures, il fit de grands efforts pour éliminer ces faiblesses mais il en garda un manque d'assurance qui devait le perturber jus­qu'à la fin de son existence.

A dix-neuf ans, il travaille à Amsterdam comme commis. Après l 'échec d'une affaire montée à son propre nom il se rend à Sarre­bruck. En 1809, il y fonde un foyer avec Charlotte Henriette Stumm, fille de l'un des plus importants sidérurgistes du Hunsrück et ancien partenaire en affaires de son père. De cette union naîtront quatre enfants dont trois fils : Heinrich Rudolph, Gustav Adolf et Edouard.

Vers 1810, Heinrich Bocking est en retrait de la vie publique. Il s ' intéresse passionnément à la minéralogie et aux antiquités, bases de sa connaissance géologique de la Sarre et de ses futures fouilles archéologiques en Lorraine et en Allemagne(12l .

9) Au nord de Trèves. 10) Land de Hesse sur le Main. 1 1 ) Dans la Ruhr. 12) Altenburg et Schwarzenbach pour les plus connues.

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La chute de l 'Empire français marque un tournant dans son existence. A trente ans, il s 'engage politiquement, milite pour le retour du département de la Sarre dans l 'espace allemand et prend une part active au rattachement à la Prusse. Début 1814, les succès des armées de la 7e coalition, qui pénètrent en France, semblent propices pour préparer le terrainC13l . Peut-être dans l'idée d'occu­per une position profitable pour le mouvement patriotique au sein de l 'administration municipale, il se propose comme conseiller à la mairie de Sarrebruck. Le 17 mars 1814 il est nommé une première fois maire de la ville. D 'obscures raisons, qui tiennent sans doute aux réticences de la vieille bourgeoisieC14l et à la quasi-certitude que Sarrebruck intégrerait la Prusse après la défaite française(ls) , l 'amè­nent à démissionner quelques semaines plus tard, juste avant la signature du traité de Paris, qui contre toute attente, laisse les villes de Sarrebruck, Sankt-Johann et Sarrelouis à la France. Ce revire­ment pour le moins inattendu fut ressenti comme un cuisant échec, mais en 1815, après la défaite de Waterloo, se présenta une seconde occasion. Le contexte avait changé. A Sarrebruck les tensions et la mobilisation étaient maintenant nettement plus fortes. Il n'était plus question d'attendre. Il fallait agir et Heinrich Bocking fut cette fois-ci, l 'un des mandatairesC16) chargés de se rendre à Paris avec pour mission d'influer sur les décisions, en sensibilisant les monar­ques et les diplomates réunis autour de la table des discussions aux souhaits des Sarrois, qui ne se sentaient pas français et désiraient déterminer leur nationalité . Il est difficile de mesurer l ' impact réel qu'eut la démarche mais, le 20 novembre 1815, les trois villes étaient officiellement rattachées à la Prusse. L'engagement pro-prussien d'Heinrich Bocking marqua désormais le cours de son existence.

Sa connaissance du pays et de son sous-sol, lui permit d'entrer en 1816 dans les tout nouveaux charbonnages d'état de la Sarre, d'abord comme assesseur puis comme directeur des finances. Même sans avoir de charge politique, Heinrich Bocking était un homme de confiance pour Berlin, où il était très introduit à la cour. Il était donc fréquemment en mission, comme détaché, ou en congé avec maintien du salaire.

Très maladive son épouse décède en 1832. La même année il reprend les fonctions de maire à la demande du ministère de l 'Inté-

13) Sans doute Heinrich Bi:icking a t-il rencontré le chef d'état major prussien Blücher qui talonnait les français et séjourna brièvement chez les Stumm durant son passage à Sarrebruck. 14) Qui n'apprécie guère la présence d'un Sarrebruckois d 'adoption très récente et trop jeune de surcroît. 15) Marquée par l 'entrée des troupes alliées dans Paris le 31 mars 1814. 16) En fait ils sont deux : Heinrich Bi:icking et le notaire Lauckhard.

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rieur, tout en conservant son poste aux charbonnages. Sans doute était-ce le résultat de ses propres démarches et du désir de l'autorité de placer un homme acquis à la cause prussienne aux commandes de la ville, qui lui assura cette nomination.

Sous son administration la ville connut un indéniable dévelop­pement<17l . Ce fut en revanche un maire autoritaire, qui n'hésitait pas à court-circuiter le « Stadtrat(18) » et même le « Landrat »(19) usant peut-être, le cas échéant, de la bienveillance attentive du Prince Friederich-Wilhelm IV. Ce dernier visite au demeurant Sarrebruck dès novembre 1833.

Le 30 janvier 1838, Heinrich Bocking est nommé « Bergrat(20) », tout en conservant la magistrature municipale. Son entêtement dans une affaire concernant le poste de « Landrat » de Sarrebruck, qu'il n'avait pas obtenu, lui vaudra finalement d'être écarté de la mairie le 26 juin de la même année. Le retour dans les charbon­nages se fit dans sa nouvelle fonction de « Bergrat » .

En 1839, au cours d 'un voyage d'étude en Angleterre, i l a l 'oc­casion d 'observer l'industrie anglaise en pleine expansion. Dès lors, il concentrera ses forces sur les problèmes de l'économie sarro­prussienne et de l'espace allemand en général. Son engagement dans ce domaine, auquel il se livre avec passion, est mal ressenti dans les charbonnages. A la fin de l 'été 1844, il est congédié, mais avec une pension et le titre « d'Oberbergrat(21 ) », faveurs dont il était sans doute redevable au roi Friederich-Wilhelm IV(22) . A par­tir de cette date et pour de nombreuses années, son action va se focaliser sur la protection douanière de la sidérurgie et l 'unification de l 'économie allemande.

En 1849, il se présente aux élections de la toute nouvelle 1re Chambre, sans doute dans l 'intention d 'intervenir comme parle­mentaire dans les questions douanières et les problèmes industriels. Il est élu dans la circonscription d' Altenkirch(23) . La chambre est dissoute en 1850 et Heinrich Bocking ne représentera plus sa can­didature. Pendant son mandat électoral, il déplace sa résidence à Berlin. Sa collection l 'accompagne dans la capitale prussienne et il ouvre volontiers la porte aux érudits et amateurs d'antiquités berli-

17) Création de services sociaux, construction d'écoles, amélioration de l 'adduction d'eau et de la voirie. 18) Conseil municipal. 19) A peu près équivalent au sous-préfet. 20) Conseiller des Mines. 21) Conseiller supérieur des Mines. 22) Couronné en 1840. 23) Dans le Westerwald.

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noisC24l désireux de découvrir ses trésors. Vraisemblablement au début des années 1850, il reçut ainsi la visite du Docteur Léopold Kohner membre de la Société Archéologique de Berlin qui en 1855 , fut le premier à présenter la collection au monde savant(25J .

En 1858, Heinrich Bocking réside à Bonn ou il vécut les der­nières années de sa vie, avant de décéder le 6 mai 1862, d'une attaque cérébrale.

Il est sans conteste très réducteur d 'évoquer la personnalité d'Heinrich Bocking en quelques mots, mais les traits les plus sail­lants de son existence laissent entrevoir un autodidacte passionné, patriote et ambitieux. Sans doute était-ce aussi un homme doué d'intuition et de perspicacité, armé d'une grande force de travail et d 'organisation, qui le mettaient en mesure de mener à bien plu­sieurs activités simultanées. Il suffit pour s 'en convaincre de penser à la manière fructueuse, rigoureuse et méthodique, voire systéma­tique, avec laquelle il a dirigé ses fouilles puis consigné ses décou­vertes tout en assumant d 'autres tâches par ailleurs.

Certains de ces contemporains lui reconnaissaient une person­nalité rayonnante, mais de son propre .aveu, le manque d'assurance en certaines circonstances le rendait également autoritaire et ergo­teur.

Partisan de la première heure du rattachement à la Prusse, il reste aussi dans la mémoire des Sarrois un pionnier du développe­ment économique de la Sarre et des Charbonnages d 'état prussiens.

Les origines de la collection : les fouilles du Kohlberg (1827-1829)

Comme nous l 'évoquions plus haut, Heinrich Bocking engagea des travaux sur le site du Hérapel vers la fin de l 'année 1827. En dépit de résultats plutôt encourageants, il se détourna soudaine­ment de la bourgade antique(26) et porta ses efforts dans la pre­mière longueur du Kohlberg de Folkling(27) sur l 'espace funéraire de la localité antique.

Les premières découvertes qu'il fit en ce lieu datent du 7 décem­bre 1827. Elles se placent au début de deux grandes campagnes de fouilles, conduites durant les mortes saisons 1827/1828 - 1828/1829, respectivement en quatre et sept mois(28J . Sans doute avec l 'aide et

24) Voir Kohner 1855, p. 30. 25) Kohner 1855, pp. 30-32. 26) Il ne réinterviendra plus qu'occasionnellement sur le Hérapel en mars 1828 et en avril 1829. 27) Voir Hoffmann 1995, p. 55. 28) Du 4 décembre 1827 au 29 mars 1828 et du 27 septembre 1828 au 18 avril 1829.

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les indications de quelques agriculteurs folklingeois recrutés comme main-d'œuvre, Heinrich Bocking explore, champ par champ, une vaste partie de la nécropole antique et met au jour plus de 600 tombes(29) à incinération et inhumation, dont les datations s 'éche­lonnent du milieu du Ier à la fin du IVe siècle.

Lorsqu'il entreprit les fouilles du Kohlberg, Heinrich Bocking possédait déjà une certaine expérience de terrain, mais il est évi­dent que son action fut plus animée par le goût des antiquités que par une réelle quête scientifique du passé . On ne s 'étonnera donc pas que son approche du contexte archéologique ne fut pas très attentive et qu'il n'ait pas songé à établir un plan ou pris le soin de prendre quelques relevés même sommaires. Malgré ces manque­ments qui peuvent paraître impardonnables à un archéologue actuel, Heinrich Bocking n'en était pas moins un homme métho­dique et rigoureux, qualités qui lui inspirèrent de consigner systé­matiquement toutes ses découvertes dans un registre(30) (rédigé en allemand gothique) tenu au jour le jour, enrichi de quelques rares mais précieuses observations de terrain. Sans doute conditionnées par la masse des découvertes, ces notes d'abord prises sans véri­table règle, devinrent rapidement plus systématiques. Tous les objets furent classés par champ et le cas échéant par tombe. Chaque champ exploré reçut un numéro d'ordre et le nom du propriétaire. Les sépultures furent enregistrées dans une numérotation continue à l ' intérieur de chaque champ. Le classement du mobilier funéraire fut maintenu dans le cadre de la tombe, complété par une descrip­tion sommaire et la mention des dimensions exprimées en pied français(31 ) .

Au printemps 1829, Heinrich Bocking avait enrichi sa collec­tion de 1 567(32) pièces, soit près de 755 objets en métal et matériaux divers, 420 poteries, 120 verres et 293 monnaies.

29) Sans doute un chiffre confié au Dr. Léopold Kohner par Heinrich Biicking lui-même. Voir Kohner 1855, p. 30. 30) Original conservé par le << Museum für V or- und Frühgeschichte >> de Berlin. Emprunté au début du siècle par Jean-Baptiste Keune à Berlin pour copie manuscrite, conservée par le Musée de Metz. 31) 0.3236 mètre. 32) Nous reprenons ici les chiffres d'Emile Huber. Sur le total de 1567 objets, 309 pro­viennent des champs sans sépulture, soit 33 poteries, 4 verres, 207 objets en métal et divers et 65 monnaies (Voir Huber 1907, p. 310). Emile Linckenheld reprend les mêmes valeurs. Les multiples facteurs d'erreurs (flou des définitions, nombre d'objets par numéro, erreurs de transcription entre les catalogues et erreurs de copie) nous ont conduit à reprendre l'en­semble de ce dossier chiffré. L'intégration des données issues des différents catalogues de la collection dans une base de données (encore en cours actuellement) ainsi qu'une défi­nition plus précise des catégories d'objets dénombrés, permettront sans doute d'éclairer différemment cette question dans un proche avenir. Cette étude apportera vraisemblable­ment des corrections qui ne devraient cependant pas avoir de répercussion importante sur la représentativité des chiffres évoqués dans cet article.

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A l'image de ce qui advient le plus fréquemment en pareille circonstance, la collection évolua peu tant qu'elle resta entre les mains de son acquéreur. Dans les faits, elle ne subit qu'une série d 'amputations mineures entre 1830 et 1833, période durant laquelle Heinrich Bocking, offrit une vingtaine de pièces au Prince Friede­rich Wilhelm IV. Ces dons(JJ) cessèrent d 'ailleurs après que ce der­nier eut visité Sarrebruck en novembre 1833, pendant le mandat de premier magistrat municipal d 'Heinrich Bocking.

Sans doute sensibilisé par les chercheurs et archéologues ber­linois, et en tout cas conscient de la très grande valeur archéolo­gique de la collection, Heinrich Bocking prend en 1858, juste avant de quitter Berlin où il résidait depuis quelques années, la décision de vendre(34) la totalité à « l' Antiquarium der Koniglichen Museen »

de Berlin aussi connu sous le nom de « Altes Museum » et aujour­d'hui « Antikensammlung(35) » . On lui offrit 500 Reichsthaler pour un vase étrusque en bronze et 1 600 Reichsthaler pour le reste de la collection qui comprenait, entre autres, le mobilier funéraire du Hérapel(36J . En agissant de la sorte, il prit une décision salutaire qui évita le pire, la perte ou l'éclatement. On imagine en effet, sans peine les héritiers vendre ces « antiquités » par lots et au plus offrant, comme cela se pratiquait d 'ordinaire au siècle dernier(37) .

Le destin mouvementé de la collection Bocking de 1859 à 1991 De « l' Antiquarium » à la « Sammlung Nordischer Alterthümer »

(1859-1931)

En 1859 « l ' Antiquarium » trie la collection et la prend en inventaire sous le titre de « Boecking'sche Sammlung ». Le nou-

33) Ils ont en toute logique dû être déposés à << l ' Antiquarium >> par le Prince. 34) Ce n'est donc pas après la disparition d'Heinrich Biicking (Voir Hellwig 1984 p. 155 et << Ein kunstsinniger Kaufmann - Neu in der Alten Sammlung : Biicking Portriit >>, Saar­brücker Zeitung du mercredi 22 mars 1995, p. 22) que la collection entra dans l'Antiqua­rium, mais bien de son vivant. Cette nouvelle et précieuse information m'a été communi­quée par Verena Croon de Berlin, descendante d'Heinrich Biicking par sa mère. C'est au cours d'une enquête sur les modalités d'entrée de la collection de son ancêtre dans << l 'Antiquarium >> qu'elle fit cette découverte auprès du << Geheimes Staatsarchiv Preus­sischer Kulturbesitz >> à Berlin. Je tiens tout particulièrement à lui exprimer ma reconnais­sance pour m'avoir aidé et permis de faire usage du fruit de ses recherches. 35) Collection des Antiquités. Situé dans le cœur historique de Berlin sur la << Museumsinsel >>. 36) Dans le rapport d'acquisition de << l'Antiquarium >> il n'est pas fait mention du détail exact de la collection. Ne sont mentionnées que les pièces essentielles soit un vase étrusque en bronze et des parures en or provenant de Birkenfeld. D'après les pièces annexes de la transaction, il apparaît qu'Heinrich Biicking à perçu 500 Rtl. pour le vase en bronze et 1600 Rtl. pour les pièces restantes. Les recherches intensives poursuivies dans les archives du << Zivilkabinett >>, de << l 'Oberrechnungskammer >> et du << Finanzministerium >> n'ont pas livré d 'acte d'acquisition qui soit plus récent. Nous pouvons donc considérer qu'Heinrich Biicking a bien vendu la totalité de sa collection à << l'Antiquarium >> , juste avant de quit­ter Berlin pour Bonn. 37) Bertram 1995, p. 8 et 9.

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veau catalogue(Js) issu de cette première prise en main est établi sur la base du répertoire original de Bocking. Il est numéroté en conti­nu, conserve encore la division par champ mais abandonne la notion de tombe et regroupe les objets par catégories.

Excepté la cession de 34 monnaies au « Münzkabinet(J9) » de Berlin la collection reste intacte jusqu'en 1868. A partir de cette date, elle va sans cesse évoluer au rythme du développement des musées Berlinois et des événements internationaux. Cette même année, la collection subit en effet une double cession. La première attribue six objets au « Kunstgewerbemuseum »(40) de Berlin. La seconde est interne. Elle affecte quelques 500 objets(41) à une subdi­vision(42) de « l'Ethnologische Abteilung », la « Sammlung Nordischer AlterthümerC43) ». Ce premier mouvement vers les « Nordischen Alterthümer » en entraîna sans doute d 'autres qui ne sont pas men­tionnés dans les registres d'inventaire à notre disposition. Quelques décennies plus tard apparaissent en effet dans les vitrines de la « Sammlung Nordischer Alterthümer » la presque intégralité des verres initialement retenus par « l ' Antiquarium »(44) . Quoi qu'il en soit, ce transfert fut capital pour notre perception de la collection Bocking, puisque la fraction qui revint aux « Nordischen Alterthü­mer » est aujourd 'hui la seule dont on puisse produire une docu­mentation iconographique presque complète.

38) Il ne comporte plus que 664 numéros. Soit de 1 à 637 plus 27 sous-numéros. A un seul numéro correspondent parfois plusieurs pièces. Une copie manuscrite est conservée par le musée de Metz. Elle fut exécutée à la demande de Johann-Baptist Keune à partir d'un exemplaire emprunté à << l'Historischen Verein für die Saargegend zu Saarbrücken » . 39) Cabinet des médailles. 40) Musée des Arts Industriels, fixé à ce moment dans les murs du « Martin-Gropius-Bau ». L'édifice avait été bâti pour recevoir le << Kunstgewerbemuseum » qui y entra en 1881 . Le « Martin-Gropius-Bau >> est encore connu aujourd'hui sous Je nom de « Ehemaliges Kunstgewerbemuseum >>. Situé Niederkirchnerstrasse (anciennement Prinz-Albrechtstrasse) à Berlin, dans la périphérie de « Potsdamer Platz » . 41) Environ 500 pièces si l 'on se fie aux indications du catalogue << Boecking'sche Samm­Jung » (le dénombrement n'est pas toujours clair, surtout quand il y a plusieurs objets par numéro). Emile Huber donne le même chiffre. Voir Huber 1907, p. 311 , note 4. Les pièces qui restèrent à « l' Antiquarium » furent enregistrées dans différents inventaires généraux, propres à chaque type de matériaux, comme par exemple « l'Inventorium der Terrakottensammlung » soit Inventaire de la collection des terres cuites. Une copie manus­crite de ce dernier est conservée par le musée de Metz. Elle fut exécutée en 1903 à la demande de Jean-Baptiste Keune à partir d'un exemplaire emprunté à « l'Historischen Verein für die Saargegend zu Saarbrücken ». 42) A cette époque ce n'était pas un musée autonome comme l'affirment Emile Huber et Emile Linckenheld (voir Huber 1907, p. 31 1 et Linckenheld 1932, p. 78). 43) Il s ' agit de la Collection des Antiquités du Nord. Intégrée plus tard dans la « Vorgeschichtliche Abteilung » du << Volkerkundemuseum » et devenue aujourd'hui le « Museum für V or- und Frühgeschichte » . Nous utiliserons occasionnellement l'abrévia­tion « Nordischen Alterthümer » . En 1859 la « Sammlung Nordischer Alterthümer » était installée dans un bâtiment annexe de « l'Alte Museum » : le « Neue Museum » (voir note 36). Il s'agissait d'une extension de « l'Al te Museum » bâtie à l'origine pour pallier au manque d'espace. Le « Neue Museum » et << l' Alte Museum » (aujourd'hui << Antikensammlung ») sont actuellement des structures différentes et autonomes, implantées sur la « Museumsinsel » . 44) 71 verres en tout. Voir les exemples de la planche 3.

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a. Le << Konigliches Museum für Volkerkunde >> de Berlin, d ' après une gravure sur bois de G. Theuerkauf - 1886. A l ' arrière plan, dans le prolongement de l ' aile gauche de l 'édifice (actuelle Niederkirchnerstrasse) on distingue le << Martin-Gropius-Bau >> qui de 1922 à 1945, abrita sous différentes dénominations, l ' actuel « Museum für V or- und Frühgeschichte >>. Document << Museum für V or- und Frühgeschichte >>. Berlin.

b. Esquisse no = Ile 4238, extraite du catalogue général de la « Vorgeschichtliche Abteilung >> (Bocking champ 6, tombe 8, no = 32) . Cruche à une anse en céramique rougeâtre à gros dégraissant du type Gose 551 , daté fin IVe à début Ve siècle. Hauteur : 1 1 .8 cm. Document « Museum für V or- und Frühgeschichte >>. Berlin.

c. Esquisse n°= Ile 4346, extraite du catalogue général de la << Vorgeschichtliche Abteilung >> (Bocking champ 18, tombe 1 , no= 1 ) . Urne biconique en céramique gallo-belge grise du type Gose 320, daté 3e tiers du Ier siècle. Hauteur : 13 cm. Document « Museum für Y or- und Frühgeschichte >>. Berlin.

Planche 1

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En 1886, la « Sammlung Nordischer Alterthümer » change de cadre. Elle est à ce moment intégrée dans la « Vorgeschichtliche Abteilung(45) » du tout nouveau « Volkerkundemuseum(46l » qu'Emile Hu ber et Emile Linckenheld confondaient avec « l ' Anti­quarium(47) » (voir pl. 1 , a) . La collection(4Sl y était présentée en deux grandes vitrines sous l'indication Volklingen-Rheinprovinz(49l (voir pl. 2, a et b ). Cette méprise avait pour origine la confusion faite entre Folkling en Moselle et Volklingen dans le canton de Trèves en Allemagne. L'erreur fut rectifiée vers 1892(50) . Les dites vitrines présentaient un alignement d 'objets impressionnant, conforme aux normes d'exposition muséologique de la fin du xrxe

siècle, qui préféraient ces séries imposantes aux présentations sobres et pédagogiques actuelles. Ce choix, et surtout la rigueur avec laquelle les vitrines étaient composées, présentent un double intérêt . Outre qu'une grande partie du mobilier funéraire est res­tée groupée par tombe, ce qui a amplement facilité l 'exploitation des clichés(S l l , la quasi-totalité des pièces en possession de la « Vorgeschichtliche Abteilung » est visualisée sur ces deux prises de vues.

A son arnvee dans le « Volkerkundemuseum » la collection fut une nouvelle fois inventoriée dans le catalogue général de la « Vorgeschichtliche Abteilung »(52) . Etabli sur un nouveau concept, ce répertoire présente des pages imprimées, divisées en tableaux qui tentent de normaliser les entrées. A un rappel du contexte de fouille, et à la description des objets enregistrés, s 'ajoutent de remarquables petites esquisses, exécutées au trait, rehaussées d 'un léger coup de crayon pour souligner les volumes (voir pl. 1, b et c) . Ces croquis sont autant de petites « photographies » qui livrent une

45) Département de préhistoire. 46) La dénomination complète est << Konigliches Museum für Volkerkunde >> qui devien­dra plus tard « Staatliches Museum für Volkerkunde >>. Pour ne pas ajouter à la complexité du propos, nous garderons le nom plus générique de « Volkerkundemuseum ». 47) Voir Huber 1907 p. 307, note n°= 2 et Linckenheld 1932, p 78. Confusion reprise dans Hoffmann 1995 pp. 39-40. Longtemps masquée par l 'historique complexe de la « Sammlung Nordischer Alterthümer » elle n'a été dissipée que récemment. 48) Il s 'agit, on l'aura compris, de la fraction de la collection Bocking conservée par la « Sammlung Nordischer Alterthümer » . 49) Au sens prussien. 50) Information que nous devons à Marion Bertram, conservateur au « Museum für V or­und Frühgeschichte » . Le contenu de cet article doit beaucoup à Marion Bertram qui, avec beaucoup de sympathie et de dévouement, a répondu à mes très nombreuses sollicitations. 51) En particulier l 'identification des pièces. 52) Le registre du catalogue général de la « Vorgeschichtliche Abteilung » comporte 289 numéros faisant référence au site de Folkling dont 71 sont assignés à des verres (voir note 45) qui ne se trouvaient pas dans la cession initiale de 1868. En 1985, une copie réduite de très médiocre qualité est arrivée en France sur l 'intervention de Jean-Luc Massy, alors Directeur des Antiquités Préhistoriques et Historiques de Lorraine et par l'intermédiaire d'Andrei Miron, conservateur du Landesmuseum de Sarrebruck. Cette copie est aujour­d'hui conservée au Service Régional de l'Archéologie à Metz.

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a-b. Collection Bocking telle qu'elle était présentée au public berlinois avant 1892, par la << Vorgeschichtliche Abteilung >> de l 'ancien

<< Konigliches Museum für Volkerkunde >>. Documents Musées de la Cour d'or. Metz.

Planche 2

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image suffisamment précise pour entreprendre une approche typo­logique des nombreuses pièces aujourd'hui disparues.

La naissance du « Museum für Vor- und Frühgeschichte » et les années de guerre (1931-1945)

En 1931 , Wilhelm Unverzagt, directeur de la « Vorgeschicht­liche Abteilung » depuis 1925 , réussit à détacher son département du « Volkerkundemuseum ». Il fut transformé en une structure autonome nouvelle qui prit le nom de « Museum für Vor- und Frühgeschichte », plus adapté à la provenance et à l 'éventail chro­nologique des collections qu'il conservait.

• Installé dans l'édifice du « Martin-Gropius-Bau »(53) (voir pl. 1 , a) , voisin immédiat du « Volkerkundemuseum », le nouveau musée fut rapidement fermé après le début de la seconde guerre mondia­leC54) . Pour leur malheur, les bâtiments du « Volkerkundemuseum » et du « Martin-Gropius-Bau » étaient inscrits dans le périmètre d 'un centre administratif du régime nazi(Ss) . Ils avaient comme voisin le sinistre quartier général de l 'appareil policier SS. En raison du caractère stratégique de ce secteur, les combats de 1945 y furent très intenses et menés jusqu'à la dernière extrémité. Le retentissement de cette violence sur le « Museum für Vor- und Frühgeschichte » fut désastreux. La ruine du « Martin-Gropius­Bau » en février 1945 et le pillage opéré par l 'armée soviétique en mai de la même année entraînèrent la perte de plus de dix mille pièces des collections archéologiques.

L'après guerre (1947-1991)

La reconstruction débuta en 1947, précédée d'une minutieuse fouille des décombres (voir pl. 4) . En 1955, après plusieurs années d'efforts, huit salles d'expositions souterraines furent ouvertes au public dans les vestiges du « Volkerkundemuseum ». Malheureu­sement les remous de la guerre froide bouleversèrent ce fragile début de redressement en bloquant la recomposition des collec­tions du « Museum für V or- und Frühgeschichte » (dont la collec­tion Bocking) partagées par la guerre et la division de l 'Allemagne. La partie conservée en République Démocratique Allemande revint

53) La << Vorgeschichtliche Abteilung >> avait investi ce bâtiment dès 1922 alors qu'elle était encore attachée au « Vôlkerkundemuseum >>. Jusqu'à cette date l 'édifice était occupé par le « Kunstgewerbemuseum >>. 54) Dès 1940 les collections furent en parties déménagées dans différents sites dispersés en Allemagne. 55) Entre 1933 et 1945 s'y côtoieront le « Reichsführer SS >> , la « Reichszentrale der Geheimen Staatspolizei » (Gestapo) , le « Sicherheitsdienst » (SD) et à partir de 1939, le « Reichssicherheitshauptamt (RSHA) .

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a. Collection Bocking. Bouteille céphalomorphe en verre, conservée par le << Museum für V or- und Frühgeschichte >>. Verre soufflé, moulé d 'assez belle facture. Teinte vert olive. Hauteur 15 ,2 cm. Type lsings 78a. Généralement daté JVe à début Ve siècle. Document de l'auteur.

b. Collection Bocking. Cornet conique à pied annulaire et fond ombiliqué de belle facture, conservé par le « Museum für V or- und Frühge­schichte >>. Corps soufflé, orné de verre appliqué et brut de coupe au niveau de la lèvre. Sur la paroi sont disposés en quinconce, huit cabochons étirés en « larmes >>, bruns ou bleus alternant de couleur deux par deux. Sous la lèvre, et sur une demi-circonférence, un filet en zig-zag bleu court entre deux filets parallèles bruns. Sur la seconde moitié les couleurs alternent. Verre transpa­rent, teinte légèrement vert olive . Hauteur 12.9 cm. Variante Isings 109c. Fremersdorf 75. Daté dans le contexte du Kohlberg, seconde moitié du IVe à début Ve siècle. Document de l'auteur.

Planche 3

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au futur « Museum für Ur- und Frühgeschichte » , installé dans les bâtiments du « Bodemuseum »(56) .

Vers la fin des années cinquante, la restructuration urbaine de l 'ex-quartier administratif de l 'état Nazi, conduisit à abandonner le projet de réhabilitation du bâtiment de l 'ancien « Vë>lkerkunde­museum ». En 1960 le « Museum für Vor- und Frühgeschichte » fut transféré dans l 'aile « Langhansbau » du château de Charlotten­burg(57) .

Planche 4 << Martin-Gropius-Bau », Prinz Albrecht Strasse à Berlin en 1949.

Scène de fouilles dans les décombres de 1945 . Document << Museum für V or- und Frühgeschichte >>. Berlin.

56) Le << Museum für Ur- und Frühgeschichte >> n'ouvrira en effet ses portes qu'en 1963. Le << Bodemuseum >> se trouve sur la << Museumsinsel >>. 57) Le 22 décembre 1962, le bâtiment de l 'ancien << Volkerkundemuseum >> fut dynamité. Le <<Martin-Gropius-Bau>> pourtant beaucoup plus touché par les tirs, fut à l'inverse res­tauré dans son état d'origine , alors qu'initialement il devait être rasé.

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L'épilogue de cette longue sene d'événement rythmant le développement du « Museum für Vor- und Frühgeschichte » se joue en 1990 lorsque avec la réunification débute la reconstitution de la collection d'avant guerre. Ce travail fut achevé en 1991 .

Après tant de tourments, le bilan est très lourd. Du lot cédé autrefois à la « Sammlung Nordischer Alterthümer » un peu plus d'une centaine de pièces survécut aux événements. Il reste heureu­sement un échantillon assez représentatif de la collection initiale dont quelques pièces majeures, en particulier des verres qui, avec quelques fibules, sont de nouveau aujourd'hui exposés au public.

Pour ce qui concerne la fraction retenue par « l ' Antiquarium »

lors des cessions de 1868, le bilan est encore plus dramatiquecss) . « L' Antikensammlung » , héritière de « l ' Antiquarium » détient encore une vingtaine de récipients en terre cuite provenant d' Altenburg, une urne en bronze et quelques appliques en or de la tombe princière de Schwarzenbach, ainsi qu'une cinquantaine de récipients en terre cuite d'origine indéterminée. Les monnaies confiées entre 1859 et 1868 au « Münzkabinet » furent sans doute enregistrées sans mention d'origine. Il y a donc peu d'espoir de les identifier un jour, même si elles existent encore. Quant au destin des six pièces de la collection attribuées au « Kunstgewerbe­museum » , l 'enquête menée jusqu'ici n'a apporté aucun élément d'information.

Conclusion

Après plus d'un siècle et demi d'une réelle indifférence de la part de la communauté archéologique lorraine, la recherche pour­suivie depuis plusieurs années avec le soutien du « Museum für Vor- und Frühgeschichte » sur la question des fouilles menées par Heinrich Bocking dans la nécropole du Kohlberg de Folkling, apporte enfin un peu de lumière sur un dossier complexe, large­ment marqué par les développements, parfois dramatiques, de l 'an­tagonisme franco-allemand des deux derniers siècles.

L'information reposant jusqu'à présent sur l 'examen de la bibliographie allemande et de la documentation accessible au musée de Metz est maintenant notoirement enrichie de données très pré­cises, dont la première approche analytique montre tout l 'intérêt pour la compréhension de la nécropole antique du Kohlberg et l'évolution tardive de la communauté humaine du Hérapel(59) .

58) Les premiers éléments sur la collection Bocking qui nous viennent de ce musée en pleine restructuration sont très récents et datent d 'octobre 1997. 59) Voir Hoffmann 1995, pp. 47-53 et 67-71 .

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Nous connaissons mieux Heinrich Bocking, et on s 'étonnera peut-être moins de ce qu'un patriote allemand, artisan du rattache­ment de la Sarre à la Prusse, de surcroît protégé par Friederich­Wilhelm IV, le plus farouche antifrançais des rois prussiens, ait été autant ignoré des chercheurs français. Il paraît difficile en effet, d'imaginer que l 'obstacle politique fut totalement étranger à cette situation. Les progrès significatifs concernant le dossier de la col­lection Bocking durant l 'Annexion n'en sont-ils pas en quelque sorte une illustration à contrario ? Le cadre administratif était incontestablement plus favorable, mais c'est aussi l 'intérêt et la curiosité des érudits de « l 'Historischer Verein für die Saargegend zu Saarbrücken » et de Jean-Baptiste Keune, archéologue allemand conservateur du Musée de Metz jusqu'en 1918(60) , qui conduisirent à un l 'échange des copies et des documents photographiques qui nous sont aujourd'hui si précieux.

Comment ne pas déplorer l ' importance de l ' intervention d'Heinrich Bocking, en quelque sorte exécutée trop tôt, sur la nécropole d'un site aussi important dans l 'est de la Cité des Médio­matriques que fut le Hérapel ? Mais pour qui voudrait porter un jugement, il faut garder à l 'esprit qu'en 1827, l 'archéologie est enco­re une science émergente. Dans ce cadre, on comprendra que consi­gner ses découvertes, surtout en maintenant la notion d'ensemble clos de la sépulture est déj à remarquable en soi, même si les observations de terrain et les croquis font cruellement défaut. L'expérience montre d 'ailleurs qu'associées au mobilier et aux documents iconographiques encore conservés par le « Museum für Vor- und Frühgeschichte » de Berlin , ces notes restent, malgré leurs lacunes, une remarquable source d 'informations.

Quel serait aujourd'hui le bilan si la collection était restée dans des mains privées ? En décidant de la vendre à un grand musée berlinois, Heinrich Bocking l 'éloigna certes considérablement de son lieu de découverte, mais il faut reconnaître qu'il en assura la conservation dans les meilleures conditions. Heinrich Bocking ne pouvait évidemment pas prévoir les convulsions qui allaient agiter l 'Allemagne du siècle suivant. En dépit de la fréquente réorganisa­tion des musées et surtout des pertes irréparables occasionnées par la seconde guerre mondiale, ce choix conservatoire permet aujourd'hui encore d 'examiner des document

·s iconographiques et

archéologiques. Il faut à ce propos rendre hommage au remar-

60) En 1997, cet aspect fut l'objet d'un rebondissement. Les documents photographiques de << l 'Historischer Verein für die Saargegend » reproduits et conservés par le musée de Metz, dont on ignorait totalement l 'existence à Berlin parce qu'ils furent sans doute perdus durant la dernière guerre, reprenaient le chemin du << Museum für Vor- und Frühgeschichte ».

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quable travail d'inventaire exécuté par les anciennes équipes de la « Vorgeschichtliche Abteilung » du « Volkerkundemuseum » , à qui nous devons l'essentiel de la documentation iconographique aujour­d 'hui disponible.

A ce jour, la recherche de documents n'est pas totalement ter­minée. Nous avons encore l'espoir d 'identifier quelques pièces de la collection Bocking dans les réserves de « l ' Antikensammlung » mais, peut-être aurons-nous aussi un jour la chance de voir resurgir quelques vestiges du Kohlberg des collections russes . . .

Roland HOFFMANN

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