10.- pancreatic cancer

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Cancer/Radiothérapie 14 Suppl. 1 (2010) S94–S102 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Huguet) © 2010 Société française de radiothérapie oncologique (SFRO). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Cancer du pancréas Pancreatic cancer F. Huguet a, * , A. Orthuon a , E. Touboul a , R. Marseguerra a , F. Mornex b a Service d’oncologie radiothérapie, hôpital Tenon, Assistance-Publique-Hôpitaux de Paris, Université Paris VI, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France b Service de radiothérapie, Centre hospitalier Lyon-Sud, Hospices Civils, 165, chemin du Grand-Revoyet, 69495 Pierre-Bénite, France RÉSUMÉ On estime qu’environ 7 200 nouveaux cancers du pancréas exocrine ont été diagnostiqués en France en 2005. Au moment du diagnostic, 20 % des patients sont atteints d’une tumeur jugée opérable, 30 % d’une tumeur localement évoluée inopérable, et 50 % d’une maladie métastatique. Après exérèse chirurgicale, la durée médiane de survie des patients opérés n’est que de 12 à 20 mois en raison de la fréquence des récidives. La place de la radiothérapie chez les patients atteints de cancer du pancréas opérable ou localement évolué est actuellement controversée. En situation adjuvante, le traitement standard est une chimiothérapie par acide folinique et 5-fluoro-uracile ou gemcitabine pendant six mois. En association avec une chimiothérapie concomitante, la radiothérapie postopératoire permettrait d’améliorer la probabilité de survie des patients en situation de résection tumorale incomplète. Ceci reste à démontrer dans un essai prospectif. La chimioradiothérapie néo-adjuvante est une approche prometteuse mais non validée à ce jour. Pour les tumeurs localement évoluées, il n’existe pas de standard thérapeutique. Une chimiothérapie première par gemcitabine suivie chez les patients en situation de non-progression d’une chimioradiothérapie représente une stratégie thérapeutique séduisante qui est en cours de validation. Alors que dans les premiers essais de radiothérapie pancréatique étaient utilisés de grands faisceaux d’irradiation, la tendance actuelle est à la réduction des volumes traités afin d’améliorer la tolérance. La définition des volumes cibles a été améliorée par l’utilisation de la scanographie de simulation. L’objectif de ce travail était de préciser les particularités radio-anatomiques, les modes d’extension des cancers du pancréas et les principes de l’irradiation conformationnelle tridimensionnelle illustrés par un cas clinique. © 2010 Société française de radiothérapie oncologique (SFRO). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. ABSTRACT About 7200 new cases of pancreatic adenocarcinomas are diagnosed each year in France. At the time of diagnosis, an efficient carcinologic surgery will not be possible for nearly 80 % of patients, in relation to loco-regional extension or metastatic dissemination. After surgical resection, the median survival of resected patients ranges from 12 to 20 months, with a high rate of relapses. Currently, the use of radiotherapy for patients with pancreatic cancer is controversial. In adjuvant setting, the standard treatment is six months of chemotherapy with FUFOL or gemcitabine. Chemoradiation (CRT) may improve the survival of patients with incompletely resected tumors (R1). This must be validated in a prospective trial. Neoadjuvant CRT is a promising treatment but always under evaluation. For the treatment of patients with locally advanced tumors, there is not a standart treatment. A strategy of initial chemotherapy followed by CRT for non progressive patients is under evaluation. Whereas in the first trials of CRT large fields were used, the current trend is to reduce the treated volumes to improve tolerance. The delineation of target volumes has been improved by the use of simulation CT. The aims of this work are to precise the radio-anatomical particularities, the pattern of spread of pancreatic cancer and the principles of 3D conformal radiotherapy illustrated with a clinical case. © 2010 Société française de radiothérapie oncologique (SFRO). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Mots clés : Cancer du pancréas Radiothérapie conformationnelle Volumes cibles Atlas Keywords: Pancreatic cancer Conformal radiotherapy Target volumes Atlas

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Cancer/R adiothérapie 14 Suppl . 1 (2010) S94– S102

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : fl [email protected] (F. Huguet)© 2010 Société française de radiothérapie oncologique (SFRO). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Cancer du pancréasPancreatic cancer

F. Hugueta, *, A. Orthuona, E. Touboula, R. Marseguerraa, F. Mornexb

a Service d’oncologie radiothérapie, hôpital Tenon, Assistance-Publique-Hôpitaux de Paris, Université Paris VI, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, Franceb Service de radiothérapie, Centre hospitalier Lyon-Sud, Hospices Civils, 165, chemin du Grand-Revoyet, 69495 Pierre-Bénite, France

R É S U M É

On estime qu’environ 7 200 nouveaux cancers du pancréas exocrine ont été diagnostiqués en France en 2005. Au moment du diagnostic, 20 % des patients sont atteints d’une tumeur jugée opérable, 30 % d’une tumeur localement évoluée inopérable, et 50 % d’une maladie métastatique. Après exérèse chirurgicale, la durée médiane de survie des patients opérés n’est que de 12 à 20 mois en raison de la fréquence des récidives. La place de la radiothérapie chez les patients atteints de cancer du pancréas opérable ou localement évolué est actuellement controversée. En situation adjuvante, le traitement standard est une chimiothérapie par acide folinique et 5-fl uoro-uracile ou gemcitabine pendant six mois. En association avec une chimiothérapie concomitante, la radiothérapie postopératoire permettrait d’améliorer la probabilité de survie des patients en situation de résection tumorale incomplète. Ceci reste à démontrer dans un essai prospectif. La chimioradiothérapie néo-adjuvante est une approche prometteuse mais non validée à ce jour. Pour les tumeurs localement évoluées, il n’existe pas de standard thérapeutique. Une chimiothérapie première par gemcitabine suivie chez les patients en situation de non-progression d’une chimioradiothérapie représente une stratégie thérapeutique séduisante qui est en cours de validation. Alors que dans les premiers essais de radiothérapie pancréatique étaient utilisés de grands faisceaux d’irradiation, la tendance actuelle est à la réduction des volumes traités afi n d’améliorer la tolérance. La défi nition des volumes cibles a été améliorée par l’utilisation de la scanographie de simulation. L’objectif de ce travail était de préciser les particularités radio-anatomiques, les modes d’extension des cancers du pancréas et les principes de l’irradiation conformationnelle tridimensionnelle illustrés par un cas clinique.

© 2010 Société française de radiothérapie oncologique (SFRO). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

A B S T R A C T

About 7200 new cases of pancreatic adenocarcinomas are diagnosed each year in France. At the time of diagnosis, an effi cient carcinologic surgery will not be possible for nearly 80 % of patients, in relation to loco-regional extension or metastatic dissemination. After surgical resection, the median survival of resected patients ranges from 12 to 20 months, with a high rate of relapses. Currently, the use of radiotherapy for patients with pancreatic cancer is controversial. In adjuvant setting, the standard treatment is six months of chemotherapy with FUFOL or gemcitabine. Chemoradiation (CRT) may improve the survival of patients with incompletely resected tumors (R1). This must be validated in a prospective trial. Neoadjuvant CRT is a promising treatment but always under evaluation. For the treatment of patients with locally advanced tumors, there is not a standart treatment. A strategy of initial chemotherapy followed by CRT for non progressive patients is under evaluation. Whereas in the fi rst trials of CRT large fi elds were used, the current trend is to reduce the treated volumes to improve tolerance. The delineation of target volumes has been improved by the use of simulation CT. The aims of this work are to precise the radio-anatomical particularities, the pattern of spread of pancreatic cancer and the principles of 3D conformal radiotherapy illustrated with a clinical case.

© 2010 Société française de radiothérapie oncologique (SFRO). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Mots clés : Cancer du pancréasRadiothérapie conformationnelleVolumes ciblesAtlas

Keywords: Pancreatic cancerConformal radiotherapyTarget volumesAtlas

F. Huguet et al. / Cancer/Radiothérapie 14 Suppl. 1 (2010) S94–S102 S95

Préambule1.

Les données présentées dans ce chapitre doivent être inter-prétées avec nuances et adaptées à chaque patient en fonction de son état spécifi que.

Épidémiologie2.

On estime qu’environ 7700 nouveaux cancers du pancréas exocrine ont été diagnostiqués en France en 2009 [11]. Ce cancer est plus fréquent chez l’homme avec un sex ratio de 1,6. Les taux d’incidence en 2005 étaient de 7,7 pour 100 000 habitants chez l’homme et 4,7 pour 100 000 chez la femme [2]. Ils sont en augmentation depuis deux décennies, plus nettement chez la femme (3,8 % par an) que chez l’homme (2 % par an). Le risque de voir se développer un cancer du pancréas est faible jusqu’à 50 ans (moins de 5 % des cas) puis augmente avec un pic de fréquence entre 65 et 75 ans. C’est la cinquième cause de décès par cancer avec 8 623 décès observés en 2007 en France (5,3 % des décès par cancer). Le taux de mortalité est stable chez l’homme et en légère augmentation chez la femme. Les facteurs de risque du cancer du pancréas sont assez mal connus. L’exposition aux amines aromatiques est associée à une augmentation du risque de cancer du pancréas. Le facteur de risque le mieux connu est le tabagisme par le biais des amines aromatiques contenues dans la fumée de cigarette. De nombreuses études prospectives ont montré une association entre le tabagisme et le cancer du pancréas, confi rmant ce qui avait été mis en évidence dans des études animales et sur des séries autopsiques. Des études cas-témoins ont observé un risque relatif de cancer du pancréas de 1,3 à 5,5 chez les fumeurs [9]. Il existe aussi probablement une augmentation du risque de cancer du pancréas dans certaines catégories de travailleurs exposés aux amines aromatiques, dans l’industrie chimique et pétrochimique. L’association entre alimentation riche en viandes et poissons cuits et cancer du pancréas peut être expliquée par les propriétés mutagènes et carcinogènes des amines aromatiques hétérocycliques formées lors de la cuisson par pyrolyse. En revanche, la consommation de fruits et de légumes a un effet protecteur vis-à-vis du cancer du pancréas probablement grâce aux effets anti-oxydants de la vitamine C qu’ils contiennent. Les rôles du café et de l’alcool ont été longtemps controversés mais semblent aujourd’hui écartés. Dans 5 à 10 % des cas, on retrouve chez les patients une histoire familiale de cancer pancréatique [13]. Schématiquement, on distingue les cancers s’intégrant dans un syndrome génétique déterminé et ceux, plus fréquents, survenant dans un contexte d’agrégation familiale non syndromique. Dans le premier groupe, on trouve des affections à expression phénotypique variée : syndromes des cancers du sein et de l’ovaire familiaux (mutation du gène BRCA2), mélanome familial multiple (CDKN2A/p16), syndrome de Peutz-Jeghers (STK11/lKB1), pancréatite chronique héréditaire (PRSS1), syndrome de Lynch (MLH1, MSH2, MSH3) ou encore syndrome de Li-Fraumeni (TP53). Dans le second groupe, les cancers surviennent par agrégation dans certaines familles. Le taux d’incidence standardisé varie de 5 à 30 selon le nombre d’apparentés atteints. La recherche d’une mutation germinale est actuellement souvent négative, sauf dans les familles comprenant de nombreux cas. Ainsi, lorsqu’il existe trois apparentés atteints ou plus, la probabilité de trouver une mutation germinale du

gène BRCA2 est de l’ordre de 15 %. En pratique, on considère que la survenue d’un cancer chez au moins deux apparentés au premier degré doit faire évoquer une susceptibilité familiale.

La majorité des cancers du pancréas sont des adénocarci-nomes canalaires.

Radio-anatomie3.

Défi nition des régions anatomiques [27]3.1.

Le pancréas est à la fois une glande endocrine et exocrine ; il est étroitement lié à la voie biliaire et au duodénum. C’est un organe profond, en avant de la première et de la deuxième vertèbre lombaire. Son grand axe est oblique en haut, à gauche et en arrière. C’est un organe fi xe, accolé à la paroi abdominale pos-térieure par le fascia de Treitz. Il est solidaire du cadre duodénal. Ses dimensions sont de 15 cm de longueur, 6 cm de hauteur et 2 cm d’épaisseur. Il pèse environ 80 g. Il est constitué de quatre structures dénommées de droite à gauche, la tête, l’isthme, le corps et la queue. La face antérieure du pancréas est tapissée par le péritoine pariétal postérieur. Le bord inférieur du corps est longé par la racine du mésocôlon transverse, qui recouvre la partie inférieure de la tête. La presque totalité du pancréas est donc en situation sus-mésocolique et recouverte par le péri-toine. Ses canaux excréteurs sont au nombre de deux. Le canal de Wirsung est le canal excréteur principal parcourant toute la glande de gauche à droite, de trois mm de diamètre, recevant une multitude de petits canaux latéraux. Il s’accole au bord inférieur du cholédoque dans la tête du pancréas et il se termine par deux orifi ces juxtaposés à la partie moyenne du bord interne de D2, dans une cavité (ampoule de Vater) sous un repli muqueux (grande caroncule). Un appareil musculaire complexe entoure leur terminaison : le sphincter d’Oddi. Le deuxième canal est le canal de Santorini. C’est un canal excréteur plus petit, qui parcourt la tête du pancréas et vient rejoindre le duodénum au bord interne de D2, 3 cm au-dessus de la grande caroncule. Son orifi ce d’entrée dans le deuxième duodénum est recouvert de la petite caroncule. La veine porte est au contact du pancréas : dans les cancers du pancréas, son envahissement est précoce. Au-delà du plan du confl uent veineux portal, les rapports se font avec une région très profonde et riche en éléments vasculaires : les pédicules rénaux et la face antérieure de l’aorte. En arrière et à distance, les rapports se font avec la face antérieure de l’aorte, la naissance de l’artère mésentérique supérieure, la veine rénale gauche, qui passe dans la pince aorto-mésentérique, la face antérieure de la veine cave inférieure, qui reçoit les veines rénales droite et gauche et plus en dehors, les bassinets droit et gauche et les hiles rénaux.

Drainage lymphatique3.2.

Le réseau ganglionnaire lymphatique régional comprend plusieurs groupes. Il existe des groupes supérieurs et inférieurs, situés au-dessus et en dessous de la tête et du corps du pancréas. En avant, se trouvent les ganglions pancréaticoduodénaux antérieurs et mésentériques supérieurs proximaux. La tête du pancréas est drainée par les ganglions pyloriques ainsi que par le groupe cœliaque. En arrière, il existe les ganglions pancréati-coduodénaux postérieurs, mésentériques proximaux et le long du canal cholédoque. De plus, le drainage lymphatique se fait

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aussi par le groupe splénique situé au niveau du hile de la rate et de la queue du pancréas.

Classifi cations des cancers du pancréas4.

Classifi cation de l’AJCC (American Joint Committee 4.1. on Cancer) de 2002 [1]

T – Tumeur primitive :T0 : pas de tumeur primitive ;– Tis : carcinome in situ ;– T1 : tumeur limitée au pancréas inférieure ou égale à 2 cm – dans son plus grand diamètre ;T2 : tumeur limitée au pancréas supérieure à 2 cm dans son – plus grand diamètreT3 : tumeur s’étendant au-delà du pancréas mais sans envahir – le tronc cœliaque ni l’artère mésentérique supérieure ;T4 : tumeur étendue au tronc cœliaque ou à l’artère mésen-– térique supérieure.

N – Adénopathies :Nx : renseignements insuffi sants pour classer les adénopathies – régionales ;N0 : pas de métastase ganglionnaire régionale ;– N1 : envahissement des ganglions lymphatiques régionaux.–

M – Métastases viscérales :M0 : pas de métastase à distance– M1 : présence de métastase(s) à distance–

Stades :Stade 0 : Tis N0M0 ;– Stade IA : T1, N0, M0 ;– Stade IB : T2, N0, M0 ;– Stade IIA : T3, N0, M0 ;– Stade IIB : T1-3, N1, M0 ;– Stade III : T4, tout N, M0 ;– Stade IV : M1 quel que soit T et N.–

Cette classification est peu utilisée. En pratique, on dis-tingue trois groupes de prise en charge et pronostic distincts. Premièrement, les tumeurs résécables (stades I et II), pour lesquelles le traitement de référence est l’exérèse chirurgicale. Deuxièmement, les tumeurs localement évoluées (stade III), non métastatiques mais non résécables en raison d’un envahissement vasculaire pour lesquelles il n’existe actuellement pas de standard thérapeutique. Troisièmement, les tumeurs métastatiques (stade IV) pour lesquelles le seul traitement est la chimiothérapie.

Indications de la radiothérapie5.

Au moment du diagnostic, environ 20 % des patients sont atteints d’une tumeur jugée opérable, 30 % d’une tumeur locale-ment évoluée inopérable, et 50 % d’une maladie métastatique.

Cancers du pancréas résécables : traitement adjuvant5.1.

Le seul traitement potentiellement curatif d’un cancer du pancréas est l’exérèse chirurgicale, le plus souvent par duodé-nopancréatectomie céphalique (DPC) pour les tumeurs de la tête du pancréas ou par splénopancréatectomie gauche, pour les tumeurs de la queue. Celle-ci est réalisable chez 20 % des patients au moment du diagnostic. Parmi les cancers opérés, 80 % vont

rechuter, localement ou à distance, et le taux de survie est de moins de 20 % à cinq ans. Les années 1980 ont vu l’apparition des premières chimioradiothérapies. Le premier essai randomisé mené à la fi n des années 1970 aux États-Unis par le Gastrointestinal Tumor Study Group (GITSG) comparait chez 43 patients une exérèse chirurgicale seule ou suivie d’une chimioradiothérapie avec du 5-fl uoro-uracile en bolus [16]. Les taux de survie globale et de survie à deux ans étaient signifi cativement supérieurs dans le bras chimioradiothérapie (20 mois contre 11 mois et 43 % contre 18 %, respectivement ; p = 0,005). L’essai de l’European Organization for Research and Treatment of Cancer (EORTC) n’est pas venu confi rmer le bénéfi ce de la chimioradiothérapie adju-vante [17]. Cet essai comparait chez 218 patients ayant eu une duodénopancréatectomie céphalique le même schéma de chimio-radiothérapie adjuvante et une surveillance. Les taux de survie globale à deux ans étaient identiques entre les deux bras (51 % dans le bras chimioradiothérapie contre 41 % ; p = 0,2). Alors que les États-Unis ont admis comme traitement standard une chimio-radiothérapie postopératoire, les résultats de l’essai de l’EORTC n’ont pas permis de considérer ce traitement adjuvant comme un standard en Europe. L’essai ESPAC-1 (European Study Group for Pancreatic Cancer) comparait chez 289 patients après chirurgie une surveillance et une chimioradiothérapie ou une chimiothérapie [23]. La chimioradiothérapie était une radiothérapie en split-course (irradiation par séries de deux semaines espacées de deux semaines) associée à du 5-fl uoro-uracile en bolus, identique à celle du bras expérimental de l’essai du GITSG. La chimiothérapie adjuvante était composée de six cycles de 5-fl uoro-uracile en bolus et acide folinique (FUFOL selon le schéma de la Mayo Clinic). L’analyse des résultats a conclu à probabilité de survie moins bonne chez les patients ayant reçu une chimioradiothérapie en comparaison avec ceux n’en ayant pas reçu (15,9 mois contre 17,9 mois ; p = 0,05). En revanche, les patients ayant reçu une chimiothérapie avaient une survie signifi cativement plus longue que ceux n’en ayant pas reçu (20,1 mois contre 15,5 mois ; p = 0,009). Il est possible que l’absence de critère de qualité de la radiothérapie dans cet essai ait entraîné des irradiations de grand volume potentiellement toxiques, d’autant plus que la dose initialement prévue de 40 Gy pouvait être augmentée à 60 Gy à la discrétion des investigateurs. Plus récemment, une méta-analyse sur données publiées a montré qu’il existait un bénéfi ce de la chimioradiothérapie adjuvante pour le sous-groupe des patients en situation de résection incomplète (R1) [28].

Par ailleurs, l’étude allemande de phase III CONKO-1 a montré un allongement de la durée médiane de survie sans récidive (13,4 mois contre 6,9 mois, p < 0,001) chez les malades traités par gemcitabine pendant six mois par rapport à ceux n’ayant pas de traitement adju-vant [25]. Un effet bénéfi que était rapporté quel que soit le statut des tranches de résection, R0 ou R1. Un gain signifi catif en termes de survie globale a été rapporté en 2008 lors de la réactualisation des résultats de cette étude (22,8 mois dans le bras gemcitabine contre 20,2 mois dans le bras contrôle, p = 0,005). L’essai ESPAC-3 a com-paré chez 1088 patient une chimiothérapie adjuvante par FUFOL pendant six mois et six cycles de gemcitabine administrée selon le schéma de Burris [24]. La durée médiane de survie globale était identique entre les deux bras (23 mois dans le bras FUFOL contre 23,6 mois dans le bras gemcitabine, p = 0,39). La durée médiane de survie sans progression était aussi identique entre les deux bras. La tolérance était meilleure dans le bras gemcitabine. Très récemment

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ont été communiqués les résultats d’un essai de phase II randomisé mené par l’EORTC, la FFCD (Fondation francophone de cancérologie digestive) et le Gercor ayant comparé après exérèse chirurgicale chez des patients après résection classée R0 une chimiothérapie par quatre cycles de gemcitabine et une chimiothérapie par deux cycles de gemcitabine suivis d’une radiothérapie avec chimiothérapie concomitante par gemcitabine [33]. La survie sans progression et la survie globale étaient identiques dans les deux bras. Un essai de phase III de plus grande envergure serait nécessaire pour conclure sur le rôle de la chimioradiothérapie en situation adjuvante. En l’état actuel des connaissances, en cas d’atteinte de tranche de section (résection R1), peut se discuter après trois à six mois de chimiothérapie, une chimioradiothérapie.

Cancers du pancréas résécables : 5.2. traitement néo-adjuvant

Plusieurs arguments théoriques viennent plaider en faveur de la réalisation d’un traitement néo-adjuvant :

la possibilité de délivrer la totalité du schéma thérapeutique – à une plus grande proportion de patients. En effet, on estime qu’environ 20 % à 30 % des patients opérés ne peuvent pas avoir un traitement adjuvant, en raison de la survenue de complica-tions postopératoires et du délai nécessaire pour retrouver un état général compatible avec ce type de traitement ;la possibilité d’une réévaluation préopératoire permettant – d’épargner une chirurgie lourde aux patients en situation de progression rapide de la maladie ;la fréquence de l’envahissement des tranches de section, – suggérant que la chirurgie seule n’est pas suffi sante pour assurer le contrôle local ;une meilleure radiosensibilité tumorale, l’irradiation survenant – sur des tissus non disséqués et donc mieux oxygénés.

Ces trois dernières années, les résultats de plusieurs essais de phase II de chimioradiothérapie néo-adjuvante ont été publiés. En France, l’essai 97-04 de la FFCD et de la SFRO (Société française de radiothérapie oncologique) portant sur 41 patients ayant reçu un traitement néo-adjuvant (irradiation de 50 Gy avec 5-fl uoro-uracile et cisplatine en concomitance) a montré la faisabilité de ce protocole : 90 % des patients avaient reçu une dose d’irradiation d’au moins 46 Gy et 73 % des patients avaient reçu au moins 75 % de la dose totale de chimiothérapie [20]. Vingt-six patients (63 %) ont eu une exérèse chirurgicale à visée curative avec un taux de réponse histologique majeure de 50 % et une réponse complète.

La gemcitabine ayant d’une part montré sa supériorité par rapport au 5-fl uoro-uracile pour les tumeurs évoluées et d’autre part fait la preuve d’un fort pouvoir radiosensibilisant, il était logique de l’associer à la radiothérapie préopératoire. Talamonti et al. ont étudié dans un essai de phase II l’association d’une chimiothérapie par gemcitabine de 1000 mg/m2 et d’une radiothérapie préopératoire de 36 Gy en 15 fractions de 2,4 Gy [31]. Parmi les 20 patients inclus, 95 % ont reçu tout le traitement prévu, 85 % ont eu une résection chirurgicale. Chez les patients opérés, les tranches de section étaient envahies dans 6 % des cas (R1) et les ganglions dans 35 %. Le taux de complications postopératoires sévères était de 24 %. La durée médiane de survie des 17 patients opérés était de 26 mois. Dix cancers ont présenté une rechute en médiane huit mois après la chirurgie. La rechute était métastatique dans 80 % des cas.

Une équipe du M. D. Anderson Cancer Center a inclus 86 patients dans un essai de phase II associant une chimio-thérapie par gemcitabine de 400 mg/m2 et une radiothérapie préopératoire de 30 Gy en dix fractions de 3 Gy [7]. Cinquante-trois pourcent des patients ont été hospitalisés en cours de la chimioradiothérapie pour toxicité. Parmi les 86 patients inclus, 74 ont été jugés opérables lors du bilan d’évaluation quatre à six semaines après la fi n de la chimioradiothérapie. Soixante-quatre patients (74 %) ont fi nalement pu avoir une duodénopancréatec-tomie. Parmi les patients opérés, les tranches de sections étaient envahies dans 11 % des cas (R1) et les ganglions dans 38 %. Le taux de complications postopératoires sévères était de 9 % avec un décès lié à un lâchage de sutures. La durée médiane de survie des 64 patients opérés était de 34 mois avec un taux de survie à cinq ans de 36 %. Le taux de rechute locale était de 11 %.

Etant donné le taux élevé de rechute à distance dans cet essai, la même équipe du M. D. Anderson Cancer Center a ajouté au schéma précédemment décrit une chimiothérapie par gemcitabine et cisplatine avant la chimioradiothérapie afi n d’essayer d’agir plus effi cacement sur une potentielle maladie micro-métastatique [34]. Cet essai de phase II a inclus 90 patients. Cinquante-un pourcent des patients ont été hospitalisés en cours de chimioradiothérapie pour toxicité. Soixante-dix-neuf patients ont reçu le traitement complet. Parmi ces 79 patients, 52 (66 %) ont eu une duodénopancréatectomie. Parmi les patients opérés, les tranches de section étaient envahies dans 4 % des cas (R1) et les ganglions dans 58 %. Le taux de complications postopératoires sévères était de 9,6 %. La durée médiane de survie des 52 ayant bénéfi cié d’une résection était de 31 mois alors qu’elle était de 10,5 mois pour les patients non opérés. Le taux de rechute locale était de 25 %. L’ajout d’une chimiothérapie première à la chimioradiothérapie néo-adjuvante ne semblait pas allonger la survie des patients. Ces différents résultats sont prometteurs, la chimioradiothérapie néo-adjuvante permettant d’obtenir une survie de longue durée chez les patients opérés. L’étape suivante consiste peut-être en l’identifi cation précoce des patients atteints d’une maladie micrométastatique d’emblée pour lesquels chirurgie et chimioradiothérapie sont inutiles. Tant que la chimioradiothérapie néo-adjuvante n’a pas été comparée à la chimiothérapie adjuvante dans un essai randomisé, celle-ci doit se faire uniquement dans le cadre d’essai thérapeutique.

Cancers du pancréas localement évolués5.3.

Pour les cancers du pancréas localement évolués, c’est-à-dire non résécables et non métastatiques (stade III), il n’y a pas de standard thérapeutique [15]. Il y a deux options, la chimiothérapie par gemcitabine et la chimioradiothérapie. Deux méta-analyses récentes sur données publiées ont conclu à l’absence de supé-riorité de la chimioradiothérapie sur la chimiothérapie [29,35]. Plus récemment, chimiothérapie et chimioradiothérapie ont été comparées dans un essai de phase III mené par la FFCD et la SFRO (5). Cet essai a comparé la survie de 119 patients traités soit après chimiothérapie seule (par gemcitabine telle que dans le schéma de Burris), soit après chimioradiothérapie de 60 Gy avec 5-fl uoro-uracile et cisplatine. Dans les deux bras, la chimio-thérapie de maintien était de la gemcitabine jusqu’à progression ou toxicité inacceptable. La durée médiane de survie était plus courte dans le bras chimioradiothérapie (8,6 mois contre 13 mois,

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p = 0,03). Le taux de toxicité de grade 3-4 était plus élevé dans le bras chimioradiothérapie, que ce soit pendant la phase initiale de traitement (36 % contre 22 %) ou pendant la chimiothérapie d’entretien (32 % contre 18 %). Ce taux de toxicité élevée était probablement dû au schéma de chimioradiothérapie utilisé avec une dose élevée (60 Gy alors que la dose recommandée est de 50 à 54 Gy) et une chimiothérapie concomitante par 5-fl uoro-uracile et cisplatine, moins bien tolérée que le 5-fl uoro-uracile seul. Dans le même temps, l’Eastern Cooperative Oncology Group (ECOG) amené un essai de phase III presque similaire [21]. Une chimiothérapie par sept cycles de gemcitabine seule (de 1000 mg/m2 J1, J8, J15) était comparée à une chimioradiothérapie de 50,4 Gy avec gemcitabine concomitante (de 600 mg/m2/sem) suivie de cinq cycles de gemcitabine seule. Plus de 300 patients devaient être inclus or l’essai a été clos après 74 inclusions en raison de la lenteur des inclusions. Le taux de réponse objective était de 2,7 % dans le bras chimiothérapie contre 8,8 % dans le bras chimioradiothérapie. La durée médiane de survie était plus longue dans le bras chimioradiothérapie (11 mois contre 9,2 mois, p = 0,022). Le taux de toxicité de grade 4 était beaucoup plus élevé dans le bras chimioradiothérapie (41,2 % contre 5,7 %, p < 0,001).

Même si le nombre de patients inclus dans cet essai est peu important, ses résultats viennent contredire ceux de l’essai de Chauffert et al. [5].

Plutôt que de continuer à opposer chimiothérapie et chimio-radiothérapie, plusieurs équipes ont développé une stratégie thérapeutique consistant à associer chimiothérapie et chimiora-diothérapie avec une durée médiane de survie de 12 à 17 mois [14,18,19]. En effet, quel que soit le mode de traitement utilisé, environ 30 % des cancers progressent durant les trois premiers mois de traitement. Une chimiothérapie première pourrait donc permettre de sélectionner les patients pouvant potentiellement bénéfi cier ensuite d’une chimioradiothérapie. L’essai de phase III LAP07 mené par le Gercor, la FFCD et la FNCLCC (Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer) vient de débuter pour confi rmer cette hypothèse. Dans cet essai international sont inclus des patients atteints d’un cancer du pancréas loca-lement évolué. Pendant les quatre premiers mois de traitement, ils reçoivent une chimiothérapie d’induction par gemcitabine associée ou non avec de l’erlotinib. Les patients ayant une tumeur contrôlée après cette première phase de traitement sont ensuite randomisés entre poursuite de la chimiothérapie pour deux cycles

Fig.1. Contours du volume tumoral macroscopique (GTV) (rouge), du volume cible prévisionnel (PTV) (bleu), du foie (jaune), de la moelle (orange), des reins droit (rose) et gauche (vert) sur la scanographie de simulation.Delineation of GTV (red), PTV (blue), liver (yellow), bone marrow (orange), right kidney (pink), left kidney (green) on simulation CT.

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et chimioradiothérapie (radiothérapie conformationnelle de 54 Gy avec chimiothérapie concomitante par capécitabine). Les patients ayant été randomisés initialement dans le bras gemcitabine-erlotinib reçoivent ensuite un traitement d’entretien par erlotinib jusqu’à progression.

Modalités de la radiothérapie conformationnelle6.

Défi nition des volumes cibles6.1.

Dans les premiers essais de chimioradiothérapie, de grands volu-mes d’irradiation étaient traités par une technique à quatre faisceaux (antérieur et postérieur, latéraux ou obliques). Le volume traité était défi ni par les limites suivantes : limite supérieure au niveau des dis-ques D10-D11, limite inférieure au niveau des disques L3-L4, limite postérieure à mi-disque vertébral de D11 à L3, limite antérieure deux cm en avant du volume cible anatomoclinique (CTV). Avec la généralisation de l’irradiation conformationnelle en trois dimensions, le volume traité a diminué. Des données récentes sont en faveur d’une irradiation limitée à la tumeur sans irradiation prophylactique des aires ganglionnaires. Van der Geld et al. ont estimé que les récidives ganglionnaires étaient rares (0-5 % des cas) et recommandé de ne pas inclure les ganglions lymphatiques régionaux non envahis [32]. Dans une étude dosimétrique de faisabilité d’escalade de dose avec modulation d’intensité, Brown et al. ont rapporté l’impossibilité de réaliser une escalade de dose sans dépasser les contraintes de dose aux organes à risque (OAR) tout en incluant les ganglions lympha-tiques régionaux [3]. Une irradiation limitée au volume tumoral macroscopique (GTV), sans irradiation prophylactique des ganglions lymphatiques régionaux, a été signalée dans une étude rétrospective et un essai prospectif [10,22]. Dans une étude rétrospective, Murphy et al. ont évalué la faisabilité d’une chimioradiothérapie avec de la gemcitabine (1000 mg/m2/semaine) avec une dose totale de 36 Gy en 15 fractions [22]. Le volume cible prévisionnel (PTV) comprenait le volume tumoral macroscopique avec une marge limitée à 1 cm. Les taux de survie sans progression locale à un an et à deux ans étaient respectivement de 64 % et 38 %. Quatre cancers (5 %) ont rechuté dans les ganglions lymphatiques péripancréatiques (trois dans le volume traité et un à la limite du volume traité). La rechute locale était un facteur prédictif signifi catif pour la survie globale (p = 0,007). Le volume cible prévisionnel était corrélé avec la toxicité gastro-intestinale (p = 0,007). Un essai prospectif de phase II avec une chimioradiothérapie par 5-fl uoro-uracile a utilisé des marges similaires pour le volume cible prévisionnel (10). Les auteurs de ces deux études ont rapporté les mêmes taux de récidive locale que dans les précédentes études publiées. Par ailleurs, les mouvements du pancréas induits par la respiration doivent être pris en compte dans la défi nition du volume cible prévisionnel. Bussels et al. ont évalué ces mouvements chez 12 patients en utilisant une iIRM dynamique [4]. Les mouvements les plus importants étaient dans le sens crânio-caudal (23,7 ± 15,9 mm). Les mouvements selon les axes antéro-postérieur et médiolatéral étaient moins prononcés (respectivement 12,1 ± 9,0 mm et 6,0 ± 3,4 mm). Dans une autre étude, 17 patients atteints d’un cancer du pancréas non résécable ont eu une IRM dynamique avec respiration libre [8]. Les tumeurs pancréatiques se déplaçaient en bas et en avant avec l’inspiration. Dans les coupes coronales, les mouvements moyens des marges supérieure et inférieure étaient respectivement de 13 mm (8-22) et

14 mm (6-25). Dans les coupes sagittales, les mouvements moyens des marges antérieure et postérieure étaient de 6 mm [2-13] et 4 mm (0-9). Les mouvements latéraux étaient négligeables. Les auteurs ont conclu que les mouvements des tumeurs du pancréas étaient très variables entre les patients, avec une déformation importante liée à la respiration. Une autre étude avait pour buts de quantifi er les mouvements du pancréas avec la respiration et d’évaluer si l’uti-lisation de marges personnalisées en fonction de ces mouvements permettait de réduire la dose aux organes à risque [12]. Les scano-graphies de simulation étaient acquises en respiration libre calme, en expiration et en inspiration. Les mouvements du pancréas étaient évalués à partir du déplacement d’un point reproductible dans le pancréas dans toutes les directions. Les déplacements moyens du pancréas dans les sens inférosupérieur, médio-latéral et antéro-postérieur étaient respectivement de 15,3 mm ± 4,3, 5,2 mm ± 3,5 et 9,7 mm ± 6,1. L’utilisation de marges personnalisées permettait de réduire le volume cible prévisionnel moyen de 33,5 % (p = 0,005). Les réductions proportionnelles du pourcentage de rein recevant une dose de plus de 10 Gy, de l’intestin grêle recevant une dose de plus de 45 Gy et du foie recevant plus de 30 Gy s’élevaient respectivement à 63,7 % (p = 0,005), 29,3 % (p = 0,01) et 29,2 % (p = 0,01).

Volume tumoral macroscopique 6.2. (Gross Tumor Volume ou GTV)

Pour les tumeurs localement avancées, le volume tumoral macroscopique inclut la tumeur primitive et les adénopathies de plus d’1 cm désignées comme envahies par le radiologiste sur la scanographie. Le volume tumoral macroscopique n’inclut pas les aires de drainage ganglionnaires du pancréas en l’absence d’enva-hissement. En effet, le bénéfi ce de l’irradiation prophylactique des aires ganglionnaires n’a jamais été prouvé, le site principal de rechute étant la masse elle-même. Par contre, il a été montré que la toxicité augmente avec le volume irradié [10,22]. Il n’est pas nécessaire d’inclure la totalité du pancréas. Le volume tumoral macroscopique est délinéé sur la scanographie de simulation coupe par coupe en utilisant un logiciel de planifi cation en trois dimensions.

Volume cible anatomo-clinique 6.3. (Clinical Target Volume ou CTV)

En situation adjuvante, le CTV1 inclut jusqu’à 40-45 Gy le lit opératoire défi ni par la scanographie préopératoire. Dans le CTV1 sont aussi inclus les aires ganglionnaires de drainage pancréati-ques, cœliaques, mésentériques supérieures, le hile hépatique et éventuellement le hile splénique pour les tumeurs de la queue [6,26]. Le CTV2 est réduit au lit opératoire uniquement et reçoit généralement 5 à 10 Gy supplémentaires. La présence de clips chirurgicaux peut aider à défi nir le CTV2.

Pour les tumeurs localement évoluées, les aires ganglionnai-res régionales ne sont pas incluses, il n’y a donc pas de volume cible anatomoclinique.

Volume cible prévisionnel 6.4. (Planning Target Volume ou PTV)

Des marges, prenant en compte les incertitudes de repo-sitionnement et les mouvements potentiels des organes, sont ajoutées autour du volume cible anatomoclinique afi n de générer

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Fig. 2. Isodoses de traitement (Gy).Treatment isodoses (Gy).

Fig. 3. Histogrammes dose-volume du volume cible macroscopique (GTV) (rouge), du volume cible prévisionnel (PTV (bleu), du foie (jaune), de la moelle (orange), des reins droit (rose) et gauche (vert).Dose-volume histograms : GTV (red), PTV (blue), liver (yellow), bone marrow (orange), right kidney pink), left kidney (green).

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le volume cible prévisionnel. En situation adjuvante, une marge d’1 à 2 cm est ajoutée au volume cible anatomoclinique. Pour les tumeurs localement avancées, on recommande que le volume cible prévisionnel comprenne le volume tumoral macroscopique avec une marge de 2 cm dans les directions antérieure, postérieure et latérale et une marge de 3 cm dans les directions crâniale et caudale pour prendre en compte les mouvements respiratoires. Ces marges doivent être adaptées en fonction de l’anatomie du patient pour ne pas irradier inutilement un volume hépatique ou rénal trop important.

Dose prescrite et fractionnement6.5.

La dose recommandée est de 50 Gy au point ICRU (International Commission on Radiation Units and Measurements) en situation adjuvante et d’environ 55 Gy en situation localement évoluée. Un fractionnement de 1,8 à 2 Gy par séance, à raison de cinq séances par semaine, est recommandé. La prescription de la dose doit être conforme au rapport 50 de l’ICRU.

L’escalade de la dose n’est pas recommandée hors essai thérapeutique car n’ayant jamais apporté de bénéfi ce. Une chimiothérapie par 5-fl uoro-uracile en perfusion continue (250 mg/m²/j) pendant toute la durée de l’irradiation est le traitement de référence. La gemcitabine, puissant radio-sensibilisant, ne doit pas être utilisée en concomitance à la radiothérapie en dehors d’un essai thérapeutique.

Organes à risque et contraintes de dose6.6.

Ce sont les organes sains dont la radiosensibilité peut infl uen-cer la planifi cation du traitement et/ou la dose prescrite. Dans la région pancréatique, les organes à risque sont principalement la moelle épinière, le foie, les reins, le tube digestif (estomac, duode-num, intestin grêle, colon). Les contraintes de dose classiquement utilisées en France sont répertoriées dans le Guide de procédures de la radiothérapie externe publié par la SFRO [30] :

moelle épinière : dose maximale de 45 Gy en fractionnement – classique ;

foie : une dose de 30 Gy ne doit pas être délivrée dans plus de – 50 % du volume du foie (V30 ≤ 50 %) avec une dose maximale dans la totalité du foie de 26 Gy ;reins : dose maximale de 20 Gy dans un volume cumulé équiva-– lent à un rein entier sur des reins fonctionnellement normaux ;estomac, duodénum : dose maximale de 45 Gy. En raison de – la proximité de la tête du pancréas et du duodénum, une dose un peu plus élevée (54 Gy) est autorisée dans un petit volume (V45 ≤ 10 %) ;intestin grêle : c’est un organe extrêmement mobile d’un – jour sur l’autre et souvent diffi cile à visualiser et délinéer sur les scanographes de dosimétrie. Plutôt que d’essayer de le délinéer anse par anse, il est recommandé de défi nir un volume « intestin grêle » comprenant le contenu abdominal, après soustraction du volume cible prévisionnel, des autres organes à risque et des corps vertébraux, avec une limite postérieure à la face dorsale des corps vertébraux lombaires et excluant l’espace rétropéritonéal (32). La dose maximale est de 45 Gy, une dose un peu plus élevée (54 Gy) est autorisée dans un petit volume (V45 ≤ 10 %). Dans un grand volume, il est recommandé de ne pas dépasser 40 Gy.

Balistique6.7.

L’irradiation doit être planifi ée de manière conformationnelle en trois dimensions. Une technique isocentrique est conseillée. Le choix de la balistique est libre, cependant elle doit comprendre plus de deux faisceaux. Des caches personnalisés ou réalisés grâce à un collimateur multilame permettent de réduire la dose reçue par les tissus sains et les organes à risque. L’angle des faisceaux doit être choisi afi n de minimiser la dose reçue par les organes à risque. Tous les faisceaux doivent être traités chaque jour.

Conclusions7.

La place de la radiothérapie dans le traitement des cancers du pancréas est débattue depuis plus de 30 ans. Pendant longtemps, il y avait d’un côté les Américains considérant la chimioradiothérapie

Fig. 4. Vue des faisceaux antérieur et latéral gauche (DRR).View of anterior and left lateral beams (DRR).

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comme un standard thérapeutique que ce soit en adjuvant ou pour les cancers localement avancés, et de l’autre les Européens plus partisans de la chimiothérapie. En situation adjuvante, les résultats de l’essai ESPAC-1, bien que contestés, suivis de ceux de l’essai CONKO-1, ont amené à considérer la chimiothérapie postopératoire comme un standard thérapeutique. La chimioradiothérapie est recommandée pour les patients en situation de résection incomplète (R1). En ce qui concerne les traitements néo-adjuvants, on attend toujours l’essai de phase III, qui comparera chimioradiothérapie néo-adjuvante et chimiothérapie adjuvante. Pour les tumeurs localement évoluées, le débat continue même si la stratégie consistant à associer une chimiothérapie première suivie d’une chimioradiothérapie en l’absence de progression tumorale paraît séduisante. L’essai de phase III LAP07 en cours a été conçu pour valider cette attitude. Sur le plan technique, la tendance actuelle est à la réduction des volumes irradiés afi n d’améliorer la tolérance.

Confl its d’intérêts8.

F. Huguet : aucunA. Orthuon : aucunE. Touboul : aucunR. Marseguerra : aucunF. Mornex : essais cliniques : en qualité de co-investigateur,

expérimentateur non principal, collaborateur à l’étude ; essais cliniques : en qualité d’investigateur principal, coordonnateur ou expérimentateur principal ; interventions ponctuelles : rapports d’expertise ; conférences : invitations en qualité d’intervenant.

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