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MANUSCRITS DE NAG HAMMADIvolume 1

L'VANGILE DE MARIE-MADELEINE L'APOCALYPSE DE JACQUES L'VANGILE DE THOMAS L'VANGILE DE PHILIPPE LE DIALOGUE DU SAUVEUR EUGNOSTE LE BIENHEUREUX et LA SOPHIA DE JESUS CHRIST

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Dans ce monde, ceux qui mettent des vtements sont meilleurs que les vtements. Dans le royaume des cieux, les vtements sont meilleurs que ceux qui les ont revtus . vangile de Philippe

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Pr James Robinson

Les Manuscrits de Nag Hammaditraduit par Carole Hennebault

volume 1

Le jardin des Livres Paris3

Vous pouvez envoyer des chapitres de ce livre vos amis et relations par e-mail via Internet : www.lejardindeslivres.fr/nagh.htm Format Html www.lejardindeslivres.fr/PDF/nagh.pdf Pdf

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Le Jardin des Livres 2008 243 bis, Boulevard Pereire Paris 75827 Cedex 17

Toute reproduction, mme partielle par quelque procd que ce soit, est interdite sans autorisation pralable. Une copie par Xrographie, photographie, support magntique, lectronique ou autre constitue une contrefaon passible des peines prvues par la loi du 11 mars 1957 et du 3 juillet 1995, sur la protection des droits d'auteur. 4

Le Seigneur aimait cette femme [Marie-Madeleine] plus que tous les autres disciples et avait l'habitude de l'embrasser souvent. vangile de Philippe

Si tu es n d'un tre humain, c'est l'tre humain qui t'aimera. Si tu deviens un esprit, c'est l'esprit qui se joindra toi. Si tu deviens pense, c'est la pense qui frayera avec toi. Si tu deviens lumire, c'est la lumire qui s'associera avec toi. vangile de Philippe5

Car ce qui entre dans votre bouche ne vous salira pas, mais c'est ce qui sort de votre bouche, c'est cela qui vous salira . vangile de Thomas

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Signes textuels

Les petits traits ( verticaux, en indice ) indiquent les divisions de lignes dans le manuscrit. Toutes les 5 lignes, un chiffre est insr la place d'un trait ; la frquence de ces nombres peut toutefois varier dans les traits qui sont trs fragmentaires. Une nouvelle page est indique par un chiffre en gras. Quand la division d'une nouvelle ligne ou page concide avec le dbut d'un nouveau paragraphe, le chiffre ou trait est plac la fin du paragraphe prcdent. Parfois, les chiffres en gras indiquent la seule division des pages dans le manuscrit. [ ] Indique une lacune dans le manuscrit. Les crochets ne sont pas employs pour diviser un mot, sauf pour les mots avec trait d'union ou un nom propre1. Certains mots sont placs ou pas entre crochets, en fonction de certitudes par rapport au mot copte et au nombre de lettres visibles. [...] Quand le texte ne peut pas tre reconstitu, quelle que soit la lacune, trois petits points sont insrs entre les crochets ; un quatrime point, si ncessaire, indique le point final. ... Dans quelques cas, trois petits points sans crochets indiquent une srie de lettres coptes qui ne constituent pas une unit de sens traduisible.1 NdT : et sauf quelques exceptions dues au franais ( cas des apostrophes ).

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< > Indique une correction due une erreur ou une omission du scribe. Soit le traducteur a insr des lettres omises involontairement par le scribe ; soit le traducteur a remplac des lettres ( insres tort ) par ce que le scribe dsirait probablement crire. { } Indique des lettres ou mots superflus ajouts par le scribe. ( ) Indique un ajout de l'diteur ou du traducteur, y compris du traducteur franais. Bien que ces ajouts ne refltent pas directement le texte traduit, il offre une information utile au lecteur.

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INTRODUCTION Pr. James M. Robinson

~ 1 La place des textes La bibliothque de Nag Hammadi est une collection de textes variant largement quant aux auteurs, dates et aux lieux o ils ont t crits. Les points de vue exposs divergent un tel degr que l'on considre que ces textes ne proviennent pas d'un seul groupe ou mouvement. Pourtant, ces documents diversifis devaient avoir quelque chose en commun puisque ceux qui les ont rassembls les ont choisis. Les collecteurs ont sans aucun doute contribu cette unit en y trouvant des sens cachs que les auteurs originaux n'avaient pas pleinement considrs. Aprs tout, L'vangile de Thomas dbute avec une phrase adresse aux sages : Celui qui trouvera l'interprtation de ces paroles n'exprimentera pas la mort . Ainsi les textes peuvent tre lus selon deux niveaux : ce que l'auteur original avait l'intention de communiquer et ce que les textes voulaient ultrieurement transmettre. Les ides directrices la base de la runion de ces textes sont un loignement de la masse humaine, une affinit avec un ordre idal qui transcende totalement la vie telle que nous la connaissons, et un style de vie radicalement diffrent de l'usage commun. Le style de vie par exemple, impliquait d'abandonner tous les dieux auxquels les gens aspiraient habituellement et de dsirer l'ultime libration. Ce n'est pas une rvolution agressive qui est dsire, mais plutt le retrait d'une participation dans la contami9

nation qui dtruit la clart de la vision. Dans ce cadre, les ides directrices de cette bibliothque ont bien des choses en commun avec le christianisme primitif, avec la religion orientale et avec les hommes saints ( et les femmes ) de tous temps, et avec des quivalents contemporains plus sculaires, comme les mouvements de contre-culture des annes 60. Le dtachement des dieux d'une socit de consommation, se retirer dans des communauts de pense l'cart des grandes villes o rgnent l'agitation et le dsordre, la non-implication dans les compromis politiques, le partage d'un savoir de groupe, tant sur un idal que sur la course au dsastre culturel et l'alternative radicale gnralement non connue, tout cet ensemble sous des atours modernes est la vritable contestation enracine dans les documents de la bibliothque de Nag Hammadi. Pour tre exact, ces racines, aussi fascinantes et provocantes soient-elles, peuvent galement tre dconcertantes et mme frustrantes, non seulement pour ce qu'elles ont dire la personne peu ouverte, mais aussi pour la personne plus attentive qui cherche suivre la petite lumire luisant faiblement travers le flux du langage. Car l'essentiel de Nag Hammadi a t maltrait et fragment par le processus historique qui l'a mis au jour. Une opration de sauvetage est donc aujourd'hui ncessaire de nombreux niveaux si on veut clairement comprendre son essence. La mythologie et les anciennes traditions religieuses et philosophiques taient les seules choses disponibles pour exprimer ce qui tait, en fait, une position plutt peu traditionnelle. En ralit, elle tait trop radicale pour s'tablir au sein des religions organises ou des coles philosophiques de l'poque ; de ce fait, elle tait difficilement capable de l'emporter sur les institutions ducatives d'une culture afin de dvelopper et clarifier ses implications.

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Les coles gnostiques ont commenc merger dans le christianisme et le noplatonisme jusqu' ce que les deux s'accordent finalement pour les exclure comme une hrsie du gnosticisme. Ainsi, les formulations philosophiques et les mythes significatifs et loquents de cette position radicale sont, leur tour, devenus des traditions confuses, rutilises par des auteurs ultrieurs et moindres, et dont les versions mitiges, pour ne pas dire troubles, ne peuvent pas avoir t les principales de ce qui a survcu ( bien qu'il y ait de nombreux classiques dans la bibliothque de Nag Hammadi ). Les textes furent traduits en copte, un par un, partir du grec, et pas toujours par des traducteurs aptes saisir la profondeur ou la beaut de ce qu'ils cherchaient traduire. Le traducteur d'un bref fragment de La Rpublique de Platon n'a visiblement pas compris le texte, bien qu'il paraissait de toute vidence difiant et mritait d'tre traduit. Heureusement, la plupart des textes sont mieux traduits, mais quand il s'agit de reproduction, chacun peut sentir la diffrence entre une bonne et une mdiocre traduction ce qui amne s'tonner sur la majeure partie des textes qui existent sous une seule version. Le mme genre de risque existe dans la transmission des textes par une srie de scribes qui les ont recopis, gnration aprs gnration, partir de copies de plus en plus corrompues, d'abord en grec puis en copte. Le nombre d'erreurs involontaires est difficilement estimable, puisqu'il n'existe pas de contrle des copies en tant que tel ; nous ne possdons pas non plus, comme dans le cas de la Bible, quantit de manuscrits pour un mme texte qui permette de les corriger en les comparant les uns aux autres. Il ne peut tre corrig quand l'erreur est dtectable, en tant que telle, dans l'unique copie que nous possdons. S'ajoute cela la dtrioration physique des livres euxmmes, qui a sans aucun doute dbut avant qu'ils ne 11

soient enfouis vers 400, et qui s'est poursuivie durant leur enfouissement. Malheureusement, elle n'a mme pas t stoppe entre leur dcouverte en 1945 et leur conservation dfinitive quelques 30 ans plus tard. Quand il ne manque que quelques lettres, elles peuvent souvent tre restitues convenablement, mais les lacunes plus importantes doivent simplement rester des espaces vides. Le lecteur ne doit pas tre induit en erreur par de tels obstacles la comprhension, en pensant que la position inhrente ces essais ne mrite pas une considration srieuse. Au contraire, nous sommes ici en prsence d'une comprhension de l'existence, d'une rponse au dilemme humain, d'une attitude envers la socit qui sont dignes d'tre prises au srieux par toute personne capable et dsireuse de dbattre de ces ultimes questions. Cette position basique n'a t, jusqu'ici, presque exclusivement connue que par la vision myope des chasseurs d'hrsie, qui font souvent des citations uniquement pour mieux les rfuter ou les ridiculiser. Ainsi, la dcouverte de la bibliothque de Nag Hammadi offre un accs inattendu la position gnostique, prsente par les gnostiques eux-mmes. Elle pourrait offrir de nouvelles racines aux dracins. Ceux qui rassemblrent ces livres taient des chrtiens, et nombre de ces essais furent l'origine composs par des chrtiens. Dans un sens cela ne devrait gure tre surprenant, puisque le christianisme primitif tait lui-mme un mouvement radical. Jsus demandait un total changement de valeurs, prconisant, comme nous l'avons appris, la fin du monde et son remplacement par un style de vie plutt nouveau et utopique dans lequel l'idal serait rel. Il adopta une position plutt indpendante vis vis des autorits de l'poque... et ne perdura pas trs longtemps avant qu'elles ne l'liminent. Pourtant, ses disciples raffirmrent sa position : pour eux, il tait venu pour personnifier le but ultime. Nanmoins, parmi les plus pragmatiques de son cercle, certains 12

suivirent un mode de vie plus conventionnel. Petit petit, le cercle devint une organisation tablie ayant pour souci assez naturel de maintenir l'ordre, la continuit, les voies de l'autorit et la stabilit. Mais ce souci pouvait encourager une obligation au statu quo, en concurrenant et en l'emportant parfois sur l'obligation du but ultime, bien audel de toute ralisation. Ceux qui nourrissaient le rve radical, l'espoir ultime, pourraient avoir tendance l'abandonner en le comparant injustement avec ce qui avait t ralis, et ainsi paratre dloyaux et constituer une srieuse menace l'organisation. Au fil du temps et avec le changement d'environnement, la situation culturelle se modifia, et le langage qui exprimait une telle transcendance, radicale, subit aussi des changements. Le monde de pense d'o provenait Jsus et ses premiers disciples tait la pit populaire de la synagogue juive, mise au point selon les termes du rite de passage de Jean le Baptiste partir de l'ancien rgime pour le nouveau monde idal dont l'avnement dramatique allait se produire prochainement. Dans ce mode de pense, le systme du mal qui prvaut n'est pas la faon dont les choses existent intrinsquement. En principe, et mme si cela n'existe pas dans la pratique, le monde est bon. Le mal qui s'est propag travers l'histoire est un flau, tel un tranger au monde. Mais pour certains, la vie s'annonait de plus en plus sombre ; la toute premire origine du monde tait attribue une faute terrible, et on donna au mal le statut de dirigeant suprme, pas simplement comme une usurpation de l'autorit. Le seul espoir semblait donc rsider dans la fuite. Parce que les hommes, ou du moins certains, ne sont pas au fond le produit de ce systme absurde, et parce qu'ils appartiennent au Suprme par leur nature mme. Leur situation dsespre rsidait dans le fait d'avoir t dups, leurrs et pris dans un pige qui consistait essayer d'tre satisfait d'un monde impossible, l'cart de leur v13

ritable patrie. Et pour certains, le fait de se concentrer sur l'intriorit sans tre dtourns par des facteurs extrieurs est devenu la seule manire d'atteindre la paix, la vue d'ensemble, et la fusion dans le Tout qui est la destine de l'tincelle du divin en chacun. Par consquent le gnosticisme chrtien mergea comme une raffirmation de la position originale, bien qu'en des termes quelque peu diffrents, sur la transcendance au cur des dbuts du christianisme. Ces chrtiens gnostiques se considrrent srement comme la continuation fidle, dans des circonstances changeantes, de cette position originale qui fit des chrtiens... des Chrtiens. Mais les termes quelque peu diffrents dans des circonstances changeantes impliquaient aussi des divergences relles : d'autres chrtiens ont clairement considr le gnosticisme comme une trahison de la position originale chrtienne. C'tait la conviction de ceux qui s'taient adapts au statu quo, mais galement, et sans nul doute, de certains qui retenaient la force de la protestation originale et l'espoir ultime. Le fait de se dpartir du langage original pourrait tre exploit pour unir l'opposition travers l'ampleur de l'glise. Ainsi, les gnostiques en vinrent tre exclus de l'glise en tant qu'hrtiques. D'ailleurs, dans le Nouveau Testament, deux de ces gnostiques furent renis au dbut du IIe sicle ( 2 Timothe 2:16-18 ). vite les bavardages vides et verbeux ; ceux qui s'y livrent s'gareront de plus en plus loin sur les routes impies, et leur enseignement contaminateur s'tendra comme une gangrne. Tels sont Hymne et Philtos ; ils sont passs loin de la vrit en disant que notre rsurrection a dj eu lieu, et ils bouleversent la foi des gens. Ce point de vue ( la rsurrection a dj eu lieu comme une ralit spirituelle ) se trouve dans Le Trait de la rsurrection, L'Exgse de l'me et L'vangile de Philippe, textes qui appartiennent la bibliothque de Nag Hammadi ! Mais 14

celle-ci dcrit de manire prcise que le rejet tait mutuel : celui que les chrtiens dcrivent comme hrtique ressemble d'avantage celui qui est habituellement considr comme orthodoxe . Dans L'Apocalypse de Pierre, Jsus critique le principal courant du christianisme comme suit : Ils se diviseront pour le nom d'un homme mort, en pensant qu'ils deviendront purs. Mais ils deviendront trs profanes et tomberont dans l'erreur, entre les mains d'un homme mauvais et fourbe et dans un dogme multiple, et ils seront dirigs de manire hrtique. Car certains d'entre-eux blasphmeront la vrit et proclameront l'enseignement nfaste. Et ils diront des choses mauvaises l'encontre des uns et des autres... Mais bien d'autres, qui s'opposent la vrit et sont les messagers de l'erreur, instaureront leur erreur et leur loi contre ces penses pures qui sont miennes, comme cherchant depuis une unique ( perspective ), pensant que le bien et le mal proviennent d'une unique ( source ). Ils font des affaires en mon nom... Et il y en aura d'autres parmi ceux qui sont en dehors de nos effectifs qui se nomment eux-mmes vque et aussi diacre, comme s'ils avaient reu l'autorit de Dieu. Ils se plient au jugement des dirigeants. Ces gens sont des canaux asschs. Avec la conversion de l'empire romain au christianisme d'un genre plus conventionnel, les chances de survie du christianisme gnostique, tel que reflt par la bibliothque de Nag Hammadi, furent nettement rduites. L'vque de Chypre, Epiphane, dont le principal ouvrage tait une bote remdes contre toutes les hrsies2, dcrit sa rencontre avec le gnosticisme en gypte, l'poque o la bibliothque de Nag Hammadi a t constitue : Me trouvant au contact de cette bien-aime secte, l'on m'enseigna ces choses en personne, de la bouche mme des gnostiques pratiquants. Ce ne furent pas seulement les femmes se faisant cette illusion qui m'offrirent matire discussion et me divulgurent ce2 NdT: le Panarion d'Epiphane, voqu ici, signifie bote remdes .

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genre de choses. Avec une audace impudente qui plus est, ils tentrent de me sduire... Mais le Dieu misricordieux me dlivra de leur faiblesse, et ainsi aprs les avoir tudis et aprs avoir lu leurs livres, comprenant leur vritable intention et n'tant pas entran avec eux, et aprs en avoir rchapp sans mordre l'hameon je ne perdis pas de temps les signaler aux vques et trouver lesquels taient cachs dans l'glise. Ainsi ils furent expulss de la ville, environ 18 personnes, et la ville fut dbarrasse de leur croissance pineuse comme de l'ivraie. Le gnosticisme fut finalement radiqu de la chrtient, hormis des mouvements clandestins occasionnels, quelques parents dans le mysticisme mdival et un faible cho pisodique rest dans la limite des convenances, dans le romantisme anglais par exemple : Notre naissance n'est que sommeil et oubli : L'me qui s'lve avec nous, notre toile de vie, Venait d'autre part D'un lointain thtre. ... Le monde est avec nous, trop bien ; tantt et autrefois, Recevant et dpensant, nous dvastons nos pouvoirs. Ce gnosticisme fut aussi capable de perdurer au del des frontires de l'empire romain devenu la chrtient. Il existe toujours l'heure actuelle dans la rgion de l'Iraq et l'Iran dchire par la guerre, sous la forme d'une petite secte, les Mandens, mot qu'ils emploient pour dsigner les connaisseurs , c'est--dire les gnostiques. Ce mme repli sur soi, ou dsespoir du monde, partir duquel mergea la position gnostique, balaya non seulement le premier christianisme pour produire le gnosticisme chrtien, mais aussi l'antiquit tardive en gnral, produisant ainsi des formes de gnosticisme en dehors du christianisme.

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Un dbat de longue date existe parmi les historiens des religions afin de dterminer si le gnosticisme doit tre considr comme un dveloppement interne au christianisme ou comme un mouvement plus large, donc indpendant du christianisme, voire antrieur. Ce dbat semble se rsoudre de lui-mme sur la base de la bibliothque de Nag Hammadi : elle plaide en faveur d'une comprhension du gnosticisme en tant que phnomne plus large que le gnosticisme chrtien prsent par les hrsiologues. Pour commencer, se pose la question du gnosticisme juif. Il semblerait, aux yeux des hrsiologues , qu'il existe une notable vrit historique en ce sens, c'est--dire que certaines hrsies gnostiques remontent au sectes juives. Aprs tout, le christianisme lui-mme a grandi au sein du judasme, et il serait surprenant qu'il n'ait pas reflt divers tendances du judasme de l'poque. Le christianisme primitif n'tait pas lui-mme un mouvement unifi. Le christianisme juif de la premire gnration en Galile qui dveloppa l'ensemble de dictons issus des vangiles de Matthieu et Luc pourrait bien avoir t considr comme hrtique par Paul et les hellnistes, et ce sentiment pourrait avoir t mutuel. Paul rejeta clairement comme hrtiques les judasants chrtiens. Plus tard au cours du Ier sicle, les divers fils du christianisme juif furent exclus du judasme, en tant que judasme normatif apparu en raction la trahison de l'identit juive pose par la destruction de Jrusalem en 70. Certains des essais gnostiques de la bibliothque de Nag Hammadi ne paraissent pas reflter la tradition chrtienne, car fonds sur l'Ancien Testament, qui tait aussi la Bible juive. Nanmoins, l'ide mme du gnosticisme juif est parfois rejete en raison d'une contradiction dans les termes. Comment les juifs pourraient-ils qualifier leur Dieu de force malveillante dont l'impair malencontreux a donn naissance au monde, un Dieu qui tait ignorant du bien cach au del de lui-mme ?

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Puisque les chrtiens vnrent le mme Dieu que les juifs, cet argument pourrait tout aussi bien tre employ l'encontre de l'ide mme du gnosticisme chrtien. Mais comme les premiers chasseurs d'hrsie assimilrent clairement les gnostiques des chrtiens ( des chrtiens hrtiques selon eux, videmment ) le concept de gnosticisme chrtien est fermement tabli. Pour employer une autre analogie, Simon le Mage, l'un des premiers gnostiques connus, venait de Samarie, bien que les samaritains vnrassent leur propre manire le mme Dieu que les chrtiens et les juifs. De l, le concept du gnosticisme juif est intelligible, mme si, selon un point de vue normatif, la validit de l'emploi du mot juif, chrtien ou samaritain pour telle personne ou tel texte pourrait tre conteste. Bien videmment, nous ne connaissons pas les gnostiques qui rigrent des traditions sur l'Ancien Testament, la Bible juive, autrement que par les textes contenant ces traditions ; si bien que tout un chacun ( en parlant du gnosticisme juif ) a l'esprit des traditions culturelles juives manquant de revtement chrtien visible ( sans plus d'identification des porteurs de ces traditions ). La dcouverte des manuscrits ( ou rouleaux ) de la mer Morte a d'ores et dj attir l'attention sur le fait que le judasme du Ier sicle faisait preuve de pluralisme dans ses positions thologiques, et contenait nombre de groupes divergents ou sectes. Les Essniens, avant la dcouverte des manuscrits de la mer Morte, taient dans une situation assez similaire celle des gnostiques avant la dcouverte des textes de Nag Hammadi : c'tait aussi un mouvement sur lequel on ne savait presque rien pour le traiter avec le srieux qu'il mritait. A prsent, nous savons que les Essniens taient une secte juive qui avait rompu avec le judasme officiel du Temple de Jsuralem et qui s'tait retire dans le dsert le long du wd Qumram. Ils interprtrent leur situation se18

lon les termes de l'antithse de la lumire et de l'obscurit, de la vrit et du mensonge, dualisme qui finalement remontait au dualisme perse, et qui ensuite progressa vers le gnosticisme. L'histoire du gnosticisme, prsente dans la bibliothque de Nag Hammadi, commena peu prs l o s'arrte l'histoire des Essniens prsente par les manuscrits de la mer Morte. Les traditions mystiques juives suivantes, retraces en particulier par Gershom Scholem, ont montr que, bien que paraissant inconsistantes, les tendances gnostiques continurent entretenir une existence clandestine dans un contexte de judasme normatif. La bibliothque de Nag Hammadi a dmontr que certains traits, auparavant considrs comme caractristiques du gnosticisme chrtien, taient l'origine non chrtiens, bien qu'un lment juif soit aisment reconnaissable. Irne prsente Barblo comme un personnage mythologique majeur d'un groupe gnostique chrtien appel les barblognostiques . Mais Les Trois Stles de Seth est un texte gnostique sans lment chrtien qui n'attribue nanmoins pas d'minente position Barblo. Hyppolyte cite une certaine Paraphrase de Seth comme un texte gnostique. Cependant, un texte trs similaire de Nag Hammadi, intitul La Paraphrase de Shem, prsente une absence d'lment chrtien. Il est certes comprhensible que les hrsiologues aient eu pour principal souci de rfuter la forme chrtienne des textes et mouvements gnostiques. Mais cela n'indique pas pour autant que la forme chrtienne tait la forme originale, en particulier quand la dcouverte de Nag Hammadi fournit des preuves l'appui d'une forme non-chrtienne. Autre exemple comparatif, qui n'est pas ncessairement gnostique dans ce cas, avec le rcit mythologique de la naissance dans l'Apocalypse ( 12 ), que les commentateurs ont eu les plus grandes difficults faire driver des histoires sur la naissance de Jsus. L'Apocalypse d'Adam offre en 19

revanche une suite de narrations sur l'arrive du sauveur prsentant peu prs la mme ide gnrale et montrant ainsi un arrire-plan mythologique partag et qui n'est pas chrtien. Ce sont surtout les textes sthiens de Nag Hammadi qui, en tant que groupe, attestent d'un gnosticisme nonchrtien ce qui n'avait pas t dmontr auparavant de manire si claire. Le corpus sthien couvre la transition du gnosticisme non-chrtien au christianis, comme l'a rsum le principal expert du sthianisme : La plupart des crits de notre groupe de textes ne contiennent aucun lment chrtien ( Les Trois stles de Seth, Allogne, Marsans, La Pense de Nora ) ; d'autres contiennent trs peu de motifs chrtiens ( Zostrien, L'Apocalypse d'Adam ) ou contiennent ici et l un vernis chrtien ( Protennoia trimorphe, L'vangile des Egyptiens ) ; pendant que seulement quelques uns ( L'Hypostase des archontes, Melchisdech, L'Apocryphon de Jean ) s'approchent de ce qui est appel la gnose chrtienne . Dans aucun de ces cas sthiens on ne peut faire remonter les textes ou leur mythologie, d'une tradition chrtienne principale. Car l'lment chrtien semble si extrieur l'ide directrice du texte que l'on tend penser qu'il fut ajout par un diteur, traducteur ou scribe chrtien ce qui avait t, l'origine, compos comme un texte nonchrtien, mme si les formes originales n'existent plus. Par exemple, la Protennoia trimorphe, o un christianisant secondaire a pris place, n'a cependant pas ses racines dans la mme spculation de sagesse juive que le fait le prologue de L'vangile de Jean. Fait partie de cette tendance christianisante ce scribe qui attribue au Livre sacr du Grand Esprit Invisible un second titre qui est L'vangile des gyptiens . Ainsi, on conclut que, malgr le fait que le corpus sthien ait t visiblement employ par les chrtiens ( tout comme l'taient des textes non-chrtiens comme l'Ancien Testament ), il provient du gnosticisme juif non-chrtien. 20

La bibliothque de Nag Hammadi prsente mme un cas de processus christianisant ayant quasiment eu lieu sous nos yeux. Le trait philosophique non-chrtien Eugnoste le Bienheureux est coup plutt arbitrairement en diffrents discours, qui sont mis dans la bouche de Jsus, en rponse aux questions ( qui parfois ne correspondent pas parfaitement aux rponses ) que les disciples lui adressent lors de son apparition rsurrectionnelle. Le rsultat est un trait distinct intitul La Sophia de Jsus Christ. Les deux formes du texte existent cte cte dans le Codex III. Certains textes de Nag Hammadi, et souvent mme les traditions sthiennes, semblent avoir influenc une orientation philosophique et noplatonique. Plotin, le principal noplatonicien du IIIe sicle, se rfre en fait aux gnostiques dans son cole : Nous ressentons une certaine considration pour certains de nos amis qui sont arrivs cette manire de penser avant qu'ils ne deviennent nos amis, et, bien que je ne sache pas comment ils y ont russi, continuent dans cette voie . Mais l'cole se retourna contre le gnosticisme, comme l'indiquent les polmiques de Plotin. Son lve ou disciple Porphyre, dclare dans sa Vie de Plotin : A son poque il y avait beaucoup de chrtiens et d'autres, et des sectaires qui avaient abandonn l'ancienne philosophie, des hommes ... qui ... rapportrent des rvlations de Zoroastre et Zostrien et Nicothe et Allogne et Messos et d'autres gens de ce genre, dus eux-mmes et en en dcevant beaucoup, allguant que Platon n'avait pas pntr les profondeurs de la ralit intelligible. Plotin attaqua alors souvent leur position dans ses lectures, et crivit le trait auquel nous avons donn le titre ''Contre les gnostiques'' ; il nous le laissa pour valuer ce qu'il avait pass sous silence. Amlius alla jusqu' 40 volumes en crivant contre le livre de Zostrien. La bibliothque de Nag Hammadi contient des traits ayant ces deux titres, Zostrien et Allogne, qui, par cons21

quent, pourraient bien tre ceux que rfutaient Amlius et les noplatoniciens. Et les textes tels que la Protennoia trimorphe et Marsans sont assez similaires dans leur orientation philosophique. La propre attaque de Plotin au sujet des chants magiques adresss aux puissances suprieures pourrait avoir eu l'esprit des textes de cantiques comme Les Trois stles de Seth. Ainsi, la bibliothque de Nag Hammadi apporte une importante contribution non seulement l'histoire des religions, mais aussi l'histoire de la philosophie. La bibliothque de Nag Hammadi contient galement une documentation propre retracer d'autres traditions religieuses que l'hritage judo-chrtien. Il existe par exemple des textes hermtiques qui sont tablis sur la tradition gyptienne. De manire typique, ils prsentent des dialogues d'initiation entre les divinits Herms Trismgiste et son fils Tt. Le Discours sur le Huitime et le Neuvime dans la bibliothque de Nag Hammadi est un de ces textes hermtiques auparavant inconnu. Et mme si l'on pourrait dbattre pour dterminer quels textes sont ou ne sont pas gnostiques, quelques uns, comme Les Phrases de Sextus, ne sont visiblement pas gnostiques. Mais, exactement comme une interprtation gnostique de la Bible est possible, l'on peut aussi supposer que ces maximes moralistes sont conformes une orientation gnostique. Puisque la bibliothque de Nag Hammadi semble avoir t runie en termes de gnosticisme chrtien, il est parfois difficile de concevoir que certains des textes, comme les textes hermtiques, ont t utiliss par des personnes qui se pensaient elles-mmes chrtiennes. L'un des textes revendique mme un hritage zoroastrien, il est attribu en cela son grand-pre ( ou peut-tre son oncle ) Zostrien, et mentionne encore Zoroastre dans un cryptogramme. Pourtant les gnostiques taient plus cumniques et syncrtiques au regard des traditions religieuses que ne 22

l'taient les chrtiens orthodoxes, aussi longtemps qu'ils trouvaient en elles une attitude sympathique envers la leur. S'ils pouvaient identifier Seth Jsus, ils pouvaient probablement aussi bien donner des interprtations christianisantes d'Herms et Zoroastre. Ainsi le gnosticisme semble ne pas avoir en son essence juste une forme alternative du christianisme. C'tait plutt une position radicale quant la dlivrance d'une domination du mal ou d'une transcendance intrieure, position qui s'tendit travers l'Antiquit tardive et mergea dans le christianisme, le judasme, le noplatonisme, l'hermtisme et leurs semblables. En tant que nouvelle religion elle tait syncrtique, retraant divers hritages religieux. Mais elle se maintenait par une position trs catgorique, l o l'unit au milieu d'une large diversit doit tre recherche. ~ 2 Les manuscrits La bibliothque de Nag Hammadi est importante pour le contenu de nombreux ouvrages grecs perdus qu'elle a prserv dans une traduction copte. Elle apporte aussi un clairage sur la production de livres coptes, et donc sur ceux qui les ont copis, lus et enfouis. La bibliothque consiste en 12 livres, plus 8 feuilles tes d'un 13e livre dans l'Antiquit tardive et plaques contre la couverture du 6e. Ces 8 feuilles comportent un texte entier, un trait indpendant pris d'un livre runissant des essais. En fait, chacun des livres, sauf le 10e, consiste en une collection d'uvres relativement brves. Il y a ainsi un total de 52 traits. Puisqu'un livre en contient habituellement plusieurs, on pourrait suspecter, comme pour les livres de la Bible, que les textes furent composs en ayant l'esprit l'adoption d'un petit format, mais qu'un plus grand format fut adopt l'poque o nos copies prcises furent ralises. Ceci est explicable en termes de l'histoire de la manufacture des livres. Le rouleau tait la forme habituelle d'un livre jusqu'aux premiers sicles aprs JC., quand il commena tre rem23

plac par un format plus conomique qui permit d'crire sur les deux faces, savoir le livre moderne avec ses feuilles individuelles. Techniquement parlant, un livre l'tude est un rouleau ou un volumen ( du verbe latin rouler ). Mais un livre sous la forme d'un livre moderne est un codex ( des codices, au pluriel ), mot latin pour un ensemble de tablettes en bois enduites de cire et relies ensemble, tel un solide calepin ou bloc-notes, anctre du livre avec des feuilles de papyrus, de parchemin ou de papier. Tandis que les uvres littraires continurent tre crites sous forme de rouleaux, plus prestigieux, les chrtiens ( mais pas les juifs ) en arrivrent prfrer le codex, plus conomique et plus pratique que le rouleau, comme le sait toute personne ayant eu l'occasion de travailler sur des microfilms. L'incommodit et l'usure dans le droulement et le r-enroulement du rouleau chaque fois que l'on veut reprendre une lecture ou rechercher une rfrence mena au remplacement du rouleau par le codex, tout comme l'on a aujourd'hui tendance prfrer les microfiches plutt que les microfilms pour la conservation et, surtout, la consultation des rouleaux. En gypte, le matriau le plus commun pour l'criture tait le papyrus. La tige triangulaire du papyrus ( plante ) est pleine d'une substance fibreuse qui peut tre coupe ou pluche en de longues bandes fines. Ces bandes sont poses cte cte et une seconde couche est place dessus angles droits. Quand cet assemblage est mis sous presse, sch, et poli il devient une surface flexible, douce et rsistante pour crire. Alors que ces surfaces n'taient habituellement que d'environ 20 cm de long, celles qui furent employes dans la bibliothque de Nag Hammadi faisaient souvent plus d'un mtre. Cette prouesse technologique pour l'poque indique l'importance que ces livres revtaient pour ceux qui les ont manufacturs. Une srie de surfaces taient places cte cte de manire se chevaucher de quelques centimtres pour tre 24

colles ensemble. Le rsultat tait un rouleau de papyrus, souvent de 3 mtres de long. Des feuilles allant de 20 40 cm de large taient dcoupes dans ces rouleaux, depuis l'extrmit droite jusqu' la gauche. Suffisamment de rouleaux taient ainsi coups pour produire une pile de 20 40 feuilles, qui, plies au milieu, forment le cahier d'un codex. Le fait que 2 6 rouleaux taient employs pour fabriquer un seul codex permet de comprendre le fait qu'un seul puisse contenir plus d'un texte, si chaque texte avait t au dpart compos avec l'esprit la taille d'un rouleau. Puisque chaque bande de papyrus possde une disposition fibreuse aussi caractristique qu'une empreinte digitale, les livres de la bibliothque de Nag Hammadi les plus fragmentaires furent rassembls en localisant la position des fibres d'un fragment, ou page, sur la feuille de papyrus original fabrique partir de bandes de papyrus. Ensuite, sa position dans le rouleau, puis sa position dans le codex, pouvaient tre calcule. Le Muse copte du Caire, o est conserve la bibliothque de Nag Hammadi, a assign un nombre chaque livre. A cette poque, l'on pensait que la numrotation suivait l'ordre selon lequel ils avaient t publis, ce qui reflte un jugement de valeur quant leur importance et leur tat de conservation. Seul le 4e livre trs fragmentaire est une exception cette tendance sa place assez importante lui fut attribue parce que les deux traits qu'il contient sont des copies de textes dans le 3e livre. Par commodit de rfrencement, les traits sont numrots de manire conscutive au sein de chaque livre. Bien que les systmes de numrotation utiliss pour les livres, les traits et mme les pages aient largement vari au cours des gnrations passes, le numrotation employe ici est celle du Muse copte et de L'Edition en fac-simil des Codices de Nag Hammadi, et devrait de l remplacer les anciennes numrotations.

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Des 52 traits, 6 qui sont dupliqus ( III,1 ; IV,1 et 2 ; V,1 ; XII, 2 ; et XIII,2 ) ne figurent pas dans ce livre puisqu'il existe une meilleure copie dj incluse. Six autres existaient dj quand la bibliothque de Nag Hammadi fut dcouverte, soit dans l'original grec ( VI,5 et 7, et XII,1 ) soit traduits en latin ( VI,8 ) ou en copte ( II,1 et III,4 ). Les deux versions en copte sont issues d'un codex en papyrus prsent Berlin, appel BG 8502, qui est un codex similaire la bibliothque de Nag Hammadi. Pour cette raison, les deux autres traits qu'il contient sont inclus dans ce livre. Pour avoir une ide de la somme de littrature qui a survcu dans la bibliothque de Nag Hammadi, l'on peut soustraire le total des 12 reproductions internes ou externes la bibliothque de Nag Hammadi et atteindre ainsi le nombre de 40 textes nouvellement dcouverts. Pour tre exact, quelques fragments existaient dans trois de ceux-ci, un en grec ( II,2 ) et deux en copte ( II,5 et VII,4 ) mais ils n'avaient pas t identifies en tant que tels jusqu' ce que soit disponible le texte complet. A prsent que toute la bibliothque est accessible, des fragments d'autres textes encore pourraient tre identifis. Mais de tels vestiges d'un trait sont plus tentants qu'utiles. Une restriction plus srieuse de cette estimation de 40 nouveaux textes se trouve donc dans le fait que certains d'entre-eux sont assez fragmentaires ( VIII,1 ; IX,1,2 et 3 ; XI,1,2,3 et 4 ; et XII,3 ). Il serait plus juste de considrer la bibliothque de Nag Hammadi comme additionnelle la somme de littrature qui a survcu depuis l'antiquit, avec 30 textes assez complets, et 10 qui sont plus fragmentaires. Bien que la bibliothque de Nag Hammadi soit en copte, les textes furent composs l'origine en grec. Le fait qu'ils aient t dcouverts en Haute-gypte pourrait donc tre trompeur. Bien sr, certains ont t composs en gypte, car ils contiennent des allusions spcifiques ce pays : Asclpios appelle l'gypte l'image du ciel ; Sur 26

l'Origine du monde fait appel aux hydres en gypte et aux deux taureaux en gypte comme tmoins ; et Le Discours sur le Huitime et le Neuvime instruit le fils afin d' crire ce livre en caractres hiroglyphiques pour le temple Diospolis ( Magna prs de Louxor ou Parva prs de Nag Hammadi ). Pourtant les auteurs crivant en grec pourraient avoir t situs n'importe o dans le monde ancien, l o le grec tait employ, en Grce mme ( VI,5 ), ou en Syrie ( II,2 ), ou en Jordanie ( V,5 ). Il en va de mme pour la Bible et d'autres textes anciens crits dans diverses parties du monde ancien et prservs dans les sables arides de l'gypte . Ainsi, la bibliothque de Nag Hammadi implique une collecte de ce qui tait au dpart un production littraire grecque par des auteurs anonymes et sans grand rapport les uns avec les autres, rpartis sur la moiti orientale du monde ancien et sur une priode allant quasiment jusqu' un demi-millnaire ( ou d'avantage si l'on prend en compte une brve section de La Rpublique de Platon, VI,5 ). On ne connat presque rien des diffrentes personnes qui ont traduit les traits en copte, ou de ceux qui les ont recopis, utiliss et enfouis, sauf ce que l'on peut dduire des livres eux-mmes. A cette priode, la population lettre d'gypte connaissait bien le grec, et la littrature grecque tait donc importe et recopie abondamment. Une ville de garnison romaine, Diospolis Parva, avec des troupes de Galates venus d'Asie Mineure et parlant le grec, se situait sur la rive du Nil oppose au site o la bibliothque de Nag Hammadi fut enfouie. Une inscription en grec portant Au nom de la [bonne] fortune de l'empereur [Csar] Trajan Hadrien [Auguste] a t retrouve Khenoboskion, sur la rive droite du Nil visible depuis le lieu d'enfouissement. Des prires grecques adresses Zeus Srapis et mentionnant Antioche se trouvent dans deux grottes de la falaise prs de l'endroit o les livres ont t enterrs. Mais de plus en plus, les textes grecs comme la Bible et la bibliothque de Nag Hammadi furent traduits dans la lan27

gue natale de l'gypte. Cela s'illustre dans la rgion o fut produite, lue et enfouie la bibliothque, et pendant approximativement la mme priode de temps, partir de La Vie de saint Pacme. Ce texte, qui existe la fois en grec et en copte, raconte qu'un moine d'Alexandrie parlant le grec vint voir Pacme, qui le fit vivre dans la mme demeure qu'un vieux frre qui connaissait le grec lorsqu'il apprenait la langue natale. Pendant ce temps, Pacme faisait tous les efforts pour apprendre le grec par la grce de Dieu afin de dcouvrir le moyen de lui offrir souvent le rconfort. Puis Pacme le nomma rgisseur de la maison de l'Alexandrien et des autres frres trangers qui virent aprs lui . Quand la langue gyptienne est crite avec l'alphabet grec ( plus quelques lettres pour les sons qui n'existent pas en grec ), elle est appele copte. La bibliothque de Nag Hammadi est rdige en deux dialectes coptes. Mme parmi les textes traduits dans un seul dialecte, des divergences mineures indiquent une pluralit de traducteurs, qui ne correspond pas la pluralit des scribes qui l'on doit la survie des copies. Dans le cas de ces reproductions, diffrents traducteurs taient impliqus, travaillant partir de textes grecs divergents. Le processus de traduction pourrait s'tre dploy sur une vaste superficie en gypte, et sur plus d'un sicle. Chaque codex tait reli en cuir. L'bauche de la taille dsire tait souvent marque sur le cuir, aprs quoi le ct charnu de la zone tait revtu de papyrus uss, colls en d'pais cartons appels cartonnages, produisant un effet de reliure. Ces papyrus uss taient des lettres, crites en grec ou en copte, et des documents commerciaux : ils ont fourni des noms de personnes et de lieux, tout comme des dates qui ont aid dterminer l'poque et l'endroit o les couvertures avaient t fabriques. Aprs qu'une couverture ait t ainsi double de cartonnage, une bande de la couverture tait tourne vers l'intrieur la tte et au pied de la premire et de la quatrime de couverture ainsi qu'au bord interne ( tranche ) de la quatrime de couverture. Puisque l'chine de l'animal traverse habi28

tuellement la couverture l'horizontale, le rtrcissement de la surface de peau menant jusqu' la queue de la bte pouvait tre conserv pour former un rabat s'tendant partir du bord interne de la premire de couverture. A cela on ajoutait une lanire pour entourer horizontalement le livre ferm. Cette pratique a peut-tre t emprunte la manufacture des rouleaux de papyrus, o une bande de parchemin et une lanire taient traditionnellement employes pour protger et maintenir enroul le papyrus. Une lanire tait aussi ncessaire pour garder un codex ferm. Chaque livre de Nag Hammadi possde un seul cahier, c'est--dire une seule pile de feuilles plies au centre pour fournir une surface d'criture ( bien que pour le Codex I le principal cahier soit complt par deux petits cahiers ). Des cahiers d'une aussi grande taille s'ouvriraient s'ils n'taient pas solidement lis. Des lanires plus courtes s'tendant depuis la tte et le pied de la premire et de la quatrime de couverture taient lies ensemble afin de mieux maintenir ferm le codex. Deux des couvertures ( IV et VIII ) n'ont pas de rabat sur le bord interne ( tranche ) de la premire de couverture, bien qu'ils possdent leur lanire habituelle. Une troisime couverture de fabrication similaire ( V ) possde un rabat ajout au bord interne de la premire de couverture. Ce groupe de trois livres semble avoir ainsi t fabriqu partir de peaux plus petites, et la mdiocre qualit du papyrus employ pour les cahiers confirme cette impression globale d'conomie. D'autres couvertures ont un renforcement de cuir qui garnit l'chine et protge la couverture et le cahier de la pression des lanires. Elles sont trois prsenter cet assemblage ( VI, IX et X ). Elles forment un second groupe parmi les couvertures, auquel on peut ajouter une autre fabrique de la mme manire ( II ) qui n'a toutefois plus aujourd'hui la doublure qu'elle possdait. Ce groupe se caractrise par les avances techniques mentionnes ci-dessus et par une meilleure qualit esthti29

que. A vrai dire, la couverture du Codex II prsente un beau faonnage teint. Les quatre autres ( I, III, VII, XI ) ne partagent pas ces traits distinctifs, sauf pour un certain caractre rudimentaire, ce qui permettrait ventuellement de les affecter un groupe. Les scribes impliqus dans la production des 13 codices peuvent tre diffrencis par leur criture manuscrite. Il semble qu'il existe quelques cas o un scribe a travaill sur plus d'un seul codex : un premier scribe a copi presque tout le Codex I, mais un second scribe a copi le trait 4 du Codex I ; ce second scribe a galement copi les traits 1 et 2 du Codex XI. Un troisime a copi en diffrents dialectes les traits 3 et 4 du Codex XI et aussi le Codex VII. Ainsi, trois des quatre livres qui semblent ne pas avoir de rapport entre eux quant la faon dont ont t fabriques les couvertures, semblent bien avoir une corrlation quant aux scribes qui les ont crits. Inversement, on pensait auparavant qu'un mme scribe avait copi les Codices IV, V, VI, VIII et IX, ce qui aurait signifi que les deux groupes distincts en termes de couverture en cuir devaient avoir un rapport quant l'criture manuscrite. Mais une tude rcente des critures indique qu'on a des critures diffrentes, mme si elles sont similaires, qui divergent le plus justement l o se trouvent les diffrences de reliures, confirmant ( plutt que relativisant ) par l-mme, tardivement, la distinction en groupes base initialement et uniquement sur les couvertures en cuir. Les deux groupes de couvertures ajouts quatre couvertures disparates, et le groupe d'critures manuscrites ajout aux divers scribes, pourraient indiquer que la bibliothque de Nag Hammadi est une fusion secondaire de ce qui tait l'origine une srie de plus petites bibliothques ou de livres isols. Ce que confirmerait la rpartition des copies. Aucun codex ne contient en lui-mme deux copies d'une mme uvre, pas plus qu'il n'y a de trait en double parmi les livres appartenant un groupe de couverture. 30

Pas d'avantage, une exception prs, un mme scribe n'a copi deux fois le mme texte. L'exception serait celle de II,4 et XIII,2, qui est le mme texte crit de la mme criture manuscrite et avec une formulation peu prs identique. Toujours est-il que la seconde copie fut carte quand le Codex XIII fut dmembr et qu'un seul trait ( XIII,1 ) se retrouva prserv l'intrieur de la premire de couverture du Codex VI avec les premires lignes du texte XIII,2 au verso de la dernire feuille, feuille dont on ne pouvait se dbarrasser sans mutiler le texte que l'on essayait de prserver ( XIII,1 ). Le fait que cette reproduction manuscrite fut invalide par la mise au rebut du texte XIII,2 ( exception faite des invitables premires lignes ) pourrait attester de ce qui semble avoir t une prise de conscience de l'inutilit d'une telle reproduction. Une note de scribe dans le Codex VI exprime le souci de ne pas mcontenter le commanditaire du travail ralis en reproduisant quelque chose de dj possd. Donc, quand la reproduction augmente en termes de composition d'une bibliothque, on a tendance penser que les livres avec leurs copies n'taient pas produits en vue de toute la bibliothque de 13 livres. Les traits du Codex IV sont aussi dans le Codex III, et le Codex IV est ainsi superflu dans cette prsente bibliothque. Et il y a un total de trois copies de l'Apocryphon de Jean ( II,1 ; III,1 et IV,1 ), un dans chaque classification de couvertures. On peut ainsi supposer que la prsente bibliothque provient d'au moins trois plus petites collections. La datation des critures manuscrites littraires coptes, comme celles qui sont attestes dans les textes avant nous, est bien moins infaillible que celle des critures manuscrites littraires grecques, ou celle des critures commerciales de l'poque. Une tude complte des critures n'a pas encore t ralise, bien que des dates partant au moins de la fin du IVe sicle aient t suggres. Normalement, les textes eux-mmes ne contiennent pas de dates ou de rf31

rences historiques. Mais Le Concept de notre grande Puissance pourrait fournir une rfrence qui puisse servir de point de dpart pour la datation du Codex VI : Cessez les concupiscences et dsirs nfastes et ( les enseignements des ) anomoens, infmes hrsies qui n'ont pas de fondement ! Pendant que l'archevque d'Alexandrie, Athanase, se tenait cach dans les monastres de Pacme la fin des annes 350, les hrtiques anomoens ont prospr Alexandrie durant une brve priode. Il est probable que ce texte ait acquis sa forme finale partir de cette poque. Les papyrus uss, employs pour les lettres et documents commerciaux et rutiliss pour donner une paisseur aux couvertures en cuir, peuvent tre localiss dans le temps et l'espace avec plus de facilit que les feuilles qui composent les cahiers relis l'aide de ces couvertures. Des dates trouves dans ces cartonnages du Codex VII sont les annes 341, 346 et 348 de notre re. Ceci indique que la couverture du Codex VII fut manufacture seulement aprs des dates, mais peut-tre aussi une gnration plus tard. Un document trouv dans le cartonnage du Codex I mentionne Diospol[is] prs de Khenobos[kion] . Divers sites sont indiqus dans les cartonnages des autres couvertures et font partie de la mme rgion globale. Certains cartonnages de la couverture du Codex VII semblent avoir appartenus un moine dnomm Sansnos qui tait charg du btail d'un monastre, ce qui atteste de ses rapports troits avec la manufacture des couvertures en cuir. Le sige du monastre de l'ordre de Pacme Pabau ( o se situait la basilique de saint Pacme ) tout comme le troisime monastre de Pacme Khenoboskion ( o Pacme en personne commena sa vie d'ermite ) se trouvent seulement, et respectivement, 9 et 5 kilomtres de l'endroit ou la bibliothque fut enfouie. Ainsi, la provenance des codices de Nag Hammadi a souvent t identifie l'ordre monastique de Pacme, qui comporte un programme littraire grande chelle au moment opportun et l'endroit appropri quant la produc32

tion des codices de Nag Hammadi. Mais la publication de ce cartonnage en 1981 impliqua un rigoureux passage au crible des preuves, qui se montra moins concluant que ce qui avait t auparavant soutenu. Le rapport entre les codices de Nag Hammadi et le mouvement de Pacme demeure une possibilit tentante, possibilit plus concrte que celles qui ont t suggres, et nanmoins loin d'tre assure. Au regard de l'orthodoxie des monastres de Pacme reflte par La Vie de saint Pacme et par d'autres lgendes monastiques, certains hsitrent associer la bibliothque de Nag Hammadi ces monastres, moins que ces textes n'aient t copis pour information prte l'emploi dans la rfutation de l'hrsie. Mais un dfenseur de l'orthodoxie chrtienne aurait difficilement pris la peine de collecter les textes non-chrtiens qui se trouvent dans la bibliothque de Nag Hammadi. Et encore, certains des textes chrtiens ne sont pas explicitement hrtiques et n'auraient gure t inclus dans une telle liste noire. Le fait mme que la bibliothque semble avoir t constitue en combinant plusieurs petites collections nous fait pencher vers l'ide que les monastres, ou les gnostiques chrtiens, ralisaient individuellement des livres distincts ou des petites collections particulires pour leur propre dification spirituelle, plutt qu'une campagne manuscrite l'encontre des hrsies. Puisque la littrature chasseuse d'hrsie connue est en grec, on devrait hsiter poser comme hypothse que cette activit tait largement rpandue en copte. La transmission de la littrature pacmienne entre les monastres se faisait bien plus pied. Bien sr, il est concevable que la manufacture de livres tait peut-tre l'un des artisanats courants dans les monastres pour avoir des marchandises vendre ou ngocier pour leurs besoins. On pourrait donc supposer que des livres non inscrits taient produits dans les monastres et vendus aux gnostiques ( ou d'autres 33

personnes ) afin de les inscrire comme ils ou elles le jugeraient bon. Mais il existe des preuves de cette priode montrant que les livres taient d'abord inscrits puis relis, comme lorsqu'une ligne d'criture passe par la pliure l'chine. Et, dans la bibliothque de Nag Hammadi, du buvard est souvent prsent sur la premire et la dernire page mais nulle part ailleurs, ce qui peut sans doute s'expliquer par le fait qu'il fallait asscher l'humidit de la colle dans le cartonnage au moment de la pose de la reliure, auquel cas le cahier avait d avoir t inscrit avant d'tre reli. Le soin et la dvotion religieuse reflte dans la fabrication de la bibliothque de Nag Hammadi ne suggre pas que les livres taient produits en dehors de tout antagonisme ou mme d'un intrt pour leurs contenus, mais reflte d'avantage la vnration accorde aux textes sacrs. Les couvertures en cuir ne sont pas trs ornes, compares par exemple aux tmoignages selon lesquels les livres manichens taient garnis de pierres prcieuses ( mme si les trs simples couvertures en bois des codices manichens de Medinet Madi qui nous soient restes sont encore plus quelconques que les couvertures de la bibliothque de Nag Hammadi ). Pourtant, la simplicit aurait t de mise pour les monastres de Pacme. La Vie de saint Pacme relate : Il apprit aussi aux frres ne pas prter attention la joliesse et beaut du monde, que ce soient de belles nourritures ou de beaux vtements, ou une cellule, ou un livre en apparence sduisant . Le simple faonnage de certaines des couvertures en cuir ne contient pas de croix ( II, IV, VIII ). L'ankh, le hiroglyphe symbole de la vie, qui est devenue la croix anse chrtienne, se trouve sur la couverture admirablement faonne du Codex II et la fin de La Prire de l'aptre Paul. Le symbole du poisson acrostiche qui reprsente le credo Jsus Christ, Fils de Dieu, Sauveur se trouve dans deux notes de scribe ( dans les codices III et VII ). Dans le premier cas, le nom du scribe est conserv dans le commentaire en chair mon nom est Gongessos , ce qui est probable34

ment le nom latin de Concessus. Il a aussi le nom, ou titre spirituel, d'Eugnoste. Il avait ainsi un statut spirituel, et s'en remettait ses lumires ( compagnons ) d'armes dans l'incorruptibilit . Dans ce cercle spirituel, il dcrivit le texte comme crit de Dieu . Si une telle note ne fut pas compose par le scribe qui copia le codex survivant, elle venait plutt d'un scribe prcdent qui crivit un anctre, il n'en demeure pas moins que le scribe du Codex III n'a pas cru bon l'liminer, et encore moins la remplacer dans le texte par un avertissement sur l'hrsie. Cependant, quelques notes crites la fin d'un codex existant, pourraient avoir t composes par le scribe de ce codex en particulier. Elles refltent la dvotion qu'il ( ou elle ) trouva dans ce qu'il copiait. Le Codex II se termine par cette note : Souvenez-vous aussi de moi, mes frres, [dans] vos prires : Paix aux saints et ceux qui sont spirituels. Le Codex VII finit avec une note similaire : Le livre appartient la paternit. C'est le fils qui l'a crit. Bnissezmoi, pre. Je vous bnis, pre, en paix. Amen . Ces notes, ajoutes au soin des scribes pour corriger les erreurs, tend indiquer qu'ils avaient une conviction religieuse et une sympathie pour ce qu'ils copiaient. Peut-tre que la prsentation courante de ce mouvement monastique du IVe sicle comme tout fait orthodoxe est un anachronisme, et reflte d'avantage la situation d'un monachisme plus tardif qui a rapport les lgendes au sujet d'une priode plus ancienne. Quand un ermite se retirait dans le dsert loin de la civilisation, il avait aussi tendance ne plus tre en contact avec l'glise, par exemple avec sa confrrie, ses sacrements et son autorit. Au dbut du IVe sicle, il y avait dans le delta un moine du nom de Hierakas, scribe de profession et interprte rudit de la Bible, qui tait tellement asctique dans ses opinions, qu'il soutenait que le mariage tait limit l'ancienne alliance, car aucune personne marie ne peut hriter du royaume des cieux . Bien que cela l'ament tre class parmi les hr35

tiques, cela ne l'empcha pas d'avoir des disciples. Le Tmoignage de vrit reprsente un point de vue similaire : Car personne qui est sous la loi ne sera capable de chercher la vrit, car ils ne seront pas capables de servir deux matres. Car la profanation de la Loi est manifeste : mais la non-profanation appartient la lumire. La Loi commande ( quelqu'un ) de prendre un mari ( ou ) de prendre une femme, et d'engendrer, et de se multiplier comme le sable de la mer. Mais, la passion qui est une grande joie pour eux contraint l'me de ceux qui sont engendrs dans ce lieu, ceux qui profanent et ceux qui sont profans, afin que la Lumire puisse se raliser travers eux. Et ils voient qu'ils sont en train d'aider le monde ; et ils se [dtournent] de la lumire, incapables de [passer ct] des archontes de [l'obscurit] sans avoir vers leur dernier [sou]. La Vie de saint Pacme raconte qu'un philosophe de Panopolis ( ou Akhmim, l ou Pacme btit un monastre 108 kilomtres en aval du site o la bibliothque de Nag Hammadi fut enfouie ) vint pour tester les moines sur leur comprhension des critures . Pacme envoya sa rencontre son assistant Thodore : Le philosophe l'interrogea sur un sujet chose auquel il n'tait pas difficile de trouver une rponse, Qui n'tait pas n, mais mourut ? Qui tait n, mais ne mourut pas ? Et qui mourut sans mettre la puanteur de la dcomposition ? Thodore rpondit qu'Adam n'tait pas n mais mourut, qu'Enoch tait n mais ne mourut pas, et que l'pouse de Loth mourut mais, qu'tant devenue une statue de sel, elle n'mit pas la puanteur de la dcomposition. Le philosophe admit ces rponses et partit. Ceci pourrait bien tre un vague cho des dbats pacmiens avec les gnostiques chrtiens avant le milieu du IVe sicle ap. JC. Les efforts d'Epiphane pour faire sortir les gnostiques chrtiens hors de la ville eurent lieu en gypte peu prs la mme poque. 36

En 367 ap. JC. l'archevque Athanase crivit une lettre pascale qui condamnait les hrtiques et leurs livres apocryphes qui ils attribuaient une anciennet et donnaient le nom de sacrs . Thodore, la tte des monastres pacmiens, fit traduire la lettre en copte et la dposa dans le monastre pour qu'elle leur serve de rgle . Il devait encore y avoir des hrtiques, ou leurs livres, influenant le mouvement monastique pacmien qui rendit cet acte ncessaire. Bien des textes de Nag Hammadi sont en fait crits sous un pseudonyme, c'est--dire attribus dans leurs titres un certain saint du pass. Dans l'une des lgendes pacmiennes, un des ces livres que les hrtiques crivent mais annoncent sous le nom de sacrs est voqu par une citation : Aprs qu'Eve ft trompe et et mang le fruit de l'arbre, c'est du diable qu'elle donna naissance Can . L'Hypostase des archontes dans la bibliothque de Nag Hammadi prsente un rcit qui va dans le mme sens : Alors les autorits vinrent vers leur Adam. Et quand ils virent son homologue fminin parlant avec lui, ils furent troubls avec beaucoup d'moi, et ils s'prirent d'elle. Ils se dirent les uns les autres, ''Venez, allons semer notre semence en elle'', et ils la poursuivirent. Et elle se moqua d'eux pour leur stupidit et leur aveuglement ; et en leur pouvoir, elle devint un arbre, et leur laissa d'elle une vague image lui ressemblant ; et ils la salirent ignoblement. Et ils salirent le timbre de sa voix, de manire ce que par la forme qu'ils avaient modele, avec [leur] ( propre ) image, ils se rendirent responsables de la condamnation. Au dbut du Ve sicle, Shenoute, l'abb du monastre Blanc Panopolis ( o Pacme avaient fond les monastres et d'o est venu le philosophe ) attaqua un groupe au temple de Pneueit qui s'appelait sans roi , qui vnrait le dmiurge , et n'aurait pas accept Cyrille, archevque d'Alexandrie, comme leur illuminateur . Ces termes, que Shenoute semble emprunter au groupe, sont si bien connus dans la bibliothque de Nag Hammadi qu'il est possi37

ble qu'il s'agisse d'un groupe gnostique chrtien, peut-tre sthien, mme si dans sa polmique, Shenoute les appelle des hrtiques. Il se saisit de leurs livres pleins d'abominations et de toutes sortes de magie . A vrai dire, des sries de voyelles et de mots magiques inintelligibles ( Plotin les appelle des sifflements ) se trouvent dans la bibliothque de Nag Hammadi. En fait Pacme crivit lui-mme aux suprieurs de ses monastres en utilisant un code que mme ses successeurs ne pouvaient dchiffrer ! La bibliothque de Nag Hammadi et les livres de lettres spirituelles de Pacme n'taient donc peut-tre pas entirement diffrents en apparence de ce que Shenoute aurait appel un livre de magie. Il menaa les hrtiques : Je vous ferai reconnatre ... l'archevque Cyrille, ou sinon l'pe exterminera la plupart d'entre vous, et en outre, ceux qui seront pargns partiront en exil . Tout comme les rouleaux de la mer Morte furent placs dans des jarres et cachs ( pour tre conservs en scurit ) l'poque o la Xe lgion romaine approchait, l'enfouissement de la bibliothque de Nag Hammadi dans une jarre pourrait aussi avoir t prcipit l'approche des autorits romaines, qui taient alors devenues chrtiennes. Le fait qu'elle fut cache dans une jarre ne suggre pas une intention d'liminer les livres, mais de les prserver. Car non seulement les rouleaux de la mer Morte ont t placs dans des jarres, mais des manuscrits bibliques ont aussi t retrouvs prservs de la mme faon en amont et en aval du Nil, dans certains cas datant de la mme priode, et enfouis dans la mme rgion que Nag Hammadi. En 1952, on fit une seconde dcouverte de manuscrits enterrs dans une jarre quelques deux sicles aprs les codices de Nag Hammadi. En fait, ce sont ces manuscrits, plutt que les codices de Nag Hammadi, qui sont plus certainement les vestiges d'une bibliothque de l'ordre monastique de Pacme. Car cette dcouverte comprenait des copies archives de lettres officielles manant d'abbs ap38

partenant l'ordre de Pacme. Et le reste est galement ce que l'on attendrait d'une bibliothque pacmienne : des textes bibliques, apocryphes, martyrologiques et d'autres textes difiants. Pour tre exact, il y a aussi quelques textes classiques grecs et latins, dont la prsence pourrait tre explique en supposant que les personnes qui rejoignaient le mouvement donnaient tous leurs biens matriels l'ordre, qui aurait ainsi acquis des textes non-chrtiens. Et plus tard, ils auraient t considrs comme des textes vnrables au mme titre que les autres archives, reliques fragiles et fragmentaires prserver et n'tant plus destines tre lues. Cette seconde dcouverte est connue dans la rgion sous le nom de Papiers de Dishna , puisque Dishna prs du fleuve et de la voie ferre est une grande ville grce laquelle les textes ont t commercialiss. Mais le site de la dcouverte tait au pied du Jabal Abu Mana, 5 km au nord-ouest de Dishna, et, ce qui est encore plus significatif, 5 km au nord-est du sige de l'ordre de Pacme, et 12 km l'est du site o ont t dcouverts les codices de Nag Hammadi. Cette dcouverte tait connue dans les cercles scientifiques de la gnration passe sous le nom de Papyri Bodmer, puisque la plus grande partie a t acquise par la Bibliothque Bodmer prs de Genve. Mais ce n'est que rcemment, au cours des recherches effectues pour dterminer la provenance des codices de Nag Hammadi, que la provenance des Papyri Bodmer a t tablie au-del des bilans des marchands d'antiquits et rendue publique dans le monde scientifique. La Bible mentionne l'enfouissement d'une jarre comme moyen de conserver un livre, et le feu comme le moyen de l'liminer ( Jrmie 32:14-15 ; 36:23 ). La Vie de saint Pacme rapporte qu'il se dbarrassa d'un livre dont l'auteur tait Origne, qu'il considrait comme hrtique, en le jetant dans l'eau, et prcise que si le nom du Seigneur n'y avait 39

pas figur il l'aurait brl. L'incendie de la plus grande bibliothque de l'Antiquit par les chrtiens la fin du IVe sicle Alexandrie suggre que cette solution aise n'aurait gure t nglige si le but avait t de se dbarrasser de la bibliothque de Nag Hammadi. Si les codices avaient fait partie de la bibliothque pacmienne, ils auraient d tre retirs, pas par les chasseurs d'hrsie, mais par les dvots qui les chrissaient suffisamment pour les enterrer l'abri dans une jarre, peut-tre pour la postrit. Deux des textes de la bibliothque de Nag Hammadi disent avoir t stocks pour tre conservs l'abri dans une montagne jusqu' la Fin des temps. L'vangile des gyptiens s'achve comme suit : Le Grand Seth crivit ce livre avec des lettres en cent trente ans. Il le plaa dans la montagne qui s'appelle Charaxio, afin que, la fin des temps et des res, il puisse venir et rvler cette incorruptible et sainte race du grand sauveur, et ceux qui demeurent avec eux dans l'amour, et le grand Esprit ternel invisible, et son Fils unique... Peu avant la fin d'Allogne, on trouve une ide similaire : Ecrivez [les choses que je] vous [dirai] et que je vous rappellerai pour le bien de ceux qui seront dignes aprs vous. Et vous laisserez ce livre sur une montagne et vous adjurerez le gardien, ''Viens, celui qui est Redoutable''. De chaque ct de la valle du Nil, des falaises abruptes s'lvent au-dessus du dsert. La partie sur la rive droite marquant la limite de la valle du Nil et des terres arables entre Khenoboskion et Pabau s'appelle Jabal alTarif. Un bloc de roche prominent ayant un peu la forme d'une stalagmite s'est dtach de la falaise pendant la prhistoire, et est tomb sur le talus d'boulis ( le plan inclin de pierres tombes qui, au cours des ges, se sont naturellement accumules comme un contrefort au pied de la falaise ). Sous le flanc nord de l'un des normes morceaux en 40

forme de ft et issus de ce bloc de roche pars, tait cache la jarre contenant la bibliothque de Nag Hammadi. Sur la faade de la falaise, juste en haut du talus qu'on peut escalader sans difficult, des tombes de la VIe dynastie et des rgnes de Ppi Ier et de Ppi II ( 2350-2200 av. JC ) avaient t dvalises depuis longtemps au moment de l'Antiquit. Elles taient ainsi devenues des grottes dsertes et fraches o un moine aurait bien pu effectuer une retraite solitaire, comme le rapporte lui-mme Pacme, ou encore un endroit o un ermite aurait pu avoir sa cellule. Des prires Zeus Srapis en grec, les premires lignes des psaumes bibliques en copte, et des croix chrtiennes, toutes peintes en rouge sur les murs des grottes, montrent qu'elles taient ainsi employes. Peut-tre que ceux qui chrissaient la bibliothque de Nag Hammadi faisaient un tel usage de ces grottes, ce qui expliquerait le choix de ce site pour l'enfouissement. Toujours est-il que la jarre y est demeure un millnaire et demi... ~ 3 La dcouverte Durant le mois de dcembre, les paysans de la rgion de Nag Hammadi en Haute-gypte fertilisent leurs cultures avec des nitrates issus du talus de Jabal al-Tarif, l'aide de sacoches charges sur leurs chameaux. Deux frres, Mohammed et Khalifa Ali du clan al-Samman, attachrent leurs btes sur le ct sud du bloc de roche affaiss, et creusrent autour de sa base. Ils tombrent ce moment sur la jarre. Mohammed raconte qu'il a d'abord craint de briser la jarre, dont l'orifice pouvait avoir t scell avec du bitume, au cas o un djinn aurait t enferm l'intrieur ; mais, aprs rflexion, c'est--dire en pensant que la jarre pourrait contenir de l'or, il reprit son courage deux mains et la fracassa avec sa pioche. Des particules couleur or tournoyrent et disparurent dans le ciel ni djinn, ni or l'horizon, mais srement des fragments de papyrus ! Il enveloppa les livres dans sa tunique, mit le paquet sur son paule, dtacha son chameau, et les ramena chez 41

lui, une masure dans le hameau de al-Qasr, qui tait l'ancien site de Khenoboskion o Pacme avait commenc sa vie de chrtien. Six mois auparavant, au cours de la nuit du 7 mai 1945, Ali, le pre de ces deux frres, avait tu un maraudeur une nuit o il travaillait comme gardien pour surveiller les quipements d'irrigation des champs. Au milieu de la matine suivante, il fut assassin son tour par vengeance meurtrire. Environ un mois aprs la dcouverte des livres, un paysan du nom d'Ahmed s'endormit assis dans la chaleur du jour sur le bord d'une route poussireuse non loin de la maison de Mohammed Ali, avec ses cts une jarre de mlasse de canne vendre. Un voisin le dsigna Mohammed comme le meurtrier de son pre. Mohammed courut la maison et alerta ses frres et sa mre, qui, devenue veuve, avait demand ses 7 fils de garder leurs pioches acres. La famille entire se jeta sur l'homme et le tailla en pices. Morceau par morceau, ils lui arrachrent mme le cur et le dvorrent entre eux, ultime acte d'une revanche meurtrire. Ahmed n'tait autre que le fils du shrif Isma'il Husayn, un homme fort respect al-Qasr, en fait un membre de la tribu des Hawara, qui est tant en marge de la socit qu'elle se considre comme non-arabe, mme si elle descend directement du Prophte. Le village des Hawara, Hamrah Dum, se situe juste au pied du Jabal al-Tarif : c'est la raison pour laquelle Mohammed Ali avait eu peur de retourner sur le site de sa dcouverte, de crainte que sa vengeance ne soit son tour venge. En ralit, le frre d'Ahmed prit sa revanche l'poque, en tuant deux membres du clan al-Samman. Une dcennie plus tard, le fils d'Ahmed, alors adolescent, apprit qu' la nuit tombe aurait lieu une procession funraire de la famille de Mohammed Ali al-Qsar. Il prouva sa virilit en se glissant furtivement dans le village et en tirant des coups de feu, faisant une vingtaine de blesss et de morts. Mohammed Ali montre une blessure au-dessus de son cur pour prouver la tentative de vengeance rate. Mais il refusa dur comme 42

fer de retourner la falaise pour reconnatre le site de la dcouverte, jusqu' ce qu'une tenue de camouflage, une escorte gouvernementale, et bien sr une compensation financire le persuadent de changer d'avis. Le village d'al-Qasr tait si content de s'tre dbarrass du fils du shrif qu'aucun tmoin oculaire ne fut trouv pour tmoigner l'audition. Mais durant cette priode, la police chercha chaque soir des armes dans la maison de Mohammed Ali. Ayant entendu dire que les livres taient chrtiens, sans doute sur la base de l'criture copte, Ali demanda au prtre copte d'al-Qasr, Basiliyus Abd al-Masih, s'il pouvait les conserver dans sa maison puisque celle d'un prtre ne risquait pas d'tre fouille. La femme de ce prtre avait un frre, Raghib Andrawus, qui allait de village en village pour enseigner l'anglais et l'histoire dans les coles religieuses coptes. En voyant un des livres ( le Codex III ), il reconnut sa valeur potentielle et persuada son beau-frre de lui donner. Il l'emmena au Caire et le montra un mdecin copte qui s'intressait la langue copte, George Sobhi, qui son tour appela les responsables du dpartement des antiquits gyptiennes. Ces derniers prirent contrle du livre, moyennant le paiement de 300. Aprs bien des dlais, Raghib reut finalement 250 contre le versement de 50 comme don au muse o le livre tait mis en dpt. Le registre du muse indique la date du 4 octobre 1946. Pensant que les livres taient sans valeur, et mme peut-tre une source de malheur, la veuve d'Ali dcida d'en brler une partie dans le four ( probablement le Codex XII, dont il ne reste que quelques feuilles fragmentaires ). Des voisins musulmans illettrs changrent ou achetrent le reste pour presque rien. Nashid Bisadah en avait un, et chargea un marchand d'or de Nag Hammadi de le vendre au Caire, sur quoi ils se partagrent le bnfice. Un marchand de crales en avait acquis un autre et le vendit au Caire si bon prix qu'il put y ouvrir un magasin. Les villageois d'al-Qasr dirent qu'il s'agissait de Fikri Jabra'il, 43

aujourd'hui propritaire de la Boutique de Nag Hammadi au Caire ; nanmoins, il nie farouchement toute implication, tout en connaissant bien l'histoire. Bahij Ali, un hors-la-loi borgne d'al-Qasr, obtint la plupart des autres livres. Escort de Dhaki Basta, un marchand d'antiquits bien connu dans la rgion, il se rendit dans la capitale. Ils les proposrent d'abord la boutique de Mansoor l'Htel des Bergers, puis la boutique de Phokion J. Tano, qui acheta tout leur stock et se rendit Nag Hammadi pour voir s'il en restait. La plus grande partie du Codex I fut exporte de l'gypte par un marchand d'antiquits belge install au Caire, Albert Eid. Il fut mis en vente New York et Ann Harbor en 1949, en vain, puis plus tard en Belgique ( par Simone, la veuve de Eid ) o il fut acquis le 10 mai 1952 par l'Institut Jung de Zurich et appel le Codex Jung . Il retourna au Caire bout par bout, aprs publication, o il est actuellement conserv au Muse copte. Pendant ce temps, la collection de Tano fut emmene sous bonne garde par le Dpartement des Antiquits gyptiennes pour ne pas quitter le pays. Aprs l'arrive au pouvoir de Nasser, elle fut nationalise contre une compensation symbolique de 4000. Aujourd'hui la bibliothque de Nag Hammadi est nouveau runie, et conserve au Muse copte. Togo Mina, le directeur du muse l'poque de la dcouverte, avait fait ses tudes Paris sous la direction d'Abbot Etienne Drioton, devenu ultrieurement directeur du Dpartement des Antiquits gyptiennes. Et Togo Mina avait eu pour camarade de classe la femme de Jean Doresse, un jeune scientifique franais qui partit en gypte pour tudier les monastres coptes. Togo Mina fut ravi de lui donner un accs au Codex III et de projeter avec lui une dition de la bibliothque, principalement en franais, projet qui fut stopp net par la mort de Mina en 1949. Une runion des membres d'un comit international au Caire ( en 1956 ) amena la publication de L'vangile de 44

Thomas en 1959. Et le Codex Jung fut graduellement publi en 6 volumes entre 1956 et 1975. Pendant ce temps, le nouveau directeur du Muse copte, Pahor Labib, projeta de publier la plus grande partie de la bibliothque avec les scientifiques allemands Alexander Bhlig et Martin Krause. Au dbut des annes 60, le directeur gnral de l'Unesco, Ren Maheu (de France), conclut un accord avec Saroite Okacha, le ministre de la Culture et le Conseil national de la Rpublique Arabe Unie3, pour publier une dition complte par un comit international choisi par l'gypte et l'Unesco. Mais quand on s'aperut que plusieurs des textes de choix avaient dj t chargs d'une publication, le projet de l'Unesco fut rduit une dition en fac-simil. Le projet resta plus ou moins en sommeil jusqu' ce que le comit international pour les Codices de Nag Hammagi soit constitu la fin des annes 70. L'dition en fac-simil des Codices de Nag-Hammadi4 fut publie par Brill en 12 volumes entre 1972 et 1984. Plusieurs missions anciennes ont prsent t publies, et des ditions compltes en anglais, et en allemand sont actuellement en prparation. Cet ouvrage s'est servi des traductions issues de l'dition anglaise en 17 volumes, intitule The Coptic Gnostic Library. Avec la publication de La Bibliothque de Nag Hammadi le travail ne fait que commencer, car il marque un nouveau dbut pour l'tude du gnosticisme. Il y a plus d'un sicle de cela, des tudiants commencrent travailler sur le gnosticisme afin de comprendre de quoi parlaient les Pres de l'glise chasseurs d'hrsie. Vers le dbut du XXe sicle, l'cole de l'histoire des religions ouvrit le dbat en recherchant les origines du gnosticisme travers le Proche-Orient ancien. Entre les deux guerres mondiales, Hans Jonas offrit une interprtation philosophique du gnosticisme, qui, pour la premire fois, avait un sens comme manire possible de comprendre l'existence. Rudolf Bultmann3 4 NdT : union de l'gypte et de la Syrie entre 1958 et 1961. NdT : The Facsimile Edition of the Nag Hammadi Codices.

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interprta alors le Nouveau Testament autrement, selon les termes d'une interaction avec le gnosticisme, impliquant une appropriation tout comme un affrontement. Pourtant, les rsultats de ce sicle de recherches sur l'origine, la nature et l'influence du gnosticisme demeurrent dans une certaine ambivalence, comme suspendus l'incertitude. Personne ne peut manquer d'tre impressionn par la clairvoyance, la capacit constructrice, les minentes intuitions des savants et scientifiques qui, partant de sources limites et secondaires, furent capables de produire des hypothses de travail qui en ralit fonctionnaient bien. Toutefois, la bibliothque de Nag Hammadi a attir l'attention sur le fait que ces sources taient bien maigres. Car si la dcouverte de la bibliothque de Nag Hammadi tait accidentelle et son contenu quelque peu arbitraire, le dluge de nouveaux documents de base qu'elle contient ne peut manquer de l'emporter sur les laborations et conjectures du savoir prcdent. Mais, pour la premire gnration d'aprs la dcouverte, les nouveaux documents de base tait tout au plus un goutte goutte , et l'incertitude amena la stagnation, alors que la communaut scientifique attendait et attendait. A prsent le moment est venu de rassembler les efforts, avec toute la bibliothque de Nag Hammadi rendue accessible, pour rcrire l'histoire du gnosticisme, pour comprendre de quoi il s'agissait rellement, et bien sr pour poser de nouvelles questions. Rarement une gnration d'tudiants s'est trouve devant une telle opportunit ! Que les lecteurs de La Bibliothque de Nag Hammadi partagent cette exaltation, et cette responsabilit, avec ceux qui ont contribu sa production.

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L'VANGILE DE MARIEBG 8502, 1 Introduction : Karen L. King Traduction : George W. MacRae R. McL. Wilson dition : M. Parrott

Le texte de L'vangile de Marie peut aisment tre divis en deux parties. La premire section5 dcrit le dialogue entre le Sauveur ( ressuscit ) et les disciples, et rpond leurs questions sur la matire et le pch. Se reposant sur une exgse de l'Eptre aux Romains 7 ( comme l'a dmontr Anne Pasquier ), le Sauveur explique que le pch ne relve pas du domaine moral, mais cosmologique, d au mlange incorrect du matriel et du spirituel : finalement, toute chose sera rduite sa propre racine. Aprs avoir termin son discours, le Sauveur leur rend un salut final, les avertissant de bien prendre garde celui qui pourrait tenter de les garer, et les charge de partir et de prcher l'vangile du royaume. Nanmoins, aprs son dpart, les disciples sont affligs, consterns et plongs dans un immense doute. Marie-Madeleine les rconforte et incite leurs curs tendre vers le Bien et considrer des paroles du Sauveur.5 7, 1-9, 24

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La seconde section du texte6 contient la rvlation particulire qu'elle a reue du Sauveur et qu'elle dcrit. Sur la requte de Pierre, elle parle aux disciples des choses qui leur taient caches. La base de son savoir est une vision du Seigneur et un dialogue priv avec lui. Malheureusement, il manque ici quatre pages du texte, et seuls le dbut et la fin de cette rvlation existent. La rvlation est prsente sous la forme d'un dialogue. La premire question que Marie-Madeleine pose au Sauveur concerne la manire dont on voit une vision. Il rpond que l'me voit par le mental qui est entre l'me et l'esprit. A cet endroit, le texte est tronqu. Lorsque le texte reprend, elle est en pleine description de la rvlation du Sauveur sur l'ascension de l'me aprs les quatre puissances. Ces quatre puissances sont trs probablement identifiables aux expressions essentielles des quatre lments de la matire. L'me claire, prsent libre de ses liens, s'lve aprs les quatre puissances, les surpassant de sa gnose, et parvient au repos ternel et silencieux. Aprs avoir termin la retranscription de sa vision aux disciples, Andr et Pierre la dfient sur deux bases : en tout premier lieu, selon Andr, ces enseignements sont tranges. Ensuite, selon Pierre, le Sauveur aurait-il vritablement dit de telles choses une femme et les aurait-il gardes cachs ses disciples hommes ? Lvi rprimande Pierre qui conteste la femme face aux adversaires, et reconnat que le Seigneur aime Marie-Madeleine plus que les autres disciples. Il les supplie d'avoir honte, imposer l'homme parfait, se mettre en route et prcher comme leur avait demand le Sauveur. Aussitt, ils partent pour prcher et le texte prend fin. La confrontation entre Marie et Pierre, scnario que l'on retrouve dans L'vangile de Thomas, Pistis Sophia et L'van6 10,1-23 ; 15,1-19,2.

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gile des gyptiens, reflte certaines tensions du christianisme du IIe sicle. Pierre et Andr reprsentent des positions orthodoxes qui nient la validit de la rvlation sotrique et rejettent l'autorit des femmes enseigner. L'vangile de Marie attaque de front ces deux positions grce sa reprsentation de Marie-Madeleine. Elle est la bien-aime du Sauveur, possdant un savoir et un enseignement suprieur celui de la tradition apostolique publique. Sa supriorit est base sur la vision et la rvlation prive, et se dmontre dans sa capacit renforcer les disciples hsitants et les orienter vers le Bien. Le texte appartient au genre du dialogue gnostique. Toutefois, il a aussi t class comme une apocalypse en raison des nombreuses caractristiques qu'il partage avec d'autres textes de ce genre : dialogue rvlateur, vision, cosmogonie abrge, description de rgions d'un autre monde ou au-del et ascension de l'me ( bien qu'il n'y ait pas de voyage cleste en tant que tel ), instructions finales, et une courte conclusion narrative. La difficult dfinir le genre est due au fait que le texte a subi une seconde rdaction. La plupart des scientifiques sont d'accord pour dire que les deux parties du texte dcrites ci-dessus taient l'origine deux rcits distincts ( oraux ou crits ) qui ont t combins de manire artificielle afin de former le tout prsent. Le rle de Marie en fin de la premire section, et l'altercation parmi les disciples la fin, donnent un assemblage narratif. A l'origine, L'vangile de Marie tait parfois crit en grec au IIe sicle. Malheureusement les deux copies existantes de L'vangile de Marie sont extrmement fragmentaires. Le texte le plus ancien comprend seulement une unique feuille fragmentaire rdige en grec, date du dbut du IIIe sicle7. Une plus longue partie du texte existe dans un co7 P. Rylands III 463 [22:16,1-19,4].

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dex copte du dbut du Ve sicle8, bien que de considrables portions du texte soient l aussi manquantes. Sur 18 pages, seules 8 sont compltes ( 7-10 et 15-19,5 ). Mme si le texte du fragment grec diffre considrablement de la version copte, il lui est analogue aux pages 17, 5-21 et 18,5-19,5 et donc ne fournit pas de nouveaux lments.

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P. Berolinensis 8502, 1.

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L'VANGILE DE MARIEBG 7, 1-19,5

( les pages 1 6 sont manquantes ) [...] importera puis sera [ dtruit ] ou non ? Le Sauveur dit : Toutes les natures, toutes les formations, toutes les cratures existent dans les autres, et avec les autres, et elles seront de nouveau rduites leurs propres racines. Car l'essence de la matire est rduite aux ( racines ) de sa seule nature. Que celui qui possde des oreilles pour entendre, entende. Pierre lui dit : Puisque que tu nous as tout expliqu, dis-nous aussi quel est le pch du monde. Le Sauveur rpondit : Il n'y a pas de pch, mais c'est toi qui pche quand tu commets des choses qu'on appelle pch, de la nature de l'adultre par exemple. C'est pour cela que le Bien est venu au milieu de vous, dans l'( essence ) de chaque chose afin de la ramener sa racine. Puis il poursuivit et dit : C'est pourquoi vous [ tombez malades ] et mourrez, car [...] 8 de celui qui [...] Que [ celui qui ] comprend, comprenne. [ La matire a donn naissance ] une passion 517

qui n'a pas d'gal, qui provient de ( quelque chose ) contraire la nature. Puis une perturbation survient dans tout le corps. C'est pourquoi je vous ai dit Soyez fort courageux et si vous tes dcourags ( trouvez ) courage en prsence des diffrentes formes de la nature. Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. Lorsque le saint eut dit cela, il les salua tous : Que la paix soit avec vous. Recevez ma paix en vous. Prenez garde ce que personne ne vous gare, en disant Voyez ici ou Voyez l ! , car le Fils de l'Homme est en vous. Suivez-le ! Ceux qui le cherchent le trouveront. Alors, allez et prchez l'vangile du royaume. 9 N'tablissez aucune rgle aprs ce que je vous ai ordonn, et ne rendez pas une loi comme le lgislateur, de crainte d'y tre contraints. Lorsqu'il eut dit cela, il partit. Mais ils taient peins et ils pleurrent beaucoup, disant : Comment irons-nous vers les gentils et prcher l'vangile du royaume du Fils de l'Homme ? S'ils ne l'ont pas pargn, comment nous pargneront-ils? Puis Marie se leva, les salua tous, et s'adressa ses frres : Ne pleurez pas et ne soyez ni peins, ni indcis, car sa grce vous accompagnera et vous protgera totalement. Mais louons plutt sa grandeur, car ils nous a prpars et nous a rendus hommes. Lorsque Marie dit cela, elle incita leurs curs se tourner vers le Bien, et ils commencrent parler des paroles du [ Sauveur ]. 10 Pierre dit Marie : Sur, nous savons que le Sauveur t'aime plus que les autres femmes. Rapporte-nous les paroles du Sauveur dont tu te souviennes, que tu connais ( mais ) que nous ne connaissons pas, ou que nous n'avons jamais entendues. Marie rpondit : 52

Je vous rvlerai ce qui vous est cach. Et elle commena par leur dire ces mots : Moi, j'ai vu le Seigneur dans une vision et je lui ai dit Seigneur, je t'ai vu aujourd'hui dans une vision . Il m'a rpondu : Bnie sois-tu, de ne pas avoir faibli ma vue. Car le trsor se trouve l o se situe le mental . Je lui ai dit : Seigneur, est-ce que celui qui a la vision la voit l'me travers l'esprit ? Et le Sauveur m'a rpondu : Il ne voit pas travers l'me, ni travers l'esprit, mais le mental qui [ est ] entre les deux c'est--dire [ ce qui ] voit la vision et c'est [...] ( les pages 11-14 manquantes ) 15[...] ce. Et dsirer cela, Je ne t'ai pas vue descendant, mais prsent je te vois ascensionnant. Pourquoi mens-tu puisque tu m'appartiens ? L'me a rpondu et a dit : Je t'ai vue. Tu ne m'as pas vue, ni reconnue. Je t'ai servi comme un vtement, et tu ne m'a pas connue . Aprs avoir dit ceci, elle est partie en se rjouissant grandement. A nouveau, elle est parvenue la troisime puissance, qui s'appelle ignorance. [ La puissance ] a interrog l'me en disant: O vas-tu ? Tu es lie dans l'iniquit. Mais tu es lie ; ne juge pas ! . Et l'me a dit : pourquoi me juges-tu, bien que je n'ai pas jug ? J'tais lie bien que je n'ai pas li. Je n'tais pas reconnue. Mais j'ai reconnu que le Tout a t dissolu, aussi bien les ( choses ) terrestres que les clestes . 16 Aprs avoir triomph de la troisime puissance, l'me est alle vers le haut et a vu la quatrime puissance, ( qui ) a pris sept formes. La premire forme est l'obscurit, la seconde le dsir, la troisime l'ignorance, la quatrime l'enthousiasme de la mort, la cinquime le royaume de la chair, la sixime l'imprudente sagesse de la chair, et la septime la sagesse courrouce. Ce sont les sept [ puissances ] de la colre. Elles ont demand l'me : D'o viens-tu, tueuse d'hommes, o vas-tu, conqurante de l'espace ? L'me a rpondu: Ce qui me lie a t tu, et ce qui m'entoure a t vaincu, mon dsir a pris fin, et l'ignorance est morte. 53

J'ai t relche d'un monde pour un autre monde, d'un genre pour un genre cleste, et j'ai t libre de l'entrave de l'oubli qui est passager. A partir de maintenant, j'atteindrai le reste du temps, de la saison, de l'ternit, en silence . Lorsque Marie eut dit ceci, elle resta silencieuse, puisque le Sauveur lui avait parl jusqu' ce point-l. Mais Andr s'adressa aux frres : Exprimez-vous sur ce qu'elle a dit. Car je ne crois pas que le Sauveur ait prononc ces paroles puisqu'il est certain que ces enseignements sont d'tranges ides. Pierre rpondit et parla des mmes choses. Il les interrogea sur le Sauveur : A-t-il rellement parl avec une femme sans notre savoir ( et ) et sans s'ouvrir d'autres ? Allons-nous effectuer un revirement et tous l'couter ? La prfre-t-il nous ? 18 Puis Marie pleura et dit Pierre : Mon frre Pierre, qu'est-ce que tu penses ? Penses-tu que j'ai moi-mme trouv ceci en mon cur, ou que je mente au sujet du Sauveur ? Lvi s'adressa Pierre : Pierre, tu as toujours eu un temprament sanguin. A prsent je te vois contester la femme comme les adversaires. Mais si le Sauveur l'a rendue digne, qui es-tu en ralit pour la rejeter ? Le Sauveur la connat coup sr trs bien. C'est pourquoi il l'aime d'avantage que nous. Ayons plutt honte, imposons l'homme parfait et acqurons de lui pour nous-mmes comme il nous l'a ordonn, et prchons l'vangile, en n'tablissant aucune autre rgle ou autre loi aprs ce que le Sauveur a dit. 19 Lorsque [...] Et ils se mirent en route [afin de] proclamer et prcher. Fin de l'vangile selon Marie

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la premire APOCALYPSE DE JACQUES( V, 3 )Introduction et traduction William R. Schoedel Edit par M. Parrott

Le manuscrit de cet crit a pour titre L'Apocalypse de Jacques. Nous nous y rfrons ici comme La ( Premire ) Apocalypse de Jacques afin de la distinguer de l'crit suivant ( V, 4 ) auquel le manuscrit attribue le mme titre : L'Apocalypse de Jacques. Notre apocalypse est un excellent exemple de dialogue rvlateur : les interlocuteurs de ce dialogue sont le Seigneur et Jacques son frre ( bien que l'on dise de Jacques qu'il n'est le frre du Seigneur que dans un sens purement spirituel ). Dans la premire partie9, Jacques pose des questions au Seigneur, questions qui refltent son anxit propos de la souffrance prte les submerger tous les deux ; et le Seigneur console Jacques avec des termes de l'enseignement gnostique standard, sur la place de l'homme dans l'univers. Une rfrence indirecte et trs brve la crucifixion sert de tournant dans le rcit10. Aprs la rapparition du Seigneur, l'histoire est domine par une srie de formules transmises Jacques pour lui permettre de relever les dfis des puissances hostiles qui essaieront d'empcher son ascension 9 24,10 -30,11 10 30,12-13.

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Celui qui est Pr-Existant aprs son martyr11. Ces formules sont une version dramatise de textes qui apparaissent ailleurs, dans le contexte de rites pour les mourants du gnosticisme valentinien ( Irne, Contre les hrsies 1.21.5 ; Epiphane, Panarion 36.3.1-6 ). Il faut cependant noter qu'au moins une ligne caractristique apparaissant ici, Je suis un tranger, un fils de la race du Pre,